M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable. Permettez-moi d’expliquer rapidement ce qu’il entend faire dans ce domaine.
Tout d’abord, le statut des zones touristiques internationales se distingue du statut des zones touristiques classiques. En effet, il concerne tout d’abord le travail en soirée, en prévoyant un niveau de compensation supérieur à celui qui existe actuellement pour le travail de nuit dans la plupart des branches – j’attire votre attention sur ce point – et en créant des éléments de contraintes à l’égard des employeurs pour la reconduite à domicile des salariés, y compris avec des compensations matérielles. Il s’agit là d’éléments de protection forts. En ce qui concerne le travail dominical, ensuite, des éléments de compensation sont également prévus.
Ce régime des zones touristiques internationales concerne des zones géographiques extrêmement limitées dans l’espace : principalement trois villes. On ne peut donc pas dire que notre modèle social se trouve soudain bousculé ni que cette réforme touche la totalité de notre territoire. Seules sont concernées quelques rues de Paris, où se trouvent des grands magasins connus que je pourrais vous citer – j’ai déjà eu l’occasion de le faire et je peux recommencer si vous le souhaitez… – et une partie de Nice et de Deauville.
Ces zones touristiques internationales sont déterminées par rapport à un potentiel clairement identifié qui dépend du flux de touristes et des montants dépensés, en accordant une attention particulière aux achats bénéficiant de la détaxe.
Il me semble donc que l’ouverture de ces commerces en soirée et le dimanche permettra une réelle création de valeur ajoutée. En effet, il s’agit non pas de la zone de chalandise locale qui ne reçoit jamais aucun touriste étranger – nous en reparlerons peut-être tout à l’heure en évoquant les zones commerciales ou les dimanches du maire –, mais de zones qui accueillent massivement des touristes étrangers.
En ce qui concerne le nombre de touristes étrangers, d’autres zones pourraient bénéficier demain de cette mesure, et il faudra en discuter – je sais que cette question reste très sensible, et d’autres amendements seront discutés tout à l’heure à ce propos. Quoi qu’il en soit, nous savons pertinemment que, dans les zones aujourd’hui déterminées, il y a un afflux de touristes étrangers qui viennent en France non pas pour dépenser dans les grands magasins – vous avez raison de le dire –, mais pour visiter le patrimoine. Or les statistiques montrent bien que la France est l’un des pays tirant le moins profit du tourisme des étrangers : c’est une réalité commerciale, économique ! La question qui se pose est donc de savoir comment donner la possibilité de dépenser leur argent à des touristes qui viennent pour des raisons culturelles.
Si nous comparons notre situation avec celle de pays comme l’Italie, le Royaume-Uni, les États-Unis, nous sommes parmi les moins bons pour ce qui est de tirer profit de l’afflux de touristes,…
M. Michel Bouvard. On régresse même !
M. Emmanuel Macron, ministre. … notamment si l’on se penche sur le montant moyen dépensé par touriste. C’est cette faiblesse que nous voulons corriger en vous proposant cette mesure.
M. Pierre-Yves Collombat. Il y a d’autres paramètres !
M. Emmanuel Macron, ministre. Le meilleur paramètre, pour inciter un touriste à consommer, c’est de lui laisser la possibilité de consommer ! (M. Michel Bouvard applaudit.) On pourrait en trouver d’autres pour améliorer le système, mais, en l’espèce, si le magasin est fermé, il peut toujours baisser les prix ou offrir des produits de meilleure qualité, le touriste n’a pas la possibilité d’acheter. La finalité des ZTI est donc de permettre aux touristes étrangers d’acheter.
J’en viens enfin à la situation des étudiants, puisqu’elle a été évoquée – je pense que cette problématique est d’ailleurs transversale à toute la discussion que nous avons. J’entends évoquer de manière récurrente la question du recours au travail par les jeunes. Si l’on examine les statistiques disponibles – vous les avez d’ailleurs rappelées –, on constate que le travail des étudiants contribue de manière importante à éviter leur paupérisation. Faut-il s’en réjouir ou non ? Il n’en demeure pas moins que c’est un fait ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Pierre-Yves Collombat. Comment peut-on dire une chose pareille ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Parfois même, le travail des étudiants permet à ces derniers d’accéder à un emploi après la fin de leurs études. Il ne faut jamais oublier, somme toute, que l’on fait des études pour s’émanciper de sa condition, apprendre des choses, évoluer dans la vie, mais aussi pour avoir un travail.
