Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 87 est présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 489 est présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 631 est présenté par Mme Bricq, M. Guillaume, Mmes Emery-Dumas et Génisson, MM. Bigot, Cabanel, Filleul, Marie, Masseret, Raynal, Richard, Sueur, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 87 a déjà été défendu.
La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 489.
M. Jean Desessard. Je constate que la gauche se reconstitue et je salue cette bonne nouvelle ! Le combat recommence ! (Sourires.)
Cet article, inséré lors des travaux de la commission spéciale, vise à créer des accords « offensifs » de maintien de l’emploi, en remodelant en profondeur le dispositif adopté dans le cadre de la loi sur la sécurisation de l’emploi. L’objectif est simple : déroger aux 35 heures, prétendument pour développer l’emploi dans les entreprises.
Si, dans le droit actuel, les accords de maintien de l’emploi ne peuvent être conclus qu’en cas de « graves difficultés économiques conjoncturelles », cet article supprime cette mention pour en élargir l’application. Il est également prévu que ces accords pourraient être conclus non seulement pour sauvegarder l’emploi, mais également pour le développer.
Le diagnostic préalable avec les organisations syndicales, la durée maximale de l’accord, le recours obligatoire aux délégués syndicaux, la proportionnalité des efforts demandés aux patrons par rapport à ceux des salariés ainsi que la pénalisation des manquements de l’employeur à ses obligations sont tous supprimés. (M. Robert del Picchia s’exclame.)
Pour résumer, ce que prévoit cet article, c’est un dispositif complet, clé en main, pour permettre purement et simplement aux dirigeants d’entreprise de ne plus respecter les 35 heures. Il suffira désormais que l’employeur se mette d’accord avec les représentants du personnel pour ne plus appliquer les 35 heures, au prétexte de développer l’emploi, et ce sans limitation de durée.
Le dispositif de la loi de sécurisation de l’emploi est ainsi totalement dévoyé, et cet article est au service d’une tout autre idéologie que les écologistes ne cautionnent pas, parce qu’ils sont attachés à la réduction du temps de travail.
Mes chers collègues, vous avez eu raison de qualifier ces accords d’« offensifs », car c’est une véritable offensive qui est à l’œuvre, non pas pour l’emploi, mais contre le droit du travail, contre le partage du temps de travail et contre le dialogue social !
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Oh !
M. Jean Desessard. Réduire les droits sociaux n’a jamais aidé à créer de l’emploi. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l'amendement n° 631.
Mme Nicole Bricq. Même motif, même punition, si j’ose m’exprimer ainsi. Nous demandons, nous aussi, la suppression de cet article.
Je le répète, nous tenons à la négociation entre partenaires sociaux. Il est vrai que peu d’accords ont été conclus dans le cadre de la législation actuelle. Il serait possible, sur la base de ce constat, de proposer aux partenaires sociaux de négocier une modification qui pourrait ensuite être intégrée dans la loi.
La commission spéciale a décidé d’insérer très abruptement des accords « offensifs ». Ce faisant, madame la corapporteur, vous vous placez dans une perspective que nous ne pouvons faire nôtre.
Des accords de compétitivité, en marge de la loi de 2013, ont été conclus. Le cas de Renault est connu. Récemment encore, l’équipementier Faurecia a conclu un tel accord. Les salariés consentent des efforts en matière salariale, en matière d’intéressement et de durée du travail, en échange d’engagements temporaires de la direction de ne pas lancer de plan de licenciement.
La question des efforts proportionnés des dirigeants et des actionnaires dans le cadre des accords défensifs est absente de ces accords. Il faut donc que cette question soit soumise aux partenaires sociaux. La commission spéciale ne peut pas agir comme elle le fait, d’autorité, en introduisant de telles dispositions dans ce projet de loi, pour faire plaisir à certains qui réclament de telles mesures depuis longtemps. Nous ne partageons pas cette logique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Nous avons souhaité aller dans le sens de la croissance et de l’activité. Très peu d’accords défensifs ont été conclus, ce qui montre qu’il y a manifestement un problème. Au travers de cet article, nous cherchons à faire sauter les verrous qui existent.
Lors de son audition, M. Rebsamen avait reconnu qu’il s’agissait d’un réel souci et qu’il étudiait cette question. Mais nous n’avons toujours rien vu venir…
Nous avons souhaité ajouter aux accords de maintien de l’emploi des accords de développement de l’emploi, très attendus par certaines entreprises.
Pour ces raisons, la commission spéciale est bien entendu défavorable à ces amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Il faut en effet distinguer les accords de maintien de l’emploi défensifs des accords de maintien de l’emploi dits « offensifs » ou des accords de développement de l’emploi que vous proposez dans cet article.
Force est de constater que, pour différentes raisons, peu d’accords de maintien de l’emploi défensifs ont été signés. Ces difficultés font actuellement l’objet d’une évaluation qui devrait aboutir dans les tout prochains jours et qui nous conduira, François Rebsamen et moi, à revoir les partenaires sociaux pour tirer les conclusions très concrètes qui s’imposeront, c'est-à-dire les modalités à mettre en œuvre pour rendre plus simple et plus attractive la conclusion d’accords défensifs de maintien de l’emploi, afin que ceux-ci soient plus nombreux.
Je rappelle que ces accords sont utiles. Ils doivent être majoritaires et, lorsqu’ils sont conclus, des règles plus strictes que celles du droit commun s’appliquent au sein de l’entreprise. Ils permettent de trouver des solutions productives dans des cas bien définis. Je crois beaucoup à cette voie.
En vérité, les accords de développement économique que vous proposez, madame la corapporteur, et qui seront sans doute votés par le Sénat, ne serviront à rien. Je pense en effet qu’il n’y aura jamais d’accord majoritaire : quand l’entreprise va bien, aucune majorité ne se dégagera pour décider de réduire le temps le temps de travail ou s’organiser différemment. (Mme Nicole Bricq approuve.)
Vous pouvez estimer qu’il s’agit là d’une réforme très importante et même formidable, mais, alors qu’il est déjà compliqué de conclure des accords majoritaires en cas de difficultés économiques – cela demande non seulement beaucoup d’esprit de responsabilité, mais aussi un constat commun, partagé par toutes les parties, sur la difficulté de la situation –, ce sera encore plus compliqué en l’absence de difficultés particulières. Je connais peu d’entreprises en bonne santé, sinon aucune, où seront conclus des accords majoritaires : quand tout va bien, pourquoi se serrer la ceinture ?
Par contre, je pense qu’il nous faut emprunter la voie dont nous parlions voilà quelques instants, celle d’une réflexion sur la hiérarchie des normes conduite de manière ordonnée. Bien plus qu’à ces accords de maintien de l’emploi offensifs, je crois au travail de la mission Combrexelle, qui consiste à maintenir les questions d’ordre public social dans le giron de la loi et à renvoyer aux accords de branche et à des accords d’entreprise majoritaires les éléments qui n’en relèvent pas.
Je crois beaucoup plus à cette philosophie, à cette réflexion systémique sur la hiérarchie des normes, car elle a le mérite de la clarté : dès le début, on sait ce qui relève de la loi et ce qui relève de la concertation. À cet égard, je vous renvoie aux propos qu’a tenus tout à l'heure Mme Procaccia.
Si je comprends et respecte la philosophie de l’accord majoritaire de développement, je pense qu’il s’agit d’une voie décalée. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis favorable aux amendements de suppression.
Par ailleurs, je suis également défavorable à cet article pour des raisons de procédure dont nous pouvons tous convenir : adopter cet article alors qu’aucune négociation n’a encore eu lieu sur ce sujet avec les partenaires sociaux contreviendrait aux principes édictés par la loi dite « Larcher ».
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. Je serai malheureusement absent la semaine prochaine, en déplacement à Moscou pour le compte de la commission des affaires étrangères. C’est pourquoi je tiens à indiquer dès à présent que je voterai pour ce projet de loi et donnerai une procuration en ce sens.
Mme Éliane Assassi. Nous sommes contents de le savoir !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 87, 489 et 631.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 176 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons examiné 84 amendements au cours de la journée ; il en reste 104.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
17
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 11 mai 2015 :
À dix heures :
Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 300, 2014 2015) ;
Rapport de Mmes Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet, fait au nom de la commission spéciale (n° 370, tomes I, II et III, 2014 2015) ;
Texte de la commission (n° 371, 2014-2015).
À quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Suite de l’ordre du jour du matin.
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l’asile ;
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 425, 2014 2015) ;
Texte de la commission (n° 426, 2014 2015) ;
Avis de M. Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances (n° 394, 2014 2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 8 mai 2015, à zéro heure dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART