Sommaire

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

Secrétaires :

MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar.

1. Procès-verbal

2. Débat sur le thème « Service civil : volontaire ou obligatoire ? »

Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC

MM. Stéphane Ravier, Loïc Hervé, Jean-Baptiste Lemoyne, Mme Danielle Michel, MM. André Gattolin, Michel Billout, Jean-Claude Requier, Philippe Mouiller, Jacques-Bernard Magner, Jackie Pierre, Mme Claudine Lepage, M. André Reichardt

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

M. Jean-Claude Requier

3. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

4. Questions d’actualité au Gouvernement

risque d’abstention lors des élections départementales et régionales

MM. Michel Vaspart, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

situation d’areva

MM. François Fortassin, Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

non-recours aux droits

Mmes Aline Archimbaud, Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie

projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Mme Éliane Assassi, M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique

volet « développement économique » de la politique de la ville

MM. René Vandierendonck, Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

pollution dans la vallée de chamonix

MM. Loïc Hervé, Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

manifestations à toulouse et à nantes

Mme Brigitte Micouleau, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

travailleurs détachés

MM. Maurice Vincent, François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

développement énergétique de la Corse

MM. Jean-Jacques Panunzi, Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

radicalisation dans les prisons

M. Henri Cabanel, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

bonus de bienvenue pour le directeur général de sanofi

Mme Mireille Jouve, M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique

5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

M. Serge Larcher,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Débat sur le thème « Service civil : volontaire ou obligatoire ? »

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « service civil : volontaire ou obligatoire ? », organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Éliane Assassi, oratrice du groupe auteur de la demande.

Mme Éliane Assassi, au nom du groupe CRC. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a choisi de donner une forme interrogative à l’intitulé de ce débat, car nous considérons que la question de savoir si le service civique doit rester volontaire ou être rendu obligatoire ne saurait être tranchée sans être, au préalable, débattue dans la société et surtout sans que les principaux intéressés, à savoir les jeunes, puissent exprimer leur point de vue.

Les attentats terroristes perpétrés en janvier dernier contre la rédaction de Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher, au-delà de l’ignominie des actes eux-mêmes, mettent en évidence un profond malaise au sein de la société française.

Après l’émotion, l’indignation, la condamnation d’actes barbares et la mobilisation de quatre millions de personnes pour la défense de la liberté de la presse et contre toute forme d’intégrisme religieux, il faut aujourd’hui se poser la question du pourquoi, analyser les raisons qui mènent à de tels actes et envisager des réponses.

Quelles que soient les explications que l’on donne à l’accomplissement de ces actes, lorsque la liberté est attaquée et la laïcité remise en cause, c’est bien la République que l’on menace. La priorité, loin d’une surenchère sécuritaire, est donc le renforcement de l’appartenance républicaine, du lien entre les citoyens et ces valeurs républicaines.

L’école de la République, qui forme des citoyens, se trouve évidemment en première ligne. En effet, le rôle de l’école est bien de donner sens aux valeurs mises à mal qui font le fondement de notre République : la liberté, bien sûr, mais aussi l’égalité et la fraternité, qui, à l’opposé des stigmatisations, imposent de lutter contre le racisme et les discriminations.

Cette école que nous appelons de nos vœux doit être la priorité du Gouvernement. Il doit y consacrer des moyens matériels et humains à la hauteur de ces enjeux et envisager une vraie rénovation de la formation des enseignants, afin que ces derniers ne se trouvent pas démunis face à l’ampleur de leurs missions.

L’école doit être au cœur de toute action : une école dont la vocation est d’incarner, d’expliquer, de véhiculer, de transmettre des principes qui ont été bafoués et permettre de « faire société » autour d’eux ; une école émancipatrice, qui forme l’esprit critique, alimente les débats d’idées et fait naître des citoyens ; une école d’où aucun jeune ne doit sortir en situation d’échec ; une école fondée sur le principe selon lequel tous sont capables d’apprendre et tous doivent réussir ; une école qui permette à chacun de trouver sa place dans la société et dans la vie active, quels que soient son origine et son milieu social ; une école, enfin, qui lutte contre l’ignorance, qui donne toute sa place à la connaissance et, bien entendu, à la culture.

Hélas, l’école de la République laisse encore aujourd’hui beaucoup de jeunes au bord du chemin et échoue à mener tous les élèves à la réussite puisque, chaque année, 140 000 jeunes sortent du système scolaire sans baccalauréat ou sans diplôme professionnel.

L’école ne peut certes pas tout, mais elle peut beaucoup.

Dès lors, miser à ce point sur le service civique, c’est faire, au moins en partie, l’aveu de l’échec de l’école.

C’est ainsi que, au lendemain des attentats, le débat sur le service civique a ressurgi avec plus de vigueur : comme si, là où l’école ne réussit pas, il pouvait permettre, lui, la création du lien social, le brassage des milieux sociaux et la valorisation de l’engagement en donnant à vivre la solidarité et à expérimenter l’intérêt commun ; comme si l’on avait renoncé à reconstruire une école républicaine véritablement démocratique.

Si le service civique peut constituer une piste pour la construction de la citoyenneté, il ne doit pas être la seule réponse envisagée.

Puisque le service civique est revenu au cœur des débats après les attentats, il faut préciser les missions qu’on entend lui assigner. Doit-il répondre à un objectif économique, social, ou bien à un objectif « moral » républicain ?

Le service civique devrait tout autant renforcer la cohésion sociale par le volontariat que développer le sens civique des jeunes et des valeurs citoyennes et favoriser une meilleure insertion sociale et économique, fondée sur le mélange des classes et des milieux sociaux. Seulement, peut-il faire autant ?

Envisagé pour la première fois en 1996, afin de remplacer le service militaire, il était déjà conçu comme un remède à certains maux de notre société, censé favoriser l’accès à l’emploi des jeunes en difficulté, principalement dans les quartiers dits « sensibles ».

C’est après les « émeutes » de 2005 et la « crise des banlieues » qu’est institué le service civil volontaire dans la loi en 2006.

Permettez-moi, à ce stade de mon intervention, de rendre hommage à mon ami et camarade Claude Dilain, qui vient de nous quitter, après avoir beaucoup fait en Seine-Saint-Denis, à la suite de ces événements, pour rassembler jeunes et moins jeunes autour des valeurs de la République.

La loi de 2006 s’appuyait sur des types de volontariat déjà existants, ciblait un public particulier, à savoir les jeunes de seize à vingt-cinq ans, et consacrait ce volontariat à des missions d’intérêt général. Ce dispositif, complexe et peu connu, n’avait pas atteint, en 2007, l’objectif fixé de 50 000 jeunes volontaires puisque seuls 3 000 jeunes étaient concernés chaque année.

C’est pourquoi y a été substitué le « service civique », créé par la loi en 2010. Financé par l’État et destiné aux jeunes de seize à vingt-cinq ans – trente ans en cas de handicap – sortis du système scolaire, celui-ci est plus lisible.

Ce service civique et volontaire vise la réalisation de missions d’intérêt général et peut s’effectuer auprès d’associations, de collectivités ou d’établissements publics. Il se déroule sur une période de six à douze mois, en France ou à l’étranger, pour une mission d’au moins 24 heures par semaine, en réalité 35 heures dans la majorité des cas et même parfois plus. En revanche, l’indemnisation est fixe, quel que soit le temps travaillé, avec 573 euros par mois net, dont 106 euros versés par l’organisme d’accueil et 467 euros par l’État.

L’objectif affiché lors de sa création était de 100 000 jeunes volontaires en 2015. Non seulement ce nombre n’est pas atteint, mais 45 000 contrats seulement sont en réalité budgétés dans le projet de loi de finances pour 2015.

Avant d’envisager toute extension, il faut d’abord comprendre pourquoi l’objectif d’amener 15 % d’une classe d’âge au service civique n’est pas réalisé. S’agit-il d’un manque d’attractivité ? D’un manque de moyens ? Ou d’une incapacité pratique à accueillir tous les jeunes qui veulent accomplir un service civique ? La combinaison de ces trois explications constitue sans doute la réponse.

Quoi qu’il en soit, il faudra apporter une solution sur chacun de ses points, faute de quoi le service civique manquera encore son objet et ne pourra ni se déployer ni renforcer le sentiment d’appartenance républicaine.

Pourtant, le débat sur le bénéfice et l’opportunité d’un élargissement du service civique a été relancé, à la fin de 2014, par le Président de la République, qui évoque alors l’idée d’un service civique obligatoire pour une période de deux à trois mois, non rémunéré.

Si la question du caractère obligatoire du service civique se pose, il est exclu de renforcer la précarité des jeunes en les obligeant à accomplir une activité pour laquelle ils ne recevraient aucune indemnité.

Du reste, cette hypothèse semble abandonnée. En effet, les attentats de janvier ont ravivé l’idée d’un «nouveau contrat civique », avec cette fois la proposition par le Président de la République d’un « service civique universel », qui serait mis en place dès le mois de juin 2015, avec son pendant, la création d’un « droit au service civique ».

Cependant, le débat n’est pas clos et mérite, au contraire, d’être mené complètement.

Les annonces que devrait faire le Premier ministre vendredi dans le cadre de son plan pour les quartiers sensibles semblent d’ailleurs montrer que le débat reste bien ouvert puisqu’il a évoqué un service civique réservé en priorité aux jeunes des « quartiers », ce qui vient contredire l’idée d’un droit au service civique pour tous.

L’affirmation du Président de la République selon laquelle 150 000 jeunes pourront s’engager dès l’été 2015, pour un coût estimé à 600 millions d’euros par an, avec un objectif de 180 000 jeunes d’ici à 2017 pour un coût de 709 millions, doit être mise en regard de l’investissement actuel de… 170 millions d’euros.

La concrétisation de cet objectif suppose, d’une part, une réévaluation importante des budgets attribués au service civique et, d’autre part, un examen précis de la capacité des structures professionnelles concernées à accueillir autant de jeunes en service civique. En effet, on sait qu’aujourd’hui le nombre de candidats est supérieur aux nombres de places offertes, avec une place pour quatre volontaires.

À l’occasion de ce débat, nous entendons poser plusieurs questions.

Quels contours pour le service civique ? Quelle indemnisation et quels moyens pour ce dernier ? Dans quel but et dans quelle perspective ?

Nous, nous pensons que le service civique peut être bénéfique, mais avant même d’envisager un service civique « obligatoire » ou « universel », un certain nombre de points doivent être précisés, et ses conditions d’exercice doivent être rectifiées, pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle.

Notre vision du service civique suppose des ajustements et des améliorations, mais nous souhaitons également éviter certains écueils et dénoncer clairement certains amalgames qui pèsent sur le débat.

Si le service civique ne doit ni faire l’économie d’une réflexion sur l’école de la République, ni d’un investissement budgétaire approprié dans ce secteur, il ne peut pas non plus se substituer et incarner à lui seul une politique en faveur de la jeunesse.

Il ne doit pas constituer « la » réponse au problème de l’emploi des jeunes, non plus qu’aux difficultés financières du secteur associatif ou des collectivités territoriales qui y trouveraient, disons-le honnêtement, un moyen de pourvoir de véritables emplois.

L’enjeu est également important pour les associations, qui constitueront avec les collectivités territoriales le principal lieu de sa mise en œuvre. Elles peuvent ainsi accueillir une population jeune qui leur faisait parfois défaut, développer de nouveaux projets, bousculer et dynamiser leurs structures, mais elles ne doivent pas céder à la tentation d’offrir ainsi des emplois à moindre coût.

Ce service que nous appelons de nos vœux ne doit pas constituer un dispositif isolé, une maigre oasis dans un désert de politiques publiques où notre jeunesse est condamnée à l’errance et à la précarité. Au contraire, il doit s’inscrire dans un ensemble de mesures favorisant l’autonomie responsable et solidaire de la jeunesse.

Il est clair que, à l’heure actuelle, l’attractivité du service civique est en partie liée aux difficultés des jeunes qui, ne trouvant pas d’emploi et étant sans cesse confrontés à l’injonction d’une première expérience qu’ils n’arrivent pas à obtenir, trouvent dans le service civique une passerelle vers l’emploi, leur permettant de survivre durant cette période difficile sans chômage et sans revenu de solidarité active, dispositif dont, rappelons-le, les moins de 25 ans sont exclus.

Nos inquiétudes sont légitimes quand on sait la faiblesse des crédits budgétaires de la mission « Vie associative et jeunesse » et sa diminution constante depuis plusieurs années. L’essentiel des modestes crédits de la mission est d’ores et déjà consacré au service civique, comme si l’action budgétaire de l’État pouvait se résumer à cet objectif.

Je le répète, le service civique ne peut pas être la mesure unique d’une politique en faveur de la jeunesse.

En outre, il faut faire très attention au risque d’amalgame qui existe dans ce débat. Prendre conscience et traiter les difficultés spécifiques des jeunes ne veut pas dire les stigmatiser.

Il est évidemment important de cibler l’action de l’État sur les jeunes dans la mesure où ceux-ci constituent une population particulièrement fragile : premières victimes de la crise, ils connaissent un taux de chômage plus élevé que la moyenne et un taux de précarité très important. Pour peu qu’ils soient issus de milieux sociaux défavorisés et résident dans des quartiers populaires, leurs difficultés s’accroissent encore.

Il faut cependant se garder du discours erroné sur le manque d’engagement de la jeunesse et bien garder à l’esprit que cette injonction de solidarité qui leur est faite appelle en retour une solidarité de l’État à leur endroit.

La volonté de cibler les efforts politiques sur la jeunesse et les banlieues défavorisées ne doit pas s’accompagner d’un discours stigmatisant et réducteur sur des jeunes des « quartiers » en déshérence, sans repères, sans valeurs, et sur lesquels reposeraient tous les maux de notre société. Il faut dénoncer ces amalgames et ces raccourcis qui divisent la France et font des jeunes des « quartiers » des coupables, de potentiels terroristes ou des délinquants en puissance… Ceux qui pratiquent ces amalgames et ces raccourcis se reconnaîtront !

La vision du groupe communiste républicain et citoyen s’incarne dans ce que nous préférons appeler un « service national de solidarité », lequel ne serait en aucun cas un moyen d’inculquer des valeurs de civisme à des jeunes stigmatisés et supposés inadaptés. Il ne peut et ne doit pas être une réponse aux délits, aux troubles sociaux, au chômage. Il s’agit au contraire de prendre en compte les attentes des jeunes, de revaloriser leur place dans la société quand ces derniers souffrent d’une image négative.

Enfin, nous pensons que le service civique, pour jouer pleinement son rôle émancipateur, pour promouvoir des valeurs républicaines et de solidarité, doit s’accompagner d’un certain nombre de garanties.

Nous profitons de ce débat pour appeler à un travail législatif qui puisse mettre au point un service national d’un type réellement nouveau, s’appuyant sur l’aspiration de notre jeunesse à l’engagement et à la reconnaissance.

L’accent doit être mis sur les conditions d’encadrement et de tutorat, ainsi que sur l’accompagnement avant, pendant et après le service civique. Un dispositif spécifique est prévu, avec un tuteur ayant vocation à préparer aux missions, d’un accompagnement et d’une aide à constitution de projets pour l’avenir. En pratique, ce dernier point reste toutefois difficile à mettre en œuvre ; il s’agit pourtant de l’une des conditions de réussite de ce volontariat.

C’est parce que le service civique ne peut être un moyen de substitution à l’emploi ni constituer une sorte de « sous-emploi jeune », précaire et à bas coût qu’il faut prévoir un véritable accompagnement. Il doit s’adresser en priorité aux jeunes sortis du système scolaire qu’il est particulièrement important de ne pas laisser livrés à eux-mêmes.

Par ailleurs, il faut bien souligner que la faiblesse des indemnités constitue une difficulté. Actuellement, elles ne permettent pas aux jeunes volontaires d’être autonomes et de vivre dignement puisqu’elles sont en deçà du seuil de pauvreté. L’effort financier portant sur le service civique, outre la question de son universalité et de son caractère obligatoire, ne devrait-il pas se consacrer prioritairement à ce volet ?

La revalorisation de cette indemnité représenterait évidemment un coût pour l’État, mais marginal si l’on songe que le service civique peut réellement permettre de ramener des jeunes dans l’emploi ou les études, de leur redonner une place au sein de la société.

En effet, comment la République peut-elle exiger de ces jeunes qu’ils adhèrent à ses valeurs si, en échange de leur temps et de leur engagement, elle ne leur offre qu’une indemnité dérisoire, ne leur permettant même pas de vivre dignement ?

Au-delà de ces critiques, le service civique a des effets plutôt positifs, mais il serait souhaitable de les évaluer plus précisément, afin d’améliorer ce dispositif avant toute extension. Ces effets bénéfiques, ainsi que leurs limites, ont été mis en avant par plusieurs études. L’idée d’une évaluation globale par le Gouvernement des publics visés, des bénéficiaires et des effets du service civique, qui serait ensuite communiquée au Parlement, nous semble opportune.

Une étude réalisée par l’institut TNS-SOFRES en 2014 semble déjà souligner quelques éléments positifs sur le service civique. Selon cette étude, 86 % des anciens volontaires estiment que le service civique leur a permis d’acquérir une expérience utile pour leur avenir professionnel et 61 % d’entre eux considèrent que cela les a aidés à retrouver un emploi.

Le service civique permet donc aux jeunes de mieux définir ou redéfinir leurs projets, notamment professionnels, d’acquérir une expérience valorisante pour leur curriculum vitae par leur insertion professionnelle ou la reprise d’études. Cela est encore plus vrai pour les jeunes issus des catégories socioprofessionnelles employés et ouvriers, même si l’effet correctif d’inégalité sociale doit, me semble-t-il, être relativisé.

Le rapport annuel de la Cour des comptes de février 2014 confirme en partie cette analyse : six mois après leur service civique, 75 % des volontaires étudient, travaillent ou sont en stage, contre 63 % avant cette expérience.

En revanche, le service civique n’atteint que « partiellement » sa mission de mixité sociale : les volontaires sont moins de 25 % à ne pas avoir le bac, alors que l’objectif fixé était d’un tiers ; seulement 18 % des engagés sont issus des « quartiers » sensibles, alors que l’objectif visé était de 25 % ; enfin, la part des volontaires handicapés est de 0,4 %, alors que le contrat d’objectifs et de moyens prévoyait un taux de 6 %.

Le service civique séduit en outre des jeunes très diplômés, bien loin de ceux sortis précocement du système scolaire. Vanté auprès des « décrocheurs », il attire en fait les détenteurs d’un master ou même d’un doctorat, qui s’orientent vers ce contrat faute de trouver un emploi. Ainsi, en 2012, près de 42 % des jeunes engagés étaient détenteurs d’un niveau équivalent ou supérieur à bac+2, et 17,4 % d’entre eux possédaient un diplôme allant de la licence au doctorat. Ce phénomène s’explique par la difficulté des jeunes fraîchement diplômés à rapidement trouver un emploi en adéquation avec leurs aspirations professionnelles.

C’est pourquoi la Cour des comptes appelle à une progression plus maîtrisée du service civique « pour garantir la qualité des missions proposées et l’adéquation entre les objectifs et les moyens budgétaires ».

En conséquence, nous appelons à l’inscription du service civique au cœur d’une véritable politique globale et multidimensionnelle pour la jeunesse – alors qu’il tend aujourd'hui à se substituer à une telle politique –, ainsi qu’à l’adéquation entre les objectifs fixés et les moyens consacrés.

Son caractère obligatoire serait-il le gage d’une véritable réussite ? Actuellement, le service civique est détourné des objectifs qui lui sont assignés, développement du civisme et réinsertion des « décrocheurs », puisqu’il est utilisé par des diplômés qui y voient une alternative au chômage.

Face à ce constat, le débat sur le caractère obligatoire de ce service civique prend tout son sens. Nous ne le tranchons pas, mais souhaitons qu’il reste ouvert et vivant : s’il présente des avantages indéniables, ce caractère obligatoire s’accompagne de certaines limites.

L’obligation permettrait d’éviter tout biais social à l’entrée du dispositif et favoriserait un véritable brassage et une véritable mixité sociale. Toutefois, il ne faut pas négliger le risque de voir le service civique alors perçu comme une sanction évoquant dangereusement des « travaux d’intérêt général », ce qui, en l’absence d’adhésion au processus, pourrait limiter ses effets positifs. Il serait particulièrement dommageable que l’expérience de la solidarité et de l’intérêt soit ainsi vécue comme une contrainte. La citoyenneté de la République ne s’apprend ni ne s’inculque de force. On ne peut contraindre des jeunes à entrer dans la République.

Dès lors, il convient sans doute de renverser la question : comment la République, par la présence de services publics de proximité, par une action volontariste forte, peut-elle se rapprocher des citoyens – des jeunes en particulier – partout en France ?

