M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé, en novembre 2014, un « élargissement » du service civique pour aboutir finalement, à la fin du mois de janvier, à la suite des dramatiques attentats, à l’idée d’« un service civique universel » afin de répondre au souhait de renforcer l’éducation à la citoyenneté.
Entre ces deux annonces, beaucoup de questions se posent. Ce service sera-t-il fondé sur le volontariat ou sera-t-il obligatoire ? Quelle sera sa durée ? À partir de quel âge s’appliquera-t-il ? Et surtout, quelle sera son utilité ?
Tout d’abord, faire évoluer ou compléter le dispositif ne peut s’envisager sans évaluer le service civique tel qu’il est aujourd’hui mis en œuvre, et ce dans tous ses aspects.
À propos de la perception qu’ont les jeunes du dispositif actuel, ma collègue Éliane Assassi a fait référence au sondage TNS-SOFRES de juillet 2014. S’il en ressort que de nombreux jeunes affirment avoir acquis une ouverture au monde, de la confiance en eux et envers les autres, et donc se sentent des citoyens plus actifs et plus impliqués, il n’en demeure pas moins que cette perception diffère en fonction du niveau d’études. Si les jeunes diplômés en recherche d’emploi abordent le service civique comme un tremplin ou comme une nouvelle expérience professionnelle, le constat est beaucoup plus nuancé pour les jeunes les moins diplômés, ce qui est en contradiction avec l’objectif initial du service civique.
Concernant l’analyse des structures d’accueil – associations, collectivités et services publics –, il apparaît que de nombreux jeunes ayant effectué un service civique au sein d’une association s’engagent et s’impliquent par la suite au sein même de l’association. Le service civique peut même déboucher sur un emploi dans la structure d’accueil.
De nombreuses associations estiment cependant qu’une durée minimum s’impose pour que les objectifs du service civique puissent être atteints. Une durée de six mois est souvent avancée, ce qui signifie que deux à trois mois seraient inappropriés. En outre, si l’encadrement n’est pas suffisant et si le jeune est peu autonome, le service civique peut conduire à un sentiment de déshérence et d’abandon.
Il apparaît également, et cela est confirmé par le rapport de la Cour des comptes de février 2014, que certains jeunes ont une mauvaise perception du service civique, assimilé à un contrat d’insertion parmi d’autres, pour faire face au chômage. En conséquence, ces jeunes peuvent exprimer un sentiment de déception quant aux bénéfices retirés de leur engagement. Ce constat vise particulièrement les moins formés d’entre eux.
Certaines structures sont d’ailleurs réticentes à accueillir des jeunes peu qualifiés, car cela nécessite un encadrement renforcé. On relève, par exemple, une faible mobilisation des collectivités territoriales en matière d’accueil de jeunes en service civique. Certaines collectivités méconnaissent même ce type de contrat.
Au moment où est envisagé un élargissement notable de l’accès au service civique, et si l’ambition est de faire du service civique un service universel, nous devons nous donner les moyens de cette ambition et réfléchir à un projet de qualité, vecteur de réussite pour les jeunes. Voilà pourquoi le dispositif doit être nettement amélioré.
La finalité première du service civique doit consister à valoriser l’adéquation entre le projet des jeunes et la mission proposée. Cette construction avec et par les jeunes d’un véritable parcours est déterminante dans la réussite du service civique, particulièrement pour celles et ceux qui sont les plus en difficulté. Or cette nécessaire construction, cette recherche d’adéquation pourraient être mises à mal dans le cadre de l’élargissement du dispositif tel qu’envisagé.
Diminuer sa durée à trois mois risquerait également de favoriser l’assimilation du service civique à un simple stage de découverte, ce qui entraînerait de la part des jeunes une implication moindre et exigerait la multiplication des missions proposées. De plus, ainsi raccourci, le service civique pourrait perdre ses objectifs d’insertion et de formation, par abandon de la notion de « projet » et diminution de la qualité des missions.
Par ailleurs, se pose aujourd’hui la question des instances de coordination, de référence, de formation et d’encadrement.
Les réponses, dans ce domaine, sont inégales. Certaines structures sont missionnées pour effectuer cet accompagnement, mais elles manquent de moyens pour l’étendre et le généraliser auprès de l’ensemble des jeunes en service civique. Un élargissement et donc une augmentation du nombre de services civiques ne peuvent en conséquence s’imaginer sans prévoir les réponses nécessaires, notamment en moyens humains pour les structures qui coordonnent et qui bénéficient d’agréments dans nos territoires.
Enfin, il faut traduire ces ambitions en termes budgétaires et non faire du service civique un service bénévole. Agir autrement serait se méprendre totalement sur la définition de l’acte bénévole, qui relève du choix volontaire de l’individu, et non d’un dispositif et d’une réponse de la société, si généreux soient-ils.
J’apporterai enfin un dernier éclairage concernant le service civique : celui de son ouverture européenne ou internationale.
De plus en plus de jeunes souhaitent être informés et s’engager pour effectuer des missions à l’étranger, en Europe et, plus globalement, dans le monde. Les opportunités à cet égard sont aujourd’hui marginales et sont l’expression de grandes inégalités : les jeunes qui effectuent leur service civique à l’étranger sont plus âgés et, encore une fois, plus fortement diplômés.
À l’étranger plus encore que sur le territoire, la question de l’encadrement est inéluctable. Faute d’accompagnement structuré, ce sont les inégalités sociales qui se creusent. Il faut donc imaginer un accompagnement plus fort encore concernant les projets internationaux. Il s’agit de véritables chances pour les jeunes. Pourquoi les collectivités ne développeraient-elles pas des actions transversales dans le cadre de leurs coopérations décentralisées ou de leurs jumelages ?
En conclusion, tâchons de multiplier ces opportunités pour le plus grand nombre de jeunes. Faisons de ce service civique un outil qui permette réellement la mixité sociale, sans qu’il soit pour autant l’unique réponse en faveur de l’éducation à la citoyenneté. La formation et la lutte contre le chômage des jeunes appellent des réponses beaucoup plus appropriées.
La Nation se doit d’être à la hauteur de cette ambition en s’assurant des moyens humains et budgétaires nécessaires afin de garantir les objectifs du service civique, de développer l’implication citoyenne des jeunes et leur insertion dans la société, dans des conditions matérielles et humaines favorables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Jean-Louis Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2010, Yvon Collin, auteur de la proposition de loi relative au service civique, et Martin Hirsch, à l’époque Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, avaient, dans cet hémicycle, dit leur rêve de voir défiler ensemble sur les Champs-Élysées, lors des cérémonies du 14 Juillet, des promotions de jeunes volontaires du service civique. Ce rêve est devenu réalité en 2013, une centaine de jeunes coiffés de béret et habillés d’un costume bleu, blanc et rouge spécialement créé pour l’occasion ont défilé au côté des militaires.
Cette image constitua un symbole puissant de la République réunie et forte, en ce jour de réconciliation et d’unité de tous les Français.
Alors que le service civique fête ses cinq années d’existence, le débat judicieusement proposé par le groupe CRC prend une dimension particulière après les événements de début janvier qui ont touché de plein fouet la France et les valeurs de notre République.
Nous ne nous attarderons pas sur la terminologie de service « civique » ou « civil ». Cette question a été tranchée depuis que le service civil a été remplacé par le service civique, en 2010. Le terme de « civil » n’avait au reste de sens qu’en opposition à la conscription militaire, qui n’est plus. Nous préférons ainsi le terme de « civique », qui dérive du substantif « citoyen » et désigne donc l’attachement de ce dernier à la Cité et à ses devoirs. Plus que la morale, il nous faut restaurer le civisme !
M. Jean-Louis Carrère. Bravo !
M. Jean-Claude Requier. La suppression du service militaire a laissé un grand vide, mal comblé par le service civil créé en 2006, à la suite des émeutes dans les banlieues. En 2010, le service civique a été adopté, sur proposition du groupe du RDSE. Depuis, ce service civique a bénéficié à plus de 65 000 jeunes dans près de 4 000 organismes agréés différents. C’est donc un succès.
