M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Monsieur le ministre, le groupe UDI-UC a beaucoup apprécié les propos empreints de bon sens que vous avez prononcés tout à l’heure. Bien entendu, nous partageons aussi ceux qu’a tenus à l’instant M. le président de la commission spéciale : nous devons aller encore plus loin.
Le développement économique et la création d’emplois sont essentiels pour notre pays. Nous devons tout mettre en œuvre pour que cela devienne réalité. Avec la délégation aux entreprises du Sénat, présidée par Élisabeth Lamure, nous avons rencontré depuis plusieurs mois un grand nombre de chefs d’entreprises. Tous ont appelé à lever d’urgence un certain nombre de contraintes administratives qui bloquent la création d’emplois dans notre pays.
Parallèlement, dans le cadre de la commission d’enquête sur le CIR, présidée par Francis Delattre, nous avons aussi entendu, de la part de nombreux acteurs économiques, que la France était le pays dans lequel les activités de recherche étaient les plus favorisées et dans lequel les entreprises pouvaient le plus s’épanouir. Le CIR constitue effectivement un outil intéressant pour l’attractivité de notre pays. Nous devons continuer dans cette direction.
Monsieur le ministre, certaines mesures, dont vous n’êtes sans doute pas responsables, allaient toutefois dans un sens différent. Je pense par exemple à la taxe à 75 %, qui incite clairement les talents à aller exercer leur activité à l’étranger et à ne plus siéger au sein des conseils d’administration français. Toutefois, nous ne doutons pas que nous reviendrons sur la voie de la « sagesse », pour reprendre le terme employé par Éric Bocquet tout à l’heure.
Le groupe UDI-UC ne comprend pas les amendements visant à supprimer l’article 34. Il s’agit d’associer les salariés au capital des entreprises et de faire en sorte qu’ils soient également propriétaires de leur entreprise. Toutes ces mesures ne peuvent que favoriser l’implication des salariés dans leur entreprise et la création d’emplois. Nous pensons que tous les salariés doivent pouvoir participer à la conduite du développement de leur entreprise. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du nombre de demandeurs d’emploi dans notre pays. Nous devons tout faire pour réduire le chômage.
Certaines des propositions que vous formulez vont dans ce sens, monsieur le ministre. Mais, comme M. le président de la commission spéciale l’a souligné tout à l’heure, nous devrons aller encore plus loin. Si vous choisissez de le faire, vous nous trouverez à vos côtés !
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Je veux tout d’abord saluer l’intervention de M. le ministre. Elle me semble non pas dogmatique, mais, au contraire, pragmatique et réaliste.
Dans cet hémicycle, nous sommes nombreux à être élus depuis un certain nombre d’années et avoir assisté aux mutations économiques de notre pays.
J’ai représenté pendant vingt ans à l’Assemblée nationale une circonscription industrielle. En 1993, lors de mon élection, sur les dix plus grandes entreprises, tous des grands groupes, dans cette vallée de montagne, trois étaient à capitaux étrangers et sept à capitaux français. Aujourd’hui, la proportion s’est inversée.
Nous avons une industrie qui s’est complètement internationalisée, avec des mouvements dans les deux sens. Quelques grands groupes français ont racheté des entreprises étrangères, comme Saint-Gobain ou Placoplatre, et beaucoup d’entreprises françaises sont passées sous pavillon étranger. En vérité, dans tous ces groupes industriels, l’activité se fait à l’international, de même que l’activité du tourisme se fait à l’international dans toutes nos grandes stations.
Nous avons besoin de garder en France les centres de décision, c’est-à-dire non seulement les sièges sociaux, mais aussi les centres de recherche. Si l’on ne prévoit pas un minimum d’intéressement pour celles et ceux qui représentent les talents évoqués par M. le ministre – ce n’est pas honteux de le dire –, s’il n’y a pas un minimum de retour, nous allons bien évidemment perdre de la substance.
Il ne s’agit pas de ne rien vouloir donner aux autres. Mais si l’on ne crée ni croissance ni richesse, il n’y a rien à redistribuer ! Telle est la vérité première, fondamentale. À quoi bon avoir des écoles d’ingénieurs et des centres universitaires de haut niveau si les jeunes que nous formons partent ensuite à l’étranger, parce qu’ils ne trouvent pas en France les conditions pour se réaliser et avoir une existence conforme à leurs espérances ?
J’ai bien entendu la citation du général de Gaulle. Mais, lorsque Charles de Gaulle réfléchissait à Londres à la reconstruction de la France, c’est l’association, et non l’opposition du capital et du travail qu’il envisageait ! Cette association passe justement par l’intéressement et la participation. Dans le monde d’aujourd’hui, la distribution d’actions gratuites et les conditions de la fiscalité des actions ne peuvent pas être dissociées.
Je suis élu d’une collectivité sans doute parmi les plus interventionnistes de ce pays. Nous avons beaucoup œuvré pour le développement économique. Nous avons distribué des actions gratuites pour les personnels d’encadrement des stations de sports d’hiver, parce que des ingénieurs ont innové en développant de nouvelles machines et de nouvelles techniques, que nous avons ensuite exportées. Si nous l’avons fait, c’est parce que nous souhaitions qu’ils restent, et afin de récompenser leur talent.
Je suis donc heureux d’entendre votre discours, monsieur le ministre. Je n’ai aucun état d’âme par rapport à ces dispositions. Bien évidemment, nous devons parallèlement avoir des exigences en matière sociale, d’aide au développement, de formation des salariés et de promotion interne. Mais aucune société ne peut fonctionner en excluant celles et ceux qui sont les plus créateurs, les plus novateurs ! Nous devons leur apporter un retour, qui ne peut pas se limiter à de la considération. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, si je vous disais que votre intervention a été excellente, cela ne vous aiderait pas, en tout cas au sein de votre camp !
M. Michel Bouvard. Mais cela aide le pays, et c’est essentiel !
M. Roger Karoutchi. Je me contenterai donc de vous dire que vous mettez le doigt là où ça fait mal.
En effet, tous les partis politiques, tous les parlementaires et tous les élus sont confrontés à la réalité de l’obsession du chômage, la réalité de l’effritement et de la disparition progressive de la classe ouvrière dans notre pays – les mots ne me font pas peur –, la réalité de la délocalisation de nos industries et la réalité de la difficulté de se représenter ce qu’est aujourd’hui l’économie française.
Je suis gaulliste. Il fut un temps où j’ai moyennement accepté l’édification de l’Europe. J’étais eurosceptique, j’ai fait campagne contre Maastricht,…
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas bien ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. … en affirmant que l’Europe allait détruire un certain nombre de valeurs ou d’éléments de l’économie française.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est ce qui s’est passé !
M. Roger Karoutchi. Mais, progressivement, nous voyons les évolutions.
Tous les parlementaires, dans leur commune, connaissent des personnes qui viennent leur dire que tout va mal, que leur entreprise ferme. En tant que responsables publics, nous répondons presque toujours que nous n’y pouvons rien, que c’est à cause de l’État, de l’Europe ou de la mondialisation !
Dans la vision gaullienne, gaulliste ou étatiste – peu importe la formule ; pour ma part, je ne renie en rien les citations du général de Gaulle –, l’État est garant de la solidarité ; il assure l’équilibre, afin de faire en sorte que tout Français, quel que soit son rang social, se sente chez lui, et s’y bien.
Mes chers collègues, on peut avoir une vision un peu rousseauiste sur le thème « recentrons-nous, refermons-nous ». Mais la réalité de l’économie a changé. Elle nous a peut-être échappé en grande partie. Nous ne maîtrisons ni les flux de capitaux ni les flux de la recherche et des brevets !
Que nous soyons communistes, socialistes, UMP, UDI-UC, nous voulons tous que l’État intervienne. Mais il n’a plus le pouvoir de tout cadrer, tout encadrer ! C’est peut-être dramatique ; c’est peut-être insupportable pour nous – je suis issu d’une famille pour laquelle l’école publique, l’État et la République, c’était tout –, mais c’est la vérité !
Nous devons tous opérer une espèce de révolution mentale. Exigeons beaucoup de l’État ! Toujours. Parce que la République, c’est cela. Mais ne demandons pas à l’État d’intervenir constamment dans la vie de nos entreprises, d’encadrer tout ce qui n’est pas encadré.
Car le résultat, c’est que les entreprises et les investisseurs préfèrent aller ailleurs au lieu de s’installer chez nous ! Et nous n’avons plus de quoi encadrer l’activité, verser des aides, créer des emplois et des richesses pour organiser la solidarité. Aujourd'hui, on se demande ce que l’on va bien pouvoir faire.
Dans mon département, il y avait autrefois des industries, notamment dans l’automobile et l’aéronautique. Il n’y en a plus une seule ! Il en va de même dans d’autres départements.
Monsieur le ministre, peut-être êtes-vous là pour faire en sorte qu’une partie de votre camp fasse sa révolution. Notre camp doit lui aussi faire la sienne. Dans notre camp, il faut convaincre les plus libéraux de l’importance de l’État et de la solidarité. Dans votre camp, il faut convaincre ceux qui ne croient qu’à l’intervention de l’État qu’ils ne peuvent pas tout encadrer, sous peine de ruiner le pays ! Il faut un équilibre entre une économie qui fonctionne et un État fort. Monsieur le ministre, vous devez d'abord en convaincre votre propre camp. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Le RDSE s’exprime dans sa diversité. Simplement, nous, nous en avons l’habitude.
Mme Nicole Bricq. Nous aussi ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Certes, mais avec d’autres conséquences. (Nouveaux sourires.) Il est tout à fait normal que la diversité des opinions s’exprime.
Nous voterons très majoritairement contre la suppression de l’article 34.
Mme Annie David. C’est bien dommage !
M. Jacques Mézard. C’est peut-être dommage, mais il est normal que nous votions selon notre sensibilité. Vous le faites vous-même, et je me garderai bien de vous le reprocher.
Dans notre beau pays de France, il y a ce qu’on appelle « l’exception culturelle française ». Mais il y a aussi l’exception politique française : nous éprouvons une difficulté considérable à sortir de schémas auxquels nous sommes souvent viscéralement attachés. C’est une réalité.
Regardons ce qui se passe ailleurs. Cela ne signifie pas qu’il faut systématiquement s’y conformer, en adoptant une attitude suiviste. Il s’agit de tenir compte – vous l’avez fait, monsieur le ministre – de réalités profondes que l’on ne peut pas ignorer.
Certains gardent le souvenir d’un temps passé. Regardez ce qui se passe aujourd'hui sur les différents continents. Ce n’est pas la Chine qui nous dira que le capitalisme est une catastrophe ! Le tournant pris est exceptionnel : on peut avoir un parti unique et des comportements ultra-capitalistiques. Un certain rapport à l’économie se développe sur tous les continents. Je comprends qu’on puisse le déplorer, parce que cette évolution se produit souvent au détriment des plus faibles. Sur ce point, il faut être extrêmement prudent, mais aussi extrêmement volontaire. Cependant, on ne peut pas s’enterrer dans des visions passéistes. Nous devons, les uns et les autres, caler davantage nos visions sur la réalité.
Roger Karoutchi le sait, je n’ai jamais été gaulliste, et je ne le serai jamais.
M. Alain Joyandet. Personne n’est parfait !
M. Jacques Mézard. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que vous-mêmes soyez restés gaullistes sur tous les sujets… (Approbations sur les travées du groupe CRC.) Mais nous n’allons pas nous lancer ce genre d’accusations à la figure.
La construction de l’Europe est indispensable. Elle se fait dans la douleur, et cela continuera. Dire qu’il faut en sortir, ce n’est pas sérieux !
Aujourd’hui, nous avons le vrai débat de fond. Nous devons réaliser des efforts pour que la France continue à être ce qu’elle est, c'est-à-dire un pays où le rôle de l’État existe toujours. Le rôle de l’État, c’est de protéger les plus faibles. Cela implique de permettre à l’économie de se développer.
Monsieur le ministre, je suis d'accord avec vous sur l’essentiel : il faut faciliter la production. Ensuite, le rôle de l’État est de faire en sorte que la distribution soit la plus équitable possible. À mon avis, quand on a dit cela, on a dit l’essentiel. Les vrais clivages idéologiques devraient porter là-dessus.
L’article 34 ouvre un débat de fond légitime. Nous voterons très majoritairement contre sa suppression.
Monsieur le ministre, je vous remercie de la manière dont vous avez dit les choses. Certes, nous ne sommes pas d'accord avec toutes les dispositions du projet de loi.
Mme Nicole Bricq. Par exemple sur l’Autorité de la concurrence !
M. Jacques Mézard. Pas seulement, ma chère collègue. Je pourrais aussi évoquer les professions réglementées.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je venais pour présenter un amendement. Mais, au rythme où nous avançons, je pense que cela n’arrivera jamais. (Sourires.)
Je suis très intéressé par le débat présent. Roger Karoutchi a dit à M. le ministre qu’il ne souhaitait pas le mettre en difficulté auprès de ses amis. Le président de la commission spéciale a rappelé que des propos sur la finance avaient été tenus lors du discours du Bourget.
Mes chers collègues, la première fois où je me suis présenté à une élection législative, voilà trente-quatre ans, j’ai reçu – je l’ai conservé depuis –un mot de soutien de Pierre Mendès France, qui était venu parler de Jean Zay. À cette époque, j’étais rocardien ; je le suis encore. Je ne voudrais pas que l’on accrédite des caricatures, comme s’il y avait d’un côté les adeptes du tout-État, et de l’autre les partisans du tout-marché ou du tout-entreprise. C’est une vision archéologique ; je ne l’ai jamais partagée.
Lorsque Michel Rocard a déclaré, au sein du parti socialiste, qu’il fallait prendre en compte le marché et que la régulation de ce dernier était globale, de tels propos étaient difficiles à prononcer et à entendre. N’est-ce pas, madame Gillot ? (Mme Dominique Gillot le confirme.)
Nous nous battons depuis des décennies pour dire que nous avons besoin de l’État. Je ne désespère pas de l’État. Nous avons besoin de la puissance publique. Aujourd'hui, elle doit être européenne, voire mondiale sur certains sujets, comme internet.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est du « jacquesattalisme » ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons besoin de solidarité, et il n’y a pas de solidarité sans puissance publique !
En même temps, si on ne produit rien, on ne peut rien distribuer. Notre socialisme est celui qui permettra au plus grand nombre de citoyens d’entreprendre, de prendre des initiatives, d’être des acteurs, d’être responsables, et non pas d’être seulement des citoyens passifs !
On peut avoir des points de vue divers sur les différentes parties du projet de loi. Mais ce texte réalise une synthèse nécessaire entre la puissance publique et l’esprit d’entreprise et le marché. Partout où l’on a supprimé le marché, on a supprimé la liberté. Pour autant, le marché ne suffit pas à garantir la liberté. Au Chili, du temps de la dictature, il y avait un marché, mais il n’y avait pas de liberté.
Il faut à la fois une régulation du marché, de la liberté pour les entreprises, de la solidarité et un État qui fasse son travail. Il y a des dichotomies, des binarismes, des discours qui sont complètement archéologiques ! Permettez à certains d’entre nous de dire qu’ils ne s’y retrouvent absolument pas. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.
M. Alain Joyandet. Je voudrais revenir sur le débat qui a eu lieu tout à l'heure sur les rapports entre les élites et la base. Je souhaite faire passer un message à M. le ministre au sujet de nos entreprises.
J’ai entendu beaucoup de remarques de bons sens, y compris sur les travées de mes adversaires politiques. On parle beaucoup des élites et des grandes entreprises. La gestion des finances publiques est aujourd'hui très difficile. Monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur un point : le peu d’argent qu’on trouve pour faire des exonérations fiscales ou alléger les charges des entreprises doit absolument être réparti de manière équitable.
Je veux attirer votre attention sur la situation des PME. Tout à l'heure, une chose intéressante a été dite. Cela me permet d’introduire le débat sur la distinction entre le capitalisme familial et le capitalisme financier. On a besoin des deux, mais je préfère de loin le capitalisme familial !
Pourquoi un certain nombre de PME-PMI, TPE et d’entreprises familiales sortent-elles de la crise ? Parce que, pendant quinze ans, elles n’ont pas distribué de dividendes ; elles ont stocké de la trésorerie. Pendant les deux années difficiles, elles ont consommé 50 %, 60 % ou 80 % de leur trésorerie. Elles sortent maintenant de la crise, avec des salariés qui travaillent, grâce à cela.
En revanche, dans les grandes entreprises, on distribue souvent les dividendes à toute vitesse. Du coup, lorsque la crise arrive, la variable d’ajustement n’est pas la trésorerie ; c’est le personnel.
Je ne suis pas devenu socialiste ou collectiviste. Je suis resté gaulliste. Le général de Gaulle disait en substance que le collectivisme et le libéralisme à outrance avaient montré leurs dégâts et qu’il existait une voie moyenne entre les deux : la participation.
Monsieur le ministre, si vous pouvez dégager des moyens budgétaires, n’oubliez pas les PME-PMI, dont on ne parle pas suffisamment et qu’on n’aide pas assez ! Plus de 60 000 d’entre elles ont disparu l’année dernière sans crier gare. Quand une grande entreprise est en difficulté, il y a des manifestations et on en parle beaucoup, mais ces 60 000 PME-PMI ont disparu sans qu’on en parle !
Il y a une réforme urgente à faire : l’allégement des charges. Or, pour alléger les charges, il faut réformer l’État. La réforme qu’on ne fait pas, c’est celle de l’administration centrale. Entre 1995 et 2002 – j’étais alors rapporteur du budget de la sécurité sociale –, les effectifs de la direction générale de la santé ont augmenté de 16 %. Qui paie, sinon le système productif, c'est-à-dire les travailleurs et les entreprises ?
Cela dit, je suis contre cet amendement de suppression.
Enfin, un de nos collègues a parlé du Danemark. Il se trouve que je suis allé dans ce pays pour voir comment les choses s’y passent. Exemplaires en ce qui concerne la flexisécurité, les Danois appliquent en revanche une fiscalité insupportable.
M. Pierre-Yves Collombat. On sait tout cela !
M. Alain Joyandet. Écoutez bien, mes chers collègues : les cadres européens, notamment français, qui vont travailler au Danemark sont obligés de repartir au bout de trois ans. Pourquoi ? La fiscalité est là-bas tellement élevée que ce pays a été obligé de mettre en place un régime spécial pour les cadres venant de l’extérieur, mais il en a limité le bénéfice dans le temps : au terme d’un délai de trois ans, les grands groupes sont donc obligés de renouveler leurs cadres !
La problématique posée par M. le ministre existe bel et bien : nous devons toujours avoir en tête la compétition internationale.
Pour conclure, je dirai à nos collègues du CRC que je ne suis pas d’accord avec eux lorsqu’ils prétendent qu’il n’y a pas d’exemple de capitaine d’industrie qui aurait sauvé une grande entreprise, même avec une fiscalité attractive.
Hélas, il y a bien des exemples où des capitaines d’industrie, qui n’étaient sans doute pas suffisamment à la hauteur, ont conduit des grands groupes, et leurs salariés, à la catastrophe. Mais on a vu arriver à leur suite d'autres dirigeants pour relever la situation.
M. Patrick Abate. C’est autre chose !
M. Alain Joyandet. Oui, une personne de très haut niveau et de très grand talent peut sauver des dizaines de milliers d’emplois. Ces gens veulent venir travailler en France, nous n’avons pas le droit de les obliger à quitter notre pays par la suite pour des raisons fiscales.
C’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas supprimer cet article, mais, en même temps, je demande que ce qui est prévu pour les grands groupes soit aussi possible pour les petites et moyennes entreprises.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Joyandet. Je termine, monsieur le président.
Les PME n’ont pas tellement besoin d’allégement de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur les dividendes. Elles ont surtout besoin de l’allégement des charges qui pèsent dans leur compte de résultat, pour simplement continuer à exister.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour clore ce débat au cours duquel quinze d’entre vous se sont exprimés, mes chers collègues. Nous passerons ensuite au vote sur ces deux amendements identiques.
M. Emmanuel Macron, ministre. Je veux apporter quelques précisions. Au fond, je trouve beaucoup de convergences dans les sensibilités qui ont pu s’exprimer. Si l’on croit à la lutte contre les inégalités, on croit d’abord à la capacité à produire dans le pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cet article n’enlève rien à personne. Il n’alourdit pas les efforts de qui que ce soit.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le budget !
M. Emmanuel Macron, ministre. Pas du tout, madame la sénatrice, c’est là où vous vous trompez, mais je vais y revenir.
Il a seulement pour objet d’aligner le traitement fiscal et social d’un dispositif pour le rendre attractif, opératoire, afin de tenir compte de la situation mondiale et européenne. Il s’agit donc de nous mettre en capacité de produire en France et de conserver la force de production en France.
Je parlais des talents, parce que ce sont les plus mobiles. C’est bien à ce niveau que ce dispositif est un élément d’attractivité et de compétitivité. Pour les PME, comme pour les grandes entreprises, il est nécessaire, mais il n’est pas fléché uniquement sur les cadres supérieurs.
L’entreprise Eiffage, que je citais, a 80 % de ses salariés en France, qui bénéficient de l’actionnariat salarié. C’est la même chose pour le groupe Auchan, qui est aussi largement ouvert à l’actionnariat salarié.
M. Michel Bouvard. Idem à Saint-Gobain !
M. Emmanuel Macron, ministre. Il n’y a donc pas de fatalité à ce que le dispositif soit réservé aux cadres supérieurs.
L’actionnariat salarié est un élément d’attractivité, mais surtout d’ouverture du capital : telle est sa philosophie, sa logique.
Je voulais également apporter une précision technique importante, qui porte en elle le sens politique profond de cette mesure : si l’on croit à la production, on croit à l’actionnariat de long terme.
Le texte prévoit une durée minimale de détention des actions de deux ans, et la durée est portée à huit ans pour pouvoir bénéficier du plein avantage fiscal. Nous débattions de 195 versus 190, mais celui qui détient l’action doit la garder pendant huit ans pour avoir l’avantage personnel. Il doit de toute façon la conserver pendant au minimum deux ans. C’est donc une incitation à l’actionnariat long.
Enfin, certains ont parlé du coût financier. Je déplore que l’on ait toujours un raisonnement statique sur ces sujets-là. Songez à toutes celles et à tous ceux qui ne créent pas de richesse ici, toutes celles et tous ceux qui quittent le pays pour les raisons que j’évoquais :c’est autant d’impôt sur le revenu de moins, c’est autant d’impôt sur les sociétés qui s’évapore. (M. le président de la commission spéciale applaudit.)
L’Inspection générale des finances nous a remis le rapport sur les grands groupes français que j’avais demandé, et les chiffres sont éloquents : quand un cadre supérieur quitte le territoire français, quand un décideur s’en va, ce sont quinze à vingt emplois qui disparaissent !
M. André Trillard. C’est comme avec l’ISF !
M. Emmanuel Macron, ministre. Voilà, madame Lienemann, où se trouve la perte fiscale ! C’est autant d’argent que l’on n’aura plus pour financer les doctorats (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.), pour financer nos politiques publiques.
Cette mesure a donc un coût net, mais elle représente in fine un gain pour notre économie, car elle permet de produire. Au total, je suis profondément convaincu que ce dispositif rapportera. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 29 et 156 rectifié tendant à la suppression de l’article 34.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 148 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 311 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 1084, présenté par Mme Assassi, M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Annie David.
M. Gérard Longuet. Même vote ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Annie David. Mes chers collègues, en effet, ce sera le même vote sur cet amendement, mais je vais quand même le présenter.
Vous vous en doutiez, n’est-ce pas ?
M. Michel Bouvard. Effectivement ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Mme Annie David. Par cet amendement, nous proposons de supprimer les alinéas 1 à 9 de l’article 34.
En préambule, je voudrais revenir rapidement sur l’actionnariat salarié.
M. Robert del Picchia. Oh non!
Mme Annie David. Nous sommes toujours sur le même article, mon cher collègue.
Pour compléter ce qui a été dit, je vous fais remarquer que les patrons bénéficient déjà largement de ces actions gratuites, les entreprises du CAC 40 ayant distribué, en 2014, 6,4 milliards d’euros d’actions gratuites à leurs dirigeants.
En revanche, monsieur le ministre, j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé la somme versée en actions gratuites aux salariés des collèges 1 et 2 des entreprises industrielles, par exemple. Pouvez-vous nous dire combien de salariés en ont bénéficié et pour quel montant ? Cette information nous donnerait une idée du rapport entre les salariés et les patrons à cet égard.
Donc, pendant que les entreprises du CAC 40 versaient 6,4 milliards d’euros d’actions gratuites à leurs dirigeants, les salariés de ces mêmes entreprises s’entendaient dire que les augmentations de salaires, bien évidemment, n’étaient pas possibles, car elles n’étaient pas bonnes pour la compétitivité.
Au sujet, toujours, de ces entreprises du CAC 40, il faut aussi savoir que les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 30 % l’an dernier, pour arriver à 56 milliards d’euros, qui s’ajoutent donc aux 6,4 milliards d’euros d’actions gratuites versés aux dirigeants. Après, monsieur le ministre, on vient nous parler de la compétitivité des entreprises…
Je le reconnais, vous vous êtes exprimé, il y a peu, dans la presse, concernant le patron du groupe Vivarte, qui a touché un chèque de départ de 3 millions d’euros, alors que l’entreprise a annoncé 1 600 suppressions.
Je vous ai posé la question, mais vous ne m’avez pas répondu, donc je la pose à nouveau : à quel moment allons-nous mettre le sujet de la responsabilité sociale des entreprises sur la table ? En effet, il me semble que cette responsabilité sociale devrait être un peu plus encouragée, ce qui, pour le coup relève pleinement du rôle de l’État.
J’ai bien entendu M. Joyandet nous parler de la participation, dont je rappelle qu’elle date de 1969…
Mais, comme mon temps de parole est écoulé, monsieur le président, je reviendrai sur le sujet en explication de vote. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)