Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaire :
M. Bruno Gilles.
4. Organisme extraparlementaire
7. Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
8. Transition énergétique. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l'ensemble
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
9. Débat sur la situation financière des conseils départementaux face à l’évolution de leurs charges
M. Jean-Léonce Dupont, au nom du groupe UDI-UC
M. René-Paul Savary, au nom du groupe UMP
MM. Vincent Delahaye, Bruno Sido, Thierry Carcenac, Mme Corinne Bouchoux, MM. Christian Favier, François Fortassin, David Rachline, Guy-Dominique Kennel, Vincent Eblé, Jean-Baptiste Lemoyne, Bernard Lalande, Éric Doligé
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
10. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
11. Accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes
Mme Josette Durrieu, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Harlem Désir, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
12. Convention de l'Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées. – Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
13. Nomination des membres d'une éventuelle commission mixte paritaire
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaire :
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 19 février 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. Madame la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue José Balarello, qui fut sénateur des Alpes-Maritimes de 1984 à 2008. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
J’adresse les condoléances du Sénat à sa famille.
3
Décès d’un sénateur
M. le président. J’ai le très profond regret de vous faire part du décès brutal de notre collègue Claude Dilain, survenu ce matin. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.) Nous en avons été informés par le président Didier Guillaume à l’ouverture de la réunion du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat.
Claude Dilain était sénateur de la Seine-Saint-Denis depuis 2011. Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire et à faire part de l’émotion du Sénat. Nous gardons tous le souvenir de son engagement et de ses interventions empreintes de passion.
Maire de Clichy-sous-Bois jusqu’en 2011, où il s’était installé comme pédiatre, Claude Dilain était un membre assidu, actif et apprécié de la commission des affaires sociales, secrétaire du Sénat depuis octobre dernier.
Défenseur des plus pauvres et des quartiers déshérités – je garde en mémoire le regard croisé que lui et Pierre Cardo, maire de Chanteloup-les-Vignes, portaient chacun sur leurs deux villes, en souffrance –, pourfendeur des inégalités territoriales, il était l’une des grandes figures de la politique de la ville dans notre pays et intervenait fréquemment dans notre hémicycle sur ces sujets.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille – je me suis entretenu par téléphone avec son épouse et son fils –, à ses proches et au groupe socialiste, que je sais particulièrement affecté par la brutalité de cette disparition.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
4
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre m’a demandé de lui faire connaître le nom d’un sénateur appelé à siéger comme membre suppléant au sein de la formation élargie du Conseil national du numérique.
Conformément à l’article 9 du règlement du Sénat, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été saisie afin de proposer un candidat.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
5
Commission mixte paritaire
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l’enseignement supérieur.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
6
Dépôt d’un rapport
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l’impact du titre Ier de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances.
7
Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 27 février 2015, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- le mandat d’arrêt à l’encontre des personnes résidant hors du territoire de la République (n° 2014-450 QPC) ;
- et les sanctions disciplinaires des militaires – Arrêts simples (n° 2014-452 QPC).
Acte est donné de ces communications.
8
Transition énergétique
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (projet n° 16, texte de la commission n° 264 rectifié, rapport n° 263, avis nos 236, 237 et 244).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre dans la salle des conférences pour voter, et je suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.
Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de seize heures, puis je donnerai la parole au Gouvernement.
Explications de vote sur l'ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. David Rachline. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pas de vie sans énergie ! La transition énergétique appelle donc dans les faits un changement de notre mode de vie et de nos sources d’énergie ; la difficulté est de mettre l’accent sur le deuxième aspect – consommer mieux – sans trop toucher au premier – consommer moins. Il paraît en effet difficile de revenir en arrière en ce qui concerne le confort, l’utilisation des nouvelles technologies, etc. Personne, pas même nos collègues écologistes, ne souhaite un retour à l’âge de pierre. En tout cas, je l’espère.
Seulement, le principal problème, et non le moindre en ces temps de disette financière, de déficits record et de dettes abyssales, est que l’on ne sait pas très bien comment on va financer toutes ces mesures. Il s’agit certes d’investissements qui, j’en suis convaincu, peuvent participer à relancer notre économie, mais il faut bien les financer. Oui, nous croyons à la croissance verte ! Mais comme nous n’avons plus de leviers financiers – plus exactement, comme vous les avez donnés aux technocrates bruxellois –, je ne vois pas très bien comment l’État et les entreprises publiques spécialisées dans le secteur de l’énergie vont pouvoir financer cette transition.
Dans le domaine énergétique, il convient de se prémunir contre les idées dogmatiques. Même si je ne suis pas d’accord avec toutes les mesures de votre texte, madame le ministre, je considère que vous avez évité de tomber dans le piège dogmatique du tout-énergie renouvelable. Aujourd’hui, en dehors de l’énergie hydraulique, les autres énergies renouvelables – le photovoltaïque, les biocarburants ou l’éolien – ne sont pas viables économiquement, pas viables technologiquement, à moins de recouvrir le sol français d’éoliennes et de panneaux solaires. Or je doute que, dans ce cas, la France reste la première destination touristique au monde…
Oui, il faut encourager la diversification énergétique ! Nous y arriverons, à mon sens, non pas à coup de pourcentages assénés dans une loi, mais en abordant ces questions sous le triptyque écologique, puis technologique et enfin économique.
Dans le domaine de la politique énergétique, nous croyons à la politique des « petits pas » plutôt qu’aux mesures révolutionnaires. Comme on a pu le voir en Allemagne, la fin brutale du nucléaire, choix dogmatique, n’en déplaise à mes collègues écologistes, a fait bondir la production de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, le nucléaire est sans doute la source d’énergie la moins polluante en termes d’émissions de gaz à effet de serre. La question des déchets reste préoccupante, certes, mais je ne vois pas très bien comment favoriser les voitures électriques si l’on se prive de la moins chère et de la moins polluante source d’électricité.
La politique des « petits pas » permet de préserver certaines filières, surtout des filières d’excellence. Je pense ici à la filière nucléaire. Cela permet également de ne pas se lancer à corps perdu dans des filières peut-être séduisantes, mais peu rentables.
Pour conclure, je tiens à rappeler fermement que nous souhaitons que, comme pour la politique économique, nous ayons un véritable État stratège et non pas un État qui brade la responsabilité de nos approvisionnements et de notre production d’énergie à des entreprises privées, parfois à capitaux étrangers. À ce titre, je m’interroge encore sur les risques de privatisation de nos outils de production hydroélectrique contenus dans le projet de loi.
Dans ce texte, de nombreuses mesures vont dans le bon sens, mais, je vous le prédis, la transition énergétique restera un vœu pieux et ne deviendra pas une réalité si vous ne changez pas de modèle économique, ce modèle mondialiste et libre-échangiste.
M. le président. Il faut conclure !
M. David Rachline. Bref, il faut prendre conscience de l’urgence à produire et à consommer local. L’absence de remise en cause du modèle mondialiste par ce texte ne nous permettra pas de le voter. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour le groupe UDI-UC.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est symbolique que le vote solennel sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte intervienne le jour même où Jean-Louis Borloo annonce le lancement de sa fondation pour l’énergie en Afrique, auquel assistait d’ailleurs le président du Sénat.
Rappelons-le, ces sujets sont fondamentaux. Sur le plan économique, d’abord, parce que c’est la croissance elle-même qui est en jeu. Quand on regarde, par exemple, les perspectives de régression de la productivité alimentaire, en raison du réchauffement climatique, tout particulièrement en Afrique, on voit bien que l’Europe ne pourra pas se développer si notre grand voisin africain, dont la population va prochainement doubler, n’a pas accès à l’énergie.
M. Charles Revet. C’est une certitude !
Mme Chantal Jouanno. Sur le plan social, ensuite, car la question du climat soulève un problème d’inégalités. À cet égard, on peut se demander si l’apathie des instances internationales n’est pas une certaine forme de cynisme.
C’est également un sujet de sécurité. Une étude très intéressante vient d’être publiée montrant que le réchauffement de 1 degré du climat contribue à accroître jusqu’à 7 % le risque de conflits internationaux.
C’est aussi un sujet qui concerne notre vision future de l’accès aux ressources stratégiques, et vous savez combien cela me tient à cœur. La question de la transition énergétique ou du Grenelle 3 – peu importe comment on l’appelle, du moment que l’idée nous rassemble – est, je le répète, un sujet fondamental. En la matière, l’exemple de l’Afrique est extrêmement symbolique.
Madame la ministre, je l’ai déjà dit, votre texte me laisse des regrets, parce que des sujets que j’aurais aimé voir creusés ne l’ont pas été.
À mes yeux, la question n’est pas celle de la polémique sur la date à laquelle doit intervenir la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique – 2025, comme vous le proposiez, ou 2040 –, car cette réduction notre groupe la souhaite. Nous avons d’ailleurs déposé une proposition de résolution à ce sujet. Mais, très honnêtement, ce débat est plus économique qu’écologique. D’un point de vue écologique, on peut tout à fait conclure que le nucléaire est finalement un très bon élève. Il pose certes une question de sécurité – quels risques sommes-nous décidés ou pas à assumer sur notre territoire ? –, mais je ne pense pas qu’il faille arbitrer entre le développement ou la réduction du nucléaire et les énergies renouvelables. En effet, sans modification des signaux économiques, tout particulièrement de la fiscalité, nous parviendrons à quelques améliorations, mais nous n’atteindrons pas la profonde transition écologique que la plupart d’entre nous appellent de leurs vœux.
Aujourd’hui, la France est en tête du classement en termes de prélèvements sur le travail et la production en Europe et avant-dernière en matière de fiscalité écologique. J’aimerais que ce classement s’inverse afin d’envoyer un véritable signal économique montrant qu’il vaut mieux créer de l’emploi que de polluer. Malheureusement, ce débat n’a pas eu lieu. Lors de l’examen du projet de loi de finances, on nous a dit qu’il aurait lieu pendant l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique. Aujourd’hui, on nous renvoie à la loi de finances. Cela fait quelques années que cela dure, vous n’êtes pas la première, mais, sans cette profonde modification de la fiscalité, il sera fondamentalement difficile de faire évoluer la question de l’écologie.
Le second débat que j’aurais aimé voir approfondi, mais cela a suscité des réticences sur toutes les travées de cet hémicycle, est celui de la liberté des collectivités, de leur libre droit à expérimenter des mesures hors du carcan des lois, règlements, décrets et autres arrêtés. Les élus assument leurs responsabilités : si les décisions qu’ils prennent pour mener la transition énergétique ne plaisent pas à leurs électeurs, ils ne seront pas reconduits ! Ce débat est constitutionnellement difficile, je le sais. Pour autant, est-ce une raison pour le refermer ? Les collectivités sont bien plus créatives que n’importe quelle administration, quelle que soit la qualité des membres de cette administration, et disposent de bien plus de marges de manœuvre pour mener à bien la transition.
Cela étant, nous voterons le projet de loi, même si certaines de ses dispositions me déplaisent, comme les fameux 1 000 mètres concernant les éoliennes. Le Sénat a en effet apporté de grandes améliorations à ce texte. Je pense, par exemple, à la précarité énergétique : nous avons très nettement renforcé les dispositions concernant la rénovation des bâtiments et accéléré le calendrier. Des dispositions ont également été prises en matière d’énergies renouvelables, notamment avec un meilleur partage de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux et une meilleure concertation. De nombreuses mesures ont aussi été adoptées dans le domaine des transports ; je pense à la multimodalité et au développement des circulations douces.
Reste que je constate avec grand regret le traitement médiatique qui a été réservé à l’énorme travail réalisé par le Sénat. Nous avons examiné plus de mille amendements, nos rapporteurs et nos présidents de commission ont accompli un travail approfondi et les débats ont été transpartisans. Je reconnais également, madame la ministre, et vous savez combien je suis avare de compliments, que nous avons reçu une très bonne écoute de la part du Gouvernement et de l’administration. Je ne voudrais donc pas que le travail du Sénat se trouve résumé à une polémique, très politique, sur une date – 2025 ou pas 2025 –, car ce n’est pas le sujet ni l’ambition de la transition énergétique ou de ce que certains appellent le Grenelle 3.
Je le répète, nous voterons le projet de loi, tout en espérant très fortement qu’il y aura un avenir pour la fiscalité écologique et la libre expérimentation des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP et certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les travaux qui se sont déroulés pendant quinze jours dans cet hémicycle ont été sérieux et de qualité. Ce n’est pas moi qui le dis, mais une voix autorisée, qui vient de l’Assemblée nationale, qui a porté ce jugement tout à fait lucide sur le travail que nous avons mené, ajouterai-je, jusqu’à son terme. Si elle est convoquée, la commission mixte paritaire se verra donc proposer un texte réfléchi et abouti.
Après avoir dit que le groupe UMP que je représente en cet instant votera le texte, ce dont personne ne sera surpris, permettez-moi de faire quelques remarques.
Le projet de loi relatif à la transition énergétique s’inscrit dans le prolongement d’autres textes qui ont été votés par le Parlement ces dix dernières années. Je citerai la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dite « loi POPE », ou la loi du 3 août 2009, dite « Grenelle de l’environnement », en faveur de laquelle le Parlement s’est prononcé à une large majorité. J’y ajouterai des décisions prises par l’Union européenne, qui, à l’intérieur de ce qu’on appelle le « paquet climat-énergie », a fixé des orientations sur lesquelles la France s’est rapidement alignée. C’est ainsi que le texte sur lequel nous allons voter dans un instant reprend des dispositions qui existaient déjà. Je pense au relèvement à 23 % de la part des énergies renouvelables d’ici à 2020, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou aux économies d’énergie. Ces dispositions se trouvent donc renforcées par le présent projet de loi.
Permettez-moi toutefois de dire que certains ont méconnu une évidence durant ce débat : les énergies carbonées sont prépondérantes dans notre système énergétique. Trop souvent, des interventions, venues d’un groupe en particulier, ont pu laisser penser que nous examinions un projet de loi sur l’électricité et, donc, sur le nucléaire. Or je rappelle que, en France, l’énergie électrique ne représente que 23 % de notre consommation d’énergie primaire. À l’intérieur de ces 23 %, près de 80 % de l’électricité provient de l’énergie nucléaire. Ne réduisons pas le débat au nucléaire : ce n’est qu’une petite partie du sujet ! Les trois quarts de la consommation, c’est de l’énergie carbonée, issue du pétrole, du gaz et du charbon. Il faut donc aussi parler du bâtiment, des transports : autant de domaines dans lesquels un effort doit être consenti si l’on veut réduire notre consommation et diminuer les émissions de CO2.
Nous sommes attachés à une politique de l’énergie qui préserve l’indépendance de la France, assure la compétitivité de nos entreprises, préserve le pouvoir d’achat des consommateurs et soit protectrice de l’environnement et du climat. Je me dois de dire que les choix qui ont été faits il y a longtemps, et qui furent prolongés par des gouvernements de sensibilités tout à fait variées, ont été particulièrement protecteurs des intérêts de notre pays. C’est dans cet esprit que nous avons rédigé l’article 1er. Je sais qu’il a été examiné à la loupe par l’ensemble des personnes qui composent cette assemblée tout comme par les observateurs extérieurs. D’une façon générale, il a été considéré qu’il s’agissait d’un texte fondateur, bien écrit, susceptible de rassembler.
Nous sommes conscients que, quels que soient les majorités et les gouvernements, la part du nucléaire dans notre mix énergétique ne pourra que baisser avec le temps. L’objectif de 50 % ne nous contrarie pas. En revanche, la date de 2025 est irréaliste, le délai dans lequel il faudrait fermer vingt réacteurs est impossible à tenir. C’est la raison pour laquelle, sous la plume du rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Ladislas Poniatowski, de nouvelles dispositions sont venues compenser la diminution de l’électricité d’origine nucléaire par de l’électricité non carbonée provenant des énergies renouvelables. Le moment venu, nous arriverons à 50 %.
À l’article 55, qui concerne la puissance installée, nous avons réintroduit l’arrivée de Flamanville à une échéance relativement proche – sans doute 2017 –, afin de tenir compte de façon très pragmatique de ce qui sera mis à la disposition de nos entreprises et des consommateurs.
Par ailleurs, nous félicitons nos collègues socialistes d’avoir présenté un amendement relatif à la distance à respecter entre une éolienne et des habitations. Nous l’avons voté. Voilà une belle coconstruction d’un texte qui, je pense, donne satisfaction au plus grand nombre !
Et demain ? Je ne parle pas là de la CMP, mais des prolongements à donner pour développer une véritable politique énergétique. Demain, madame la ministre, il faudra mettre plus d’Europe, laquelle est malheureusement absente de ce débat. La raison en est simple : il n’existe pas de politique de l’énergie européenne ; chacun fait en fonction de ses moyens. Les pays de l’Union européenne pourraient donc se rassembler sur deux axes : d’une part, favoriser les interconnexions et, d’autre part, soutenir la recherche, notamment concernant le stockage de l’énergie, en particulier de l’électricité. C’est dans le cadre européen que la recherche peut être stimulée et que les échanges peuvent se développer. Des sommes considérables devront donc être engagées.
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous appelons l’ensemble des partenaires européens à se retrouver pour fixer des axes réalistes. Continuons à préserver l’avantage que nous avons ! Après la Suède, la France est en effet le pays qui protège le mieux le climat du fait des choix énergétiques que nous avons faits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’avais conclu mon intervention lors de la discussion générale en indiquant que le futur n’attend pas. Alors, inventons-le dès maintenant ! C’est bien l’objectif de ce projet de loi, dont je salue l’esprit ambitieux, l’audace et la force.
Merci d’avoir osé, madame la ministre ! Nous avons apprécié votre écoute, votre présence, votre esprit d’ouverture. Le dialogue fut vraiment fructueux.
Nous avons fait, je pense, un bon travail de coconstruction, messieurs les rapporteurs. Je ne sais si nous nous sommes dépassés, mais nous avons su dépasser les clivages sur de nombreux sujets. Pas sur tous, hélas ! Au nom du groupe socialiste, je salue votre travail.
Y avait-il urgence à réagir ? Oui, sans doute, tant le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, est alarmant lorsqu’il évoque « des incidences irréversibles et dangereuses ». Face à une telle situation, la seule certitude qui s’impose à nous est celle du choix qui a été fait : le choix d’un mode de croissance verte, qui fait de nous tous les acteurs mêmes de ce changement, jusqu’au cœur du pays, avec les territoires à énergie positive ; le choix de la rupture avec un modèle énergétique qui n’était plus durable et avec une trajectoire qui n’était plus soutenable.
Oui, il y avait bien urgence à réagir, car les sirènes de l’urgence climatique sont de plus en plus stridentes ! Nous étions aussi pressés par l’urgence économique et sociale. En l’occurrence, je pense non seulement à la crise du bâtiment et à l’effet levier de ce projet de loi en matière de croissance et d’emploi, mais aussi au droit de chacun à bénéficier d’un logement décent, qui passe notamment par la lutte contre les logements « passoires » et la précarité énergétique.
Oui, avec l’allongement de la trêve hivernale et la mise en œuvre du chèque énergie, ce texte consacre un peu plus le droit pour tous à l’énergie et au chauffage l’hiver !
Oui, il y avait véritablement urgence à promouvoir l’économie circulaire, car le système linéaire qui consiste à extraire, à fabriquer, à consommer puis à jeter a atteint ses limites ! Saluons donc l’entrée de l’économie circulaire dans notre droit positif.
Oui, l’industrie, le résidentiel tertiaire, les transports constituent d’importants gisements d’économies d’énergie ! Là aussi, il y avait urgence à réagir, car, en ce domaine, nous sortions à peine de la préhistoire.
Non, il n’y avait pas de meilleures réponses aux enjeux climatiques, écologiques, sanitaires et sociaux, non plus qu’à la nécessaire compétitivité de la France ! Il n’y avait pas de meilleures solutions pour impulser cette croissance verte solide, durable, avec la création de nombreux emplois et l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages.
Nous avons ainsi réussi à concilier écologie et économie dans ce texte qui va dans le bon sens.
Oui, la France était tenue d’inventer ce nouveau modèle et se devait de mettre en mouvement la société sur un sujet majeur aux multiples enjeux ! Il fallait un texte qui nous donne rendez-vous avec l’histoire, car la France doit avoir pour ambition de devenir une puissance écologique, un modèle et une référence. En somme, il fallait un texte permettant d’inventer la social-écologie, car, ne l’oublions pas, quand les conditions de vie se détériorent à cause d’un environnement dégradé, ce sont les plus faibles, les plus fragiles, les plus précaires, ainsi que les générations futures qui en subissent les conséquences les plus graves.
M. Jean-Louis Carrère. Eh oui !
M. Roland Courteau. Sur tous ces points, le texte a été enrichi. Mieux, nous avons su faire sauter quelques clivages entre nous, et non des moindres : je pense à la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, au sujet de laquelle nous avons abouti à un compromis en séance publique.
Madame la ministre, vous nous avez rassurés sur les concessions hydroélectriques et l’ouverture à la concurrence. Il ne s’agira pas d’une ouverture sèche, comme celle que nous avait proposée le gouvernement Fillon en 2010.
Vous nous avez rassurés sur la possibilité, contre investissements, de prolonger la durée des concessions au-delà de soixante-quinze ans, et même de quatre-vingt-dix-neuf ans, mais également sur les nouvelles sociétés d’économie mixte hydroélectriques. Ces dernières éviteront la concurrence sèche, laquelle aurait mené à une quasi-privatisation de nos barrages, qui sont, ne l’oublions jamais, des biens publics nationaux.
Concernant les énergies renouvelables, nous saluons la mise en œuvre des dispositifs de participation avec les sociétés de production des énergies renouvelables. Nous nous félicitons aussi des mesures positives sur l’effacement et sur les industries électro-intensives.
Ainsi, jusque-là, vous aurez compris que le groupe socialiste applaudit tant le projet de loi que les améliorations apportées par le Sénat, ce qui me permet, à ce stade, de citer Bernard Maris, assassiné le 7 janvier dernier dans les locaux de Charlie Hebdo : « La réalité de la satisfaction minimale des besoins essentiels de tous – santé, logement, culture – est là, et il appartient à l’humanité de la mettre en œuvre. Il faut renoncer à l’accumulation pour l’accumulation, mais il faudra du temps avant que la stationnarité et même la décroissance soient intégrées dans les gènes. Dans ce nouveau monde, il y aura des actifs, des économistes, des dentistes et, surtout, des artistes. »
Quoi qu’il en soit, madame la ministre, avec ce texte, vous avez ouvert une voie dans cette direction, mais nous regrettons que les deux amendements du Gouvernement sur le nucléaire n’aient pas été adoptés. C’est là pour nous un point d’achoppement important. Je le répète, nous ne sommes ni pour le tout-nucléaire ni pour la sortie du nucléaire. Didier Guillaume a utilement rappelé lors des débats que nous étions favorables à cette énergie décarbonée, mais que nous recherchions un équilibre en la matière.
Il est un autre point de divergence dans le texte qui est soumis à notre vote : le rétablissement des coupures d’eau. Nous désapprouvons le fait que le Sénat, dans sa majorité, ait oublié la violence que constitue pour une famille une coupure d’eau et l’humiliation qu’elle représente.
M. Christian Cambon. C’est une mauvaise interprétation de l’amendement !
M. Roland Courteau. Il est dommage que ces quelques clivages subsistent, car nous avons, par ailleurs, un texte d’avant-garde, qui, d’une certaine manière, invente le futur. Néanmoins, la mort dans l’âme, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup craignaient que le Sénat détricote complètement le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et que nous nous retrouvions donc cet après-midi devant un tas de pelotes consciencieusement rembobinées. Finalement, reconnaissons-le, ce n’est pas le cas. Certes, l’ensemble tricoté par l’Assemblée nationale a quelque peu été modifié, des morceaux ayant été enlevés, d’autres rajoutés, certains éléments étant pour le moins rapiécés. Néanmoins, il n’a pas disparu.
Dans les étoffes nouvellement tissées par le Sénat, nous noterons ainsi plusieurs embellissements, sur la rénovation énergétique des logements par exemple. Le fait de ramener de 2030 à 2020 la date limite pour l’obligation de rénovation du parc de logements privés est une avancée forte crédibilisant l’objectif de réhabilitation de 500 000 logements par an à l’horizon de 2017, surtout que cette mesure est complétée par l’obligation, introduite à la suite du vote d’un amendement écologiste, de rénovation au moment des mutations à partir de 2030. Ce fut une jolie bataille parlementaire…
Sur ce point, le Sénat a donc fait œuvre utile pour crédibiliser l’objectif intermédiaire de réduction de 20 % de la consommation d’énergie en 2030. On ne comprend donc pas très bien pourquoi il a supprimé cet objectif de l’article 1er, ce qui n’est pas très logique.
Avant de revenir sur les incohérences esthétiques du patchwork élaboré, permettez-moi de signaler quelques autres jolies pièces cousues par le Sénat.
Le groupe écologiste a notamment apprécié la création d’une filière REP pour les bateaux de plaisance, laquelle permettra de réduire l’encombrement des ports par les bateaux épaves ou le droit pour les habitants des petites îles non connectées de choisir leur distributeur d’électricité, ce qui devrait accélérer l’autonomie énergétique de ces territoires, futures vitrines du développement des énergies renouvelables. Nous remercions Mme la ministre d’avoir soutenu nos propositions.
Parmi les plus belles pièces, nous sommes évidemment très fiers d’avoir réussi à accrocher l’obligation de raccordement dans les dix-huit mois des installations renouvelables, ce qui devrait accélérer leur développement, même si nous avons bien cerné l’accroc, pour ne pas dire le trou de mite géant, qui a saccagé les possibilités de développement de l’éolien terrestre avec l’interdiction de leur implantation à moins d’un kilomètre de toute habitation. Je ne sais pas si tout le monde l’a bien intégré, mais le vote de cet amendement surprise aura aussi logiquement pour conséquence de geler toute urbanisation dans un rayon d’un kilomètre autour des éoliennes déjà installées, donc de réduire à néant les projets d’urbanisme de milliers de communes françaises. C’est évidemment absurde, mais nous abritons dans nos rangs quelques couturiers attirés par le surréalisme. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Malheureusement, faire d’un ensemble de pièces de tissus recoupées et disparates un costume cohérent n’est pas des plus aisés, surtout quand certains manient le ciseau un peu frénétiquement. Nous avons ainsi un groupe spécialisé dans les coupes et les modifications de forme : 50 % de nucléaire en 2050, je coupe ; 63,2 gigawatts pour la production de nucléaire, je rehausse le col jusqu’à 64,85 gigawatts. On ne sait jamais, des fois qu’il fasse un peu froid l’hiver prochain…
Le refus complet par le Sénat des nouvelles tendances du renouvelable pour un repli entêté vers les modes anciennes dites du « tout-nucléaire », pourtant obsolètes partout ailleurs dans le monde, aura ainsi été une constante du débat dans notre hémicycle. Malgré la faillite d’Areva, fleuron du toujours prêt-à-porter « tout-nucléaire français », avec 5 milliards d’euros de passif – rendez-vous compte de la somme ! –, le Sénat n’aura pas soutenu la nécessité de développer rapidement de nouvelles offres industrielles à l’immense demande mondiale de développement des énergies renouvelables. Cependant, madame la ministre, je veux rendre hommage à votre éloquence, à l’occasion de la défense de l’article 1er, pour convaincre le Sénat du potentiel de création d’emplois industriels de ces filières d’avenir des énergies renouvelables.
