M. Charles Revet. Très bien !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. De ce texte qui aurait en fait pu être intitulé « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique », nous avons fait un véritable texte pour la croissance et l’activité.
Nous pensons qu’il faut travailler à la fois pour la croissance, pour l’activité et pour l’emploi. C’est là l’essentiel.
J’évoquerai maintenant le volet relatif au droit du travail.
Nous avons lu avec attention la déclaration suivante de M. le Premier ministre – comme vous pouvez le constater, nos sources sont bonnes – au magazine Challenge il y a quelques jours : « Je veux ouvrir le chantier de l’emploi dans les PME. » Nous avons entendu M. Valls, et nous lui proposons des mesures utiles à cette fin.
Comme le titrait récemment un excellent quotidien du soir, « Le Premier ministre [avance] à tâtons sur la réforme du marché du travail ». Pour notre part, nous voulons le guider – cela part d’une bonne intention – en ayant à l’esprit les conclusions du rapport livrées la semaine dernière par l’OCDE : priorité doit être donnée en France à la réforme du marché du travail. Nous y venons.
Catherine Deroche a présenté des mesures tout à l’heure. Tous les experts en parlent. Le Gouvernement les met sur la table, au fil de déclarations perlées, considérant que ce sont de bonnes idées, mais qu’il convient d’attendre et qu’il faudra peut-être encore procéder à des changements.
Pour notre part, nous avons choisi de débattre de ces mesures et de les rendre opérationnelles. À cet effet, la commission spéciale a déposé des amendements. Vous voici donc placé devant vos responsabilités, monsieur le ministre : rester dans le flou ou faire des choix clairs. L’économie a besoin de simplicité et de clarté, tout comme le débat politique. Nous vous proposons par conséquent de revenir à la clarté, ou d’y venir tout simplement peut-être.
À vrai dire, à vous écouter, nous pourrions penser que nos divergences sur ce sujet tiennent uniquement à la temporalité. Vous nous demandez en effet d’attendre la fin de la négociation sociale. Or l’accroissement des difficultés de nos concitoyens et l’accélération du décrochage économique des entreprises, lesquelles créent les emplois, sont tels que le tempo du dialogue social devrait peut-être être accéléré.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Il me semble donc que les propositions que nous formulons méritent d’être mises en place. Il me semble surtout que l’argument du calendrier dissimule en fait un manque de volonté et l’absence d’objectifs clairement définis.
Cela étant, un autre grand sujet mérite une réflexion de la Haute Assemblée, celui du droit et de l’économie. François Pillet en a parlé avec talent.
Lors de son audition par la commission spéciale, Mme la garde des sceaux a déclaré : « S’il est important que les professions juridiques réglementées participent à la revitalisation de l’économie, la justice et le droit ne peuvent être abordés sous un angle uniquement économique. » C’est ce propos qui a guidé la réflexion de François Pillet. On peut tout dire du dispositif qu’il a présenté, mais on ne peut en aucun cas le caricaturer.
M. Bruno Retailleau. On est d’accord !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. M. le corapporteur a proposé des mesures qui, il faut le reconnaître, rendent la réforme applicable. C’est tout son talent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Quant au volet « mobilité, économie pure », Dominique Estrosi Sassone a rappelé avec clarté et fougue les apports de la commission spéciale. Là encore, une clarification s’impose, en particulier concernant les sociétés de projet. Jean-Pierre Raffarin en parlera mieux que je ne saurais le faire. Un arbitrage du Président de la République est intervenu en la matière, mais il y a trois façons de le comprendre : soit la vente des fréquences hertziennes, soit les sociétés de projet, soit encore, selon Bercy, un autre dispositif à définir et à étudier si un problème se posait à la rentrée. Là encore, nous appelons très simplement à la clarté.
Pour ce qui concerne le secteur ferroviaire, Dominique Estrosi Sassone l’a dit à l’instant, nous pensons qu’il faut non pas refuser l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence, mais l’encadrer. Nous ne rendrions pas service aux cheminots en renvoyant le sujet à plus tard, lorsque tout sera libéralisé d’un coup. Mieux vaut selon nous que la SNCF se prépare dès aujourd'hui à la libéralisation. Tel est le sens du dispositif, que je pense protecteur, adopté par la commission spéciale.
