M. Emmanuel Macron, ministre. L’article 73, comme vient de le dire Mme la rapporteur, vise à simplifier l’article L. 3132-25 du code du travail. Il supprime les quatre catégories existantes pour les regrouper en une seule : les zones touristiques caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes.
Les établissements actuellement situés dans ces zones touristiques continuent à être couverts, comme nous le verrons à l’article 76, qui vise à modifier l’article L. 3132-25-3 du code du travail, puis à l’article 77, qui vise à modifier l’article L. 3132-25-4. Ces articles fixent les conditions dans lesquelles ces ouvertures se feront. L’article 75, quant à lui, tend à modifier l’article L.3132-25-2 et continue de préciser qu’il appartient au maire de demander la délimitation ou la modification d’une telle zone touristique, sur laquelle le préfet de région doit ensuite statuer.
Je demande à M. Karoutchi, dont la critique m’a semblé plutôt porter sur l’article 76 que sur l’article 73, de bien vouloir retirer son amendement n° 706.
Pour répondre à Mme la sénatrice David comme à M. le sénateur Bouvard, je veux ici dire que nous voulons simplifier les quatre régimes existants. Il ne s’agit pas de réévaluer ou de revisiter, au titre de cet article 73, l’éligibilité de certaines communes, qui est aujourd'hui acquise. Les critères définis au niveau réglementaire et qui seront pris en compte pour la détermination de ces zones seront établis de façon à correspondre en fait aux périmètres actuels.
À ce jour, rappelons que l’article R. 3132-20, par exemple, dispose que les critères notamment pris en compte pour le classement en commune d’intérêt touristique ou thermale sont : le rapport entre la population permanente et la population saisonnière ; le nombre d’hôtels ; le nombre de gîtes ; le nombre de campings ; le nombre de lits… Tous ces éléments, évidemment, seront maintenus. Il ne s’agit pas de déclasser des communes qui sont aujourd'hui touristiques et qui sont éligibles à ces critères. En tout cas, ce n’est pas l’intention du Gouvernement, je veux ici le préciser et vous donner un plein engagement.
L’objet de l’article 73 est bien de simplifier la dénomination des zones touristiques, de la rendre plus lisible, de l’inscrire dans le mécanisme que je viens de décrire, avec l’initiative du maire, le pouvoir du préfet et la soumission à un accord collectif et au volontariat, ainsi que nous aurons à en discuter à l’article 76, et de renvoyer, comme c’est aujourd'hui le cas, la définition à un décret. Je tiens à redire qu’il n’y aura pas de fragilisation ou de déclassement. On examinera par ailleurs, à l’article 76, la question des accords collectifs, qui peut être un sujet de préoccupation pour celles et ceux qui sont aujourd'hui ouverts. Nous avons fait le choix de laisser un délai d’adaptation. Le choix de votre commission a été différent, puisqu’elle a prévu qu’en dessous d’un certain seuil il n’y aurait pas d’accord collectif mais un référendum. Nous en discuterons ultérieurement.
L’article 73 vise véritablement à simplifier, à harmoniser la définition des zones touristiques. C’est pourquoi, dans ce contexte, je demande le retrait de ces trois amendements, auxquels, à défaut, je donnerai un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Ces amendements identiques procèdent, ce n’est pas la première fois et on le verra peut-être encore ultérieurement, de motivations contradictoires, mais ils aboutissent au même résultat : conserver le régime actuel. Or je tiens à faire remarquer à leurs auteurs que, dans le régime actuel, les salariés n’ont aucune garantie, alors que le projet de loi prévoit un certain nombre d’avancées importantes. Ainsi, les salariés des zones touristiques pourront bénéficier de contreparties salariales, de la garantie du volontariat, de la réversibilité et de toutes les protections juridiques qui s’appliquent obligatoirement aujourd'hui dans des zones, des périmètres d’usage de consommation exceptionnelle. Je vous demande de réfléchir, chers collègues, car, si on votait vos amendements, tout cela disparaîtrait.
Par ailleurs, vous vous inquiétez de la situation des salariés dans des zones qui sont déjà classées comme touristiques. Ainsi que Mme la rapporteur et M. le ministre l’ont déjà évoqué, nous allons parler à l’article 76 des contreparties.
Un autre défaut que je trouve à ces amendements de suppression, mais on le retrouve très souvent dans la discussion, c’est la défiance qu’ils marquent à l’égard des partenaires sociaux. Moi, je fais plutôt confiance à ceux qui vont négocier, notamment quand ils négocient au niveau des territoires. Les employeurs vont prendre en compte leur modèle économique ; les salariés, eux, sont capables de comprendre que, parallèlement à leurs légitimes demandes sociales, il faudra aussi tenir compte de la situation économique ; puis tout le monde prendra en compte la capacité des zones de chalandise concernées.
Nous, nous sommes a priori favorables à la négociation. C’est le fil rouge qui nous guide depuis le début de la discussion de ce texte. Je suis donc tout à fait opposée à la suppression de l’article 73. C’est pourquoi, si vous maintenez vos amendements, le groupe socialiste votera contre.
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Au bénéfice des explications du ministre et compte tenu du fait que les problèmes qui avaient motivé mon propre amendement pourront être traités lors de la discussion de l’article 76, sur lequel le Gouvernement a une position moins hermétique que la commission, qui a fixé le seuil guillotine de onze salariés, lequel pose de vrais problèmes pour les activités saisonnières, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 1445 est retiré.
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Compte tenu des arguments de la rapporteur, du ministre et de Mme Bricq, je retire également l’amendement. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale. Quelle sagesse !
M. Roger Karoutchi. On reviendra sur cette question à l’article 76.
Mme Annie David. Nous ne retirons pas notre amendement. Si la discussion sur les accords aura bien lieu à l’article 76, l’article 73 ne peut pas être appréhendé isolément des autres articles du titre III et fait partie d’un ensemble que nous rejetons en bloc.
Pour nous, ce qui est en jeu, même si, ce matin, certains ont semblé ignorer cet aspect, c’est la société que nous voulons offrir, demain, à nos concitoyennes et à nos concitoyens. Nous refusons la marchandisation à outrance, nous voulons préserver des droits et des acquis sociaux pour les salariés. Je trouve également dommage que nous réduisions Paris, notre belle capitale, ville-monde, à son seul aspect commercial et marchand, en oubliant fortement son aspect culturel.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote sur l’amendement n° 67.
Mme Évelyne Didier. Je voudrais, pour ma part, revenir sur les travaux de la commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et l’activité, qui a constitué l’étude d’impact de ce projet.
Cela a été fait très rapidement, peut-être cette commission n’a-t-elle pas disposé d’assez de temps pour travailler. En tout cas, si l’une de ses conclusions est que l’ouverture dominicale a favorisé la création d’emplois dans certains pays, rien n’est dit sur les conséquences en matière de lien social et de vivre ensemble, sur l’effet de cascade – le travail dominical des uns entraînant nécessairement le travail dominical pour d’autres –, sur la santé, le volontariat, les coûts induits pour les salariés, le commerce de proximité et la désertification des territoires, l’isolement des personnes âgées, les économies d’énergie ou encore sur la captation de chiffre d’affaires par les magasins implantés dans les zones autorisées à ouvrir le dimanche.
Ainsi que l’a souligné notre collègue Dominique Watrin, la libéralisation du dimanche en Italie a conduit à la fermeture de 32 000 entreprises et à la perte de 90 000 postes de travail. Il est vraiment curieux que cela n’éveille pas l’attention. Je vous renvoie également à l’étude du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, sur les destructions d’emplois liées à l’ouverture des grandes surfaces le dimanche.
Je voudrais ensuite rappeler que l’ouverture dominicale a des incidences sur les activités des associations sportives, culturelles, sur les activités de loisirs, mais aussi sur les activités cultuelles. Le temps passé en famille était un temps protégé, on va désormais le passer dans les magasins, à faire des achats.
Il est dommage qu’on n’ait pas pris tout cela en compte, car, petit à petit, le lien social, qui était un temps fort dans notre société, risque de se déliter.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 98 rectifié quater est présenté par MM. Raison et Guerriau, Mme Deromedi, MM. Médevielle, Bizet, Morisset, Grosperrin, Calvet, Gilles et Joyandet, Mme Morhet-Richaud, MM. Longuet, de Nicolaÿ, Vasselle, Pellevat, Kennel, Lefèvre, G. Bailly, Chasseing, Milon, Vaspart, B. Fournier, Chaize, Darnaud, Genest, Pierre, Trillard, Husson, Vogel, Doligé et Revet, Mme Bouchart, M. Houpert, Mme Lamure et MM. Laménie, Perrin, Gremillet et L. Hervé.
L'amendement n° 205 rectifié est présenté par MM. Mézard, Bertrand, Arnell, Barbier, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Requier et Collombat.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
, dans les conditions prévues aux articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4
La parole est à M. Bernard Fournier, pour présenter l'amendement n° 98 rectifié quater.
M. Bernard Fournier. Cet amendement vise à préserver la législation actuelle dans les zones touristiques, afin d’éviter la fermeture des petits commerces en stations, dont la situation économique est déjà fragile.
Le système actuel, reposant sur l’octroi de repos compensateurs, constitue un équilibre satisfaisant entre les différents acteurs dans les communes touristiques, notamment au regard des conditions de rémunération. Une modification de cet équilibre risque d’entraîner la fermeture des commerces qui sont à la source de l’attractivité des communes touristiques et, par voie de conséquence, la suppression d’emplois.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 205 rectifié.
M. Jacques Mézard. Les commerces qui sont situés dans les zones touristiques sont aujourd’hui libres d’ouvrir le dimanche sans obligation de contreparties. L’article 73 tel qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale impose, pour ouvrir le dimanche, d’être couvert par un accord collectif et d’offrir des contreparties aux salariés.
La commission spéciale, dans la rédaction qu’elle propose de l’article 76, a souhaité exclure de ce dispositif les commerces de moins de onze salariés. C'est un progrès,…
M. Michel Bouvard. Non, on crée des seuils !
M. Jacques Mézard. … mais il est pour nous insuffisant. Conditionner l’ouverture dominicale à la conclusion d’un accord collectif peut engendrer, dans certains cas, des difficultés importantes pour les commerces qui participent largement à l’attractivité de ces zones touristiques, avec – cela a déjà été dit – la possibilité d’entraîner non pas des créations, mais des suppressions d’emplois.
Je rappelle aussi que, dans la plupart des communes touristiques, l’activité est concentrée sur quelques mois. Il est important de rappeler à nouveau que les salariés ayant choisi de travailler en station de montagne ou en station balnéaire bénéficient déjà de contreparties.
Nous proposons donc simplement de supprimer la référence aux deux articles visés dans l’alinéa 2 et, ainsi, de préserver la législation actuelle dans les zones touristiques.
Monsieur le ministre, on nous parle de dialogue social : nous sommes tous, ou la plupart d’entre nous, favorables au dialogue social. Mais vous voyez déjà les difficultés que rencontre le Gouvernement pour le faire pratiquer… Ce n’est pas dans la culture française ! Or nous cherchons, comme vous ne cessez de le répéter très justement, des solutions concrètes et rapides. La solution qui a été retenue pour ces zones touristiques ne me semble pas vraiment la bonne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. On est dans le même cas de figure que pour les amendements de suppression : le débat sur les contreparties exigées en zone touristique aura lieu lors de l’examen de l’article 76. Je demande donc le retrait de ces deux amendements identiques.
Notre collègue Fournier a évoqué les petits commerces : si nous nous sommes arrêtés au seuil de onze salariés, c’est justement pour les prendre en compte.
Je souhaiterais, par ailleurs, apporter une précision s’agissant des restaurants. Ces établissements bénéficient d’une dérogation spécifique, de droit, pour le travail le dimanche. Ils ne sont absolument pas concernés par le texte dont nous discutons. Les restaurants conservent leur régime spécifique, quelle que soit leur localisation, y compris ceux situés en zone touristique.
Nous discuterons, à l’article 76, de l’ampleur de l’assouplissement de la législation et de la non-obligation de contreparties. En attendant, je voudrais simplement faire remarquer que les contreparties existent déjà de facto dans les commerces qui ouvrent le dimanche, sous une forme ou sous une autre. C'est pourquoi j’ai souhaité, dans le cadre de la commission, aller au-delà des accords collectifs, pour offrir un peu de souplesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Il est vrai que sont d’ores et déjà prévus des compensations et des minima sociaux différents dans le cadre des accords de branche. Le distinguo qui existe n’est d’ailleurs pas remis en cause par le texte.
Les préoccupations exprimées dans ces deux amendements identiques portent plutôt sur la compensation ou sur l’accord collectif lui-même que sur les conditions d’éligibilité à l’ensemble des compensations des commerces qui pourraient ouvrir le dimanche dans les zones touristiques. Exclure la référence aux deux articles du code du travail me paraît quelque peu excessif. Quoi qu’il en soit, nous aurons ce débat à l’article 76.
Les spécificités des zones touristiques, un sujet dont nous avons déjà discuté, sont réelles et d’ailleurs reconnues par certains accords de branche. Vous avez raison de le dire, monsieur Mézard, la démarche du Gouvernement conduit à prendre le risque de la négociation et du dialogue social. Pour ma part, j’estime que c’est un bon risque. Néanmoins, se pose la question des plus petits commerces, sur laquelle je suis prêt à avoir un débat. C’est d’ailleurs le Gouvernement qui avait lancé ce sujet en donnant un avis favorable sur un amendement allant en ce sens.
Il faut être cohérent dans notre démarche : quand on croit au dialogue social, il faut y croire jusqu’au bout. Ce texte traduit une volonté d’homogénéité et de simplification, mais, comme je l’ai dit, nous aurons ce débat à l’article 76. Pour l’instant, je comprendrais mal qu’on puisse avoir des commerces qui ouvriraient le dimanche dans des zones touristiques sans être soumis à une quelconque forme d’accord et de compensation de par la loi, ce qui serait de facto le cas si l’on supprimait la référence à ces deux dispositions.
Que vous vouliez apporter de la souplesse, je l’entends. Que vous défendiez la spécificité de ces secteurs, je peux le comprendre, d’autant que, je le redis, elle a déjà été prise en compte par le droit social et les compensations accordées. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille les sortir totalement du dispositif. Je demande donc le retrait de ces deux amendements identiques ; sinon, l’avis sera défavorable.
M. le président. Monsieur Fournier, l'amendement n° 98 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Bernard Fournier. J’ai écouté attentivement Mme le rapporteur et M. le ministre. J’ai noté que cette discussion allait avoir lieu à l’article 76. Par conséquent, je retire l’amendement.
M. le président. L'amendement n° 98 rectifié quater est retiré.
Monsieur Mézard, l'amendement n° 205 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Comme c'est le début de la semaine, monsieur le ministre, je vais le retirer… (Sourires.) Mais nous reparlerons très prochainement de cette question.
M. le président. L'amendement n° 205 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 73.
(L'article 73 est adopté.)
Article 74 (priorité)
(Non modifié)
L’article L. 3132-25-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-25-1. – Les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services et qui sont situés dans les zones commerciales caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes, le cas échéant en tenant compte de la proximité immédiate d’une zone frontalière, peuvent donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel, dans les conditions prévues aux articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. L’article 74 vise spécifiquement l’ouverture dominicale pour les établissements de vente au détail situés dans des zones commerciales caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes. Ces zones, aux contours particulièrement flous, viennent réformer les zones dites PUCE, instaurées en 2009 par la loi Mallié, que la gauche contestait car elles n’étaient pas suffisamment protectrices. Ces zones comprenaient néanmoins un certain nombre de critères et offraient finalement un encadrement plus élevé. C'est un comble : la droite s’est montrée plus protectrice des salariés en 2009 que la gauche aujourd’hui !
Ainsi, l’un des critères définissant les PUCE est démographique ; ces périmètres ne peuvent être mis en place que dans les zones urbaines de plus d’un million d’habitants, soit quatre zones dans le pays : Paris, Lille, Aix-Marseille et Lyon.
Les zones que vous voulez instaurer sont si floues que je ne vois pas ce qui pourrait empêcher d’en générer des milliers ! Vous nous dites qu’un décret viendra préciser les critères, mais, en attendant, nous devons avancer les yeux bandés et signer un chèque en blanc.
Cet article, particulièrement la définition que vous donnez des zones, soulève le problème du potentiel de croissance qu’engendrerait l’ouverture dominicale. Deux éléments nous permettent de douter de la pertinence de ce que vous avancez.
D’abord, le pouvoir d’achat des Français est de plus en plus fragilisé. Pensez-vous vraiment qu’ils consommeront plus parce que les magasins seront ouverts un jour supplémentaire ? Non ! En revanche, il est possible que la consommation soit plus étalée sur la semaine.
Ensuite, en permettant l’ouverture des grands magasins dans de nombreuses zones, vous risquez de compromettre l’activité des commerçants de proximité. De fait, ce sont de nombreux emplois que vous allez mettre en danger.
Pour finir, se pose la question du volontariat et des activités annexes, qui, certes, de votre point de vue ne créent pas de consommation, mais qui, à nos yeux, contribuent à maintenir et accroître le lien social, culturel et sportif.
D’une part, dans quelle mesure s’exprimera le volontariat ? Le lien de subordination existant entre l’employeur et l’employé fait pencher le rapport de force vers le premier. Si aucun accord n’est trouvé et si aucun salarié ne se porte volontaire, pensez-vous vraiment que les entreprises n’ouvriront pas ? Peut-être avez-vous cette naïveté, mais ce n’est pas notre cas.
D’autre part, combien d’associations verront leurs activités compromises parce que leurs bénévoles seront au travail le dimanche, qu’ils soient volontaires ou contraints ?
Voilà les quelques arguments que nous voulons soumettre au débat.
Ce matin, nous évoquions les activités culturelles ou sportives du week-end. L’un de nos collègues avançait que les activités sportives se tenaient plutôt le samedi. Il se trouve que, dans ma région, c’est très souvent le dimanche que nous organisons notamment des tournois de foot ou de rugby. Les matchs de nos équipes locales, qui ne sont certes pas télévisés, mais qui ont toute leur importance pour notre territoire, ont lieu généralement en tout début d’après-midi pour l’équipe réserve, puis à quinze heures pour l’équipe première.
Le dimanche est une journée pour laquelle la demande de bénévoles est très importante. Je n’ai pas voulu allonger les débats ce matin, mais j’ai profité du temps de parole qu’il me restait sur cet article pour vous faire part de mon expérience.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l'article.
M. Bruno Retailleau. Certaines questions échappent aux clivages politiques habituels, tout simplement parce qu’elles relèvent non pas d’une logique politique, mais de convictions personnelles. Cela est valable y compris pour un président de groupe, et je ne vois pas au nom de quel principe il devrait taire ses propres convictions. C'est donc en mon nom propre que je veux m’exprimer pour vous faire part de mon analyse.
Malgré l’excellent travail de la commission, notamment de Mme la rapporteur Catherine Deroche, qui a tout fait pour encadrer le travail le dimanche, je redoute deux choses.
D’abord, je crains que nous n’entrions dans un processus de banalisation, de généralisation. Cet argument a été martelé en 2009. À l’époque, le texte étant présenté par la majorité de droite, la gauche s’y était évidemment opposée. En 2012, le futur Président de la République a déclaré, la main sur le cœur, lors de son discours du Bourget : « Le combat, c’est de préserver le principe du repos dominical […]. Et j’y veillerai ! »
M. David Assouline. Ce texte est la meilleure façon de le préserver !
M. Bruno Retailleau. Aujourd’hui, on assiste à une nouvelle extension du travail le dimanche.
Le processus de banalisation est, on le voit bien, à l’œuvre. Nous devons nous poser aussi cette question de l’éventualité d’une généralisation.
Ensuite, je redoute que le bilan des avantages et des coûts ne soit pas complètement équilibré.
On nous dit souvent que la France ne travaille pas suffisamment, ce qui est sans doute vrai. L’OCDE réitère cette affirmation régulièrement, chiffres à l’appui. Mon analyse est que le problème de la France ne vient pas du fait que le dimanche soit chômé, mais du chômage, partiel ou total, qui touche pratiquement 6 millions de Français du lundi au vendredi. Mieux vaudrait procéder à un certain nombre de déverrouillages – nous reviendrons dans quelques jours sur les accords défensifs et offensifs – pour développer la possibilité de travailler plus, plutôt que de recourir au travail le dimanche. D’ailleurs, aucune étude, en France ou à l’étranger – l’Allemagne a très largement libéralisé le travail le dimanche –, n’a démontré de manière décisive les avantages du travail dominical.
Si les avantages me paraissent assez virtuels, les coûts, eux, me semblent bien réels, en premier lieu pour les territoires. Les zones touristiques très denses, comme Paris, risquent fort d’assécher les zones de chalandise des territoires périphériques.
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. En outre, les très petites entreprises risquent d’avoir du mal à rémunérer davantage leurs salariés. Pour venir d’un département touristique, je sais que si, demain, de petites entreprises devaient faire face à ce surcoût, elles ne tiendraient pas.
M. Alain Fouché. Absolument !
M. Bruno Retailleau. On créerait donc une distorsion au principe « à travail égal, salaire égal ».
Enfin, on aurait évidemment une fragilisation du lien social. Ne remettrions-nous pas là en cause une certaine conception de la société ? Ne toucherions-nous pas à l’idée même de citoyenneté, dont on a beaucoup parlé depuis les attentats du 7 janvier ? Cette idée qui fonde la différence entre une communauté de citoyens et une société d’individus, c’est-à-dire une juxtaposition de producteurs et de consommateurs ; cette idée que le dimanche n’est pas seulement un temps pour soi mais aussi un temps pour la famille, pour les autres, pour la citoyenneté, pour le civisme, pour la vie associative.
L’idée du don, de la gratuité, notre société en a besoin. Régis Debray rappelait que c’est sans doute le mot « fraternité » qui est le parent pauvre de notre devise républicaine. Or, cette fraternité, nous la faisons vivre aussi dans le lien social, à travers les activités associatives. Ainsi, si demain le processus initié aujourd’hui conduisait à une banalisation du travail dominical, c’est le marché qui organiserait les activités humaines alors que celui-ci ne propose pas de modèle de société.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. C’est au contraire aux hommes de réguler les activités du marché. Telle est ma conviction, qui me conduira à m’abstenir sur un certain nombre d’articles. (MM. Alain Joyandet, Jean-Marc Gabouty et Jean Desessard applaudissent)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 68 est présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 476 est présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 784 est présenté par MM. Rachline et Ravier.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 68.
Mme Laurence Cohen. Comme cela a été dit précédemment, l’article 74 vise à étendre les dérogations au repos dominical pour les établissements de vente au détail sur la base d’un nouveau fondement géographique : les zones commerciales caractérisées par une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes. Ces zones commerciales se substitueraient aux actuels périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE.
Actuellement, les dérogations au repos dominical pour les commerces de détail sont possibles dans les PUCE si trois conditions sont cumulativement réunies : des habitudes établies de consommation dominicale, une clientèle importante et l’éloignement de celle-ci par rapport aux PUCE. Par ailleurs, les PUCE sont limités aux unités urbaines de plus d’un million d’habitants, et le préfet accorde ses autorisations aux établissements pour cinq ans. Enfin, cette ouverture dominicale est conditionnée à la signature d’un accord collectif fixant des contreparties.
Désormais, sous prétexte de distorsion de concurrence, les zones commerciales remplaceraient les PUCE sur l’ensemble des zones où existent une « offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes ». Si la dérogation au repos dominical dans les zones commerciales reste soumise à la conclusion d’un accord collectif fixant les contreparties des salariés, ces zones ne sont désormais plus réservées aux unités urbaines de plus d’un million d’habitants et sont susceptibles d’être créées sur l’ensemble du territoire.
Ainsi, ces nouveaux critères de définition d’une zone commerciale ouvrent complètement la porte à un nombre bien plus important de zones commerciales que de PUCE, c’est-à-dire à davantage de dérogations au repos dominical. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les entreprises souhaitant ouvrir le dimanche n’auront pas de difficultés à prouver qu’elles ont une offre commerciale répondant à une demande potentielle particulièrement importante.
En résumé, vous nous proposez, monsieur le ministre, de passer de quarante et un PUCE à des milliers de zones commerciales. Telle est la raison motivant notre amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 476.
M. Jean Desessard. L’article 74 prévoit de remplacer les PUCE, créés par la loi Mallié de 2009, par des zones commerciales qui seront définies par décret. Ces nouvelles zones, qui bénéficieront des mêmes possibilités dérogatoires d’ouverture le dimanche, devront être caractérisées par « une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes ».
Ce critère est selon nous beaucoup trop large. En effet, qu’est-ce qu’une « demande potentielle particulièrement importante » ? Il y a un risque important que des zones commerciales de petite taille, situées dans des centres-bourgs bénéficiant d’afflux touristiques ou dans des stations balnéaires, soient concernées par cette définition. Cette rédaction imprécise entraîne ainsi un risque de diffusion sur tout le territoire du travail dominical.
En outre, si les PUCE ne concernaient que les unités urbaines de plus d’un million d’habitants, cet article ne prévoit au contraire aucun critère démographique pour la définition de ces nouvelles zones commerciales. Là encore, le risque est grand de les voir se répandre partout en France et que le travail dominical devienne bientôt la règle partout.
Enfin, le Gouvernement assure que ces zones commerciales permettront de créer de l’emploi. Si ce raisonnement peut se comprendre dans les zones touristiques internationales où l’argent viendrait de touristes étrangers, il est en revanche difficile à entendre lorsqu’il s’agit d’une zone de chalandise, c’est-à-dire d’un bassin de vie. Le consommateur qui aura fait ses courses le dimanche ne les fera plus en semaine. Il n’y aura donc pas plus d’argent à entrer dans le système. À moins qu’un touriste chinois ne s’égare dans le coin… (Sourires.) Si jamais il se trompe de station de métro en voulant aller aux Champs-Élysées et qu’il se retrouve par erreur dans la zone commerciale, imaginez sa joie d’apercevoir un magasin ouvert, alors qu’il ne s’y attendait pas, où il va pouvoir dépenser son argent pour acheter un sac Vuitton… Cette erreur d’aiguillage – ou cette décision volontaire – pourrait même se produire dans d’autres coins de France, car les zones internationales ne se trouvent pas seulement à Paris, il y en a aussi dans le Grand Paris et même beaucoup plus loin !
Bref, vous nous proposez une consommation sans pause, sans répit pour soi et ses proches. C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article.