Finalement, nous voici donc avec une confection assez étrange, à partir du costume plutôt seyant que nous avait livré l’Assemblée nationale, sur lequel vous aviez beaucoup travaillé, madame la ministre. Ainsi, les députés, avec votre approbation, ont intégré les propositions des groupes de travail du débat national sur la transition énergétique, notamment, comme l’a rappelé Chantal Jouanno, sur le rôle renforcé des collectivités territoriales, qui mèneront réellement sur le terrain cette transition énergétique.
Des ajustements nécessaires par rapport au premier patron étaient néanmoins à faire. À ce sujet, je veux aussi rendre hommage aux rapporteurs du Sénat, qui ont souvent proposé des retouches pertinentes. Des embellissements régulièrement, mais pas seulement, proposés par le groupe écologiste, souvent soutenus par Mme la ministre, ont permis de montrer que nous étions capables de travailler collectivement.
Il y a du positif dans ce que nous avons fait, mais, in fine, nous obtenons une coupe déséquilibrée et un patchwork disparate aux coutures fragiles. Nous ne sommes pas dans la haute couture, ni même dans le rapiéçage : il faudrait trouver un autre nom ! Mais à propos de non, c’est finalement pour le groupe écologiste un refus résolu de cette proposition déstructurée. Nous voterons donc contre.
Le costume qui sort du Sénat ne peut pas tenir bien longtemps. Certains le pensent même suffisamment fragilisé pour se déliter rapidement, car le projet est bien d’en rester à l’ancien costume du modèle énergétique français, dont certains, ici, ont encore le culte, malgré ses usures et le coût faramineux de son entretien. Nous préférons donc retravailler à partir du texte issu de l’Assemblée nationale, conforme au croquis du Président de la République. C’est la base pour créer un costume solide pour l’avenir, moderne et innovant, capable d’affronter toutes les variations météorologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour le groupe CRC.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous voudrions dans un premier temps saluer la qualité des débats qui ont animé cet hémicycle pendant près de deux semaines. Nous ne pouvons pas nier qu’il y a eu de réelles avancées par rapport au texte initial. Nous nous félicitons aussi, évidemment, de l’adoption de trois de nos amendements sur des aspects importants du projet de loi.
Parmi les avancées, nous comptons les objectifs de réduction d’énergie d’origine nucléaire. Certes, certains pensent que le texte ne va pas assez loin, le palier de 2025 ayant été supprimé et la capacité de production ayant été revue à la hausse afin d’intégrer l’EPR de Flamanville.
Pour les sénateurs du groupe CRC, s’il était important d’inscrire dans la loi un objectif de réduction de la part du nucléaire qui nous engage dans la transition énergétique, il fallait un objectif réaliste et atteignable, en adéquation avec la nécessité de réduire notre empreinte carbone et susceptible de nous permettre de consommer autrement pour des usages identiques. Il importait aussi qu’il tienne compte d’une relance indispensable de notre industrie, dans le respect de l’environnement.
Nous saluons également des avancées en termes de rénovation énergétique. Là encore, les objectifs, s’ils sont ambitieux, ne sont pas financés. Toutefois, le projet de loi a le mérite d’esquisser des solutions afin de lutter contre les passoires énergétiques. À cet égard, la réécriture du dispositif permettant la dérogation aux règles d’urbanisme est une bonne chose, de même que l’assouplissement des méthodes de rénovation. La priorité donnée à la rénovation des habitations des ménages aux revenus les plus faibles, souvent en situation de précarité énergétique et de consommation, est également positive. Ces éléments sont, en quelque sorte, une première étape vers plus d’efficacité énergétique dans les bâtiments. Je ne doute pas que le dispositif pourra être encore amélioré.
Enfin, sans être exhaustifs, nous pensons que les avancées en termes d’économie circulaire et de gestion des déchets sont également à souligner. Ainsi, la lutte contre le gaspillage des matières premières est une réelle avancée, et nous ne pouvons que nous féliciter de l’adoption d’une hiérarchie dans l’utilisation des ressources, avec une priorité pour celles issues du recyclage ou de sources renouvelables. Il en est de même de l’interdiction de l’enfouissement des déchets dans les terres agricoles, qui est une réelle victoire pour notre groupe.
Cependant, si le délit d’obsolescence programmée a été confirmé, seule une définition réduite de ce dernier sort de nos travaux. C’est un premier pas dans le bon sens, mais nous ne pouvons faire l’économie d’un affichage obligatoire de la durée de vie des produits, d’une extension de la durée légale de garantie ou encore de la mise à disposition obligatoire de pièces détachées.
De plus, à nos yeux, les questions de l’étalement urbain, de la place des transports publics et du report modal ne sont pas suffisamment prises en compte dans le projet de loi.
Enfin, la lutte contre la précarité énergétique reste insuffisante et le manque de moyens criant : ni mise en place d’un service universel de dernier recours ni renforcement des compétences du médiateur de l’énergie. Il y a plus grave encore : la majorité du Sénat a adopté un amendement tendant à revenir sur l’interdiction des coupures d’eau.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Pas pour les précaires !
M. Jean-Pierre Bosino. Selon nous, cette mesure, qui suscite beaucoup d’émotion, est une faute politique.
La lutte contre la précarité énergétique semble plus symbolique que réelle. Nous regrettons que cette mesure positive qu’est l’élargissement du chèque énergie se fasse au détriment des tarifs sociaux : nous restons enfermés dans la logique d’une hausse du prix de l’énergie due avant tout aux dogmes de la concurrence libre et non faussée. À cet égard, le refus de modifier un tant soit peu le taux de TVA pour un bien aussi essentiel que l’électricité est parlant.
À nos yeux, le projet de loi s’inscrit bien dans une démarche d’ensemble tendant à la privatisation du secteur de l’énergie. Ainsi, il propose un modèle énergétique loin des principes qui ont guidé la construction de ce secteur en France à la Libération : la péréquation et l’égalité de tous, en tout point du territoire.
Ce texte organise la territorialisation rampante de l’énergie. Il met en cause ce qui reste d’un service public national de l’énergie. Les territoires à énergie positive, tout comme les pôles territoriaux énergétiques, organisent la concurrence entre les collectivités et esquissent un modèle énergétique en circuit fermé, voire en autarcie. Tel n’est pas le système que nous défendons.
Il en va de même de la possibilité offerte aux collectivités territoriales d’entrer au capital de sociétés totalement privées ou encore de financer en lieu et place des banques des travaux de rénovation énergétique.
Le projet de loi confirme et accentue la marchandisation de ce secteur : renforcement du marché de capacité, renforcement du marché de l’effacement au profit des monopoles privés, sous couvert de réalisation d’économies d’énergie et, enfin – ce n’est pas le moins grave –, privatisation du secteur historique de l’hydroélectricité, même si Mme la ministre a tenté de nous démontrer qu’il ne s’agissait pas de cela.
Le présent texte ne peut être lu indépendamment du projet de loi Macron, dont le Sénat va prochainement débattre. Ce second projet de loi favorise le tout-routier au détriment de la sécurité et des objectifs de réduction des émissions de CO2.
Que dire de la libéralisation du transport interurbain et de l’ouverture à la concurrence de lignes d’autocars interurbaines régulières ? Mes chers collègues, nous le savons tous, cette arrivée des opérateurs privés nuira fortement à l’équilibre, déjà souvent précaire, de lignes ferroviaires dans lesquelles les régions ont beaucoup investi. Le projet de loi Macron, je le rappelle, n’est que la mise en œuvre de préconisations du rapport Attali, que nous avons combattu.
Que dire de la volonté du Gouvernement de céder de nouvelles participations du groupe EDF ? Certes, il s’agit d’un autre projet de loi, mais nous ne pouvons penser un texte en dehors de tout contexte politique et législatif. De surcroît, l’écologie ne peut être le prétexte pour la libéralisation de marchés et le démantèlement de l’égalité républicaine.
Pour toutes ces raisons, et en le regrettant, les membres du groupe CRC ne voteront pas le projet de loi relatif à la transition énergétique. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Robert del Picchia. C’est dommage !
M. Jean-Pierre Bosino. Certaines dispositions vont certes dans le bon sens, mais elles auraient sans doute mérité un projet de loi spécifique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à clore dix jours de débats intenses et constructifs. Je ne ferai pas durer le suspense : les membres du groupe auquel j’appartiens voteront quasi unanimement, à une abstention près, le texte qui nous est proposé.
MM. Robert del Picchia et Charles Revet. Très bien !
M. Jacques Mézard. En effet, ce qui compte pour nous, c’est le contenu et non le climat général, et nous considérons que le présent texte va dans le bon sens.
À l’origine, le projet de loi avait pour ambition de fixer le cadre d’un nouveau modèle énergétique français plus diversifié, plus équilibré, vers une croissance porteuse de compétitivité pour nos entreprises, valorisant les nouvelles technologies, créatrice d’emplois durables et luttant contre le réchauffement climatique.
Une fois de plus, le Sénat a démontré son utilité,…
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Jacques Mézard. … en apportant des modifications essentielles à un texte qui, après son examen par l’Assemblée nationale, avait perdu en lisibilité et en cohérence : multiplication de rapports, objectifs irréalistes, dispositions parfois incantatoires, etc. À cet égard, je répondrai à notre collègue écologiste que l’Assemblée nationale avait pour partie bâti un costume virtuel… (Sourires sur les travées du RDSE et de l'UMP.)
Les commissions des affaires économiques et du développement durable du Sénat, grâce au travail rigoureux de leur rapporteur, ont largement contribué à façonner un texte plus équilibré.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. M. Lenoir a eu raison de recadrer le débat relatif à l’électricité et à l’énergie carbonée. Il a souligné à juste titre qu’il ne fallait pas opposer la filière nucléaire, à laquelle les membres de notre groupe sont fondamentalement attachés, et les énergies renouvelables.
En outre, je salue la qualité du dialogue que Mme la ministre a su instaurer dans ce débat, ce qui a aussi contribué à la réussite de l’examen de ce texte.
Nous avons bien quelques regrets, mais qui n’en a pas à propos de textes si importants ?
Tout d’abord, nos regrets portent sur les moyens. En effet, nous déplorons que la fiscalité soit la grande oubliée de ce texte, alors qu’elle constitue un outil indispensable à la réussite de la transformation énergétique de notre pays.
Madame la ministre, vous avez souvent eu l’occasion de rappeler que les mesures fiscales relevaient des lois de finances. C’est vrai, mais force est de constater que les dispositions en question n’ont pas été envisagées dans le cadre de la loi de finances pour 2015… L’enjeu des moyens a souvent et légitimement été soulevé au fil de ces longs débats. À nos yeux, ceux-ci restent, hélas ! bien en deçà de l’ambition des objectifs affichés.
Ensuite, sur un point plus particulier, nous regrettons qu’une valorisation de l’hydrogène, qui est une énergie décarbonée, n’ait pas été garantie via le présent texte. Nous avions pourtant déposé des amendements tendant à aller dans ce sens.
Quant à la nécessité d’accompagner les énergies renouvelables, elle n’est pas contestable : elle constitue une véritable priorité pour le pays. Or, en la matière, nombre de contradictions demeurent entre les discours et les réalités de terrain. Je songe en particulier aux énergies renouvelables.
Nous considérons que d’importants investissements dans la recherche des technologies dans le domaine du stockage des énergies sont indispensables et doivent devenir prioritaires, notamment, je le répète, pour l’hydrogène : faute d’un tel effort, il ne sera pas possible de passer à l’ère post-carbone. À cet égard, je rappelle ce que j’ai dit lors de la discussion générale : le réseau intelligent est, pour nous, l’enjeu fondamental des prochaines années. Il s’agit ni plus ni moins que de la synergie entre les réseaux énergétiques et numériques.
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Jacques Mézard. Si, aujourd’hui, le réseau énergie est distributeur, il faut impérativement que, demain, il devienne distributeur et collecteur.
Au total, si l’on reprend les propos des divers orateurs qui viennent de se succéder à cette tribune, on constate que nous aboutissons à un texte assez consensuel et, par ailleurs, assez ancré dans la réalité. L’état d’esprit constructif dans lequel le projet de loi a été abordé a permis d’en maintenir l’essence tout en rééquilibrant certaines dispositions lorsque cela était nécessaire.
Nous savons que la lutte contre le changement climatique est, elle aussi, un véritable impératif. La stratégie bas-carbone prévue par le projet de loi nous a paru en cohérence avec nos engagements européens et internationaux relatifs à la réduction des gaz à effets de serre.
Madame la ministre, vous vous êtes érigée en défenseur fervente de l’écologie positive et non punitive. À ce titre, comme l’ensemble des membres du groupe auquel j’appartiens, je me félicite que vous vous soyez ralliée à la sagesse du Sénat après l’adoption, en commission, d’un amendement du RDSE tendant à exclure de la stratégie bas-carbone les émissions de méthane entérique naturellement produites par les ruminants. Je ne reprendrai pas l’excellente formulation de notre collègue Requier… (Sourires.) Sans cette sagesse, les agriculteurs, qui jouent un rôle majeur dans la transition écologique de nos modèles de production et de consommation, auraient été injustement sanctionnés, au moins sur le plan médiatique.
Je conclus en évoquant la question du nucléaire, qui nous est chère.
À mon sens, le Sénat est parvenu, en la matière, à une solution plus réaliste et plus responsable, en affirmant, d’une part, l’impératif de diversifier notre mix énergétique par le développement des énergies renouvelables et, d’autre part, la nécessité de mettre en œuvre cette diversification de manière progressive et raisonnée, par la suppression de l’horizon de 2025 initialement fixé par le présent texte pour la réduction de la part du nucléaire. Cette modification permettra de tenir compte des réalités techniques, scientifiques et économiques, et ce afin de préserver notre compétitivité, le pouvoir d’achat des Français et notre indépendance énergétique.
Au sujet des énergies renouvelables, je me félicite également des améliorations apportées grâce à l’adoption de plusieurs amendements, en particulier des nôtres, ayant pour objet la géothermie, la biomasse ou encore l’éolien. La simplification des procédures permettant l’exploitation de ces énergies contribuera à leur développement.
Je le répète, malgré ces quelques réserves, la quasi-unanimité de notre groupe, à l’exception d’une abstention, approuvera ce texte issu des travaux du Sénat, lequel a travaillé vite et bien malgré la grande quantité d’articles que contient ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Annonce du scrutin public
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dans le texte de la commission, modifié.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Je vous rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur et que le scrutin aura lieu en salle des conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’Instruction générale du bureau.
Le scrutin est ouvert.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 106 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 216 |
Pour l’adoption | 182 |
Contre | 34 |
Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce vote magnifique, grâce auquel des avancées décisives sont définitivement acquises. Je remercie également tous les groupes d’avoir souligné au cours de leur explication de vote la portée historique d’une réforme qui, en dépassant les clivages politiques, vise à engager la France de façon irréversible dans un nouveau modèle énergétique en proposant à tous les secteurs concernés – industrie, bâtiment, services – un cadre stable pour investir et pour créer des emplois dans les domaines concernés par la croissance verte.
Il nous revient de lutter contre le dérèglement climatique et de faire de l’excellence environnementale le cœur du modèle français avant la grande conférence de Paris pour le climat. Les dirigeants du monde entier devront alors prendre leurs responsabilités et convaincre l’humanité que chacun a deux patries, la sienne et la planète.
La révolution de la croissance verte s’accélère, portée par cette loi que vos travaux ont enrichie et par les actions concrètes et financières qui l’accompagnent. Elle est le fruit d’un travail minutieux, attentif et déterminé, mené à l’écoute de multiples instances : des conférences environnementales aux débats citoyens, de la contribution des ONG aux actions concrètes, couronnées de succès, de nos communes, départements et régions. Elle s’est nourrie aussi, je tiens à le dire dans une volonté de rassemblement, du Grenelle de l’environnement et des lois qui l’ont précédée, ainsi que des contributions du Conseil de la transition écologique, rassemblant toutes les parties prenantes du dialogue environnemental.
Je tiens surtout à saluer l’excellent travail accompli par votre assemblée et la grande qualité du débat démocratique, sur toutes les travées. (Applaudissements.) J’ai pris plaisir à l’animer avec vos chefs de file, Roland Courteau, Jean-Pierre Bosino, Ronan Dantec, Jacques Mézard, Chantal Jouanno et le président Jean-Claude Lenoir. Je tiens également à rendre hommage au travail passionnant de votre commission des affaires économiques et de votre commission du développement durable, présidée par Hervé Maurey, ainsi qu’à celui de vos rapporteurs, Louis Nègre et Ladislas Poniatowski (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.), qui n’ont ménagé ni leur temps ni leur énergie.
Ces discussions, exemptes de vaines polémiques et de politique politicienne, ont été marquées par une véritable hauteur de vue et une volonté commune de projeter la France dans un futur qui soit bon pour elle. Les légitimes différences de points de vue, toutes respectables, n’ont pas pour autant été effacées. Je vais m’efforcer encore de les combler avant l’adoption définitive de la loi.
L’esprit qui a présidé à nos débats fait honneur à la démocratie. Les points d’accord et de désaccord ont été amplement et minutieusement discutés, avec, toujours, pour motivation première, la recherche du bien commun.
Vous avez confirmé la plupart des dispositions majeures du texte que j’ai défendu en première lecture à l’Assemblée nationale. Je m’en réjouis. D’ailleurs, 80 % des deux cent cinquante amendements que votre assemblée a adoptés – sur plus de mille qui lui ont été soumis – ont reçu par ma voix un avis favorable du Gouvernement. C’est dire combien l’esprit qui a prévalu était constructif. Cinq ou six alinéas, certes, doivent encore être finalisés. Ce nombre est très marginal au regard des soixante-six articles et des mille cinq cents alinéas de ce texte, comme l’a fait remarquer Didier Guillaume. Ces quelques points très limités seront, comme il est d’usage, soumis à la commission mixte paritaire, qui se penchera dessus dans une semaine.
Je ne doute pas que le Parlement donnera sans tarder la plus grande force au mouvement de tous et nous permettra de faire de la France une puissance écologique en la dotant de la législation la plus complète et donc la plus avancée d’Europe. En s’érigeant ainsi en exemple, la France pourra convaincre et entraîner ses partenaires dans la construction de l’Europe de l’énergie, évoquée par Jean-Claude Lenoir, et apporter, à l’échelle du monde, des réponses au défi climatique.
J’observe d’ailleurs que les réformes proposées pour construire une économie bas-carbone sortent renforcées à l’issue des débats dans les deux assemblées. Je vous en remercie une nouvelle fois. Il y va ainsi de la performance énergétique des bâtiments pour faire baisser la facture et engager les travaux grâce au crédit d’impôt et à l’éco-prêt à taux zéro, par exemple ; de la priorité donnée aux transports propres pour lutter contre la pollution de l’air et protéger la santé ; des objectifs zéro gaspillage zéro déchet, notamment dans les plus de deux cents territoires à énergie positive ; de la montée en puissance des énergies renouvelables, grâce à de nouveaux mécanismes de soutien et de simplification ; de la lutte contre la précarité énergétique, avec, en particulier, le chèque énergie ; du renforcement de la sûreté nucléaire ; enfin, du pilotage démocratique du mix énergétique et de son rééquilibrage, par la baisse de la part du nucléaire de 75 % à 50 % dans la production d’électricité.
J’ai eu l’occasion de le dire durant les débats, je souhaite en revenir au texte initial sur certains points, dès lors que cela correspondra à l’intérêt de notre pays. Je sais pouvoir compter sur un dialogue riche entre les deux assemblées pour mener ce texte à bon port.
Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue, disait Victor Hugo. Dans la France, dans le monde d’aujourd’hui, l’heure est venue des nouvelles valeurs du développement durable, qui nous commandent de lutter ensemble, localement et à l’échelle planétaire, contre les dégâts du réchauffement climatique, pour la reconquête de la biodiversité, de la qualité alimentaire et de la santé publique ainsi que pour le progrès environnemental, indissociable du progrès social comme de la compétitivité de nos entreprises. Ces dernières attendent ce texte avec impatience pour investir et donc enfin réconcilier les exigences du temps présent et les besoins des temps à venir, ceux des générations futures, pour lesquelles nous agissons ensemble.
En marchant seul, on se dit que l’on peut aller plus vite, mais en marchant avec d’autres, on va plus loin. Voilà pourquoi je souhaite, sans qu’aucun renonce à ce qu’il est mais sans confondre non plus l’essentiel et l’accessoire, que les élus de la nation joignent leurs voix pour que nous réussissions, avec tous les Français, cette belle révolution de la croissance verte et des emplois nouveaux qui l’accompagnent. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Débat sur la situation financière des conseils départementaux face à l’évolution de leurs charges
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation financière des conseils départementaux face à l’évolution de leurs charges, organisé à la demande des groupes UDI-UC et UMP.
La parole est à M. Jean-Léonce Dupont, au nom du groupe UDI-UC.
M. Jean-Léonce Dupont, au nom du groupe UDI-UC. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la situation financière des conseils départementaux face à l’évolution de leurs charges, alors que nous ne savons pas ce que deviendront les départements dans la nouvelle organisation territoriale, notamment pour ce qui concerne la répartition de leurs compétences.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Léonce Dupont. Nous devrons attendre que le Parlement soit dans la dernière ligne droite… Dans ce flou général, les élus concernés ont bien du mal à se projeter dans un avenir à moyen terme.
Dans leur rapport annuel, les magistrats de la Cour des comptes affirment que « la vive progression […] des dépenses sociales et la moindre capacité des départements à ajuster leurs recettes pour couvrir l’ensemble de leurs dépenses rendent plus difficile le maintien d’un équilibre de moyen terme », ajoutant que « le statu quo n’est pas possible. »
Loin d’eux l’idée, souvent répandue au cours de ces derniers mois par certains, selon laquelle les départements seraient mal gérés. Simplement, ce sont plus de 80 % des dépenses de fonctionnement qui sont concentrées sur des charges obligatoires, difficilement compressibles. En 2015, par exemple, pour ce qui concerne le département du Calvados, le taux de rigidité des dépenses est de 82,6 %.
Le problème majeur que rencontrent aujourd’hui la plupart des départements se concentre sur le financement des allocations individuelles de solidarité, les AIS. Ainsi, les conseils généraux versent le revenu de solidarité active, ou RSA, à près de 1,6 million de bénéficiaires et dépensent à cette fin 11,6 fois plus qu’en 2003. De même, 1,2 million de personnes dépendantes bénéficient de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. Quant aux prestations attribuées aux handicapés, elles ont progressé de 120 % en cinq ans.
En 2015, ces trois allocations représentent dans le budget du département du Calvados, que je connais bien, près de 27 % des dépenses de fonctionnement, hors frais de gestion.
Les départements disparaîtraient que ce problème demeurerait entier et serait même pire, tant la départementalisation de l’action sociale s’est accompagnée, contrairement à ce que l’on peut souvent entendre, d’une maîtrise de la gestion des dépenses sociales.
Mais la réalité est là : depuis 2003, les dépenses sociales ont doublé. Aucune mesure de gestion, si saine soit-elle, n’y peut rien. Incidence de la crise économique, vieillissement de la population, mais aussi transferts de compétences de l’État vers les départements : tels sont les éléments de nature à expliquer cette inflation des dépenses.
Or les transferts financiers n’ont pas suivi. Le problème est aujourd’hui national. Car, si plus personne n’ignore les graves difficultés financières de notre système de protection sociale, les départements peinent à se faire entendre quant à l’impossible équation financière qu’ils doivent résoudre pour gérer les allocations nationales de solidarité.
Le problème est d’autant plus complexe qu’il s’accompagne d’une très grande disparité territoriale.
Ainsi, les bénéficiaires de l’APA représentent 3,7 % de la population du Nord, contre 12,8 % de celle de l’Aveyron. Il existe également des disparités sur le plan du financement : si le financement était entièrement local, un habitant de l’Essonne ne paierait que 78 euros par an au titre de la dépendance, alors qu’un Creusois débourserait 375 euros.
La part de l’APA dans le budget de l’Aveyron, de la Creuse et du Gers se situe autour de 14 %, contre moins de 5 % pour celui des Yvelines, de l’Essonne et des Hauts-de-Seine.
Si rien n’était fait pour combler ces inégalités, on pourrait rapidement aboutir, dans certains départements, à une véritable impasse budgétaire, pour ne pas dire une cessation de paiement (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.), compte tenu des perspectives économiques actuelles.
M. Bruno Retailleau. Sans compter la baisse des dotations !
M. Jean-Léonce Dupont. Permettez-moi de prendre également l’exemple du RSA.
Le taux de couverture par l’État des dépenses départementales liées à cette allocation – en 2004, il était de 92,2 % – n’a cessé de chuter, pour atteindre 71,3 % en 2013. Et chacun sait que la situation s’est encore dégradée entre 2014 et le début de cette année. Pour m’en tenir à l’exemple du Calvados, le reste à charge concernant le RSA est passé de 3 millions d’euros en 2005 à 33 millions d’euros dans le budget de 2015 !
M. Charles Revet. Il a été multiplié par onze !
M. Jean-Léonce Dupont. Ces transferts de responsabilité se sont accompagnés de changements d’affectation de personnels. Comme le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport sur les collectivités territoriales, l’effet des transferts de personnels en provenance de l’État, en lien avec la décentralisation des compétences, explique l’embauche de plus 80 000 personnels. Il ne s’agit donc en rien des suites d’une gestion irresponsable des élus locaux, une critique qui devient insupportable à entendre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Certes, ces transferts n’expliquent pas à eux seuls l’augmentation de la masse salariale. Les charges liées au personnel ont également crû sous l’effet du glissement vieillesse technicité, des mesures nationales en matière de revalorisation de l’indice de rémunération des fonctionnaires, de la réforme des catégories, de la garantie du pouvoir d’achat, autant de dispositions décrétées à l’échelon national.
L’État continue de décider seul de dépenses qui affectent le budget des collectivités territoriales.
M. André Reichardt. Eh oui !
M. Jean-Léonce Dupont. Ainsi, entre 2013 et 2015, les décisions unilatérales de l’État ont pesé pour plus de 8 millions d’euros dans le budget du département du Calvados. J’en veux pour preuve la réforme des rythmes scolaires, l’augmentation du RSA, le quota fixé pour l’accueil des mineurs étrangers isolés, dont la charge départementale est en train d’exploser, la revalorisation de la TVA, le changement du régime de cotisation de retraite des élus, etc.
Or, contrairement aux communes, les départements n’ont plus d’autonomie fiscale, à l’instar des régions. Si leurs charges augmentent, ils perçoivent une fiscalité qui tend à stagner, comme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, voire à diminuer, tels les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, sur les transactions immobilières.