Une chose est sûre, madame la sénatrice, le travail du dimanche est bien meilleur pour les résultats des étudiants que le travail pendant les heures de cours. En effet, la principale cause de l’échec étudiant est due à l’obligation, pour certains étudiants, de travailler pour assurer leur quotidien et, du coup, de travailler pendant leurs heures d’études. Ces étudiants préfèrent donc travailler en soirée, ce qui est déjà moins bon, et pendant le week-end…
Mme Éliane Assassi. Ils préféreraient surtout ne pas être obligés de travailler et avoir un statut d’autonomie !
M. Emmanuel Macron, ministre. Interrogez les étudiants qui sont dans cette situation, et vous verrez qu’ils préfèrent travailler le samedi et le dimanche, avec des majorations et les compensations telles qu’elles sont prévues dans ce texte, plutôt que de travailler pendant leurs heures de cours sans majoration !
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
M. Emmanuel Macron, ministre. Voilà ce que je souhaitais rappeler au sujet du contexte dans lequel s’inscrivent ces zones touristiques internationales. Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
M. le président. La parole à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste votera contre ces amendements de suppression.
Revenons-en à la réalité, c’est-à-dire à l’innovation que représentent les zones touristiques internationales. Nos collègues députés ont précisé, par voie d’amendement, la nature de ces zones touristiques internationales, à ne pas confondre avec les nombreuses autres zones touristiques qui existent dans notre pays. Ils ont retenu trois critères : le rayonnement international, qui peut être apprécié objectivement, l’affluence exceptionnelle de touristes étrangers et l’importance de leurs achats – M. le ministre vient d’y faire référence. Grâce à ces critères, on peut savoir exactement ce qu’est une zone touristique internationale et ce qui la distingue des autres zones touristiques.
Je voudrais rappeler à nos collègues que, s’il est vrai que la France accueille beaucoup de touristes – avec 80 millions de touristes par an, nous sommes les champions du monde –,…
M. Robert del Picchia. Mais pas en recettes !
Mme Nicole Bricq. … du point de vue des recettes, nous sommes derrière l’Espagne, parce que nous n’avons pas la capacité de retenir nos touristes. Circulez dans certains quartiers de la capitale ou de grandes villes attractives le dimanche, c’est un désert !
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Je ne veux pas faire de publicité pour tel ou tel magasin, mais si votre projet de loi est adopté tel quel, monsieur le ministre, l’État va devoir définir des périmètres importants ! On peut encore discuter de l’avis du maire et de la consultation du conseil municipal – nous allons le faire, du reste, les élus parisiens sont là et vont s’en charger, et leurs demandes sont sans doute légitimes.
Tout à l’heure, une enseigne a été citée : la Samaritaine – c’est M. Cadic qui a commencé le bal. Ce projet est encalminé depuis dix ans ! Je pense qu’une zone touristique internationale serait justifiée dans ce quartier.
Enfin, je vais défendre l’industrie du luxe,…
Mme Éliane Assassi. Nous n’avons rien contre !
Mme Nicole Bricq. … notamment les entreprises présentes au sein du comité Colbert. Grâce à elles, les résultats de notre commerce extérieur sont moins mauvais qu’ils ne pourraient l’être. En même temps, ces groupes créent des emplois en France, sinon ils ne font pas partie du comité ! (M. Michel Bouvard applaudit.)
Je ne veux pas faire de publicité pour un grand groupe qui se reconnaîtra, mais je tiens à rappeler qu’il a recréé des ateliers permettant à un savoir-faire français qui s’était perdu de retrouver du dynamisme, dans une région que je connais bien, appelée à devenir la grande Aquitaine, dans des départements comme la Dordogne ou la Charente. Il a ainsi créé des emplois…
Mme Annie David. Après les avoir tous supprimés !
Mme Nicole Bricq. Nous devons penser à la nature du projet de loi que nous examinons : c’est un texte de portée économique. La France pourrait sans doute être un peu plus attractive et créer des emplois et de la croissance.
En moyenne, la durée de séjour des touristes n’est pas supérieure à trois jours : nous perdons donc une clientèle. Nous n’avons pas la capacité de retenir, le week-end et le dimanche, le tourisme d’affaires, qui est le plus lucratif. Si nous pouvons le faire dans les grandes villes de renom international, nous devons le faire, et c’est l’objet même de la création de ces zones touristiques internationales.
Il faut aussi reparler de la compensation salariale, à laquelle nous tenons énormément. Nous aurons la possibilité d’échanger sur ce point, et vous verrez que ce projet de loi ne représente pas une régression et qu’il pourrait même avoir un effet d’entraînement. Je me souviens du temps où la signature d’un accord collectif à la régie Renault avait des répercussions dans l’ensemble de l’économie française. Les accords signés dans ces zones touristiques internationales pourront entraîner des mouvements ailleurs. Dans la compétition internationale, il faut avoir des bannières, et ces zones touristiques peuvent jouer ce rôle !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, je ne peux pas laisser dire que la solution au problème économique des étudiants passe par le travail du dimanche !
M. Pierre-Yves Collombat. Si, vous l’avez dit !
Je ne peux pas accepter une telle affirmation de la part d’un ministre d’un gouvernement de gauche. J’en déduis que, si vous êtes ministre, vous n’êtes pas ministre d’un gouvernement de gauche !
Mme Nicole Bricq et M. Didier Guillaume. C’est une attaque personnelle !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. On peut être de gauche ou de droite mais il faut au moins être rigoureux quand on écoute les gens, monsieur le sénateur ! Je n’ai pas dit cela, j’ai simplement dit que quand on s’indigne du travail des étudiants le dimanche, il faut d’abord s’indigner du travail des étudiants pendant leurs heures de cours.
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
M. Emmanuel Macron, ministre. C’est une chose, mais on préfère des étudiants qui travaillent que des étudiants pauvres.
M. Pierre-Yves Collombat. Exactement !
M. Emmanuel Macron, ministre. Quant à votre dernière remarque, je n’entrerai pas dans votre jeu. Il y a eu un grand Président de la République qu’on a très longtemps accusé de ne pas être socialiste : il s’appelait François Mitterrand.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, on ne l’a jamais accusé de ne pas être socialiste !
M. Emmanuel Macron, ministre. On l’a très longtemps accusé de ne pas l’être. À cela, il a toujours répondu que personne ne donne de brevet de socialisme. (Exclamations sur plusieurs travées.) Il n’y a personne qui donne de brevet de socialisme ! À la fin des fins, c’est le peuple qui en décide, ce n’est ni l’un ni l’autre !
M. Pierre-Yves Collombat. Le peuple, il est en train de décider !
M. Emmanuel Macron, ministre. Ce que j’essaie de dire, c’est que le socialisme, ce n’est pas l’idée d’un certain patrimoine que quelques-uns détiendraient. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. Avoir pour objectif de faire travailler des étudiants : c’est cela un gouvernement de gauche ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Aujourd'hui, après des années de croissance et de progrès, comme le rappelait Dominique Watrin, les dérogations au repos dominical sont si nombreuses que 30 % des Françaises et Français déclarent travailler régulièrement ou occasionnellement le dimanche.
Si le travail du dimanche se justifie notamment pour la continuité de certains de nos services publics, comme la SNCF, pour prendre un exemple que je connais bien, d’autres dérogations, particulièrement celles qui se pratiquent dans le commerce, se traduisent surtout par la spirale infernale dans laquelle elles nous entraînent, aboutissant à la mise en cause du repos dominical. Cela a été rappelé tout à l’heure, la loi Mallié était d'ailleurs déjà allée dans ce sens pour couvrir des ouvertures non autorisées que l’on a petit à petit légalisées.
Aujourd’hui, il nous est proposé un nouveau type de dérogation, définie sur un critère géographique : les zones touristiques internationales.
Ces zones seront délimitées par un travail interministériel, le maire et les autorités locales n’ayant qu’un rôle consultatif. En effet, dans l’article 71 comme dans l’article 72, on ne parle que d’avis, y compris pour les organisations salariales. Comme l’accord n’est pas nécessaire, comme il ne s’agit que d’un avis, cela veut dire qu’on peut passer outre. (M. le ministre opine.) Je le vis assez régulièrement en tant que maire dans les débats : si sont recueillis les avis d’un certain nombre d’organisations salariales, ces avis ne représentent pas obligatoirement la position de la totalité des syndicats représentés dans le secteur concerné. De toute façon, à partir du moment où l’accord n’est pas exigé, on peut déroger à l’avis qui a été émis.
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Heureusement !
Mme Marie-France Beaufils. Nous vivons une période où malheureusement notre démocratie aurait besoin d’être revivifiée. Si l’on veut que notre démocratie vive véritablement mieux, il me paraît important d’aller au-delà du rôle consultatif.
Les zones touristiques internationales sont définies à partir de critères que notre collègue Nicole Bricq trouve précis. J’avoue ne pas en être convaincue car je me demande comment l’on peut estimer le rayonnement international. Quel est le seuil de nationalités de touristes représentées pour affirmer que le tourisme revêt réellement un caractère international ?
Autres critères, « l’affluence exceptionnelle de touristes » et « l’importance de leurs achats ». Là aussi, y a-t-il un nombre à partir duquel on va considérer que l’ouverture des magasins le dimanche est justifiée ? Pour le moment, c’est tout de même encore flou !
Sur le sujet d’ensemble de l’ouverture des magasins le dimanche, on nous parle toujours, outre de l’attrait touristique, de la création d’emplois. Demande-t-on aux employeurs, en contrepartie de la possibilité qui leur est donnée d’ouvrir le dimanche, de s’engager en termes de création d’emplois ?
La part du chiffre d’affaires de l’activité touristique liée au commerce de détail est estimée à 5,8 milliards d’euros, ce qui doit engendrer à peu près 18 000 emplois. Pouvez-vous nous donner une estimation du nombre d’emplois créés dans ce secteur précis grâce à l’ouverture des magasins un jour supplémentaire ? Nous aimerions également savoir combien d’emplois seraient supprimés dans d’autres secteurs d’activités. Rappelez-vous qu’il n’a pas suffi au magasin Virgin des Champs-Élysées d’ouvrir sept jours sur sept jusqu’à minuit pour maintenir son activité !
Mme Annie David. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. Nous sommes, me semble-t-il, en droit de nous poser de véritables questions sur la capacité de ce texte à nous ouvrir d’autres possibilités de développer l’emploi. D’autant que, nous l’avons rappelé tout à l’heure, le principe de concurrence déloyale sera très présent par rapport aux périphéries de ces secteurs.
Je terminerai, monsieur le ministre, par une question. Nicole Bricq l’a souligné il y a quelques instants, s’agissant des zones touristiques, les contreparties ne concerneraient pas que les salariés du commerce. Est-ce à dire que dans des secteurs tels que l’hôtellerie-restauration, cette idée du principe du repos compensateur et du doublement de la rémunération s’appliquerait également ? Rien ne nous a été dit sur ce sujet. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Cette intervention vaudra explication sur l’ensemble des votes que j’ai l’occasion d’émettre sur ce débat relatif au travail du dimanche. J’ai choisi de m’abstenir sur les propositions du Gouvernement, comme, d'ailleurs, sur celles qui visent à supprimer ces dispositifs.
Pourquoi ? Pas tellement en raison du contenu même du texte. À la différence de certains de mes collègues qui expriment ici un très vif enthousiasme contre ce texte dans lequel ils voient des reculs considérables, j’ai tendance à ne voir, quant à moi, qu’un texte au fond assez modeste et qui ne mérite pas peut-être ces emportements.
Ce qui me gêne dans ce projet de loi, c’est moins son contenu que les arguments avancés pour le défendre, et là, je suis un peu dans l’embarras. Je reprendrai ce que disait tout à l’heure mon collègue Collombat, qui a réagi avec la passion qu’on lui connaît lorsque le mot « gauche » a été évoqué.
« La gauche », on peut évidemment en avoir des définitions très variables. Je suis persuadé que sur ces travées, pour ceux en tout cas qui s’y reconnaissent, nous pourrions tous en donner des définitions différentes, mais nous avons tous le sentiment qu’elle se reconnaît néanmoins à certains éléments de repère, à certaines références.
Je prendrai un exemple sur l’argument qui a été évoqué ici au sujet de la durée du travail. Cet argument, j’avais coutume de l’entendre par le passé sur d’autres travées et venant d’un autre gouvernement qui nous expliquait qu’il fallait que les Français travaillent plus longtemps. S’il faut travailler le dimanche, c’est pour travailler plus longtemps et c’est par ce travail plus long que les Français amélioreront leur pouvoir d’achat. Cet argument, je l’ai entendu tant de fois !
Or, nous le savons, ce dont notre pays a besoin, c’est d’avoir plus de gens qui travaillent. (Mme Annie David opine.) Et en voyant le chômage augmenter, on peut se demander si le travail du dimanche est une véritable réponse. En tout cas, c’est une réponse que la gauche peut proposer de manière sérieuse.
Lorsqu’on entend dire que le travail du dimanche va permettre d’apporter des réponses aux questions sur le pouvoir d’achat, on peut aussi se demander en quoi la gauche travaille aujourd'hui pour améliorer la qualification de nos emplois. En effet, ce que l’on sait, et nous l’avons dit pendant dix ans dans l’opposition, c’est que la faiblesse de ce pays, c’est non d’avoir trop d’emplois peu qualifiés, c’est de ne pas avoir assez d’emplois qualifiés. Cela demande de faire une véritable réforme de la formation et d’accompagner l’évolution du pouvoir d’achat par l’amélioration des qualifications. Ces réformes, elles ne sont pas à l’ordre du jour. Je ne suis même pas sûr qu’on les ait envisagées.
Quand j’entends la gauche, ou une partie de la gauche – je ne sais pas en quoi elle se définit – nous dire que c’est la liberté qui doit primer sur le terrain du droit du travail, là encore, je ne m’y reconnais plus ! La gauche, c’est sans doute la négociation, ce sont les références à un droit du travail qui protège, mais c’est l’idée qu’on s’appuie d’abord sur les syndicats et le dialogue social, en amont, et pas en aval, de la démarche.
Nous nous sommes battus pendant des années à l’Assemblée nationale et au Sénat contre des dispositions visant à augmenter, au nom de la liberté, les quotas d’heures supplémentaires, tout comme on nous disait qu’il fallait, au nom de la liberté, travailler plus pour gagner plus. Cette liberté, on sait qu’elle n’est pas juste et que, par conséquent, elle ne peut pas incarner la gauche.
Monsieur le ministre, vous avez fait référence tout à l’heure – et j’en ai été extrêmement heureux – à François Mitterrand, pour dire qu’on lui a reproché longtemps de ne pas être socialiste. Je ne sais pas si ce procès était justifié, je ne sais pas s’il a été conduit longtemps, mais ce que je sais, c’est que François Mitterrand avait un double souci.
Il avait ce souci, qui vous anime sans doute et qui anime le Président de la République aujourd'hui, de la modernisation de notre économie et de la société, souci parfaitement légitime. Mais il avait aussi le souci, qui vous manque aujourd'hui, d’associer à ce souci de modernisation un souci de justice. François Mitterrand, c’est sans doute l’homme qui a dû régler la question de la sidérurgie, c’est l’homme qui, avec Jacques Delors, a mis un terme à l’indexation des salaires sur les prix – on pouvait en discuter –, des décisions difficiles et fortes à l’époque, mais c’est aussi l’homme qui a su faire la cinquième semaine de congés payés, la retraite à soixante ans et qui a enclenché d’autres réformes.
Ce qui manque malheureusement dans votre démarche, monsieur le ministre, et dans la démarche de ce gouvernement, c’est que l’on voit ce qu’il a de libéral, mais on ne voit pas ce qu’il a de social ; on voit en quoi il veut moderniser, on ne voit pas en quoi il veut favoriser la justice.
S’il y avait un reproche que l’on puisse vous faire, monsieur le ministre, indépendamment de toute autre considération, c’est que, au fond, vous ne regardez pas ce qu’est ce pays, et cette gauche, qui a besoin, pour s’y retrouver, sans doute de pragmatisme mais aussi de conviction et d’idéal.
Et la conviction et l’idéal, ce ne sont pas simplement des déclarations dans un texte comme celui-ci. Cela se traduit de manière forte par des réformes d’ensemble qui font avancer notre société dans l’esprit de la justice, pas simplement par des coups de menton en disant vouloir faire bouger les choses parce qu’il y a des résistances. Bouger, ce n’est pas changer ! Changer, ce n’est pas forcément réformer ! Changer et réformer, c’est mener du même mouvement un progrès économique et un progrès social !
Aujourd'hui, nous avons du chômage, un déficit de nos comptes extérieurs, une incertitude sur l’avenir de notre industrie. Je prends l’exemple de l’industrie de la construction dans la Nièvre : depuis quatre ans, 40 % des emplois ont été supprimés dans ce secteur. Où est la justice pour les salariés de ces petites entreprises ? Où est la justice pour ces territoires ? Où est la gauche, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC. – MM. Pierre-Yves Collombat et Jean Desessard applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi. On n’est pas à un congrès du parti socialiste ! Vous réglerez vos affaires en juin !
Mme Annie David. On sait qui est à droite !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Dans le débat qui a lieu ici au Sénat, organisé afin de nous laisser beaucoup de temps pour échanger, évoquer chaque point du texte et discuter en détail de chaque amendement et article, je trouve, je vous le dis très franchement, que certains viennent semer quelque confusion en mélangeant plusieurs questions.
La question du travail du dimanche en général est une vraie question politique. Elle concerne la société, le vivre-ensemble. Aujourd’hui, on ne peut pas défendre sérieusement le fait que cette loi remet en cause cette exception qu’est la traditionnelle sanctuarisation du repos du dimanche, élément important pour notre société. Ce dont il s’agit de discuter aujourd’hui, ce sont des exceptions, des dérogations, ce dont il s’agit, c’est d’encadrer les dérogations dans une société qui a vécu avant ce texte et qui continuera par la suite.
Avant cette discussion, le travail du dimanche donnait déjà lieu à des dérogations, un petit peu dans l’anarchie, et il existait donc un manque d’encadrement. En effet, quand on ne légifère pas à temps sur des phénomènes de société, des évolutions ou des particularismes,…
M. Michel Bouvard. Ce sont les tribunaux qui décident à la place du Parlement !
M. David Assouline. … on laisse s’installer sur le terrain les rapports de force et le rapport de force économique s’impose dans la société, et donc les choses se font sans aucune régulation. J’estime que cette loi apporte des régulations là où il n’y en avait pas. Et on ne peut pas parler de régression quand elle ouvre, au contraire, des possibilités, notamment en prévoyant des accords majoritaires. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Tous les autres débats sont légitimes, notamment pour savoir si les encadrements et dérogations sont suffisants. Mais il serait faux – personne ne peut être convaincu de cela ! – de laisser croire que c’est un débat de civilisation qui se déroule ici, au seul motif de justifier le refus d’entrer dans le débat, de préciser et d’amender le texte. On essaye de caricaturer, ce qui n’aide en rien !
Et puis, on confond ce qui est effectivement le débat interne à un certain nombre de partis, au mien, en tout cas, et ce qui est en jeu dans cet hémicycle (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) où il y a une gauche et une droite. Tous les débats montrent que la droite n’est pas d’accord avec cette loi,…
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Ce n’est pas vrai ! Nous l’avons beaucoup améliorée !
M. David Assouline. … et ce n’est donc pas une loi de droite, sinon, je pense qu’elle serait pour et elle veut justement autre chose que la régulation. (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Roger Karoutchi. Où est la République dans tout cela ? Droite, gauche, on s’en fout ! La République, ce n’est pas la gauche, ce n’est pas la droite !
M. le président. Laissez M. Assouline s’exprimer !
M. David Assouline. D’ailleurs, je ne me suis pas beaucoup exprimé : il me reste en effet deux minutes de temps de parole.
Je veux ensuite dire à ma collègue Mme Marie-Noëlle Lienemann qu’une fois ce préalable posé, il ne faut pas le mélanger avec un point qui va venir en discussion et qui concerne les conditions pour déterminer les zones touristiques.
Pour moi, il est une évidence que j’ai déjà défendue et que je défendrai de nouveau cet après-midi : on ne peut pas admettre de s’asseoir sur l’avis d’un maire ! Je le dis d’autant plus fort que nous sommes au Sénat ! Et je m’adresse à l’ensemble de mes collègues : nous sommes aussi une chambre de représentation des territoires, on ne doit pas s’asseoir sur le pouvoir des élus locaux !
M. Roger Karoutchi. À Paris ?
M. David Assouline. Et je le dis, à Paris, il est évident que cela a des conséquences. Les zones touristiques revêtent bien entendu une dimension nationale. Il faut donc que l’État soit là et fasse la proposition, mais, selon moi, l’avis conforme est complètement légitime.
Encore une fois, l’avis conforme du maire est totalement légitime, compte tenu des conséquences pour la commune des décisions relevant du pouvoir propre du maire, par exemple les mesures prises en matière de sécurité, mais surtout de propreté,…
M. Roger Karoutchi. La propreté, il y a à faire !
M. David Assouline. … ou la définition du plan local d’urbanisme.
Ne pas prévoir que l’avis du maire doit être conforme signifierait que l’on peut s’asseoir dessus !
Nous aurons ce débat ultérieurement, et il ne faut pas le confondre avec celui, général, que nous avons en ce moment sur les zones touristiques.
Par mon intervention, je souhaitais également prévenir que, cet après-midi, nous demanderons à cet égard des précisions et quelques garanties supplémentaires.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je veux revenir sur les propos du ministre relatifs au travail du dimanche des étudiants et lui apporter tout mon soutien. Il était très important qu’il fasse ce rappel.
Mieux vaut, en effet, que les étudiants travaillent le dimanche plutôt que pendant les heures de cours. Pour beaucoup de personnes, cela semble une évidence. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe CRC.)
Je tiens aussi à dire, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas aussi isolé qu’il y paraît. On entend, en effet, toujours les mêmes... (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Mme Éliane Assassi. Prendre la parole, c’est un droit !
M. Olivier Cadic. Avec les zones touristiques internationales, nous ouvrons la voie, pour l’avenir, à un amendement de simplification fort : la France dans son ensemble devra être une zone touristique internationale, de façon à pouvoir lutter à armes égales avec d’autres grands pays. Ces derniers se font fort, en effet, de récupérer ces touristes dont nous ne voulons pas, puisque nous refusons de leur ouvrir nos commerces et de leur permettre de faire des achats tandis qu’ils visitent notre pays.
J’ai l’impression, en écoutant certains de mes collègues, qu’ils sont les représentants d’une culture politique en voie d’extinction, en quelque sorte les derniers dinosaures,...
Mme Éliane Assassi. Un peu de respect, tout de même !
M. Pierre-Yves Collombat. Mieux vaut des dinosaures que des vautours !
M. Olivier Cadic. ... qui veulent faire de notre pays une sorte de Jurassic Park. Or telle n’est vraiment pas l’image que nous voulons en donner !
M. Jean Desessard. Jurassic Park, c’est comme un musée, ça se visite ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. M. Cadic est content de lui !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour explication de vote.