Les organisations de jeunesses que nous avons pris le soin de consulter sont unanimes sur la question : le service civique ne figure pas au cœur de leurs revendications. Il n’est pas la priorité ni même la solution aux problèmes des jeunes et encore moins aux émeutes et aux attentats.

Avant toute modification du service civique, et même s’il présente certains atouts – j’insiste sur ce point –, ne faudrait-il pas enfin écouter les principaux intéressés, qui souhaitent l’intégration de la jeunesse dans les dispositifs de droit commun, qui souhaitent avant tout que l’État se donne les moyens d’assurer à chaque jeune une formation qualifiante et reconnue, lui permettant de s’insérer sur le marché du travail et dans la société, plutôt que de créer une multiplicité de dispositifs spécifiques et accessoires auxquels le service civique vient s’ajouter ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qu’il manque aujourd’hui à une partie de la jeunesse de France, c’est justement de se sentir « de France », de se sentir française.

Mme Éliane Assassi. Oh là là ! Ça commence !

M. Stéphane Ravier. Ce constat, plus personne n’ose le nier, à quelques exceptions près...

Mme Éliane Assassi. Je ne suis pas une exception !

M. Stéphane Ravier. Mais pour savoir comment remédier au phénomène, encore faut-il être lucide sur ses causes.

D’abord, l’idéologie « sans-frontiériste » a produit une immigration massive et inédite dans l’histoire des nations, en provenance de certains pays aux modes de vie très différents des nôtres, contrairement aux vagues précédentes, qui étaient surtout européennes.

Ensuite, le multiculturalisme a empiré les choses en encourageant ces populations à ne pas s’assimiler, mais à revendiquer au contraire leur « différence » (Exclamations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Voilà le vrai visage du Front national ! C’est scandaleux !

M. Stéphane Ravier. … tout en facilitant l’acquisition de la nationalité française, afin de diluer l’identité nationale.

Il y a aussi l’individualisme extrême de Mai 68, qui a miné le sens de l’engagement au profit de l’égoïsme consumériste.

M. Michel Billout. Vous oubliez 1936 !

Mme Éliane Assassi. Mais oui, remontez donc au Front populaire !

M. Michel Billout. Et la Libération ?

M. Jean-Louis Carrère. Il aura bientôt fini, de toute façon !

M. Stéphane Ravier. Enfin, il y a cette haine de soi qui tenaille tant de nos dirigeants et autres éditorialistes, lesquels ne cessent de dénigrer la France et son passé. On a ainsi attisé le ressentiment antifrançais, puis, par lâcheté, on a laissé la haine de la France s’exprimer partout sur notre sol.

Dès lors, comment s’étonner que tant de jeunes gens, qui ont la nationalité française et vivent en France…

Mme Éliane Assassi. Il s’agit donc de Français tout court !

M. Stéphane Ravier. … se sentent étrangers à ce pays, quand ils ne lui sont pas carrément hostiles ?

Face à ce péril qui menace la survie même de notre nation, un « service civique » proposé par MM. Hollande et Valls apparaît comme un artifice dérisoire : c’est du niveau du site internet « StopDjihadisme ».

La nouveauté réside dans le caractère « universel » de ce service. Autrement dit, il reste facultatif...

Et qui va s’y inscrire ? Justement ceux qui n’ont pas de problème avec la France ! Certainement pas ceux qui sont en rupture avec elle, ceux-là mêmes que nous devrions aller chercher !

M. Jean-Louis Carrère. Ne lisez pas votre papier, laissez-vous aller, improvisez !

M. Stéphane Ravier. Il faut partir de la réalité et de ce qui fonctionne.

Dans les quartiers nord de Marseille, il y a un homme, un ancien sergent-chef de la Légion, M. Salim Bouali, qui est allé vivre près de dix ans dans le quartier le plus pauvre d’Europe, à la cité Félix-Pyat. Il y a fondé une association au nom magnifique : « En action pour les nations ».

Aujourd’hui, son constat est sans appel : « Ces jeunes sont en rejet de tout, ne s’accrochent à aucun système, mais sont attirés par un état d’esprit à forte symbolique comme l’armée. […] On va leur redonner une identité, des repères et des valeurs. Leur faire comprendre que la France les nourrit et blanchit, mais qu’ils y ont des droits et devoirs. Ils auront une tenue et un statut, une fierté. »

C’est exactement ce que nous proposons : un service national obligatoire, avec une discipline militaire. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Au « vivre ensemble » fourre-tout et sans identité, nous proposons la transmission d’un « savoir-vivre à la française », qui ne peut plus être une simple option, car c’est aujourd’hui une urgence absolue.

Nous proposons donc que tous les jeunes Français de dix-huit ans effectuent un service de trois mois au minimum dans ce qu’on pourrait appeler la « Garde nationale ».

Le premier mois consistera en une formation théorique et pratique. Les deux mois suivants, les jeunes seront affectés à des unités de sécurité intérieure ou encore de sécurité civile.

Ils porteront un uniforme et seront nourris, logés et blanchis aux frais de l’État.

M. Jacques-Bernard Magner. Une sorte de « stage Front national », quoi ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Stéphane Ravier. Un certificat d’exécution du service à la nation sera ensuite délivré, qui sera nécessaire pour obtenir ensuite les aides sociales dont notre pays regorge (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.) ou encore pour s’inscrire aux concours de la fonction publique.

M. Jacques-Bernard Magner. C’est le retour de Pétain !

M. Stéphane Ravier. Le coût du dispositif pourrait être pris en charge, notamment, par le budget de la formation professionnelle, dont on sait qu’il donne lieu à une véritable gabegie.

Cette « Garde nationale » permettra aussi à nos forces armées de se recentrer sur leurs missions propres.

En conclusion, plutôt donc qu’un énième gadget « citoyen », le service national obligatoire est la voie à suivre si vous voulez vraiment vous attaquer au problème et atteindre l’objectif assigné par Simone Weil – la philosophe, pas l’autre ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.) –…

Mme Éliane Assassi. Un peu de respect pour Mme Veil !

M. Stéphane Ravier. … dans ces termes simples et beaux : « Donner aux Français quelque chose à aimer. Et leur donner d’abord à aimer la France. »

M. Jacques-Bernard Magner. Vous l’aimez bien mal, la France !

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’a rappelé Mme Assassi, les attentats qui ont frappé notre pays en janvier dernier ont rouvert le débat sur un outil emblématique et précieux pour renforcer le sentiment d’appartenance à la République chez tous les jeunes, et pas seulement ceux qui sont en perte de repères et en proie aux embrigadements en tout genre.

Le service civique ou le service civil – puisque les deux vocables sont alternativement utilisés dans les rapports parlementaires et dans la presse –, c’est ce temps consacré par nos jeunes à l’accomplissement d’une mission d’intérêt général dans l’un des neuf domaines d’intervention reconnus prioritaires pour la nation.

C’est cet outil de mixité sociale qui satisfait une jeunesse désireuse de servir des causes justes, de s’éveiller au civisme et d’acquérir une expérience valorisante pour son entrée dans la vie professionnelle.

Mais c’est aussi un temps du don de soi qui est bénéfique à la société civile dans son ensemble et qui constitue à la fois un facteur de cohésion nationale et un vecteur du sentiment d’appartenance à la République.

Or, pour nous, sénateurs du groupe UDI-UC, le service civil ne remplira pleinement son rôle qu’en revêtant un caractère obligatoire et universel.

Les démonstrations publiques qui ont fait suite aux attentats ont témoigné d’un profond désir de rassemblement autour des valeurs républicaines. Mais les réactions lors des hommages aux victimes des actes terroristes ont aussi montré – et cela doit nous interpeller – une perte des repères républicains au sein des établissements scolaires.

Les communautés éducatives ont été saisies d’un profond malaise, éveillé par les sifflements de la Marseillaise, les interrogations autour du sens des valeurs républicaines et leurs remises en question.

La jeunesse est aussi envahie par le pessimisme. Selon le baromètre de la confiance politique établi par le CEVIPOF en janvier dernier, 74 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans estiment que les générations d’aujourd’hui auront moins de chances de réussir que leurs parents dans la société française de demain et 60 % d’entre eux sont d’accord avec l’idée que, pour assurer leur avenir professionnel, ils ont intérêt à quitter la France.

Aujourd’hui, le service civique créé par la loi du 10 mars 2010, qui a lui-même remplacé le service civil institué par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, peut apporter des solutions. Mais il a besoin d’un nouvel élan et de nouvelles perspectives. C’est un nouveau souffle qui est attendu par la jeunesse.

Aujourd’hui, faute de financements, seul un jeune sur cinq voit sa demande d’engagement en service civique acceptée, ce qui représente, en 2014, 35 000 places accordées pour 120 000 demandes. De surcroît, depuis 2010, le nombre d’engagés a été multiplié par six. La jeunesse est donc impatiente de s’investir dans la société, de faire vivre la solidarité et d’être à la fois reconnue et valorisée par des actions d’intérêt général. Elle attend par conséquent une réponse forte de la part de ses représentants politiques.

Depuis la création du service civil par la loi de 2006 pour l’égalité des chances, la position des centristes est claire et elle n’a pas changé. Nous sommes favorables au caractère obligatoire et universel du service civique. Un tel dispositif n’aura de sens que s’il concerne tous les jeunes, filles et garçons, d’une même tranche d’âge. Il ne doit pas devenir une voie de secours réservée aux seuls jeunes en situation d’échec scolaire, en mal d’insertion ou originaires de banlieue.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez défendu le principe de discrimination positive pour le service civique, arguant du fait qu’il s’agit là de « l’équité républicaine » et que les places doivent d’abord aller aux jeunes de banlieue. Nous nous opposons vraiment à cette idée,…

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Loïc Hervé. … qui reviendrait non seulement à stigmatiser encore plus ces jeunes, mais aussi à piétiner, à méconnaître la force et l’essence même d’un tel service, qui réside dans la mixité sociale.

Il faut au contraire encourager et garantir le brassage social et culturel afin de permettre aux jeunes provenant de différents horizons, de différents milieux de sortir de leur cadre habituel, de leur zone de confort, et de se confronter à l’altérité.

En outre, si le service reste volontaire, comme d’autres le suggèrent, il risque de manquer sa cible, à savoir les jeunes qui rejettent le sentiment d’appartenance à la communauté nationale et qui se montrent indifférents à l’intérêt général.

Monsieur le secrétaire d’État, j’appartiens à cette génération qui n’a pas connu le service militaire obligatoire ; pour autant, j’ai volontairement intégré la réserve opérationnelle de la Marine nationale voilà douze ans et je la sers depuis lors. Mais je m’interroge : aujourd’hui, chaque jeune de notre pays aurait-il exactement la même chance ?

Conserver le caractère facultatif du service civique reviendrait à permettre aux seuls jeunes convaincus et informés des occasions que la République leur offre d’intégrer ce service.

L’enjeu du service civil est aussi de renforcer la solidarité nationale en promouvant la participation à des actions d’intérêt général. Il s’agit également de combattre l’individualisme, qui engendre incivilité et violence, et qui dilue le sentiment d’appartenance à la Nation.

Selon l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, 91 % des anciens volontaires pensent qu’ils ont pu faire quelque chose d’utile socialement, et peu d’engagés abandonnent leur service en cours de route.

Qui plus est, non seulement le service civique offre à tous la possibilité de suivre une formation, mais, pour beaucoup, il s’agit aussi de faire leurs premiers pas dans la vie professionnelle et d’acquérir, au-delà des savoir-faire, un savoir-être et un savoir-vivre.

En effet, cette ouverture vers la société est aussi une ouverture vers l’insertion professionnelle, particulièrement importante à l’heure où le chômage des jeunes explose.

Parce que le service obligatoire doit être vécu et considéré comme un atout et non comme un handicap, il convient de réfléchir sérieusement à la nature des tâches assignées aux jeunes et à la valorisation du service dans leur parcours.

On pourrait imaginer que le service inclut une découverte des institutions françaises et européennes, que bien des jeunes ne connaissent pas ou mal, ainsi qu’une sensibilisation à la vie citoyenne et politique avec la participation, par exemple, à des séances d’un conseil municipal, régional, départemental.

Des visites d’établissements publics et des rencontres avec les responsables pour découvrir l’action publique sur le terrain pourraient être mises en place. À cet égard, je crois que le Sénat aurait un rôle tout fait singulier à jouer en faveur des jeunes qui accompliraient ce service civil.

Pendant son service, le jeune pourrait aussi bénéficier d’un accompagnement personnalisé dans son projet d’avenir, ainsi que de conseils d’orientation.

Au-delà de l’indemnité financière classique, qui est nécessaire, cette étape de vie doit être gratifiante. On pourrait envisager un véritable statut du citoyen en service civique, un système de validation des acquis de l’expérience et d’obtention de différents avantages, comme une formation professionnelle ou des heures de cours de code et de conduite gratuites, ou encore le service pourrait ouvrir des droits en matière de cotisations d’assurance maladie, voire de retraite.

Enfin, le caractère obligatoire préviendrait les abus et éviterait la confusion avec le contrat précaire ou le stage.

Disant tout cela, je ne feins pas d’ignorer le coût de la création d’un tel dispositif. Mais ces budgets pourraient être dégagés par ventilation de crédits entre le soutien à la vie associative et l’éducation. L’argument financier nous semble donc être un faux argument, d’autant plus que l’investissement dans notre jeunesse est capital.

Le mois dernier, M. le Président de la République a annoncé une montée en puissance du service civique de manière à garantir une place pour chaque jeune qui le souhaite : l’objectif est ainsi d’atteindre 170 000 places disponibles d’ici à 2017.

Mais il a aussi souhaité la création d’« un nouveau contrat civique avec : la mise en place d’un service universel pour les jeunes ; la création d’une réserve citoyenne pour tous les Français […] ; et le renforcement de la démocratie participative », en précisant la nécessité de consulter les Français sur cette question par référendum.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous donc nous éclairer sur la réflexion engagée par le Gouvernement pour faire évoluer le service civique ? Le Gouvernement envisage-t-il l’instauration d’un service civil obligatoire et universel de plus en plus réclamé par de nombreuses voix, toutes couleurs politiques confondues ?

Tel est en tout cas le souhait des sénateurs du groupe UDI-UC et la position qu’ils défendent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste. – M. Bernard Lalande applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les événements du mois de janvier ont projeté les Français, et le monde entier, dans une réalité dramatique qui nous interpelle effectivement sur le délitement de notre société et sur une sorte de fragmentation sociale et morale.

Certes, immédiatement, le sursaut a eu lieu. Il a pris la forme d’une énorme mobilisation, spontanée, qui doit être saluée. Mais la puissance de ces rassemblements de janvier doit être une invitation à agir, et vite. Il est des moments où l’Histoire s’accélère. Dans ces cas-là, les décideurs doivent eux aussi passer à la vitesse supérieure.

Ces événements soulèvent en effet une question fondamentale, à la base du vivre ensemble : que signifie être Français en 2015 ?

Pour répondre, je veux reprendre – et c’est loin d’être à mon sens un paradoxe – les belles paroles d’une chanson écrite par le groupe régionaliste breton Tri Yann, La découverte ou l’ignorance.

Mme Françoise Gatel. Belle référence !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Y sont évoquées les conditions de la perpétuation de l’identité bretonne dans l’ensemble français.

Remplaçons le mot « Bretagne » par le mot « France » :

Si je perds cette conscience [d’être Français],

La France cesse d’être en moi.

Si tous les Français la perdent,

Elle cesse absolument d’être…

La France n’a pas de papiers,

Elle n’existe que si à chaque génération

Des hommes se reconnaissent français…

À cette heure, des enfants naissent en France…

Seront-ils français ? Nul ne le sait…

À chacun, l’âge venu, la découverte… ou l’ignorance… »

La découverte ou l’ignorance. Rien d’évident, donc. Sur ce chemin de crête escarpé du vivre ensemble, il ne faut parfois pas grand-chose pour qu’un destin bascule d’un côté ou de l’autre.

Tout l’enjeu est donc de faire que les générations montantes aient conscience d’appartenir à une même communauté de destin par-delà les parcours individuels, les milieux ou les confessions.

Il nous faut par conséquent répondre à deux questions : quels liens nouer entre la République et la jeunesse ? Quels outils ou quels vecteurs mettre en place pour la transmission des valeurs républicaines ?

La réalité, aujourd’hui, c’est que de trop nombreux jeunes de cette France périphérique – je suis d’accord avec vous sur ce point, madame Assassi, elle ne se réduit pas aux quartiers sensibles et va beaucoup plus loin – sont désespérés, tout comme leurs parents.

Il y a peu, chaque génération pouvait envisager que la suivante grandisse dans de meilleures conditions que celles qu’elle avait connues. Ce n’est désormais plus systématiquement vrai. La peur du déclassement rôde. Trop de jeunes se résignent à un avenir qu’ils envisagent comme confiné à leur milieu d’origine.

Le service national était précisément un moyen de « s’extraire » de son milieu pendant un temps suffisamment long pour permettre une évolution, une maturation personnelle. Cela permettait en quelque sorte de toucher du doigt l’universalité, à travers la diversité sociale et culturelle.

Au contraire, aujourd’hui, la diversité est plutôt vécue comme un élément de différenciation, voire de sécession, et non pas comme une source d’enrichissement réciproque.

Des cultures se sont construites non pas comme des apports à la culture française et à l’universalisme qu’elle vise, mais comme des contre-cultures, avec des codes et des pratiques qui sont parfois en opposition avec les valeurs de la République.

Nous souhaitons une diversité « ouverte » ; or, désormais, nous sommes parfois confrontés à une diversité « fermée ».

D’ailleurs, n’est-ce pas le cumul de nos petites lâchetés, des accommodements dits « raisonnables » qui, depuis trois décennies, ont alimenté cette fracture ? La question est posée.

Face à cette situation, tous les acteurs, et à tous les niveaux de la société, doivent participer tant à la transmission qu’au développement des valeurs de la République. La tâche n’incombe pas seulement à l’éducation nationale : les parents ont bien sûr une responsabilité primordiale et constante.

Nous sommes tous d’accord sur l’importance de recréer les conditions d’un creuset républicain pour la jeunesse de notre pays.

Je remercie le groupe CRC d’avoir ouvert ce débat, mais, avant même de répondre à la question : « volontaire ou obligatoire ? », j’estime que la première question à se poser est : « quel service ? ». Civil ? Civique ? Citoyen ? National ? On a vu les adjectifs fleurir ! Le plus important est de favoriser la mixité sur tous les plans ; en particulier, il faut trouver une formule qui permette de dépasser le repli de nature communautariste, parfois, qui gangrène le sentiment d’appartenance à la République.

Bref, il faut une formule qui inculque aux jeunes les valeurs fondamentales qui font la France et avec lesquelles il est impossible de transiger, une formule qui sacralise à nouveau la belle idée de Nation et qui restaure le respect envers ceux qui l’incarnent par leur profession, une formule qui offre l’occasion d’une adhésion pleine et entière à la défense du pays.

Comme l’ont rappelé les orateurs précédents, le service civique sur la base du volontariat a montré ses faiblesses. Le nombre de participants n’a pas été celui qui était attendu – seulement 19 000 volontaires en 2013 – et le projet n’a pas été véritablement porteur de mixité : les publics en difficulté sont notoirement sous-représentés, moins de 18 % étant bénéficiaires de la politique de la ville et moins de 8 % étant attributaires d’une bourse sur critères sociaux. Comme cela a été souligné, c’est donc un public plutôt averti qui s’engage dans ce dispositif.

Il faut par conséquent prévoir un temps obligatoire qui aille au-delà de la seule obligation « minimaliste » que constitue la journée défense et citoyenneté, la JDC.

Il faut savoir que 33 000 jeunes – ce n’est pas rien – ne participent pas à cette journée, s’interdisant ainsi un plein accès à la citoyenneté puisqu’ils ne peuvent alors pas se présenter aux concours et examens d’État.

À l’occasion de l’examen du budget pour 2015, j’ai défendu, en tant que rapporteur pour avis de la mission « Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation », l’idée d’une refonte de la journée défense et citoyenneté.

Aujourd’hui, cette journée est présentée dans les documents du ministère de la défense comme confirmant « sa place dans la détection de jeunes en difficulté de lecture et renforç[ant] le rôle dans le repérage de jeunes en situation de décrochage scolaire ». Mais est-ce là son but originel ?

Le Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale de 2013 présentait sa vocation première comme une sensibilisation à l’esprit de défense.

Je pense donc que, à l’avenir, un schéma inclusif doit comprendre un temps obligatoire de type militaire de un mois, éventuellement complété et prolongé, sur la base du volontariat cette fois-ci, soit par un service civil, soit par un engagement de réserviste, soit par un service militaire adapté dont l’extension en métropole a été annoncée par le Président de la République.