En outre, la réforme de la fiscalité locale a fortement réduit la capacité des départements à recourir au levier fiscal, alors que les conseils généraux sont les principaux financeurs du monde rural et périurbain.
Enfin, la baisse des dotations de l’État et l’augmentation de certains prélèvements viennent clore un cercle vicieux qui alimente un déficit structurel chronique.
Dès lors, et pour faire face à ces dépenses obligatoires, les conseils généraux doivent arbitrer sur les autres postes budgétaires – charges de personnel, entretien des routes, par exemple –, afin de dégager des ressources supplémentaires. Les investissements pâtissent donc d’une diminution de la capacité d’autofinancement de nos collectivités. Le présent au détriment de l’avenir....
La situation des départements est sans rapport avec celle des autres niveaux de collectivités territoriales. Le problème, on l’a dit, est structurel : les dépenses des départements liées au financement du RSA, de l’APA et de la PCH, la prestation de compensation du handicap, sont contracycliques – elles augmentent lorsque l’économie va mal, comme c’est le cas actuellement –, tandis que les recettes, telles que la CVAE, les DMTO ou encore la TFPB, la taxe foncière sur les propriétés bâties, sont, en théorie, procycliques et, en pratique, pour la plupart d’entre elles, figées.
Dans leur étude sur la prospective financière des collectivités locales à l’horizon 2020, Guy Gilbert, professeur à l’École normale supérieure de Cachan, et Alain Guengant, directeur de recherche honoraire au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, ont conclu que « le modèle financier des départements ne peut pas résister à la baisse des dotations de l’État ».
M. René-Paul Savary. Eh oui !
M. Jean-Léonce Dupont. Cette étude rejoint l’analyse unanime de l’ensemble des observateurs des collectivités locales et fait écho au signal d’alarme tiré par l’Assemblée des départements de France.
Au-delà de ces constats alarmants, quelles solutions peut-on apporter ?
Tout d’abord, il faudrait dispenser les départements de contribuer au redressement des comptes publics ou, à tout le moins, exclure de leur assiette, dans le poids des dépenses publiques locales, les dépenses relevant d’une compétence nationale, …
M. René-Paul Savary. Absolument !
M. Jean-Léonce Dupont. … comme les allocations individuelles de solidarité. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Ensuite, au-delà du nécessaire respect de l’article 40 de la Constitution prévu pour toutes les dépenses votées par le législateur, il faudrait soit rééquilibrer la fiscalité directe entre le bloc local et le bloc départemental, soit abandonner le principe des recettes locales au profit d’un pourcentage des recettes nationales. Jusqu’à présent, je n’y étais pas favorable, mais les conséquences catastrophiques de décisions prises par les gouvernements qui se sont succédé m’amènent à réfléchir à ces possibilités.
Parallèlement, et sur le fond, l’action sociale doit être remodelée, en redéfinissant, par exemple, les conditions d’accès aux allocations individuelles de solidarité, …
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Jean-Léonce Dupont. … sur le mode de ce qui avait été envisagé dans le cadre du projet de loi relatif à la création d’un cinquième risque. On ne peut indéfiniment continuer à augmenter les dépenses à l’échelon gouvernemental en accroissant les mesures généreuses, sans se préoccuper de leur financement au plan départemental.
Aujourd’hui, nous sommes rattrapés par la réalité. Aussi, il nous revient, mes chers collègues, de mettre en œuvre les dispositions qui s’imposent pour adapter le système actuel de protection sociale, en vue de le faire perdurer. À défaut, nous courons collectivement le risque de porter la responsabilité de l’effondrement de ce système. Il est plus que temps d’agir. Les paroles lénifiantes ne suffisent plus ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, au nom du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. René-Paul Savary, au nom du groupe UMP. Je vous remercie de vos encouragements, mes chers collègues. Car, cela n’aura échappé à personne, quelle épreuve redoutable et quel exercice difficile de parler des finances départementales ! Après des tergiversations, le département apparaît comme un échelon incontournable, et vous-même l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État. Il est donc bel et bien là – les élections départementales approchent –, autant qu’il vive ! Après avoir voulu le supprimer, le Gouvernement a décidé de le maintenir. Alors donnons-lui les moyens d’exercer ses compétences et de répondre aux difficultés que rencontrent nos concitoyens, ceux-ci étant, à juste titre, exigeants à l’égard des conseils généraux qui ont su leur octroyer des aides.
Je ne reviendrai pas sur les propos, que je partage bien sûr entièrement, de Jean-Léonce Dupont, me contentant d’analyser les critères retenus pour l’attribution des notations que l’on voit actuellement fleurir dans les médias, pour montrer que se cache peut-être derrière un changement de mentalité si le Gouvernement a la volonté, monsieur le secrétaire d'État, d’assurer la survie des départements. D’ailleurs, si l’on voulait les tuer, on ne s’y prendrait pas différemment. Si l’on continue ainsi, de façon très naturelle, les départements mourront très rapidement.
Il est vrai que les budgets des départements sont complètement déséquilibrés. C’est à se demander s’il y a de bons et de mauvais gestionnaires. L’association Contribuables associés – j’ai, bien sûr, retenu le classement qui m’arrangeait le plus ! – a attribué au département de la Marne, comme à trois autres départements, me semble-t-il, un vingt sur vingt. (Marques d’admiration sur les travées de l'UMP.) Fait extraordinaire !
M. Charles Revet. Cela ne nous étonne pas ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. Cela voudrait dire que ce département est bien géré. En tout cas, c’est ce que les contribuables estiment, mais je me demande si l’État nous délivre le même satisfecit, ce dont je ne suis pas tout à fait sûr…
Depuis un certain temps, je le savais, c’est ancestral, le département de la Marne, de taille moyenne, a un budget bas : il occupe la 100e position pour ce qui concerne les recettes de fonctionnement par habitant, ce parce que depuis très longtemps – c’est la réalité ! – sa fiscalité est basse, quasiment nulle. Or, du point de vue des dotations, qui sont un élément important dans le budget des départements, l’État pénalise cette collectivité n’ayant pas fait appel à la fiscalité parce qu’elle respecte le contribuable. Autrement dit, si vous veillez à ne pas augmenter les prélèvements opérés sur vos concitoyens, vous êtes pénalisé par l’État ! C’est d’autant plus surprenant que nos dépenses de fonctionnement sont les plus basses, avec 750 euros par habitant, contre une moyenne de 1 000 euros, soit 25 % en moins. Il s’agit non seulement des frais généraux, mais également des dépenses sociales et en personnel. Cela signifie, monsieur le secrétaire d'État, qu’on peut tout de même faire une politique sociale. Le département est donc le bon échelon pour mener une politique sociale supportable par le contribuable.
J’en veux pour preuve nos ratios concernant le placement des enfants en crèche, dans les structures familiales ou collectives, qui sont supérieurs à la moyenne nationale. Il en va de même pour les personnes âgées. Il est donc possible, je le répète, de faire une politique sociale. Mais il faut être attentif à la répartition des compétences.
Par ailleurs, le taux d’investissement dans mon département est bas par rapport à celui d’autres départements. Sa note dans le classement précité est de vingt sur vingt, alors que l’Isère obtient seulement dix sur vingt ! (M. le secrétaire d’État marque son étonnement.)
M. Bruno Sido. Ça n’est pas bien !
M. René-Paul Savary. Que les choses soient claires : ce n’est pas pour autant que la gestion de l’Isère est mauvaise ; cette note est calculée en fonction de certains critères.
Cela étant, notre taux d’endettement pour ce qui concerne les investissements est moitié moindre que celui d’autres départements : nous investissons donc à hauteur de nos moyens, sans vivre au-dessus de ceux-ci. Le corollaire est que nous sommes pénalisés du point de vue des dotations et des péréquations. En effet, si un département n’est pas fortement endetté, on lui dit qu’il peut faire appel à la dette ou à la fiscalité, et il est moins aidé.
Par conséquent, il faudra changer de paradigme. Tout au long du XXe siècle a prévalu le principe « aide-toi, le ciel t’aidera ! », qui a conduit à une inflation de la fiscalité ou de l’endettement. Cela ne peut pas continuer ! Notre pays est déjà surendetté, et nos citoyens en ont assez de payer des impôts. Il faut donc changer de modèle, et voter des lois différentes pour financer les départements.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. René-Paul Savary. Pourquoi les départements vont-ils être en faillite, c’est-à-dire en déficit de fonctionnement comptable, comme Jean-Léonce Dupont l’a déjà annoncé ? Un certain nombre de décisions méritent d’être rappelées.
Tout d’abord, en trente ans de décentralisation, les compétences sociales, qui représentent 10 % de plus par an sur le budget de fonctionnement des départements, se sont traduites par 300 % de charges de fonctionnement supplémentaires. Il en résulte, en parallèle, une diminution de l’autofinancement, et une répercussion sur le budget.
Les décisions parisiennes sont insupportables ! Ainsi, une modification des conventions collectives implique automatiquement des surcharges pour les collectivités départementales. Un changement – M. Doligé le sait bien – des heures de garde des sapeurs-pompiers professionnels conduit à des embauches supplémentaires toujours à la charge des départements. Et je vous rappelle, mes chers collègues, les dépenses imposées liées à la réforme des rythmes scolaires, à l’augmentation de 2 % du revenu de solidarité active, décision prise par le Premier ministre précédent. Je ne critique pas la mesure, mais celle-ci est assumée par le budget départemental, avec les effets qui en découlent.
M. Bruno Sido. C’était facile !
M. René-Paul Savary. On le constate, par conséquent : la capacité d’autofinancement des départements diminue chaque année. En 2015, 2016 ou 2017, pour l’ensemble des départements, un déficit de fonctionnement est à craindre. Il ne pourra pas être longtemps subi et il pénalisera l’investissement.
Il faudrait arrêter de diminuer la dotation globale de fonctionnement, ou DGF. C’est insupportable, d’autant que les départements contribuent à la solidarité nationale, sans bénéficier de la compensation des allocations de solidarité.
Il faudrait aussi modifier les règles comptables. Est-il normal d’amortir les subventions d’investissement que l’on donne aux communes ? Cela modifie la structuration budgétaire et précipite les départements dans un déficit de fonctionnement comptable.
Il faudrait également revenir à de bons principes. On ne peut continuer ainsi, avec des décisions nationales aux implications locales. Le décideur doit être le payeur, sinon les départements seront asphyxiés ! (Approbation sur les travées de l'UMP.)
Enfin, coup de grâce : le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « projet de loi NOTRe » ! Monsieur le secrétaire d'État, si vous persistez à faire en sorte que la gestion de proximité – je pense aux routes notamment – ne soit plus confiée aux départements, vous allez accélérer ce déficit de fonctionnement, et il ne se passera plus rien sur les territoires.
Par ailleurs, je vous rappelle que, compte tenu de vos propositions concernant les routes et les transports scolaires, vous transférez des dépenses pour les départements qui deviennent des recettes pour les régions, ce de façon chronique. L’argent des départements va aux régions !
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Ce n’est pas fait !
M. René-Paul Savary. Certes, mais soyons attentifs ! Je vois bien que vous renvoyez tout cela à après les élections départementales. N’y aurait-il pas une arrière-pensée ? (Approbation sur les travées de l'UMP.)
Cela étant, les collectivités qui ont investi vont transférer plus d’argent que celles qui n’ont pas fait leur travail. Celles qui vont payer ne seront pas celles qui bénéficieront systématiquement des réalisations effectuées. L’affaire est mal engagée.
En conclusion, les départements sont une structure de proximité. Ils peuvent favoriser la relance économique très rapidement si quelques mesures sont prises, et offrir à nos concitoyens des services au meilleur coût, avec la meilleure organisation. Ce n’est pas ce qui nous est actuellement proposé par le biais du projet de loi susvisé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Je me réjouis de l’initiative prise par les groupes UDI-UC et UMP d’organiser le présent débat sur les finances départementales, après celui que nous avons eu voilà quelques semaines sur les finances locales.
Les finances départementales connaissent les mêmes problèmes généraux que les finances locales prises dans leur ensemble : recettes fiscales propres archaïques, baisse drastique des dotations, augmentation des charges obligatoires. Toutefois, des spécificités doivent être relevées pour les départements ; je pense bien entendu à l’incertitude actuelle quant au périmètre des compétences et des missions qui leur sont dévolues.
Mais commençons avec un peu de légèreté. Le changement de nom du conseil général en conseil départemental résulte de la loi de 2013, qui a inauguré le désormais bien connu binôme départemental. Quoi de plus anodin qu’un changement de nom ? Ce n’est pas compliqué à intégrer dans un texte ! Bilan des opérations : entre 2 millions et 3 millions d’euros de dépenses pour les départements, qui vont devoir assumer le coût des travaux, les mises à jour des sites internet et toutes les mesures rendues nécessaires par cette coquetterie législative. Et c’est un exemple parmi d’autres.
La réalité est la suivante : les départements, à l’instar de l’ensemble des autres collectivités territoriales, passent clairement pour les dindons de la farce de ce que certains appellent encore « pacte de responsabilité ».
Force est de constater que la politique de maîtrise de la dépense publique mise en œuvre voilà un peu moins d’un an par le Gouvernement repose en fait presque exclusivement sur la réduction des dotations de l’État aux collectivités. Cette première injustice se couvre d’un manteau d’incertitude face à ce mystérieux acte III de la décentralisation, auquel plus personne ne comprend rien. L’incompréhension et l’incertitude sont telles que l’on ne sait plus si le Gouvernement souhaite supprimer les départements, les conseils départementaux, ou revoir encore leurs compétences, une fois le projet de loi NOTRe adopté.
En réalité, il n’y a qu’une seule certitude aujourd’hui : les départements ont été fragilisés à un point peut-être jamais atteint. Ils l’ont été non seulement politiquement, mais aussi financièrement, aussi bien en recettes qu’en dépenses.
Leurs charges n’ont jamais été aussi lourdes. Généraliste malgré lui de la politique sociale, le département a été frappé de plein fouet par l’ampleur de la crise économique et du chômage. De fait, nos cent un départements supportent les 9 milliards d’euros que représente le revenu de solidarité active socle, soit un peu moins de 90 millions d’euros par collectivité ! Qui peut croire aujourd’hui que ces dépenses vont diminuer ? Face à la situation économique gravissime dans laquelle notre pays se trouve – plus de 5 millions de personnes sans emploi –, il est évident que ces dépenses vont structurellement évoluer à la hausse. À ce titre, je m’inquiète particulièrement de la nouvelle prime d’activité présentée un peu à la va-vite par le Gouvernement dans le dernier projet de loi de finances rectificative. Cette prime, qui a vocation à remplacer le revenu de solidarité active et la prime pour l’emploi, a encore un champ d’application très flou. Mais c’est l’une des caractéristiques de nos textes actuels : le flou généralisé. Quoi qu’il en soit, je crains que le champ de cette prime d’activité ne soit davantage élargi, rendant le coût global encore plus lourd pour nos territoires ! Monsieur le secrétaire d’État, qui paiera ? Les départements seront-ils mis à contribution ?
Il ne faut pas non plus oublier d’autres dépenses particulièrement dynamiques. Elles sont d’autant plus structurelles qu’elles sont liées, non pas à la conjoncture économique, mais à la démographie. Je pense bien évidemment au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie et de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH. À ce titre, je regrette que le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ne permette pas d’analyser l’incidence financière de la hausse du nombre de nos seniors frappés par la dépendance sur les budgets des départements, qui seront une fois de plus en première ligne.
Ces dépenses, liées au statut de chef de file des départements en matière de politique sociale, représentent plus de la moitié des budgets de ces derniers. C’est un poste colossal, c’est un poste dynamique, et ce n’est pas un poste unique. J’aurais pu évoquer les compétences en matière de lutte contre la précarité énergétique, le financement des collèges, les 100 000 personnels techniciens, ouvriers et de service, les personnels TOS, ou encore les compétences culturelles, sans, bien évidemment, oublier la gestion des routes départementales.
Les dépenses départementales connaissent les mêmes difficultés que celles des autres collectivités ; je pense principalement à l’évolution des coûts de fonctionnement. Le dernier rapport de la Cour des comptes relatif aux finances locales a été particulièrement sévère sur ce point. Ainsi, depuis 1983, les dépenses de fonctionnement auraient enregistré une hausse de plus de 3 % en moyenne par an. Elles augmentent sensiblement plus vite que les recettes. Mais à qui la faute ?
Nous savons tous à quel point la masse salariale est rigide du fait de son statut principalement public et à quel point elle est également dynamique. Entre la hausse des cotisations retraite, la revalorisation des catégories B et C, la garantie individuelle du pouvoir d’achat, le glissement vieillesse technicité, les contributions de formation au Centre national de la fonction publique territoriale, la hausse de la part employeur de la cotisation retraite, et même la hausse de la TVA qui freine de fait les décisions d’investissement, il n’est plus rare de trouver des départements qui ne maîtrisent même plus 20 % de leur budget.
J’aimerais pouvoir dire qu’un important effort de gestion serait suffisant pour pallier ces dépenses contraintes en hausse, mais, malheureusement, même les bons gestionnaires sont désormais pris au piège.
Face à un florilège de compétences particulièrement lourdes, les recettes ne sont clairement pas au rendez-vous.
Pour synthétiser les choses, nous pourrions dire que la politique sociale, décidée par l’État et exécutée par les départements, est financée par une fiscalité archaïque assise sur la dynamique du marché immobilier, et par une palette de taxes plus ou moins fiscales, allant de la taxe sur les conventions d’assurance jusqu’à la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, la TIPP.
Jusqu’en 2011, nous avons vécu avec l’idée que les droits de mutation étaient tellement dynamiques qu’ils justifiaient finalement que le Gouvernement ne prête pas un grand crédit aux appels et aux signaux envoyés par les présidents de conseil général. Quelle erreur d’analyse, lorsque l’on sait que la taxe sur le foncier bâti est la seule ressource fiscale sur laquelle le conseil général a encore un véritable pouvoir en termes de taux !
Il s’en faut de beaucoup, nous le savons tous, que le secteur du bâtiment et de l’immobilier se porte bien depuis l’adoption de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. En vérité, cette loi Duflot restera un exemple éclatant du tort qu’un mauvais texte peut causer à une économie fragile !
Résultat : alors que les dépenses des conseils généraux augmentent naturellement, leurs recettes sont peu dynamiques et les dotations de l’État baissent.
Encore a-t-il fallu que le Gouvernement, comme si le tableau n’était pas assez sombre, s’évertue à pimenter un peu plus la gestion départementale en jetant un voile de défiance sur l’avenir des conseils généraux. En effet, les annonces et contre-annonces successives sur la disparition de ceux-ci ont achevé de donner aux départements l’image, désormais classique, du bateau qui sombre dans l’abîme.
Une aussi délétère campagne de communication n’a pas été sans conséquences : ainsi, comment voulez-vous souscrire un emprunt bancaire lorsque vous représentez un exécutif local dont l’existence est menacée à moyen terme ? Les emprunts toxiques avaient déjà donné une mauvaise image de la gestion financière locale ; la date de péremption inscrite au fronton de l’ensemble des conseils généraux finira de convaincre les banques de systématiser les primes de risque pour le financement des investissements départementaux.
Tout aussi désastreuses sont les conséquences de cette campagne en matière de ressources humaines : on ne monte pas dans un bateau qui coule, on le fuit ! Comment réaliser une saine gestion des ressources humaines lorsqu’il est acquis qu’il n’y a pas d’avenir dans l’administration départementale ?
Reste une dernière conséquence, qui est peut-être la plus grave : comment convaincre nos concitoyens d’aller voter les dimanches 22 et 29 mars prochain pour les élections départementales, alors que les anciennes élections cantonales attiraient déjà peu les électeurs ? Croit-on qu’ils se déplaceront plus nombreux pour choisir des élus qu’ils verront davantage comme des liquidateurs de leur ancien conseil général que comme de véritables décideurs de proximité ?
M. Antoine Lefèvre. C’est cela : des élus qui éteindront la lumière !
M. Vincent Delahaye. De fait, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République étant toujours en discussion, les électeurs vont élire de nouveaux conseillers sans même connaître les futures compétences de ceux-ci. Monsieur le secrétaire d’État, c’est un non-sens démocratique : à trop vouloir faire du département le parent pauvre de la décentralisation, vous risquez de conduire les futurs exécutifs départementaux dans le mur d’une véritable rupture démocratique, prélude à une rupture de service public, ce qui est tout simplement inacceptable !
Le Gouvernement doit dire clairement où il va, et le dire vite, car l’action départementale a besoin de perspectives et de clarté. On ne peut pas priver les départements de leur avenir sans fragiliser toute la politique sociale et la démocratie participative. Les transferts de compétences permanents conjugués à des ressources parafiscales archaïques, cela ne peut plus durer ! Accorder aux départements des ressources pérennes est un impératif d’autant plus urgent que les dotations de l’État ont baissé, baissent et continueront de baisser les deux prochaines années.
La situation actuelle est d’autant plus préoccupante que plus les difficultés des départements s’accroîtront, plus ceux-ci auront tendance à reporter leurs problèmes sur les autres échelons locaux. Bientôt, en effet, les conseils départementaux ne seront plus en mesure de verser des subventions, et seront contraints de renvoyer sur les intercommunalités le poids de l’exercice réel de nombreuses compétences que l’État ne veut plus assumer directement.
Les départements sont aujourd’hui dans une situation financière si critique que je ne crois pas être particulièrement alarmiste, monsieur le secrétaire d’État, en vous mettant en garde contre la cessation de paiement prochaine des conseils départementaux, que les deux précédents orateurs ont également annoncée et qui serait dommageable au premier chef pour nos concitoyens.
À l’heure actuelle, je ne vois pas d’issue immédiate. On nous parle, certes, d’une éventuelle réforme de la dotation globale de fonctionnement à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2016. Mais le moment est-il bien choisi ? Je n’en suis pas convaincu.
M. Claude Raynal. Ce n’est jamais le bon moment !
M. Vincent Delahaye. Imaginez à quel point une réforme de cette ampleur, déjà compliquée en temps ordinaire, serait délicate à mener en pleine tempête financière pour nos collectivités territoriales !
Monsieur le secrétaire d’État, nos territoires attendent des réponses. Pour l’heure, nous n’en avons pas de votre part. C’est pourquoi je me félicite que les groupes UMP et UDI-UC aient proposé l’organisation du présent débat, qui, je l’espère, ouvrira des perspectives encourageantes ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. La situation financière des conseils qui s’appelleront bientôt départementaux mériterait bien plus qu’un débat ; félicitons-nous que, grâce au Sénat, cette question importante pour le quotidien de nos concitoyens soit clairement mise sur la table.
Au sein de l’Association des départements de France, l’ADF, le groupe de la Droite, du centre et des indépendants, dont je fais partie, dresse depuis plusieurs années un même constat. Bien que nous soyons en campagne électorale pour les élections départementales, j’ai assez de mémoire et de franchise pour reconnaître que les difficultés existaient dès avant mai 2012.
Afin que chacun comprenne bien le sens de mon propos, je précise d’emblée que le Gouvernement a raison de vouloir réaliser des économies et qu’il est clairement dans l’intérêt national qu’il y parvienne aussi rapidement et massivement que possible. (M. le secrétaire d’État opine.) Je me garderai donc de tout discours électoraliste, en dépit du contexte politique.
Le problème est en définitive assez simple : les gouvernements ont transféré aux collectivités territoriales des compétences sans leur donner les moyens de les assumer.
Pour ce qui concerne les départements, je pense évidemment en premier lieu aux compétences sociales : l’accompagnement des personnes âgées fondé sur l’allocation personnalisée d’autonomie, créée en 2001, le soutien aux personnes handicapées, qui repose sur la prestation de compensation du handicap, instituée en 2005, et la solidarité envers les personnes en rupture d’insertion, assurée par le revenu de solidarité active instauré en 2008. Je n’oublie pas la protection de l’enfance, dont la dimension relative aux mineurs isolés étrangers a pris un relief singulier depuis 2013.
Les conseils généraux n’interviennent ni sur les critères d’attribution, ni sur les montants, ni sur les durées de versement des trois prestations que je viens de nommer, lesquelles représentent l’essentiel de leur budget de fonctionnement. En d’autres termes, nous versons des prestations nationales, en application de la loi et pour le compte de l’État, de sorte que nous sommes dans l’incapacité de réaliser des économies sur ce champ de compétences. Notre seule marge de manœuvre réside dans la gestion du personnel d’instruction des dossiers et de suivi des bénéficiaires des aides – bref, des travailleurs sociaux. Sans doute, nous pouvons réaliser des gains de productivité par l’informatisation des données, mais il s’en faut de beaucoup qu’ils soient à la hauteur des enjeux.
L’écart entre les dépenses consenties par les conseils généraux au titre de leurs compétences sociales et les ressources qu’ils perçoivent de l’État pour y faire face est estimé entre 5 et 6 milliards d’euros chaque année. Ce constat est partagé par l’ADF et l’État.
Du reste, M. le Premier ministre, que je rencontrais hier soir à Matignon, anticipe une augmentation de 7 à 8 % de la dépense liée au RSA, pour une raison simple : les droits au chômage s’éteignent dans la plupart des cas après vingt-quatre mois pour celles et ceux qui n’ont pas retrouvé d’emploi. Parce que M. le Premier ministre a conscience que cette situation ne peut plus durer, il m’a annoncé la mise en place prochaine, après les élections départementales, d’un groupe de travail sur les finances départementales.
M. Éric Doligé. Enfin !
M. Bruno Sido. J’espère qu’il ne s’agit pas d’enterrer le problème ! Probablement M. le secrétaire d’État nous en dira-t-il davantage dans quelques instants.
Cette situation a deux conséquences très logiques : la baisse de l’investissement public, les départements devant sacrifier une part des dépenses d’avenir pour faire face à leurs obligations, et la hausse de l’endettement, dont M. Savary a fort bien parlé. Certains dispositifs ont certes été mis en place, comme le fonds de solidarité en faveur des départements, dit « fonds Ackermann », instauré par la loi de finances pour 2014 ; mais l’ensemble n’est qu’un cautère sur une jambe de bois.
En raison de la crise économique et du vieillissement de la population, les dépenses sociales augmentent chaque année ; les conseils qui s’appelleront bientôt départementaux n’ont plus les moyens de faire face à la situation. Dans ces conditions, l’État doit prendre enfin ses responsabilités : soit il maintient la générosité du système de prestations et attribue aux départements les moyens nécessaires au versement de celles-ci, soit il procède aux ajustements requis pour orienter l’essentiel des sommes disponibles vers les personnes âgées démunies et ceux qui en ont le plus besoin. Le refus de décider n’est pas responsable et entraîne nos collectivités territoriales dans le mur, au détriment, in fine, des personnes les plus en difficulté.
Cet exemple bien connu met en évidence le lien de causalité entre le désengagement de l’État, qui essaie, avec beaucoup de bonne volonté, de réaliser des économies, et l’alourdissement des dépenses des collectivités territoriales, auquel celles-ci ne peuvent faire face qu’en réduisant leurs investissements, ce qui pénalise l’activité de secteurs entiers comme celui du bâtiment et des travaux publics, ou en recourant à l’emprunt, ce qui à mon sens est pire encore, car l’opération revient à cacher le problème sous le tapis.
