M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de ce débat et remercie le groupe CRC de cette initiative, qui nous permet d’aborder, ensemble, des sujets fondamentaux pour l’industrie française.
En tant que parlementaires, nous devons en effet être conscients que l’avenir de cette filière, dont l’histoire est en réalité une véritable épopée, représente un enjeu majeur pour notre pays. Les enfants que nous étions ont grandi au rythme de la conquête spatiale ! Les derniers retentissements des connexions de la sonde Rosetta avec l’atterrisseur Philae nous rappellent que cette aventure, mondiale et européenne, ne peut être délaissée, même si les budgets nationaux sont en baisse.
L’agence spatiale américaine, la NASA, fut un marqueur incroyable de la puissance des États-Unis. Néanmoins, l’Europe, rappelons-le, n’est pas en reste. Depuis cinquante ans, elle est impliquée dans cette conquête, dont les retombées industrielles, économiques et scientifiques sont vitales pour toutes les filières civiles et militaires.
L’année dernière, l’Agence spatiale européenne, l’ASE, a fêté un demi-siècle d’existence. Les États membres financent 50 % des dépenses spatiales publiques en Europe, et nous gagnons des parts de marché dans les services liés aux lancements, aux satellites et aux télécommunications. La communauté scientifique européenne bénéficie d’une renommée mondiale et attire la coopération internationale. Les centres de recherche et d’innovation détiennent une crédibilité internationale indiscutable. Enfin, les opérateurs européens du secteur spatial comme de l’aéronautique affichent une belle réussite.
Pourtant, la concurrence est rude, nous le savons, et, en dépit des apparences, elle n’est pas nouvelle. Après une période d’assoupissement dans le domaine commercial, les États-Unis reviennent en force avec SpaceX, une entreprise soutenue par des commandes institutionnelles qui permettent d’offrir un véritable rapport qualité-prix. Les prix proposés dans ce cadre, précisément, rythmeront les deux décennies à venir et nous ont déjà obligés à réagir au niveau du secteur spatial européen. J’y reviendrai ultérieurement.
Après ce bref tour d’horizon international, je voudrais être plus concret et évoquer la dimension nationale. En effet, le secteur de l’aéronautique et du spatial est l’un des éléments de notre puissance.
Cette industrie duale constitue un moteur et un vecteur extraordinaire de croissance, que nous devons soutenir en dépit des restrictions budgétaires. Comme vous le savez, mes chers collègues, le secteur de la défense en est l’un des premiers investisseurs, comme partout ailleurs dans le monde. Nous savons parfaitement qu’Ariane n’aurait pas vu le jour sans les missiles balistiques. Les investissements militaires sont à l’origine des avancées technologiques et font souvent office d’aiguillon dans le domaine civil.
En 2014, le chiffre d’affaires total de l’industrie s’élève à 50,7 milliards d’euros, dont près d’un tiers dans le domaine militaire. Le secteur est le premier contributeur de notre balance commerciale, avec 33,1 milliards d’euros d’exportations et un niveau de commandes de 73 milliards d’euros, soit six années de production. Voilà un made in France qui fonctionne !
Ce savoir-faire est inestimable, et les bureaux d’études – on n’insistera jamais assez sur leur importance - doivent être alimentés. Il faut donc que la commande publique, notamment en matière de défense, soit au rendez-vous pour sauvegarder ces emplois hautement qualifiés, présents sur notre sol, le tout reposant sur un réseau de formation technologique et universitaire que nous devons absolument maintenir et faire fructifier.
S’agissant du domaine de la défense, il faut saluer les succès du Rafale à l’export, mais nous devons aussi préparer l’avenir et investir dans des projets innovants, comme l’avion du futur – le FCAS, pour Future combat aircraft system – et le drone de combat – Unmanned combat aerial vehicle, ou UCAV - avec les Britanniques. Nous devons aussi travailler avec les Allemands et les Italiens sur le drone de moyenne altitude et longue endurance, dit « drone MALE », européen, ainsi que sur les satellites optiques, radars et électromagnétiques.