Un mois de temps pour le module obligatoire de type militaire, c’est plus que ce que l’on appelait « les préparations militaires ». Et, vers la fin du service national tel que je l’ai vécu, c’était la phase de formation des élèves officiers de réserve.

Alors oui, ce sont des moyens humains et financiers à déployer ! À ce jour, l’armée est déjà en surtension et ne peut pas assumer cette mission sans moyens supplémentaires. Mais l’enjeu est de taille.

Je peux en attester, une telle expérience est formatrice, non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement. Cela participe de la construction personnelle de chacun. L’on y forge, me semble-t-il, un « mental » précieux pour toutes les étapes de la vie.

Je laisserai d’ailleurs le mot de la fin à Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, qui, dans son slam Mental de résistant, indiquait le chemin :

« S’il y a bien une idée qui rassemble, une pensée qu’est pas toute neuve

« C’est que quel que soit ton parcours, tu rencontres de belles épreuves

[…]

« Y’a des rires, y’a des pleurs, y’a des bas, y’a des hauts

« Y’a des soleils et des orages et je te parle pas que de météo

« On vit dans un labyrinthe et y a des pièges à chaque virage

« À nous de les esquiver et de pas calculer les mirages

« Mais le destin est un farceur, on peut tomber à chaque instant

« Pour l’affronter, faut du cœur et un mental de résistant. »

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « du cœur et un mental de résistant », voilà ce que chaque jeune de France doit avoir à l’issue de ce service revisité que j’appelle de mes vœux !

Il y va de la réussite individuelle des femmes et des hommes qui font la France, comme de la réussite collective du pays ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Michel.

Mme Danielle Michel. « La citoyenneté a besoin d’être refondée, renforcée, relégitimée. » Ce sont les propos très justes que notre Premier ministre a tenus au lendemain des attentats du 11 janvier.

Il est effectivement plus que jamais nécessaire – je dirais même « urgent » – de faire vivre ce sentiment d’appartenance à une même Nation, cette conscience d’un destin commun, et le fait que nous partageons les mêmes droits et les mêmes devoirs, indépendamment de nos origines territoriales et sociales.

Parler de citoyenneté, c’est aussi parler d’expériences et de parcours de vie partagés. En la matière, nous le savons, la situation en France doit s’améliorer !

Il existe, sur certains territoires plus que sur d’autres, une ségrégation territoriale, ethnique, sociale, mais aussi scolaire, académique. Cette ségrégation, soyons-en certains, handicape une partie de notre jeunesse et, par conséquent, notre avenir collectif.

Ce fait, qui est aujourd'hui reconnu, ne doit jamais susciter l’indifférence, car il est inacceptable d’un point de vue politique !

C’est pourquoi nous, responsables publics, devons agir et lutter avec acharnement contre toutes les formes d’inégalité. Sans ce combat, qui est à mener dans tous les domaines de la vie sociale, l’enjeu-clé qu’est la citoyenneté resterait un vain mot.

D’un point de vue comptable, alors même que la situation économique et financière que nous connaissons appelle des efforts considérables, nous remarquons que, de manière transversale, 82 milliards d’euros ont été consacrés à la jeunesse en 2014.

M. Jacques Chiron. C’est vrai !

Mme Danielle Michel. Après la lutte contre l’illettrisme en 2013, la grande cause nationale de l’année 2014 a été l’engagement associatif, en particulier celui des jeunes. Cet engagement doit se poursuivre et s’amplifier.

Le dispositif du « service civique », créé en 2010, s’inscrit dans ce cadre. Il est aujourd’hui unanimement reconnu comme positif, avec une croissance continue du nombre de jeunes volontaires. Depuis sa création, il a séduit plus de 46 000 personnes.

En ce début d’année, le Président de la République a annoncé une mesure forte : « Tous les volontaires pour le service civique pourront être accueillis à l’horizon 2017 », soit « entre 150 000 et 170 000 » par an.

Face aux défis extraordinaires que nous devons relever, il est effectivement nécessaire de mobiliser des jeunes, des associations et des collectivités locales. Il faut une mobilisation sans précédent pour promouvoir nos valeurs et faire vivre la République partout.

Rappelons-le, l’engagement associatif des jeunes est, comme à l’école, marqué par des inégalités, en partie liées à l’origine sociale. Il est donc impératif que le développement du recrutement au service civique satisfasse à un impératif de mixité sociale.

Alors que le président de la République a ouvert une réflexion nationale sur de nouvelles formes d’engagement citoyen, de nombreuses propositions ont vu le jour.

À titre d’exemple, un groupe de réflexion a récemment proposé la mise en place d’un « été citoyen », qui défend justement l’objectif d’un brassage des publics. Des milliers de jeunes seraient affectés de manière aléatoire au sein des nouvelles régions partageant pendant un mois une mission d’intérêt général : aide à une association de solidarité, participation à des missions de cohésion sociale pour une mairie... Ce serait un temps d’apprentissage de savoirs utiles pour la vie, par exemple la formation aux premiers secours ou la rédaction d’un curriculum vitae, et de savoirs citoyens : fonctionnement d’un système de santé, de retraites ou de services publics ; utilité des impôts…

Le Sénat et l’Assemblée nationale ont lancé une mission de réflexion sur toutes les formes d’engagement et sur le renforcement de l’appartenance républicaine. Le Parlement fera des propositions.

Toutes les politiques publiques doivent fabriquer de l’égalité et de la mixité des populations dans tous les territoires.

Or, depuis des décennies, la France néglige les creusets républicains. L’école connaît quelques ratés : au lieu de combler les inégalités de départ, elle semble les aggraver.

C’est pourquoi la refondation de l’école avait été lancée. La ministre de l’éducation nationale vient de présenter onze mesures sur la laïcité et la transmission des valeurs républicaines à l’école.

Le Gouvernement a souhaité développer le corps de la réserve citoyenne et le nombre de centres de l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE. Saluons son action forte et déterminée à cet égard.

Plus largement, il nous faut multiplier les « lieux communs » où notre jeunesse se découvrirait un destin partagé.

Selon la loi, cette période d’engagement qu’est le service civique doit « renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale ». Or il est établi que cet objectif n’est actuellement que « partiellement atteint ». Je reprends les chiffres que mes collègues Éliane Assassi et Jean-Baptiste Lemoyne ont rappelés pour étayer ce constat : moins d’un engagé sur quatre a un niveau inférieur au bac, quand le taux ciblé était d’un sur trois ; alors que l’objectif fixé était de 25 %, la part des volontaires issus des quartiers de la politique de la ville est seulement de 18 % ; les volontaires handicapés ne sont que 0,4 %, contre les 6 % attendus.

Nous le savons, le statut mobilise majoritairement une population relativement diplômée, alors même qu’il est très positif pour les décrocheurs qui en bénéficient.

Faut-il pour autant le rendre obligatoire ? Comment en faire un instrument efficace au service de la mixité sociale? Voilà qui me semble être la bonne question.

Pour cela, trois défis sont à relever dans l’amplification du dispositif.

Premier défi, il faut préserver la qualité des missions et de l’encadrement des jeunes. Soulignons à cet égard le rôle fondamental du tuteur, acteur privilégié qui peut s’assurer de la qualité et de l’objectif d’intérêt général de la mission de service civique proposée. Soulignons également le rôle important des missions locales pour l’information, l’accompagnement et la médiation quand c’est nécessaire.

Deuxième défi, il importe d’éviter au maximum les substitutions à l’emploi.

Troisième défi, il convient de développer au maximum les politiques incitatives qui permettent de rendre cette mixité effective dans l’accès à ce type de mission.

C’est sur ces points que je souhaite vous interroger, monsieur le ministre. Quelles pistes pourraient être proposées lors du comité interministériel ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais avant tout remercier nos collègues du groupe CRC d’avoir proposé ce débat sur le service civil, qui nous permet aujourd'hui de discuter et de confronter nos idées sur ce sujet ô combien important et au cœur de l’actualité récente.

Nous avons ainsi l’occasion de faire mentir Martin Hirsch, le « père » du service civil, qui, dans une récente tribune publiée par le journal Le Monde, écrivait : « Jusqu’à ces derniers jours, le service civique souffrait d’un seul défaut, mais un défaut rédhibitoire : susciter plus d’indifférence que de passion. »

Les dernières semaines ont été riches en propositions de toutes natures sur les valeurs et l’engagement que nous souhaitons offrir aux jeunes de toutes origines et de toutes confessions à travers ce service civil.

Depuis la suppression du service militaire en 1997, le caractère obligatoire ou facultatif du service civique a toujours été au cœur des débats, tant lors de la création du service civil volontaire par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances qu’à l’occasion des débats sur la loi de 2010 instaurant l’actuel service civique.

Sans revenir sur le rôle historique qu’a pu jouer le service militaire, il faut, me semble-t-il, entendre ceux qui regrettent les effets bénéfiques de la conscription transposable à un service civil obligatoire, c’est-à-dire le suivi sanitaire de toute une classe d’âge, l’alphabétisation et le rattrapage scolaire qu’il permet dans une période de la vie où cela est encore assez facile à mettre en œuvre, la formation professionnelle qu’il peut procurer aux jeunes des milieux les moins favorisés, sans parler du principe d’égalité qu’il permet d’établir entre les appelés ou encore du salutaire brassage culturel et social qu’il produit à un moment clé de la sociabilisation de chacun.

Je n’oublie pas les aspects négatifs du service militaire, auxquels a heureusement échappé le service civique. Je rappelle par exemple l’exclusion des filles, la place importante de l’arbitraire et des privations de liberté dans son fonctionnement, sans parler du maniement, certes contrôlé, mais prépondérant des armes à l’heure où celles-ci tendent à circuler bien trop librement dans notre société.

Mais, aujourd'hui, nous savons que nous n’avons pas les moyens d’une prise en charge annuelle de 700 000 jeunes en hébergement collectif avec un encadrement permanent. Bye bye donc l’universalité du service civique !

Alors, devant le succès que connaît déjà le service civique volontaire, n’est-il pas préférable de chercher à perfectionner le dispositif avant de penser à le rendre obligatoire ?

Les 7 millions de jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans nous invitent à nous poser de nombreuses questions.

Quel est l’âge convenable à retenir pour effectuer ce service civique ? Dans notre système scolaire et d’enseignement supérieur, toute interruption de scolarité est malheureusement pénalisante. Il faut remédier à cette contrainte.

Quelle en est en outre la durée idéale ? Les associations accueillant les volontaires apprécient un tel appui, mais disent toutes qu’il ne devient efficace qu’à partir d’une période d’intégration et de formation significative.

Le pire serait de vouloir faire du chiffre en réduisant le temps des missions.

Quelle est la bonne gouvernance en termes de choix des affectations pour qu’à la diversité des missions ne correspondent pas les phénomènes de sélection sociale, voire culturelle qui se produisent, nous le voyons, pour les stages ?

Comment éviter les dérives afin que le service civique ne soit pas utilisé en lieu et place de stages ou d’emplois salariés ?

Comme je le disais au début de mon intervention, les propositions faites hier par François Hollande répondent à plusieurs de ces interrogations.

En effet, le président de la République a indiqué vouloir réaffirmer un principe : « Tout jeune de dix-huit à vingt-cinq ans qui aspire à effectuer un service civique pourra le faire. » Ce service durera de six à huit mois et sera consacré à une « mission d’intérêt général ». Le jeune « percevra une indemnité de 470 euros ». Je ne peux ici que saluer les propos du Président de la République. Mais, pour qu’ils deviennent réalité, il faut apporter au service civique plus de moyens financiers.

Le constat est clair : en 2014, près de trois quarts des demandes de participation à ce service ont été refusées.

Avec désormais 170 millions d’euros en 2015 pour 40 000 volontaires, le dispositif monte en puissance. Mais, en l’état, il semble difficile d’atteindre 100 000 bénéficiaires.

Les crédits destinés à la jeunesse ne peuvent pas être l’unique source de financement. Et, puisque la jeunesse est une priorité, il conviendrait que chaque ministère concerné par les champs d’intervention apporte sa juste contribution : éducation, santé, justice, sport...

Le dernier rapport de François Chérèque sur le sujet évoquait la mobilisation de fonds privés.

C’est, pour les écologistes, une option à risques multiples, le premier d’entre eux étant celui d’une altération de l’esprit du service civique au service de l’intérêt public. En revanche, tout comme le Sénat prit, en 2010, l’initiative de la loi instaurant le service civique, le groupe écologiste propose que le Parlement renonce à la réserve parlementaire et oriente les quelque 140 millions d’euros ainsi récupérés chaque année vers le service civique.

La réserve parlementaire, qui jusqu’ici permet le financement d’associations ou de collectivités, continuerait de jouer pleinement son rôle de soutien à celles-ci, sans financement direct des différentes structures. Elle permettrait à plus de jeunes d’effectuer ce service civique et, par des aides, favoriserait leur hébergement ou leur transport, afin d’éviter les discriminations.

Un service civique obligatoire ou accessible à tous ceux qui en exprimeraient le souhait nécessite aussi la consultation de nombreux acteurs de terrain. Une mise en œuvre précipitée, dans des conditions bancales, aurait des effets contraires aux buts recherchés.

Que nous n’ayons pas les moyens de rendre le service civique obligatoire pose un problème : quid des jeunes les plus éloignés de la République, qui ne seront pas les premiers volontaires pour cet engagement ? À nous de trouver, avec eux, des missions qui les motivent. Nous pensons, notamment, aux préconisations de la coordination citoyenne « Pas sans nous ! ».

Le chômage des jeunes, qui s’élève aujourd'hui à 25 %, les inégalités sociales et les discriminations sont le moteur de replis ou d’engagements inspirés par des idéologies extrémistes. N’oublions pas que l’on se reconnaît mieux dans les valeurs de la République quand on perçoit que celle-ci nous reconnaît.

Le service civique volontaire doit être un temps de mixité, une belle aventure d’effort, de découverte, de satisfaction d’avoir contribué à l’intérêt général. C’est ainsi, à notre sens, que la République et, surtout, celles et ceux à qui elle donnera cette chance en sortiront véritablement grandis. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé, en novembre 2014, un « élargissement » du service civique pour aboutir finalement, à la fin du mois de janvier, à la suite des dramatiques attentats, à l’idée d’« un service civique universel » afin de répondre au souhait de renforcer l’éducation à la citoyenneté.

Entre ces deux annonces, beaucoup de questions se posent. Ce service sera-t-il fondé sur le volontariat ou sera-t-il obligatoire ? Quelle sera sa durée ? À partir de quel âge s’appliquera-t-il ? Et surtout, quelle sera son utilité ?

Tout d’abord, faire évoluer ou compléter le dispositif ne peut s’envisager sans évaluer le service civique tel qu’il est aujourd’hui mis en œuvre, et ce dans tous ses aspects.

À propos de la perception qu’ont les jeunes du dispositif actuel, ma collègue Éliane Assassi a fait référence au sondage TNS-SOFRES de juillet 2014. S’il en ressort que de nombreux jeunes affirment avoir acquis une ouverture au monde, de la confiance en eux et envers les autres, et donc se sentent des citoyens plus actifs et plus impliqués, il n’en demeure pas moins que cette perception diffère en fonction du niveau d’études. Si les jeunes diplômés en recherche d’emploi abordent le service civique comme un tremplin ou comme une nouvelle expérience professionnelle, le constat est beaucoup plus nuancé pour les jeunes les moins diplômés, ce qui est en contradiction avec l’objectif initial du service civique.

Concernant l’analyse des structures d’accueil – associations, collectivités et services publics –, il apparaît que de nombreux jeunes ayant effectué un service civique au sein d’une association s’engagent et s’impliquent par la suite au sein même de l’association. Le service civique peut même déboucher sur un emploi dans la structure d’accueil.

De nombreuses associations estiment cependant qu’une durée minimum s’impose pour que les objectifs du service civique puissent être atteints. Une durée de six mois est souvent avancée, ce qui signifie que deux à trois mois seraient inappropriés. En outre, si l’encadrement n’est pas suffisant et si le jeune est peu autonome, le service civique peut conduire à un sentiment de déshérence et d’abandon.

Il apparaît également, et cela est confirmé par le rapport de la Cour des comptes de février 2014, que certains jeunes ont une mauvaise perception du service civique, assimilé à un contrat d’insertion parmi d’autres, pour faire face au chômage. En conséquence, ces jeunes peuvent exprimer un sentiment de déception quant aux bénéfices retirés de leur engagement. Ce constat vise particulièrement les moins formés d’entre eux.

Certaines structures sont d’ailleurs réticentes à accueillir des jeunes peu qualifiés, car cela nécessite un encadrement renforcé. On relève, par exemple, une faible mobilisation des collectivités territoriales en matière d’accueil de jeunes en service civique. Certaines collectivités méconnaissent même ce type de contrat.

Au moment où est envisagé un élargissement notable de l’accès au service civique, et si l’ambition est de faire du service civique un service universel, nous devons nous donner les moyens de cette ambition et réfléchir à un projet de qualité, vecteur de réussite pour les jeunes. Voilà pourquoi le dispositif doit être nettement amélioré.

La finalité première du service civique doit consister à valoriser l’adéquation entre le projet des jeunes et la mission proposée. Cette construction avec et par les jeunes d’un véritable parcours est déterminante dans la réussite du service civique, particulièrement pour celles et ceux qui sont les plus en difficulté. Or cette nécessaire construction, cette recherche d’adéquation pourraient être mises à mal dans le cadre de l’élargissement du dispositif tel qu’envisagé.

Diminuer sa durée à trois mois risquerait également de favoriser l’assimilation du service civique à un simple stage de découverte, ce qui entraînerait de la part des jeunes une implication moindre et exigerait la multiplication des missions proposées. De plus, ainsi raccourci, le service civique pourrait perdre ses objectifs d’insertion et de formation, par abandon de la notion de « projet » et diminution de la qualité des missions.

Par ailleurs, se pose aujourd’hui la question des instances de coordination, de référence, de formation et d’encadrement.

Les réponses, dans ce domaine, sont inégales. Certaines structures sont missionnées pour effectuer cet accompagnement, mais elles manquent de moyens pour l’étendre et le généraliser auprès de l’ensemble des jeunes en service civique. Un élargissement et donc une augmentation du nombre de services civiques ne peuvent en conséquence s’imaginer sans prévoir les réponses nécessaires, notamment en moyens humains pour les structures qui coordonnent et qui bénéficient d’agréments dans nos territoires.

Enfin, il faut traduire ces ambitions en termes budgétaires et non faire du service civique un service bénévole. Agir autrement serait se méprendre totalement sur la définition de l’acte bénévole, qui relève du choix volontaire de l’individu, et non d’un dispositif et d’une réponse de la société, si généreux soient-ils.

J’apporterai enfin un dernier éclairage concernant le service civique : celui de son ouverture européenne ou internationale.

De plus en plus de jeunes souhaitent être informés et s’engager pour effectuer des missions à l’étranger, en Europe et, plus globalement, dans le monde. Les opportunités à cet égard sont aujourd’hui marginales et sont l’expression de grandes inégalités : les jeunes qui effectuent leur service civique à l’étranger sont plus âgés et, encore une fois, plus fortement diplômés.

À l’étranger plus encore que sur le territoire, la question de l’encadrement est inéluctable. Faute d’accompagnement structuré, ce sont les inégalités sociales qui se creusent. Il faut donc imaginer un accompagnement plus fort encore concernant les projets internationaux. Il s’agit de véritables chances pour les jeunes. Pourquoi les collectivités ne développeraient-elles pas des actions transversales dans le cadre de leurs coopérations décentralisées ou de leurs jumelages ?

En conclusion, tâchons de multiplier ces opportunités pour le plus grand nombre de jeunes. Faisons de ce service civique un outil qui permette réellement la mixité sociale, sans qu’il soit pour autant l’unique réponse en faveur de l’éducation à la citoyenneté. La formation et la lutte contre le chômage des jeunes appellent des réponses beaucoup plus appropriées.

La Nation se doit d’être à la hauteur de cette ambition en s’assurant des moyens humains et budgétaires nécessaires afin de garantir les objectifs du service civique, de développer l’implication citoyenne des jeunes et leur insertion dans la société, dans des conditions matérielles et humaines favorables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Jean-Louis Carrère applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2010, Yvon Collin, auteur de la proposition de loi relative au service civique, et Martin Hirsch, à l’époque Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, avaient, dans cet hémicycle, dit leur rêve de voir défiler ensemble sur les Champs-Élysées, lors des cérémonies du 14 Juillet, des promotions de jeunes volontaires du service civique. Ce rêve est devenu réalité en 2013, une centaine de jeunes coiffés de béret et habillés d’un costume bleu, blanc et rouge spécialement créé pour l’occasion ont défilé au côté des militaires.