Par ailleurs, les conseils généraux ont été lourdement touchés par la baisse de 11 milliards d’euros des concours de l’État. Si je souscris à l’objectif d’économies auquel ils sont associés, je souhaite que nous puissions sortir enfin de l’impasse financière.
Sauf dans le secteur social, les conseils généraux sont nombreux à avoir entrepris les mutualisations nécessaires à la baisse durable des dépenses de fonctionnement. Ainsi, dans le département de la Haute-Marne, le service départemental d’incendie et de secours, le SDIS, est sur le point de conclure avec le conseil général une convention qui permettra la création, dans les prochains mois, de services unifiés dans différents domaines, en particulier les finances, les bâtiments et les transmissions. De même, nous avons mis en place une plateforme d’appels commune au 15 et au 18, et, de ce fait, les habitants ne verront pas partir le centre d’appels du SAMU dans un département limitrophe.
Reste que je mesure chaque jour, monsieur le secrétaire d’État, les résistances qui se manifestent et les efforts qu’il faut consentir pour surmonter les réticences, voire la mauvaise volonté. Croyez-moi : les élus et certains préfets agissent de concert et tirent dans la même direction, mais la routine et les habitudes de l’administration sont un puissant frein au changement.
À la lumière de ce diagnostic largement partagé, permettez-moi de présenter quelques propositions, qu’il conviendrait de mettre en pratique en complément de la généralisation des mutualisations et d’un engagement de l’État à assumer enfin la responsabilité des politiques sociales qu’il nous impose.
D’abord, une étude d’impact devrait être réalisée pour distinguer les bonnes économies, celles qui sont relativement indolores, des mauvaises, celles qui produisent des dommages sur le tissu économique et social. De ce point de vue, il eût peut-être mieux valu conserver, même pour nos collectivités territoriales, le principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, tout en maintenant l’effort d’investissement des régions, des départements et des communes.
Ensuite, serait-il vraiment sacrilège d’engager avec les syndicats de la fonction publique une discussion visant à définir d’un commun accord les grands principes d’un complément de rémunération variable, modulé en fonction des économies réalisées dans chaque service, à compétences constantes ? La fonction publique compte d’excellents managers, capables d’organiser leurs équipes de manière encore plus efficiente, avec le souci constant de la maîtrise de la dépense et du service public. La mise en œuvre d’un tel mécanisme permettrait d’identifier les bonnes pratiques et de récompenser le mérite, au service de l’intérêt général.
Enfin, il convient de s’interroger sur le périmètre même de la sphère publique. Un service au public ne peut-il pas être rendu avec efficacité par le secteur privé, sous le contrôle, bien entendu, de l’État ou des collectivités territoriales ? Faut-il nécessairement que les tâches d’exécution soient toutes accomplies par des agents publics ? En raison du carcan administratif, le talent de nos agents reste trop souvent sous-employé, alors que des professionnels du secteur privé disposeraient, à la faveur d’un cadre plus souple, d’une plus grande liberté pour déterminer l’organisation optimale au regard des objectifs de service public. Je pourrais donner, à cet égard, des exemples très précis.
Parce que, en période de crise, il est de notre responsabilité d’innover pour réussir à faire aussi bien, voire mieux, avec des ressources moindres, je propose que le Sénat mette en place une mission d’information sur les bonnes pratiques constatées dans ce domaine en France et en Europe, sans tabou ni dogmatisme et avec pour seul objectif la réussite collective.
Je propose aussi, à l’heure où le rôle du Sénat est en débat, de favoriser un bicamérisme complémentaire qui limiterait les prérogatives parfois excessives de l’administration, grâce à une mesure simple : accorder aux commissions permanentes de la Haute Assemblée le droit de coécrire avec le Gouvernement les décrets d’application des lois, à l’instar du système en vigueur chez nos voisins allemands. En d’autres termes, mes chers collègues, nous disposerions d’un droit de contrôle de la conformité des décrets d’application à l’esprit et à la lettre des lois.
En vérité, qui d’autre que nous a vraiment à cœur de servir la simplification administrative ? Qui d’autre pourrait veiller non seulement à la parution rapide des décrets d’application et à leur fidélité à la loi, mais surtout à l’esprit d’économie ? À ceux qui, à l’Assemblée nationale, rêvent de « bundesratiser » le Sénat – pardonnez-moi cette expression –, je pense que cette évolution réserverait bien des surprises ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Thierry Carcenac. La situation financière des conseils départementaux n’est pas inconnue du Gouvernement.
Ainsi, le rapport annuel de l’Observatoire des finances locales retrace précisément cette situation. Pour sa part, dans son rapport public annuel de 2013, la Cour des comptes avait réalisé un état des lieux approfondi du déficit de financement par les départements des allocations individuelles de solidarité qui s'expliquait par un décalage croissant entre recettes affectées et charges liées – décalage évalué à 9 millions d’euros en 2010. Elle estimait alors que le statu quo financier n’était plus possible.
Par ailleurs, le rapport Carrez-Thénault du 20 mai 2010 avait établi un diagnostic à la veille du gel des dotations de l’État aux collectivités locales pour la période 2011–2013. Dans ses conclusions était évoqué un effet de ciseaux pour les départements dû à la croissance des dépenses sociales obligatoires et à l’évolution divergente des ressources et des dépenses. Il était indiqué que le reste à charge pour les départements, dont la dynamique est inquiétante, serait source de vraies difficultés avec le gel des dotations.
Depuis, les dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité n’ont cessé de progresser à un rythme très nettement supérieur à l’inflation : la progression des dépenses relatives à l’APA est due à la croissance de la démographie des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, les dépenses qui concernent le revenu de solidarité active ont augmenté de plus de 7 % en 2013 et de 10 % en 2014, leur dynamisme étant lié à la dégradation de l’emploi, elle-même liée à un marché du travail dégradé, et au plan de lutte contre la pauvreté voulu par le Président de la République, l’allocation étant majorée de 10 %, et les dépenses de prestation de compensation du handicap ont connu une montée en charge.
En 2013, les dépenses d’aide sociale des départements, d’un montant de 33,9 millions d’euros – sur un total de dépenses de fonctionnement hors intérêts de la dette de près de 60 milliards d’euros – ont crû de 2 % par rapport à 2012 et de 10 % par rapport à 2009. Elles varient de façon assez inégale, de 350 euros à 800 euros par habitant en fonction de la situation des départements.
L’effort demandé aux collectivités locales pour redresser les finances de la France ne fera qu’amplifier le phénomène. La contribution réclamée aux départements est de 1,15 milliard d’euros en 2015. Au total, sur la période 2014–2017, la baisse de ressources s’élèvera à 3,9 milliards d’euros pour ces derniers – je le rappelle, nous avions souhaité, dans cette enceinte même, bénéficier d’une année supplémentaire pour étaler cette diminution.
À court terme, deux réponses ont été apportées aux départements les plus en difficulté par les gouvernements de MM. Fillon et Ayrault, qui ont débloqué dans l’urgence 75 millions d’euros prélevés sur la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. À moyen terme, les gouvernements de MM. Ayrault et Valls ont été les seuls à mettre à la disposition des départements, sous forme de fonds de compensation péréquée, les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui représentaient 841 millions d’euros l’an dernier, et à ouvrir la possibilité d’augmenter les droits de mutation à titre onéreux de 0,7 % – le premier l’avait permis pour deux ans et le second a souhaité pérenniser cette possibilité, ce que nous avons voté à la fin de l’année dernière. Quatre-vingt-dix départements ont utilisé cette faculté en 2014 pour une ressource totale – variable en fonction de la situation du marché de l’immobilier – de l’ordre de 800 millions d’euros par an.
Néanmoins, que constate-t-on ? Eu égard au financement des allocations individuelles de solidarité, le reste à charge a été stabilisé à 7 milliards d’euros et, compte tenu de la situation, le RSA augmente dans des proportions inégalées : 9 % en 2013, 10 % en 2014, et la prévision de croissance est identique pour 2015.
Par ailleurs, hors recettes nouvelles, les produits de la CVAE ont baissé, et ceux de la taxe foncière sur les propriétés bâties ont affiché une légère hausse de 2,4 %.
Or la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 instaure un objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement de 2 % et de 0,5 % de la dépense locale en 2015.
Cette situation est intenable pour les départements, qui n’ont plus de marges et ne peuvent donc qu’envisager de réduire leurs investissements et leurs subventions aux collectivités locales, ce qui n’est pas bon pour l’économie locale – non délocalisable – du secteur du bâtiment et des travaux publics.
L’épargne brute a pu être préservée en 2014 grâce aux mesures déjà prises : elle a augmenté de 0,9 % pour s'élever à environ 7 milliards d’euros, après deux années de forte baisse – surtout en 2012, avec une diminution de 13 %. L’épargne nette se réduit de plus en plus, et devient même négative pour quelques départements.
La réforme en cours des compétences, au travers du projet de loi NOTRe, va affecter la structure des budgets départementaux qui, à la suite des transferts de compétences, vont diminuer et le stock de dettes des départements va s’accroître en proportion, ce qui fragilisera un peu plus ces derniers, l’emprunt n’étant pas affecté et ne pouvant être transféré.
Dès lors, la réforme des dotations envisagée par le Gouvernement dès 2016 – M. Jean Germain et Mme Pires Beaune travaillent ainsi pour élaborer un rapport sur la DGF – devrait également concerner les départements. Je souligne que la dernière réforme de la DGF des départements remonte à 2005. Elle avait figé les inégalités, et la péréquation en période de gel des dotations a eu un effet contreproductif pour les départements dits « défavorisés ».
La nécessaire simplification des dotations s’impose. Les dispositifs de péréquation horizontale et verticale sont au nombre de dix pour les départements, ce qui les rend illisibles. Ainsi, concernant la DGF, cent départements bénéficient de la péréquation horizontale – quarante urbains et soixante ruraux – hormis Paris et les Hauts-de-Seine, qui en ont été exclus. Pour la région Midi-Pyrénées, les écarts sont très importants. Par exemple, entre le Tarn, département que je connais bien, et l’Aveyron, son voisin, la différence est de 80 euros par habitant, ce qui conduit, compte tenu de la population, à un écart de dotation de 30 millions d’euros, alors que les revenus des habitants et leur potentiel fiscal sont similaires. J’y insiste, la réforme de 2005 a figé les inégalités sur la base d’un potentiel fiscal superficiaire.
En 2014, la DGF s’établit de 90 euros à 472 euros par habitant – hors Paris et outre-mer –, soit un écart de un à cinq. Pour leur part, les potentiels fiscaux varient de 205 euros à 1 040 euros par habitant, soit, là encore, un écart de un à cinq. Il convient donc de réformer de façon plus équitable la DGF, en tenant compte notamment des revenus des habitants, de la densité de population, de l’importance de la voirie, de la présence de zones de montagne, et de mettre en place une péréquation qui ne soit pas contre-performante.
Or, lors de la réunion du Comité des finances locales du 27 février dernier, le directeur général des collectivités territoriales a indiqué que, de son point de vue, la réforme de la DGF des départements était moins urgente que celle du bloc local, au motif que la répartition de la DGF est moins contestée pour les départements et les régions. Une mise en œuvre en 2017 paraît donc trop tardive.
Enfin, j’ajoute que les autres collectivités locales regardent avec envie les 48,5 % de CVAE affectés aux départements…
Alors, quel devenir pour la fiscalité des départements ? Il paraît essentiel que corresponde à un panier de dépenses un panier de ressources dynamique. Dans cette attente, des rencontres thématiques devraient être organisées entre le Gouvernement et les collectivités territoriales, afin de négocier une relation sereine entre l’État et les départements. Celle-ci pourrait advenir soit par une juste compensation des dépenses d’allocations individuelles de solidarité, soit par une recentralisation de la dépense, en ne laissant aux départements que l’insertion de proximité en relation avec l’État et Pôle emploi.
Afin que cela soit possible, il faudra étudier une mesure d’urgence destinée aux départements en difficulté confrontés à une hausse massive du RSA. Il devra s'agir d’un dispositif transparent – je pense par exemple au fonds d’urgence de la CNSA.
En définitive, les départements attendent une réponse d’urgence du Gouvernement dès cette année, afin d’atténuer l’augmentation des allocations individuelles de solidarité constatée en 2014 et qui se prolongera cette année.
Je rappelle que les recettes de la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, sont estimées à 682 millions d’euros pour 2015. Une partie de cette somme pourrait être utilisée en attendant l’adoption de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Le débat de cet après-midi nous met face à la quadrature du cercle : certains orateurs l’ont déjà dit, les dépenses des départements vont augmenter de plus en plus pour des raisons notamment démographiques et économiques, et leurs recettes vont connaître une contraction drastique du fait de la lutte contre les déficits publics. Ainsi se pose la question du fonctionnement de nos conseils départementaux, en particulier de la marge qui leur restera pour les investissements indispensables au maintien d’un minimum d’activité au plan local.
Au préalable, je voudrais évoquer cette spécialité française – illustrée en son temps par la loi Pécresse – consistant à transférer des compétences de l’État vers une autre entité – en l’espèce, les universités – sans donner les moyens correspondants. Selon une analyse intellectuellement soutenable, les acteurs au plus proche du terrain devront faire les économies que Paris n’est pas parvenu à réaliser ! Or, depuis un certain nombre d'années, cette logique est constamment à l’œuvre, quelle que soit la sensibilité des gouvernements successifs…
Plusieurs collègues l’ont dit, nous assistons à un effet de ciseaux aux conséquences catastrophiques : hausse des dépenses et stabilité, voire baisse, des recettes. Comment alors nourrir un projet politique pour le conseil départemental ? Là est la question ! Nous parlons finances, budget et impôts, mais ce qui importe, c'est de savoir ce que l’on veut faire de nos territoires, quelle vision l’on en veut donner à nos concitoyens ! (M. André Reichardt acquiesce.)
À cet égard, traiter des masses budgétaires est indispensable – ce sera d'ailleurs précieux à tous les candidats qui vont regarder nos débats sur le site du Sénat. Mais quid des projets, de la gouvernance, qui sont les grands absents des discussions de cet après-midi ?
Comment tenter d’apporter des améliorations ? Les membres du groupe écologiste pensent que les évolutions encore en débat dans le cadre du projet de loi NOTRe auront un rôle tout à fait déterminant. Mais il faut mettre un terme au flou artistique : la compétence des routes relève un jour du département, le lendemain, de la région, puis elle revient au département… Cette instabilité est préoccupante.
Ma famille politique ne défendait pas le département avec ardeur. Dans la perspective de créer une synergie, elle souhaitait plutôt privilégier des métropoles dynamiques, des régions fortes et structurées, ainsi que l’échelon européen. Initialement, le département devait être dévitalisé, et voilà qu’il recouvre quelque énergie. Malheureusement, s’il conserve ses compétences, aucun espoir ne lui est laissé du point de vue financier. C’est inquiétant.
Quant à la remise à plat de la DGF, elle est sans cesse différée. Sauf erreur de ma part, les bases de 2005 s'appliquent encore aujourd'hui. Dès lors, comment se projeter sans visibilité à une échéance de cinq ans ?
Je voudrais aussi aborder la question des ayants droit et des bénéficiaires. Aux termes du rapport extrêmement remarqué traitant notamment des différents motifs de la pauvreté remis par Aline Archimbaud, 50 % des personnes en situation de pauvreté n’utilisent pas les droits auxquels elles peuvent prétendre pour diverses raisons, comme l’ignorance de leur existence.
Si, comme on s'y est engagé, l’information des publics les plus pauvres et les plus précaires quant à leurs droits est améliorée, nous assisterons à un ressaut du nombre de bénéficiaires de toutes les allocations déjà citées : allocation personnalisée d’autonomie, revenu de solidarité active et prestation de compensation du handicap.
Quoi qu’il en soit, pour les écologistes, il faut poser la question de la gouvernance, car celle des masses budgétaires – on a raison de regretter la baisse des dotations qui posera problème – ne peut être abordée isolément. Comment réfléchir à l’avenir au niveau de l’échelon départemental ? Comment éviter de reproduire les erreurs commises ? Je pense aux emprunts toxiques, ainsi qu’à un certain nombre de constructions pharaoniques, parfois contestables. Quel regard critique porter sur ce qui a été fait ? Sans doute faut-il désormais faire mieux ou autrement.
Dernière question particulièrement préoccupante, l’égalité entre les territoires. Le rapport de la Cour des comptes et les statistiques en témoignent, nous sommes dans une situation non seulement préoccupante, presque dramatique, mais aussi extrêmement inégalitaire. Tout change selon la distance qui sépare un territoire d’une métropole, le contexte géographique ou les données climatiques, notamment en montagne.
Pour tout dire, il nous semble extrêmement important d’arrêter définitivement les compétences des conseils départementaux de la façon la plus précise possible. On pourra ainsi envisager autrement la gouvernance, l’exercice des responsabilités, le choix des investissements et, point sans doute le plus crucial, la gestion des personnels.
Vous le savez, les personnels des conseils généraux sont extrêmement inquiets. La situation que nous leur imposons est source de stress. Alors même qu’ils sont au contact des plus démunis et des plus faibles, nous ne leur donnons ni avenir ni perspective.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Corinne Bouchoux. Pour toutes ces raisons, nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, que vous pourrez répondre à nos inquiétudes et, surtout, nous dire quand interviendra une véritable réforme de la DGF, qui permettrait aux conseils départementaux d’avoir une vision stabilisée. Si nous nous réjouissons de l’instauration du ticket qui permettra – c’est au moins la vertu de cette élection – d’avoir plus de femmes au sein des exécutifs des conseils départementaux, nous ne pouvons toutefois que relever cette évidence : la France est l’unique pays au monde où des candidats, qui seront élus dans trois semaines, ne savent que dire à leurs électeurs ! Nous devons nous contenter de : « votez pour moi, j’ai de beaux projets et de bonnes idées, mais je ne sais pas exactement ce que je ferai pour vous. »
M. Antoine Lefèvre. C’est un scandale !
Mme Corinne Bouchoux. Face à une situation aussi compliquée, nous souhaitons bénéficier, monsieur le secrétaire d’État, de votre éclairage. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)
MM. André Reichardt et Antoine Lefèvre. Très bien ! Bravo !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. La situation financière des départements mérite bien d’être débattue au Sénat, tant elle est aujourd’hui alarmante. C’est un sujet majeur pour les habitants, l’activité économique et les territoires.
Depuis des années, les élus locaux, par le biais de leurs associations, notamment l’Assemblée des départements de France, ne cessent de dénoncer l’effet ciseaux résultant de l’écart croissant entre les dépenses et les recettes budgétaires.
Depuis des années également, l’État, contrairement à l’esprit des dispositifs de décentralisation, ne compense plus intégralement les transferts de compétences. Dans le même temps, les dispositions mises en œuvre par les différents gouvernements n’ont cessé de réduire l’autonomie financière des collectivités, particulièrement celle des départements, au point de les enfermer dans un carcan qui les fragilise durablement.
Aujourd’hui, la contribution de 11 milliards d’euros imposée aux collectivités territoriales dans le cadre du plan de réduction de 50 milliards d’euros de la dépense publique, s’ajoutant aux réductions déjà décidées en 2014, conduit tout particulièrement les départements dans une impasse financière généralisée.
Les études, évaluations et projections menées récemment, que ce soit par les membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, à la fin de l’année 2014, ou par l’ADF, début 2015, pour ne citer que ces deux structures, en attestent : toutes constatent des détériorations déjà visibles, et évoquent, démonstrations à l’appui, des situations financières « insoutenables » à court terme.
D’ores et déjà, certains départements ou communes ne sont pas encore parvenus à équilibrer leur budget pour 2015, ou le font au prix d’une remise en cause drastique de services publics utiles aux habitants.
Dans ce contexte de régression des dotations de l’État, les départements sont particulièrement touchés par la conjonction de trois facteurs.
Il s’agit, d’abord, de l’évolution des allocations individuelles de solidarité, dont l’État a confié la charge aux départements, sans que ces derniers disposent d’une quelconque marge de manœuvre, puisque ces allocations relèvent de normes nationales. Parmi celles-ci, le RSA connaît une progression considérable, qui suit celle du chômage, tandis que se creuse davantage encore l’écart entre le montant de cette allocation et les compensations financières de l’État.
La croissance, en 2013, de la charge nette de l’allocation RSA pour les départements est saisissante. L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée en témoigne : « Concrètement, la charge restant à financer par les départements après compensation de l’État s’élève à 2,3 milliards d’euros en 2013, alors qu’elle était de 1,5 milliard d’euros l’année précédente. »
Nous ne disposons pas encore des données nationales pour 2014. Mais, dans le Val-de-Marne, le versement du RSA a connu l’an dernier une augmentation de 17 millions d’euros, soit plus de 8 %, passant de 192 millions d’euros à 209 millions d’euros. L’écart entre les allocations versées et les compensations de l’État a dépassé les 90 millions d’euros. Au total, le montant cumulé annuellement des non-compensations de l’État des allocations individuelles de solidarité atteint la somme de 672 millions d’euros, soit le même ordre de grandeur que l’encours global de la dette du département.
Deuxième facteur de tension, une part non négligeable des recettes des départements s’appuie sur des ressources fragiles, car dépendantes de la conjoncture, et de surcroît difficiles à anticiper. Il s’agit des droits de mutation, de la taxe d’aménagement et de la CVAE.
Cette dernière, créée en remplacement de la taxe professionnelle, s’avère particulièrement inéquitable et imprévisible. Elle est inéquitable à l’égard des entreprises elles-mêmes, car elle a très peu bénéficié aux PME et TPE. Si elle a permis une économie globale de quelque 6 milliards d’euros, ce sont principalement les grandes entreprises qui ont été gagnantes. Elle est aussi inéquitable à l’égard des territoires : inégalement répartie, elle représente selon les départements un apport de 37 euros à 400 euros par habitant, soit un rapport de un à dix.
Enfin, les diverses réformes intervenues ont progressivement privé nos départements de leur autonomie fiscale. C’est particulièrement marquant depuis la réforme, en 2011, de la taxe professionnelle, puisque ces collectivités ne disposent plus désormais que du levier du taux de la taxe foncière sur le bâti.
Aujourd’hui, de très nombreux départements sont en grande difficulté budgétaire, y compris pour assumer leurs seules compétences obligatoires. Il est par conséquent urgent de réorienter les choix présidant aux dangereuses évolutions annoncées.
Car à quoi tout cela conduit-il ? Certainement pas à un redressement des comptes publics de la nation ! La réalité démontre que les coupes sombres déjà opérées sur les finances des collectivités n’ont pas empêché la dégradation des finances publiques et de la dette.
Cela ne conduit sûrement pas non plus à une amélioration des finances des collectivités. Celles-ci, faut-il le rappeler, sont globalement saines : leur budget est obligatoirement équilibré et leur endettement est à ce jour marginal par rapport à celui de l’État. En revanche, leurs lourdes contraintes budgétaires tendent à dégrader rapidement leur taux d’épargne brut et leur capacité de désendettement, les menant au risque du surendettement et du déséquilibre.
Cela ne conduit pas davantage à une amélioration de la situation économique : actuellement, la plupart des collectivités se trouvent dans l’obligation de réduire non seulement l’emploi public, mais aussi l’investissement, affectant gravement l’activité du secteur du BTP, notamment, dans lequel des centaines de milliers d’emplois sont en jeu.
Enfin, tout cela ne favorise pas le déploiement et l’efficacité des services publics de proximité. L’augmentation du chômage et de la précarité tout comme la dégradation du pouvoir d’achat de nombreuses familles appellent non pas la réduction de services, mais plus de solidarités, d’initiatives et d’innovations publiques.
C’est donc bien la question d’une réorientation radicale des choix politiques et budgétaires qui est posée, pour préserver les capacités d’action de nos départements, dont peu de monde conteste aujourd’hui l’utilité sociale et économique.
Ainsi, le RSA constitue pour les départements une charge financière particulièrement lourde. En même temps, ces derniers n’apportent ni plus-value ni visibilité aux bénéficiaires de cette allocation. Dès lors, pourquoi l’État n’en reprendrait-il pas intégralement la gestion ?
S’agissant des recettes, la redéfinition d’un impôt économique plus juste et plus transparent pourrait être engagée. Encourageant l’emploi et le développement solidaire des territoires, il pourrait être modulé en fonction de la masse salariale et de la valeur ajoutée de l’entreprise.
Par ailleurs, le principe de la libre administration des collectivités appelle le rétablissement de leur autonomie fiscale.
En outre, rappelons que les contraintes imposées aux collectivités pourraient être largement compensées par des dispositifs de justice fiscale, parmi lesquels l’instauration d’une taxe de 0,5 % sur les actifs financiers qui rapporterait 30 milliards d’euros.
D’autres propositions mériteraient bien entendu d’être étudiées. Quoi qu’il en soit, elles dépendent de choix dont les fondements politiques peuvent se révéler opposés. Soit l’État s’acharne, sous la pression de la Commission de Bruxelles, à s’inscrire dans le processus dévastateur de réduction de la dépense publique et conforte le système actuel, qui pèse fortement sur les départements et les oblige à sacrifier leurs politiques publiques, malgré quelques mesurettes marginales. Soit s’affirme la volonté, responsable mais résolue, de faire de l’action et des investissements publics les leviers de la relance économique, de la satisfaction des besoins humains et du développement des territoires. Une telle orientation suppose l’existence de collectivités de proximité fortes et reconnues dans leur existence, leurs compétences et leurs ressources. C’est particulièrement vrai pour les départements, dont les missions sont au cœur des cohésions sociales et territoriales.
Mon groupe s’inscrit avec détermination dans cette seconde hypothèse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Je commencerai mon propos en évoquant la situation de mon département, notamment la façon dont y sont traités les phénomènes climatiques. Le massif pyrénéen a connu des épisodes neigeux et le conseil général ainsi que les services du département sont immédiatement intervenus pour rétablir la circulation. Un village ayant été coupé du monde extérieur du fait d’un glissement de terrain, les quelques habitants prisonniers ont pu rapidement regagner la vallée pour se ravitailler, grâce à la proximité des services du département. Celle-ci est indispensable pour ce qui concerne non seulement les routes, notamment en cas de déneigement, mais aussi l’aide sociale.
Si l’aide sociale a été généreusement confiée au département, personne d’autre ne souhaitant exercer cette mission, au nom de quelle logique le Gouvernement a-t-il décidé d’attribuer la compétence des routes à la région, surtout lorsque celle-ci s’étend de Gavarnie aux contreforts des Cévennes ?
En la matière, et surtout dans le cadre de dérèglements climatiques, l’efficacité ne se mesure qu’à une capacité extrêmement rapide d’intervention liée à une bonne connaissance du terrain. Comment demander à quelqu’un se trouvant à Toulouse ou Montpellier de connaître parfaitement les vallées pyrénéennes ? La proximité et l’efficacité permettent donc des actions positives, qui sont reconnues.
De la droite à la gauche, on nous dit unanimement que les départements fonctionnent bien. Certes, moi qui ai connu la décentralisation Defferre, je peux vous assurer, mes chers collègues, qu’il leur a fallu un certain nombre d’années pour se mettre « au goût du jour ». Dès lors, pourquoi détruire quelque chose qui fonctionne bien ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Telle est bien la question !
M. François Fortassin. Quelle logique a bien pu présider à une telle aberration ?
À titre personnel, je ne suis certes pas concerné, puisque, après avoir exercé un mandat pendant trente-six ans, j’ai décidé de ne pas me représenter. Toutefois, je me demande quels propos pourront tenir les malheureux candidats aux élections départementales à leurs concitoyens durant la campagne électorale. Mis à part affirmer qu’ils feront pour le mieux, ils ne pourront pas dire davantage, dans la mesure où les compétences ne sont pas encore définitivement déterminées et où la réforme ne comporte aucune ligne directrice. En tout cas, pour ma part, je ne l’ai pas vue !
Je ne résisterai pas au plaisir de vous rappeler, mes chers collègues, certaines déclarations assez cocasses. Ainsi, voilà encore très peu de temps, Mme Lebranchu déclarait que les départements avaient toute leur pertinence et qu’il était indispensable de les conserver. Seulement, une fois l’automne passé et les feuilles mortes envolées, nous avons vu un changement d’attitude extrêmement net, qui est loin de nous satisfaire.
Cela étant, les orateurs précédents l’ont indiqué, la situation financière des départements est catastrophique, non pas parce que les départements n’auraient pas procédé à une gestion pertinente, mais tout simplement parce que l’État n’est plus au rendez-vous d’un certain nombre de dépenses qu’il nous impose – relevons la baisse des dotations sur la période allant de 2014 à 2017.
L’épargne brute a connu une érosion continue ; elle est même négative dans certains départements. La baisse des dotations entraîne elle aussi une dégradation extrêmement importante. Enfin, la capacité de désendettement, qui s’échelonnait sur trois ans environ il y a encore peu de temps, s’étalerait, selon les expertises, sur dix-sept années en 2018. À ce niveau, la faillite n’est pas loin !
De vives inquiétudes se font donc jour : les associations d’élus, notamment départementaux, et la Fédération nationale des travaux publics ont récemment demandé au Gouvernement la tenue dans les plus brefs délais des assises de l’investissement public local. En effet, ne l’oublions pas, dans notre pays, les collectivités territoriales assurent l’essentiel de l’investissement, qui se traduit par des emplois pérennes.
M. Antoine Lefèvre. On l’oublie un peu effectivement !
M. François Fortassin. Seulement, encore faut-il qu’elles puissent investir !
Je conclurai en abordant un point, qui peut-être est le plus important – je l’ai évoqué tout à l’heure : la difficulté pour les candidats aux élections départementales à faire campagne sans savoir exactement ce qu’ils ont dans leur besace. Que pourront répondre demain les conseillers généraux, bientôt départementaux, qui sont en permanence sur le terrain, au moins dans les zones rurales, à leurs concitoyens qui les interrogent ? Ils vont perdre à la fois en autorité, en crédibilité, voire en dignité.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous êtes un spécialiste de la question départementale, alors empressez-vous de nous donner la ligne directrice qui a guidé l’action du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. À quelques jours des élections départementales, ce débat a le mérite d’être pleinement d’actualité. Malheureusement il est également tronqué ! En effet, on ne sait pas de quoi on parle ! Les charges qui incomberont aux conseils départementaux sont, à l’heure actuelle, inconnues. Le projet de loi NOTRe est encore en pleine discussion, et je n’ose imaginer qu’il en reste à la version issue des travaux de la Haute Assemblée, tellement nos collègues députés l’ont modifié.
Les véritables objectifs du Gouvernement restent flous. Monsieur le secrétaire d'État, au mieux, vous ne savez pas où vous allez, au pire, vous cachez aux Français une nouvelle fois votre véritable finalité, que l’on sait dictée par Bruxelles, à savoir faire disparaître les départements. Cette mesure figurait d’ailleurs dans la première version du projet de loi précité.
Seulement, comme vous avez compris que les Français étaient attachés à cet héritage et que vous n’auriez certainement pas la capacité de modifier la Constitution, vous avez changé de stratégie et choisie une façon plus sournoise d’arriver à vos fins : d’un côté, vous enlevez des compétences aux conseils départementaux – on ne sait pas encore lesquelles, mais, si j’en crois les discussions en cours à l’Assemblée nationale, elles seront nombreuses –, de l’autre, vous diminuez drastiquement les dotations financières de ces mêmes instances.
Ainsi, les conseils départementaux, ayant moins de responsabilités, beaucoup moins de moyens financiers, vont perdre de leur pouvoir, de leur capacité de faire de la politique au sens premier du terme. En résumé, ils vont devenir une coquille vide, qu’il sera ensuite facile de faire disparaître.
Or le département est un marqueur de l’identité française, un outil de proximité, de solidarité, de services publics. Il constitue aussi un moyen de maintenir un équilibre dans la diversité du territoire français entre la ruralité et l’urbanité.
Pour en revenir à la question des finances, en coupant les vivres aux départements au motif de réaliser des économies – je le souligne en passant, elles sont rendues nécessaires du fait des politiques désastreuses que vous avez mises en place depuis des années – vous les empêchez de mener les politiques de proximité qui manquent tant aux Français.
Il est clair que les conseils départementaux peuvent faire des économies, je pense notamment aux dépenses de communication et subventions en tout genre qui servent plus souvent le clientélisme que le bien commun. Un peu moins de communication et plus d’action : voilà un programme que nous souhaitons mettre en œuvre dans les départements !
Il faut également lutter contre la fraude dont sont victimes les départements en tant que distributeur de nombreuses prestations sociales, notamment pour ce qui concerne l’attribution du RSA.
Malgré ces pistes d’économies, la situation financière des départements, due, d’une part, à une mauvaise gestion des deniers publics par vos amis, et, d’autre part, à la baisse des dotations de l’État, contraindra ces collectivités de proximité à diminuer leur investissement, ce qui affectera fortement le tissu de PME qui maille notre territoire. Mais c’est sans doute ce que vous cherchez ! Favoriser les grandes régions sans identité, favoriser les métropoles sans les campagnes, favoriser les grands groupes sans les PME !
La situation financière des conseils départementaux est difficile, mais, fait plus grave, il en est de même de la situation tout court des conseils aujourd’hui généraux, demain départementaux ! Sur pression de Bruxelles, ils sont sur la sellette !
Nous sommes viscéralement attachés au triptyque communes-départements-État, et nous luttons contre votre vision UMPS intercommunalités, grandes régions, Union européenne. Il faut cependant le reconnaître, dans la Haute Assemblée, mes chers collègues, vous êtres heureusement nombreux, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, à partager notre vision !
Au moins, on peut dire, monsieur le secrétaire d'État, que vous êtes pour une fois clairvoyant et cohérent, étant donné la claque électorale que vous êtes sur le point de prendre aux élections départementales, puisque vous supprimez les départements ! C’est une curieuse conception de la démocratie représentative, mais cela illustre bien votre absence de vision pour la France, ou plutôt votre vision dictée par Bruxelles ! Prenez garde, à ce rythme vous allez bientôt être obligé de faire disparaître toutes les institutions !
M. le président. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel.
M. Guy-Dominique Kennel. Je crains d’être redondant eu égard aux interventions précédentes, mais les départements vont mal, très mal ! Aujourd’hui, ils lancent un véritable appel au secours ! Ils sont le reflet de la triste réalité de notre pays. Eux, à qui l’on a confié la charge des solidarités territoriales et sociales, sont en passe de ne plus pouvoir assumer leur rôle naturel d’amortisseur social de la crise, parce que, paradoxalement, l’État se refuse à faire jouer la solidarité nationale.
Si seuls quelques conseils généraux étaient touchés par ce phénomène, on pourrait parler de mauvaise gestion. Seulement aujourd’hui, ce sont l’essentiel des départements qui connaissent des difficultés. Par conséquent, nous sommes face à un problème structurel des finances départementales qui mérite une réponse globale.
Comme l’ensemble de mes collègues présidents de conseil général, je suis tout à fait disposé à contribuer à l’effort de redressement des comptes de la nation en adaptant mon budget à la raréfaction de l’argent public. Encore faut-il que nous en ayons les moyens ! Or, monsieur le secrétaire d'État, nous ne les avons plus ! La dévitalisation que vous souhaitiez est en bonne voie. J’en veux pour preuve un certain nombre d’indicateurs qui ne cessent de se dégrader.
Depuis le début de la crise, face aux dépenses de solidarité qui ont explosé, l’épargne nette des départements n’a cessé de baisser. Alors qu’elle était, à l’échelon national, de 4 milliards d’euros en 2013, elle tombe à 1 milliard d’euros en 2015, et est estimée à moins de 8 milliards d’euros en 2020. Pour mon département, j’enregistre une perte d’épargne nette de 54 millions d’euros, soit la moitié de l’épargne figurant au budget prévisionnel de 2014. Je pense que ce constat n’est pas isolé au plan national.
Vous comprendrez aisément que cela met en péril notre capacité à financer des opérations d’investissement, et, par conséquent, à jouer un rôle actif de donneur d’ordre pour l’économie locale. Ainsi, des milliers d’emplois, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, sont menacés par l’absence de marché, lancé soit directement par les départements, soit par les collectivités locales qui renoncent à leur projet, faute de subventions départementales.
Pour limiter ce phénomène, de nombreux départements ont fait le choix de maintenir un niveau élevé d’investissement en recourant à des emprunts, mais cette situation n’est pas viable dans le temps, car ces collectivités s’endettent pour soutenir l’économie locale. Le délai de désendettement est passé de 4,6 années en 2013, à 8,8 années en 2015, et il est estimé à 24 années en 2016. Si je prends le Bas-Rhin comme illustration de mon propos, ce délai est passé de 5,3 années en 2013 à 7,6 années en 2014, et encore ne s’agissait-il que de maintenir un investissement autour de 200 millions d’euros par an. Aujourd’hui, je ne veux pas obérer l’avenir, et j’estime que le délai de huit années ne doit pas être dépassé, ce qui conduit à diviser malheureusement par deux un investissement pour 2015. Imaginez les conséquences !
C’est donc l’équilibre même des budgets départementaux qui est menacé. Nous sommes dans une situation d’insolvabilité latente face, d’un côté, à des dépenses de solidarité qui explosent et à des charges incompressibles, et, de l’autre, à des recettes qui fondent année après année. En témoigne l’autonomie fiscale des départements qui n’a cessé de diminuer ; celle de mon département est passée de 77 % en 2006 à moins de 44 % aujourd’hui.
Facteur aggravant, le taux de couverture par l’État du reste à charge des dépenses sociales est en diminution constante : il s’établit cette année à 45 % dans le département du Bas-Rhin, alors qu’il était encore de 65 % en 2007, soit 162 millions d’euros à prendre sur mon propre budget cette année, et plus de 900 millions d’euros depuis 2008. C’est tout simplement inacceptable et insupportable ! Mais cette situation, pour être alarmante, ne doit pas devenir désespérée. Je veux rester positif : si l’État ne veut pas asphyxier financièrement les départements et veut leur conserver un rôle éminent d’opérateur économique local, il peut, je crois, encore le faire. Seulement, en a-t-il la volonté ? Vous nous le direz peut-être, monsieur le secrétaire d'État.
Pour cela, l’État dispose de quelques leviers, qui pourraient permettre d’inverser la tendance et de redonner au département les marges de manœuvre qui ont été les siennes et qui lui ont permis de jouer pleinement son rôle d’aménageur et de garant des solidarités territoriales.
Je souhaite faire en cet instant plusieurs propositions.
La première d’entre elles consiste à revoir le partage de l’effort de redressement des comptes publics. Il faut déduire les charges supportées par les départements au titre des allocations individuelles de solidarité de l’assiette des recettes départementales prises en compte. Cela permettrait de donner de l’air aux finances des conseils généraux, qui pourraient alors se désendetter tout en programmant de nouveaux investissements.
La deuxième de mes propositions vise à revenir sur un principe bafoué par tous les gouvernements durant ces dernières années : celui de la compensation des dépenses de solidarité envers les plus fragiles de nos concitoyens.
Dans le Bas-Rhin, le nombre de ceux-ci est passé de 15 000 en 2008 à 35 000 en 2015. L’absence – toujours plus pesante – de compensation de ces dépenses obligatoires par l’État nous oblige à puiser davantage dans notre propre budget pour financer une charge que nous acquittons au titre de la solidarité nationale.
Aussi ne me semble-t-il pas déraisonnable de demander la compensation intégrale des dépenses liées à la seule prise en charge des bénéficiaires du RSA, afin de permettre aux conseils généraux de jouer leur rôle en termes de solidarités aussi bien sociales que territoriales. À défaut, laissons l’État-décideur reprendre à son compte la mise en œuvre du RSA.
Ma dernière proposition permet d’aller un peu plus loin en matière de décentralisation des compétences, dont chacun s’accorde à dire qu’elle permet un meilleur exercice des responsabilités publiques, du point de vue tant de la proximité que de l’efficacité.
Ainsi, l’État pourrait utilement confier aux départements non plus seulement la charge des allocations individuelles de solidarité, mais aussi la définition des normes et des barèmes qui en régissent l’attribution. La disparité entre territoires ne justifie pas toujours un traitement centralisé et uniforme de la mise en œuvre et du calcul de ces allocations. L’adaptation à la situation locale permettrait de garantir un service public de meilleure qualité au juste coût.
Dans la mesure où les départements sont les principaux financeurs, il est logique qu’ils soient également les principaux décideurs. À moins qu’il faille tirer un trait sur trente ans de décentralisation en redonnant à l’État la maîtrise de l’ensemble des compétences sociales déléguées, avec la certitude – avérée – qu’il n’est pas en mesure de les exercer…
Là est le véritable problème des départements, qui sont pris en otage. C’est non pas la hausse des impôts qui leur permettra d’assurer pleinement leur mission de service public de proximité, mais bien la maîtrise de la gestion de leur propre politique sociale.
Telles sont, mes chers collègues, les trois propositions dont je tenais à vous faire part. Je crois qu’elles sont aujourd’hui partagées par bon nombre d’élus départementaux de toutes sensibilités.
Monsieur le secrétaire d’État, la situation est très grave, n’attendez pas qu’elle soit désespérée ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.
M. Vincent Eblé. Ce débat, souhaité par la majorité sénatoriale, est utile pour rappeler le contexte dans lequel évoluent les départements français depuis de nombreuses années, singulièrement depuis les lois dites « de décentralisation » de 2004, soutenues par notre éminent collègue de la Vienne, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre.
En 2004, mes chers collègues, mon voisin seine-et-marnais et néanmoins ministre chargé du budget, Jean-François Copé, rappelait devant le Parlement que les transferts de charges se feraient à l’euro près. Je crois pouvoir dire que nous avons unanimement constaté combien cela s’est révélé inexact.
Il faut bien admettre aujourd’hui que les lois de 2004 portent en elles le germe de la lente asphyxie des départements, asphyxie que nous n’avons cessé de dénoncer ces dernières années, alors même que, sur les travées de droite, on expliquait parfois doctement que les difficultés que nous pointions du doigt n’étaient que le fruit de notre gestion hasardeuse.
Je ne ferai pas ce procès à nos collègues présidents de département de droite, lesquels se plaignent désormais avec véhémence de ne plus pouvoir boucler leurs propres budgets.
Je ne vous ferai pas de mauvais procès non plus, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, pour avoir proposé la tenue de ce débat aujourd’hui, à quelques jours du premier tour des élections départementales, tant nous savons, sur ces travées, que nos douleurs départementales ne sont pas nées de la victoire de la gauche en 2012.
Nous avons tous fait des efforts pour financer des dépenses de solidarité utiles, mais imposées – j’y reviendrai. Vous en avez fait, à droite de l’hémicycle, dans vos départements ; nous en avons fait, à gauche, dans les nôtres. Cela s’est traduit – chacun le sait – par la remise en cause de certaines politiques innovantes et volontaires, par une réduction, parfois sensible, des investissements, par des efforts de gestion incontestables en termes de frais généraux et de dépenses de personnel, alors même que s’abattait sur nos collectivités un véritable effet de ciseaux, lui-même amplifié par certaines décisions prises lors du précédent quinquennat visant, entre autres, à remplacer une taxe dynamique, la taxe professionnelle, par une autre qui ne l’est pas, la CVAE.
Mais nous ne sommes pas là pour refaire le match sur la pertinence de cette réforme fiscale : chacun sait qu’elle a eu des effets bénéfiques pour les plus grosses entreprises de notre pays et négatifs pour les PME, notamment artisanales et de services.
Venons-en au point majeur, à l’origine des maux des départements. Il s’agit d’une spécificité tout à fait inédite au sein des collectivités françaises et européennes : les départements sont les seules collectivités librement administrées, dont les représentants sont élus au suffrage universel, assumant financièrement une charge lourde dont elles ne fixent ni le montant ni les modalités d’attribution. Je veux bien entendu parler du RSA.
À partir du moment où cet élément majeur de la solidarité nationale n’est pas pris en charge par l’État, les finances des départements sont mises à mal, et plus encore en période de crise.
Depuis les transferts de l’APA, de la PCH et surtout du RSA, les départements ont permis à l’État de réaliser 55 milliards d’euros d’économies, mes chers collègues. Voilà qui a failli porter le coup de grâce à nombre d’entre eux, de gauche comme de droite.
Dès la fin 2012, l’ADF a obtenu du Gouvernement qu’il mette en œuvre un mécanisme permettant aux départements les plus menacés de boucler leur budget. Ce pacte de confiance s’est traduit, en 2013, par le transfert des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti, désormais perçue par les départements, et par la possibilité ouverte de porter à 4,5 % le taux des droits de mutation à titre onéreux dont se sont saisis quatre-vingt-onze des cent un départements, qu’ils soient de gauche ou de droite.
À cela s’est ajouté un fonds de solidarité entre départements visant à « corriger » les inégalités de reste à charge des trois allocations de solidarité, alimenté par un prélèvement sur le produit des DMTO.
Le fonds de compensation péréquée, alimenté par le produit des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties – la TFPB –, est venu compléter ce dispositif, ce qui a permis de ramener à 22 % les écarts à la moyenne de reste à charge des AIS.
Ces dispositions, certes conjoncturelles, constituent un premier pas. Toutefois, comme le montrent toutes les études, les départements sont ou seront plongés dans des impasses budgétaires d’ici à trois ou cinq ans. La future réforme doit donc être structurelle. J’en profite d’ailleurs pour souligner le travail fructueux du Sénat qui en a défendu toutes les spécificités, toutes les aspérités et même toutes les grâces dans le cadre du débat sur les compétences territoriales. Cela était justifié, et je pense que nous avons collectivement été entendus par le Gouvernement.
S’agissant de la question des finances, je vous accorde que les choses ne sont pas encore réglées. Il va falloir que l’État joue son rôle. Je propose que nous réfléchissions ensemble à un mécanisme de financement plus proche des réalités des territoires concernés.
Personnellement, je ne crois pas que la péréquation soit la solution magique à tous nos maux. En effet, elle vise à corriger la situation financière inégale existant entre les collectivités les plus favorisées et celles qui le sont moins. Or j’estime que cette inégalité doit être traitée et corrigée à la source, c’est-à-dire au niveau des critères fiscaux permettant aux collectivités de dégager des recettes financières.
Je donnerai un exemple : je suis l’élu d’un département – la Seine-et-Marne – qui fournit nombre de salariés à l’ensemble de l’Île-de-France, mais qui accueille peu d’entreprises par rapport à Paris ou aux Hauts-de-Seine et qui profite donc peu de la CVAE, mécanisme fiscal inadapté en ce qu’il ne tient compte que du siège social de l’entreprise pour déterminer la collectivité perceptrice de l’impôt, alors que la charge financière est assumée par le département où réside le salarié.
Or, bien que la péréquation tente de réduire les inégalités financières entre départements, elle est très loin de les compenser. Revoir les critères de répartition de la CVAE en regard d’éléments plus pertinents tels que la domiciliation des salariés, par exemple, se révélerait bien plus équitable et efficace que n’importe quel outil de péréquation. (M. Guy-Dominique Kennel marque son approbation.)
Les départements ont également besoin d’équipements et de services pour accompagner les dynamiques démographiques, qui ne sont malheureusement pas corrélées aux dynamiques fiscales. La Seine-et-Marne, qui est le département francilien et l’un des départements français dont la population augmente le plus rapidement, n’occupe que le quatre-vingt-dix-neuvième rang en termes de DGF par habitant.
Nous devons clairement nous réinterroger sur tous ces mécanismes, afin d’assurer un peu plus de justice dans nos territoires. L’espace de dialogue ouvert avec le Gouvernement sur la question des compétences peut se poursuivre sur la question financière.
Nos départements ne quémandent rien ; ils veulent juste plus de justice, eux qui injectent 1 milliard d’euros dans les politiques sportives, pour les clubs, pour les équipements ; eux qui accordent 1,3 milliard d’euros à la culture, laquelle vit – ou survit – grâce – faut-il le rappeler ? – au soutien des collectivités territoriales ; eux qui sont venus en aide à plus de 2,5 millions de nos concitoyens et qui sont à l’origine de 1 million d’emplois dans les services non délocalisables avec 38 milliards d’euros de budget ; eux qui ont accordé 4,5 milliards d’euros à nos collèges en fonctionnement et en investissement ; eux qui sont les premiers financeurs publics du monde associatif ; eux qui donnent du travail aux TPE et aux PME de leurs territoires et qui répondent présents, aux côtés des communes et des EPCI, pour les investissements propres, à hauteur de 30 % en moyenne.
Oui, les départements doivent avoir les moyens de mettre en œuvre les politiques utiles à leur territoire et au pays. Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous serons toujours aux côtés des collectivités départementales, qui entreront demain dans une ère nouvelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la veille de l’élection des nouvelles assemblées départementales, le débat que nous tenons, sur l’initiative de la majorité sénatoriale, est de nature à éclairer l’électeur sur les défis que les départements doivent relever dans un contexte contraint.
Si le sujet est donc d’actualité, force est de constater qu’il l’est depuis longtemps – trop longtemps – et que chacune des majorités successives depuis les lois de décentralisation de 1982 a sa part de responsabilité dans cette situation. Si l’examen de conscience ne doit exempter personne, la volonté de tirer les départements de ce mauvais pas doit en revanche engager tout le monde.
À cet égard, en relisant mon « Petit Vallini », je me suis dit qu’il y avait des raisons d’espérer. (Sourires.) En 2010, monsieur le secrétaire d’État, vous disiez, à propos de la réforme territoriale : « elle est une occasion manquée […] elle passe à côté du problème des ressources des collectivités territoriales, ce que je regrette profondément. » J’ai alors pensé : chouette, ça va changer ! Las, nous sommes restés au point mort.
M. Éric Doligé. Vous êtes bien naïf ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Commençons par le constat partagé et l’origine des déséquilibres auxquels les départements doivent faire face. Si je prends l’exemple de l’Yonne, département que je connais bien et que j’ai l’honneur de représenter, la moitié des 400 millions d’euros environ de son budget est constituée de dépenses d’action sociale dont les règles de gestion sont fixées au plan national. Ces prestations sociales se répartissent en quatre quarts, dont le poids est peu ou prou équivalent : la famille et l’enfance, les personnes âgées, l’insertion et les personnes handicapées.
Là où le bât blesse, c’est que l’on constate un différentiel croissant, d’année en année, entre les recettes perçues au titre des compétences sociales transférées et les dépenses à engager. Si je prends le volet insertion-RSA, la crise économique a entraîné une hausse du seul RSA de 9 % en 2013 et de 10 % en 2014. Du coup, le reste à charge pour un département comme l’Yonne s’établit à 17 millions d’euros, soit l’équivalent des montants relatifs au fonctionnement et à l’investissement cumulés dédiés aux collèges... C’est vous dire ce que l’on pourrait faire si une juste compensation était mise en œuvre.
J’ajoute que lorsque le département souhaite amplifier le travail de lutte contre la fraude sociale sur ce volet, afin que chaque euro dépensé le soit utilement, et propose de financer des postes supplémentaires de contrôleur au sein de la CAF, ses représentants sont renvoyés à leurs chères études...
Alors que le Premier ministre a fait ce jour des annonces concernant le RSA et la prime pour l’emploi, nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, de l’exemplarité dans ce dossier, surtout si les départements devaient s’en trouver financièrement affectés.
Sur le volet des personnes âgées, par exemple, le reste à charge de l’Yonne s’élève à 20 millions d’euros. Au total, près de 40 millions d’euros de charges sont supportés par le département en lieu et place de l’État, ce qui représente tout de même 10 % du budget global, soit l’équivalent de son plan numérique, alors que ce domaine suscite des attentes très fortes dans nos territoires et que nous pourrions doubler la mise.
Reconnaissez qu’il ne s’agit pas d’une paille et qu’il est déjà miraculeux que les départements aient pu proposer des budgets à même d’absorber cette charge, ce qui s’est fait au prix de révisions drastiques des autres politiques départementales.
Oui, j’en conviens, la décentralisation et ses différentes étapes n’ont pas toujours été accompagnées par le transfert des meilleures recettes. Il est évident que le dynamisme de celles-ci n’était pas forcément à la hauteur, je pense notamment à la TIPP. Et si les fractions de TIPP sont ajustées régulièrement en loi de finances, c’est plus pour couvrir le coût historique constaté par l’État que pour tenir compte du coût réel décaissé. Le Parlement s’est toujours montré ingénieux quand il s’est agi de trouver des rustines… Le FMDI, le fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, est né dans cette enceinte, et les fonds de péréquation divers et variés qui ont été évoqués permettent d’apporter une petite poire pour la soif, mais ces dispositifs ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des écarts.
Cela étant, par souci d’équité, il faut reconnaître que ce mode de compensation est celui qui prévaut depuis la mise en place de l’acte I de la décentralisation sous le gouvernement de Pierre Mauroy.
Il suffit d’ailleurs de comparer la dotation perçue par les départements pour les collèges et les sommes effectivement dédiées à cette politique à périmètre constant pour voir que le mal était déjà en germe. Dans le cas de l’Yonne, la dotation de l’État attribuée aux collèges s’élève à 1,6 million d’euros, soit une somme équivalente à celle qui était versée en 1982, alors que les dépenses, elles, s’établissent à 7,3 millions d’euros en 2013 : on passe du simple au quadruple…
Certes, la compensation des transferts et extensions de compétences est un principe à valeur constitutionnelle depuis la réforme du 28 juin 2003. Mais si notre ancien collègue Daniel Hoeffel avait été plus écouté lors des débats sur la loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, peut-être n’en serions-nous pas là !
En effet, la rédaction de ce texte législatif qui a été adopté en 2004 restait en deçà des ambitions que nourrissaient alors le Sénat et un certain nombre d’associations représentant les collectivités. Une conséquence de cette situation est que le Conseil constitutionnel peut veiller au respect des dispositions de l’article 72-2 de la Constitution sans que cela empêche l’accroissement du décalage financier bien réel entre les recettes affectées à ces transferts et les charges croissantes que doivent supporter les départements – au point que, d’une certaine manière, le principe de libre administration des collectivités tend à perdre de son sens.
Naturellement, la crise à laquelle nous faisons face depuis 2008 n’a pas arrangé les choses, puisqu’elle a provoqué un véritable affaissement des recettes – je pense notamment à la forte chute des DMTO. Il en a résulté pour les collectivités un effet de ciseaux qui devient aujourd’hui insupportable et qui oblige à réduire la voilure en matière d’investissements.
Or, lorsqu’on sait que les collectivités locales représentent 70 % de la commande publique, on mesure toute l’incidence que cette situation peut avoir sur un certain nombre de filières économiques et donc sur de nombreux emplois locaux, qui se retrouvent sur la sellette.
De surcroît, les départements n’ont quasiment plus de base fiscale sur laquelle prendre appui. Non seulement dotations et recettes ne sont pas au rendez-vous, mais, en outre, monsieur le secrétaire d’État, l’État fait peser sur les collectivités un effort trop important en matière de redressement des comptes publics.
Dans ces conditions, que reste-t-il du discours prononcé en 2012 à Dijon par François Hollande, qui, avec des trémolos dans la voix, assurait aux élus locaux qu’il n’y aurait « pas de baisse des dotations » ? Eh bien, nous voilà réduits, si je puis m’exprimer ainsi, à payer la chambre !
Les seuls départements vont devoir supporter une baisse de 1,5 milliard d’euros de dotations en 2015 et la DGF a déjà diminué de 3,3 % en 2014. Tout cela n’est pas de bon augure pour le dynamisme de nos territoires.
Je connais l’antienne, entonnée par quelques beaux esprits, appelant, je cite la vulgate, à freiner les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, comme le préconise effectivement la Cour des comptes dans son rapport du mois d’octobre 2013. Mais, dans ce cas, il faut cesser de transférer aux collectivités nombre de missions que l’État n’est plus en mesure d’assumer ou de financer ! Les départements, les communes et les intercommunalités sont réduits aux rôles de voitures-balai de la République et de l’État !
Je prends l’exemple de la fin de l’instruction des documents d’urbanisme par les directions départementales des territoires. Pour la communauté de communes du Gâtinais en Bourgogne, que je connais bien, cela l’oblige à financer un équivalent temps plein supplémentaire !
M. Loïc Hervé. Exactement !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. On le voit bien, si ces tendances financières et budgétaires se poursuivent, monsieur le secrétaire d’État, vous avez beau avoir renoncé, en paroles, à la suppression des départements, si rien n’est fait, en actes, vous les condamnez effectivement.
Pour conclure, l’ère des présidents de conseil général bâtisseurs a sans doute vécu, et, malheureusement, nous entrons, semble-t-il, dans l’ère des présidents de conseil général chefs de bureau chargés de gérer des guichets d’aide sociale… On assiste ni plus ni moins à une recentralisation, avec des départements croupions qui ne sont plus que des opérateurs de la politique sociale de l’État.
Il y a donc un vaste chantier à ouvrir. Il faut remettre au goût du jour le principe de subsidiarité et nous devons, nous autres élus ruraux de tout bord, nous unir pour faire entendre la voix du bon sens à nos gouvernants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Lalande. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Lalande. Les récents débats sur le projet de loi NOTRe ont montré à quel point les sénateurs sont attachés à une division territoriale de proximité.
Autant le débat fut riche sur les frontières et sur les compétences, autant il est resté très superficiel sur le financement de cette réforme structurelle et ambitieuse.
De la commune en passant par les EPCI, les métropoles, les conseils départementaux, les régions et la multitude de syndicats et autres organismes publics ou parapublics, chacun a voulu conserver son pré carré, complexifiant ainsi les futurs critères de financement.
Par ailleurs, les conséquences sur l’activité économique de la crise financière de 2008, la désindustrialisation de notre pays, laquelle n’a pas été anticipée dès les années 2000, et l’amplification du recours à l’emprunt comme variable d’ajustement pour éviter de prendre des mesures réalistes amènent aujourd’hui le Gouvernement à corriger les erreurs du passé et à adapter notre pays à la nécessaire mutation des économies occidentales.
Les mesures d’économies proposées par le Gouvernement sont, pour la majorité politique du Sénat, insuffisantes à l’échelon national. Pourtant, dès qu’il s’agit de faire participer les conseils départementaux au redressement de notre pays en minorant la DGF, les mêmes élus expriment leur désapprobation.
M. Guy-Dominique Kennel. C’est faux !
M. Bernard Lalande. Ils demandent plus à l’État, qu’ils trouvent, par ailleurs, impécunieux, comme si les erreurs du passé avaient été effacées par le changement de majorité présidentielle. Par pure curiosité, j’aimerais qu’on nous indique comment on peut prévoir un plan d’économies de 100 ou 150 milliards d’euros sans toucher aux recettes des conseils départementaux.
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Éric Doligé. Je vais vous le dire !
M. Bernard Lalande. Représentants des collectivités territoriales, nous n’avons pas d’autres choix que d’élaborer une nouvelle architecture de la fiscalité territoriale, en particulier de la DGF, parce que nous sommes légitimes pour le faire, parce qu’un très grand nombre d’entre nous exerce ou a exercé des fonctions de responsable de collectivité, parce que nous avons l’expérience, et parce que, tout simplement, tel est notre rôle de législateur.
Le constat de la Cour des comptes sur la situation financière des conseils départementaux met en évidence la fragilité croissante des finances départementales. Cette fragilité ne date pas d’hier, puisque, pour la cinquième année consécutive, le niveau d’investissement des départements va baisser. Ainsi, depuis 2009, ce sont 3,3 milliards d’euros qui n’ont pas profité à l’aménagement territorial et à la solidarité avec les communes rurales.
Les dépenses de fonctionnement sont principalement dédiées aux dépenses sociales, qui ont augmenté de 10 % depuis 2009. Le RSA représente, à lui seul, 30 % de ces dépenses, l’aide aux personnes âgées 24 % et l’aide aux personnes handicapées 22 %.
Les départements sont donc confrontés, inexorablement, à un effet de ciseaux, et se trouvent pris entre la non-évolution de leurs recettes et l’augmentation de leurs dépenses. Ils maîtrisent d’autant moins ce fait que nos concitoyens sont eux aussi fragilisés par la situation économique globale du pays. Cet effet est aggravé, il faut l’admettre, par l’accroissement des dépenses de fonctionnement courant dû, en partie, à une augmentation de la masse salariale, qui aurait, selon les déclarations de M. le secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, progressé de 4 % en 2014. L’état des finances de nos conseils départementaux est la conséquence de la fragilisation de nos concitoyens.
Cela étant, nous sommes élus non seulement pour les jours heureux, mais aussi, et peut-être surtout, pour apporter une réponse à ceux qui ont besoin d’équité et de justice sociale. Quelle est la plus belle réforme des quinze dernières années, si ce n’est celle qui a permis aux plus âgés d’entre nous de continuer à vivre chez eux ? L’APA a un coût, mais l’APA est justice, l’APA est tout à l’honneur des réformateurs !
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Bernard Lalande. Nous ne pouvons pas être les défenseurs de la proximité citoyenne si nous ne répondons pas aux attentes des plus fragiles de nos concitoyens.
Le Gouvernement a déjà su réagir face à l’urgence par la conclusion du pacte de confiance et de solidarité entre l’État et les collectivités.
L’accord intervenu au mois de novembre dernier sur le financement pérenne des AIS est historique : depuis les différentes vagues de décentralisation, pour la première fois, l’État accepte de déclencher une aide de cette ampleur, qui plus est dans un contexte tendu pour les finances publiques.
Au total, les mesures prises ont permis de débloquer quelque 1,6 milliard d’euros pour les budgets départementaux de 2014. D’une part, le transfert des frais de gestion du foncier bâti a représenté une manne de 827 millions d’euros. D’autre part, grâce à la possibilité de relever le taux des DMTO jusqu’à 4,5 %, quatre-vingt-dix départements ont perçu au total 800 millions d’euros de recettes supplémentaires, auxquels il convient d’ajouter les dispositifs particuliers aux départements d’Île-de-France. (Exclamations sur certaines travées de l'UMP.)
M. Guy-Dominique Kennel. Et les contreparties ?
M. Bernard Lalande. Je vous invite à vérifier ces chiffres, mes chers collègues ! Sans ces recettes complémentaires, les marges de manœuvre des départements auraient chuté de 22 %.
La stabilisation de ces mesures au-delà de 2016, souhaitée par l’Association des départements de France, permettra de réduire l’effet de ciseaux ainsi que les inégalités relatives au reste à charge en matière d’AIS.
Toutefois, le temps nécessaire au redressement économique du pays, condition de la baisse du chômage, ne permet pas d’espérer que ces dispositions seront suffisantes.
Il nous faut poursuivre dans les deux voies possibles de la recherche d’économies et de la création de nouvelles ressources pour les départements, d’où l’impérieuse nécessité de réformer en profondeur la DGF.
Permettez-moi de conclure mon propos par des éléments empruntés à l’excellente communication sur les perspectives d’évolution de la dotation globale de fonctionnement faite par notre collègue François Marc, le 22 octobre dernier devant la commission des finances : « il est presque impossible de fournir une signification scientifique et objective des critères de répartition de la DGF. »
M. Bernard Lalande. « […] pour assurer une mesure objective, il faut pouvoir distinguer ce qui relève des charges d’une collectivité et ce qui relève de ses choix en matière de services publics, et donc de neutraliser les "choix politiques". »
François Marc précisait en outre que la répartition des charges doit reposer sur une juste évaluation des charges et des richesses des collectivités territoriales, ce qui constitue le point le plus polémique, dans la mesure où chaque collectivité défend sa « situation spécifique ».
Paradoxalement, l’une des personnes auditionnées affirmait que, à force d’additionner les critères contradictoires, on aboutissait à la même répartition de la DGF que si on l’avait répartie en fonction de la population.
Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République offre l’opportunité de répondre aux problèmes de financement de nos conseils départementaux. C’est pour nous, sénateurs, une occasion unique de travailler collectivement à une redéfinition de la fiscalité territoriale et à son adaptation aux compétences que la future loi attribuera aux départements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le secrétaire d’État, que de critiques ! Et vous avez pu noter qu’elles venaient aussi bien de la droite que de la gauche de l’hémicycle. C’était presque un réquisitoire ! Vous avez aussi pu remarquer que, très souvent, la droite a applaudi les orateurs de gauche. Certes, on n’a pas vu l’inverse… Le seul que je n’ai pas vu applaudir la gauche, c’est M. Rachline, lequel n’a pas pu s’empêcher de parler de l’« UMPS » ; pour ma part, je pensais plutôt au « FNPS » ! (Protestations et marques de consternation sur les travées du groupe socialiste.)
Il me serait facile de vous montrer, chers collègues, que les programmes de ces deux partis présentent de nombreux points communs.
Mais j’en viens au sujet qui nous occupe.
Le 27 janvier dernier, le Sénat débattait de l’évolution des finances locales. À cette occasion, Mme Lebranchu et vous-même, monsieur le secrétaire d'État, étiez censés répondre à nos multiples interrogations. Malheureusement, les réponses que vous nous avez fournies ne correspondaient pas à nos questions.
Ainsi, quand nous vous parlions des 50 milliards d’euros d’économies et des 11 milliards d’euros prélevés en trois ans sur les collectivités, vous nous répondiez que l’UMP proposait pour sa part « un plan de 150 milliards d’euros d’économies ». Il s’agissait évidemment d’une diversion, non d’une réponse à nos demandes de précisions !
Du reste, l’opposition a le droit de formuler des propositions – n’est-ce pas son rôle ? –, surtout si elles sont argumentées, et c’est bien le cas. Le problème, c’est que, ces propositions, vous ne les écoutez pas !
Puis-je vous rappeler que vous êtes au pouvoir depuis bientôt trois ans et que la responsabilité de la situation vous incombe totalement ? Votre rôle n’est pas de critiquer l’opposition, mais de gouverner !
L’UMP propose donc ses solutions : simplification, retour aux 39 heures, non-remplacement de certains départs à la retraite de fonctionnaires, rétablissement du jour de carence, poursuite de la réforme des retraites, modification du dispositif de la TVA pour taxer plus fortement les importations.
Mais là n’est pas la question. Je le répète : étant au pouvoir, vous devez cesser de vous défausser.
Parlons donc des départements et de votre action en la matière. Vous savez que les difficultés budgétaires qu’ils rencontrent tiennent à un seul facteur : le dérapage continu des politiques sociales, le reste à charge ne faisant qu’augmenter au fil du temps.
Dès que le nouveau Président de la République s’est installé à l’Élysée, en 2012, nous lui avons demandé de nous recevoir afin de lui présenter la problématique financière des départements. Vous étiez alors président de conseil général, monsieur le secrétaire d’État, et c’était Mme Lebranchu qui suivait ce dossier en tant que ministre de la décentralisation.
Le 22 octobre 2012, il accordait à l’Élysée une entrevue à quatorze présidents de conseil général – beaucoup d’entre eux sont présents aujourd'hui, par exemple Bruno Sido –, avec une douzaine de ministres, dont Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, qui a pris des notes.
Le Président de la République nous a expliqué que nous pouvions compter sur lui, ancien président du conseil général de Corrèze : il répondrait à nos besoins et sanctuarisait les départements. Or rien de tout cela n’est arrivé !
La dernière de ses promesses, la compensation des 4 milliards d’euros de reste à charge annuel, n’a pas non plus connu la suite attendue…
En définitive, nous n’avons obtenu, péniblement, voilà un an, que 2 milliards d’euros, dont 50 % via l’autorisation d’augmenter pour deux ans les DMTO. Ce droit vient d’être pérennisé : c’est que le seul témoignage de la capacité du Gouvernement à tenir ses engagements et à nous permettre de trouver des solutions. En vérité, nous sommes face à une taxe supplémentaire pour le citoyen, prélevée par les départements en compensation des 11 milliards d’euros de ponction sur les collectivités.
Ce rapide rappel vise simplement à montrer que les engagements et promesses n’ont pas été tenus et que rien n’est réglé.
Les collectivités ne sont pas responsables des 2 000 milliards d’euros de dettes de l’État.
Ainsi que cela a été souligné, dans leur structure budgétaire, les départements ne disposent, au mieux, que de 20 % de fiscalité directe. Par ailleurs, l’État décide de l’essentiel de leurs dépenses en déterminant le montant des prestations, sans parler des multiples transferts non financés.
Pour minimiser la réalité de l’effondrement des budgets départementaux, le Gouvernement utilise une accumulation de dispositifs de péréquation devenus complexes et illisibles.
Le 27 janvier, j’avais proposé d’envisager pour les départements une péréquation fondée sur de véritables critères de bonne gestion. Je les rappelle ici : le rythme d’évolution de la masse salariale, le rythme d’évolution des charges à caractère général, mais aussi le rythme d’évolution des taux d’imposition et du taux d’épargne ; au lieu de pénaliser les plus vertueux, il faudrait les encourager ! Sur aucun de ces points, je n’ai reçu la moindre réponse de votre part.
Autre proposition demeurée sans réponse, celle tendant à faire reposer la nature et la répartition des ressources fiscales sur des principes simples et lisibles par tous. Il n’est plus possible d’affecter des impôts procycliques à des dépenses également procycliques. Comment peut-on financer le RSA, qui ne cesse d’augmenter, au moyen de DMTO, qui, eux, baissent et peuvent subir des fluctuations considérables ?
Mais vous ne répondez pas ! Nos débats sont pourtant faits pour entendre vos réponses, et non des généralités repoussant sans cesse les solutions et nous plongeant dans l’abîme des futurs déficits.
Je décrirai une nouvelle fois la situation de mon département, le Loiret. Elle tend à se rapprocher de celle de tous les départements. La réévaluation du RSA, c’est 1 % du budget ponctionné ; la baisse de la dotation globale de fonctionnement, c’est 2 % ; la perte de produit de l’écotaxe, c’est 1 % ; la péréquation de la CVAE, le fonds de solidarité, la loi Peillon, la réforme des rythmes scolaires, les mesures en matière de ressources humaines, c’est plus de 1 % ; l’accroissement du reste à charge des allocations individuelles de solidarité, les AIS, c’est 2 %. Et je n’évoquerai même pas les MIE, les mineurs étrangers isolés.
Au total, l’effet sur un budget déjà tendu est de 7 %, soit 42 millions d’euros pour la seule année 2015. Cette somme viendra en déduction de la capacité d’autofinancement. Cela réduira d’autant l’investissement, avec des conséquences négatives sur l’emploi.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous répète à un mois d’intervalle que, dans un département moyen comme le mien, les pertes financières s’élèvent à 42 millions d’euros. Sur le plan national, cela représente 4 milliards d’euros de perte pour l’ensemble des budgets départementaux. C’est le début d’une spirale infernale !
À ce rythme, comment le financement du social, dont la progression n’est pas maîtrisée, pourra-t-il être assuré dans les deux ans qui viennent ? Quelle solution préconisez-vous ? Moins de social ? Plus d’impôts ? Des contrôles renforcés ?
En ce moment, le débat sur le projet de loi NOTRe bat son plein. Le Gouvernement voulait supprimer les départements ? Il a fini par leur redonner une pérennité. Il voulait leur retirer la compétence « collèges » ? Elle leur est maintenue. Il voulait les priver de la compétence « routes » ? Il semble finalement qu’ils la conserveront.
A priori, les principales compétences des départements ne seront pas supprimées. Dans ces conditions, peut-on enfin aborder le problème du financement ?
Le fait de supprimer les départements ou de les priver de leurs compétences ne résolvait pas les difficultés de financement. Ce n’est pas en supprimant l’échelon de gestion et de financement que l’on économise sur la dépense !
Vous semblez enfin prendre la mesure de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouvent nos départements. Reconnaissez-vous cette situation ? Allez-vous enfin écouter nos propositions et les accepter ?
Je suis certain que vous aurez à cœur d’aborder vraiment, enfin, la problématique de la grave situation budgétaire des départements et de répondre aux interrogations issues de toutes les travées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’initiative des groupes UMP et UDI-UC, la Haute Assemblée a souhaité débattre aujourd’hui de la situation financière des conseils départementaux.
Les départements sont, nous le savons tous, confrontés depuis quelques années à une augmentation rapide des charges liées à leurs compétences, notamment sociales. Cela occasionne le fameux effet de ciseaux, avec des dépenses qui augmentent beaucoup plus vite que les recettes.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Face à une telle situation, qui s’aggravait et à laquelle les gouvernements précédents n’avaient pas remédié, Jean-Marc Ayrault a réuni au mois de juillet 2013 les représentants des collectivités locales, au premier rang desquelles les départements, bien sûr, pour élaborer un pacte de confiance et de responsabilité, la soutenabilité des allocations d’autonomie pour les départements faisant l’objet d’un groupe de travail spécifique.
Ce pacte, aboutissement de six mois de travail, fut signé au mois de juillet 2013. Il prévoyait des mesures au bénéfice des conseils généraux, qui ont pu ainsi décider en 2014, et pour deux ans, le relèvement du taux plafond des droits de mutation à titre onéreux, les fameux DMTO – ce qu’on appelle communément les « frais de notaire » –, de 3,8 % à 4,5 %.
En plus de la fiscalité, nous avons également transféré aux départements le produit des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti. Cette taxe, vous le savez, est recouvrée par les services fiscaux de l’État pour le compte des communes, des EPCI et des départements. L’État conservait une quote-part correspondant aux frais occasionnés par le recouvrement. Ce montant est donc aujourd’hui versé aux départements. Cela représente plus de 800 millions d’euros de dotations supplémentaires, au bénéfice des conseils généraux.
Enfin, en 2014, nous avons aussi créé un fonds de solidarité, alimenté par un prélèvement de 0,35 % du produit des DMTO, qui a permis de redistribuer 559 millions d’euros aux départements, lesquels voient le nombre de bénéficiaires des allocations d’autonomie – RSA, PCH, APA – augmenter plus fortement que la moyenne.
Ce fonds de solidarité participe ainsi au rééquilibrage entre les conseils généraux de leur reste à charge, ces dépenses supportées par les départements après déduction des dotations de compensation des allocations individuelles de solidarité versées par l’État.
Au total, ce pacte de confiance signé entre le Gouvernement et les associations d’élus locaux en 2013 a dégagé près de 1,6 milliard d’euros de recettes supplémentaires en faveur des départements.
En 2014, nous avons mis en œuvre la clause de revoyure que prévoyait le pacte et nous avons convenu d’une méthode avec l’Assemblée des départements de France. Du mois d’août au mois de décembre, des réunions hebdomadaires ont ainsi été tenues pour examiner les budgets des départements. Nous sommes arrivés à un constat partagé : les mesures dont je viens de parler ont porté leurs fruits. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) En effet, malgré le contexte économique qui persiste à être défavorable et malgré la progression du RSA qui en découle, le pacte a permis d’améliorer sensiblement la soutenabilité financière des allocations d’autonomie versées par les départements.
Bien entendu, il y a des départements où le ralentissement de l’activité économique a pu avoir des conséquences fiscales très lourdes, mettant en danger l’équilibre de leurs budgets. Je pense notamment au Territoire de Belfort ou à la Creuse, qui ont connu des baisses très importantes de CVAE. Manuel Valls, Marylise Lebranchu et moi-même avons donc reçu leurs représentants et des mesures ont été prises. Ainsi, pour 2015, nous avons mis en place une garantie de non-perte de CVAE qui bénéficie aux départements où celle-ci chute brutalement à la suite du départ d’une entreprise ou d’une optimisation fiscale.
Pour autant, je l’affirme ici, dans la majorité des cas, les finances des départements sont saines. Elles sont tendues et difficiles à gérer, mais elles sont saines. Et c’est d’abord le résultat de la bonne gestion des élus départementaux.
M. Bruno Sido. Ah ! Quand même !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Les premiers chiffres connus pour l’année 2014 montrent même que la capacité d’autofinancement brute des départements se serait améliorée en 2014. (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
M. Éric Doligé. Tout va bien…
M. André Vallini, secrétaire d'État. Ce sont les premiers chiffres connus pour l’année 2014 ! Je dispose même d’un pourcentage, mais j’hésite à vous le communiquer, car il me paraît très élevé… Je m’en tiens donc à un constat que nous pourrons partager lorsque les chiffres définitifs seront connus : la capacité d’autofinancement brut des conseils départementaux semble s’être améliorée l’an dernier.
M. Guy-Dominique Kennel. Vous avez dû inverser les chiffres…
M. Claude Malhuret. Comme ceux du chômage ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. Constatant l’efficacité des mesures temporaires prévues par le pacte de confiance entre le Gouvernement et les collectivités locales, nous les avons pérennisées dans la loi de finances initiale pour 2015. C’est évidemment le cas de la possibilité de relever le taux plafond des DMTO de 3,8 % à 4,5 %, ainsi que du fonds d’urgence alimenté par un prélèvement de 0,35 % du produit des DMTO.
Vous le voyez, depuis deux ans, avec 1,6 milliard d’euros de ressources supplémentaires en faveur des départements, le soutien du Gouvernement aux conseils départementaux est bien réel.
Pour autant, je ne veux pas éluder la réduction des dotations de l’État aux collectivités locales.
Cette réduction, cela a été dit, s’inscrit dans un effort général de maîtrise des dépenses publiques : nous nous sommes engagés à les réduire de 50 milliards d’euros sur trois ans, de 2015 à 2017.
Cet effort est réparti équitablement entre tous les acteurs. L’État s’en inflige à lui-même une part très importante puisqu’il diminuera ses dépenses de 18 milliards d’euros, notamment par la réduction de son train de vie, par le gel du point d’indice des fonctionnaires, par la baisse des effectifs dans certains ministères et par la rationalisation de ses agences.
Les dépenses de la sécurité sociale, elles aussi, diminueront : de 21 milliards d’euros, dont 10 milliards d’euros pour l’assurance-maladie et 11 milliards d’euros pour la protection sociale.
Les 11 milliards d’euros d’économies demandées aux collectivités locales correspondent en fait au poids de ces dernières dans la dépense publique globale, soit environ 21 %. En effet, en 2013, le budget global des collectivités s’élevait à 252 milliards d’euros, pour une dépense publique totale – État, sécurité sociale et collectivités territoriales – de 1 207,5 milliards d’euros. Nous sommes donc aux alentours de 20 %.
Je reprends ce qu’indiquait tout à l’heure M. Lalande : si ce plan de 50 milliards d’euros est difficile à supporter pour l’État, pour les organismes de sécurité sociale et pour nos collectivités territoriales, je vous laisse imaginer – sans chercher à polémiquer, car ce n’est ni le lieu ni le moment –, ce qu’il en serait si le plan de l’opposition nationale, avec 150 milliards d’euros d’économies, dont on ignore encore où elles seraient réalisées, entrait en vigueur ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
J’ajoute que l’effort demandé aux collectivités pour l’année 2015 s’élève à 3,67 milliards d’euros sur leurs 229,7 milliards de recettes totales, soit 1,6 %. L’effort est important, mais il est soutenable. Ce n’est pas l’étranglement que certains décrivent.
En 2015, l’effort demandé aux départements sera de 1,148 milliard d’euros. Il sera strictement proportionnel à leur poids dans les recettes totales des collectivités territoriales : communes, intercommunalités, départements, régions.
La baisse de la DGF des départements représente 1,77 % de leurs recettes réelles de fonctionnement. Elle est répartie, comme en 2014, entre les départements en fonction d’un indice prenant en compte le revenu par habitant et l’effort fiscal du département. Ces modalités de répartition sont celles que l’ADF a souhaitées. Elles permettent de répartir la contribution au redressement des finances publiques de manière « péréquée » entre les départements.
Les collectivités les plus fragiles, communes ou départements, sont préservées grâce au renforcement de la péréquation, verticale et horizontale. Pour les départements, ce sont ainsi 20 millions d’euros supplémentaires qui viendront abonder la péréquation verticale.
Aujourd'hui, j’ai entendu d’éminents présidents de conseil général : M. Dupont pour le Calvados, M. Savary pour la Marne, M. Sido pour la Haute-Marne, M. Carcenac pour le Tarn, M. Favier pour le Val-de-Marne, M. Fortassin pour les Hautes-Pyrénées, M. Kennel pour le Bas-Rhin, M. Eblé pour la Seine-et-Marne, M. Lemoyne pour l’Yonne et M. Doligé pour le Loiret.
Permettez-moi d’évoquer à mon tour le département que je connais le moins mal : l’Isère. Le conseil général est confronté aux mêmes difficultés que tous les départements de France.
M. Éric Doligé. Bien sûr !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Pour autant, il n’a pas augmenté sa fiscalité depuis bientôt dix ans,…
M. Bruno Sido. C’est qu’il est très riche !
M. André Vallini, secrétaire d'État. … malgré les transferts de compétence de l’État et malgré l’accroissement, en Isère aussi, des allocations individuelles de solidarité.
En 2015, l’Isère fait partie des six départements – ils étaient dix en 2014 – qui ont décidé de ne pas toucher au taux des DMTO : nous restons à 3,8 %.
L’endettement du département est minimal, alors que l’investissement est maintenu à un haut niveau : chaque année, depuis dix ans, nous investissons en moyenne 255 millions d’euros.
M. René-Paul Savary. Situation de rente !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Ces résultats sont le fruit des réformes structurelles comme celles que vous avez pu mener dans vos départements. Il s’agit de réformes difficiles parfois à faire admettre pour réduire les dépenses de fonctionnement.
Des services ont été regroupés, le parc immobilier a été optimisé et, je le souligne à l’intention de M. Rachline, les frais de communication, de protocole de réception ont été diminués. En bientôt quinze ans, pas un logo, pas un slogan, pas un sondage, pas une agence de communication n’ont été financés par les fonds publics du département. On est donc bien loin des clichés dont se repaît le Front national !
Surtout, en Isère, les effectifs départementaux n’ont pas augmenté depuis 2004 hors transferts de compétence : les besoins nouveaux ont été couverts par des réorganisations et des redéploiements. J’ajoute qu’en septembre dernier – et cela n’a pas été facile – nous avons augmenté la durée hebdomadaire de travail des agents, la faisant passer de 32 heures à 35 heures, ce qui correspond à 170 équivalents temps plein.
M. Bruno Sido. Trente-deux heures ?
M. André Vallini, secrétaire d'État. Oui, 32 heures. Cela avait été décidé par la majorité précédente du conseil général, dont l’ancien président était et est toujours sénateur…
M. René-Paul Savary. Vous avez les moyens !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Cette expérience, comme celles d’autres départements, prouve que les économies budgétaires sont toujours possibles quand on mène une gestion à la fois rigoureuse et innovante. Beaucoup de départements s’engagent précisément dans des réformes de leur fonctionnement.
J’en viens maintenant à la réforme territoriale. Elle vise trois objectifs : la clarté, la compétitivité, la proximité.
La clarté est nécessaire pour simplifier et rendre plus lisible l’organisation territoriale de notre pays. Cette dernière doit être plus lisible pour les citoyens, bien sûr, mais aussi pour les élus locaux, notamment dans les communes les plus petites, dont l’action est trop souvent freinée par l’empilement des structures et l’enchevêtrement des compétences.
La compétitivité doit être l’affaire des régions, qui assumeront demain des compétences importantes et cohérentes, leur permettant de devenir de vrais moteurs de croissance économique, à l’instar des grandes régions européennes.
Quant à l’efficacité, c’est celle des collectivités locales et de leurs services publics qui doit être recherchée. Pour atteindre cet objectif, l’intercommunalité doit monter en puissance et le regroupement des communes, s’amplifier, de sorte que la taille des communautés de communes, notamment, corresponde plus qu’aujourd’hui aux réalités de la vie de nos concitoyens.
Cette réforme ne remet pas en cause l’avenir du département qui, au contraire, se voit conforté dans sa mission de solidarité sociale et renforcé dans celle de solidarité territoriale.
Le Premier ministre l’a dit clairement devant le Sénat le 28 octobre dernier : « Entre de grandes régions stratèges et le couple commune-intercommunalité, il faut des échelons intermédiaires pour assurer les solidarités sociales et territoriales. »
Les conseils départementaux qui seront désignés lors des élections des 22 et 29 mars prochain, exerceront pleinement leurs compétences. Après 2021, le paysage territorial aura évolué. Les régions se seront approprié leurs nouvelles compétences ; les intercommunalités structureront, plus encore qu’aujourd’hui, les territoires. Alors, le cadre départemental pourra évoluer.
M. Bruno Sido. On verra !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Le Premier ministre concluait : « Nous avons donc cinq ans pour préparer sereinement les évolutions, pour donner aux élus de nouvelles opportunités d’adapter les organisations à la diversité des situations. Faisons confiance aux initiatives locales ! »
Au sujet de la réforme territoriale, sur laquelle j’ai été interrogé, et même interpellé, je rappelle que le projet de loi NOTRe est en cours de discussion devant le Parlement : il m’est donc impossible de vous dire ce soir quelle sera exactement, in fine, la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivité. Et c’est heureux ! Le Gouvernement avait un projet,…
M. Bruno Sido. Un mauvais projet !
M. André Vallini, secrétaire d'État.… il l’a soumis au Parlement. Le Sénat l’a modifié. L’Assemblée nationale est également en train de le modifier à son tour. Le Gouvernement est trop respectueux de la démocratie parlementaire pour anticiper sur le contenu du texte voté à l’issue du processus législatif !
M. René-Paul Savary. Que c’est joliment dit ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. Il n’empêche que ce que j’ai annoncé ici même il y a quelques mois se réalisera : aux régions le développement économique ; aux départements la solidarité sociale et territoriale ; au bloc communal les services publics de proximité. Ainsi, les choses sont claires. En tout cas, en Isère, les électeurs ne s’y trompent pas !
M. Bruno Sido. On verra !
M. André Vallini, secrétaire d'État. J’ajoute que la réforme territoriale doit également permettre, à terme, des économies. Les Français en font l’objectif premier de la réforme, tous les sondages le confirment et le Président de la République l’a dit : la réforme territoriale dégagera des économies. Le Premier ministre a ajouté pour sa part que cette réforme illustrait « notre détermination à réduire la dépense publique ».
De quelles économies s’agit-il ? Vous en réalisez tous dans vos départements : elles proviennent de la mutualisation des services, de la rationalisation des compétences, de la suppression des doublons, les gains sur la commande publique, de la stabilisation des effectifs de la fonction publique territoriale. Tout cela permettra, à terme, de dégager des économies d’échelle et, donc, de réduire sensiblement les dépenses budgétaires.
Au-delà de la réforme territoriale, nous allons permettre aux collectivités de faire des économies en stoppant l’inflation normative. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Alain Néri. Très bien !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Le constat est le même depuis près de vingt-cinq ans : les normes qui pèsent sur les collectivités territoriales se sont multipliées dans tous les domaines. C’est un carcan coûteux puisque l’impact net sur les collectivités a été de 1,2 milliard d’euros pour la seule année 2013.
Notre objectif, fixé par le Premier ministre, est donc d’arriver dès 2015 à un impact zéro des nouvelles normes. La consigne est claire, la directive a été adressée à tous les ministres,…
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. André Vallini, secrétaire d'État. … mon cabinet est chargé du suivi de cette œuvre difficile : chaque nouvelle norme, si elle est nécessaire, devra s’accompagner de la suppression d’une norme de coût équivalent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Alain Néri applaudit également.)
MM. Alain Néri et René-Paul Savary. Très bien !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Nous sommes aidés en cela par le Conseil national d’évaluation des normes, présidé par Alain Lambert. Nous sommes également soutenus par le sénateur de la Sarthe et maire du Mans, Jean-Claude Boulard, qui s’investit beaucoup dans ce travail.
Cet effort de l’État sur les normes sera une contrepartie – insuffisante, j’en ai conscience – à l’effort financier que nous demandons aux collectivités locales pour redresser les comptes publics.
Je sais, comme vous, que les finances locales exigent une réforme d’ensemble, vous avez été nombreux à le souligner. Les dotations sont illisibles, car elles sont composées d’une sédimentation de couches issues de transferts de compétences et de taxes supprimées, au fil des années, dont l’origine a été depuis longtemps oubliée par la plupart d’entre nous. Qui se souvient du VRTS ?
Cette réforme doit être menée par étapes, pour constituer finalement un ensemble cohérent, lisible pour le contribuable et surtout équitable entre les collectivités ; c’est notre objectif. On ne peut pas tout réformer en même temps. Le Grand Soir fiscal des collectivités territoriales fait rêver certaines personnes, mais c’est un objectif aussi difficile à atteindre que le Grand Soir fiscal en général ! Voilà pourquoi nous avançons progressivement, pas à pas, mais avec détermination.
Nous commencerons par la réforme de la DGF. Au-delà de la fiscalité, il faut bien sûr évoquer les dotations. Nous avons chargé deux parlementaires, le sénateur Jean Germain et la députée Christine Pires Beaune, d’une mission. Ils nous remettront un rapport d’étape au mois d’avril et un rapport définitif avant l’été (M. Jean Germain acquiesce.)
La DGF, aux yeux du Gouvernement – mais je crois que ce constat est partagé par tous les parlementaires, sur toutes les travées –, doit devenir un outil de péréquation, alors qu’elle est aujourd’hui, avant tout, un outil de compensation de fiscalité supprimée par le passé. Elle doit dorénavant être plus que cela, en devenant un véritable outil de péréquation, avec les nuances apportées par M. Eblé. Il est évident qu’il vaut mieux réduire les inégalités à la source. Il n’empêche, que même ainsi corrigées, elles ne cessent de se développer entre les collectivités territoriales. Il faut donc, selon nous, aller vers plus de péréquation grâce à la DGF.
Nous commencerons par la DGF des communes, même si j’ai bien entendu votre impatience en ce qui concerne la DGF des départements. Le rapport de M. Germain et de Mme Pires Beaune, je l’ai dit, nous sera remis dans quelques mois. Nos services travaillent également de leur côté. Le Comité des finances locales sera évidemment saisi du dossier. Mais nous espérons fermement que nous pourrons amorcer une véritable réforme de la DGF des communes dès le projet de loi de finances pour 2016, que vous examinerez à l’automne prochain. Ensuite, viendra la DGF des départements.
En parallèle, nous devons être attentifs à la fiscalité locale, notamment aux valeurs locatives utilisées pour les bases foncières et certains impôts économiques. Vous le savez, la révision des valeurs locatives est un serpent de mer dont j’entends parler depuis que je suis entrée en politique, en 1983, à l’occasion d’élections municipales.
M. Jean-Claude Carle. Belle carrière ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. C’est dire que cette révision est à l’ordre du jour depuis longtemps !
Nous avons décidé, là encore, d’agir avec détermination,…
M. Jean-François Husson. Nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. … mais progressivement. Après avoir conduit un travail d’expérimentation sur les valeurs locatives des locaux professionnels, nous avons généralisé cette expérimentation à tous les départements. Nous menons actuellement le même travail pour les locaux d’habitation dans cinq départements : la Charente-Maritime, le Nord, l’Orne, Paris et le Val-de-Marne. Nous menons ce travail de rénovation des bases fiscales pour apporter plus d’équité fiscale entre nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Premier ministre s’est engagé à suivre attentivement la situation financière des collectivités. Il a pris l’engagement de faire, avec les représentants des collectivités territoriales, un point régulier de l’évolution de l’investissement local et des mesures de soutien votées en loi de finances. Manuel Valls a reçu encore hier soir une délégation de l’ADF au sujet du RSA. Il s’engage à fond sur les questions relatives aux collectivités locales puisqu’il a participé à tous les congrès d’association d’élus – congrès des maires, bien sûr, mais aussi des élus des départements, des régions, les communautés, des districts, à Lille, des communes de montagne, à Chambéry, etc.
Un sénateur du groupe UMP. C’est Superman ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. Nous avons en outre instauré un dialogue national des territoires : la première réunion a eu lieu à Bercy il y a quinze jours, en présence de toutes les associations d’élus. J’y ai bien sûr assisté, avec Marylise Lebranchu.
J’ai écouté cet après-midi vos débats avec attention et j’en retiens nombre d’éléments intéressants qui alimenteront ces points de rencontre.
Je terminerai en insister sur un point : la solidarité est au cœur des compétences des départements et elle le restera. La solidarité entre tous les territoires, mais aussi et peut-être d’abord avec les personnes âgées, notamment celles qui sont dépendantes, avec les handicapés, les familles en difficulté, l’enfance maltraitée, les plus démunis, les plus humbles et les plus fragiles.
Nous avons la chance de vivre dans un pays qui, depuis 1945, a su construire et pérenniser une protection sociale exemplaire, sans doute la meilleure au monde, si l’on excepte quelques pays scandinaves. Cette protection sociale est au cœur de notre contrat social, de notre pacte républicain. Les départements – les conseils généraux ou les conseils départementaux, peu importe le vocable – contribuent fortement au développement du système. Tous les élus départementaux prennent leur part à cet effort majeur. C’est pourquoi le Gouvernement continuera à veiller à la situation financière des conseils départementaux que nous voulons, avec vous, améliorer durablement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation financière des conseils départementaux face à l’évolution de leurs charges.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
10
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires économiques a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
11
Accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la République de Moldavie, d’autre part (projet n° 198, texte de la commission n° 284, rapport n° 283).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’en venir au projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la République de Moldavie, permettez-moi de m’associer à l’hommage qui a été rendu tout à l'heure par M. le président du Sénat à Claude Dilain dont nous avons appris aujourd'hui avec une grande tristesse la disparition. Votre collègue, inlassable défenseur des habitants des banlieues, de l’égalité, homme généreux, dévoué aux autres et à la République, était unanimement respecté et admiré.
L’accord qui vous est soumis ce soir a été négocié entre janvier 2010 et juin 2013, paraphé le 29 novembre 2013, à Vilnius, lors du troisième sommet du Partenariat oriental de l’Union européenne, puis signé en marge du Conseil européen, le 27 juin 2014.
Cet accord d’association avec la Moldavie s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental de l’Union européenne, lancé en juin 2009 dans le but de renforcer le volet oriental de la politique européenne de voisinage en direction de six anciennes républiques soviétiques : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine.
Comme vous le savez, des accords d’association similaires ont également été signés avec la Géorgie et l’Ukraine ; ils seront prochainement soumis à votre approbation.
L’accord que nous examinons aujourd’hui ouvre un nouveau chapitre dans les relations entre l’Union européenne et la République de Moldavie. Il les inscrit dans un nouveau cadre juridique, mais surtout il fournit un puissant levier de modernisation et de réformes au service de la Moldavie.
Ce saut qualitatif majeur se traduit tout d’abord dans les objectifs correspondant aux trois volets de l’accord.
Le premier volet vise à approfondir le dialogue politique entre l’Union européenne et la Moldavie, notamment en matière de réformes intérieures et de politique étrangère et de sécurité.
Ce dialogue sera fondé sur les valeurs et les principes fondamentaux de l’Union européenne, en premier lieu le respect et la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, de l’état de droit, de la bonne gouvernance et du développement durable. L’objectif est bien de consolider la démocratie en Moldavie et d’encourager la paix et la stabilité, à l’échelle tant régionale qu’internationale.
Le deuxième volet porte sur la création d’une zone de libre-échange complet et approfondi. Cet accord va au-delà d’un accord de libre-échange « classique », et cela pour trois raisons.
Premièrement, la libéralisation couvre la quasi-totalité des échanges commerciaux. L’ouverture du marché européen est une opportunité majeure pour la Moldavie : l’Union européenne représentait, en 2013, 54 % de ses exportations et 45 % de ses importations. Le calendrier de diminution des droits de douane est asymétrique. Cette baisse des droits sera plus rapide pour les exportations moldaves vers l’Union européenne que pour les exportations européennes vers la Moldavie, afin de tenir compte des différences de développement économique.
Deuxièmement, la libéralisation est assortie de la reprise progressive par la Moldavie d’une large part de l’acquis communautaire en matière de réglementations, de normes et de standards. C’est le cœur du dispositif : pour chaque domaine, l’accord décrit le périmètre et le calendrier de l’acquis à reprendre, véritable feuille de route pour les réformes. Sont concernées, de manière non exhaustive, les normes en matière sanitaire et phytosanitaire, en matière de droit du travail et d’égalité entre les femmes et les hommes, de propriété intellectuelle, et particulièrement de protection des indications géographiques.
Troisièmement, le libre-échange est « complet et approfondi », ce qui signifie deux choses.
D’une part, l’objectif de libre-échange prend en compte des considérations telles que les droits de l’homme et l’environnement ; c’est le sens de l’adjectif « complet ». Il s’agit donc bien d’un accord qui va au-delà d’une simple dimension commerciale.
D’autre part, sur le plan commercial, l’accord est tarifaire – il vise à réduire les droits de douane –, mais aussi non tarifaire. Il a pour but de lever l’ensemble des obstacles qui entravent le développement des échanges économiques entre l’Union européenne et la Moldavie ; c’est le sens de l’adjectif « approfondi ».
Enfin, le troisième volet de l’accord prévoit des coopérations économiques et sectorielles dans vingt-huit domaines, destinées notamment à faciliter la reprise de l’acquis de l’Union.
La ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie recouvre donc un triple enjeu.
Le premier enjeu est d’apporter notre soutien à la démocratie, au développement économique et social et à la stabilité d’un voisin immédiat de l’Union européenne. Je sais que vous êtes nombreux, dans cette assemblée, à partager cette préoccupation. Je peux témoigner de l’attachement qu’ont les citoyens et les autorités moldaves à l’engagement de Josette Durrieu et de nombre des membres de votre assemblée.
Je me suis moi-même rendu à Chisinau le 1er septembre dernier pour coprésider avec la Roumanie une réunion du « Groupe des Amis de la Moldavie » ; ce jour marquait également le début de l’application provisoire de l’accord d’association, qui porte en particulier sur le volet commercial. J’ai pu, à cette occasion, mesurer les attentes des autorités et des citoyens moldaves pour qui l’Europe est avant tout synonyme d’état de droit, notamment au regard de la lutte contre la corruption, mais aussi de nouvelles perspectives économiques.
Les élections législatives du 30 novembre dernier n’ont pas remis en cause cette volonté de rapprochement européen.
La Moldavie bénéficie d’une assistance technique et financière européenne très substantielle : 561 millions d'euros pour la période 2007-2013, 131 millions d'euros en 2014, plus de 600 millions d'euros programmés pour la période 2014-2020.
Dans le cadre de la politique européenne de voisinage, il s’agit du deuxième pays le plus aidé par habitant. L’objectif de ce soutien est d’accompagner la Moldavie dans ses efforts de réforme et de modernisation. Les progrès déjà réalisés sont importants, et cet accord d’association doit également servir à marquer notre soutien continu et à amplifier cette dynamique pour répondre aux défis qui doivent encore être surmontés.
L’accord doit par ailleurs renforcer l’attractivité de la Moldavie vis-à-vis de la région séparatiste de Transnistrie, pour faciliter une solution politique, pacifique et négociée, à ce conflit, qui soit respectueuse de l’intégrité territoriale de la Moldavie. Il doit donc affermir la souveraineté de la Moldavie face aux pressions externes dont elle fait l’objet.
Le deuxième enjeu est de souligner l’implication de la France dans la dimension orientale de la politique européenne de voisinage, dans un contexte marqué par la crise ukrainienne et à quelques mois du sommet du Partenariat oriental, qui se tiendra à Riga les 21 et 22 mai prochain, rassemblant l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne et les chefs d’État et de gouvernement des pays associés au travers du Partenariat oriental.
Enfin, troisième enjeu : consolider nos relations bilatérales avec l’un des pays les plus francophones d’Europe orientale. Les entreprises françaises, qui comptent parmi les principaux investisseurs dans le pays et emploient près de 4 000 personnes, croient au potentiel de la Moldavie. Elles profiteront de l’amélioration attendue de l’état de droit, du climat des affaires, de conditions d’investissement facilitées, ainsi que des avancées permises par l’accord, par exemple en matière de protection des indications géographiques. La France y a accordé une attention particulière au cours de la négociation.
Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux objectifs de cet accord d’association entre l’Union européenne et la République de Moldavie faisant l’objet du projet de loi qui est aujourd’hui proposé à votre approbation.
En apportant votre soutien à cet accord d’association, vous témoignerez de l’amitié profonde qui lie la France à la Moldavie et ouvrirez une nouvelle perspective pour ce pays qui nous est cher. Vous contribuerez aussi à renforcer la démocratie, la stabilité et la paix aux frontières de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Josette Durrieu, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est saisi en premier du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la République de Moldavie, qui a été signé le 27 juin 2014 à Bruxelles.
Le Gouvernement a accordé la priorité à cet accord, que nous examinons assez rapidement après sa signature, et avant ceux qui ont été signés le même jour avec la Géorgie et avec l’Ukraine. Cette rapidité doit être saluée, de même que le choix effectué par notre assemblée de ne pas recourir à la procédure d’examen simplifiée. La portée symbolique de cet accord, dans le contexte régional actuel, justifie en effet pleinement le débat d’aujourd’hui.
Ancienne république de l’URSS, indépendante depuis le 27 août 1991, la Moldavie a été marquée, dès sa création, par la sécession de la Transnistrie, qui a eu lieu en 1992. La Transnistrie, située entre le fleuve Dniestr et la frontière ukrainienne, représente 12 % de son territoire. Ce conflit peut aujourd’hui être considéré comme l’un des premiers événements dramatiques – il y eut 3 500 morts en quelques semaines –, précédant ceux qui se sont déroulés ensuite en Géorgie, en Abkhazie en 1992 et 1993, en Ossétie en 2008 et en Ukraine, depuis 2014.
Un cessez-le-feu a été signé en Transnistrie en juillet 1992. Les négociations, menées par l’OSCE – Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – dans le cadre du format « 5+2 », c'est-à-dire entre la Transnistrie, la Moldavie, l’Ukraine, la Russie, l’OSCE et les deux observateurs que sont les États-Unis et l’Union européenne, sont aujourd’hui au point mort et le conflit est considéré comme « gelé ». La Transnistrie compte 30 % de Russes, dont environ 1 500 militaires en activité, et les familles des soldats démobilisés de la quatorzième armée de l’URSS, qui était commandée en 1992 par le général Lebed. Un dépôt de munitions de l’époque soviétique s’y trouve toujours. Cette situation crée un potentiel de déstabilisation important à proximité de l’Ukraine, notamment d’Odessa et de la Crimée, dans ce que la Russie considère comme l’une de ses zones d’intérêts privilégiés.
Par ailleurs, la Moldavie comporte une région autonome, la Gagaouzie, située au sud-est du pays, à quelques dizaines de kilomètres seulement de l’Ukraine. La population de cette région de 1 800 kilomètres carrés et de 160 000 habitants est d’origine turque et majoritairement russophone. La Gagaouzie, qui ne représente que 4,5 % de la population moldave, s’est prononcée en 2014, dans le cadre d’un référendum d’ailleurs illégal, pour une adhésion à l’Union douanière avec la Russie plutôt que pour un rapprochement avec l’Union européenne. Pour m’être rendue récemment en Gagaouzie, en Transnistrie et en Moldavie, j’aurais envie de dire que la Gagaouzie est « disponible ».
Dans ce contexte hautement sensible, nous devons soutenir le rapprochement entre la Moldavie et l’Union européenne, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, il correspond – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État, mais il faut y insister – à une volonté exprimée démocratiquement, et dans la durée, par le peuple moldave.
En 1994, un accord de partenariat et de coopération avec l’Union européenne a été signé. En 2004, la Moldavie a été incluse dans le champ de la politique européenne de voisinage. Elle a alors mis en œuvre un plan d’action définissant des réformes prioritaires, qu’elle a largement réalisées, même si elles sont encore insuffisantes. En 2005, elle a accepté le déploiement d’une mission d’assistance de l’Union européenne sur sa frontière commune avec l’Ukraine, entre Tiraspol et Odessa. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’effectuer une mission très intéressante le long de cette frontière de 80 kilomètres.
L’orientation européenne de la Moldavie a donc été amorcée alors même que le parti communiste était toujours au pouvoir. Le président Voronin, qui a exercé deux mandats, a accompagné cette démarche. En 2009, l’orientation européenne du pays a été accentuée avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition démocratique de partis pro-européens.
La même année, la Moldavie s’est engagée dans le Partenariat oriental proposé par l’Union européenne. Elle est aujourd’hui l’État le plus avancé de ce partenariat, puisqu’une partie importante de l’accord d’association y est appliquée, à titre provisoire, depuis le 1er septembre 2014, et qu’une dispense de visa pour les courts séjours dans l’espace Schengen y est effective depuis le 28 avril 2014.
L’orientation pro-européenne de la Moldavie a, enfin, été confirmée par les élections du 30 novembre 2014. Les Moldaves ont reconduit une coalition pro-européenne ; même si cela a pris du temps, ils ont aujourd'hui un premier ministre et un gouvernement.
En revanche, il faut souligner, et je m’adresse notamment à ceux de mes collègues qui s’interrogent sur ce rapprochement que nous souhaitons avec la Moldavie, que l’adhésion à l’OTAN n’est pas à l’ordre du jour, par souci d’équilibre, et dans la mesure où la constitution moldave proclame la neutralité du pays.
En deuxième lieu, nous devons soutenir le rapprochement entre l’Union européenne et la Moldavie afin de montrer la capacité de l’Europe à stabiliser son voisinage à l’est.
Il est important de mesurer l’importance de cette problématique. Nous n’envisageons pas, dans l’immédiat – mais peut-être ne l’envisagerons-nous jamais –, de préparer un nouvel élargissement ; tel n’est pas l’objet du Partenariat oriental de l’Union européenne. Il reste que la Moldavie, de par sa position stratégique, doit être stabilisée, dans l’intérêt de l’Europe et des pays voisins.
Le préambule de l’accord d’association est très clair à ce sujet : il indique « prendre acte » des aspirations européennes de la Moldavie, sans que cela préjuge « en rien » de l’évolution future de ses relations avec l’Union européenne. À titre personnel, j’estime qu’il serait extrêmement regrettable que nous n’envisagions pas un jour que la Moldavie puisse adhérer à l’Union européenne.
L’accord d’association fixe un cadre pour la coopération. Il s’agit d’un accord mixte qui engage aussi l’Euratom, pour des raisons qui tiennent à la sûreté et à la sécurité nucléaires ainsi qu’à la protection radiologique. Il prévoit, dans de très nombreux domaines, un programme complet de rapprochement progressif de la législation moldave des acquis européens.
La Moldavie a déjà entrepris un grand nombre de réformes : réforme du secteur judiciaire, dispositions anti-corruption – il reste tellement à faire, notamment à cet égard ! –, lutte contre la criminalité... La Commission européenne a reconnu les progrès accomplis. Certes, les réformes doivent être poursuivies, et rendues effectives. Le dialogue politique prévu par l’accord d’association y contribuera.
L’accord d’association fixe un cadre de coopération ; la libéralisation des visas de court séjour, qui est distincte de l’accord, fait partie de ce mouvement de coopération.
L’accord de libre-échange, qui est le pilier de l’accord d’association, vise à supprimer 99 % des droits de douane, en valeur commerciale, pour la Moldavie. Soulignons qu’il ne fait que rééquilibrer les relations économiques extérieures de la Moldavie puisque celle-ci est, par ailleurs, partie à l’accord de libre-échange de la CEI, ce qui n’a pas empêché des sanctions économiques imposées par la Russie, en réaction à la perspective de l’accord d’association.
J’insisterai, par expérience, sur le fait que ce rééquilibrage des relations commerciales de la Moldavie pourrait, paradoxalement, contribuer à apaiser le conflit de Transnistrie. En effet, les entreprises de cette région sont tenues, dans le cadre du contrôle de la frontière entre Tiraspol et Odessa, de s’enregistrer en Moldavie. Le respect de cette obligation, qui est une condition pour poursuivre leurs activités, a contribué à rétablir des liens qui n’existaient plus.