Dans le domaine civil aéronautique et spatial, l’installation du siège d’Airbus à Toulouse et l’inauguration des nouveaux sites de Turbomeca et Thales en Aquitaine sont des gages contre la fracture technologique territoriale.
Le carnet de commandes d’Ariane 5, en attendant Ariane 6, le succès du dernier né d’Airbus, l’A-350, ou les commandes du nouvel avion d’affaires de Dassault, le Falcon 8X, montrent que nous restons parmi les leaders dans un secteur extrêmement concurrentiel.
En ce qui concerne Ariane 6 - sujet précédemment abordé - pour faire face à la concurrence de SpaceX et à ses prix d’appel, Airbus Defence and Space et Safran viennent de créer Airbus Safran Launchers. Les deux entreprises proposent, par ce biais, de s’engager industriellement et commercialement sur le développement d’Ariane 6 et d’assumer la responsabilité de l’ensemble du programme.
C’est certainement un « plus » indéniable, mais il faudra veiller, monsieur le secrétaire d’État, à ce que les capacités d’études et d’analyses du Centre national d’études spatiales, le CNES, ne soient pas diluées et perdues pour autant. En effet, cet institut est le pivot du secteur national de l’espace et le garant de son existence. De même, l’État doit réfléchir à la place qu’il entend donner à Arianespace dans cette nouvelle organisation.
Pour la défense, la recherche et développement en matière d’équipements est indispensable, et nous devons faire un effort supplémentaire. J’ai défendu cette position lors de l’étude et du vote de la dernière loi de programmation militaire ; je la défendrai encore en juin prochain, à l’occasion de son actualisation.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous pouvons être fiers de ce qui est réalisé dans le domaine aéronautique et spatial. Nous devons investir dans l’intelligence pour préparer le futur et faire en sorte que, demain, la France et l’Europe conservent leur place dans ce domaine essentiel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma très courte intervention de ce jour fait suite au rapport que j’ai produit en 2013, dans le cadre de OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, intitulé Les Perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040 : préserver l’avance de la France et de l’Europe.
M. Bruno Sido. Très bon rapport !
M. Roland Courteau. Merci, mon cher collègue.
Voilà effectivement l’une des rares industries où notre pays est un acteur de rang mondial. Et ce rang mondial, obtenu par l’aéronautique, est le fruit de politiques publiques menées, avec constance, depuis un demi-siècle.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’au cours des trente prochaines années, l’aviation civile comme le secteur spatial seront confrontés à des défis technologiques de grande ampleur. Des mutations importantes auront lieu, c’est certain, et il faut s’attendre à de fortes ruptures technologiques en matière d’architecture des avions et de motorisation.
N’oublions pas non plus qu’un programme industriel aéronautique ou spatial pour les vingt ou trente prochaines années doit se concevoir dès aujourd'hui !
Comme chacun le sait, l’aviation civile est une activité industrielle essentielle pour notre pays, en elle-même d’abord, mais également du fait du pouvoir de diffusion d’innovations à l’ensemble du tissu industriel que recèle l’aéronautique. Les investissements d’aujourd’hui conditionnent, dans ce secteur notamment, la préservation de l’avance de la France et de l’Europe. C’est pourquoi il faut maintenir à long terme les soutiens publics à la recherche aéronautique.
À cet égard, je rappellerai une fois de plus l’importance du maintien dans la durée du niveau des crédits alloués à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’ONERA. L’activité de cet organisme est essentielle, car elle porte, en matière aéronautique, sur les briques technologiques qui devront générer des applications à long terme.
Face à une concurrence qui n’en finit pas de s’accroître, il est essentiel de soutenir la filière, pour préparer l’avenir. Or les soutiens institutionnels sont en diminution depuis 2010, alors que, dans le même temps, les États-Unis et la Chine déploient des programmes importants de financements publics. Quant à notre partenaire dans Airbus, l’Allemagne, ses crédits de soutien doublent depuis 2012. Dès lors, celle-ci ne finira-t-elle pas par revendiquer de nouveaux arbitrages dans la répartition de la chaîne de valeur des Airbus ?
En décembre 2013, j’avais été alerté sur la situation préoccupante de l’ONERA. Aujourd’hui, sa reconstruction institutionnelle s’accompagne certes de l’élaboration d’un plan stratégique scientifique, mais sa situation financière est toujours alarmante et met en péril son devenir. Nous comptons donc sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que des mesures d’urgence soient prises.
De même, le financement des projets du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, reste d’une brulante actualité, du fait de ses programmes sur l’usine aéronautique du futur, les systèmes embarqués, les nouvelles fonctionnalités avancées ou encore les nouvelles configurations d’aéronefs.
Est-il nécessaire d’insister sur le fait que ces programmes ont pour but, tout à la fois, de donner des objectifs à la recherche aéronautique sur les thématiques essentielles et de préparer la continuité innovante pour les ruptures technologiques de l’aviation de 2040 ? Y a-t-il meilleur chemin pour préserver l’avance de la France et de l’Europe en ce domaine ?
Faute de temps, je ne m’étendrai pas sur deux des points que j’avais également traités dans mon rapport rédigé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Je veux parler de la double nécessité d’anticiper le développement du marché des drones et de suivre les progrès des filières de biokérosène.
Je dirai un dernier mot concernant la formation. Cela a déjà été dit, elle est d’importance dans une activité industrielle soumise en permanence à la poussée des innovations.
Trois domaines sont essentiels : les besoins en formations spécifiques au secteur de la construction aéronautique, avec l’adéquation des formations à la demande industrielle, mais aussi la nécessité d’anticiper le choc de l’introduction de la numérisation dans le système de navigation aérienne tout en tirant les conséquences de la numérisation de l’économie, car l’aéronautique aura de plus en plus besoin de spécialistes des logiciels embarqués.
Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’évoquerai pas l’importance de l’établissement des normes pour la rénovation de la navigation aérienne, avec le programme SESAR – en anglais Single European Sky ATM Research – pour l’Europe, et NextGen – The Next Generation Air Transportation System – pour les États-Unis. C’est dommage, mais c’est un autre problème.
Pour conclure, oui, la France et l’Europe ont l’impérieux devoir de préserver leur avance, à vue de plus d’une génération, dans le champ industriel directeur de ce secteur d’activité, sachant que l’avenir de l’un des secteurs de pointe de notre industrie se décide aujourd’hui.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai une question qui nous vient de notre collègue Georges Labazée : quelles sont les perspectives pour une collaboration possible autour du futur avion électrique, entre Hydro-Québec qui va s’installer sur le complexe de Lacq pour la production de piles et Airbus qui va s’implanter près de l’aéroport de Pau ?
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie par avance des précisions que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour remercier nos collègues du groupe CRC d’avoir provoqué la tenue de ce débat en séance, qui nous permet de nous exprimer sur ce sujet d’importance.
La France et l’Europe possèdent un tissu industriel aéronautique et spatial extrêmement développé, emmené par des groupes comme Airbus, Thales, Dassault aviation, ATR, Eurocopter, Arianespace, Astrium, Safran... Ces entreprises couvrent l’ensemble de la filière, depuis les avions gros porteurs jusqu’à la construction et l’envoi de satellites géostationnaires, sans oublier la défense.
Dans le domaine spatial, Arianespace a remporté 60 % des contrats de lancement de satellites géostationnaires en 2013. La concurrence américaine de SpaceX, qui a déjà été évoquée, et celle des Chinois, avec les fusées Longue Marche, nous poussent donc à envisager le futur en prenant la décision ferme, et cela depuis le mois de décembre dernier, de développer Ariane 6.
Le défi est de taille : il faut un lanceur qui puisse remplacer Ariane 5 en termes de fiabilité et de puissance, tout en gagnant en compétitivité et en modularité. C’est en réussissant ce défi technique que nous pourrons conserver notre place de leader mondial des lancements de satellites.
Si les Américains cherchent avec SpaceX à renouveler le genre des lanceurs réutilisables, il est aujourd’hui peu probable que, à brève échéance, la remise en service des moteurs ayant déjà subi un vol soit rentable et fiable. Quant à la récupération des étages inférieurs et des propulseurs d’appoint, elle apparaît utile, mais à condition de les recycler. Nous avons mis à profit les innovations développées avec le lanceur Vega, afin d’améliorer le coût des lanceurs et d’en alléger la structure.
Il est également crucial, à l’heure actuelle, de limiter le nombre de débris spatiaux causés par les activités humaines en orbite, au risque de se priver à brève échéance d’un accès à l’espace qui soit sûr et fiable.
Le plus grand problème est posé par les débris de taille moyenne – entre un et dix centimètres – estimés aujourd’hui à environ 200 000, qui ne sont pas catalogués alors qu’ils présentent un risque très important et, surtout, pour lesquels il n’existe pas de protection.
Parmi les innovations en gestation dans le secteur aéronautique, l’une d’elles a retenu mon attention : il s’agit du retour des aérostats, plus communément appelés dirigeables.
Un peu à la manière des tramways du début du XXe siècle que l’on a abandonnés au profit de la voiture pour finalement y revenir au XXIe siècle, le dirigeable, que l’on avait abandonné au profit de l’avion, beaucoup plus rapide, se prépare un retour serein dans le domaine du transport aérien. Quelques vieilles images persistent dans l’imaginaire collectif, notamment celle de l’incendie du zeppelin Hindenburg. Pourtant, aujourd’hui, on gonfle les dirigeables à l’hélium, qui, lui, est totalement ininflammable.
Les dirigeables présentent de nombreuses qualités. Ce mode de transport économique bénéficie du meilleur rapport « masse transportée-coût kilométrique » après le transport fluvial : il permet de véhiculer par les airs de très lourdes charges ; les défaillances des moteurs sont moins critiques que pour un avion ; les dirigeables modernes peuvent atterrir pratiquement n’importe où et ont la capacité de rester dans le ciel très longtemps et silencieusement.
Seule ombre au tableau des dirigeables, l’hélium, qui est le deuxième élément le plus abondant de l’univers après l’hydrogène, est, ironiquement, assez rare sur la Terre. De plus, les gisements actuels sont en cours d’épuisement à moyen terme, ce qui impose la prudence.
Certaines entreprises sont en train de développer des modèles hybrides, dont la sustentation n’est que partiellement assurée par le ballon, le reste étant fourni par l’aérodynamisme, la forme de l’engin et sa vitesse comme pour un avion.
À titre d’exemple, le Stratobus du groupe Thales est un ballon dirigeable à propulsion électrique capable de rester en vol stationnaire dans la stratosphère, à plus de vingt kilomètres d’altitude. Le ballon, dont la mise sur le marché est prévue en 2022, doit remplir des missions simples : être un relais pour les télécommunications et servir de poste d’observation. Il pourra servir autant à l’observation militaire des mers au large de la Somalie, par exemple, qu’à envoyer de la 4G à des millions d’utilisateurs d’Internet.
À l’heure où l’on constate que le secteur du transport aérien produit une part non négligeable des émissions de CO2 mondiales, les acteurs du secteur ont consenti des efforts pour réduire leurs émissions. La contribution de l’aviation aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine est actuellement seulement de 2 % à 3 %. L’enjeu consiste à stabiliser, puis à diminuer ce taux.
Un transport aérien durable et responsable doit permettre de réduire les émissions de C02, d’améliorer les effets produits sur la qualité de l’air et de réduire le bruit perçu.
La France, à travers son soutien constant à l’innovation, sera, nous n’en doutons pas, un acteur clef de l’évolution de cette filière, pour répondre aux enjeux du XXIe siècle.
En conclusion, j’ai entendu les réserves de notre collègue Michelle Demessine sur une forme de libéralisation de ce secteur. Il est nécessaire de mettre en œuvre ces politiques, qui doivent être publiques étant donné les stratégies de sécurité et de souveraineté, tant nationales que, plus encore, européennes. L’avenir est là ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat consacré à l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale, proposé par le groupe CRC, est au cœur de problématiques cruciales pour l’avenir de notre pays. Toutes les interventions précédentes l’ont encore démontré.
Au mois de mars dernier, par exemple, le ministre de l’économie et des finances a examiné, avec le secrétaire d’État chargé des transports, les plans industriels qui avaient été développés par son prédécesseur, Arnaud Montebourg.
Ces plans ont été sérieusement revus à la baisse. Quelque temps auparavant, nous apprenions ainsi que, à la suite d’une décision du Gouvernement, l’État actionnaire s’apprêtait à vendre, pour plus d’un milliard d’euros, près de 4 % de ses participations dans le groupe d’aéronautique et de défense Safran.
Une même logique et une même cohérence inspirent les décisions prises dans ces deux cas. Nous en avons largement parlé lors de la discussion du projet de loi Macron ces trois dernières semaines. Il s’agit de faire des économies à tout prix, d’obtenir rapidement des rentrées d’argent, pour répondre aux exigences de la Commission de Bruxelles, satisfaire les marchés financiers et respecter ainsi le dogme intangible des 3 % de déficit public promis pour 2017.
C’est une stratégie de court terme, qui est aveugle sur les conséquences économiques et sociales négatives qui en découlent.
C’est ainsi que l’industrie aéronautique et la filière spatiale, en particulier, sont, à l’instar de nombreux secteurs industriels, financiarisées à outrance et percutées de plein fouet par la dictature du bas coût présentée comme la seule solution pour résister à la concurrence exacerbée.
À cet égard, le cas de la filière spatiale, avec les lanceurs de satellites, est tout à fait représentatif de cette politique, ainsi que l’a montré Michelle Demessine.
L’affaire remonte en réalité au mois de juin 2014, lorsque les dirigeants des grandes entreprises de ce secteur ont directement rencontré le Président de la République pour lui proposer une profonde réorganisation de la filière.
Quelques mois plus tard, en décembre 2014, lors d’une réunion interministérielle des pays membres de l’Agence spatiale européenne, notre pays a décidé de confier aux entreprises Airbus et Safran la maîtrise d’œuvre des lanceurs de type Ariane et leur commercialisation par la société Arianespace. Il s’agissait là d’appliquer de nouvelles orientations à ce secteur industriel.
Un tel changement de politique est significatif d’une perte de la maîtrise de l’État dans ce domaine, au seul profit du secteur privé.
Cette perte de contrôle sur les orientations à mettre en œuvre coïncide paradoxalement avec un très important financement sur fonds publics, puisque celui-ci représentera 8 milliards d’euros sur dix ans, et ce sans contrepartie.
Il est tout à fait légitime que ces dirigeants d’entreprise aient souhaité alerter au plus haut niveau de l’État sur les défis qu’ils doivent relever et sur les difficultés liées à la concurrence. Toutefois, prennent-ils les bonnes décisions pour préserver les intérêts de notre pays dans les dix ans qui viennent ?
La méthode employée et l’opacité entourant les solutions qui ont été proposées au chef de l’État au cours de cette réunion permettent d’en douter. Nous estimons que les enjeux, les décisions et les mesures à prendre pour restructurer un secteur aussi stratégique pour l’avenir de notre pays devraient être discutés publiquement. C’est là, je crois, le rôle de ce débat parlementaire souhaité par notre groupe.
Ce débat est également nécessaire, car les organisations syndicales des salariés des entreprises du secteur, évidemment concernés au premier chef, sont tenues dans l’ignorance de la nouvelle gouvernance adoptée et des décisions qui ont été prises.
Ces organisations déplorent de ne pas disposer d’éléments d’information suffisants pour apprécier la situation en toute connaissance de cause et pouvoir ainsi en contester éventuellement le bien-fondé. Elles sont évidemment prêtes à entendre qu’une évolution de l’organisation industrielle de la filière aéronautique et spatiale est nécessaire pour s’adapter à un environnement qui a changé.
Toutefois, les modalités de cette restructuration, telles qu’elles apparaissent, posent de graves questions et suscitent de légitimes inquiétudes, concernant en particulier l’emploi et l’indépendance de notre pays.
Instruits de douloureuses expériences précédentes dans ce secteur – je pense, en particulier, à la fusion en cours entre les filiales du groupe Safran SPS et SME –, les syndicalistes savent que ce type d’opération est réalisé, en règle générale, au détriment des emplois, des conditions de travail et du maintien des compétences dans les entreprises.
Ce modèle de rapprochement sur des activités de fabrications duales, civiles et militaires, que sont les lanceurs spatiaux et les missiles nucléaires stratégiques est-il vraiment une solution pertinente du point de vue de l’économie et des intérêts fondamentaux de notre pays ?
Dans ces conditions, est-il réellement judicieux, s'agissant du domaine hautement stratégique des programmes européens d’accès à l’espace, de remplacer le pilotage public actuel des acteurs institutionnels que sont l’Agence spatiale européenne et le CNES, le Centre national d’études spatiales, tous deux privilégiant l’intérêt général, par un donneur d’ordre privé, en l’occurrence Airbus regroupé avec Safran, dont l’objectif premier de réduction des coûts est révélateur d’une logique essentiellement commerciale et financière ?
C’est donc sur ces questions de fond que notre groupe souhaite obtenir du Gouvernement des éclaircissements s'agissant des nouvelles orientations qu’il entend imprimer à la filière spatiale.
Dans notre débat de cette après-midi, la démocratie, ainsi mise au service du développement économique et de l’avenir du pays, ne peut qu’y gagner. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de commencer, je tiens, au nom des sénateurs du RDSE, à saluer la mémoire des 150 victimes du crash aérien survenu le 24 mars dernier, date à laquelle devait initialement se tenir ce débat.
Un nouveau drame impliquant un appareil militaire s’est malheureusement déroulé à Séville, samedi dernier, faisant de nouvelles victimes. Nos pensées vont vers toutes les familles endeuillées.
Les deux industries, aéronautique et spatiale, qui font l’objet de notre débat, ce jour, ont en commun d’être deux filières d’excellence, dans lesquelles la France, notamment au travers de projets européens, jouit d’un leadership et d’une expertise certaine. Les deux connaissent également un développement exponentiel. Ainsi, le trafic aérien a doublé depuis quinze ans et doublera encore d’ici à 2030.
L’espace, surtout l’aéronautique, concerne non seulement quelques grands groupes, mais également tout un tissu d’entreprises de taille intermédiaire et de PME, équipementiers et sous-traitants.
Dans certaines régions, je pense naturellement à l’Aerospace Valley, entre Aquitaine et Midi-Pyrénées, ces industries sont un moteur du développement. La métropole toulousaine fait figure de capitale de l’air et de l’espace, mais je n’oublie pas qu’en Ariège, par exemple, ces secteurs emploient plus de 3 000 personnes.
Par essence, les deux filières sont soumises à la concurrence internationale. Ces dernières années, cependant, de nouveaux acteurs sont apparus, issus principalement des pays émergents.
Dans le peu de temps dont je dispose, mes chers collègues, j’ai choisi d’attirer votre attention sur trois enjeux actuels, dont l’impact ne saurait être négligé.
Le premier concerne le secteur aéronautique civil. Dans le transport aérien, la croissance des compagnies à bas coûts a bouleversé le marché. De même, l’émergence de compagnies issues des pays du Golfe inquiète, notamment à cause des subventions déguisées que celles-ci reçoivent de leurs États.
Monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion du débat qui s’est tenu ici même, le 5 février dernier, sur le thème de la transparence dans le transport aérien, vous avez réaffirmé que les autorités françaises n’accordaient plus aucun droit de trafic à ces compagnies. Le 13 mars, lors d’un conseil des ministres des transports de l’Union européenne, les représentants de l’Allemagne, qui a cependant passé des accords « ciel ouvert », et de la France ont demandé la mise en place d’une stratégie commune, proposant de soumettre toute ouverture de droits de trafic au contrôle de ces entreprises.
Sans méconnaître les pratiques de ces compagnies ni remettre en cause l’ambition d’instaurer une concurrence non faussée dans le secteur du transport aérien, nous nous interrogeons sur l’efficacité d’une telle stratégie, d’autant qu’elle s’applique aussi à d’autres compagnies hors Union européenne.
Au niveau communautaire, si certains pays se retrouvent sur notre ligne, d’autres, notamment le Royaume-Uni, ont une politique plus conciliante. En accordant plus de droits de trafic, ils bénéficient d’une fréquentation accrue, avec des effets en termes d’affluence touristique et de développement des structures aéroportuaires.
Plus grave encore, ces compagnies, dont la croissance est rapide, procèdent à de nombreux achats d’appareils. Dans ce contexte, et connaissant les subtilités des marchés de l’aviation civile, il serait préjudiciable que les entreprises françaises et européennes pâtissent de cette politique intransigeante et perdent d’importants marchés au profit d’autres groupes, américains par exemple.
Le deuxième enjeu concerne le secteur spatial, qui est également soumis à une reconfiguration d’acteurs. Sont en effet apparus, depuis moins de dix ans, des lanceurs à faible coût pouvant mettre sur orbite des satellites à prix cassés. C’est le cas aux États-Unis, qui renouent avec une politique spatiale ambitieuse, comme en témoigne le développement de la société SpaceX, ou dans des puissances comme la Chine, avec son lanceur « Longue Marche », l’Inde ou encore la Russie. En réaction, les membres de l’Agence spatiale européenne ont décidé, à la fin de 2014, d’acter le programme Ariane 6, pour conforter la position de leader de l’Europe en matière de lanceurs commerciaux.
En conséquence, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle sera la feuille de route du Comité de concertation État-industrie sur l’espace, et comment cette entité entend favoriser la coopération entre les trois grands groupes français du secteur que sont Thalès Alenia Space, Safran et Airbus Defence and Space, notamment depuis la joint-venture entre les deux derniers ?
Enfin, et c’est le troisième enjeu que je souhaite aborder, il est évident que l’avenir industriel de ces deux filières passe par une politique de recherche et de développement ambitieuse et soutenue. À ce titre, les 34 programmes de la Nouvelle France industrielle, dont certains touchent l’aéronautique et l’espace, constituent l’un des leviers privilégiés de cette politique, en associant les grands groupes, les ETI et les PME.
C’est dans ce cadre qu’a été développé le prototype de l’avion électrique E-Fan par Airbus Group en Charente Maritime. Cet aéronef traversera la Manche, en juin prochain, plus de cent ans après Louis Blériot.
Cependant, alors que le Président de la République a annoncé une nouvelle levée de fonds pour le grand emprunt, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique et le Commissariat général à l’investissement s’apprêtent à faire un tri au sein des différents programmes. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, concernant les secteurs industriels en débat cet après-midi, pouvez-vous nous indiquer les orientations qui seront privilégiées dans le choix de ces programmes ?
Nous pouvons également citer, parmi les efforts d’innovation dans le domaine aéronautique, les projets du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC. Pour rappel, parmi ces derniers figurent des axes de recherche et de développement à court et moyen termes : systèmes embarqués dans les cockpits, satellites à propulsion électrique ou augmentation des matériaux composites dans les avions, afin de les rendre plus légers et plus sobres énergétiquement.
La course à l’innovation ne connaissant pas de pause, la France, si elle veut continuer à être à la pointe des techniques et du savoir-faire, doit donc investir massivement. Elle ne pourra le faire que sous l’impulsion et avec la coordination d’un État stratège. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)