Cette image constitua un symbole puissant de la République réunie et forte, en ce jour de réconciliation et d’unité de tous les Français.

Alors que le service civique fête ses cinq années d’existence, le débat judicieusement proposé par le groupe CRC prend une dimension particulière après les événements de début janvier qui ont touché de plein fouet la France et les valeurs de notre République.

Nous ne nous attarderons pas sur la terminologie de service « civique » ou « civil ». Cette question a été tranchée depuis que le service civil a été remplacé par le service civique, en 2010. Le terme de « civil » n’avait au reste de sens qu’en opposition à la conscription militaire, qui n’est plus. Nous préférons ainsi le terme de « civique », qui dérive du substantif « citoyen » et désigne donc l’attachement de ce dernier à la Cité et à ses devoirs. Plus que la morale, il nous faut restaurer le civisme !

M. Jean-Claude Requier. La suppression du service militaire a laissé un grand vide, mal comblé par le service civil créé en 2006, à la suite des émeutes dans les banlieues. En 2010, le service civique a été adopté, sur proposition du groupe du RDSE. Depuis, ce service civique a bénéficié à plus de 65 000 jeunes dans près de 4 000 organismes agréés différents. C’est donc un succès.

La conscription a longtemps constitué le creuset de la République et l’occasion de l’ancrage profond à ses valeurs, en participant à l’écriture de son édification et de son histoire. Des jeunes de classes sociales hétérogènes s’y rencontraient et faisaient connaissance avec la République. C’est précisément au regard de cette double rencontre que notre pacte social achoppe aujourd’hui.

Lors de l’examen de la proposition de loi du RDSE en 2010, nombreux avaient été ceux qui, y compris parmi les signataires de la proposition de loi, défendaient la création d’un service civique obligatoire. Néanmoins, en l’absence de majorité parlementaire, nous avions opté pour une phase de transition devant permettre de procéder à une évaluation du dispositif, en vue de laisser ensuite la mesure monter en puissance afin de la rendre finalement obligatoire.

Tout en étant conscients des limites inhérentes à cette mesure – elle devra être accompagnée d’autres dispositions en faveur de la rencontre républicaine et de l’égalité des chances –, nous sommes plusieurs à nous prononcer en faveur de cette « école de la République », obligatoire pour tous et universelle.

Les attentats du début du mois de janvier résonnent comme un avertissement, tout comme les 1 200 djihadistes partis sur des théâtres d’opérations au Moyen-Orient. Nous devons donc nous poser la question de savoir ce qui fonde le lien social aujourd’hui, ainsi que l’appartenance à une communauté de valeurs, valeurs que nous proclamons et définissons comme républicaines – le terme n’est pas désuet !

La question du service civique obligatoire réside entièrement dans les modalités de sa mise en œuvre, mais aussi dans son financement.

En effet, en novembre dernier, nos collègues Jean-Jacques Lozach et Jacques-Bernard Magner invitaient à une clarification des fonctions, d’une part, du service civique, qui constitue d’abord et avant tout un dispositif d’insertion civique et de sensibilisation des jeunes à la notion d’intérêt général, et, d’autre part, des différents types de contrat aidé et de revenu minimum, qui se focalisent sur l’insertion professionnelle des jeunes les plus défavorisés.

Seuls 21 % des volontaires en service civique sont des jeunes ne disposant d’aucune qualification. Les marges de progrès en termes de mixité sociale parmi les volontaires du service civique sont donc très importantes. Ce à quoi s’ajoute l’utilisation parfois biaisée du dispositif par le milieu associatif, en faveur de jeunes diplômés demandeurs d’emploi.

Il faut enfin valoriser le service civique, encore trop souvent méconnu, y compris dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur. La publicité malheureuse qu’il a connue ces derniers temps est une occasion inespérée de faire naître un élan !

Rendre le service civique obligatoire, pour quelques mois au moins, pourrait convenir à l’ensemble des jeunes Français, qu’ils soient diplômés, en passe de l’être ou simplement jeunes travailleurs. Pour les étudiants, le service civique obligatoire pendant une durée limitée – les vacances, par exemple – ne poserait pas de difficulté matérielle particulière, puisque ce dernier serait rémunéré. En revanche, les jeunes travailleurs qui, au niveau actuel de rémunération du service civique - il varie entre 574 euros et 680 euros -, verraient leurs ressources diminuer : il s’agirait de trouver alors une solution de financement viable et réaliste.

Par ailleurs, pourquoi ne pas encourager les plus anciens à participer à l’encadrement du service civique, au tutorat, à la formation citoyenne, à la préparation à l’entrée dans la vie active et, pour certains, à l’accueil-hébergement des jeunes en cours de service ? Qui n’a jamais connu les difficultés inhérentes à la jeunesse, ses errances, ses doutes, ses espérances, aussi ?

Le service civique n’est pas et ne doit pas être un gadget social ou une mesure d’affichage comme on en a trop connu. Il constitue au contraire une des clés de voûte de l’avenir de notre pacte républicain et mérite donc qu’on s’y intéresse sérieusement si l’on croit encore en l’avenir de la République.

Il y a un vide qu’il faut combler pour permettre à la République de prendre en compte l’ensemble de la jeunesse. Car n’oublions jamais, mes chers collègues, cette vérité qu’énonçait Georges Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune : « Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents ! » (Applaudissements.)

M. Jean-Louis Carrère. Appréciez cette culture hispanique !

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans quelques jours, nous fêterons le cinquième anniversaire de la loi du 10 mars 2010, qui a institué le service civique.

La question du caractère obligatoire ou volontaire du service civique s’est récemment de nouveau posée lors des événements tragiques, ces attentats meurtriers que la France a connus en ce début janvier 2015.

Déjà, en 2005, il a fallu la crise des banlieues pour que le sujet de la mise en place d’un service civique, obligatoire ou volontaire, soit de nouveau d’actualité.

Bien qu’énoncée dans la loi d’abrogation du service militaire de 1997, initiée par Jacques Chirac, l’idée d’y substituer un service civique n’avait pas à cette époque prospéré.

Même si le choix d’une armée de métier paraissait répondre aux enjeux internationaux, je regrette, à titre personnel, la fin pure et simple du service national militaire. C’était en effet un excellent détecteur des difficultés que peuvent rencontrer les jeunes Français : l’addiction, l’endoctrinement, l’illettrisme. Il permettait un brassage social et était un moyen d’inculquer un certain nombre de principes et de valeurs qui constituent le socle de notre vivre ensemble.

J’aurais été favorable au maintien, en 1997, d’un service national militaire obligatoire d’une durée de trois mois, et non plus d’un an, assorti de dispenses pour les jeunes déjà entrés sur le marché du travail. Mais cette page est tournée et la notion d’obligation à l’égard de la jeunesse ne s’exprime plus dans les mêmes termes.

La Journée défense et citoyenneté, mise en place après la fin du service national, est une journée d’information en direction de tous les jeunes. Mais ce n’est pas sur un laps de temps aussi court qu’il est possible de repérer un certain nombre de difficultés, comme l’endoctrinement, qui est un vrai sujet d’actualité pour nous aujourd'hui.

La fin du service national a créé un vide dans l’opinion, plutôt favorable à la mise en place d’un substitut tel qu’un service civil ou civique. Mais ce service a eu du mal à se mettre en place, puisque l’on comptait, en 2006, seulement 6 298 volontaires sur les 50 000 escomptés.

De ce fait, les différents candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont tous fait des propositions pour améliorer le dispositif.

C’est ainsi que, le 10 mars 2010, a été adoptée par le Parlement, à une quasi-unanimité, la loi relative au service civique, qui instaure donc un service non obligatoire, à destination des 16-25 ans, pour des missions d’intérêt général, d’une durée de six à douze mois.

Le service civique a pour ambition l’engagement des jeunes et la cohésion sociale.

En juillet 2014, le Gouvernement s’est fixé comme objectif d’accueillir 100 000 jeunes d’ici à 2017. François Chérèque, président de l’Agence du service civique, a alors indiqué un certain nombre de pistes pour atteindre ce chiffre, pistes qui ont été très peu reprises depuis.

Lors de sa conférence de presse du 5 février dernier, le Président de la République a déclaré souhaiter que tous les jeunes désirant effectuer un service civique puissent être accueillis d’ici au 1er juin 2015, ce qui représente entre 140 000 et 170 000 jeunes par an. Ce n’est pas mince !

Devant ces nouveaux objectifs, je suis inquiet.

En multipliant le nombre de volontaires, ne risque-t-on pas d’offrir des missions de moindre qualité et de fragiliser le dispositif, si les jeunes n’y trouvent pas leur compte ?

Le chiffre de 140 000 à 170 000 volontaires engagés me semble très ambitieux, voire irréaliste.

Avant de vouloir augmenter le nombre global de jeunes en contrat de service civique, je pense qu’il conviendrait plutôt de remplir les objectifs fixés par la loi du 10 mars 2010. En effet, la Cour des comptes, dans son rapport de 2014, pointait quelques insuffisances.

Ainsi, comme l’ont d'ailleurs souligné plusieurs orateurs, les bénéficiaires seraient moins de 25 % à ne pas avoir le baccalauréat. Seulement 17,7 % sont issus des quartiers, contre 25 % attendus, et seulement 0,4 % sont handicapés, alors que l’objectif était de 6 %.

Les jeunes volontaires, comme les associations ou les collectivités territoriales qui les accueillent, doivent y trouver leur compte. C’est pourquoi il convient de veiller à la qualité des missions proposées.

Par ailleurs, le service civil ne doit pas empiéter sur le marché du travail et se substituer à des emplois, comme l’indique la Cour des comptes.

Mais, surtout, avons-nous financièrement parlant les moyens de répondre à toutes les demandes ?

Le budget de l’Agence du service civique pour 2015 est de 170 millions d’euros. Permettre à 170 000 jeunes d’effectuer un service civique représenterait un coût global pour la Nation d’environ 600 millions d’euros.

Par ailleurs, rendre ce service civique obligatoire et universel pour une période de six mois coûterait de 3 milliards à 5 milliards d’euros.

Il faut rester réaliste.

Le service civique est une bonne chose. Ainsi, les attentats de janvier 2015 nous ont rappelé combien, aux côtés des familles et de l’école, la Nation se devait d’apprendre aux plus jeunes – ou de leur remémorer - qu’ils n’étaient pas de simples consommateurs de « droits », mais qu’ils avaient aussi des « devoirs » envers elle.

Le service civique est un outil intéressant, et il peut également constituer un bon moyen de mobiliser des jeunes afin de favoriser l’accès à la culture en milieu rural ou dans nos banlieues.

Je pense également au projet de loi que nous étudions actuellement concernant le vieillissement de la population : clairement, nous pourrions mobiliser les jeunes autour de cette problématique.

Je ne crois pas, cependant, que nous puissions rendre le service civique obligatoire ; il faut toutefois le rendre plus attractif pour les jeunes.

Une simplification des procédures administratives, notamment s’agissant de l’obtention de l’agrément, serait bienvenue.

La valorisation, sur le plan professionnel, de cette période et des expériences acquises durant ce service civique est également à mettre en avant.

Voilà l’ensemble des éléments que je souhaitais aujourd'hui verser à ce débat. Si nous sommes favorables au service civique, qui nous apparaît comme une bonne idée, nous craignons toutefois que les moyens, en tout cas ceux qui sont mobilisables, ne soient trop limités pour en permettre la généralisation et le rendre obligatoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2006 a été créé un « service civil volontaire » permettant aux 16-25 ans de s’intégrer pour six, neuf ou douze mois au sein d’une organisation ayant une mission d’intérêt général ou favorisant l’insertion professionnelle, dans des secteurs divers tels que la défense, la police, la santé ou la culture. Ce service n’a pas rencontré un très grand succès, il faut bien le reconnaître.

En 2010, il a été remplacé par un « service civique » dit « engagement de service civique », toujours non obligatoire, toujours pour des missions d’intérêt général, toujours ouvert aux 16-25 ans, qui perçoivent une indemnisation d’environ 575 euros prise en charge par l’État

Ce service civique présente un grand intérêt.

Tout d’abord, il offre la possibilité aux jeunes qu’il concerne de vivre de nouvelles expériences et de s’ouvrir à d’autres horizons.

Il permet de recevoir et de transmettre le sens des valeurs républicaines et de contribuer au renforcement du lien social. Il favorise la mixité sociale, et le brassage ainsi créé permet aux jeunes d’horizons différents de se rencontrer et de se connaître.

C’est aussi une occasion de développer, ou d’acquérir, de nouvelles compétences. En effet, toute mission de service civique est accompagnée d’un tutorat individualisé et d’un accompagnement à la définition du projet d’avenir du jeune engagé.

Ainsi, le service civique, qui prend en compte les besoins et les attentes des volontaires, constitue une étape importante de leur engagement dans la société.

Cette nouvelle forme de service civique a donc rencontré un certain succès et, aujourd’hui, elle concerne environ 40 000 jeunes. Malheureusement, et nous pouvons le regretter, quatre demandes sur cinq aujourd’hui ne reçoivent pas de réponse positive.

Par ailleurs, sur l’année 2013, 60 % des volontaires avaient un niveau équivalent ou inférieur au bac, les 40 % restants étant des étudiants. Près de 18 % des engagés venaient de quartiers populaires, ce qui est sans doute insuffisant et à améliorer. En 2014, ce sont 5 000 jeunes sortis du système éducatif sans diplôme qui ont effectué une mission de service civique.

Lors de sa conférence de presse du 5 février dernier, le Président de la République a confirmé son souhait de renforcer la cohésion de la société française et annoncé sa volonté de développer cette forme d’engagement et de la rendre universelle.

Pour ma part, je suis très satisfait que notre Président ait manifesté cette volonté.

En effet, il est paradoxal de constater que, à l’heure des réseaux sociaux et de l’« hypercommunication », l’isolement et l’indifférence à l’autre figurent au nombre des problèmes majeurs. Or, c’est l’attention que l’on porte à l’autre qui cimente une nation et il paraît nécessaire qu’un « creuset républicain », un socle de valeurs communes, soit créé.

Il faut aujourd’hui se poser la question : pourquoi une partie de notre jeunesse, ou même de nos concitoyens en général, ne se reconnaît-elle plus dans les valeurs de la République ?

Je partage donc tout à fait la volonté du Président de la République et, pour cela, je souhaite que le dispositif du service civique soit amélioré.

Après la refondation de l’école en 2013 et l’introduction de la morale laïque dans les programmes scolaires, on pourrait envisager qu’une première étape du service civique se déroule à l’école, durant l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, c’est-à-dire avant 16 ans. Élément de base de l’éducation à la citoyenneté, la préparation au service civique pourrait se dérouler sur les quatre années du collège et être valorisée en faisant l’objet d’évaluations, comme toute autre matière enseignée. Le processus trouverait son aboutissement dans une étape finale qui se déroulerait sur trois mois, entre 16 et 25 ans, et permettrait à tout jeune qui le souhaite d’accéder au service civique encadré et rémunéré.

Ainsi, je souhaite que la dotation du service civique soit augmentée, ce qui permettrait de le rendre universel – tout jeune qui en fait la demande pourrait l’effectuer – mais en restant sur la base du volontariat.

En effet, pour ce service, recruter sur la base du volontariat, c’est positiver l’engagement des jeunes et considérer que ces jeunes sont une ressource. D’ailleurs, le plus souvent, les jeunes qui effectuent un service civique sont fiers d’être volontaires et de donner de leur temps. Ils insistent sur la dimension de leur engagement, ayant le sentiment de partager des valeurs positives.

Par ailleurs, il faut bien le constater, nous vivons dans un monde où la conscience de nos droits se développe de manière exponentielle tandis que décroît dans les mêmes proportions celle des devoirs. Les jeunes entrent dans une société où les « branchements sont déjà faits », le plus souvent sans avoir bien conscience de ce qu’ils doivent à la collectivité dans laquelle ils vont prendre place : les avantages qu’ils en retirent apparaissent dès lors plus comme un dû que comme une dette. Et je persiste à penser que rien ne peut remplacer l’engagement personnel, volontaire en faveur du collectif pour favoriser une prise de conscience de ce que nous lui devons.

Bien au contraire, rendre le service civique obligatoire serait, à mon avis, considérer que toute la jeunesse pose problème, ce qui, évidemment, n’est pas le cas.

François Chérèque, président de l’Agence du service civique, ne dit pas autre chose lorsqu’il indique : « La conception d’un service civique républicain obligatoire […] me semble autoritaire ou punitive pour la jeunesse ».

Par ailleurs, il paraît nécessaire de trouver des missions de qualité correspondant à la montée en puissance du dispositif, ce qui ne sera sans doute pas facile, tout particulièrement si l’on tient compte des exigences et de l’encadrement nécessaires, ainsi que de quelques malheureuses difficultés financières dont nous sommes les victimes aujourd’hui. Et là, il me semble que les collectivités ont un rôle aujourd’hui primordial à jouer.

En effet, actuellement, 7 % seulement des missions de service civique se déroulent dans des collectivités territoriales, alors que 84 % ont lieu au sein d’associations. Peut-être, sur ce sujet, monsieur le ministre, aurez-vous quelques informations, quelques précisions à nous donner sur la mobilisation des collectivités locales, nécessaires à mon avis, en particulier celle des communes.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, je milite pour un service civique universel, volontaire, ancré dans le monde associatif et les collectivités locales et prenant ses racines dans le terreau de l’école de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.

M. Jackie Pierre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la question binaire posée par le débat de ce jour, il me semble indispensable de déterminer les objectifs visés par le service civil et d’entamer une réflexion sur les modalités de son organisation, afin de mieux évaluer un financement qui se doit d’être réaliste et pérenne.

Car que voulons-nous, et comment allons-nous y parvenir ?

Le débat n’est pas nouveau, mais c'est aujourd’hui une impérieuse nécessité pour notre société, qui a connu, en quelques décennies, d’importantes mutations et a vu un grand nombre des socles qui la constituaient se modifier profondément.

C’est après la disparition du service national, en 1997, que plusieurs réflexions furent entamées pour qu’un temps d’engagement soit proposé aux jeunes, afin de maintenir une dynamique d’intégration dans la société et renforcer l’adhésion aux valeurs de la République.

C’est dans cet esprit que fut créé, par la loi du 10 mars 2010, l’actuel service civique.

Il est aujourd’hui proposé aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, pour un engagement de six à douze mois, et une durée hebdomadaire de travail minimale de vingt-quatre heures et maximale de quarante-huit heures. Il est rémunéré à hauteur de 570 euros par mois.

Son objectif est de renforcer la cohésion nationale et d’offrir aux jeunes volontaires l’opportunité de s’engager en faveur d’un projet collectif d’intérêt général. Les missions proposées sont à caractère éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. Elles sont effectuées auprès d’associations, de collectivités territoriales – mairies, départements, régions – ou d’établissements publics, comme des musées, des collèges ou des lycées.

Le nombre de jeunes engagés est passé de 6 000 en 2010 à 35 000 en 2014. L’an passé, 120 000 candidatures ont été reçues, mais elles n’ont pu toutes être acceptées, faute de financement.

Le budget alloué par la loi de finances pour 2015 pour l’engagement et le volontariat du service civique a été de 125 millions d’euros, auxquels devraient s’ajouter 18 millions d’euros de cofinancement communautaire, permettant ainsi d’atteindre l’effectif de 40 000 jeunes retenus en 2015. La loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 prévoit une augmentation de 100 millions d’euros complémentaires d’ici à 2017, mais elle ne suffira pas à financer le nombre envisagé de 100 000 volontaires qui s’engageraient dans les conditions actuelles.

Lors d’une récente conférence de presse, le Président de la République a annoncé vouloir ouvrir le service civique à tous les volontaires ; cela pourrait concerner entre 120 000 et 160 000 jeunes et représenter un budget pour l’État, hors coût laissé à la charge des structures d’accueil, d’environ 600 millions d’euros, ainsi que l’a estimé François Chérèque, président de l’Agence du service civique.

En outre, et toujours selon François Chérèque, si le service civique devenait obligatoire dans sa forme actuelle, son coût serait de 3 milliards d’euros par an.

Outre la charge financière extrêmement lourde que représente le service civique, sa finalité même semble loin d’être atteinte. Plusieurs études, dont un rapport publié par la Cour des comptes en 2014, indiquent que l’objectif de mixité sociale n’est que très partiellement atteint et que de nombreuses lacunes subsistent en matière de tutorat et de formation, ainsi que dans l’offre de missions.

En fait, il ressort que le dispositif actuel constitue, pour la majorité des jeunes volontaires interrogés, une occasion de construction personnelle. Le dispositif semble s’inscrire davantage dans une politique d’emploi en faveur des jeunes, voire de lutte contre le décrochage scolaire, que dans une réelle démarche d’apprentissage du civisme.

Tout aussi louable que soit cette chance offerte aux jeunes, le service civique actuel ne semble répondre ni au questionnement ni aux attentes exprimées par l’opinion publique et les hommes politiques depuis les attentats terroristes qui ont frappé la France en janvier dernier.

De plus, son caractère facultatif altère la symbolique forte d’une République s’engageant pour instaurer ou restaurer les valeurs sur lesquelles elle s’est construite.

Car, en réalité, quels objectifs voulons-nous atteindre ?

Ne s’agit-il pas, prioritairement, de réaffirmer le principe de réciprocité sur lequel est fondée notre République, en redéfinissant avec force et précision l’indissociable socle des droits et des obligations de chaque citoyen ?

Ne s’agit-il pas d’œuvrer pour éviter que certains jeunes, plus fragiles que d’autres, en rupture avec leur milieu familial et scolaire, en manque de repères et influençables, ne se retrouvent en déshérence socioprofessionnelle ou ne deviennent la proie d’organisations criminelles ou terroristes ?

Ne s’agit-il pas de rassembler et motiver les jeunes dans un élan d’appartenance nationale, garant du respect des identités, tout en incitant à la mixité sociale ?

Ne s’agit-il pas, enfin, d’éveiller aux valeurs de l’engagement, de la solidarité et de l’intérêt général ?

Alors, comment adapter et organiser cet enseignement et cet engagement civique sans altérer plus encore nos finances publiques, tout en leur conférant un cadre universel et efficace ?

Bien que le débat d’aujourd’hui n’en soit pas l’objet, je souhaite vous livrer quelques pistes de réflexion pouvant mener à l’élaboration de ce que je nommerai un « parcours citoyen ».

Ne peut-on envisager un premier temps d’apprentissage, au sein des établissements scolaires, dispensé, partiellement ou non, sur le temps scolaire, dès la sixième, par exemple ?

Cet enseignement pourrait être constitué d’un socle thématique reprenant les fondements de l’histoire et des valeurs qui ont construit notre République et ses institutions. Il pourrait être animé par des intervenants issus du milieu politique, des services de sécurité et de justice, ou par d’autres acteurs investis dans les domaines social et économique. Il pourrait être complété par des visites au sein des principales institutions de notre pays, des associations et des entreprises.

Ce parcours citoyen pourrait faire l’objet d’une épreuve intégrée, en fin de troisième, au brevet des collèges. Un « livret de vie civile » viendrait confirmer ce premier enseignement.

Ne peut-on envisager, en complément, un temps d’expérience et d’engagement civique, à accomplir entre 16 et 20 ans, d’une durée obligatoire d’un mois et pouvant être prolongé de façon facultative jusqu’à trois mois ?

Afin de ne pas pénaliser les jeunes ayant besoin de travailler pour financer leurs études, un dédommagement financier devrait être envisagé. D’autres avantages, tel un accès simplifié et réduit au permis de conduire, pourraient être également proposés aux jeunes volontaires.

Je ne m’étendrai pas plus sur le sujet. Il existe, j’en suis persuadé, de nombreuses pistes de réflexion permettant de conduire à l’élaboration cohérente et adaptée d’une conscience civique.

Car, de la même façon que l’instruction a permis de réduire l’ignorance et ses entraves, l’apprentissage du civisme doit permettre de renforcer le respect du jeune citoyen envers la collectivité, ses conventions et ses lois.

Et, de la même façon que l’instruction fut rendue obligatoire, cet apprentissage du civisme, j’en suis convaincu, doit aujourd’hui devenir obligatoire.

Cette opinion semble d’ailleurs partagée par la majorité des Français, puisque 73,8 % d’entre eux plébiscitaient l’idée d’un service civique obligatoire, contre 65 % en mai 2014, comme l’indiquait, le 29 janvier dernier, un sondage réalisé par le journal 20 minutes.

Cela étant, mes chers collègues, je souhaite terminer sur un simple mais ferme constat : le civisme ne concerne pas seulement les plus jeunes. Pour qu’il puisse s’inscrire durablement dans notre société, il est essentiel que chacun d’entre nous, dans l’exercice quotidien de son rôle, de ses missions ou de ses fonctions, par ses paroles et par ses actes, œuvre pour lui donner tout son sens, toute sa cohérence, et le brandisse comme un repère infaillible pour notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’effroi suscité par les récents attentats meurtriers et les réactions parfois contrastées qu’ils ont provoquées nous ont naturellement conduits à nous interroger sur la transmission des valeurs républicaines.

En effet, si une grande partie de la communauté nationale s’est retrouvée pour condamner ces actions meurtrières et marquer son attachement aux valeurs qui fondent notre société, au premier rang desquelles la liberté et la laïcité, très vite, cependant, ont été mises en lumière les failles de cette union, et les attentats ont rapidement été perçus comme le symptôme d’un mal dont souffre une partie de notre jeunesse et, n’ayons pas peur de le dire, d’un dysfonctionnement de notre société.

Le chef de l’État a marqué sa volonté d’améliorer la cohésion nationale et la transmission des valeurs de la République. Le développement du service civique est assurément l’un des vecteurs pour parvenir à cet objectif. Cela étant, faut-il le présenter comme la panacée pour restaurer ce sentiment d’appartenance à la Nation qui semble être devenu étranger à nombre de nos concitoyens et donc, logiquement, le rendre obligatoire ? Je n’en suis pas si sûre.

Dès la loi de 1997 mettant fin à la conscription obligatoire, le vide engendré en termes de lien social, de sentiment d’appartenance à la communauté nationale, de transmission des valeurs de la République et de brassage tant social que culturel a été constaté.

Après la loi sur le volontariat civil, c’est à la suite de la crise des banlieues de 2005 que la loi pour l’égalité des chances a donné un statut officiel au service volontaire civil. Cependant, entre 2006 et 2009, seuls 3 000 volontaires sont effectivement entrés dans le dispositif.

La loi du 10 mars 2010 a donc créé le service civique, au statut plus homogène, plus lisible et plus attractif, dans le souci de renforcer les valeurs civiques et républicaines d’une société en mal de repères. Cinq ans plus tard, ce constat est encore terriblement d’actualité.

Que faire, dans ces conditions ?

Plusieurs sondages publiés récemment révèlent que 78 % des Français sont favorables à une extension du service civique à tous les jeunes de 16 à 25 ans.

Rappelons, à cet égard, l’exposé des motifs de la proposition de loi de 2010, qui précisait que le dispositif proposé, « basé sur le volontariat », constituerait une période transitoire, préalable à la création d’un service civique obligatoire.

Mais une seule donnée suffit à refroidir les ardeurs de ceux qui, en toute bonne foi, appellent de leurs vœux un service obligatoire : alors même que les volontaires sont quatre fois plus nombreux, seuls 35 000 jeunes ont bénéficié du service civique en 2014. Dans ces conditions, même si l’intention est louable, il est parfaitement illusoire de rendre obligatoire un engagement que les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de proposer dans de bonnes conditions.

L’aspect financier n’est pas le seul en cause ici, même si François Chérèque, le président de l’Agence du service civique, rappelle qu’il faudrait 600 millions d’euros de budget, à rapporter aux 170 millions actuels, pour accueillir tous les jeunes volontaires.

Avec l’instauration d’un service civique universel, projet porté par le Président de la République et le Gouvernement, l’essentiel est bien de permettre à tous ceux qui en manifestent le désir d’effectuer ce service.

Or la Cour des comptes, dans un rapport publié en février 2014, appelait l’attention sur deux écueils, encore plus évidents dans la perspective d’une montée en puissance du dispositif.

Tout d’abord, ce sont près de 160 000 missions de qualité qu’il s’agit de faire émerger. C’est un véritable défi quand on sait que la Cour s’inquiétait déjà de savoir s’il existait un gisement de 100 000 missions. De surcroît, il faut veiller avec une particulière attention à éviter les risques de substitution à l’emploi qui peuvent être importants dans les secteurs concernés. À l’heure où le chômage des jeunes est si préoccupant, il importe de ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul !

Monsieur le ministre, vous devez, demain, à l’issue de la concertation interministérielle, préciser les contours de la réforme. Pouvez-vous d’ores et déjà nous donner quelques éléments, notamment quant aux secteurs à mobiliser ? En effet, il semble bien que les acteurs publics puissent être davantage sollicités, dans la mesure où 84 % des organismes offrant des missions sont des associations.

Il y a quelques jours, vous signiez avec la ministre de l’écologie une déclaration d’engagement pour la création de plusieurs milliers de missions, dans le cadre d’un programme « Transition énergétique, climat et biodiversité ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l’avancée de ce programme, notamment en termes d’arbitrage financier ?

D’autres programmes sont-ils en cours de finalisation ? Je pense en particulier à une sollicitation des hôpitaux ou des collectivités locales.

Par ailleurs, une concertation est-elle établie avec le ministère des affaires étrangères ? L’ouverture à l’international du service civique demeure en effet très marginale. À la fin de 2012, 1,7 % seulement des jeunes engagés effectuaient leur mission à l’étranger. Il me semble qu’une véritable réflexion doit être menée, car cette ouverture culturelle à l’autre est un moyen sûr de lutter contre le repli identitaire et de se forger une conscience nationale.

Dans ce cadre, ce sont d’abord les États européens qui doivent se mobiliser pour le service civique européen. Comme le rappelle l’Office franco-allemand pour la jeunesse, ce service civique, pensé en termes de réciprocité, permet même de doubler les bénéfices pour le jeune comme pour la société. Plus précisément, je ne doute pas que des missions puissent émerger en collaboration avec le secrétariat d’État au développement et à la francophonie. Monsieur le ministre, cet axe de réflexion a-t-il été engagé ?

Le service civique est un levier essentiel de citoyenneté et il est primordial d’abord de répondre favorablement aux jeunes qui souhaitent s’engager en faveur de l’intérêt général, se rendre utiles, trouver leur place dans la société, mais aussi être mieux reconnus et valorisés.

Toutefois, n’oublions pas qu’une démarche civique ne s’impose pas : elle s’apprend. C’est donc, dans un premier temps, à l’école que revient ce rôle. C’est bien elle qui devra faire naître la conscience d’appartenir à une communauté nationale et susciter ce désir d’engagement. À cet égard, la série de mesures marquant l’engagement résolu du Gouvernement de former les futurs citoyens aux valeurs de la République que Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem a présentée le 22 janvier est à saluer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : service civil, volontaire ou obligatoire ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Telle est la question !

M. André Reichardt. Ainsi posée, cette question en suscite immédiatement d’autres : pour quoi faire ? Quel est l’objectif du service civil ? S’agit-il de mettre le pied à l’étrier à des jeunes en décrochage scolaire, sans formation, sans diplôme et donc, dans les circonstances actuelles, sans emploi ? Ou s’agit-il d’une planche de salut pour une société aux prises avec un communautarisme de plus en plus prégnant et qui cherche à renforcer sa cohésion nationale ?

Selon la réponse apportée à cette dernière question, l’interrogation sur le caractère volontaire ou obligatoire du service civil prendra immanquablement un autre éclairage.

De quoi s’agit-il en effet ? Une période de six à douze mois – huit, en moyenne – pendant laquelle un jeune de 16 à 25 ans effectue une mission d’intérêt général, au sein d’une association, d’une collectivité locale ou d’un établissement public, plus particulièrement dans les secteurs de la santé, de la solidarité et du sport, mission pour laquelle il est rémunéré 573 euros par mois exactement.

Ainsi défini et conçu, le service civil peut effectivement servir à tous les jeunes qui, sans formation et sans emploi, ont le sentiment d’être sans avenir et qui, pour un certain nombre d’entre eux, malheureusement, basculent dans la petite délinquance, la drogue ou autres parcours de vie chaotiques.

Ceux-ci, que la société française, système scolaire en tête, laisse, hélas, au bord du chemin, doivent assurément être aidés. Le service civil peut constituer à leur égard une première occasion de reprendre confiance en eux, de se sentir utiles, de faire des rencontres différentes, d’apprendre des choses, bref, de retrouver foi en leur avenir.

Certes, des dispositifs autres permettent déjà de lutter dans cette direction. Je pense particulièrement à l’apprentissage, célébré hier, lors des Quinzièmes rencontres sénatoriales de l’apprentissage. Il obtient des résultats extraordinaires et il faut absolument le développer, en lui donnant les moyens qui lui manquent. Cela étant, ces dispositifs complémentaires laissent encore trop de jeunes hors de leur champ d’action et les besoins, on le sait, sont si importants !

Dès lors, pour cette catégorie de personnes, il me semble que l’efficacité du service civil ne peut pas reposer sur son caractère obligatoire, mais bien plutôt sur la qualité de la mission et de l’engagement proposé. Il y a actuellement à peu près cinq candidats pour chaque mission : à cet égard, le défi prioritaire est non pas d’augmenter le nombre de postulants en rendant ce service civil obligatoire, mais bien plutôt de faire émerger beaucoup plus de missions de qualité, comme le prônait déjà la Cour des comptes en 2014.

C’est de cette capacité à offrir un nouvel horizon à ces jeunes, avec des encadrants de qualité – cela ne va pas de soi, car on ne s’improvise pas référent de jeunes en difficulté – que dépendra la montée en puissance du service civil. Il devra, soit dit en passant, continuer à être rémunéré, et garder une durée en relation avec le sens d’un engagement civil, au sens étymologique et strict du mot « engagement. »

Par ailleurs, le service civil peut incontestablement constituer un outil en faveur de la cohésion nationale et reconstituer le creuset républicain, perdu depuis la suspension du service militaire obligatoire en 1997. L’école, à laquelle aurait pu incomber cette tâche, n’y parvient malheureusement pas. Au lieu de combler les inégalités de départ, elle les aggrave même parfois.

Dès lors, le service civil qui, souvenons-nous, était déjà une forme d’alternative au service militaire obligatoire, ne pourrait-il pas, à nouveau, jouer ce rôle et devenir lui-même obligatoire aujourd’hui ?

Pour ma part, j’y suis plutôt favorable, mais à la double condition que, d’une part, l’on ne transige pas avec le concept d’« engagement civil », et que, d’autre part, l’on en trouve les moyens.

Ne pas transiger avec la notion d’« engagement civil » signifie clairement que l’on ne diminue pas la durée du service, par exemple à trois mois, comme certains ont proposé de le faire, notamment le Président de la République. En effet, ne consacrer que quelques semaines à une mission qui ne présentera inévitablement qu’un intérêt mitigé, et que le jeune souvent n’aurait pas choisie, s’apparentera plus pour lui à une perte de temps – comme l’était pour certains le service militaire, mes chers collègues – voire à une punition, plutôt qu’à un engagement sociétal.

Par ailleurs, dès lors qu’il s’agit de créer, à l’instar du service militaire, ce creuset républicain où se rencontreront des jeunes issus de cultures et de niveaux sociaux différents – c’est la définition même du creuset -, ce sont 800 000 missions de qualité qu’il s’agira de mobiliser chaque année, correspondant à la totalité d’une classe d’âge.

Pour y parvenir, la réflexion devra porter à tout le moins sur une redéfinition totale de la notion de « service civil ». À cet égard, les inégalités dans le choix des missions pour les différentes catégories de jeunes devront être proscrites, sinon, cela n’aura servi à rien.

Nous devons également poser la question des moyens à mobiliser. Dans la mesure où le service civil serait obligatoire, conviendrait-il de le rémunérer à l’identique ? En maintenant la durée du service et le niveau de rémunération actuels, ce sont vraisemblablement de 3 et 4 milliards d’euros qu’il faudrait mobiliser chaque année !

Quoi qu’il en soit, même si l’on décidait de revenir sur le niveau de rémunération ou sur le principe même d’une rémunération, se poserait la question de la prise en charge des dépenses de la vie courante pour tous ces jeunes pendant la durée de leur service. L’enveloppe financière resterait assurément très importante.

En conclusion, le service civil obligatoire, s’il trouve sa justification dans la refondation – indispensable - du pacte républicain, devra, s’il veut être efficace, s’entourer d’exigences de qualité fortes. Il aura également un coût élevé. Mais, faute d’une autre forme de creuset républicain, à moins de rétablir le service militaire, et face à la perte de repères civiques de tant et tant de jeunes, n’est-ce pas le prix à payer ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation, à la suite de l’heureuse initiative du groupe CRC, ainsi que de la qualité des remarques que j’ai pu entendre aujourd’hui, ce à quelques jours du cinquième anniversaire de la création du service civique.

Cette nouvelle politique publique ne souffre pas, manifestement, de graves polémiques partisanes. Le service civique a été créé, institutionnellement, par un gouvernement de droite, et ce sont les forces de gauche qui vont lui donner un nouvel essor. À cette date, mesdames, messieurs les sénateurs, 80 000 jeunes sont passés dans le dispositif et 76 millions d’heures d’engagement ont ainsi été recensées.

Dans ce moment si particulier où la cohésion nationale est pour le moins fragile, un tel dispositif n’est pas la réponse unique et miraculeuse, mais il est l’un des éléments importants de la solution, qui a du sens, parce qu’il promeut l’engagement et le service à la collectivité.

Le service civique est aussi utile aux jeunes qu’il l’est aux organismes d’accueil : utile aux jeunes, car il leur permet de se mettre au service de l’intérêt général, de développer de nouvelles compétences, de réfléchir à leur parcours ; utile aux organismes d’accueil, car les missions pouvant être confiées à des jeunes en service civique permettent de développer de nouvelles actions, qui n’auraient pas été confiées à du personnel permanent.

Je prendrai un exemple : les jeunes en service civique dans plusieurs hôpitaux, comme, à Créteil, au centre hospitalier intercommunal et à l’hôpital Henri-Mondor, accompagnent aujourd’hui des personnes malades. Ils les aident à se rendre jusqu’au lieu de consultation et à remplir les formulaires administratifs, autant de missions qui améliorent la qualité de l’accueil en milieu hospitalier. Je m’en suis récemment entretenu avec M. François Chérèque : nous avons là, manifestement, un gisement d’au moins 20 000 à 25 000 services civiques potentiels en secteur hospitalier.

Je prendrai comme autre exemple celui des jeunes qui accompagnent les ménages en situation de précarité énergétique. Ils les forment aux écogestes, apportant ainsi une plus-value essentielle à l’action des bailleurs sociaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le service civique est un outil formidable au service de l’engagement des jeunes. D’abord, parce qu’il leur donne les moyens de s’engager sur une période longue, de six à douze mois, grâce à une indemnité de 573 euros - sans oublier les droits ouverts à la sécurité sociale ainsi que les trimestres de cotisation pour la retraite -, mais aussi parce qu’il propose aux jeunes des missions à la fois utiles aux autres et à eux-mêmes.

Le service civique est une expérience de vie ; les jeunes en retirent de nouvelles compétences, de nouveaux projets d’avenir, parfois une nouvelle orientation personnelle, voire professionnelle.

Et, contrairement à une idée reçue, il y a une demande d’engagement chez les jeunes. Aujourd’hui, pour quatre jeunes souhaitant effectuer un service civique, un seul obtient une réponse favorable.

La France compte plus de 3 millions de jeunes bénévoles dans le secteur associatif, soit une augmentation de 30 % en trois ans. Leur enthousiasme à se mettre au service des autres nous oblige à apporter une réponse à la hauteur, en qualité comme en quantité.

La qualité est au rendez-vous aujourd’hui. L’enjeu, c’est de garder ce même niveau de qualité tout en visant au moins 150 000 jeunes en service civique.

Je souhaite donc que ce dispositif monte en charge dans sa forme actuelle, en termes de durée, d’indemnité, de qualité des missions, pour atteindre dès cette année un nombre de 70 000 jeunes, soit un doublement par rapport à 2014, et 150 000, voire 170 000 jeunes en 2016.

Pour se faire, dès 2015, il nous faut mobiliser 237 millions d’euros. Je tiens à vous informer que 65 millions d’euros ont été débloqués pour atteindre ce chiffre, ce qui répond à la préoccupation de M. Jackie Pierre en la matière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, après cette phase expérimentale, il faudra en quelque sorte passer du stade artisanal au stade industriel, pour offrir à tous les jeunes qui le souhaitent l’opportunité de vivre cette expérience de vie unique qu’est le service civique.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, une mobilisation interministérielle massive est indispensable. Comme j’ai déjà commencé à le faire avec Mme Ségolène Royal et M. Bernard Cazeneuve, je vais aller vendre – permettez-moi cette expression – le service civique à tous mes collègues du Gouvernement, pour que les administrations centrales et déconcentrées accueillent des jeunes.