La conscription a longtemps constitué le creuset de la République et l’occasion de l’ancrage profond à ses valeurs, en participant à l’écriture de son édification et de son histoire. Des jeunes de classes sociales hétérogènes s’y rencontraient et faisaient connaissance avec la République. C’est précisément au regard de cette double rencontre que notre pacte social achoppe aujourd’hui.
Lors de l’examen de la proposition de loi du RDSE en 2010, nombreux avaient été ceux qui, y compris parmi les signataires de la proposition de loi, défendaient la création d’un service civique obligatoire. Néanmoins, en l’absence de majorité parlementaire, nous avions opté pour une phase de transition devant permettre de procéder à une évaluation du dispositif, en vue de laisser ensuite la mesure monter en puissance afin de la rendre finalement obligatoire.
Tout en étant conscients des limites inhérentes à cette mesure – elle devra être accompagnée d’autres dispositions en faveur de la rencontre républicaine et de l’égalité des chances –, nous sommes plusieurs à nous prononcer en faveur de cette « école de la République », obligatoire pour tous et universelle.
Les attentats du début du mois de janvier résonnent comme un avertissement, tout comme les 1 200 djihadistes partis sur des théâtres d’opérations au Moyen-Orient. Nous devons donc nous poser la question de savoir ce qui fonde le lien social aujourd’hui, ainsi que l’appartenance à une communauté de valeurs, valeurs que nous proclamons et définissons comme républicaines – le terme n’est pas désuet !
La question du service civique obligatoire réside entièrement dans les modalités de sa mise en œuvre, mais aussi dans son financement.
En effet, en novembre dernier, nos collègues Jean-Jacques Lozach et Jacques-Bernard Magner invitaient à une clarification des fonctions, d’une part, du service civique, qui constitue d’abord et avant tout un dispositif d’insertion civique et de sensibilisation des jeunes à la notion d’intérêt général, et, d’autre part, des différents types de contrat aidé et de revenu minimum, qui se focalisent sur l’insertion professionnelle des jeunes les plus défavorisés.
Seuls 21 % des volontaires en service civique sont des jeunes ne disposant d’aucune qualification. Les marges de progrès en termes de mixité sociale parmi les volontaires du service civique sont donc très importantes. Ce à quoi s’ajoute l’utilisation parfois biaisée du dispositif par le milieu associatif, en faveur de jeunes diplômés demandeurs d’emploi.
Il faut enfin valoriser le service civique, encore trop souvent méconnu, y compris dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur. La publicité malheureuse qu’il a connue ces derniers temps est une occasion inespérée de faire naître un élan !
Rendre le service civique obligatoire, pour quelques mois au moins, pourrait convenir à l’ensemble des jeunes Français, qu’ils soient diplômés, en passe de l’être ou simplement jeunes travailleurs. Pour les étudiants, le service civique obligatoire pendant une durée limitée – les vacances, par exemple – ne poserait pas de difficulté matérielle particulière, puisque ce dernier serait rémunéré. En revanche, les jeunes travailleurs qui, au niveau actuel de rémunération du service civique - il varie entre 574 euros et 680 euros -, verraient leurs ressources diminuer : il s’agirait de trouver alors une solution de financement viable et réaliste.
Par ailleurs, pourquoi ne pas encourager les plus anciens à participer à l’encadrement du service civique, au tutorat, à la formation citoyenne, à la préparation à l’entrée dans la vie active et, pour certains, à l’accueil-hébergement des jeunes en cours de service ? Qui n’a jamais connu les difficultés inhérentes à la jeunesse, ses errances, ses doutes, ses espérances, aussi ?
Le service civique n’est pas et ne doit pas être un gadget social ou une mesure d’affichage comme on en a trop connu. Il constitue au contraire une des clés de voûte de l’avenir de notre pacte républicain et mérite donc qu’on s’y intéresse sérieusement si l’on croit encore en l’avenir de la République.
Il y a un vide qu’il faut combler pour permettre à la République de prendre en compte l’ensemble de la jeunesse. Car n’oublions jamais, mes chers collègues, cette vérité qu’énonçait Georges Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune : « Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents ! » (Applaudissements.)
M. Jean-Louis Carrère. Appréciez cette culture hispanique !
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans quelques jours, nous fêterons le cinquième anniversaire de la loi du 10 mars 2010, qui a institué le service civique.
La question du caractère obligatoire ou volontaire du service civique s’est récemment de nouveau posée lors des événements tragiques, ces attentats meurtriers que la France a connus en ce début janvier 2015.
Déjà, en 2005, il a fallu la crise des banlieues pour que le sujet de la mise en place d’un service civique, obligatoire ou volontaire, soit de nouveau d’actualité.
Bien qu’énoncée dans la loi d’abrogation du service militaire de 1997, initiée par Jacques Chirac, l’idée d’y substituer un service civique n’avait pas à cette époque prospéré.
Même si le choix d’une armée de métier paraissait répondre aux enjeux internationaux, je regrette, à titre personnel, la fin pure et simple du service national militaire. C’était en effet un excellent détecteur des difficultés que peuvent rencontrer les jeunes Français : l’addiction, l’endoctrinement, l’illettrisme. Il permettait un brassage social et était un moyen d’inculquer un certain nombre de principes et de valeurs qui constituent le socle de notre vivre ensemble.
J’aurais été favorable au maintien, en 1997, d’un service national militaire obligatoire d’une durée de trois mois, et non plus d’un an, assorti de dispenses pour les jeunes déjà entrés sur le marché du travail. Mais cette page est tournée et la notion d’obligation à l’égard de la jeunesse ne s’exprime plus dans les mêmes termes.
La Journée défense et citoyenneté, mise en place après la fin du service national, est une journée d’information en direction de tous les jeunes. Mais ce n’est pas sur un laps de temps aussi court qu’il est possible de repérer un certain nombre de difficultés, comme l’endoctrinement, qui est un vrai sujet d’actualité pour nous aujourd'hui.
La fin du service national a créé un vide dans l’opinion, plutôt favorable à la mise en place d’un substitut tel qu’un service civil ou civique. Mais ce service a eu du mal à se mettre en place, puisque l’on comptait, en 2006, seulement 6 298 volontaires sur les 50 000 escomptés.
De ce fait, les différents candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont tous fait des propositions pour améliorer le dispositif.
C’est ainsi que, le 10 mars 2010, a été adoptée par le Parlement, à une quasi-unanimité, la loi relative au service civique, qui instaure donc un service non obligatoire, à destination des 16-25 ans, pour des missions d’intérêt général, d’une durée de six à douze mois.
Le service civique a pour ambition l’engagement des jeunes et la cohésion sociale.
En juillet 2014, le Gouvernement s’est fixé comme objectif d’accueillir 100 000 jeunes d’ici à 2017. François Chérèque, président de l’Agence du service civique, a alors indiqué un certain nombre de pistes pour atteindre ce chiffre, pistes qui ont été très peu reprises depuis.
Lors de sa conférence de presse du 5 février dernier, le Président de la République a déclaré souhaiter que tous les jeunes désirant effectuer un service civique puissent être accueillis d’ici au 1er juin 2015, ce qui représente entre 140 000 et 170 000 jeunes par an. Ce n’est pas mince !
Devant ces nouveaux objectifs, je suis inquiet.
En multipliant le nombre de volontaires, ne risque-t-on pas d’offrir des missions de moindre qualité et de fragiliser le dispositif, si les jeunes n’y trouvent pas leur compte ?
Le chiffre de 140 000 à 170 000 volontaires engagés me semble très ambitieux, voire irréaliste.
Avant de vouloir augmenter le nombre global de jeunes en contrat de service civique, je pense qu’il conviendrait plutôt de remplir les objectifs fixés par la loi du 10 mars 2010. En effet, la Cour des comptes, dans son rapport de 2014, pointait quelques insuffisances.
Ainsi, comme l’ont d'ailleurs souligné plusieurs orateurs, les bénéficiaires seraient moins de 25 % à ne pas avoir le baccalauréat. Seulement 17,7 % sont issus des quartiers, contre 25 % attendus, et seulement 0,4 % sont handicapés, alors que l’objectif était de 6 %.
Les jeunes volontaires, comme les associations ou les collectivités territoriales qui les accueillent, doivent y trouver leur compte. C’est pourquoi il convient de veiller à la qualité des missions proposées.
Par ailleurs, le service civil ne doit pas empiéter sur le marché du travail et se substituer à des emplois, comme l’indique la Cour des comptes.
Mais, surtout, avons-nous financièrement parlant les moyens de répondre à toutes les demandes ?
Le budget de l’Agence du service civique pour 2015 est de 170 millions d’euros. Permettre à 170 000 jeunes d’effectuer un service civique représenterait un coût global pour la Nation d’environ 600 millions d’euros.
Par ailleurs, rendre ce service civique obligatoire et universel pour une période de six mois coûterait de 3 milliards à 5 milliards d’euros.
Il faut rester réaliste.
Le service civique est une bonne chose. Ainsi, les attentats de janvier 2015 nous ont rappelé combien, aux côtés des familles et de l’école, la Nation se devait d’apprendre aux plus jeunes – ou de leur remémorer - qu’ils n’étaient pas de simples consommateurs de « droits », mais qu’ils avaient aussi des « devoirs » envers elle.
Le service civique est un outil intéressant, et il peut également constituer un bon moyen de mobiliser des jeunes afin de favoriser l’accès à la culture en milieu rural ou dans nos banlieues.
Je pense également au projet de loi que nous étudions actuellement concernant le vieillissement de la population : clairement, nous pourrions mobiliser les jeunes autour de cette problématique.
Je ne crois pas, cependant, que nous puissions rendre le service civique obligatoire ; il faut toutefois le rendre plus attractif pour les jeunes.
Une simplification des procédures administratives, notamment s’agissant de l’obtention de l’agrément, serait bienvenue.
La valorisation, sur le plan professionnel, de cette période et des expériences acquises durant ce service civique est également à mettre en avant.
Voilà l’ensemble des éléments que je souhaitais aujourd'hui verser à ce débat. Si nous sommes favorables au service civique, qui nous apparaît comme une bonne idée, nous craignons toutefois que les moyens, en tout cas ceux qui sont mobilisables, ne soient trop limités pour en permettre la généralisation et le rendre obligatoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2006 a été créé un « service civil volontaire » permettant aux 16-25 ans de s’intégrer pour six, neuf ou douze mois au sein d’une organisation ayant une mission d’intérêt général ou favorisant l’insertion professionnelle, dans des secteurs divers tels que la défense, la police, la santé ou la culture. Ce service n’a pas rencontré un très grand succès, il faut bien le reconnaître.
En 2010, il a été remplacé par un « service civique » dit « engagement de service civique », toujours non obligatoire, toujours pour des missions d’intérêt général, toujours ouvert aux 16-25 ans, qui perçoivent une indemnisation d’environ 575 euros prise en charge par l’État
Ce service civique présente un grand intérêt.
Tout d’abord, il offre la possibilité aux jeunes qu’il concerne de vivre de nouvelles expériences et de s’ouvrir à d’autres horizons.
Il permet de recevoir et de transmettre le sens des valeurs républicaines et de contribuer au renforcement du lien social. Il favorise la mixité sociale, et le brassage ainsi créé permet aux jeunes d’horizons différents de se rencontrer et de se connaître.
C’est aussi une occasion de développer, ou d’acquérir, de nouvelles compétences. En effet, toute mission de service civique est accompagnée d’un tutorat individualisé et d’un accompagnement à la définition du projet d’avenir du jeune engagé.
Ainsi, le service civique, qui prend en compte les besoins et les attentes des volontaires, constitue une étape importante de leur engagement dans la société.
Cette nouvelle forme de service civique a donc rencontré un certain succès et, aujourd’hui, elle concerne environ 40 000 jeunes. Malheureusement, et nous pouvons le regretter, quatre demandes sur cinq aujourd’hui ne reçoivent pas de réponse positive.
Par ailleurs, sur l’année 2013, 60 % des volontaires avaient un niveau équivalent ou inférieur au bac, les 40 % restants étant des étudiants. Près de 18 % des engagés venaient de quartiers populaires, ce qui est sans doute insuffisant et à améliorer. En 2014, ce sont 5 000 jeunes sortis du système éducatif sans diplôme qui ont effectué une mission de service civique.
Lors de sa conférence de presse du 5 février dernier, le Président de la République a confirmé son souhait de renforcer la cohésion de la société française et annoncé sa volonté de développer cette forme d’engagement et de la rendre universelle.
Pour ma part, je suis très satisfait que notre Président ait manifesté cette volonté.
En effet, il est paradoxal de constater que, à l’heure des réseaux sociaux et de l’« hypercommunication », l’isolement et l’indifférence à l’autre figurent au nombre des problèmes majeurs. Or, c’est l’attention que l’on porte à l’autre qui cimente une nation et il paraît nécessaire qu’un « creuset républicain », un socle de valeurs communes, soit créé.
Il faut aujourd’hui se poser la question : pourquoi une partie de notre jeunesse, ou même de nos concitoyens en général, ne se reconnaît-elle plus dans les valeurs de la République ?
Je partage donc tout à fait la volonté du Président de la République et, pour cela, je souhaite que le dispositif du service civique soit amélioré.
Après la refondation de l’école en 2013 et l’introduction de la morale laïque dans les programmes scolaires, on pourrait envisager qu’une première étape du service civique se déroule à l’école, durant l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, c’est-à-dire avant 16 ans. Élément de base de l’éducation à la citoyenneté, la préparation au service civique pourrait se dérouler sur les quatre années du collège et être valorisée en faisant l’objet d’évaluations, comme toute autre matière enseignée. Le processus trouverait son aboutissement dans une étape finale qui se déroulerait sur trois mois, entre 16 et 25 ans, et permettrait à tout jeune qui le souhaite d’accéder au service civique encadré et rémunéré.
Ainsi, je souhaite que la dotation du service civique soit augmentée, ce qui permettrait de le rendre universel – tout jeune qui en fait la demande pourrait l’effectuer – mais en restant sur la base du volontariat.
En effet, pour ce service, recruter sur la base du volontariat, c’est positiver l’engagement des jeunes et considérer que ces jeunes sont une ressource. D’ailleurs, le plus souvent, les jeunes qui effectuent un service civique sont fiers d’être volontaires et de donner de leur temps. Ils insistent sur la dimension de leur engagement, ayant le sentiment de partager des valeurs positives.
Par ailleurs, il faut bien le constater, nous vivons dans un monde où la conscience de nos droits se développe de manière exponentielle tandis que décroît dans les mêmes proportions celle des devoirs. Les jeunes entrent dans une société où les « branchements sont déjà faits », le plus souvent sans avoir bien conscience de ce qu’ils doivent à la collectivité dans laquelle ils vont prendre place : les avantages qu’ils en retirent apparaissent dès lors plus comme un dû que comme une dette. Et je persiste à penser que rien ne peut remplacer l’engagement personnel, volontaire en faveur du collectif pour favoriser une prise de conscience de ce que nous lui devons.
Bien au contraire, rendre le service civique obligatoire serait, à mon avis, considérer que toute la jeunesse pose problème, ce qui, évidemment, n’est pas le cas.
François Chérèque, président de l’Agence du service civique, ne dit pas autre chose lorsqu’il indique : « La conception d’un service civique républicain obligatoire […] me semble autoritaire ou punitive pour la jeunesse ».
Par ailleurs, il paraît nécessaire de trouver des missions de qualité correspondant à la montée en puissance du dispositif, ce qui ne sera sans doute pas facile, tout particulièrement si l’on tient compte des exigences et de l’encadrement nécessaires, ainsi que de quelques malheureuses difficultés financières dont nous sommes les victimes aujourd’hui. Et là, il me semble que les collectivités ont un rôle aujourd’hui primordial à jouer.
En effet, actuellement, 7 % seulement des missions de service civique se déroulent dans des collectivités territoriales, alors que 84 % ont lieu au sein d’associations. Peut-être, sur ce sujet, monsieur le ministre, aurez-vous quelques informations, quelques précisions à nous donner sur la mobilisation des collectivités locales, nécessaires à mon avis, en particulier celle des communes.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, je milite pour un service civique universel, volontaire, ancré dans le monde associatif et les collectivités locales et prenant ses racines dans le terreau de l’école de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la question binaire posée par le débat de ce jour, il me semble indispensable de déterminer les objectifs visés par le service civil et d’entamer une réflexion sur les modalités de son organisation, afin de mieux évaluer un financement qui se doit d’être réaliste et pérenne.
Car que voulons-nous, et comment allons-nous y parvenir ?
Le débat n’est pas nouveau, mais c'est aujourd’hui une impérieuse nécessité pour notre société, qui a connu, en quelques décennies, d’importantes mutations et a vu un grand nombre des socles qui la constituaient se modifier profondément.
C’est après la disparition du service national, en 1997, que plusieurs réflexions furent entamées pour qu’un temps d’engagement soit proposé aux jeunes, afin de maintenir une dynamique d’intégration dans la société et renforcer l’adhésion aux valeurs de la République.
C’est dans cet esprit que fut créé, par la loi du 10 mars 2010, l’actuel service civique.
Il est aujourd’hui proposé aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, pour un engagement de six à douze mois, et une durée hebdomadaire de travail minimale de vingt-quatre heures et maximale de quarante-huit heures. Il est rémunéré à hauteur de 570 euros par mois.
Son objectif est de renforcer la cohésion nationale et d’offrir aux jeunes volontaires l’opportunité de s’engager en faveur d’un projet collectif d’intérêt général. Les missions proposées sont à caractère éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. Elles sont effectuées auprès d’associations, de collectivités territoriales – mairies, départements, régions – ou d’établissements publics, comme des musées, des collèges ou des lycées.
Le nombre de jeunes engagés est passé de 6 000 en 2010 à 35 000 en 2014. L’an passé, 120 000 candidatures ont été reçues, mais elles n’ont pu toutes être acceptées, faute de financement.
Le budget alloué par la loi de finances pour 2015 pour l’engagement et le volontariat du service civique a été de 125 millions d’euros, auxquels devraient s’ajouter 18 millions d’euros de cofinancement communautaire, permettant ainsi d’atteindre l’effectif de 40 000 jeunes retenus en 2015. La loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 prévoit une augmentation de 100 millions d’euros complémentaires d’ici à 2017, mais elle ne suffira pas à financer le nombre envisagé de 100 000 volontaires qui s’engageraient dans les conditions actuelles.
Lors d’une récente conférence de presse, le Président de la République a annoncé vouloir ouvrir le service civique à tous les volontaires ; cela pourrait concerner entre 120 000 et 160 000 jeunes et représenter un budget pour l’État, hors coût laissé à la charge des structures d’accueil, d’environ 600 millions d’euros, ainsi que l’a estimé François Chérèque, président de l’Agence du service civique.
En outre, et toujours selon François Chérèque, si le service civique devenait obligatoire dans sa forme actuelle, son coût serait de 3 milliards d’euros par an.
Outre la charge financière extrêmement lourde que représente le service civique, sa finalité même semble loin d’être atteinte. Plusieurs études, dont un rapport publié par la Cour des comptes en 2014, indiquent que l’objectif de mixité sociale n’est que très partiellement atteint et que de nombreuses lacunes subsistent en matière de tutorat et de formation, ainsi que dans l’offre de missions.
En fait, il ressort que le dispositif actuel constitue, pour la majorité des jeunes volontaires interrogés, une occasion de construction personnelle. Le dispositif semble s’inscrire davantage dans une politique d’emploi en faveur des jeunes, voire de lutte contre le décrochage scolaire, que dans une réelle démarche d’apprentissage du civisme.
Tout aussi louable que soit cette chance offerte aux jeunes, le service civique actuel ne semble répondre ni au questionnement ni aux attentes exprimées par l’opinion publique et les hommes politiques depuis les attentats terroristes qui ont frappé la France en janvier dernier.
De plus, son caractère facultatif altère la symbolique forte d’une République s’engageant pour instaurer ou restaurer les valeurs sur lesquelles elle s’est construite.
Car, en réalité, quels objectifs voulons-nous atteindre ?
Ne s’agit-il pas, prioritairement, de réaffirmer le principe de réciprocité sur lequel est fondée notre République, en redéfinissant avec force et précision l’indissociable socle des droits et des obligations de chaque citoyen ?
Ne s’agit-il pas d’œuvrer pour éviter que certains jeunes, plus fragiles que d’autres, en rupture avec leur milieu familial et scolaire, en manque de repères et influençables, ne se retrouvent en déshérence socioprofessionnelle ou ne deviennent la proie d’organisations criminelles ou terroristes ?
Ne s’agit-il pas de rassembler et motiver les jeunes dans un élan d’appartenance nationale, garant du respect des identités, tout en incitant à la mixité sociale ?
Ne s’agit-il pas, enfin, d’éveiller aux valeurs de l’engagement, de la solidarité et de l’intérêt général ?
Alors, comment adapter et organiser cet enseignement et cet engagement civique sans altérer plus encore nos finances publiques, tout en leur conférant un cadre universel et efficace ?
Bien que le débat d’aujourd’hui n’en soit pas l’objet, je souhaite vous livrer quelques pistes de réflexion pouvant mener à l’élaboration de ce que je nommerai un « parcours citoyen ».
Ne peut-on envisager un premier temps d’apprentissage, au sein des établissements scolaires, dispensé, partiellement ou non, sur le temps scolaire, dès la sixième, par exemple ?
Cet enseignement pourrait être constitué d’un socle thématique reprenant les fondements de l’histoire et des valeurs qui ont construit notre République et ses institutions. Il pourrait être animé par des intervenants issus du milieu politique, des services de sécurité et de justice, ou par d’autres acteurs investis dans les domaines social et économique. Il pourrait être complété par des visites au sein des principales institutions de notre pays, des associations et des entreprises.
Ce parcours citoyen pourrait faire l’objet d’une épreuve intégrée, en fin de troisième, au brevet des collèges. Un « livret de vie civile » viendrait confirmer ce premier enseignement.
Ne peut-on envisager, en complément, un temps d’expérience et d’engagement civique, à accomplir entre 16 et 20 ans, d’une durée obligatoire d’un mois et pouvant être prolongé de façon facultative jusqu’à trois mois ?
Afin de ne pas pénaliser les jeunes ayant besoin de travailler pour financer leurs études, un dédommagement financier devrait être envisagé. D’autres avantages, tel un accès simplifié et réduit au permis de conduire, pourraient être également proposés aux jeunes volontaires.
Je ne m’étendrai pas plus sur le sujet. Il existe, j’en suis persuadé, de nombreuses pistes de réflexion permettant de conduire à l’élaboration cohérente et adaptée d’une conscience civique.
Car, de la même façon que l’instruction a permis de réduire l’ignorance et ses entraves, l’apprentissage du civisme doit permettre de renforcer le respect du jeune citoyen envers la collectivité, ses conventions et ses lois.
Et, de la même façon que l’instruction fut rendue obligatoire, cet apprentissage du civisme, j’en suis convaincu, doit aujourd’hui devenir obligatoire.
Cette opinion semble d’ailleurs partagée par la majorité des Français, puisque 73,8 % d’entre eux plébiscitaient l’idée d’un service civique obligatoire, contre 65 % en mai 2014, comme l’indiquait, le 29 janvier dernier, un sondage réalisé par le journal 20 minutes.
Cela étant, mes chers collègues, je souhaite terminer sur un simple mais ferme constat : le civisme ne concerne pas seulement les plus jeunes. Pour qu’il puisse s’inscrire durablement dans notre société, il est essentiel que chacun d’entre nous, dans l’exercice quotidien de son rôle, de ses missions ou de ses fonctions, par ses paroles et par ses actes, œuvre pour lui donner tout son sens, toute sa cohérence, et le brandisse comme un repère infaillible pour notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)