Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprime au nom de mon collègue Guillaume Arnell, retenu à Saint-Martin en raison de la visite – rare dans ce territoire – du Président de la République. J’avoue que je connaissais mal cette taxe. Si elle pouvait être mise en place pour les îles de l’intérieur, cela représenterait un progrès considérable, en particulier pour mon département. (Sourires.)
Avant toute chose, je tiens à saluer le travail effectué en commission, qui contribue à moderniser le dispositif actuellement en vigueur sans pour autant déstabiliser les collectivités et les entreprises des outre-mer.
Cette taxe méconnue en métropole s’inscrit dans l’histoire commune que nous partageons avec nos compatriotes des Antilles, de la Guyane, de La Réunion et, plus récemment, de Mayotte. Héritier du « droit des poids » introduit par Colbert en 1670 en Martinique, l’octroi de mer est appliqué dans les cinq départements et régions d’outre-mer avec un double objectif : la protection de la production locale et le financement des collectivités. Cette seconde fonction est particulièrement importante pour les communes et les régions d’outre-mer, qui réalisent ainsi 1 milliard d’euros de recettes chaque année. Ainsi, en 2012, l’octroi de mer représentait 38 % des recettes des communes de La Réunion, et même 48 % des recettes de celles de la Martinique.
Toutefois, les règles de libre circulation et de non-discrimination des marchandises introduites par la Communauté européenne dans les années 1990 ont obligé ce dispositif historique à évoluer. Institué par les décisions du Conseil de l’Union européenne de 1989 et 2004 et retranscrites dans la loi de transposition du 2 juillet 2004, l’actuel régime de l’octroi de mer soumet également les productions locales à la taxation. Afin de préserver l’objectif de stimulation de la production locale, les départements et régions d’outre-mer peuvent appliquer des taux de taxation différenciés entre les productions locales et les biens importés, sous la forme d’une surtaxe sur les biens importés avec un écart de taux maximum qui varie, selon les catégories A, B ou C de produit, respectivement de 10 %, 20 % et 30 %, ce qui permet de compenser le déficit de compétitivité. C’est ce régime, en vigueur depuis une vingtaine d’années, avec des taux spécifiques à chaque région, qu’il nous est proposé de reconduire avec quelques modifications.
Le Conseil de l’Union européenne du 17 décembre 2014 a décidé de proroger le dispositif jusqu’à la fin de 2020 avec des modifications applicables à partir du 1er juillet prochain. La principale modification consiste à exonérer de l’octroi de mer toutes les entreprises au chiffre d’affaires inférieur à 300 000 euros. Cette mesure représente une simplification par rapport au régime antérieur – exonération totale et identique dans toutes les régions, suppression de tâches administratives, notamment les déclarations d’existence pour les très petites entreprises – et une protection pour les petits producteurs locaux. En contrepartie, le seuil d’assujettissement des entreprises de production, qui s’élevait jusqu’à présent à 550 000 euros, sera abaissé à 300 000 euros, ce qui dégagera un surcroît de ressources pour les collectivités estimé par l’étude d’impact à 2,5 millions d’euros.
En plus de la transcription de cette modification décidée au niveau européen, le Gouvernement a proposé plusieurs modifications. D’abord, il clarifie et actualise la rédaction de la loi de 2004. Ensuite et surtout, il propose d’étendre le champ des possibilités d’exonérations aux activités de recherche, d’enseignement et de santé, aux organisations caritatives, aux marchandises destinées à l’avitaillement des aéronefs et des navires, ainsi qu’aux carburants utilisés pour des activités d’agriculture et de pêche. Cela signifie qu’une entreprise assujettie à l’octroi de mer pourra déduire une partie de ses dépenses d’investissement du montant de son impôt. Nous approuvons cette mesure, qui va dans le sens des intérêts des entreprises et des économies d’outre-mer.
Concernant les problèmes liés au régime dérogatoire à l’octroi de mer entre la Guyane et le marché unique antillais, la commission a soulevé à juste titre que le projet de loi n’apportait pas de solution. Le marché guyanais n’a pas la même maturité que le marché unique de Martinique et de Guadeloupe, si bien que les productions guyanaises sont potentiellement désavantagées. Pourtant, en permettant d’appliquer l’octroi de mer sur le lieu de production et non de livraison, la dérogation empêche le département de Guyane de protéger et de développer des filières locales. Sur ce point, nous souhaiterions connaître les résultats de la rencontre du 28 avril dernier entre Mme la ministre et les élus régionaux et départementaux.
Enfin, la discussion sur l’octroi de mer doit nous amener à évoquer le recouvrement de l’impôt dans les départements d’outre-mer. Il faudra un jour remédier aux difficultés pratiques posées en outre-mer par l’absence de cadastre, les insuffisances des infrastructures ou du cadre réglementaire, ou encore les lacunes de recensement.
Ces réserves faites, nous sommes favorables à la reconduction du régime de l’octroi de mer avec les modifications mentionnées. Nous nous félicitons du maintien d’un outil indispensable à l’économie et aux collectivités des départements d’outre-mer et, de ce fait, tous les membres du groupe du RDSE voteront pour le projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la situation financière des collectivités territoriales est de plus en plus fragile du fait de la baisse des dotations de l’État, nous mesurons à quel point l’octroi de mer est un enjeu crucial, en particulier pour le financement de l’action publique locale outre-mer.
Cet impôt représente la première recette fiscale des collectivités ultramarines. Le taux de base d’octroi de mer est de 17,5 % en Guyane, de 9,5 % en Guadeloupe et en Martinique et de 6,5 % à La Réunion. À ces taux, il faut ajouter la taxe additionnelle à discrétion des exécutifs locaux. Le taux régional d’octroi de mer, taxe additionnelle, oscille entre 1 % et 2,5 %. Au total, la recette s’élève ainsi à près de 1,146 milliard d’euros par an, soit un montant non négligeable et difficilement substituable.
L’octroi de mer représente parfois jusqu’à 40 % des recettes fiscales de certaines collectivités territoriales ultramarines. Nous sommes tous conscients que l’insularité, l’éloignement et les différentes contraintes géographiques imposent au service public ultramarin des sujétions particulières. Par conséquent, il faut trouver une solution financière pour y répondre. L’octroi de mer est-il pourtant une solution parfaitement adaptée ?
Le présent projet de loi vient actualiser la loi de 2004 au regard du droit européen sans remettre fondamentalement en cause les équilibres et le fonctionnement de cet impôt. C’est bien dommage, car, au-delà de l’enjeu financier pour les collectivités d’outre-mer, cet impôt pose de véritables questions de justice sociale et représente également un enjeu pour le fonctionnement des services et l’image de l’État en outre-mer.
L’octroi de mer est une taxe ancienne, comme cela a été rappelé, qui frappe à la fois les importations de marchandises et les activités de production en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion. Son origine remonte au « droit des poids » institué en 1670. Bien que toiletté ou actualisé, cet impôt demeure particulièrement complexe : en Guadeloupe et en Martinique, treize taux effectifs s’appliquent, quatorze à La Réunion, dix-huit en Guyane et vingt-cinq à Mayotte.
Au-delà de sa complexité, l’octroi de mer est un impôt inéquitable. De fait, cette taxe frappe aveuglément – je dis bien aveuglément – toutes les personnes résidant dans les régions, les départements et les territoires d’outre-mer. Il pénalise le consommateur sans aucune forme de distinction : c’est un impôt régressif. Par définition, ce sont donc les personnes et les familles les plus fragiles qui en souffrent le plus. Ne pas prendre en compte le niveau de revenu du consommateur final revient en l’espèce à accepter de frapper plus durement les familles avec plusieurs enfants.
Il est donc bien dommage que le présent projet de loi ne prenne pas cette question à bras-le-corps. Il s’agit du premier toilettage de la loi de 2004 depuis la grève générale des Antilles en Guadeloupe et en Martinique de 2009 menée par Élie Domota et le LKP au nom justement de la « vie chère ». Or nous continuons de financer le service public local au moyen d’une taxe sur la dépendance extérieure. Est-ce bien raisonnable ? Il est difficilement acceptable de pénaliser ainsi nos concitoyens ultramarins.
A fortiori, le développement économique lui-même est touché. L’octroi de mer est une forme de mauvaise TVA sociale. Taxer les importations pour favoriser la production locale est une chose, mais taxer ce qui ne peut pas être produit localement est injuste. Ainsi, consacrer la recette dégagée au financement du service public et, par conséquent, à son coût de fonctionnement est une déperdition pour le financement de l’économie réelle. L’octroi de mer ne saurait agir comme un protectionnisme éducateur ; il ne fait qu’étouffer l’économie locale.
À ce titre, je souhaite vous alerter, madame la ministre, sur la réduction du seuil d’imposition des entreprises de 550 000 euros à 300 000 euros. À l’occasion d’un récent déplacement en Guyane, le président du conseil régional m’a fait connaître ses doutes quant à l’opportunité de frapper ainsi plus durement le tissu économique local en période de crise.
Dans le même ordre d’idée, on mesure encore trop mal les conséquences commerciales, les effets d’aubaine et les distorsions concurrentielles induites par cet impôt. En effet, certains territoires se livrent une petite guerre commerciale en faisant varier le prix de leur production locale grâce à leurs pouvoirs de taux sur la part additionnelle de l’octroi de mer.
Enfin, autre incohérence provoquée par cet impôt : la fragilisation des services publics de l’État.
J’avais proposé en commission, et je le présenterai en séance dans quelques instants, un amendement visant à exonérer les importations nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l’État. Il soulève la question de taxer les importations des services de secours et d’incendie. Faut-il imposer les munitions ou le matériel des forces de l’ordre ?
Peut-être présume-t-on de la capacité de l’État à payer l’impôt quel que soit son montant, car en l’espèce, les gestionnaires locaux rationnent leurs consommables et ajustent leur matériel à l’impôt, et non l’inverse.
Cela a pour conséquence de rompre de fait l’égalité de nos concitoyens devant les charges publiques. Ils peuvent subir une moindre qualité de service public selon qu’ils habitent sur une rive ou l’autre de l’océan.
Cela est aussi dommageable pour l’image et l’autorité de l’État. La baisse des dotations aux collectivités bloque toute forme de dialogue et de négociation sur ces questions. Rendez-vous compte, madame la ministre, de nombreux responsables administratifs de l’État en outre-mer sont contraints d’aller quémander des baisses de taux d’octroi de mer aux exécutifs locaux. Le ministère de la défense et le ministère de la santé viennent justement de demander des exonérations à la région de Guyane. Le dialogue a tourné court : du fait de la baisse des dotations de l’État, toute exonération est désormais rendue improbable. Les négociations sont difficiles et tournent rapidement au dialogue de sourds, dès l’instant où chacun est soumis à des contraintes budgétaires fortes. Comment pensez-vous faire respecter l’autorité de l’État de la même manière sur l’ensemble du territoire si nous continuons de perpétrer ce système fiscal ?
Il faut choisir clairement : soit on accepte ce système et, dans ce cas, il faut que l’État adapte son budget à l’inflation des coûts d’entretien et d’approvisionnement de ses services en outre-mer ; soit on exonère et on soulage les gestionnaires et les services publics nationaux de la contrainte exercée par cet impôt.
Au-delà, les solutions à apporter ne sont pas simples à concevoir. Je l’ai déjà dit, les sénateurs du groupe UDI-UC sont conscients de l’enjeu financier important pour les collectivités territoriales concernées. Nous sommes également conscients des limites importantes de ce mode de fiscalité.