Aujourd’hui, 84 % d’entre eux sont accueillis dans le secteur associatif. Si l’on veut tenir nos engagements, le secteur public devra nécessairement ouvrir davantage ses portes. Je pense encore une fois que c’est une chance pour les structures d’accueil.

La question se pose aussi pour la fonction publique territoriale. Nous travaillons actuellement à un protocole d’accord avec les associations d’élus – Association des maires de France, Assemblée des départements de France, Association des régions de France, Assemblée des communautés de France – afin de mobiliser les collectivités territoriales, car elles seront des acteurs essentiels de cette montée en charge, comme le rappelait M. Jacques-Bernard Magner.

Le service civique à l’international devra également se développer, comme l’ont souhaité Mme Lepage et M. Billout. En effet, je sais combien une expérience de mobilité à l’étranger est source d’enrichissement, combien elle participe au développement de l’autonomie et à l’émancipation des jeunes. Un travail sur ce sujet a été engagé par mes soins avec Mme Michaëlle Jean, nouvelle secrétaire générale à la francophonie.

M. Gattolin a fait part de sa réticence à ce qu’il soit fait appel à des financements privés pour assurer la montée en charge du service civique. À titre personnel, je suis favorable au développement du mécénat et des partenariats, tant qu’ils respectent les valeurs et les principes du service civique. Par exemple, la fondation Agir contre l’exclusion va financer une partie de l’ingénierie du grand programme que Ségolène Royal et moi-même avons lancé. Je pense que c’est une bonne idée et qu’il convient de permettre aux entreprises qui le souhaitent de participer à l’effort national en faveur du service civique.

En revanche, comme M. Gattolin, je considère que le financement du service civique doit relever de l’échelon interministériel. Pour ce qui concerne sa proposition de mobiliser la réserve parlementaire, j’avoue que je n’en attendais pas tant… (Sourires.)

M. Jacques-Bernard Magner. Nous ne sommes pas d’accord !

M. André Reichardt. Nous non plus !

M. Patrick Kanner, ministre. S’agissant de la proposition de donner un caractère obligatoire au service civique, avancée, notamment, par Mme Assassi, j’en comprends la logique : cela permettrait de toucher l’ensemble des jeunes, y compris ceux qui aujourd’hui « échappent à nos radars », tels les décrocheurs, les jeunes en difficulté d’insertion ou sans perspective.

Cependant, je crois profondément à la force de l’engagement, et donc du volontariat : on ne fera pas l’unité nationale contre la volonté des citoyens, en l’occurrence contre celle des jeunes. Il faut convaincre et susciter l’adhésion. Le service civique s’adresse essentiellement à des majeurs, à des adultes autonomes. Dès lors, n’usons pas d’un registre qui pourrait paraître infantilisant ou « punitif », pour reprendre un mot ayant été employé par l’un d’entre vous. M. Requier, qui, avec les membres de son groupe, a fait partie des pionniers en matière de service civique, sait combien cette condition est importante. Le dispositif actuel du service civique rencontre le succès, et j’ai plutôt tendance à vouloir préserver ce qui marche, même si j’ai bien sûr entendu les préoccupations exprimées par d’autres orateurs, en particulier M. Lemoyne.

De même, je reste très sceptique, et c’est un euphémisme, sur l’opportunité de rétablir une forme de service militaire ou de mettre en place un encadrement exclusivement militaire de ce temps d’engagement, car j’estime que le monde associatif et l’ensemble des pouvoirs publics y ont toute leur place. En outre, l’appel sous les drapeaux a été suspendu en 1997, pour des impératifs de professionnalisation de nos armées : il convient de ne pas abandonner cette démarche, qui a porté ses fruits. Par ailleurs, je rappelle que moins de 300 000 jeunes Français avaient participé à la dernière conscription, alors qu’une classe d’âge regroupe aujourd'hui entre 750 000 et 800 000 jeunes.

M. Patrick Kanner, ministre. En revanche, je suis ouvert à l’idée de travailler à un autre dispositif complémentaire, qui toucherait l’ensemble des jeunes. À mon avis, celui-ci devrait plutôt être tourné vers les mineurs, et mis en place en lien avec l’éducation nationale.

À ce stade, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne souhaite pas répondre aux propos provocateurs de votre collègue d’extrême droite. Sa proposition de créer des milices reflète sa nostalgie d’un temps où les valeurs de la République étaient foulées aux pieds. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) J’observe qu’il a d’ailleurs quitté l’hémicycle,…

Mme Éliane Assassi. Telle est son habitude !

M. Patrick Kanner, ministre. … ce qui est discourtois à mon égard et, surtout, au vôtre. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

J’examinerai avec beaucoup d’intérêt les conclusions des travaux que les deux assemblées mèneront sous l’égide de leurs présidents sur le thème de l’engagement, conformément au souhait du Président de la République.

Par ailleurs, je serai particulièrement vigilant sur deux points.

Premièrement, il faut veiller à la qualité des missions, qui ne doivent pas se substituer à des emplois, ainsi que le rappelaient très justement MM. Mouiller et Reichardt, chaque ministère devant élaborer, en lien avec l’Agence du service civique, des référentiels types permettant d’encadrer les missions pouvant être proposées dans son champ d’intervention, soit dans ses administrations, soit auprès des associations. Il existe de nombreuses possibilités de servir l’intérêt général, dans le respect des principes du service civique. Ce sont ces gisements que nous devrons mettre au jour, dans les meilleurs délais. Pour lutter contre les éventuels abus, des contrôles seront mis en place à l’échelon déconcentré. En outre, la formation des tuteurs sera renforcée : c’est une condition indispensable à la montée en puissance du service civique.

Deuxièmement, nous devons nous attacher à permettre à tous les jeunes, quel que soit leur profil, des moins qualifiés aux plus qualifiés, de bénéficier d’un service civique, comme le soulignait justement M. Hervé. Cela étant, les chiffres montrent que, dès à présent, le service civique prend en compte la diversité de la jeunesse française, puisque, sur 100 jeunes volontaires, 18 sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville, 25 ont un niveau inférieur au baccalauréat et 43 un niveau supérieur ou égal.

Peut-être convient-il d’ouvrir plus encore le service civique aux jeunes qui en ont le plus besoin. Que nous appelions cela « discrimination positive » ou « rétablissement de l’égalité des chances », l’objectif, au-delà de la sémantique, est politique : nous devons redonner l’espoir à ces jeunes en grande difficulté.

Pour ce faire, les missions que nous définirons ne devront requérir aucune compétence préalable, de manière à ne pas favoriser les seuls jeunes surdiplômés. Dans le même esprit, si une formation est nécessaire en amont du service civique, elle devra être proposée au jeune pour lui permettre d’accroître ses compétences et d’accomplir correctement sa mission. À titre indicatif, pour le grand programme « environnement », c’est le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, qui sont responsables du pilotage de ces formations, l’objectif étant de recruter 15 000 jeunes au titre du service civique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le service civique ne doit pas devenir un dispositif exclusivement réservé aux jeunes en difficulté ou ouvert uniquement aux jeunes surdiplômés : il doit demeurer à l’image de la jeunesse, dans sa pluralité, dans sa diversité. Son évaluation s’impose pour garantir sa qualité.

Mon illustre prédécesseur Léo Lagrange aimait à répéter qu’« aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes ». Pour ce qui me concerne, je me tiens à votre disposition pour poursuivre nos échanges, dans un esprit de construction collective. En effet, après les attentats de janvier dernier, après le temps de la sidération, de la compassion, le temps de la construction est venu. Ce débat montre que des réponses consensuelles se dégagent.

La montée en charge du service civique mérite de mobiliser l’attention de tous. Je souhaite la promouvoir dans un esprit de rassemblement, avec l’ambition de permettre à tous les jeunes voulant s’engager dans un service civique de pouvoir le faire dès que possible.

La promesse républicaine se construit pour les jeunes, mais surtout avec eux. La nouvelle prime d’activité, annoncée voilà vingt-quatre heures, permettra quant à elle d’apporter une réponse aux jeunes de moins de 25 ans qui travaillent. Le service civique contribuera de manière significative à relever les défis qui ont été évoqués. C’est aussi une priorité du Gouvernement de la France.

Pour conclure, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’évoquer la mémoire de Claude Dilain. Il manquera à vos débats. Il manque déjà à ses amis ; j’ai l’honneur d’avoir été l’un d’eux. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, je souhaite apporter une précision.

M. le ministre a déclaré que le service civique avait été créé sur l’initiative d’un sénateur de droite et mis en œuvre par la gauche. Or la loi de 2010 est issue d’une proposition de loi qui a été déposée le 14 septembre 2009 sur le bureau du Sénat et dont le premier signataire était Yvon Collin, qui, à ma connaissance, n’est pas un sénateur de droite – il est membre du parti radical de gauche –, non plus que la plupart de ses cosignataires, tels Nicolas Alfonsi, Jean-Michel Baylet, Michel Charasse, Jean-Pierre Chevènement, François Fortassin, Françoise Laborde, Jacques Mézard, Jean-Pierre Plancade, Robert Tropeano ou Raymond Vall. Certes, Gilbert Barbier et Aymeri de Montesquiou, qui ne sont pas connus pour être de gauche, ont également signé cette proposition de loi, mais cela est conforme à la nature de notre groupe, qui a la particularité d’être « transcourants », si je puis dire ! Cette précision méritait d’être apportée.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Service civil : volontaire ou obligatoire ? »

3

Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution

M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Jean Vincent Placé, président du groupe écologiste, a demandé, ce jour, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 325 pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Desessard et les membres du groupe écologiste et déposée le 4 mars 2015.

Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents, qui se tiendra le mercredi 11 mars prochain.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Questions d’actualité au Gouvernement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.

risque d’abstention lors des élections départementales et régionales

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Michel Vaspart. Ma question s’adresse, ou plutôt s’adressait, à M. le Premier ministre.

D’élection en élection, la montée quasiment inexorable de l’abstention perturbe gravement notre système démocratique. Les causes en sont multiples, tout comme les responsabilités, d’ailleurs. Lorsque, à la mobilisation sincère et spontanée de tout un peuple, en janvier, répond un désaveu du scrutin lors d’une élection partielle, quelques jours après, on ne peut que s’inquiéter !

MM. Roger Karoutchi et Charles Revet. Eh oui !

M. Michel Vaspart. Les élections départementales risquent malheureusement de confirmer cette funeste dynamique. Il est difficile en effet de motiver les électeurs, alors que tout semble fait pour les détourner de l’isoloir, avec d’abord l’improvisation d’une « réforme arbitraire, conçue dans la panique consécutive à la déroute des élections municipales, improvisée sur un coin de table à l’Élysée, en parfaite contradiction avec les déclarations des uns et des autres » !

M. Jean-Louis Carrère. Voilà un homme plein de nuances !

M. Michel Vaspart. Je veux évidemment parler de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, dont Bruno Retailleau, que je viens de citer, avait si justement cerné les motivations. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Monsieur le ministre, vous faites cette réforme à l’envers, en ayant commencé par la carte plutôt que par les responsabilités et les compétences, et en oubliant, pour le moment, les financements ! Les candidats font actuellement campagne alors que la loi déterminant les futures compétences des départements n’a pas terminé son parcours législatif : c’est du jamais vu sous la Ve République !

Votre réforme a conduit à un véritable charcutage électoral,…

M. Charles Revet. Exactement !

M. Michel Vaspart. … dont personne ne mesure les conséquences.

Le nouveau mode de scrutin est ubuesque : avec deux élus par territoire,…

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Dont une femme, en plus !

M. Michel Vaspart. … nous nous retrouverons avec plus d’élus qu’auparavant, alors qu’une réforme vertueuse aurait dû aboutir au résultat contraire ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

Vous nous annonciez la disparition des départements pour 2020 ; finalement, vous les maintenez et les renforcez !

M. Jean-Louis Carrère. Sarkozy les supprimera !

M. Michel Vaspart. Où est la cohérence et qui peut comprendre ? Ce ne seront pas les élections régionales de décembre prochain, quand les rigueurs de l’hiver se feront sentir dans beaucoup de départements, qui inciteront les électeurs à aller voter.

M. Jean-Louis Carrère. Ne pleurez pas !

M. Michel Vaspart. Enfin, pas un jour ne passe sans que des pronostics désastreux pour la majorité gouvernementale ne viennent obscurcir votre horizon.

M. Alain Richard. La question, s’il vous plaît !

M. Jean-Louis Carrère. Il n’y a pas de question !

M. Michel Vaspart. Monsieur le ministre, ma question sera donc simple (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), exempte de tout procès d’intention : souhaitez-vous vraiment donner envie à l’électeur d’aller aux urnes aux mois de mars et de décembre prochains ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question très équilibrée (Rires sur les travées du groupe socialiste.), nuancée, dépourvue de tout esprit polémique et de nature à donner envie aux Français d’aller voter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour renforcer la participation aux élections, trois conditions doivent être réunies.

Tout d’abord, dans un contexte de tensions, d’affrontement et d’éloignement des Français de la chose politique, il faut que nous nous efforcions tous, par des échanges et des débats de qualité, de redonner à nos compatriotes l’envie de se rendre aux urnes. Réaliser cette première condition suppose l’engagement de tous les responsables politiques qui portent une parole publique : cela dépend donc de chacune et de chacun d’entre nous.

Ensuite, nous devons inciter les électeurs à aller voter. Le Gouvernement a décidé d’engager une très forte campagne de communication pour les mobiliser. Animée par le service d’information du Gouvernement, utilisant les réseaux sociaux et internet, cette campagne, intitulée « Oui je vote », me semble répondre à votre préoccupation, monsieur le sénateur, et pourrait être très avantageusement relayée par votre organisation politique et par vous-même.

Enfin, il convient de favoriser l’inscription sur les listes électorales, afin qu’un maximum de Français puissent voter et que ceux qui ont déménagé entre le moment où ils se sont inscrits et la date du scrutin n’en soient pas empêchés. Je vous invite donc à soutenir la proposition de loi inspirée du rapport transpartisan de M. Jean-Luc Warsmann et de Mme Élisabeth Pochon qui sera prochainement soumise au Sénat. Ce texte vise à rendre possible l’inscription sur les listes électorales jusqu’au 30 septembre prochain en vue des élections de 2015, et jusqu’à la dernière minute à l’horizon de 2017.

Pour ce qui concerne la réforme territoriale, très souvent annoncée dans le passé mais jamais faite, nous l’avons entreprise, et nous continuerons à la conduire dans l’intérêt du pays ! (Protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

situation d’areva

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, pour le groupe du RDSE.

M. François Fortassin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Elle concerne la situation et l’avenir de la filière nucléaire française, filière d’excellence à laquelle les membres de mon groupe et la Haute Assemblée sont très attachés, comme l’ont montré nos récents débats sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

M. François Fortassin. Est-il nécessaire de rappeler que cette filière stratégique, qui compte 2 500 entreprises et 220 000 salariés, est un facteur essentiel de la souveraineté et de l’indépendance énergétique de notre pays ?

Monsieur le ministre, le Président de la République a annoncé hier à Madrid, à l’issue d’un sommet consacré aux interconnexions énergétiques entre l’Espagne, le Portugal et la France, qu’il avait demandé aux dirigeants d’AREVA et d’EDF de travailler à un rapprochement. Il les a appelés à coopérer pour définir avec l’État, qui est actionnaire des deux groupes à hauteur de plus de 80 %, une « nouvelle stratégie industrielle » pour « donner un avenir à la filière nucléaire française », afin « qu’aucun licenciement ne puisse être prononcé ». Nous souscrivons pleinement aux propos du chef de l’État.

Monsieur le ministre, la situation est en effet très préoccupante : AREVA vient d’annoncer une perte annuelle de près de 5 milliards d’euros ! Déjà endetté à hauteur de 5,8 milliards d’euros, le groupe table sur un cash flow négatif de 1,7 milliard d’euros en 2015 et, en 2016, il devra s’acquitter de près de 1,5 milliard d’euros au titre du remboursement de sa dette financière.

Dans ces conditions, on comprend que la direction d’AREVA ait annoncé hier un plan de sauvetage prévoyant un recentrage des activités, une nette réduction des investissements et d’importantes cessions d’actifs, à concurrence de plus de 450 millions d’euros. Ce ne devrait être là que la première phase d’une thérapie de choc plus importante encore, qui doit permettre à AREVA de trouver plusieurs milliards d’euros.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part de votre appréciation et de celle du Gouvernement sur la situation d’AREVA et, plus largement, de la filière française du nucléaire, ô combien stratégique ? À combien estimez-vous, à moyen terme, les besoins de financement d’AREVA ? Envisagez-vous de devoir procéder à sa recapitalisation ? Enfin, l’hypothèse d’une entrée d’EDF au capital d’AREVA fait-elle partie des négociations entre les deux groupes ?

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. François Fortassin. Monsieur le ministre, j’apprécie globalement votre action, et pas seulement parce que vous avez de l’affection pour un département qui m’est cher, les Hautes-Pyrénées ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le sénateur, votre question revêt une importance particulière compte tenu des annonces faites hier par AREVA, qui ne manquent pas d’inquiéter les salariés du groupe et nombre de territoires.

M. le Premier ministre a eu l’occasion de le dire hier, l’État prendra toutes ses responsabilités dans cette affaire. Les pertes de 4,8 milliards d’euros annoncées ne sont pas récurrentes : elles sont largement dues à des opérations ponctuelles, à la non-conclusion de contrats à l’étranger ou à la nécessité de provisionner les pertes enregistrées pour quelques grands investissements bien connus.

Cette situation financière impliquera la prise d’une série de mesures dans les prochaines semaines.

Tout d’abord, la stratégie du groupe et ses opérations doivent être revues. L’État accompagnera AREVA dans ce travail. Il s’agira avant tout d’une réorganisation du groupe, avec un effort sur les achats. Par ailleurs, dans la mesure où l’État aura défini avec l’entreprise des règles strictes dans le cadre du dialogue social, des efforts pourront être faits sur l’emploi. J’insiste sur ce point : à aucun moment les pouvoirs publics ne laisseront l’emploi devenir la variable d’ajustement dans le traitement de ce dossier. Il ne doit donc pas y avoir d’ambiguïté sur ce sujet : toutes dispositions seront prises pour que les efforts opérationnels de l’entreprise n’amènent pas à sacrifier l’emploi. Telle est la volonté du Gouvernement. La pyramide des âges au sein de l’entreprise est ce qu’elle est, mais les sites productifs extrêmement importants et les emplois du groupe jouent un rôle fondamental pour les territoires. En outre, la sûreté nucléaire doit bien sûr être préservée.

Le deuxième axe de travail consistera à opérer le rapprochement entre AREVA et EDF et à donner une nouvelle ambition à la filière nucléaire.

La situation que nous connaissons aujourd’hui est largement le fruit d’incohérences qui, dans le passé, ont été couvertes par les pouvoirs publics. On a laissé deux groupes publics dysfonctionner, c’est-à-dire ne plus travailler ensemble. Sur le plan commercial, dans le domaine de l’approvisionnement, en particulier, EDF a fait des choix qui ont nui aux équilibres d’AREVA. Pendant trop longtemps, on a laissé ces deux groupes ne plus coopérer à l’export. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Ces comportements seront corrigés. Nous avons demandé à EDF et à AREVA de travailler ensemble à la redéfinition de l’avenir de la filière nucléaire, en France et pour la France.

Enfin, à l’export, AREVA devra aller plus loin, là aussi avec EDF, en particulier en s’attaquant au marché chinois ; nous l’y aiderons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

non-recours aux droits

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste.

Mme Aline Archimbaud. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

M. Charles Revet. Il n’est pas là !

Mme Aline Archimbaud. Mesdames, messieurs les ministres, vous avez présenté mardi la feuille de route du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, pauvreté qui malheureusement continue à s’intensifier dans notre pays.

Le Gouvernement engage de réelles avancées, et je m’en félicite : il s’agit, par exemple, de l’élargissement du champ de la « Garantie jeunes », du renforcement de l’accompagnement, de la mise en place de la prime d’activité, à condition que celle-ci soit aussi accessible aux jeunes. Il a également tout notre soutien pour la généralisation du tiers payant.

Par ailleurs, un simulateur des droits sera prochainement disponible. Ce dispositif peut certes permettre à des personnes ayant accès à des moyens informatiques de se renseigner sur leurs droits, mais il est largement insuffisant pour diminuer l’extrême complexité des démarches administratives, pour simplifier l’extraordinaire parcours du combattant que doit accomplir celui qui veut faire valoir ses droits et qui explique les taux impressionnants et persistants de non-recours à certains dispositifs. Ainsi, en 2011, 35 % des personnes éligibles au RSA-socle n’en bénéficiaient pas, et, en 2013, 20 % des personnes légalement éligibles à la CMU complémentaire, soit près d’un million de personnes, n’avaient pas ouvert leurs droits !

J’ai remis il y a un an et demi à M. Jean-Marc Ayrault un rapport comportant des propositions simples pour lutter contre le non-recours aux droits et préconisant notamment un choc de simplification. Je ne comprends pas pourquoi ces propositions ont été si peu prises en compte par le Gouvernement depuis lors.

Je ne peux imaginer que l’État table sur un non-recours aux prestations prévues par la loi pour faire des économies. Il est impossible de penser que l’on spécule sur le fait que beaucoup, découragés, perdus dans les méandres administratifs, renoncent à accéder à leurs droits.

Cela a fait « économiser » plus de 6 milliards d’euros au budget de l’État, mais ce serait une grave erreur de penser que ces non-dépenses sont de véritables économies, car les dégâts sanitaires, sociaux engendrent des dépenses bien plus importantes et le non-accès aux droits suscite une désespérance qui brouille les repères républicains et favorise la montée des extrémismes.

Pourquoi ne mettez-vous pas en place dès maintenant des mesures de simplification drastiques pour l’accès aux droits sociaux ? Pourquoi, par exemple, refuser de rendre automatique l’attribution de la CMU complémentaire aux bénéficiaires du RSA-socle, alors que les plafonds sont strictement les mêmes pour les deux dispositifs ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, je vous prie d’abord de bien vouloir excuser Marisol Touraine, qui ne pouvait pas être présente cet après-midi.

M. Alain Gournac. C’est dommage !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je vais essayer de vous convaincre qu’il n’y a nulle suspicion à entretenir à l’encontre du Gouvernement, qui considère que le non-recours aux droits est une injustice supplémentaire subie par ceux qui souffrent déjà le plus d’injustices.

Le Premier ministre a présenté cette semaine la feuille de route pour la période 2015-2017 du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Elle comporte des mesures fortes et efficaces pour limiter le non-recours aux droits.

Tout d’abord, le simulateur de droits permettra à chacun d’identifier les droits sociaux auxquels il peut prétendre, le non-recours étant trop souvent lié à l’ignorance de l’existence de la prestation.

Parallèlement, nous allons lancer une vaste campagne de communication pour mieux faire connaître l’aide à la complémentaire santé.

On constate en effet que ce dispositif reste mal connu, alors même que nous l’améliorons de manière significative au 1er juillet de cette année en supprimant les franchises médicales pour ses bénéficiaires, en mettant en place le tiers payant et en sélectionnant les contrats.

Cette campagne d’information mobilisera notamment tous les réseaux en contact avec les publics concernés : caisses de sécurité sociale, caisses d’allocations familiales, centres d’action sociale.

En ce qui concerne l’automaticité de l’attribution de certaines prestations, madame la sénatrice, nous la faisons déjà avancer. Ainsi, le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, que vous aurez à examiner les 17, 18 et 19 mars prochains, prévoit la reconduction automatique de l’aide à la complémentaire santé pour les bénéficiaires du minimum vieillesse.

Rendre automatique l’attribution d’autres prestations supposerait de modifier le mode de calcul de celles-ci. Le RSA est recalculé tous les trois mois, avec de nombreuses entrées et sorties du dispositif, alors que la CMU complémentaire est attribuée pour un an : accorder celle-ci de manière automatique aux bénéficiaires du RSA pourrait engendrer un surcroît de complexité, ce que nous veillons à éviter.

Lutter contre le non-recours aux droits, c’est aussi simplifier les prestations. Le Premier ministre a annoncé mardi dernier une réforme majeure : la création de la prime d’activité, qui permettra de remplacer deux prestations complexes, peu lisibles, par une prime unique et simple. Son montant sera stabilisé pour trois mois, afin de mettre un terme aux variations trop fréquentes, qui donnaient lieu à des rappels et à des abus incompréhensibles.

Comme vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement est mobilisé pour lutter contre le non-recours aux droits et faire progresser la justice sociale : c’est l’un des défis que nous entendons relever ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

Monsieur le ministre, le 11 décembre dernier, mon ami Pierre Laurent vous avait interrogé de manière très précise sur le texte que le Gouvernement a imposé à l’Assemblée nationale par le biais de la procédure de l’article 49-3, sans le faire voter stricto sensu.

Vous lui aviez répondu en ces termes, avec une certaine violence et un certain mépris : « Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je ne sais d'ailleurs pas si vous avez lu le texte qui a été déposé depuis hier en conseil des ministres. »

Peut-être allez-vous reconnaître aujourd’hui le bien-fondé des propos de M. Laurent ? Peut-être est-ce finalement vous, monsieur le ministre, qui n’aviez pas bien lu le texte de votre projet de loi…

M. Laurent avait dénoncé une généralisation du travail de nuit et du dimanche : vrai ou faux, monsieur le ministre ?

M. Alain Gournac. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Il avait annoncé une libéralisation du secteur des transports en autocar : vrai ou faux ?

MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Philippe Dallier. C’est vrai et c’est très bien !

Mme Éliane Assassi. Il avait alerté sur la privatisation des aéroports de Nice et de Lyon : avait-il mal lu, comme les 35 000 Niçois qui ont signé une pétition contre cette mesure ? (Non ! sur les travées de l’UMP.)

Vendrez-vous, oui ou non, une part du capital de nos entreprises de défense ? Réfutez-vous toute remise en cause des droits des salariés ? Ne vous attaquez-vous pas au droit du licenciement ? Vous régularisez sans doute les choses, mais ne validez-vous pas le principe européen scandaleux du travail détaché ?

Ces mesures, parmi d’autres, vous ont coûté votre majorité à l’Assemblée nationale, car beaucoup de nos collègues députés sont conscients de leur caractère dévastateur pour la société française.

Votre projet de loi a une colonne vertébrale et une vraie cohérence : l’objectif est d’accroître les profits des actionnaires.

Monsieur le ministre, j’en viens à ma question fondamentale : comment osez-vous présenter un projet de loi destiné à favoriser la relance économique sans présenter la moindre mesure contraignant à investir les immenses richesses produites au profit de l’emploi, de la lutte contre la précarité ?

Monsieur le ministre, pourquoi n’avez-vous pas proposé la moindre mesure pour contraindre les banques à orienter leurs moyens phénoménaux vers la production industrielle, plutôt que vers les circuits financiers les plus occultes ?

M. Roger Karoutchi. Alors, monsieur le ministre ?

Mme Éliane Assassi. S’il vous plaît, monsieur le ministre, ne nous opposez pas un discours agressif, selon lequel il y aurait, d’un côté, des modernistes, et, de l’autre, des passéistes !

M. Éric Doligé. Il a raison !

M. Roger Karoutchi. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Acceptez, monsieur le ministre, que nous ne partagions pas vos recettes libérales…

M. Roger Karoutchi. Libérales, libérales…

Mme Éliane Assassi. … et que nous leur opposions de vraies solutions de gauche lors du débat au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Madame la sénatrice, le texte qui sera bientôt soumis au Sénat est le fruit de 200 heures de débat à l’Assemblée nationale,…

MM. Alain Gournac et Philippe Mouiller. Le 49-3 !

M. Emmanuel Macron, ministre. … d’un vote sur chacun de ses articles. Le Gouvernement a finalement décidé de recourir à l’article 49-3 de la Constitution, conformément au parlementarisme rationalisé de la VRépublique. En aucun cas il ne s’agit d’un coup de force, en aucun cas je n’ai refusé le débat. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)

Non, madame la sénatrice, l’esprit du texte n’est pas de contraindre ! Il est de redonner des droits, d’ouvrir des possibilités, tout en protégeant les salariés.

En particulier, le projet de loi vise à mettre fin au monopole bancaire sur le financement des entreprises, en permettant le financement interentreprises, ce qui est une véritable avancée.

Non, madame la sénatrice, ce texte ne généralise pas le travail de nuit et le travail du dimanche. Le travail en soirée est autorisé dans les zones touristiques internationales que j’ai très précisément décrites à l’Assemblée nationale, mais il devra être payé double, ce qui est rarement le cas aujourd’hui.

Le projet de loi tend également à mettre en œuvre l’homogénéisation et la compensation systématique du travail dominical : aujourd'hui, la loi ne prévoit aucune compensation dans 640 zones touristiques de notre pays. L’ouverture sera possible jusqu’à douze dimanches par an en zones commerciales, en zones touristiques et dans les villes dont le maire l’aura décidé, avec pour les salariés concernés une compensation définie par voie d’accord : sans accord, il n’y aura pas d’ouverture ! Il s’agit d’une avancée en termes de protection des salariés.

Non, ce texte ne prévoit pas une libéralisation à tout crin du transport par autocars ! Il vise à simplifier le marché et à permettre, pour le transport privé, l’ouverture de lignes actuellement inexploitées en raison de l’existence de trop nombreuses contraintes.

Je reviendrai, au cours de nos débats à venir, sur la question du droit du licenciement, mais je ne peux laisser dire, à ce stade, que le projet de loi y porte atteinte ! Hier, j’ai répondu en détail sur ce point devant la commission spéciale du Sénat.

Enfin, en matière de travail détaché, le texte renforce les sanctions en cas de fraude : c’est là une autre importante avancée sociale.

Au total, le travail du Gouvernement sur ce projet de loi aura consisté à ouvrir de nouveaux droits, mais aussi à assurer davantage de protection. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

volet « développement économique » de la politique de la ville

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck, pour le groupe socialiste.

M. René Vandierendonck. Ma question s’adresse à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

Mardi matin, nous avons appris avec une grande tristesse le décès de notre collègue Claude Dilain, qui a, tout au long de son engagement d’élu, incarné les valeurs d’égalité et de fraternité de la République.

Président de l’association « Ville et Banlieue » et de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, l’ANAH, Claude Dilain a également été le rapporteur de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. C’est à ce même micro qu’il s’est exprimé à maintes reprises pour regretter que le développement économique soit un « volet négligé » de la politique de la ville.

Inlassablement, Claude Dilain a prôné la mobilisation des pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – pour orienter et adapter les crédits de droit commun, comme il les appelait, au bénéfice du développement des quartiers.

Le Président de la République, qui lui rendra samedi hommage à Clichy-sous-Bois, a annoncé, lors de sa conférence de presse du 5 février dernier, sa volonté de créer une agence nationale pour le développement économique des territoires.

M. Alain Gournac. Une de plus !

M. René Vandierendonck. Comment l’action de cette nouvelle agence va-t-elle s’articuler avec le nouveau droit commun de l’intervention publique en faveur du développement économique qui se dessine au travers de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, lequel vise notamment à clarifier les attributions de la région et des intercommunalités ? Comment ce développement économique sera-t-il créateur d’emplois pour les habitants de ces quartiers, alors que, comme en témoigne une toute récente étude de France Stratégie, les discriminations pour l’accès à l’emploi ne cessent de s’aggraver ?

Je sais qu’un important comité interministériel se tiendra demain. Cela m’amène, monsieur le ministre, à vous interpeller sur ces questions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, Claude Dilain manquera aux débats de la Haute Assemblée ; il manque déjà à ses amis, dont j’avais l’honneur de faire partie.

Le développement économique des quartiers populaires et l’accès à l’emploi de leurs habitants sont deux axes majeurs du comité interministériel pour l’égalité et la citoyenneté que présidera le Premier ministre demain après-midi.

L’enjeu n’est pas tant d’en faire plus pour ces quartiers que de faire cesser les inégalités dont ils souffrent. Si l’esprit d’entreprise des habitants des quartiers populaires est vif, l’accompagnement, les financements, les locaux adaptés manquent.

L’État mobilise déjà de nombreux moyens, au travers de la Caisse des dépôts et consignations, de Bpifrance ou de l’Établissement public national de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, l’EPARECA, mais nous devons être plus efficaces et, surtout, mieux coordonner les interventions.

Telle est la volonté du Président de la République, qui a décidé la création d’une agence chargée de soutenir l’initiative et le développement économique dans nos quartiers. Elle devra incarner cet objectif politique à l’échelon national, coordonner les acteurs et les dispositifs, servir de centre de ressources et d’expertise, l’ingénierie faisant défaut dans les quartiers populaires.

Associées dès la phase de préfiguration, les collectivités territoriales, notamment les régions et les agglomérations, dont la loi NOTRe clarifiera et renforcera les prérogatives en matière économique, seront les premiers partenaires de cette agence.

Les inégalités sont encore plus frappantes en matière d’accès à l’emploi. Elles affectent en particulier les jeunes. Dans ces quartiers, le taux de chômage est de plus du double de la moyenne nationale.

Le Gouvernement devra agir sur trois leviers : le renforcement de la présence des services publics, de l’école jusqu’à Pôle emploi ; la mobilisation ciblée des dispositifs de l’emploi, qu’il s’agisse des emplois aidés, du service civique, de l’apprentissage ou de la « Garantie jeunes », préfigurant l’obtention d’un emploi stable pour des jeunes en grande difficulté ; la lutte contre les discriminations dans l’accès à l’emploi.

Monsieur le sénateur, il nous faut tenir la promesse républicaine, qui est d’abord celle de l’égalité pour toutes et tous. Telle est la responsabilité qui m’incombe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

pollution dans la vallée de chamonix

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe UDI-UC.

M. Loïc Hervé. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Lors de nos récentes discussions au Sénat, Mme la ministre a évalué le coût de la transition énergétique à 10 milliards d’euros sur trois ans.

Il ne fait aucun doute qu’il est de notre responsabilité collective de mobiliser l’ensemble de nos compatriotes et les acteurs économiques autour de la préservation de notre environnement, voire de les exhorter à s’engager dans des démarches responsables en la matière, mais encore faut-il leur donner tous les moyens d’y parvenir.

La Haute Assemblée porte un intérêt manifeste à ce défi. Ainsi, ce matin, la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air s’est réunie pour la première fois.

Aujourd’hui, je souhaite pousser un cri d’alarme à propos de la situation de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, où cette question de la pollution de l’air est d’autant plus prégnante qu’elle se double d’une véritable urgence sanitaire.

L’atmosphère, au pied du mont Blanc, est sujette à une pollution aux particules fines et autres polluants nocifs.

M. Loïc Hervé. On y a connu quarante-cinq jours d’alerte en 2014, cinquante-huit en 2013, ce qui est bien supérieur à la limite réglementaire européenne, fixée à trente-cinq jours par an.

Dans ce territoire, les effets de la pollution de l’air sur la mortalité sont indéniables, et le chiffre de soixante décès annuels est parfois avancé.

Le plan de protection de l’atmosphère de la vallée de l’Arve est en place depuis février 2012. Les mesures appliquées, telles que la limitation de la vitesse sur l’autoroute A 40, l’interdiction de la circulation des poids lourds de type Euro 3 ou la mise en œuvre du fonds air-bois, restent insuffisantes à l’échelle du bassin de vie.

Les mesures à prendre sont parfaitement connues ; elles concernent principalement la rénovation énergétique de l’habitat, le développement et le renforcement des transports en commun et l’accompagnement des entreprises industrielles. À titre d’exemple, les collectivités de la Vallée de Chamonix Mont-Blanc se sont déjà mobilisées et fédérées autour d’un plan antipollution comportant trente-cinq mesures.

Compte tenu de la situation d’urgence dans ce territoire de montagne, quelles actions complémentaires, immédiates et de plus long terme, envisagez-vous de mettre en place pour endiguer cette crise sanitaire ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, la vallée de l’Arve subit, en effet, des concentrations importantes de pollution atmosphérique. C’est la zone de la région Rhône-Alpes qui a connu le plus de jours d’activation du dispositif préfectoral d’alerte pollution ces dernières années.

Vous l’avez rappelé, un plan de protection de l’air a été approuvé en février 2012. L’effort porte sur les trois principaux émetteurs de particules fines, à savoir le secteur résidentiel, celui des transports et le secteur industriel, à hauteur respectivement de 61 %, de 23 % et de 12 %.

Des mesures ont déjà été mises en œuvre. Un fonds air-bois, financé par l’ADEME, l'Agence de l’environnement et de la maîtrise de l'énergie, et les collectivités locales, permet d’accorder une aide de 1 000 euros aux particuliers pour le remplacement d’un appareil ancien de chauffage au bois : le millième contrat a été signé voilà quelques jours. La vitesse de circulation est réduite en période hivernale. En cas de pics de pollution, le passage des poids lourds les plus polluants est interdit dans les tunnels du Mont-Blanc, la vallée de l’Arve, les vallées de Maurienne et de la Tarentaise, ainsi que dans les zones urbaines des pays de Savoie. Enfin, des valeurs limites ont été fixées pour les émissions de poussières par les installations de combustion, et le brûlage des résidus, des cultures et des déchets verts est interdit.

Par ailleurs, les habitants de la vallée de l’Arve peuvent bénéficier des nouvelles aides à la transition énergétique, à savoir le crédit d’impôt de 30 %, les aides de l’ANAH pour la réalisation des travaux d’amélioration de la performance énergétique, les aides de l’ADEME, les prêts « verts » de la Banque publique d’investissement et les prêts à long terme de la Caisse des dépôts et consignations en vue d’aider les collectivités. Je rappelle, à cet égard, que les projets des territoires de Chamonix et d’Annecy ont été primés au titre de l’appel à projets « territoires à énergie positive pour la croissance verte ». Leurs actions seront financées dans ce cadre, et vous avez eu raison d’évoquer des projets structurants à long terme, dont la réalisation répond à la volonté du Gouvernement d’organiser le report modal, ce qui permettra de remédier à une situation aujourd’hui très préoccupante. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

manifestations à toulouse et à nantes

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Brigitte Micouleau. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Alors qu’une nouvelle journée nationale d’action des « zadistes » est annoncée pour ce samedi, je souhaite témoigner de l’exaspération et de la colère grandissante d’une très large majorité de nos concitoyens à l’égard de manifestations qui, comme cela a été une nouvelle fois le cas le samedi 21 février dernier à Toulouse et à Nantes ou, en ce moment même, à Roybon, donnent presque systématiquement lieu à des débordements inacceptables.

En effet, aux insultes et aux violences à l’égard des forces de l’ordre – plus d’une dizaine de gendarmes et de policiers ont été blessés – viennent presque toujours s’ajouter des destructions ou des dégradations de véhicules, de mobilier urbain, de commerces par des bandes organisées de casseurs. Pour la seule journée du 21 février, la manifestation « anti Sivens » qui s’est déroulée à Toulouse, avec l’autorisation du préfet de la Haute-Garonne, a occasionné près de 200 000 euros de dégâts au titre des seuls bris de verre…

Même si les compagnies d’assurances et l’État vont prendre en charge les coûts liés aux dégradations commises, le prix à payer pour les commerçants, violemment attaqués, n’en demeure pas moins important. Ils s’inquiètent de l’augmentation inévitable de leurs primes d’assurance dans les prochaines années et s’interrogent sur les pertes de chiffre d’affaires causées par ces manifestations à répétition : celle du 21 février était, je le rappelle, la cinquième en trois mois. Les quatre premières manifestations, juste avant les fêtes de fin d’année, avaient déjà entraîné une baisse d’activité de 50 %. Enfin, n’oublions pas le préjudice moral lié à la destruction de leur outil de travail et au traumatisme causé par ces agressions.

Monsieur le ministre, la détresse de ces commerçants est telle que certains d’entre eux n’hésitent plus à évoquer, dans une lettre ouverte au préfet de la Haute-Garonne, la possibilité de se défendre eux-mêmes.

Vu le contexte actuel, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir nous préciser quelles directives le Gouvernement entend adresser aux préfets concernant la réponse à d’éventuelles demandes d’autorisation de manifestations par les « zadistes ».

Par ailleurs, la justice a ordonné, le 16 février dernier, l’expulsion des « zadistes » du site de Sivens : pouvez-vous nous dire à quelle date le préfet du Tarn fera enfin appliquer cette décision ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. On ne peut avoir, en République, qu’une seule position : assurer le respect du droit, à tout moment et en toutes circonstances. Nous devons avoir en partage, au sein de la République, la volonté de faire en sorte que le droit voté par les représentants du peuple souverain soit respecté. J’affirme donc avec la plus grande clarté que je ne tolérerai pas que des exactions puissent être commises par une minorité non pas de manifestants républicains, mais de casseurs qui doivent être désignés comme tels sans que, à un moment ou à un autre, le droit passe.