Pour conclure, je tiens à souligner l’excellent climat des travaux en commission, ainsi que l’implication très forte de tous les corapporteurs, leur talent et leur constance, de même que l’aide du personnel de la commission.
Monsieur le ministre, la majorité sénatoriale vous soumet aujourd'hui un texte amendé, c’était son devoir. Il est le fruit d’un travail effectué par la commission spéciale en concertation avec les présidents des groupes du Sénat que je tiens à saluer et à remercier de leur soutien et de leur exigence constructive.
En résumé, je rappellerai ce qu’a dit Jacques Attali lors de son audition par la commission spéciale : ce texte est anecdotique au regard du besoin d’adaptation du pays, mais votez-le, car cela peut être un starter. Nous avons fait d’un projet de loi anecdotique un texte bien plus musclé et ayant du pep. Nous en avons surtout fait un texte pour la croissance et pour l’emploi. Nous avons ajouté un moteur et du carburant au starter qu’évoquait Jacques Attali. Avançons ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Par la volonté réformatrice qu’il traduit, par son ampleur et sa diversité, grâce au recours à des méthodes innovantes d’évaluation d’expériences étrangères, du fait, monsieur le ministre, de votre personnalité et de votre implication dans le travail parlementaire à l’Assemblée nationale, le présent projet de loi est un texte d’exception (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.), au sens étymologique du terme. Relisez le dictionnaire, mes chers collègues !
J’évoquerai pour ma part plus particulièrement le contexte macro-économique dans lequel s’ouvrent nos débats au Sénat. Tout concourt aujourd'hui à ce que les entreprises se mettent en phase avec les facteurs macro-économiques favorables, qu’ils soient exogènes ou internes. Nous assistons à une reprise portée par la consommation. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) L’INSEE table sur une nette remontée des marges des entreprises, favorisée en cela par les effets positifs du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. L’État lui-même voit la charge de sa dette allégée. Les conditions d’une accélération des réformes sont donc réunies.
À cet égard, les annonces en faveur de l’investissement faites par le Président de la République sont de bon augure. Le Premier ministre s’exprimera lui aussi sur ce sujet demain.
Il est également nécessaire, et tel est le mérite de ce texte, de redonner confiance tant aux entrepreneurs qu’aux salariés. Il faut en particulier leur donner de la prévisibilité et s’assurer que les décisions d’investissements publics et privés sont rapidement opérationnelles.
À cet égard, permettez-moi de répondre aux critiques qui sont faites sur toutes les travées de cet hémicycle sur l’habilitation à légiférer par ordonnance demandée par le Gouvernement au Parlement dans certains articles du projet de loi.
Je rappellerai tout d’abord que tous les gouvernements usent de cette faculté et qu’on ne saurait le leur reprocher. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je rappellerai ensuite, une bonne fois pour toutes, qu’une ordonnance n’est pas un simple arrêté administratif. L’habilitation à légiférer par ordonnance est encadrée par le Parlement. Les parlementaires peuvent être associés à l’élaboration des ordonnances – il appartient au rapporteur du texte et au président de demander cette association. Enfin, les ordonnances sont ratifiées par le Parlement. Ce dernier n’est donc en aucun cas dépossédé de sa capacité à légiférer.
Cela étant dit, même si nous appuyons sur la pédale « investissements », le problème de l’emploi demeure, cela a été souligné, notamment dans le secteur marchand. Une économie doit en effet marcher sur ses deux jambes : il faut à la fois réaliser un investissement productif dans les bons secteurs, c'est-à-dire investir dans nos capacités de production plus que dans le bâtiment et dans l’immobilier, et agir sur la création d’emplois dans le secteur marchand.
De ce point de vue, deux mesures ont été évoquées : le travail du dimanche et l’ouverture régulée de lignes d’autocars. Toutes les évaluations indépendantes conduites sous l’égide de France Stratégie ont montré que ces mesures avaient eu des effets positifs sur l’emploi à l’étranger.
Permettez-moi également d’insister sur le fil rouge de l’action gouvernementale et sur ce qui constitue à mes yeux une contribution essentielle du projet de loi à la reconnaissance du rôle des salariés et de leurs organisations syndicales dans l’entreprise. Force est de le constater, la commission spéciale n’est pas en phase avec cette volonté. Le texte qui est issu de ses travaux contient trop d’exemples de la défiance de la majorité sénatoriale à l’égard des salariés. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Caricature !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Allons ! Nous avons adopté 125 articles conformes !
Mme Nicole Bricq. Nous, socialistes, tenons au statut de salarié protégé du défenseur syndical dans la procédure prud’homale. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Nous, socialistes, tenons à la négociation pour l’ouverture des commerces le dimanche.
Nous, socialistes, sommes attachés au principe de la négociation des plans sociaux d’entreprise qui permet de responsabiliser les acteurs économiques.
Mme Éliane Assassi. Le conseil de prud’hommes !
Mme Nicole Bricq. Nous, socialistes, sommes favorables à la relance de l’actionnariat salarié et de l’épargne salariale. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP et du groupe CRC. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Nous, socialistes, sommes favorables à la dilution du capital si elle est nécessaire à une reprise de l’activité par une entreprise.
Mme Éliane Assassi. Cela s’appelle la méthode Coué !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le corapporteur, cette discussion nous donnera l’occasion, même si nous avons déjà eu ce débat en commission spéciale, de confronter notre vision de l’entreprise à la vôtre.
M. François Pillet, corapporteur. Vous regardez le chômage monter !
Mme Nicole Bricq. Notre vision de l’entreprise, c’est celle d’un bien collectif qui appartient autant aux salariés qui la font vivre qu’aux actionnaires, alors que, vous, vous en avez une conception purement patrimoniale. (Mais non ! au banc des commissions et sur plusieurs travées de l’UMP.) Nous y reviendrons.
Depuis le mois d’octobre dernier, la majorité sénatoriale siège du côté droit de cet hémicycle. J’ai bien écouté les interventions que, les uns et les autres, vous avez faites, mes chers collègues. Elles sont empreintes d’un paradoxe. Vous ne pouvez pas dans le même temps, et souvent par les mêmes voix, prétendre que vous n’êtes pas dans une opposition systématique au Gouvernement et affirmer votre volonté de réécrire totalement le présent texte. C’est tout de même contradictoire !
M. Henri de Raincourt. C’est pour aider le Gouvernement !
Mme Nicole Bricq. J’ai même entendu employer le terme « détricotage »…
Alors, je vous laisse à votre paradoxe, mais tous ceux qui s’intéressent à nos travaux – j’ose espérer qu’il s’en trouve quelques-uns,…
M. Bruno Retailleau. Ils sont nombreux !
Mme Nicole Bricq. … des observateurs attentifs de la vie politique – ne pourront que constater le contraste évident qu’il y a eu dans le travail de la commission spéciale entre le protectionnisme acharné dont elle a fait preuve (Protestations sur les travées de l'UMP.) à l’égard, notamment, des professions réglementées du droit, et, parallèlement, le très grand libéralisme qui l’a inspirée quand il s’est agi de rogner les droits des salariés et de leurs représentants syndicaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Je ne prendrai que deux exemples de votre démarche, puisque nous disposons de quinze jours pour revenir sur tous ces sujets.
Vous avez supprimé l’article visant à renforcer la présence des salariés – elle avait été portée à la majorité des deux tiers – dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement d’entreprise et vous êtes revenus au texte initial, c'est-à-dire à la moitié seulement. Il s’agit quand même de l’épargne salariale ; comme son nom l’indique, elle appartient aux salariés. Eh bien non, vous n’êtes pas d’accord avec le fait qu’on augmente la proportion des salariés dans ces conseils de surveillance.
Dans le cadre du travail du dimanche, en conditionnant l’ouverture dominicale à la décision unilatérale de l’employeur, approuvée par référendum par les salariés, à défaut d’accord collectif, vous faites un choix politique très fort. Cela signifie que vous niez les vertus du dialogue social et du compromis social. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Ce choix est contraire à toute l’action du Gouvernement, qui vise à renforcer le dialogue social et à permettre l’expression des salariés au travers de leurs représentants. C’est le sens du texte du ministre du travail qui vient d’être transmis aux partenaires sociaux et qui permettra, y compris dans les très petites entreprises, que cette représentation existe.
Cet immobilisme, associé à la non-reconnaissance des droits des salariés et de la négociation, est un très mauvais signal. Il ne ramène pas la confiance.
Il y a ceux qui disent que c’est trop et ceux qui estiment que ce n’est pas assez. En définitive, comme je l’ai déjà indiqué en commission, les vents contraires s’annulent et nous condamnent au blocage. Voilà ce qui apparaît au travers de vos interventions, mes chers collègues, alors que, vous le savez – les élections nous le rappellent d’année en année –, l’immobilisme politique nourrit le populisme. (Exclamations sur les travées de l'UMP et du CRC.)
Mme Éliane Assassi. Essayez de faire une politique de gauche !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. C’est vous l’immobiliste !
Mme Nicole Bricq. Je voudrais aussi que l’on évite les excès de langage.
Monsieur Capo-Canellas, vous avez déclaré ce matin que ce texte était une coquille vide.
M. Charles Revet. C’est pis que cela !
Mme Nicole Bricq. Prenant le même ton que vous, je pourrais vous rétorquer que j’y vois pour ma part une corne d’abondance. (Exclamations sur les travées de l'UMP et du groupe CRC.) Mais en quoi aurions-nous amélioré la situation de la France et des Français ? En rien du tout ! Donc, épargnons-nous ces polémiques et ces joutes verbales stériles ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Des polémiques, vous en avez fait beaucoup !
Mme Nicole Bricq. Je terminerai en vous disant que le groupe socialiste croit que notre pays est capable de mouvement. Il soutient le Gouvernement dans sa volonté de réforme. Il s’agit de dégager de bons compromis, utiles à la France, dans une économie de marché régulée et face au processus de mondialisation. C’est à cela que vous invite, mes chers collègues, le texte du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a été qualifié de « fourre-tout », de « catalogue de mesures », de « liste de courses » du Gouvernement : les adjectifs ne manquent pas dans la presse pour qualifier un texte volumineux, qui vise de très nombreux sujets, et dont la cohérence globale fait l’objet de questions. Mais qu’en est-il réellement ?
Monsieur le ministre, lors d’une audition, vous avez déclaré que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a trois origines principales : tout d’abord, les réformes amorcées par votre prédécesseur, Arnaud Montebourg, à Bercy, notamment sur les professions réglementées ; ensuite, les apports du ministère du travail ; enfin, vos propres réflexions, alimentées par votre participation à la commission Attali, au début du quinquennat précédent.
Ces trois inspirations partagent un point fondamental : une certaine approche de la société, un fil rouge, dont a parlé Mme Bricq, bien que l’adjectif « rouge » ne soit pas spécialement adapté à ce projet de loi… (Rires et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du CRC.)
Mme Éliane Assassi. « Rose » conviendrait mieux !
M. Jean Desessard. Cela étant, on reproche souvent aux textes dont nous débattons dans cet hémicycle d’être seulement des outils de gestion, des projets technocratiques. Il faut le reconnaître, ce n’est pas le cas de votre projet de loi, monsieur le ministre, qui esquisse une idéologie.
Ce texte repose sur une idée simple – je n’ai pas dit simpliste : notre pays dispose d’un potentiel de croissance inexploité et pour parvenir à libérer celui-ci, il nous faut supprimer un certain nombre d’obstacles normatifs.
Plusieurs domaines jugés « réformables » sont ainsi identifiés et constituent l’ossature du projet de loi : transports collectifs, professions réglementées, commerce, urbanisme, environnement, droit du travail. Vous les avez, monsieur le ministre, détaillés assez précisément.
Le but est de favoriser l’arrivée de nouveaux entrants sur des secteurs jusque-là protégés, afin que cette mise en concurrence crée de l’emploi, de la richesse, de la croissance.
Cette vision peut se comprendre, mais elle comporte une différence fondamentale avec celle des écologistes. Là où vous voyez des obstacles, monsieur le ministre, nous voyons des garanties, celles d’avoir un environnement sain, un cadre de vie agréable, du temps pour s’épanouir en dehors du travail et un accès à des services de même qualité pour tous.
Si le transport par autocar n’est pas aujourd’hui complètement libéralisé, c’est parce que la priorité a été donnée au ferroviaire, moins polluant. Si les notaires ne sont pas des commerçants comme les autres, c’est parce qu’ils assurent des missions de service public.
Mme Catherine Procaccia. Ce ne sont pas des commerçants !
M. Jean Desessard. Si le travail de nuit est très fortement limité, c’est parce qu’il a une incidence avérée sur l’espérance de vie.
Des ajustements doivent nécessairement être faits, mais il existe des garde-fous légitimes dont le projet de loi que nous examinons prévoit de s’affranchir.
Cette volonté de libéralisation est renforcée par la majorité sénatoriale pour ce qui concerne certaines parties du texte. On peut toujours compter sur vous, chers collègues qui siégez sur la droite de l’hémicycle, lorsqu’on commence à lever un frein, pour encourager la démarche…
M. Bruno Sido. Oui, en effet !
M. Jean Desessard. Et, vous l’avez d'ailleurs dit, vous assumez parfaitement ! La majorité sénatoriale a ainsi adopté en commission une série d’amendements, visant notamment le travail du dimanche, et qui vont encore plus loin que la version votée à l’Assemblée nationale.
Le texte contient un nombre important de demandes pour légiférer par ordonnances. Cette manière de réformer est discutable, surtout lorsque ces ordonnances concernent des sujets aussi importants que le droit de l’environnement ou des grands travaux comme le canal Seine-Nord ou la liaison Charles-de-Gaulle Express. Le Parlement est ainsi prié de laisser toute latitude au Gouvernement pour agir dans ces domaines, ce qui traduit une conception de son rôle que nous ne partageons pas.
Dans son contenu, le projet de loi aborde en premier la question des transports terrestres, principalement l’ouverture à la concurrence des lignes d’autocars.
Il faut conduire un débat intéressant – nous l’avons fait au sein de mon groupe – sur la place de l’autocar dans nos modes de déplacement, monsieur le ministre, et ce n’est pas si simple que cela.
Votre objectif est que cinq millions de voyageurs utilisent l’autocar d’ici à un an. Cette mesure est supposée créer 10 000 emplois et permettre des voyages plus aisés sur des trajets qui ne sont pas desservis par le train. Mais quelle réflexion avons-nous, aujourd'hui, sur l’aménagement du territoire ? Les acteurs privés qui assureront ces services n’ont que faire de l’aménagement du territoire ; ils s’installeront là où c’est rentable, ce qui ne résoudra pas l’isolement de certains territoires. Il faut toutefois noter qu’une amélioration sensible a été introduite par la commission spéciale : le doublement de la limite kilométrique de déclaration. Ainsi, les régions continueront à assurer leur rôle d’organisatrice des transports.
Pour nous, le risque est que les autocars ne deviennent les moyens de transport sur moyenne et longue distance les plus utilisés par les personnes les moins aisées, créant ainsi des déplacements à deux vitesses : les riches se déplaceraient en train et par avion, tandis que les pauvres le feraient par autocar. Et cette situation existe déjà. On peut le constater, ce sont essentiellement des jeunes qui utilisent les TER en provenance de Lyon le dimanche soir, parce que le TGV est trop cher.
Il y a donc aujourd'hui une réflexion importante à mener sur les rôles respectifs de l’autocar et du train, de façon que ces modes de transport soient complémentaires. Cela n’apparaît pas clairement, monsieur le ministre, même si, je le sais, vous avez envie de soulever cette question, dont nous sommes prêts à débattre avec vous au cours des quinze jours qui viennent.
En revanche, toujours dans le domaine des transports, l’introduction par amendement à l’Assemblée nationale de deux grands projets coûteux et douteux réalisés par ordonnance – le canal Seine-Nord et le Charles-de-Gaulle Express – n’est pas acceptable. Ces deux projets méritent à eux seuls un débat parlementaire complet…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Charles Revet. C’est toute la limite des ordonnances !
M. Jean Desessard. … et les écologistes en demandent le retrait du texte.
Pour ce qui concerne le permis de conduire, le projet de loi prévoit des avancées : en supprimant la durée minimale de vingt heures de conduite avant le passage de l’examen, en ouvrant la possibilité d’établir des contrats avec des auto-écoles en ligne et en interdisant la facturation de frais excessifs par les auto-écoles pour la présentation à l’examen, il permet de raccourcir les délais et de réduire le poids financier du permis.
En revanche, monsieur le ministre, nous ne souscrivons pas à votre projet relatif aux professions réglementées. Vous proposez de considérer les notaires et les avocats aux conseils comme des commerçants qui doivent être soumis à la concurrence comme toute profession. Or ces professionnels assurent avant tout un service public, le même pour tous. Les notaires sont assermentés et leurs actes sont obligatoires pour un grand nombre d’opérations. Ils assurent aussi, et ce n’est pas connu, une mission de lutte contre la fraude, avec près de 1 000 déclarations par an auprès de TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins –, ce qui n’est pas rien. Un office notarial n’est donc pas un magasin soumis à une logique de marché.
La création d’entreprises interprofessionnelles donne lieu à une confusion des genres dangereuse, notamment entre les professions du droit et du chiffre. Les États-Unis ont démantelé les grands cabinets multiprofessionnels après des scandales comme l’affaire Enron. Quinze ans plus tard, vous nous proposez de refaire les mêmes erreurs en France.
Quant au fameux article 28 relatif aux ordonnances concernant le droit de l’environnement, le texte initial prévoyait une large habilitation à légiférer par ordonnance pour simplifier les règles d’urbanisme. Je n’entrerai pas dans le détail faute de temps, mais, là encore, le droit à l’environnement est perçu comme un frein à la croissance, alors que les écologistes le considèrent au contraire comme un garant de la qualité de vie et du respect de l’environnement.
Heureusement, la commission spéciale du Sénat a largement limité la portée de l’article susvisé aux seuls projets touristiques. Pour notre part, vous le comprendrez, nous demanderons néanmoins la suppression de cette disposition.
L’article 29 envoie un message catastrophique aux acteurs de la construction : « Privilégiez le passage en force, car une fois la construction réalisée, plus personne ne pourra s’y opposer. » En empêchant la démolition, hormis dans certains cas précis comme les constructions sans permis et les projets dans des zones sensibles, cet article constitue une attaque directe contre l’environnement. Nous nous y opposerons.
Viennent ensuite un certain nombre de privatisations qui ne disent pas leur nom. Il s’agit de Nexter, du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, des sociétés de projet dans le domaine de la défense, et des aéroports de Nice et de Lyon. Les écologistes s’opposent à ces privatisations injustifiées, qui traduisent une volonté de recherche de capitaux à court terme – on peut certes la comprendre –, sans aucune vision d’investissement et de planification. Il s’agit là d’un énième recul de l’État planificateur, auquel nous n’apporterons pas notre soutien.
M. Henri de Raincourt. Cela fait de la peine !
M. Bruno Sido. Pas d’entrée au Gouvernement !
M. Jean Desessard. L’article 64, qui prévoit un rapport annuel d’information sur les retraites chapeaux, et l’article 64 bis, qui encadre celles des mandataires sociaux dirigeants, vont dans le bon sens. Nous y sommes favorables.
À partir de l’article 71, le projet de loi aborde une autre dérégulation, celle du droit du travail. Il est prévu d’augmenter le nombre de « dimanches du maire » et de le porter de cinq à douze, de créer des zones internationales dans lesquelles les règles relatives au travail de nuit et dominical seront simplifiées, de réformer la justice prud’homale et d’adapter les conditions d’embauche des travailleurs handicapés.
Il y a là un raisonnement qui m’échappe. Comment peut-on considérer qu’ouvrir les magasins le dimanche ou le soir créera de la croissance et de l’emploi ? Un bien acheté le dimanche ne sera pas acheté en semaine, sauf dans quelques zones marginales. C’est simplement un autre rythme de consommation que vous nous proposez : acheter 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, « non-stop », sans espace préservé pour soi ou ses proches.
Le dimanche est un jour collectivement et culturellement accepté comme chômé. En brisant cette règle, cette convention, c’est l’individualisme qui progresse et certainement pas le bien-être collectif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Quant au travail de nuit, les risques qu’il fait encourir sont connus : désadaptation et isolement social, professionnel et/ou familial, probabilité plus élevée de cancers, notamment du sein et colorectal. Je n’invente pas ces effets, ils sont écrits en toutes lettres sur le site du ministère du travail !
Si le Gouvernement est prêt à mettre en place ces rythmes de travail, tout en étant parfaitement conscient des risques pour les travailleurs, cela se fera sans l’assentiment des écologistes. Il faut reconnaître que, sur ce point, vous avez décidé d’en rajouter ! Vous comprendrez que, comme le disait Mme Bricq, nous n’allions pas dans votre sens.
En conclusion, vous le savez, monsieur le ministre, les députés écologistes ont majoritairement voté contre votre projet de loi. Je pense que vous avez compris le sens de l’analyse que fait mon groupe au Sénat de votre texte. Néanmoins, nous resterons pragmatiques, une qualité que vous appréciez. En fonction des amendements qui seront adoptés et du texte issu des travaux de notre assemblée, nous vous réserverons peut-être la surprise d’un vote positif. (Exclamations sur diverses travées.)