4

Nouveaux indicateurs de richesse

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. (proposition n° 269, texte de la commission n° 363, rapport n° 362).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques
Article unique (début)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’un texte qui a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Or c’est bien l’esprit de cette proposition de loi, je pense, que de chercher le rassemblement.

Ce texte qui vous est proposé comporte, à mon sens, deux objectifs principaux.

Le premier objectif consiste à mieux mesurer le quotidien des Françaises et des Français, afin de mieux orienter les politiques publiques. On critique beaucoup, à cet égard, l’utilisation du produit intérieur brut, ce PIB qui est devenu l’étalon de l’activité économique, et donc l’indicateur phare pour la prise de décision. Il serait vain, me semble-t-il, de vouloir remplacer le produit intérieur brut par un nouvel indice synthétique, ce qui n’est d’ailleurs pas l’objet de cette proposition de loi. Il s’agit plutôt de compléter le PIB pour mieux éclairer tel ou tel aspect de la société pour lequel des réponses doivent être apportées ; cela me semble particulièrement utile.

L’exemple le plus récent qui me vient à l’esprit est celui de la jeunesse. La création d’un indicateur spécifique sur les jeunes, les « NEET », c’est-à-dire les jeunes de moins de vingt-cinq ans qui ne sont ni en éducation, ni en formation, ni dans l’emploi, a permis de mieux appréhender cette population très particulière, qui représentait plus de 18 % des jeunes en 2013, parmi les pays de l’OCDE.

Des politiques publiques spécifiques pour tenter de s’attaquer à ce phénomène ont été mises en œuvre. Je pense notamment à la « garantie jeunes », que nous avons d’ailleurs souhaité renforcer en France, pour donner toutes ses chances à la jeunesse.

On voit donc que le fait de mesurer peut avoir des conséquences importantes sur l’action publique. Cela ne vaut cependant que si l’on donne suffisamment de poids à ces indicateurs pour qu’ils entrent dans le débat national ; la présente proposition de loi, visant à en débattre au moins une fois par an au sein du Parlement, me semble utile et raisonnable.

Que faut-il mesurer ? À quelle fréquence ? Combien d’indicateurs faut-il ? Autant de questions légitimes, méritant à mon sens que l’on prenne le temps de la concertation, sous une forme à préciser. Il faudra toutefois veiller à être à la fois complet et concis dans le choix des mesures à mettre en avant, sans quoi on oublierait l’essentiel, qui est de donner du sens à cette démarche.

Le second objectif de cette proposition de loi est de remettre le long terme au cœur des politiques publiques. C’est, à mon sens, un facteur clé pour construire une croissance de qualité, c’est-à-dire qui soit assise sur des bases solides afin de produire des gains durables.

Retrouver une croissance solide et durable, telle est la priorité du Gouvernement.

Lorsque nous misons sur l’éducation en créant 60 000 postes et en favorisant l’accès à la formation professionnelle via le compte personnel de formation, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.

Lorsque nous portons une loi sur la transition énergétique et que nous nous investissons pleinement pour la réussite de la conférence sur le climat de cette fin d’année, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.

Lorsque nous réduisons les déficits, en veillant à ce que le rythme de réduction ne compromette pas la croissance, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.

Le présent texte vient donc conforter notre ambition, qui est de donner à chacun un cadre de vie meilleur, sur le court terme comme sur le long terme. Le Gouvernement s’associe donc pleinement à la démarche engagée par ce texte. J’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous saurons dépasser nos différences pour nous rassembler autour de cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 29 janvier dernier, sur l’initiative d'Eva Sas et de plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.

Cette proposition de loi a été élaborée à la suite du dépôt, également sur l’initiative du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi organique portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse. Toutefois, cette dernière proposition avait été retirée par ses auteurs, le recours à un texte de nature organique ayant été jugé peu opportun par nos collègues députés.

Quoi qu’il en soit, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à ce que le Gouvernement remette annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport « présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable ». De même, elle prévoit une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces nouveaux indicateurs de richesse. Enfin, la proposition de loi dispose que « ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement ».

Force est de constater que la proposition de loi répond à une véritable préoccupation. En effet, elle tend à ce que soient pris en compte de nouveaux indicateurs de richesse venant compléter, sans le remplacer, le produit intérieur brut, dont les limites sont connues de tous.

Le PIB constitue indéniablement une mesure utile de l’évolution des performances économiques, M. le secrétaire d’État vient de le rappeler à l’instant, puisqu’elle n’est pas sans lien avec le bien-être des individus, dès lors qu’elle influe, par exemple, sur le niveau de chômage et qu’elle permet aux autorités publiques d’adapter leurs politiques en conséquence.

Pour autant, cet indicateur ne permet pas d’appréhender la « qualité » de la croissance, ou encore sa « soutenabilité ». En particulier, en application du principe d’« objectivation » des comptes, le PIB ne distingue pas les activités ayant une incidence positive et celles dont l’effet sur le bien-être des individus est négatif. À titre d’exemple, le trafic de stupéfiants est comptabilisé comme toute autre activité de nature commerciale…

Cette « limite » du PIB a été perçue dès l’origine, notamment par l’économiste Simon Kuznets, qui est considéré comme le père de la comptabilité nationale.

Dans ces conditions, de nombreuses initiatives se sont succédé pour étendre ou compléter le PIB, dont je ne citerai que les principales : l’indice de développement humain, l’IDH, développé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, au début des années quatre-vingt-dix ; la mesure du bien-être économique, conçue par deux célèbres économistes américains, William D. Nordhaus et James Tobin, au cours des années soixante-dix ; l’indicateur de santé sociale, l’ISS, ou encore l’empreinte écologique.

À quelques exceptions près, les indicateurs de richesse apparus dans la seconde moitié du XXsiècle n’ont connu qu’un succès limité, conservant une visibilité bien moindre que le PIB. Néanmoins, la crise économique et financière a remis à l’ordre du jour les interrogations sur la finalité de la croissance, relançant, par la même occasion, les réflexions relatives aux nouveaux indicateurs de richesse.

À cet égard, il convient de citer les initiatives prises par les organisations internationales et européennes. Ainsi, quelques mois avant la crise, soit en juin 2007, l’OCDE organisait un forum mondial intitulé « Mesurer et favoriser le progrès des sociétés ». La déclaration d’Istanbul qui en a résulté a relevé « un consensus émergeant sur la nécessité de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays, allant au-delà des mesures économiques conventionnelles comme le PIB par tête », ses signataires appelant à ce que des mesures concrètes soient prises afin de favoriser le développement et la diffusion de mesures nouvelles du « progrès social ».

Continuant dans cette voie, l’OCDE a engagé, sur le fondement des travaux menés dans le cadre de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy et conduite par Joseph Stiglitz, l’initiative « Vivre mieux ».

En 2009, la Commission européenne a, de son côté, publié une communication ayant pour titre Le PIB et au-delà. Mesurer le progrès dans un monde en mutation, dans laquelle elle identifie cinq actions à réaliser à court et moyen terme, tendant notamment à l’ajout d’indicateurs environnementaux et sociaux au PIB, à une précision accrue des rapports sur la distribution et les inégalités et au développement d’un tableau de bord européen du développement durable.

À ces initiatives internationales et européennes s’ajoutent les mesures prises au niveau national. À ce titre, je souhaiterais citer l’exemple britannique. L’institut de statistiques du Royaume-Uni a lancé, à la fin de l’année 2010, un « programme de mesure du bien-être national » qui a débuté par un vaste débat à l’échelle du pays, faisant appel à des experts et à des contributions citoyennes : 30 000 réponses ont alors été récoltées. Dans ce cadre, des indicateurs du bien-être ont été identifiés et font, depuis lors, l’objet d’une attention accrue dans les analyses de l’institut de statistiques.

La France est, sans aucun doute, l’un des pays où les travaux menés sur les nouveaux indicateurs de richesse ont été les plus nombreux au cours des années récentes.

Ainsi, en 2005, le Conseil national de l’information statistique, le CNIS, a mis en place un groupe de travail sur le niveau de vie et les inégalités sociales, dont les conclusions accordent une large place aux indicateurs sociaux.

De même, saisi par le Premier ministre du projet de stratégie nationale de développement durable pour la période 2009-2013, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis en novembre 2009, présenté par Philippe Le Clézio, considérant que la diffusion régulière d’indicateurs de développement durable constituait la voie privilégiée de l’appropriation de cette stratégie.

Comme je l’indiquais, une commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social a été mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy ; conduite par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, cette commission a rendu son rapport en septembre 2009. Ses conclusions ont eu une influence déterminante sur les travaux relatifs aux nouveaux indicateurs de richesse menés par les organisations internationales, mais aussi par l’INSEE et le Commissariat général au développement durable.

S’inspirant également du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, l’Association des régions de France a créé, en 2012, trois déclinaisons régionales d’indicateurs de richesse jusqu’alors réservés aux États – l’indice de développement humain, l’indicateur de santé sociale et l’empreinte écologique –, de même que vingt-deux indicateurs de contexte de développement durable.

En outre, dans son rapport Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie, rendu public en juin 2014, France Stratégie appelle à « associer au PIB un petit nombre d’indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l’objet d’un suivi annuel ». En septembre 2014, France Stratégie a publié une note d’analyse dans laquelle elle propose sept indicateurs susceptibles d’accompagner le PIB dans un tableau de bord de la qualité de la croissance française.

Plus récemment, sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental, et en collaboration avec France Stratégie, des travaux ont été engagés afin de développer un tableau de bord d’indicateurs venant compléter le PIB. Ces travaux sont encore en cours et devraient s’achever, après la consultation d’experts et de panels de citoyens, au mois de septembre de cette année.

Il apparaît donc que les nouveaux indicateurs de richesse ne manquent pas. Toutefois, ces derniers ont pour principale faiblesse de présenter une visibilité limitée et ne sont, par conséquent, pas en mesure de « modifier » la perception qu’ont les acteurs publics et les citoyens des politiques qui sont menées. Aussi la finalité de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est-elle de renforcer la saillance de ces nouveaux indicateurs de richesse et de prévoir que ces derniers soient régulièrement actualisés et suivis.

Ces nouveaux indicateurs de richesse permettraient de compléter utilement le PIB, dont j’ai rappelé brièvement les lacunes. Néanmoins, en ma qualité de rapporteur, j’ai identifié différents éléments susceptibles, selon moi, de limiter l’efficacité de la proposition de loi. Je pense notamment à la date de transmission au Parlement du rapport relatif aux nouveaux indicateurs de richesse, ou encore à la nécessité de préciser que les indicateurs qui seront retenus dans ce cadre devront reposer sur des données objectives et quantifiables.

Dans ces conditions, j’avais initialement proposé un amendement tendant à modifier la rédaction du dispositif de la présente proposition de loi. Néanmoins, en raison des contraintes inhérentes à l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale des textes déposés sur l’initiative des groupes d’opposition et des groupes minoritaires, j’ai retiré cet amendement lors de l’examen en commission, afin de ne pas retarder plus que de raison l’adoption définitive de la proposition de loi et ai proposé une adoption conforme du texte, recommandation qui a été suivie par la commission des finances. (Bravo ! sur les travées du groupe écologiste.)

Aussi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs décennies, le produit intérieur brut constitue l’un de nos principaux repères de pilotage des politiques publiques.

Indicateur central de la comptabilité nationale, le PIB exerce une influence déterminante sur nos politiques publiques. C’est en effet en fonction de cet indicateur de notre performance économique que nos budgets, notre déficit, notre dette sont calculés et que bien des décisions sont prises.

Cet outil, qui se voulait être un instrument de mesure pour nous permettre de mieux appréhender les évolutions de notre croissance économique, constitue aujourd’hui le critère déterminant pour juger de l’efficacité des politiques publiques et donc de l’action menée par un gouvernement.

Toutefois, la situation de crises à laquelle nous devons aujourd’hui faire face interroge cet indicateur, qui n’a assurément pas permis de nous alerter sur les dangers sociaux, économiques et environnementaux qui s’annonçaient. D’autres indicateurs s’en sont chargés, fort heureusement...

Ainsi, le PIB présente un bon nombre de limites, en ce qu’il n’appréhende que de manière quantitative la performance de notre activité économique, sans en mesurer la soutenabilité et les effets qualitatifs, d’un point de vue social, mais aussi environnemental.

Le développement d’une société ne peut plus se résumer au seul développement économique, même si ce dernier reste primordial pour assurer le bien-être !

Le PIB ne permet d’analyser ni les inégalités croissantes dans la répartition des richesses créées ni l’épuisement des ressources naturelles nécessaires à leur production. En effet, cet indicateur ne distingue pas les activités qui ont une incidence positive de celles qui ont un impact négatif sur le bien-être individuel et collectif des êtres humains. Il comptabilise même positivement des catastrophes naturelles, qui, bien qu’à la source de pertes matérielles voire humaines, font croître le PIB du fait des réparations des dégâts qu’elles engendrent !

De nombreux travaux ont déjà été consacrés aux limites de cet indicateur de notre modèle économique et social. À ce titre, les Nations unies et l’OCDE ont travaillé à de nouveaux instruments de mesure, le plus connu étant l’indice de développement humain, l’IDH.

Les conclusions de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dite « commission Stiglitz », réunie par M. Sarkozy lorsqu’il était Président de la République, sont également venues conforter l’idée d’une remise en cause du PIB et la nécessité d’élaborer de nouveaux indicateurs de développement humain durable.

En France, Dominique Méda, Patrick Viveret ou encore Florence Jany-Catrice ont contribué à enrichir ces travaux avec, notamment, l’indice de santé sociale et l’empreinte écologique.

Si ces indicateurs sont utilisés par l’INSEE ou encore par le Commissariat général au plan, leur rôle reste secondaire dans l’évaluation des politiques publiques.

Aussi les sénateurs du RDSE souscrivent-ils à la philosophie qui sous-tend cette proposition de loi : cette dernière constitue un début de réflexion – et de réponse - sur un vrai sujet.

L’article unique du présent texte indique que, chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant « l’évolution, sur les années passées de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable », ainsi qu’une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces indicateurs.

Nous sommes toujours très réservés quant à l’efficacité des demandes de rapport, surtout que ces derniers tardent à arriver jusqu’au Parlement...

Il est nécessaire de ne plus évaluer nos politiques publiques au seul prisme quantitatif et d’affiner nos outils statistiques.

De plus, il devient urgent d’appréhender nos politiques à l’aune de véritables objectifs : la création d’emplois, la qualité de vie, la réduction des inégalités et la protection de l’environnement. Il s’agit, par là même, de rendre tout son sens à l’action politique. C’était d’ailleurs l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Il faut poursuivre le travail engagé. L’examen de cette proposition de loi nous en offre l’occasion. Qui plus est, le présent texte nous permet d’ouvrir un plus large débat démocratique sur ces nouveaux indicateurs à mettre au point, dont la liste reste ouverte.

Ces indicateurs devront témoigner de notre capacité collective à passer de la société du « beaucoup d’avoir pour quelques-uns », à une société du « bien vivre pour tous, ensemble, dans un environnement préservé et partagé ». Toutefois, ne cédons pas pour autant aux sirènes de la décroissance. Sans croissance économique, nous n’aurons qu’une seule issue : le déclin et la paupérisation !

Mes chers collègues, en découvrant cette proposition de loi, nous étions très réservés – d’ailleurs, je vous l’avoue, quand j’ai lu ce texte, je n’y ai rien compris ! (Sourires.) Il a fallu le rapport de la commission des finances pour m’éclairer. À l’origine, je craignais qu’au PIB l’on n’ajoute des indices de croissance relevant – passez-moi l’expression – de la philosophie bobo, des petits oiseaux, et j’en passe… (Protestations amusées sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jean-Claude Requier. En fait, tel n’est pas tout à fait le cas. Les membres du RDSE ont été convaincus…

M. Jean Desessard. Oh là là !

M. Jean-Claude Requier. … par le travail de la commission et par M. le rapporteur.

Même si, à l’instar de M. Lefèvre, nous émettons des réserves quant à la pertinence du choix consistant à associer l’examen éventuel de ce rapport au seul débat budgétaire, nous apporterons notre soutien à cette proposition de loi du groupe écologiste ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à la financiarisation de l’économie à laquelle nous sommes confrontés, cette proposition de loi du groupe écologiste me semble positive.

M. Roger Karoutchi. Eh bien… !

M. David Rachline. Il s’agit d’assurer une meilleure prise en compte des réalités sociale, environnementale et écologique dans le calcul de nos hypothèses de croissance et de nos performances économiques, ce afin de prendre également en compte les indicateurs de l’économie réelle.

Prenons l’exemple des questions environnementales. La financiarisation de l’économie et la mondialisation sont très loin d’être propices à l’écologie. Elles privilégient le jetable sur le durable, la mainmise du financier sur la sphère économique et ne permettent pas de financer de réels projets de développement durable. (Marques d’étonnement amusé sur les travées du groupe écologiste.)

Dès lors, l’idée d’engager une réflexion sur nos indicateurs économiques est tout à fait de bon aloi. Déjà, en 2012, les régions se sont dotées de nouveaux indicateurs pour piloter le développement de leur territoire. Il est grand temps de leur emboîter le pas.

Il faut améliorer notre vision en puisant, au-delà des indicateurs classiques, dans de nouveaux indicateurs innovants, qui s’attachent à mesurer la qualité de vie réelle de nos concitoyens.

Indicateur central qui irrigue l’ensemble de nos réflexions, le PIB impose en effet une vision beaucoup trop quantitative de l’activité économique. Ses limites sont bien connues.

Indicateur global, le PIB est incapable d’expliquer l’accroissement concomitant des inégalités et de la richesse.

Indicateur de valeur ajoutée, le PIB ignore les aspects négatifs d’une catastrophe naturelle, laquelle est susceptible de créer de la richesse par les « réparations » qu’elle induit – cela a été rappelé à l’instant.

Indicateur quantitatif, le PIB ne tient pas compte de la qualité de la richesse produite.

Indicateur de court terme, le PIB ne prend pas en considération l’environnement, le bien-être des populations et l’évolution des ressources.

Par ailleurs, le PIB ne tient pas compte de l’économie informelle, qu’il s’agisse, par exemple, du bénévolat ou du travail des mères au foyer, auxquelles il faut désormais ajouter les pères au foyer.

M. David Rachline. Je ne nie pas leur existence, chère collègue !

Chacun est aujourd’hui conscient des limites et des contradictions du PIB comme principal indicateur de mesure de la richesse, tant dans ses hypothèses que dans son mode de construction.

Je note que cette proposition de loi ne définit pas les nouveaux indicateurs. C’est un point positif, dans la mesure où ces derniers sont très nombreux : il eût été réducteur de les définir a priori. (M. André Gattolin opine.)

Je souligne l’ampleur du débat proposé, de manière pourtant non systématique. En effet, si ces indicateurs, fussent-ils nouveaux, sont biaisés, tout cela perd de son intérêt. Un véritable travail doit être mené en la matière.

Ainsi, nous souhaitons l’instauration d’indicateurs d’inflation distincts selon les tranches de revenus, par exemple tous les déciles. Ce faisant, l’on pourra constater clairement que l’inflation est beaucoup plus forte pour les bas revenus que pour les hauts revenus, car le prix des produits achetés par les plus modestes augmente beaucoup plus vite que le coût du panier moyen d’une personne aisée. C’est évident, mais cela va mieux en le disant !

Cette méthode nous permettrait de disposer d’une véritable vision de l’évolution du pouvoir d’achat par tranche de revenus, ce qui serait éminemment intéressant et révélateur de la politique catastrophique menée depuis de trop nombreuses années par les gouvernements successifs, et en particulier par le parti socialiste, pourtant censé défendre les plus fragiles.

En revanche, je regrette que nous ne trouvions pas la possibilité de concrétiser ces questions ailleurs que dans un énième rapport, qui risque de s’ajouter à la pile des études, hélas, condamnées à l’oubli

Toutefois, même si, pour l’heure, nous en restons au stade du symbole, la réflexion est engagée. À mon sens, il s’agit là d’une voie dans laquelle il faut poursuivre.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le produit intérieur brut exerce une forme d’hégémonie parmi nos indicateurs économiques. En effet, il suffit de consulter le projet de loi de finances pour constater que, parmi les indicateurs du fameux « carré magique », seul le PIB permet de construire les projections en matière de recettes fiscales et de dépenses budgétaires. Ni le taux de chômage ni le déficit commercial ne sont utilisés. Quant au taux d’inflation, son rôle demeure secondaire par rapport à la prééminence du PIB.

Nous connaissons pourtant les limites de cet indicateur. Il s’agit du problème classique des imputations : une fenêtre brisée, bien qu’elle inflige une perte de bien-être à un agent économique, constitue une source d’activité et donc de stimulation de la croissance du PIB.

Si l’on élargit ce problème, force est de constater que le PIB repose en partie sur des éléments de la production qui peuvent se révéler périlleux, à long terme, pour le bien-être des populations. Ainsi, la soutenabilité environnementale de l’activité économique à long terme ne permet pas de déflater le PIB de ses implications pondérées à court ou moyen terme.

Prenons un exemple : les pics de pollution aux particules fines qui ont récemment affecté les grandes villes de France, notamment Paris, présentent un risque sanitaire majeur qui pourrait se traduire, dans quelques décennies, par de lourdes dépenses sociales du fait des maladies respiratoires qu’ils sont susceptibles d’entraîner. Toutefois, ces pics de pollution dénotent un afflux de circulation et de consommation de carburant qui stimule à court terme l’activité économique.

Nous le voyons clairement : face à une telle situation, le PIB est bien inadapté pour éclairer la prise de décision publique.

L’autre écueil du PIB tient à la prise en compte de l’apport de la dépense publique à la richesse nationale. En effet, la dépense publique est appréhendée sous un angle purement comptable, où l’on considère qu’elle ne rapporte finalement que ce qu’elle coûte.

En conséquence, les externalités positives liées à la dépense publique ne sont pas prises en compte : on ne mesure pas annuellement l’apport de l’éducation nationale ou de nos infrastructures au flux de production de la richesse nationale. Autrement dit, ni le bénéfice individuel de l’effort collectif de financement des biens publics ni l’impact de celui-ci sur la production privée ne sont mesurés.

J’ajoute que le taux de croissance du PIB représente un flux sans vision patrimoniale d’ensemble.

Cet inventaire à la Prévert des carences du PIB conduirait à nous faire perdre confiance dans un indicateur qui reste pourtant, à l’heure actuelle, la donnée la plus communément produite par les pays du globe. Le PIB a beau être imparfait, il a le mérite d’exister et d’avoir été adopté par l’ensemble de la communauté économique et par tous les gouvernements.

Les limites de cet indicateur sont bien connues. La crise économique que nous traversons nous les a une nouvelle fois rappelées. C’est pour cette raison que Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, avait institué une commission de travail présidée par le prix Nobel Joseph Stiglitz et chargée de réfléchir à l’évolution des indicateurs économiques, en particulier du PIB.

La présente proposition de loi s’inscrit dans cette filiation. Aussi, je salue l’initiative du groupe écologiste qui a permis la tenue, aujourd’hui, de ce débat en séance publique.

Le présent texte prévoit la remise d’un rapport, concomitant au dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, dressant un tableau de bord formé d’indicateurs économiques alternatifs.

À cet égard, cette proposition de loi a le mérite de trancher entre une réforme du PIB que nous serions les seuls à mener et la volonté d’avoir une vision un peu plus globale, à travers un faisceau d’indicateurs économiques.

Toutefois, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la pertinence d’une action par voie législative qui, au total, se limiterait à une demande de rapport au Gouvernement. En effet, la loi organique relative aux lois de finances dispose que le Gouvernement est tenu d’adresser un certain nombre de rapports au Parlement en les annexant au projet de loi de finances initiale. Le Gouvernement a donc toute latitude pour adresser ces données aux assemblées par ce canal déjà existant et bien identifié.

Enfin, quel usage pourrait-on faire de ce tableau de bord ?

La compilation de données alternatives au PIB, comme l’indice de développement humain, l’empreinte écologique ou encore la mesure du bien-être économique proposée dans les années soixante-dix par Nordhaus et Tobin, ne nous offrirait pas une information suffisante quant à la soutenabilité sociale et environnementale de l’activité économique nationale.

En effet, on ne pourrait au mieux qu’observer d’éventuels liens de corrélation entre ces indicateurs. Ces critères suffiraient-ils à orienter nos politiques publiques et donc à fixer les orientations définies par le Gouvernement lorsqu’il élabore le projet de loi de finances ? Il me semble malheureusement que la réponse est non. Nos politiques publiques resteront principalement construites sur le PIB, car seule cette donnée économique nous permet d’évaluer les voies et moyens de l’action des pouvoirs publics.

Monsieur le secrétaire d’État, cette intervention me permet de vous faire cette suggestion : peut-être faudrait-il, à moyen terme, inviter le Gouvernement à engager une réflexion au sujet d’une éventuelle réforme des modalités de calcul du PIB,…