Lors des manifestations de Toulouse et de Nantes, quinze policiers et gendarmes ont été blessés, dont certains sérieusement. Il est inacceptable que les forces de l’ordre, dont on a vu à quel point elles se sont exposées, à l’occasion d’événements récents, pour assurer la sécurité des Français dans un contexte tragique, soient ainsi confrontées à des violences commises par une poignée de casseurs, que rien ne saurait justifier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE. –M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)

M. Éric Doligé. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par ailleurs, la liberté de manifester existe en France. Quand on interdit une manifestation, il faut être sûr que cette décision ne sera pas cassée par le juge administratif.

J’ai donné pour instruction de n’interdire les manifestations déclarées que dans des cas très rares de risques graves de troubles à l’ordre public menaçant les biens et les personnes.

M. Roger Karoutchi. C’était le cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Compte tenu de ce qui s’est produit à Toulouse et à Nantes, je n’autoriserai pas d’autres manifestations organisées par les mêmes acteurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du groupe socialiste.) La tenue d’une manifestation demain à Albi, au moment où le conseil général du Tarn délibérera, est annoncée. Compte tenu de l’existence de risques graves pour l’intégrité physique des manifestants, eu égard au climat de violence régnant actuellement, j’ai donné instruction au préfet de ne pas autoriser cette manifestation. Je le dis devant la représentation nationale afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ce point.

Enfin, concernant Sivens, dans un souci d’apaisement, j’ai demandé au préfet de dialoguer avec l’ensemble des parties pour éviter les violences, ce qu’il fait sans trêve ni pause. Dans le même esprit, les forces de l’ordre s’interposent entre des manifestants violents qui veulent en découdre, afin d’éviter des drames. Quant aux décisions de justice, je le dis solennellement devant votre assemblée, elles seront appliquées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Quand ?

travailleurs détachés

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent, pour le groupe socialiste.

M. Maurice Vincent. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Nos compatriotes sont aujourd’hui extrêmement préoccupés par l’augmentation rapide du nombre de travailleurs détachés en France, estimé aujourd’hui à 300 000 environ.

Si la liberté de circulation constitue un des piliers de la construction européenne, à laquelle nous sommes tous attachés, elle ne doit pas conduire, sur le terrain, à la mise en concurrence des travailleurs européens et à une situation de dumping social.

Malheureusement, on constate sur l’ensemble de notre territoire des pratiques à la fois illégales et indignes, dans des secteurs aussi variés que le bâtiment et les travaux publics, les transports, l’agriculture ou la sécurité privée.

Monsieur le ministre, la France a joué un rôle moteur pour promouvoir une meilleure régulation européenne fondée sur l’obligation, pour chaque État membre, de mettre en place une responsabilité du donneur d’ordres en cas de fraude au détachement de travailleurs. Concrètement, l’adoption, l’été dernier, de la proposition de loi de Gilles Savary nous a permis de transposer dans le droit français un arsenal judiciaire efficace pour lutter contre ces fraudes. Je me réjouis également que de nouveaux dispositifs soient présentés, en particulier en ce qui concerne le secteur des transports, au travers du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, texte sur lequel le Sénat aura prochainement à se prononcer.

Cependant, monsieur le ministre, nos compatriotes restent inquiets. Comment le Gouvernement entend-il répondre à ces inquiétudes, mettre en place un contrôle exigeant et étendu de ces pratiques et sanctionner les fraudes au détachement de travailleurs dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, vous connaissez la détermination du Gouvernement à lutter contre les pratiques abusives en matière de détachement de travailleurs. Elle a été réaffirmée par le Premier ministre devant la Commission nationale de lutte contre le travail illégal, en février dernier.

Le Gouvernement s’est engagé fortement au niveau européen, en 2013 puis en 2014, en soutenant la proposition de loi Savary, dont l’adoption a permis d’inscrire dans notre droit interne la responsabilité du donneur d’ordres en cas de fraude.

Toutefois, l’action doit être amplifiée. C’est pourquoi le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques comprend trois mesures très importantes pour lutter contre le travail illégal : l’augmentation de 10 000 euros à 500 000 euros du montant de l’amende administrative ; l’ouverture de la possibilité, pour l’autorité administrative, de suspendre une prestation de services internationale en cas de fraude manifeste ; enfin, la généralisation de la carte professionnelle obligatoire, voulue par la Fédération française du bâtiment. Cette mobilisation sera, je n’en doute pas, soutenue par le Sénat.

Par ailleurs, les contrôles seront considérablement renforcés en 2015 : 30 000 contrôles conjoints seront opérés avec l’URSSAF, notamment dans les secteurs prioritaires. Une action ciblée portera sur 500 grands chantiers clairement identifiés. De plus, j’ai veillé à mettre en place une nouvelle organisation de l’inspection du travail en vue d’accentuer le contrôle, en créant un groupe national chargé des affaires les plus sensibles, dont l’action sera relayée dans toutes les régions par des unités territoriales de lutte contre le travail illégal.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est totalement engagé dans la lutte contre le travail détaché illégal, pour protéger à la fois les salariés employés dans des conditions indignes et les entreprises victimes du dumping social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

développement énergétique de la Corse

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Panunzi. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et concerne l’avenir énergétique de la Corse.

Devant l’inquiétude grandissante des habitants de la Corse, le député Laurent Marcangeli a récemment interpellé le Gouvernement sur le devenir de la centrale de production d’électricité d’Ajaccio et sur l’état d’avancement du projet d’alimentation de l’île en gaz naturel.

En réponse, le Gouvernement s’est engagé à alimenter la Corse en gaz naturel pour approvisionner la nouvelle centrale thermique de Lucciana. En outre, il s’est déclaré favorable à ce que le nouvel équipement industriel d’Ajaccio fonctionne au fioul léger en attendant l’arrivée du gaz.

Considérant l’urgence de la situation et les nouvelles voies ouvertes par le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, je demande au Gouvernement de lancer sans délai les travaux d’évaluation des besoins et de programmation des capacités énergétiques de la Corse.

Sur commande de Mme Royal, le président de la collectivité territoriale de la Corse et le préfet de région pourraient élaborer conjointement, dans le cadre d’un comité stratégique regroupant les opérateurs et intercommunalités concernés, une programmation pluriannuelle de l’énergie qui serait soumise à l’approbation de la collectivité territoriale de la Corse, puis fixée par décret avant le mois de juin 2015.

Cette programmation devra entériner de façon définitive les préalables indispensables au lancement de ces projets, permettant de mettre la Corse à l’abri d’une nouvelle crise énergétique.

Ces préalables sont au nombre de cinq : la décision de l’arrivée du gaz naturel en Corse ; la commande à EDF de la création d’un nouvel équipement de production d’électricité à Ajaccio, fonctionnant dans un premier temps au fioul domestique, en attendant l’arrivée du gaz naturel, afin de sécuriser au plus vite l’équilibre du système électrique ; la désignation par l’État, sur le territoire du pays ajaccien, d’un emplacement répondant aux critères définis par le gestionnaire du système électrique pour construire et exploiter un nouvel équipement industriel ; la couverture des frais d’études et des éventuels coûts échoués des opérateurs engagés dans la définition et la mise en œuvre du schéma industriel ; la clarification du rôle des opérateurs industriels dans le schéma d’approvisionnement en gaz naturel de l’île.

La Corse attend depuis trop longtemps que soient prises les décisions qui s’imposent. Nous ne voulons pas exposer les Corses à une nouvelle crise énergétique comparable à celle qu’ils ont vécue en 2005. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, les territoires insulaires sont au cœur de la transition énergétique, et Ségolène Royal a voulu que l’appel à projets concerne toutes les îles, pour que celles-ci deviennent des territoires à énergie positive.

La Corse s’investit déjà dans cette démarche. La communauté d’agglomération de Bastia et la communauté d’agglomération des pays ajacciens sont lauréates de cet appel à projets. Mais l’île doit encore accélérer sa transition par des économies d’énergie, la mise en œuvre de transports propres et le développement des énergies renouvelables.

Vous demandez un lancement rapide des travaux d’évaluation des besoins et de programmation des capacités énergétiques de la Corse. Cette demande a également été formulée par le président du conseil exécutif de Corse, Paul Giacobbi, et la vice-présidente de celui-ci, Mme Guidicelli. Les débats au Sénat sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ont permis à la Corse de se doter d’une programmation pluriannuelle de l’énergie spécifique, comme c’est le cas pour les autres territoires insulaires.

Le Gouvernement est favorable à ce que les travaux d’élaboration de cette programmation pour la Corse soient lancés rapidement, par anticipation du vote de la loi et en étroite collaboration avec la collectivité territoriale de Corse. Ce sera l’occasion de traiter tous les sujets que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur.

Le Gouvernement est notamment attentif à la sécurité d’approvisionnement de l’île et s’est engagé à alimenter la Corse en gaz naturel pour approvisionner les centrales thermiques rénovées.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, l’option retenue combine la création d’une barge de gaz naturel liquéfié au large de Bastia et d’une canalisation reliant Bastia à Ajaccio. C’est un engagement que Ségolène Royal a déjà eu l’occasion de confirmer à Paul Giacobbi et à Maria Guidicelli, qui soutiennent fortement ce projet à l’échelon local.

La mise en œuvre du projet a connu des ralentissements. Pour lever les blocages et l’accélérer, l’article 64 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, voté conforme par le Sénat, apporte une solution à la question du financement des études.

Enfin, le Gouvernement est conscient de la nécessité de créer une nouvelle centrale en pays ajaccien. Si ce projet doit être disjoint du calendrier de la mise en place de l’approvisionnement en gaz de l’île, il doit être conçu pour pouvoir fonctionner, à terme, au gaz naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

radicalisation dans les prisons

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste.

M. Henri Cabanel. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, je tiens tout d’abord à vous témoigner mon soutien après les attaques ignobles dont vous avez été la cible ces derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.) Ces propos indignes de la part d’un parlementaire ne font qu’amplifier la défiance que peuvent parfois exprimer les citoyens envers les élus.

Après les tragiques événements du mois de janvier dernier, qui ont nourri le débat sur la montée du radicalisme religieux dans les prisons, j’ai souhaité rencontrer très rapidement les directions et les représentants des syndicats de surveillants des deux établissements pénitentiaires de l’Hérault, situés à Villeneuve-lès-Maguelone et à Béziers. Il s’agissait pour moi de me forger une idée très concrète de la réalité de l’univers carcéral.

Certains ont parfois le sentiment que les prisons sont totalement ouvertes sur l’extérieur. Ce n’est évidemment pas le cas, mais surveillants et directions m’ont exprimé les difficultés qu’ils rencontraient quotidiennement dans l’accomplissement de leur difficile mission.

Pour améliorer encore la lutte contre l’introduction d’objets illicites, véritable fléau qui fragilise la sécurité en milieu carcéral, beaucoup prônent la généralisation de systèmes déjà existants : brouilleurs pour les portables, filets tendus au-dessus des cours de promenade…

Madame la garde des sceaux, je sais votre implication dans le développement de ces solutions. Ces moyens techniques apporteront une réponse partielle aux incidents. Cependant leur déploiement suppose des investissements importants, dans un contexte budgétaire très contraint, alors qu’il ne pourra résoudre tous les problèmes.

Directions et représentants des syndicats s’accordent à dire que, quelle que soit l’évolution des moyens techniques, la base de l’univers pénitentiaire, c’est le surveillant. Il faut donc replacer celui-ci au cœur du dispositif, alors même que, actuellement, dans les établissements de l’Hérault, on compte un surveillant au contact de la population carcérale pour quatre-vingts prisonniers.

Quelles réponses pouvons-nous apporter au souhait des surveillants de mieux connaître la culture et la religion musulmanes ? Comment les aider à surmonter la barrière de la langue ? Les surveillants rencontrés soulignent l’absence de formation des agents de catégorie C sur ces thèmes.

Quels outils leur apporter pour qu’ils puissent, dans le cadre de leur mission d’observation, détecter les signes de radicalisation, sans que cela entraîne pour autant une tension dans les relations avec les prisonniers ?

Par ailleurs, madame la garde des sceaux, à l’heure où vous réfléchissez à un projet d’indemnisation des aumôniers, ne pourrait-on pas combiner cette professionnalisation des aumôniers avec la nécessaire formation des surveillants ? Les aumôniers pourraient ainsi, dans le cadre de leur mission, communiquer leur savoir, de façon pédagogique, au personnel pénitentiaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vos paroles de soutien. Au-delà, je remercie toutes celles et tous ceux qui m’ont exprimé leur soutien ces derniers jours. Malheureusement, il est à craindre que l’occasion ne s’en présente de nouveau…

Je salue le fait que vous vous soyez rendu dans deux établissements pénitentiaires. De manière générale, je souhaite que les parlementaires utilisent la possibilité qui leur est offerte par la loi du 15 juin 2000 de visiter les établissements pénitentiaires, y compris de façon inopinée. Les prisons étant une institution républicaine, il est bon que les représentants du peuple s’y rendent et puissent témoigner de leur fonctionnement.

Vous avez raison de dire que les réponses techniques ne sont pas suffisantes. Elles ne sont que des auxiliaires de l’action humaine. Au mois de juin 2013, j’ai arrêté un plan d’action visant à renforcer la sécurisation des établissements pénitentiaires. Doté de 33 millions d’euros, il a permis d’équiper de nombreux établissements en portiques de détection, en magnétomètres, en filets de protection. Pour autant, je n’ai jamais concentré l’effort exclusivement sur la technique. La technique est passive ; ce qui importe, c’est la capacité des personnels à faire face à une situation évolutive.

Nous avons très tôt pris des mesures dans cette perspective. Ainsi, en 2014, 1 500 agents pénitentiaires, dont 1 200 surveillants, ont reçu une formation initiale et 400 agents ont bénéficié d’une formation continue. Nous avons veillé à inclure dans ces formations des modules sur la laïcité, les institutions républicaines, l’approche des religions et la lutte contre la radicalisation violente.

Ces formations vont encore s’améliorer, puisque, à partir de l’été prochain, la totalité des personnels de vingt-six établissements sensibles suivront des modules supplémentaires sur la lutte non seulement contre la radicalisation violente, mais aussi contre le prosélytisme et l’emprise sectaire.

Nous avons constaté le développement de pratiques de dissimulation des comportements. De ce fait, les critères qui nous permettaient jusqu’à présent d’identifier les détenus radicalisés ne sont plus pertinents. Par conséquent, depuis l’été 2014, j’ai lancé un appel d’offres pour des recherches-actions. Nous travaillons avec des universitaires à la définition de nouveaux critères d’identification des détenus radicalisés et à la mise en place de processus de prise en charge, de séparation lorsque c’est nécessaire ou de déradicalisation.

Nous poursuivons cette action avec les aumôniers, que nous formons sur une base œcuménique. En effet, il importe que tous les aumôniers nationaux soient impliqués dans ce travail de formation, de détection de la radicalisation violente et de diffusion des valeurs républicaines, notamment la laïcité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

bonus de bienvenue pour le directeur général de sanofi

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Mme Mireille Jouve. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

Monsieur le ministre, le groupe pharmaceutique Sanofi est venu récemment rappeler comment peut parfois fonctionner le capitalisme.

Le conseil d’administration du groupe a offert à son nouveau directeur général, Olivier Brandicourt, dont il ne s’agit pas ici de nier les compétences, une indemnité brute de 2 millions d’euros à son arrivée. Il s’est aussi engagé à lui verser la même somme en janvier 2016, s’il est toujours en poste.

Monsieur le ministre, vous avez soutenu, à l’Assemblée nationale, un amendement visant à lier les retraites chapeaux des dirigeants d’entreprise à la performance de celle-ci. Quid des indemnités d’arrivée ? Quelle performance a accomplie M. Brandicourt pour toucher 2 millions d’euros de prime de signature, sinon celle de venir ? Quelle performance aura-t-il accomplie en janvier 2016, quand il touchera 2 millions d’euros supplémentaires, sinon celle d’être resté ? Ajoutons que 6 millions d’euros en actions gratuites lui sont déjà promis s’il atteint certains objectifs sur trois ans.

Non, ce bonus ne relève décidément pas d’une prime au mérite ; son attribution procède seulement d’une tendance regrettable à favoriser, avant toute autre chose, l’appât du gain.

Cette tendance ne fait que se renforcer chez Sanofi, puisque la société, qui a réalisé 6 milliards d’euros de bénéfices en 2013, en a reversé la moitié à ses actionnaires.

Dans le même temps, le groupe n’a pas été aussi généreux avec ses salariés. Depuis 2009, Sanofi a supprimé près de 4 000 postes, notamment dans le secteur de la recherche, et un projet de suppression de 1 800 postes supplémentaires a été révélé mardi soir dans un magazine d’enquête diffusé par France 2.

Aujourd’hui, les syndicats s’interrogent sur la stratégie du groupe au regard de l’avenir de ce secteur, où l’innovation joue pourtant un rôle moteur. Ils n’ont pas tort, tant il est manifeste que les bénéfices servent davantage à rassurer les actionnaires à court terme qu’à financer les investissements du groupe à long terme.

Or Sanofi a touché 136 millions d’euros d’aides publiques de l’État, notamment pour la recherche, et même si le groupe ne réalise que 8 % de son chiffre d’affaires en France, les bénéfices en question sont financés par la sécurité sociale.

Certes, monsieur le ministre, Sanofi est un groupe mondialisé, sur lequel l’État n’a que peu d’emprise ; certes, les exportations de ce groupe s’élèvent à 5,8 milliards d’euros, ce qui profite à la balance commerciale. Toutefois, à l’heure où l’État réduit ses dotations aux collectivités territoriales, où le Gouvernement ne cesse de demander des efforts à nos concitoyens, où la crise prévaut partout, que doit-on dire aux 27 500 salariés de Sanofi ? Qu’il leur faut accepter l’attribution de ce bonus, parce qu’elle relève au fond du capitalisme ordinaire et que, sinon, Sanofi ira implanter son siège ailleurs ? Comment s’y résoudre ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Madame la sénatrice, la question que vous soulevez, en des termes équilibrés, est particulièrement complexe et présente de multiples aspects.

Vous avez raison de souligner le caractère choquant de certaines formes de rémunération, en particulier au regard des restructurations qu’a connues Sanofi.

L’État a constamment fait preuve de la plus extrême vigilance et exigence à l’égard de ces restructurations. Il a d’ailleurs fait pression sur la direction précédente pour qu’elle renonce à mettre en œuvre certains choix stratégiques en termes de recherche et de développement ou d’implantation du siège. Nous avons, en la matière, pris toutes nos responsabilités chaque fois que nous avons été alertés.

Dans le même temps, Sanofi, champion français engagé dans la compétition mondiale, dont 90 % du chiffre d’affaires est aujourd’hui réalisé à l’international, se devait de recruter un dirigeant de la plus grande qualité, le précédent directeur général ayant été démis de ses fonctions. Le processus de sélection a permis de faire revenir un dirigeant français, qui travaillait auparavant pour un groupe étranger. Pour le recruter, Sanofi a dû compenser la perte d’avantages qu’il avait acquis au titre d’un système de retraite chapeau en vigueur dans un autre groupe.

L’industrie pharmaceutique, comme le secteur financier ou celui du sport professionnel, a connu de fortes dérives en matière de rémunération des dirigeants, laquelle est désormais complètement décorrélée de la réalité sociale et économique.

Face à cette situation, il faut en appeler à la responsabilité de chacune et de chacun, sans pour autant procéder à des rapprochements un peu simplistes entre la rémunération d’un dirigeant et les chiffres des licenciements ou les sommes versées par l’État au titre du crédit d’impôt recherche, par exemple.

M. Jean-Pierre Bosino. Cela n’a rien à voir, c’est évident ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Emmanuel Macron, ministre. C’est à l’égard des choix faits par l’entreprise en termes d’implantations, de recherche et de développement que nous devons être exigeants.

Par ailleurs, nous appliquons un principe de responsabilité dans les entreprises publiques, dont la rémunération des dirigeants a été plafonnée par l’État. Nous avons aussi renforcé le code AFEP-MEDEF dans le sens d’une plus grande exigence en termes de rémunération des dirigeants et d’octroi de retraites chapeaux. Surtout, le projet de loi dont vous débattrez à partir du 7 avril, mesdames, messieurs les sénateurs, contient des dispositions visant à contraindre l’attribution de telles retraites. Dès lors que la loi aura été votée, il ne sera plus possible de faire jouer des mécanismes de retraite chapeau déconnectés de la performance de l’entreprise. C’est vers cette moralisation, cet esprit de responsabilité collective que nous devons aller, sans simplification excessive ! (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

5

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014 relative à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon, déposé sur le bureau du Sénat le 14 janvier 2015.

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 10 mars 2015 :

À neuf heures trente :

Questions orales.

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire (n° 620, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 311, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 312, 2014-2015).

Proposition de loi visant à modifier l’article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance (n° 531, 2013--2014) ;

Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 313, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 314, 2013-2014).

À vingt et une heures :

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART