M. Bruno Retailleau. Et la Vendée ?
M. Jean-Claude Requier. Pour cela, prenez plutôt le train ! À moins que vous ne préfériez l’autocar ! (Mêmes mouvements.)
Bien entendu, notre sens bien connu de la responsabilité et de la mesure nous incite à reconnaître de réelles améliorations. Nous saluons ainsi les progrès réalisés, sur l’initiative du corapporteur François Pillet, concernant les avocats aux conseils. Bien que les modifications apportées ne nous paraissent pas suffisantes, l’article adopté par le Sénat est préférable à celui qu’avait introduit à l’Assemblée nationale, dans les conditions qu’a rappelées Jacques Mézard lors de son intervention en discussion générale.
M. le président. Mon cher collègue, il va falloir conclure !
M. Jean-Claude Requier. J’en termine, monsieur le président.
Notre groupe porte un jugement nuancé sur ce projet de loi tel qu’amendé par la Haute Assemblée. Nous constatons une indéniable amélioration par rapport au texte issu de l’Assemblée nationale. Toutefois, il nous est impossible de le soutenir pleinement, aussi bien dans sa version initiale que dans sa version issue des travaux du Sénat.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Quel dommage !
M. Jean-Claude Requier. C’est la raison pour laquelle la majorité des membres du groupe RDSE fera le choix de s’abstenir, un choix qui sera exprimé librement et en responsabilité, comme il est d’usage dans notre groupe. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
Ouverture du scrutin public
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je vais suspendre la séance jusqu’à quinze heures cinquante, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures cinquante.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 179 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 229 |
Pour l’adoption | 185 |
Contre | 44 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Je tiens à remercier M. le ministre de l’économie, qui a occupé pendant de très longues heures le banc du Gouvernement. Pour votre grande première devant le Sénat, monsieur le ministre, vous vous êtes parfaitement accoutumé au style de notre assemblée, à sa manière de travailler et à sa volonté d’être constructive !
Je remercie également, au nom de tous les membres de notre assemblée, M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale, dont nous avons pu apprécier le travail remarquable et les qualités de chef d’équipe. (Applaudissements.)
Je remercie enfin nos trois corapporteurs, Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et François Pillet, qui n’ont guère quitté le banc des commissions – nombre d’entre nous peuvent en témoigner – et ont donné au projet de loi adopté par le Sénat ses arcs-boutants et ses lignes de force. (Nouveaux applaudissements.)
La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au texte que la Haute Assemblée vient d’adopter, qui n’est ni celui du Gouvernement ni celui de l’Assemblée nationale, peut-on reprocher de ne pas être ce qu’il n’est pas ? Ce projet de loi n’est pas, il est vrai, une réforme fiscale : un pacte de responsabilité et de solidarité a été instauré. Il n’est pas non plus une réforme des retraites : une telle réforme a été adoptée et d’autres le seront. Ne sombrons donc pas dans le bovarysme parlementaire, en reprochant à un texte déjà trop long de ne pas traiter de tout !
On lui reproche parfois de venir trop tard ; j’accepte nombre de reproches, mais convenez que je ne pouvais pas faire plus vite.
On lui reproche parfois d’être trop long. De fait, certains ont calculé que le total des heures pendant desquelles nous avons débattu au cours des dernières semaines représente quinze fois la durée moyenne d’examen d’un texte de loi. Pourtant, je pense que cette odyssée valait la peine d’être accomplie, parce que ce texte long a permis de porter sur nombre de questions un regard neuf.
Plusieurs ont qualifié le projet de loi de « libéral ». Peut-être a-t-il, en sortant du Sénat, une couleur autre que celle qu’il avait en y entrant : question de dosage ! Je crois surtout que son esprit consiste à réformer un grand nombre de secteurs de manière cohérente.
Si cette entreprise est nécessaire, c’est parce que, dans notre pays, nous avons trop souvent accepté que certains domaines ne fassent pas l’objet de réformes, que des dysfonctionnements s’installent et que certaines activités soient réglementées exclusivement pour celles et ceux qui en vivent, et parfois même par eux. Puis, quand des inégalités ou des difficultés survenaient, les gouvernements, de droite et de gauche, les corrigeaient a posteriori, généralement à coups de dépenses publiques.
La démarche qui fonde ce projet de loi consiste à revisiter, secteur par secteur, nombre de réglementations, de revoir beaucoup de droits installés, d’habitudes qui ont été prises, afin d’instaurer de nouveaux équilibres et de donner des droits à celles et ceux qui n’en ont pas, qui sont en dehors, qui n’ont pas accès à certaines opportunités. Il s’agit de reconnaître que, dans différents secteurs de notre économie et de notre société, l’accumulation de normes n’est pas toujours protectrice, ou du moins qu’elle protège certains en accroissant les barrières qui maintiennent d’autres dehors. Telle est la philosophie de ce texte.
On peut évidemment considérer que, dès lors que des règles sont supprimées, on agit en libéral. Peut-être… Reste que, lorsqu’une règle ne protège pas les plus faibles, mais empêche certaines initiatives, on a le devoir de s’interroger sur son bien-fondé.
Pour autant, je ne considère pas que toutes les règles soient inutiles. Je suis d’ailleurs en désaccord avec la suppression par le Sénat de certaines règles qui ont une portée régulatrice et une vertu sociale ; je souscris, sur ce point, aux propos de Jean Desessard. Il y a de bonnes règles, et c’est lorsqu’on les supprime que l’on passe de l’autre côté de la limite.
Supprimer les mauvaises règles et conserver les bonnes : c’est l’ambition de ce projet de loi, qui n’a pas encore atteint son état définitif.
Je crois que la méthode consistant à passer en revue, l’un après l’autre, les domaines de notre économie et de notre société nous a permis de ne pas être les otages des intérêts en présence, voire des ministères qui les défendent parfois, des habitudes administratives et politiques. Nous avons donc pu envisager certaines réalités d’une manière différente.
Il n’y a pas des secteurs qu’il faudrait réformer systématiquement et d’autres auxquels on n’aurait pas le droit de toucher. Sans doute y a-t-il là l’un de nos sujets de désaccord, car je considère que l’on peut et que l’on doit aller plus loin en ce qui concerne les professions réglementées ou la réforme du permis de conduire, plus loin encore s’agissant de la réforme des transports, comme le Sénat a décidé d’aller plus loin sur certaines réformes sociales.
Pour chaque réforme, nous devons nous poser cette question : jusqu’où faut-il aller pour accroître l’activité, pour engendrer de la croissance, tout en protégeant celles et ceux qui ont moins d’opportunités que les autres ? C’est en suivant cette démarche équilibrée que nous pourrons progressivement reconstruire le pays. Tel est l’esprit qui anime le projet de loi et dans lequel il a été examiné.
Au terme d’un débat au cours duquel nous avons abordé de nombreuses questions, nous avons des sujets d’accord et des sujets de désaccord. Si ce projet de loi était un tissu, ce ne serait pas le velours rouge sur lequel nous sommes assis, mais plutôt une moire, où chacun voit briller les couleurs qui lui conviennent. Une chose est sûre, en tout cas : il ne s’agit pas d’un tissu terne, et les débats l’ont montré !
De manière évidente, les équilibres du texte adopté par le Sénat ne sont pas ceux qui constitueront le texte final. Néanmoins, à n’en point douter, la version définitive du projet de loi, qu’elle résulte de la commission mixte paritaire ou des discussions parlementaires qui suivront, devra prendre en compte les débats qui se sont tenus au Sénat et les sensibilités qui s’y sont exprimées. (Marques de satisfaction et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Ainsi que plusieurs des intervenants l’ont justement souligné, s’agissant des territoires, par exemple en matière d’équipement et de couverture mobile, le Sénat a apposé une vraie marque sur ce projet de loi, notamment par l’ajout d’un certain nombre de dispositions. Vous avez su, grâce à une sensibilité différente, en apportant un éclairage spécifique, doter ce texte d’une tonalité nouvelle.
En revanche, sur d’autres points, vous l’avez profondément modifié. Je ne m’en suis jamais caché, le Gouvernement reviendra sur ces points avec sa propre sensibilité et selon son propre agenda.
En effet, l’agenda des réformes ne s’arrêtera pas avec l’adoption de ce projet de loi.
Dans les prochaines semaines, avec François Rebsamen, nous réunirons les partenaires sociaux afin de faire le bilan de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Celle-ci prévoit des avancées en matière sociale, dans un esprit d’équilibre : meilleure représentation des salariés au conseil d’administration et, en même temps, plus de flexibilité à travers les accords défensifs de maintien de l’emploi.
Au début du mois de juin, le Président de la République et le Premier ministre vont organiser une conférence économique et sociale sur les PME et les TPE, à la suite de laquelle de nombreuses mesures seront annoncées.
C’est ainsi que, loin de marquer le pas, les réformes se poursuivront.
Nos débats laisseront, je le pense, une trace importante. Ils ont nourri ce projet de loi, ils en ont clarifié les enjeux et les perspectives, ils ont permis de le faire exister, ici, bien sûr, mais aussi à l’extérieur de la Haute Assemblée.
Au terme de ces quatre semaines de compagnonnage, je veux adresser des remerciements, et d’abord à vous, monsieur le président, ainsi qu’à celles et ceux qui se sont succédé pour conduire nos travaux en faisant toujours prévaloir un esprit de respect, d’écoute et de partage.
Je tiens à remercier également M. le président de la commission spéciale ainsi que Mmes et M. les corapporteurs de tout le travail de préparation qu’ils ont accompli, de leur dévouement, de leur présence – ils n’ont pas compté leurs heures ! – et de leurs réponses précises. Nous avons eu des passes d’armes, mais aussi des accords, accords que, pour ma part, j’ai toujours assumés.
Bien entendu, je remercie toutes celles et tous ceux qui ont représenté les différents groupes parlementaires. Je sais le temps que vous avez passé sur ce projet de loi, l’énergie et la conviction que vous y avez mises, y compris nuitamment. Sans vous, le débat n’aurait pas été possible. Il n’est, en tout cas, concevable qu’avec des femmes et des hommes de bonne volonté : cela correspond tout à fait à l’esprit que j’ai trouvé au sein de cette Haute Assemblée.
Permettez-moi enfin, monsieur le président, de remercier les collaborateurs des sénatrices et sénateurs, ainsi que l’ensemble des agents du Sénat, au premier chef ceux des comptes rendus, qui ont fait preuve d’une grande patience, sans compter leurs heures, eux non plus, alors que les travaux se sont parfois poursuivis jusqu’au petit matin. Je salue en particulier l’expertise des administratrices et des administrateurs du Sénat, qui nous ont permis d’apporter maintes améliorations techniques à ce projet de loi.
C’est bien, à l’issue de ce vote, l’ensemble du Sénat qui doit être remercié ! (Applaudissements.)
M. le président. Vous l’aurez noté, monsieur le ministre, ici, nous accueillons et, nous aussi, nous assumons ! (Sourires.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi organique
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, déposée sur le bureau du Sénat le 7 mai 2015.
7
Débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à Mme Michelle Demessine, oratrice du groupe auteur de la demande.
Mme Michelle Demessine, au nom du groupe CRC. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne peux entamer ce débat sur l’avenir de notre industrie aéronautique sans évoquer le dramatique accident dont a été victime, à Séville, l’équipage d’un avion de transport militaire A400M, qui effectuait un vol d’essai.
Au-delà de l’émotion légitime, il ne faudrait pas, bien sûr, dans l’attente des résultats de l’enquête sur cet accident, que cet événement fragilise le groupe Airbus et remette en cause la poursuite de la construction de cet appareil, qui reste très performant.
À cet égard, je voudrais saluer la décision du ministre de la défense de poursuivre les vols prioritaires en opération, ainsi que la reprise, aujourd’hui même, des vols d’essai à Toulouse.
J’en viens à notre débat de ce jour. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ont souhaité inscrire à l’ordre du jour de leur espace réservé ce débat sur l’avenir de l’industrie aéronautique et spatiale, car cet avenir se joue en ce moment, loin des projecteurs médiatiques et malheureusement en l’absence de tout débat démocratique.
En effet, pour le volet spatial, un changement de modèle d’organisation du secteur, aujourd’hui piloté par les États au travers du Centre national d’études spatiales, le CNES, de l’Agence spatiale européenne et d’Arianespace est en train de se produire. Le rapprochement des activités liées aux lanceurs de Safran et d’Airbus Group, orchestré par l’État, va entraîner une véritable restructuration de la filière, qui aura des impacts au niveau tant national qu’européen.
C’est le casse du siècle – pour reprendre un titre provocateur, mais très juste – organisé par Airbus dans le domaine des lanceurs et des missiles.
Le secteur aérospatial est très diversifié, puisqu’il réunit aussi bien les aéronefs, de toute nature, les hélicoptères, le transport spatial et les satellites. Ce secteur englobe aussi les activités militaires, comme les missiles tactiques et stratégiques, ainsi que les activités liées aux drones.
S’agissant du volet spatial, sur lequel j’insisterai plus particulièrement, la France, du fait d’une volonté historique de maîtrise de l’espace, est le seul pays européen possédant l’ensemble des technologies spatiales, et cela des lanceurs à toute la gamme des satellites. Elle compte aussi, avec 12 000 salariés, plus du tiers des effectifs européens du secteur.
Cette réussite spatiale nationale a reposé sur une stratégie de maîtrise publique de l’accès à l’espace et a permis à son tour le développement d’une stratégie européenne.
Cette réussite du secteur spatial européen tient à la place et au rôle déterminant des États dans un pilotage maîtrisé de bout en bout. La puissance publique, avec un ensemble d’entreprises et de centres de recherche placés sous sa responsabilité, a su insuffler une véritable dynamique de l’innovation et relever des défis technologiques majeurs.
En effet, tout le monde sait qu’aucune industrie spatiale dans le monde n’est indépendante des financements publics. C’est vrai aujourd’hui et ce n’est pas près de s’arrêter. Cette stratégie de maîtrise publique fonctionne, et elle seule a permis de placer l’Europe au tout premier rang des acteurs mondiaux.
De plus, cette excellence repose sur une architecture subtile et équilibrée. Ainsi, sans entrer dans le détail, l’Agence spatiale européenne assure la direction de l’ensemble du programme Ariane ; le CNES agit lui en maître d’ouvrage en ce qui concerne la recherche et le développement pour la préparation de l’avenir et en assistant l’Agence spatiale européenne pour les lanceurs en service ou en développement.
Ces deux agences s’appuient sur plusieurs industriels, notamment Airbus Group et Safran. Il y a également un architecte, Arianespace, défini comme opérateur de systèmes de lancement. C’est une société française qui est chargée de la commercialisation et de l’exploitation des systèmes de lancement spatiaux, à savoir les familles de lanceurs Ariane et Vega, ainsi que du lancement de Soyouz.
Or c’est cet équilibre qui est aujourd’hui remis en cause. Arguant de la concurrence de SpaceX, le projet du Gouvernement vise à la construction d’une coentreprise entre Safran et Airbus Group maîtrisant l’ensemble du processus de production des lanceurs, de la conception au lancement et à la commercialisation. C’est donc là une remise en cause fondamentale du rôle du CNES et d’Arianespace, pourtant garant d’une politique industrielle européenne et nationale, et de grands programmes de recherche scientifique.
L’arrivée sur le marché mondial de la fusée Falcon 9 de SpaceX, qui casse les prix de lancement, offre une formidable aubaine pour briser un schéma européen qui a fait ses preuves, derrière une rhétorique d’obsolescence et de manque de compétitivité.
Il n’aura fallu que quelques mois pour que le lobbying industriel d’Airbus Group et de Safran convainque les États d’opérer un changement profond de gouvernance.
C’est bien l’un des enjeux centraux du rapprochement entre Airbus Group et Safran, aux termes duquel la maîtrise d’œuvre, le pilotage, la programmatique et la commercialisation ne seraient plus sous maîtrise publique.
Ces groupes revendiquent toutefois le maintien des aides publiques indispensables pour lancer des projets innovants.
Ainsi, ces industriels vont bénéficier des aides publiques pour les programmes Ariane 6 et Vega-C et pour le soutien à l’exploitation d’Ariane 5 ECA, le budget prévisionnel étant de 8 milliards d’euros sur dix ans, mais sans réel suivi technique, et surtout sans qu’ils en supportent véritablement les risques. Rien de bien nouveau, en somme !
Dès lors, de nombreuses initiatives ont été prises par les salariés de la filière pour exprimer leur malaise et leur incompréhension face à l’État, qui, sans aucun débat national public, laisse « toutes les clés de cette filière à Airbus Space Systems et Safran, sans aucun contre-pouvoir », mais aussi pour souligner les menaces qui pèsent sur la capacité de la puissance publique à contrôler efficacement les programmes spatiaux et sur la souveraineté nationale, voire européenne.
En effet, cette restructuration se situe à un moment charnière de la filière des lanceurs, où se jouent actuellement la définition et les études de futurs lanceurs.
Tout est encore en débat : la capacité de satellisation, mais aussi les choix technologiques, notamment pour les moteurs – à propulsion liquide ou solide. Ceux-ci sont déterminants pour la pérennité de l’activité d’établissements, dont certains sont stratégiques, en France et en Allemagne, mais aussi dans d’autres États européens, comme l’Italie.
Par ailleurs, toute restructuration nécessite une expertise d’impact sur les emplois, les activités, les territoires. Alors que le secteur « défense et espace » d’Airbus Group est déjà sous le coup d’un plan drastique de suppression d’emplois – une réduction de 10 % des effectifs –, jusqu’à présent, aucun élément n’a été rendu public.
Les deux industriels avancent leur projet selon un calendrier très serré, sans perspective claire de développement industriel et d’emplois.
Les salariés d’Arianespace ignorent tout de leur avenir, alors que les comptables ont commencé leur ouvrage de valorisation des actifs au bénéfice de la joint-venture Airbus Safran Launchers.
Enfin, derrière ce projet de rapprochement de leurs activités de lanceurs spatiaux et de missiles nucléaires stratégiques porté par Airbus et Safran, c’est toute l’organisation de l’industrie spatiale européenne qui en jeu, avec en perspective le rachat d’Avio, maître d’œuvre du lanceur VEGA, pour constituer un monopole européen dans le domaine.
Or cet abandon au secteur privé du rôle de maître d’œuvre des pouvoirs publics se fait dans le plus grand secret. Ce n’est pas acceptable ! La maîtrise et les compétences acquises par des décennies d’efforts d’investissements publics sont des biens communs que l’on ne peut voir cédés sur l’autel d’intérêts financiers immédiats.
Alors que l’accès à l’espace est un axe stratégique majeur pour l’action des États, en termes à la fois de sécurité, de souveraineté et de capacité d’innovation, il serait aujourd’hui placé dans le champ de la compétitivité et de la rentabilité.
Trop nombreuses sont les questions sans réponse.
Qui, dans ce nouveau modèle, contrôlera les fonds publics et assurera les risques industriels ? Comment le CNES pourra-t-il conserver son rôle d’agence spatiale et son expertise s’il n’est plus considéré comme maître d’œuvre des programmes spatiaux ? Quid des actions d’Arianespace détenues par le CNES ? Seront-elles vendues au consortium Airbus Safran ? À quel prix ? Comment assurer l’indépendance de l’opérateur de lancement vis-à-vis de ses clients satellites ? Pourquoi, moins de trois mois après la réunion ministérielle de décembre 2014, qui a fixé les contours de cet accord, la facture augmente-t-elle de 800 millions d’euros ?
Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est l’avenir des lanceurs civils, mais aussi militaires. Ce dont il s’agit, c’est aussi la force de dissuasion française.
Il est inconcevable qu’une telle restructuration se réalise sans un véritable débat national et européen sur l’ensemble des enjeux. Il y a un besoin impératif de définir sur quelle politique et sur quelle stratégie spatiale s’articule un tel projet.
Par ce débat qui a lieu aujourd’hui, nous invitons le Gouvernement à lever l’opacité dans laquelle est conçu ce projet, qui porte pourtant sur un enjeu majeur de souveraineté nationale et européenne de défense et de sécurité. Nous espérons qu’il répondra à notre souhait. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que la morosité économique actuelle nous conduit parfois à l’autoflagellation, il y a de véritables succès qu’il faut savoir saluer. Or, comme l’a rappelé notre collègue Michelle Demessine, l’industrie aéronautique et spatiale en est assurément un.
Vous le savez, son dynamisme est fulgurant. En 2013, le secteur employait en France quelque 177 000 personnes, avec 6 000 emplois nets créés. Le chiffre d’affaires de la profession était de près de 48 milliards d’euros, dont une grande partie réalisée à l’export, contribuant ainsi au redressement de notre balance commerciale, comme en témoigne la vente récente de nos excellents Rafale à l’Égypte, à l’Inde et au Qatar.
Il s’agit d’une filière d’excellence, à la pointe des technologies, de l’innovation et de la recherche, avec près de 15 % du chiffre d’affaires consacré à la recherche et au développement, avec de multiples retombés dans les domaines militaire et civil.
C’est aussi une filière d’avenir : en témoigne le carnet de commandes du groupe Airbus. Nous devons d'ailleurs surmonter ensemble le tragique événement qui vient de se produire, sans nous décourager, car l’A400M est un très bon avion.
J’insiste sur cette notion de filière, car la France a la chance de posséder sur son territoire une filière aéronautique et spatiale complète, avec de grands constructeurs – Airbus, qui est une chance, Dassault –, des équipementiers – Thales, Safran –, mais également un vaste tissu de PME maîtrisant les savoir-faire les plus complexes.
J’ai assumé avec mon agglomération la présidence tournante de la communauté des villes Ariane, qui regroupe, en France et en Europe, les villes accueillant sur leur territoire des industries liées à Ariane, et j’ai pu mesurer à quel point cette industrie de pointe irriguait l’activité de nos territoires – à l’image de Clemessy, en Alsace.
Au-delà de cette dimension économique, il convient de garder à l’esprit que l’industrie aéronautique et spatiale n’est pas une industrie comme les autres. Maîtriser le ciel et l’espace n’est pas anodin ! Il y a là une dimension stratégique essentielle pour les États, étroitement liée aux enjeux de souveraineté – la sécurité, par exemple.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous devons être fiers de la réussite de notre filière aéronautique et spatiale. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’être lucides pour appréhender les réalités de demain. Alors que le contexte international est de plus en plus concurrentiel, l’industrie aéronautique et spatiale française et européenne devra inévitablement relever de nombreux défis pour se maintenir au sommet. En voici quelques-uns.
Historiquement, le succès de la filière repose d’abord sur un partenariat très fort entre l’État et les industriels. L’État a toujours joué un rôle prépondérant dans le lancement de grands programmes – A-380, Ariane, Rafale, etc. –, notamment via le mécanisme des avances remboursables. Or, dans un climat de restrictions budgétaires, d’aucuns s’interrogent sur le risque de désengagement de l’État, qui aurait des conséquences dramatiques sur le secteur.
J’émets à ce titre des réserves sur la politique de cessions d’actifs conduite par l’État. Si je comprends la logique budgétaire, est-ce bien raisonnable de brader ainsi les « joyaux de la couronne » ? N’y a-t-il pas un risque de perdre notre capacité décisionnelle au sein d’entreprises stratégiques en accroissant la part de l’actionnariat flottant, qui représente par exemple 70 % chez Airbus ? À tout le moins, soyons prudents.
La formation représente un autre défi. Alors que l’industrie aéronautique et spatiale tourne à plein régime, les entreprises peinent à recruter des techniciens et ouvriers qualifiés. Quel paradoxe dans un pays comme le nôtre !
Comment le Gouvernement entend-il renforcer la formation dans ce secteur, afin de permettre à nos jeunes d’acquérir les compétences recherchées ? Comment faire tomber les barrières entre écoles et entreprises ? Quid du projet de centre de formation sur la base de Dugny-Le Bourget ?
Ces questions sont d’autant plus importantes que les marges de manœuvre du secteur ne cessent de se réduire. L’industrie aéronautique et spatiale est confrontée à une concurrence accrue des pays émergents et des États-Unis, qui n’hésitent pas à subventionner massivement certains programmes, à l’image du Boeing 777X, concurrent de l’A380 et de l’A350.
N’oublions pas, enfin, que la concurrence peut être intraeuropéenne. Je pense en particulier à la politique spatiale européenne, qui a conduit depuis quelques années à l’apparition d’une multiplicité d’acteurs. Ne serait-il pas souhaitable, pour le secteur spatial, de favoriser une rationalisation des savoir-faire en Europe ?
Dans ce contexte tendu, le défi pour la filière sera de poursuivre son développement, en renforçant sa compétitivité. Des mécanismes de soutien financier existent déjà – vous les connaissez, mes chers collègues –, ainsi que des plateformes de dialogue entre l’État et les industriels. C’est très bien !
Je sais que les industriels attendaient aussi beaucoup du pacte de compétitivité pour améliorer leurs capacités de production en France. Êtes-vous en mesure, monsieur le secrétaire d’État, d’en dresser un premier bilan ?
Certes, les marchés nationaux constituent une formidable vitrine, mais du fait de la baisse des commandes publiques, notamment en matière de défense, la croissance de la filière se jouera aussi à l’export.
Certains grands groupes ont commencé à mettre en place des partenariats locaux pour des activités de montage et de maintenance. De tels projets ne doivent pas voir le jour au prix de transferts de valeur ajoutée trop importants.
Il y a là, toujours, une recherche d’équilibre assez difficile. Ces transferts, en effet, constituent parfois la clef du marché. Ce n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu récemment, mais la question est toujours susceptible de revenir sur la table, avec, par exemple, un pays comme l’Inde. Il importe donc de fixer des limites au regard de notre savoir-faire, mais aussi des problématiques de préservation de l’emploi et d’accompagnement de nos PME, qui peinent encore à s’implanter sur les marchés.
J’ai néanmoins conscience que le sujet est d’importance, mais que l’art est difficile !
Depuis cinquante ans, l’industrie aéronautique et spatiale a réalisé des progrès considérables. Toutefois, face à la concurrence qui s’annonce, il faut garder une longueur d’avance.
L’innovation doit par conséquent être au cœur du développement de la filière, notamment eu égard aux enjeux environnementaux, qui offrent de formidables perspectives d’innovations, à l’image du projet d’avion électrique.
Plus généralement, dans un monde en pleine mutation – le secteur aéronautique et spatial n’échappe pas à ce phénomène –, les enjeux environnementaux, comme les enjeux technologiques vont s’imposer chaque jour davantage. Ni nous ni nos entreprises ne devons les voir comme des freins. Au contraire, il faut les considérer comme de nouvelles chances. Dans ce cadre, il sera également déterminant de disposer d’une longueur d’avance s’agissant de règles et de normes qui s’installeront progressivement au niveau international, y compris dans des domaines aussi pointus que ceux qui nous intéressent aujourd'hui.
Sur cet aspect, comme sur d’autres, la France ne peut agir seule, et c’est à l’échelle européenne qu’il faut amplifier nos efforts. La décision de développer le lanceur Ariane 6 afin de contrecarrer l’offensive de la société américaine SpaceX est, à ce titre, une bonne nouvelle. Le projet est crucial pour l’avenir du leadership européen en matière spatiale. Des initiatives similaires pour d’autres types de matériel, comme les satellites militaires, devraient être encouragées.
Certes notre filière aéronautique et spatiale se porte bien, mais le principal danger serait de nous reposer sur ses acquis ! Pour affronter les défis à venir, nous devons renouer avec une véritable politique industrielle volontariste, la renforcer ou l’amplifier, avec, à la clef, des emplois, de la croissance, une place de leader dans un secteur hautement stratégique et, bien évidemment, toutes les retombées que l’on peut imaginer et que l’on engrange déjà actuellement.
En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur les sénateurs centristes pour soutenir tous vos efforts en ce sens ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Louis Carrère applaudissent également.)