Il faudra de toute façon continuer à réfléchir à une voie de sortie de l’octroi de mer et définir des ressources pérennes pour nos territoires ultramarins qui soient respectueuses des populations les plus fragiles, du développement économique et de l’autorité de l’État.
Dans l’immédiat, le groupe UDI-UC votera par défaut le présent projet de loi. Bien qu’il ne réponde pas aux véritables questions, il a au moins le mérite de mettre notre droit en conformité avec les exigences européennes et permettra, dans l’immédiat, de répondre aux besoins de financement des collectivités ultramarines. Ce sera déjà ça, mais prenons date pour que l’on poursuive nos échanges en vue de trouver d’autres solutions. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil de l’Union européenne a reconduit le régime de l’octroi de mer. C’est une bonne chose.
Je salue, madame la ministre, votre action, ainsi que celle de vos collaborateurs et de vos services, lesquelles ont été déterminantes pour aboutir à ce résultat positif. Il nous importe maintenant de transposer la décision du Conseil dans notre droit national avant la date impérative du 30 juin 2015 si nous voulons éviter d’entraver la bonne marche de nos entreprises de production locale et si nous voulons aussi éviter de fragiliser encore plus nos collectivités locales. Il convient, en effet, de ne pas oublier que l’octroi de mer est aussi une ressource indispensable et irremplaçable pour les collectivités locales des départements d’outre-mer.
Le projet de loi qui nous est proposé transpose les dispositions de la décision du Conseil du 17 décembre 2014, mais il contient également différentes mesures qui ne procèdent pas de la décision du Conseil. Si je peux comprendre que l’on ne puisse revenir sur les premières sans connaître les effets dommageables que j’ai évoqués pour nos entreprises et nos collectivités locales, en revanche, s’agissant des secondes, des interventions sont possibles, surtout quand leurs effets créent des distorsions et des déséquilibres contraires à l’esprit et à l’objet même de l’octroi de mer. C’est le cas des dispositions particulières, dérogatoires qui s’appliquent aux échanges entre le marché unique antillais et la Guyane. Si ces dispositions sont juridiquement symétriques, la disparité des situations des Antilles, d’une part, et de la Guyane, d’autre part, crée de facto une situation déséquilibrée, doublement pénalisante pour la Guyane, comme le constate la propre étude d’impact du projet de loi.
Elles pénalisent une première fois la Guyane, parce que les recettes d’octroi de mer de la Guyane sont réduites du fait de son impossibilité de taxer sur son territoire les importations de marchandises produites dans les Antilles. En effet, aucun mécanisme de compensation comparable à celui mis en place au sein du marché unique antillais n’a été prévu. Les consommateurs guyanais acquittent donc une taxe sur leur consommation qui est perçue par les collectivités situées dans le marché unique antillais.
Une seconde pénalisation pour la Guyane vient du fait que le dispositif actuel rend inopérant une grande partie des différentiels de taux décidés par son conseil régional.
Après plusieurs rencontres et d’âpres discussions, un premier pas, important, a été franchi avec un consensus sur une liste de produits – huit produits, alors que la Guyane en demandait plus de vingt – et la mise en place d’une instance de concertation en charge de proposer si nécessaire la modification de la liste.
Comme convenu, madame la ministre, vous avez déposé un amendement en ce sens, mais il n’est pas en totale conformité avec les conclusions de la réunion du 28 avril dernier, notamment sur deux points. D’une part, le relevé de conclusions fait état de la nomenclature 4818, et non 4818-10. D’autre part, il était entendu entre nous que la présidence serait tournante entre la Guyane et le marché unique antillais, alors qu’elle revient désormais au ministère des outre-mer. La question du reversement semblait aussi être actée entre toutes les parties. Or vous n’en faites aucunement état. Si nous voulons que l’instance de concertation fonctionne, il va falloir que les dispositions arrêtées en son sein soient suivies d’effets. Je présenterai donc des amendements en ce sens.
Une autre mesure dérogatoire dont est victime une fois de plus la Guyane dans ce projet de loi porte sur la répartition de l’octroi de mer. Le droit commun prévoit en effet que l’octroi de mer est affecté à une dotation globale garantie répartie entre les communes de chaque département d’outre-mer. En Guyane, la situation est différente : depuis 1974, afin de résoudre le déficit du conseil général, l’État lui verse à titre dérogatoire une part de la recette communale correspondant à 35 % du montant total de la dotation globale garantie, plafonnée à 27 millions d’euros par an.
Chers collègues des autres départements, comment réagiriez-vous si l’État agissait de la sorte chez vous ? Cette situation est en effet unique et inique, car elle frappe des communes pour la plupart faiblement dotées de ressources fiscales directes, dont les besoins sont criants en raison de la forte croissance démographique qu’elles connaissent.
À plusieurs reprises, dans cet hémicycle, j’ai défendu des amendements pour que l’on revienne sur cette disposition. Dans un rapport que j’ai effectué à la demande du Gouvernement, j’en ai fait l’une de mes principales propositions. Pour l’heure, point de réponse positive. Excédés, les maires de Guyane, à l’unanimité, ont décidé « d’agir en justice à l’encontre de l’État en vue d’obtenir réparation du préjudice subi du fait du système illégal et discriminatoire de répartition de l’octroi de mer mis en place par ce dernier en 1974 et aboutissant à soustraire une part de 35 % sur la dotation devant revenir intégralement aux communes ».
Chers collègues, croyant en votre esprit d’équité et de justice, je reviens de nouveau devant vous avec deux amendements censés rétablir la situation : un qui prévoit une suppression immédiate dès janvier 2016, un autre pour une suppression progressive sur trois ans connaissant la situation contrainte des finances de l’État.
Je voterai ce projet de loi, car l’octroi de mer est un outil spécifique aux DOM, indéniablement indispensable pour le développement de leur production locale et pour le financement de leurs collectivités locales. Néanmoins, il ne convient pas d’en faire un outil uniforme qui ne tiendrait pas compte des spécificités de chacun des DOM. Dans sa communication du 20 juin 2012, la Commission européenne a déclaré : « Chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles ».
Les départements d’outre-mer ne constituent pas un ensemble homogène : l’immensité du territoire guyanais et son insertion continentale s’opposent à l’étroitesse et au caractère insulaire de la Martinique et de la Guadeloupe. Trop souvent, trop facilement, la Guyane est purement et simplement assimilée à ces économies. La conséquence en est que les mesures et dispositions qui sont prises en faveur de ces deux îles lui sont calquées de façon trop systématique, alors que le contexte global de la Guyane ne présente que peu de similitudes avec ces dernières. Si les effets sont parfois comparables, les causes sont différentes et les éventuelles solutions sont à rechercher aussi avec des moyens différents. L’illustration en a été donnée avec la récente rencontre dans votre ministère. C’est cette démarche de recherche de mesures adaptées de façon consensuelle qui devra désormais être privilégiée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question de la fiscalité ultramarine est un sujet à la fois très technique et très politique. Il a d’ailleurs beaucoup occupé les travaux au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. La question de sa mise en conformité avec les règles communautaires en est une autre, non moins complexe, à laquelle nous voici ici confrontés.
Le fait que le taux de l’octroi de mer soit différent entre les produits locaux et les produits importés est en effet assimilable à une aide d’État au sens de l’Union européenne et rend donc nécessaire un processus régulier d’approbation pour que la taxe soit reconduite.
On pourrait longuement débattre de ce que doit être une fiscalité juste, pour les consommateurs, pour les collectivités locales, pour la justice sociale, pour la lutte contre les inégalités entre les territoires, pour la stimulation de l’économie locale, pour la protection de l’environnement ou encore contre la vie chère – un sujet important. La vérité, c’est que nous sommes aujourd’hui placés dans le court terme absolu, puisqu’il nous faut avoir trouvé une solution qui entre en vigueur au plus tard au 1er juillet 2015, sous peine de voir l’ensemble du dispositif remis en question par l’Union européenne, avec toutes les conséquences économiques que cela engendrerait immanquablement pour les collectivités d’outre-mer.
Que l’on soit pour ou contre l’octroi de mer tel qu’il est mis en œuvre aujourd’hui, pour ou contre les ajustements d’exonérations et de seuils prévus par ce texte, la priorité est donc, pour les membres du groupe écologiste au Sénat, de s’assurer que cette « exception française » puisse être, sur le principe, pérennisée avant l’été. C’est pourquoi nous voterons le projet de loi, de même que les amendements déposés par le Gouvernement.
Cela étant, l’examen du projet de loi doit bien sûr également être l’occasion de tenter d’améliorer les modalités de mise en œuvre de l’octroi de mer, qui souffre de dysfonctionnements, comme l’a très bien décrit notre collègue Georges Patient dans son rapport. Parmi ces dysfonctionnements, on peut rappeler la sensibilité de cette taxe à la conjoncture, déstabilisante pour les collectivités territoriales, l’impact des taux d’octroi de mer sur la formation des prix, qui met de fait en contradiction les ressources des collectivités territoriales et la lutte contre la vie chère, ou encore la prépondérance du critère démographique dans la répartition des recettes de l’octroi de mer, au détriment des petites communes rurales.
Pour notre groupe, le système de l’octroi de mer, ressource très importante des outre-mer, doit donc continuer d’être débattu, y compris après l’adoption du projet de loi, sans pour autant mettre en danger la situation financière déjà fragile de ces collectivités. Parmi les pistes qui nous tiennent à cœur, notons déjà la nécessaire poursuite du dialogue avec l’Union européenne, afin de réfléchir aux moyens de pérenniser cette ressource au-delà de 2020 sans pénaliser les collectivités ultramarines.
Cependant, il nous semble que nous ne pouvons pas éviter le débat sur la nécessité absolue, selon les écologistes, de trouver par ailleurs d’autres initiatives pour renforcer le développement économique local. C’est pourquoi, au-delà du débat d’aujourd’hui – dont je rappelle encore une fois qu’il se conçoit dans un cadre très contraint et à très court terme –, nous souhaitons et nous demandons de nouveau avec force que soit mise en place par le Gouvernement une réflexion pour aboutir à des propositions qui encouragent l’investissement public et privé dans des filières économiques locales, innovantes et fortes, par exemple en agriculture, éco-agriculture, aquaculture, pêche, transformation des produits locaux, éco-tourisme, services aux personnes et énergies nouvelles – solaire, éolien, biomasse, etc.
Pour que ces filières se développent, il faut à la fois renforcer ou créer de la recherche-développement, de la formation initiale et continue ainsi qu’un fort encouragement à l’investissement dans les réseaux locaux de PME, PMI et TPE. Seul le développement volontariste d’une telle économie locale peut permettre de répondre, sur le fond, structurellement, à la grave crise sociale actuelle en créant des emplois durables tout en respectant et en valorisant l’existence dans ces territoires d’extraordinaires ressources en biodiversité terrestre et marine. Ce patrimoine naturel, fragile, parfois menacé, constitue non seulement une richesse qu’il ne faut bien entendu ni massacrer ni piller, mais aussi une formidable opportunité pour envisager structurellement un développement économique local beaucoup plus fort et durable.
Nous espérons donc que le Gouvernement marquera fortement sa volonté que ce débat ne soit pas toujours repoussé. Nous attendons une impulsion forte en ce sens. Il y en a besoin rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet du projet de loi est de maintenir l’octroi de mer dans nos départements et régions d’outre-mer. L’octroi de mer est une taxe indirecte absolument essentielle pour les finances de ces territoires insulaires et éloignés. D’un montant supérieur à 1 milliard d’euros, il représente une part prépondérante – 45 % pour les communes – des ressources des collectivités locales.
L’objet du projet de loi est également de maintenir temporairement, jusqu’en 2020, un certain nombre d’exonérations partielles ou totales d’octroi de mer dont bénéficient les productions locales les plus sensibles des départements d’outre-mer, afin de les protéger de la concurrence des produits importés. Il s’agit de préserver le tissu économique productif de ces collectivités situées à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole.
Comme l’a fort justement rappelé Mme la ministre, l’octroi de mer existe dans les départements d’outre-mer depuis le XIXe siècle. Il visait à l’origine à taxer les produits importés. Cependant, l’Acte unique a mis en œuvre le marché unique européen à partir de 1987. Dès lors, il n’était plus possible d’établir une discrimination entre produits locaux et produits importés. La décision du Conseil du 22 décembre 1989 a donc acté l’extension de la taxation aux produits fabriqués dans les départements d’outre-mer. Toutefois, le Conseil a reconnu la nécessité de prendre en compte les « difficultés de l’éloignement et de l’insularité » et autorisé, à cette fin, la mise en place d’exonérations partielles ou totales d’octroi de mer, d’une durée maximale de dix ans, pour certaines productions locales sensibles, comme le rhum, les jus de fruits, le riz, les crevettes, le poisson congelé, le bois, le sable, les cailloux, le béton, le ciment…
La loi du 17 juillet 1992 en a tiré les conséquences, en instaurant un régime fiscal permettant d’exonérer certaines productions locales de manière partielle ou totale pendant dix ans, soit jusqu’au 31 décembre 2002, afin de favoriser le développement économique des départements d’outre-mer. Ces exonérations ont été prorogées d’un an, soit jusqu’au 31 décembre 2003, par la ministre de l’outre-mer de l’époque.
Le 17 décembre 2003, Bruxelles a pris une décision favorable au maintien des exonérations pour une nouvelle période de dix ans. La décision du Conseil du 10 février 2004 a fixé les conditions de différenciation de la taxation. La loi du 2 juillet 2004 a autorisé des écarts de taxation au bénéfice des productions locales pour une nouvelle période de dix ans, soit jusqu’au 1er juillet 2014. Enfin, la décision du Conseil du 17 décembre 2014 a autorisé une nouvelle prorogation des exonérations, jusqu’au 31 décembre 2020.
Il s’agit donc, à travers le présent projet de loi, dont les dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2015, de tirer les conséquences de cette décision européenne en clarifiant et en précisant la rédaction de la loi du 2 juillet 2004, mais aussi, et surtout, en prorogeant l’octroi de mer et ses exonérations jusqu’au 31 décembre 2020.
Le texte prévoit également – plusieurs amendements porteront sur ce point, comme nous l’a indiqué Mme la ministre – de diminuer de 550 000 à 300 000 euros de chiffre d’affaires le seuil d’exonération totale de plein droit pour les entreprises et d’étendre le champ des exonérations aux carburants à usage professionnel, aux biens destinés à l’avitaillement des bateaux et des aéronefs et aux importations de biens destinés à certains opérateurs, comme les établissements de santé, de recherche, scientifiques ou caritatifs. Enfin, les taux d’octroi de mer que peuvent fixer les assemblées délibérantes seront plafonnés à 50 %, avec une exception pour les alcools et les tabacs, qui pourront être taxés à 80 %.
Bien qu’il soit technique, le projet de loi n’est pas sans enjeu. Il va à n’en pas douter dans le sens des intérêts économiques des départements d’outre-mer, en protégeant leurs productions locales de la concurrence des produits importés de la métropole, mais surtout de pays étrangers. Il s’agit à nos yeux d’un texte très important. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP le votera et salue la qualité du travail de notre rapporteur Éric Doligé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)