M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons une période particulière de notre histoire. Notre pays doute de lui-même, alors qu’il est une grande nation ; il dispose d’atouts incontestables, ainsi que de moyens qui peuvent et doivent être à la hauteur de ses ambitions économiques et sociales.
À l’heure de la mondialisation, nous devons nous adapter sans nous renier, innover sans fracturer et progresser économiquement sans nous affaiblir socialement.
Plus de compétitivité économique et plus de justice sociale : ce sont les deux jambes sur lesquelles il est nécessaire de nous appuyer pour combattre en même temps, et de manière tout aussi volontaire, les inégalités. Il s’agit d’un impératif tout autant politique qu’économique : les inégalités sont aussi source de faible croissance. Je souhaite que ce projet de loi, perfectible, et que ceux qui viendront ensuite gardent comme logique directrice ces quelques éléments.
Le texte arrive en discussion devant la Haute Assemblée dans un contexte politique particulier, au lendemain des dernières élections départementales. Le Gouvernement, comme nous tous, doit écouter et entendre les messages des urnes : des messages d’inquiétude, de désarroi parfois, d’indifférence ou encore de colère.
Je souhaiterais revenir plus précisément sur quelques aspects du projet de loi.
Permettre l’accessibilité géographique du territoire au plus grand nombre par une plus grande mobilité fait partie des enjeux de notre temps. C’est ce qui est proposé : le texte autorise l’ouverture des lignes d’autocar et raccourcit les délais d’obtention du permis de conduire. Voilà deux mesures utiles, notamment pour les jeunes ; elles ont des conséquences financières intéressantes.
De même, il est positif d’autoriser les crédits interentreprises. Les PME éprouvent parfois des difficultés à obtenir des crédits du secteur bancaire traditionnel, qui a trop souvent pris la mauvaise habitude de mettre « ceinture et bretelles » avant d’accorder son éventuel soutien. Un tel comportement n’aide au développement ni de nos PME ni de nos territoires.
L’adoption d’amendements déposés par Marc Daunis sur la question des aéroports devrait permettre de lever les inquiétudes quant au contrôle et à la maîtrise de la puissance publique en la matière, tout en reconnaissant en parallèle l’intérêt de contribuer à réduire nos déficits.
Par ailleurs, dans un contexte où nombre de nos concitoyens éprouvent des difficultés financières parfois graves, il était bon d’agir face à l’indécence de certaines retraites chapeaux ; c’est ce que prévoit le texte. Le bon sens ne conduit-il pas à affirmer qu’une rémunération de ce type ne peut qu’être liée, au minimum, à une performance ou à une prise de risques ?
Nous le savons, le projet de loi aborde de très nombreux sujets, recouvrant plusieurs ministères.
Parmi eux, le plan de sauvegarde de l’emploi revêt à mes yeux une importance non négligeable, tant sur le fond que sur les signes à envoyer à l’opinion. Lorsqu’une entreprise appartenant à un groupe se trouve en difficulté, il est logique que la santé financière de l’ensemble soit prise en considération et, a minima, que le reclassement en interne et l’éventuelle formation complémentaire des employés soient menés sous la responsabilité dudit groupe.
J’ai déposé un amendement en ce sens, un « amendement de bon sens », serais-je tenté d’ajouter. Je souhaite que vous l’examiniez avec une attention toute particulière, monsieur le ministre.
J’en viens au délit d’entrave à l’exercice du mandat syndical. Nous supprimons la peine de prison, qui n’était d’ailleurs jamais prononcée ; il est donc logique de la remplacer par une peine de substitution suffisamment dissuasive qui, au-delà de l’amende, pourrait par exemple tendre vers l’interdiction d’exercer la fonction de dirigeant d’une entreprise pendant cinq ans.
Cependant, la majorité sénatoriale de la commission spéciale a remis en cause des parties importantes du texte, voulant ainsi rompre l’équilibre que vous aviez tenté d’atteindre, monsieur le ministre. Ainsi, l’ouverture des magasins le dimanche s’effectuerait sans accord collectif et serait exonérée, dans plusieurs cas, de toute compensation salariale. Idem pour la suppression de la majoration de 30 % pour les surfaces alimentaires de plus de 400 mètres carrés. Ainsi, ce qui est remis en cause, c’est le principe « pas d’accord, pas d’ouverture », donc la recherche d’un équilibre entre nécessité économique et impératif social.
C’est regrettable, tout comme l’est le souhait de la majorité sénatoriale de doubler la réduction d’impôt pour le financement de PME. Cela coûterait 100 millions d’euros aux Français. Élever le plafond des niches fiscales, qui sont déjà fort nombreuses, contribue plus à l’aggravation de notre déficit public qu’à un réel soutien à l’activité.
Nous l’aurons compris, tout cela repose en réalité sur une logique politique et des « marqueurs idéologiques », pour reprendre une expression utilisée tout à l’heure par Bruno Retailleau, qui ne sont pas les nôtres. Ceux qui s’interrogeaient sur les différences entre conservatisme et progressisme seront peut-être rassurés !
L’ouverture des magasins le dimanche est un sujet controversé. La création des zones touristiques internationales est indispensable pour accompagner le développement touristique de notre pays. Les contreparties prévues dans le texte pour les salariés vont de pair ; c’est positif.
Pour autant, dans l’esprit des lois de décentralisation, engagées par la gauche dès 1982, il serait de bonne logique que les maires concernés aient voix au chapitre et qu’une forme de codécision puisse se mettre en place. On ne peut pas plaider pour une libre administration des collectivités territoriales et refuser en même temps leur indispensable coordination.
Pour les autres possibilités d’ouverture dominicale, le cadre est globalement fixé. Vous le savez, il est source d’inquiétudes, voire de méfiance.
Or ces inquiétudes et cette méfiance ne sont pas dépourvues de fondement. Il faut entendre les arguments sociétaux qui les sous-tendent. Je vous renvoie à ce que certains déclaraient voilà quelques années : « Nous refusons que la civilisation du supermarché remplace la civilisation du loisir » ; ce n’est pas « un bon système de rémunération » de faire que certains soient « obligés de sacrifier leur vie de famille pour avoir un peu plus de pouvoir d’achat » ; l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche serait « une triple erreur : économique, politique et sociétale ».
Vous l’aurez compris, je considère que l’ouverture dominicale doit demeurer l’exception et qu’il faut à tout prix éviter une forme de banalisation.
Le nombre d’ouvertures potentiel mérite donc d’être rediscuté. Il est nécessaire de réfléchir encore sur ce sujet, ainsi que sur celui d’une prise en compte salariale minimale pour les commerces ouvrant le dimanche toute l’année.
Certes, les négociations entre partenaires sociaux sont indispensables. Mais il faut aussi une protection minimale ; le texte en définit bien pour d’autres zones commerciales. Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures ; il ne peut pas y avoir un droit du travail à deux vitesses ou à géométrie variable !
Globalement, ce projet de loi se veut l’expression d’un volontarisme utile à la bonne marche de notre pays. Certes, il peut, nous l’avons vu, bousculer certaines formes de corporatisme. Mais on peut bousculer sans stigmatiser. C’est ce que vous avez réussi à faire, monsieur le ministre ; cela me semble être une bonne méthode.
Nous le savons bien, dans le monde d’aujourd’hui, le statu quo est à bannir. Il faut donc tenir bon dans l’esprit de réforme. Mais il est aussi indispensable de tenir compte du message des urnes. Tenir bon et tenir compte : cela me semble être le bon chemin.
Voilà un an, j’avais présenté, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, un rapport intitulé : Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! Je citais une phrase de Victor Hugo en étant loin de m’imaginer qu’elle pourrait s’appliquer à nos échanges d’aujourd’hui. Notre illustre prédécesseur sur ces travées écrivait ceci : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes. » Osons remplacer le mot « homme » par le mot « société ». La société aussi est faite non pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes !
Monsieur le ministre, je vous souhaite, et je nous souhaite à tous bon courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques porte-t-il bien son nom ?
La réponse à la crise économique, à la faiblesse de la croissance, à la hausse du chômage qui en découle, et la prise en compte des enjeux relatifs à la modernisation de la société française peuvent-elles prendre la forme d’un feuilleton de mesures législatives, sans véritable ligne directrice, ni interrogation sur le modèle de société que nous voulons ?
Nous ne pensons pas que la méthode utilisée permette des réformes structurelles en profondeur, menant à un environnement plus favorable au développement économique. Cette méthode parcellaire et transversale, qui a déjà été utilisée à l’automne dernier pour le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, semble pourtant avoir la préférence du Gouvernement.
Le programme de mesures aurait plusieurs ambitions.
Premièrement, moderniser les conditions d’exercice de nombre de professions réglementées.
Deuxièmement, revoir, pour les rendre plus performants, le cadre d’exercice de nombre de secteurs : écoles de conduite, justice prud’homale, activité des tribunaux de commerce, organisation du transport public de personnes, urbanisme.
Troisièmement, renforcer ou assouplir, pour les rendre plus justes, un certain nombre de dispositifs : les retraites chapeaux, l’emploi des personnes handicapées, les contrats d’insertion ou la prestation de services internationale.
Quatrièmement, et, à en juger par l’intitulé du projet de loi, c’est l’élément essentiel, relancer l’activité économique en proposant des exceptions au travail dominical – je pense à la création de zones touristiques internationales et d’autres sites à caractère concurrentiel, notamment dans les zones frontalières –, en facilitant la vie des entreprises et en favorisant le financement des projets d’investissement.
Je m’arrête là. Je n’aurai pas le temps de passer en revue les quelque 250 articles de ce projet de loi, qui touchent de manière parfois trop superficielle les domaines les plus divers de notre vie économique et sociale.
Permettez-moi d’insister sur le manque de lisibilité de la méthode choisie, qui, de projet de loi en projet de loi, ne rend pas notre horizon plus perceptible.
Vous nous demandez de nous prononcer dans sa globalité sur un texte qui comprend des mesures d’importance inégale. Certaines sont hautement symboliques ; d’autres sont plus pragmatiques. D’autres encore sont sans doute même inopportunes, notamment lorsqu’il s’agit d’essayer de poser l’empreinte du marché dans le domaine du droit. Dans l’ensemble, on ne peut pas avoir de position tranchée a priori ; certaines orientations méritent d’être recadrées, quand d’autres sont à encourager ou à accentuer.
Prenant acte de la méthode retenue, la commission spéciale du Sénat a joué le jeu. Elle a mené un travail significatif d’amélioration de l’ensemble des volets du texte. Je tiens ici à remercier son président, M. Vincent Capo-Canellas, ainsi que les corapporteurs, Mmes Catherine Deroche et Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet. Je souligne leur capacité à allier qualité de dialogue et travail constructif en vue d’aboutir à un texte plus équilibré. Ce texte, je n’en doute pas, trouvera encore à s’améliorer grâce à nos travaux.
À cet égard, monsieur le ministre, je trouve tout à fait regrettable que l’on prête à votre entourage immédiat – la presse s’en fait l’écho – des propos dénonçant le détricotage que le Sénat tenterait d’opérer.
Mme Nicole Bricq. C’est vous qui le revendiquez !
M. Jean-Marc Gabouty. Manifestement, Mme Bricq fait partie des adeptes de cette thèse au sein de notre Haute Assemblée !
C’est totalement contraire à l’attitude constructive qui a été la nôtre depuis le début de l’examen du projet de loi. En commission spéciale, nous avons tenté de rester dans l’esprit du texte. Nous nous sommes parfois retenus d’apporter des modifications plus substantielles.
De nombreuses propositions des sénateurs du groupe UDI-UC figurent dans le texte de la commission spéciale. Je pense notamment aux mesures relatives aux professions réglementées qui ont été présentées par mon collègue Henri Tandonnet et reprises par le corapporteur François Pillet.
En ma qualité de référent du groupe UDI-UC sur le volet économique et social, je reviendrai rapidement sur les améliorations apportées en la matière grâce au travail réalisé avec les corapporteurs.
Notre démarche a été la suivante : nous nous sommes concentrés sur les mesures permettant la création et l’augmentation de l’activité économique créatrice de richesses et d’emplois, tout en laissant autant que possible à la négociation avec les partenaires sociaux le soin de décliner et d’appliquer concrètement les dispositifs. Comme vous le savez, notre groupe est particulièrement attaché à la négociation collective.
Nous avons proposé des mesures complémentaires pour assouplir et simplifier encore plus notre cadre législatif sur certains points. À ce titre, nous avons présenté des amendements en commission spéciale et, à quelques détails techniques près, nous avons obtenu satisfaction.
Satisfaction d’abord sur la mise en place de seuils différents pour lisser dans le temps les effets du franchissement : le seuil qui était jusqu’à présent fixé à onze est porté à vingt et un. Attachés au rôle des institutions représentatives du personnel, nous avons estimé qu’il était opportun, en temps de crise, de suspendre certaines dispositions liées au franchissement des seuils et d’en mesurer les effets.
Satisfaction ensuite sur le compte pénibilité, dont le principe n’est absolument pas remis en cause : un dispositif plus simple à mettre en œuvre pour les employeurs est adopté et les risques professionnels recentrés sur les facteurs aisément mesurables sont pris en compte.
Satisfaction encore sur la création d’un cadre juridique simplifié pour la mise en place d’accords offensifs de maintien dans l’emploi, afin de préserver la compétitivité des entreprises et de notre économie.
Satisfaction enfin sur le crédit interentreprises, disposition introduite à l’Assemblée nationale, sous réserve de revoir sur un plan technique le dispositif d’accompagnement et d’encadrement proposé.
J’espère que nous pourrons nous mettre d’accord sur une nouvelle rédaction du dispositif d’information des salariés en cas de cession de l’entreprise, afin de faire en sorte que l’information soit donnée quand un acquéreur s’est déclaré et non au moment des négociations préalables, dans l’intérêt même de l’entreprise et de ses salariés.
De nombreuses avancées figurent dans ce texte sur l’épargne salariale et l’actionnariat salarié. Je salue notamment la mesure d’abaissement du taux du forfait social relatif aux versements sur un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO. Il serait cependant opportun de passer le taux du forfait social des contributions employeurs pour les dispositifs d’épargne salariale de manière différenciée : à 16 % pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 51 et 249 salariés, et à 8 % pour les entreprises de moins de 50 salariés.
Enfin, notre action a été guidée par la volonté de clarifier et de faire respecter la loi, voire de dissuader la fraude. À ce titre, je vous proposerai, comme je l’avais fait en commission spéciale, d’augmenter l’amende sanctionnant les infractions à la réglementation sur le repos dominical en cas de récidive. J’espère que nous trouverons un terrain d’entente sur ce sujet avec la commission spéciale et le Gouvernement.
La mesure sur le travail du dimanche, si elle n’est pas la plus importante du projet de loi, a été très médiatisée ; elle revêt une portée symbolique. Je veux souligner mon attachement personnel, qui est, je le sais, partagé par nombre de collègues, à l’existence d’un jour de repos, réservé à une activité collective, familiale ou extra-familiale, qu’elle soit sociale, culturelle ou sportive, pour marquer une rupture hebdomadaire.
Cela dit, nous sommes unanimement favorables à toute mesure susceptible de créer des richesses et de l’emploi. Si l’ouverture dominicale des commerces peut être bénéfique dans les zones touristiques ou frontalières, l’effet positif d’une telle mesure est moins évident dans les autres parties du territoire en l’absence d’augmentation du pouvoir d’achat. Nous touchons là aux limites de l’élasticité d’une politique de l’offre !
Il y aurait lieu de clarifier l’application de la future loi, comme il aurait été nécessaire de le faire pour les règles actuelles, afin de garantir leur respect. Elles sont très largement contournées, avec des ouvertures sans autorisation ou des abus de cogérance fictive, et les sanctions sont insuffisamment dissuasives.
Je voudrais mentionner quelques mesures que nous avons proposées pour prendre date et qui mériteraient l’attention du Gouvernement. Je pense à la création de plateformes de cotations régionales ou de bourses régionales, idée défendue à l’Assemblée nationale par le groupe UDI, ou encore à la réutilisation sociale des avoirs saisis au crime organisé.
Le projet de loi esquive le sujet, qui revient souvent sur la table, de la durée légale du temps de travail de 35 heures, de ses aménagements et de ses effets sur l’activité économique. Ces points pourraient faire l’objet d’une conférence sociale spécifique réunissant les partenaires sociaux, comme l’a proposé le porte-parole du groupe UDI à l’Assemblée nationale lors de l’examen du texte. Nous n’avons pas souhaité rouvrir le débat au détour d’un amendement, mais la question reste posée.
Nous défendrons un amendement visant à supprimer la durée hebdomadaire minimum de 24 heures. Même s’il existe des possibilités de dérogation, cette règle entraîne d’importantes difficultés de mise en œuvre au détriment des employeurs, mais aussi des salariés, là où les négociations et les accords de branche ne sont pas possibles. Cela ne peut qu’encourager une résurgence du travail dissimulé.
Monsieur le ministre, je suis moins optimiste que vous sur les effets de levier directs ou indirects de votre projet de loi sur l’activité et sur la croissance. Les agents économiques, employeurs ou salariés, attendent des signaux plus forts sur le front des réformes.
Je suis impliqué depuis longtemps dans des responsabilités d’entreprises ; à mon sens, il faudra d’autres signes, plus tangibles, pour redonner aux entrepreneurs la confiance qui pèse au moins pour moitié dans une politique de relance.
Le projet de loi, malgré ses insuffisances et ses imperfections, peut contribuer à mettre en place un environnement plus favorable à la prise d’initiative et à l’investissement, sous réserve de permettre au Sénat de l’améliorer et de le compléter. Une telle ouverture, répondant à la nôtre, constituerait un gage d’unité dans l’effort de redressement économique auquel les entrepreneurs, les salariés et l’ensemble de nos concitoyens seraient sans doute sensibles. (Applaudissements au banc de la commission et sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de ne pas allonger inutilement les débats à cette heure avancée de la soirée, je me contenterai de revenir sur l’esprit dans lequel le Gouvernement souhaite que nous abordions ce texte.
« Enrichir, améliorer, débattre », avez-vous dit tout à l’heure, monsieur le ministre. Je souhaite également que nous puissions enrichir notre économie, améliorer la situation de nos concitoyens et bien débattre : la démocratie y gagnerait.
Qui peut croire que l’économie n’est pas liée à la conjoncture ? Qui pourrait se plaindre des améliorations conjoncturelles et de la présence de signes de reprise et d’espoir ? Qui peut imaginer que la loi seule serait capable d’améliorer la situation économique ?
Le rôle d’une loi est de fixer un cadre qui protège, mais qui n’entrave pas. Aujourd'hui, nous sommes tous conscients de la nécessité d’aborder certaines problématiques sous un angle différent, d’où le côté très éclectique du texte, que l’un des corapporteurs a souligné à juste titre.
C’est la raison pour laquelle ce texte visant à favoriser la croissance et l’activité comprend, quitte à en surprendre certains, des dispositions qui interpellent le monde juridique et judiciaire. Je pense notamment à la réforme des professions réglementées.
À cet égard, il y a deux objectifs essentiels. D’une part, il ne faut pas favoriser des rentes de situation : évitons que certaines professions, sous prétexte d’être réglementées et de bénéficier de situations monopolistiques, ne dégagent des profits démesurés sans être soumises aux règles de la concurrence. D’autre part, il faut ouvrir ces mêmes professions, à la fois sur elles-mêmes et sur les autres.
Néanmoins, et nous devons en tenir compte, si ces professions sont réglementées, c’est parce qu’elles sont censées rendre un service à l’État. Il s’agit d’officiers ministériels chargés de garantir la sécurité juridique des contrats ou des modalités de recouvrement – tout le monde préfère faire appel à un huissier plutôt qu’à une société de recouvrement –, ainsi que l’accès à la justice et le fonctionnement de celle-ci. Les avocats, tout comme d’autres professions réglementées, sont des auxiliaires de justice.
La question de l’équilibre, qui a été abordée par certains devant la commission spéciale, se pose donc. Le fait d’exercer une profession réglementée ne dispense pas de rendre des comptes.
Cependant, il n’est pas sûr que la concurrence constitue le meilleur rempart. J’ai donc déposé un amendement à l’article 12. Ne faut-il pas abandonner le « corridor tarifaire », comme cela a été fait à l’Assemblée nationale ? Est-il judicieux de prévoir des remises avec un plafond et un plancher ?
À mon sens, s’il y a des professions réglementées avec des tarifs, il ne peut y avoir ni de mise en concurrence ni de remise. En revanche, si les tarifs pratiqués donnent lieu à des profits excessifs compte tenu des valeurs, notamment immobilières, du moment, il n’y a aucune raison pour que ces professionnels chargés de rendre des services à l’État ne lui rendent pas aussi celui de lui reverser de l’argent pour favoriser l’accès au droit et à la justice. C’est une piste à creuser ; j’aimerais que nous puissions en débattre.
Monsieur le ministre, vous avez aussi voulu ouvrir ces professions à d’autres et faciliter le recours à l’interprofessionnalité. C’est le débat entre les professions du chiffre et celles du droit, qui peut paraître un peu « ringard » dans certains pays. Sans doute faut-il évoluer.
Cela soulève également la question du respect des territoires. Jacques Mézard a notamment insisté sur l’importance de maintenir partout la présence d’auxiliaires de justice et de notaires.
La présence de professionnels compétents – je pense en particulier aux avocats – me semble tout aussi importante que celle de professionnels en situation de monopole. Tous ces sujets devront être abordés en toute transparence.
Au demeurant, après les Big five, découverts en France à la suite du dépôt de bilan d’Arthur Andersen et de l’affaire Enron, la question de l’interprofessionnalité fait craindre les Big four ! On sait qu’il ne s’agit pas d’un modèle absolu. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous devrons sans doute veiller à empêcher la domination de certains professionnels sur d’autres. C’est le sujet qui préoccupe le plus le monde du droit. Cependant, s’il est important de sauvegarder nos spécificités, nous devons également être capables de nous ouvrir. Les professions réglementées n’ont sans doute pas su le faire suffisamment.
Enfin, le texte aborde la question de la réforme judiciaire. Je le rappelle tout de même, l’importance du dialogue dans les tribunaux de commerce est sanctuarisée. Le principe même du fonctionnement des tribunaux de commerce est maintenu ; il est seulement prévu d’instaurer des tribunaux de commerce spécialisés pour traiter des procédures de liquidation judiciaire. L’objectif est que ces tribunaux soient mieux armés pour maintenir l’emploi sur plusieurs secteurs du territoire.
De même, l’importance du dialogue social est réaffirmée au titre III du texte, « Travailler ». La prud’homie est pleinement réhabilitée. Monsieur le ministre, vous reconnaissez que les tribunaux des prud’hommes mettent du temps à rendre leurs décisions – d’ailleurs, ils ne sont pas les seuls –, mais vous souhaitez améliorer les choses, notamment en renforçant le rôle de la conciliation, qui se trouvera accru par l’existence de barèmes indicatifs, comme cela se pratique dans d’autres domaines. Il sera ainsi possible aux parties de régler rapidement le litige au moment de la conciliation, grâce au renforcement des bureaux conciliateurs. En clair, la volonté de dialogue est inscrite dans le projet de loi.
Certains ne peuvent pas s’empêcher de faire référence à une économie qui fonctionne bien de l’autre côté du Rhin. Pour bien connaître l’Allemagne, je puis vous l’assurer : ce qui fonctionne correctement chez nos voisins, c’est surtout le dialogue social dans les entreprises ! C’est ce qui a largement favorisé la compétitivité. Puisque nous cherchons des modèles, inspirons-nous de ce qui a fait la preuve de son succès. Il est important de promouvoir le dialogue, aussi bien dans notre pays que, je l’espère, dans nos travaux au sein de notre Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une baisse quasi nulle du déficit public en 2014, d’un dixième de point seulement, notre pays est désormais au pied du mur.
Vous le savez bien, monsieur le ministre, avec 4 % de déficit, la France se situe en queue de peloton de l’Union européenne et de la zone euro. Avec l’Espagne et le Portugal, elle sera le seul pays de la zone euro à avoir un déficit public supérieur à 3 % en 2015. Elle doit à tout prix le réduire au plus vite. Pour y parvenir, elle doit retrouver le chemin de la croissance et diminuer ses dépenses publiques.
Dans son rapport annuel, publié au mois de février dernier, la Cour des comptes doute que nous améliorions les chiffres de notre déficit public, notant que la prévision de croissance des recettes « présente des fragilités » et que l’objectif d’évolution des dépenses en valeur « peut se révéler difficile à atteindre ». La Cour des comptes évoque notamment les baisses de dotations aux collectivités territoriales, qui ne se traduiront pas automatiquement dans les économies escomptées. Il s’agit du fameux « effet boomerang » dû aux investissements non réalisés, qui sont autant de taxes non perçues.
Présenté comme la grande loi du quinquennat, ce texte pour « la croissance » et « l’activité » ne permettra sans doute de relancer ni l’une ni l’autre. Ce n’est pas moi qui l’affirme ; c’est l’OCDE. Selon cette organisation, le gain de croissance permis par cette loi serait, au mieux, de 0,1 % par an pendant cinq ans.