L’accord d’association pourrait, de ce fait, susciter une volonté d’avancer dans la résolution du conflit. Soulignons que, à cet égard, l’accord stipule qu’il ne s’appliquera à la Transnistrie que lorsque le contrôle de l’État moldave sur ce territoire sera effectif. L’intérêt économique pourrait, dans un contexte où la démarche politique n’a pas débouché, être plus fort que les armes, plus fort que le conflit. Il faut aller au bout de cette démarche.
L’accord d’association doit donc permettre d’accompagner la Moldavie dans les réformes indispensables que ce pays a encore à accomplir, afin de créer un espace de stabilité et de prospérité autour des frontières de l’Union européenne. Il faut bien mesurer la dimension de cette obligation et l’intérêt qu’elle représente pour l’Europe.
Enfin, en troisième lieu, nous devons soutenir le rapprochement de l’Union européenne et de la Moldavie pour consolider nos relations avec le pays le plus francophone d’Europe orientale.
D’un point de vue strictement commercial, la portée de l’accord est, certes, limitée pour nous, dans la mesure où le montant de nos échanges avec la Moldavie est relativement faible. Toutefois, plusieurs entreprises françaises importantes sont présentes en Moldavie : Orange, qui est le premier exploitant de téléphonie mobile dans ce pays, mais aussi Lactalis, Lafarge, la Société Générale... Ces entreprises devraient profiter d’une amélioration du climat dans ce pays, tandis que d’autres pourraient envisager de s’y installer.
Mais, surtout, il nous faut soutenir le développement économique du pays le plus francophone d’Europe orientale, devant la Roumanie. Pour des raisons historiques et culturelles, plus de 50 % des élèves moldaves choisissent d’apprendre le français, qui reste la première langue étrangère enseignée, devant l’anglais. La coopération culturelle prévue dans le cadre de l’accord d’association pourrait constituer un outil parmi d’autres de promotion des échanges entre nos pays.
En l’absence d’une volonté politique forte, le déclin prévisible et annoncé de la francophonie au sein des jeunes générations moldaves sera difficile à enrayer.
On parle beaucoup de l’est de l’Ukraine, mais il ne faut pas oublier les menaces qui pèsent sur l’ouest. Tournons notre regard vers la Moldavie, la Gagaouzie, Odessa, qui représentent des zones d’intérêt majeur.
En définitive, la ratification de cet accord d’association témoignera de notre soutien à un pays situé dans une région soumise à de fortes pressions, à un risque d’instabilité politique et à un contexte de ralentissement économique.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, dans des circonstances normales, l’examen du présent projet de loi, qui vise à autoriser la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la République de Moldavie, pays de 3,5 millions d’habitants situé à sa frontière, ne devrait être qu’une simple formalité, d’autant que cet accord est déjà entré en application, à titre provisoire, depuis le 1er septembre 2014.
Toutefois, comme Mme la rapporteur le rappelait notamment dans sa conclusion, les circonstances ne sont pas vraiment normales, en particulier pour des raisons historiques.
Pour son malheur, la Moldavie a fait partie, pendant près de soixante-dix ans, de l’empire soviétique. Voisine de l’Ukraine et comptant une importante minorité russophone, elle est aujourd’hui touchée par les soubresauts de la décomposition de cet empire et menacée, comme, avant elle, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine et comme, peut-être, demain, la Biélorussie, le Kazakhstan ou les États baltes, par la politique agressive de celui pour lequel « la chute de l’URSS est la plus grande catastrophe du XXe siècle » – je veux parler de Vladimir Poutine.
Bien sûr, nous savons, nous, que la catastrophe fut non pas la mort, mais la naissance de l’URSS. En tout état de cause, dans les démocraties européennes, y compris, parfois, au plus haut niveau, la difficulté à comprendre que l’effondrement de cet empire continuera d’avoir des conséquences dramatiques longtemps après sa survenue pour tous les peuples qu’il a dominés est frappante.
Le grand historien polonais Adam Michnik, qui est bien placé pour le savoir, disait que, ce qui est grave, avec le communisme, c'est que cela continue après… Combien faudra-t-il d’exemples comme ceux de l’Ossétie, de l’Abkhazie, de la Crimée, du Donbass ou de la Transnistrie, pour que nous comprenions à quel point Michnik a raison ?
Dans ces conditions, la ratification de l’accord d’association avec la République de Moldavie revêt un enjeu, notamment politique, plus important qu’il n’y paraît.
En le signant, la Moldavie assume une orientation européenne qui se traduit par un rééquilibrage de ses relations respectives avec l’Est et l’Ouest. La question est de savoir si elle possède les moyens de ce choix pro-européen et si elle pourra en gérer les conséquences diplomatiques vis-à-vis de ses voisins autres que l’Union européenne.
À ceux qui douteraient de la difficulté, il faut rappeler que l’accord a été signé en juin 2014, en même temps que les accords avec la Géorgie et avec l’Ukraine, dont il n’est guère besoin de rappeler ici les conséquences. C’est la raison pour laquelle ces accords et, plus généralement, le Partenariat oriental de l’Union européenne ne peuvent se passer d’une réflexion sur les relations entre la Russie et les anciennes républiques soviétiques, d’une part, et entre l’Europe et la Russie, d’autre part.
La Russie de Vladimir Poutine considère ses anciens satellites comme parties intégrantes de sa zone d’influence directe et souhaite renouer, pour des raisons de politique nationale habituelles sous les dictatures, avec le mythe nationaliste de la Grande Russie. C’est pour l’avoir dénoncé que Boris Nemtsov a été assassiné il y a quelques jours, en face du Kremlin. Je veux, ce soir, m’associer à la foule de ceux qui, aujourd'hui, en Russie, bravant les menaces, dépassant leurs craintes et leurs inquiétudes, ont salué la mémoire de ce grand défenseur des libertés, à l’occasion de ses funérailles.
À ce jour, la guerre en Ukraine est la conséquence la plus grave de cette politique. Elle est plus grave encore que la guerre contre la Géorgie, non seulement parce que le pays est amputé d’une région entière, la Crimée, annexée en violation totale du droit international, mais aussi parce que les combats, auxquels participent les troupes russes, malgré les dénégations de Moscou, durent depuis deux ans.
Il n’est donc pas possible d’analyser l’accord entre l’Union européenne et la Moldavie sans tirer les enseignements de cette situation.
Contrairement à l’Ukraine, la Moldavie ne possède pas d’accès à la mer Noire et se révèle donc moins stratégique. Cela n’a pas empêché qu’elle se trouve, depuis la signature de l’accord, sous le coup d’un embargo russe, conséquence directe de son orientation pro-européenne. De fait, le marché européen n’est plus, pour elle, un choix, mais une nécessité vitale, en particulier pour ses exportations agricoles.
Incapable d’assurer un véritable développement depuis vingt-cinq ans, en proie à une corruption massive, l’économie russe repose, pour une large part, sur l’exportation de ses ressources énergétiques et minières. Bien entendu, la Russie n’hésite pas à rappeler à certains pays européens les conséquences économiques et diplomatiques de leur dépendance énergétique.
Dans ce contexte, les accords de partenariat proposés par l’Union européenne, alors qu’ils ont pour but de participer au développement économique de l’ensemble de la région, ne sont compris par le régime russe que comme les éléments d’une guerre économique et commerciale, et la création de l’Union économique eurasiatique, qui pourrait être l’occasion d’une coopération avec l’Europe, n’existe que comme une sorte de contre-mesure aux accords d’association européens, ne laissant d’autre perspective aux anciennes républiques soviétiques que le choix, forcé, entre le partenariat offert par l’Europe et celui qui est proposé par la Russie.
Il n’en reste pas moins que, contrairement à ce que feint de croire la Russie et, malheureusement, à ce qu’espèrent parfois les pays concernés, la signature d’un accord d’association n’est pas un premier pas vers l’intégration européenne – Mme la rapporteur a évoqué ce point – et qu’il serait malhonnête de ne pas préciser aux intéressés que le Partenariat oriental constitue, en l’état actuel des choses, une fin en soi, non une étape vers un processus ultérieur d’adhésion.
Une autre question se pose, celle des défis intérieurs auxquels doit faire face la République moldave.
Du fait d’une histoire complexe et heurtée avec l’Empire ottoman, puis l’empire russe et, enfin, l’empire soviétique, le pays a comme l’un de ses principaux défis son manque d’unité politique et territoriale.
Si le conflit en Transnistrie, qui s’est traduit par la guerre civile de 1992, est « gelé » et si l’indépendance autoproclamée de la province, majoritairement russophone, n’est reconnue par aucun pays, il n’en est pas moins vrai que cette partie du pays ne peut bénéficier, pour l’heure, des accords d’association.
Cette région, la plus industrialisée du pays, est particulièrement affectée par la guerre en Ukraine et par l’embargo russe. À cet égard, les accords, favorisant la libéralisation du commerce, peuvent représenter une issue économique bienvenue, en même temps qu’un élément favorisant la résolution du conflit. Madame la rapporteur, vous avez insisté, à raison, sur ce point. Je suis d’accord avec vous : ces accords font naître l’espoir.
Le territoire de la Transnistrie ainsi que celui de la Gagaouzie, où les populations turcophones et russophones coexistent pacifiquement avec les populations roumanophones et qui n’exprime pas de volonté séparatiste, peuvent représenter un risque de morcellement pour la République de Moldavie. Bien entendu, ce risque est aggravé par les événements d’Ukraine et par la situation économique intérieure, la Moldavie étant l’un des États les plus pauvres de la région. De ce point de vue, la demande d’intégration à la Fédération de Russie formulée, en mars 2014, par le parlement de Transnistrie est évidemment de mauvais augure.
Du côté des bonnes nouvelles, il faut saluer les efforts de la Moldavie, qui, malgré un environnement particulièrement défavorable, est parvenue à diviser par deux son taux de pauvreté, passé de 30 % à 17 % entre 2006 et 2012.
Il faut, surtout, saluer le respect du pluralisme politique - les alternances de majorités au pouvoir en témoignent -, respect qui n’est pas très fréquent dans la région.
En revanche, le pays peine à sortir d’une crise institutionnelle ouverte avec les manifestations violentes de 2009 et l’impossibilité d’élire un président de la République. Et je ne parle pas des difficultés qu’a rencontrées le gouvernement actuel pour obtenir un vote de confiance du Parlement, puisque celui-ci n’a été obtenu qu’il y a quelques jours, précisément le 18 février dernier, à la condition que le gouvernement s’engage « à sauvegarder de bonnes relations avec notre principal partenaire : la Russie ».
Enfin, le pouvoir actuel doit faire face à de graves dysfonctionnements des institutions judiciaires et policières. Dans ce domaine, qui fait l’objet d’un volet de l’accord, l’aide que lui apportera l’Union européenne permettra sans doute à la Moldavie de réaliser des progrès.
Ces réalités ne font que donner plus d’importance à l’accord que nous examinons aujourd’hui, dont on peut espérer qu’il contribuera à améliorer la situation, au travers des aides financières et au moyen de la coopération politique, diplomatique et juridique.
Avant de conclure, je voudrais souligner l’importance de l’accord en matière de lutte contre les mafias et les trafics.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations, la Moldavie est l’un des principaux pays sources de la traite des êtres humains, qui aurait fait plus de 3 000 victimes entre 2000 et 2012. Du fait de sa pauvreté et de sa géographie, le pays est au cœur des plus grands réseaux de prostitution, qui s’étendent, notamment, du Kosovo à la Russie et de Chypre à la Turquie.
En 2008, les autorités moldaves ont mis en place le « plan d’action pour la lutte contre les trafics d’êtres humains » conçu par la Commission européenne et contribuent à ce titre au financement de centres d’accueil pour les victimes. Cette initiative doit être soutenue, d’autant plus que la France est très mobilisée contre l’esclavagisme sexuel, notamment au travers de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Les ministères de l’intérieur et de la justice ont défini une stratégie de coopération avec la Moldavie, les Balkans, la Roumanie et l’Albanie, qui doit être impérativement poursuivie.
Mes chers collègues, le groupe UMP votera le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association avec la République de Moldavie, qui s’inscrit pleinement dans les objectifs du Partenariat oriental de l’Union européenne. Il concerne beaucoup de domaines, tant institutionnels qu’économiques, qui doivent aider la Moldavie dans sa transition.
Il importe que l’Europe – notamment la France, monsieur le secrétaire d'État – fasse comprendre à la Russie, si c’est possible, que cette coopération n’est pas dirigée contre elle, mais qu’elle peut, au contraire, en bénéficier indirectement et qu’elle ne peut que tirer profit de la sécurisation de son voisinage.
Il importe également que l’Union européenne rassure ses États membres, en leur donnant les garanties que le Partenariat oriental ne sera pas l’occasion d’une concurrence déloyale résultant d’une différence de normes qualitatives.
Enfin, il convient que l’Union européenne affiche clairement la distinction entre accords d’association et mécanisme d’adhésion. À l’heure où le débat sur l’espace Schengen et la sécurité est engagé et où des États pleinement intégrés doivent faire face à la crise de la dette, l’Union européenne doit privilégier la réflexion sur sa réforme plutôt que sur son élargissement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’actualité donne forcément une dimension toute particulière à l’examen de l’accord d’association entre l’Union européenne, ses États membres et ceux de la Communauté européenne de l'énergie atomique, d’une part, et la République de Moldavie, d’autre part, cette dernière évoluant dans un environnement régional particulièrement instable, dont elle subit les conséquences au travers de multiples canaux : son économie, sa sécurité, sa dépendance énergétique, sa politique, pour n’en citer que quelques-uns.
En effet, les tensions géopolitiques dans la région affectent directement l’économie du pays, à l’image du tassement de la production en 2014, du fait, notamment, du marasme économique de ses partenaires importants, tels que l’Ukraine et la Russie.
De fait, la Moldavie est particulièrement sensible aux chocs extérieurs, en raison de sa dépendance aux transferts opérés par les travailleurs expatriés, qui représentent près de 24 % du PIB. La crise ukrainienne provoque également des sorties de capitaux et une réduction des recettes d’exportation.
Enfin, à ce contexte régional catastrophique s’ajoutent les sanctions russes consécutives à l’application, à titre provisoire, depuis le 1er septembre 2014, des dispositions commerciales de l’accord : un embargo sur le vin, les fruits et les légumes, alors que près de 80 % des exportations agricoles moldaves sont destinées à la Russie, et un durcissement des conditions d’accueil des travailleurs moldaves. Ces sanctions risquent de déstabiliser fortement l’économie moldave, alors que 30 % environ de la population du pays vit sous le seuil de pauvreté.
L’Union européenne doit condamner ces méthodes !
En ce sens, dans la mesure où il s’inscrit dans l’approche à long terme retenue par le partenariat oriental, l’accord de libre-échange, compris dans le texte que nous examinons aujourd’hui, est une réponse indispensable aux pressions russes.
Toutefois, la coopération que nous proposons ne doit pas se limiter au seul volet commercial ; il est indispensable que l’Union européenne adopte une approche multidimensionnelle.
Favoriser la mise en place d’une zone de libre-échange sans avancer en matière de protection des droits de l’homme, de sécurité et d’État de droit serait une erreur de la part des Européens.
En effet, si des réformes ont été entreprises ces dernières années par la Moldavie, force est de constater que beaucoup reste à faire. Selon le Global Slavery Index, la Moldavie est, pour ce qui est des trafics humains, le sixième pays sur cent soixante-deux. Il y a aujourd’hui une augmentation de la traite des êtres humains dans la région, non pas uniquement pour l’exploitation sexuelle en Europe du Sud-Est, mais également vers l’Ouest ; on pense à la Russie, à la Turquie, à Chypre et à la mer Noire, notamment. Malgré le nombre de données accablantes, les trafics persistent.
Dans un rapport de 2014, le ministère des affaires étrangères note que « si l’Europe est la région où le plus grand nombre de condamnations est enregistré, leur valeur absolue reste faible ».
Des efforts restent donc à faire. En effet, le nombre total de condamnations pour la traite des êtres humains a diminué de 13 % entre 2008 et 2010 dans l’Union européenne, alors que le nombre de victimes officiellement identifiées reste très en deçà de la réalité.
La Moldavie doit se donner les moyens d’endiguer cette tendance destructrice et cela passe par de profondes réformes politiques, économiques, institutionnelles et sociales.
En effet, si la Transnistrie est pointée du doigt comme une plaque tournante du trafic, c’est bien l’ensemble du territoire qui est concerné. C’est ce qui a d’ailleurs poussé à l’établissement, en 2005, de la mission de contrôle de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine.
Toutefois, et les chiffres sont là pour le prouver, cette dernière, au-delà de la seule expertise technique, ne peut pas grand-chose pour prévenir et arrêter les trafics d’êtres humains à la frontière. L’Union européenne et la Moldavie se donnent-elles suffisamment les moyens pour lutter contre ces phénomènes ?
Dans sa publication du 5 janvier 2015 où sont répertoriés les principaux risques stratégiques, l’Eurasia Group considère que la Moldavie pourrait représenter un enjeu sécuritaire important. La Transnistrie est identifiée comme une zone clé. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, parle de près de 20 000 tonnes de munitions et d’armes sur place.
Les perspectives d’évolution de la situation restent relativement faibles. Surtout, sur le plan politique, cette région représente un levier d’influence pour la Russie afin de contrer une quelconque aspiration européenne qui viendrait à s’accentuer de la part de la Moldavie.
L’Union européenne doit donc accompagner son partenaire dans le cadre d’une politique de voisinage renforcée afin que son espace frontalier soit stable, prospère et sûr.
D’autant que, sur le plan de la politique intérieure, si le pays connaît une phase de transition difficile, le nouveau premier ministre a présenté un programme semblant s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur : poursuite du parcours européen du pays, renforcement de l’État de droit, retrait des troupes russes de Transnistrie, lutte contre la corruption.
Il s’agit là de déclarations allant dans le bon sens et qui témoignent de la volonté de la population moldave d’un partenariat renforcé avec l’Union européenne.
Enfin, et j’en terminerai par là, cet accord d’association doit à tout prix s’inscrire dans une vision à long terme ambitieuse. Cela passe également par l’environnement et l’énergie.
La Moldavie pâtit d’une dette gazière de plus de 4 milliards de dollars et son opérateur national, Moldovagaz, est contrôlé par Gazprom. Par ailleurs, au début du mois de janvier, l’Ukraine a mis fin aux exportations d’électricité vers la Moldavie et la Biélorussie, en raison d’un déficit énergétique.
Nous le voyons bien, si l’accord d’association comprend EURATOM, le nucléaire ne peut être privilégié au détriment d’une coopération renforcée en matière de développement durable et d’énergies alternatives, seules solutions offrant une plus grande autonomie à la Moldavie.
Dans un contexte régional troublé, le groupe écologiste soutiendra la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’UDI-UC. – Mme la rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le vice-président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la ratification parlementaire de cet accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie s’inscrit dans une actualité et un contexte géopolitique tout à fait particuliers.
On ne peut en effet examiner cet accord sans avoir présent à l’esprit le long processus ayant abouti à la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine.
Au mois de juin 2014, l’Union européenne avait prévu de signer avec trois des États du « Partenariat oriental » – l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie – des accords d’association dits « de nouvelle génération », qui comprenaient pour l’essentiel des dispositions de coopération politique et économique.
Le « Partenariat oriental » concerne six anciennes républiques soviétiques ; vous les avez énumérées, monsieur le secrétaire d'État. Or, pour certains États membres de l’Union européenne, cette politique de « voisinage » a ouvertement comme objectif de soustraire ces pays à la zone d’influence russe.
Pour s’en défendre, mais après avoir longtemps essayé de se rapprocher de l’Union européenne, le gouvernement russe tente de mettre sur pied une union économique eurasienne, qui a du mal à séduire les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, aujourd’hui indépendantes.
Il faut se souvenir que c’est le revirement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, lequel, une semaine avant le sommet de Vilnius, à la fin de novembre 2013, avait renoncé à signer un accord du même type, qui avait ouvert une longue période de troubles politiques débouchant sur la guerre civile et la crise internationale que l’on connaît aujourd’hui.
C’est sur fond de cette crise ukrainienne que l’Union européenne a souhaité accélérer l’an dernier le processus des accords avec la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie : ils ont été signés le 27 juin 2014, à Bruxelles.
Ce détour historico-stratégique était nécessaire pour comprendre toutes les implications de cet accord d’association avec la Moldavie. C’est en effet dans ce cadre complexe que nous sommes appelés à autoriser sa ratification en procédure normale et – fait assez rare – huit mois à peine après sa signature.
Cet accord soulève de grandes questions qui touchent aux modalités de la politique d’élargissement à long terme de l’Union européenne, aux rancœurs vis-à-vis des Russes qui animent certains nouveaux États membres, ou bien encore au statut des importantes minorités russes et russophones dans ces pays.
Pour ce qui est de son contenu, il s’agit d’abord d’un accord de coopération dans les domaines politique, économique et sectoriel.
Comme pour tous les autres pays avec lesquels l’Union européenne a signé un accord de ce type, il est prévu un programme complet de rapprochement progressif de la législation moldave et des acquis de l’Union.
Il s’agit essentiellement d’un accord de libre-échange, dit « approfondi et complet ». Contrairement à un accord de libre-échange classique, cela signifie qu’il prévoit non seulement une libéralisation commerciale quasi totale, mais aussi une harmonisation réglementaire par alignement sur les normes de l’Union.
Cet accord d’association étant avant tout un accord de libre-échange tel que le conçoivent les dirigeants européens, son principal moteur est la transformation d’une économie selon les critères de l’économie libérale.
Or, pour prendre des exemples récents et géographiquement proches, nous considérons que le prix économique et social à payer par les Roumains et, plus récemment, par les Croates pour rejoindre l’Union européenne a été très lourd.
Cela étant, il faut aussi noter que les Moldaves commencent à prendre un certain nombre de mesures importantes sur la voie d’un État de droit, avec en particulier une réforme du système judiciaire et la mise en place de dispositions de lutte contre la corruption et la criminalité.
Ces réformes méritent d’être poursuivies et rendues effectives.
Cependant, une vision optimiste et un peu naïve des choses pourrait laisser croire qu’une mise en œuvre rapide de l’accord d’association serait bénéfique et que le dialogue politique prévu avec l’Union européenne dans le cadre de l’accord serait efficace.
Malheureusement, un certain nombre d’éléments n’en facilitent pas l’application.
Ainsi en va-t-il de l’histoire, de la culture, de la situation politique actuelle de ce petit pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, dont les quatre millions d’habitants hésitent entre ce qu’ils espèrent des bienfaits démocratiques et économiques de l’Union européenne et le maintien dans la sphère d’influence russe.
Sa population est majoritairement d’origine roumaine, mais elle comprend aussi de très fortes minorités russes et ukrainiennes en Transnistrie.
Rappelons que cette région industrielle, qui a fait sécession voilà maintenant vingt-trois ans, compte une centrale hydroélectrique représentant à elle seule 40 % du PNB de la Moldavie. La Transnistrie fait aussi partie de ce que l’on appelle « les conflits gelés » et la XIVe armée russe stationne sur son territoire.
Pour couronner le tout, la situation politique récente n’est pas moins compliquée.
Ce pays, qui est certainement le plus avancé sur la voie des réformes du Partenariat oriental, vient récemment de connaître un coup d’arrêt dans son mouvement vers l’Union européenne et est en passe de revenir dans le giron de la Russie.
En effet, malgré des élections qui, en novembre 2014, avaient donné une majorité à trois partis pro-européens, ceux-ci ont tout d’abord été incapables de s’entendre pour former un gouvernement. Leur désaccord portait précisément sur la réforme de la justice exigée de façon insistante par la Commission européenne afin d’éradiquer la corruption qui gangrène ce pays.
En définitive, c’est un gouvernement minoritaire constitué de partis libéraux pro-européens qui a été formé le 18 février, avec le soutien du parti communiste pro-russe.
En contrepartie de ce soutien, les pro-russes demandent de ralentir les réformes convenues avec l’Union européenne et ainsi de freiner l’avancée de la Moldavie vers l’Union.
On le voit, la situation est complexe et il n’est pas inutile de connaître ces éléments pour apprécier correctement les effets de cette ratification.
Cette ratification aidera-t-elle le peuple moldave ? N’y a-t-il pas, en perspective, un nouveau foyer de déstabilisation aux marches de l’Union européenne ?
Les initiatives pressantes – et souvent maladroites – de la Commission européenne ces derniers temps sont à l’évidence souvent mal perçues par une large partie de la population et des forces politiques en Moldavie.
Les principaux ingrédients d’une nouvelle crise géopolitique dans cette région se retrouvent, avec le risque de nouvelles tensions et d’un nouveau conflit avec la Russie.
Les événements récents nous ont montré que, dans cette région, un rapprochement avec l’Europe proposé avec une certaine insistance n’était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser un pays.
Dans ces conditions, et face à de telles incertitudes, le groupe communiste, républicain et citoyen s’abstiendra sur ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association avec la Moldavie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si vous me permettez une parenthèse très personnelle, ce débat me replonge dans mes souvenirs de jeunesse, quand, durant les cours d’histoire, il nous fallait étudier des cartes où apparaissaient la Moldavie, la Valachie, la Bessarabie, la Transylvanie, la Roumanie, toute une onomastique en « ie » bien nécessaire pour qui souhaite comprendre la situation dans les Balkans, la lutte entre l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Empire ottoman.
Mais j’en viens à l’accord d’association signé à Bruxelles le 27 juin 2014 entre l’Union européenne et la Moldavie : il s’inscrit dans un processus d’échanges entamé il y a vingt ans, soit peu de temps après la création de l’État de Moldavie, en 1991.
En effet, un premier accord de partenariat et de coopération avait été signé en juin 1994. Le nouvel accord, fruit du Partenariat oriental auquel la Moldavie participe, vient abroger le précédent et offrir un cadre de relations plus complet.
C’est bien sûr une bonne chose puisqu’il s’agit, sur le principe, de favoriser une coopération politique et économique visant in fine à encourager la stabilité de ce pays, qui se trouve être la frontière orientale de l’Europe depuis l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne.
Au sein de la politique européenne de voisinage à laquelle la Moldavie participe donc à travers l’accord d’association, il existe également un instrument financier destiné notamment à moderniser les principales institutions publiques, à mettre en œuvre l’accord de libre-échange ou encore à protéger les minorités.
Au titre de cet outil, la Moldavie a bénéficié de 131 millions d’euros en 2014. Force est de constater que le gouvernement moldave est très volontariste dans la mise en œuvre des réformes allant dans le bon sens.
Comme vous le savez, mes chers collègues, depuis le début des années deux mille, même sous la présidence du communiste Vladimir Voronine, la politique de rapprochement avec l’Union européenne n’a jamais cessé et les dernières élections législatives ont confirmé une orientation pro-européenne, bien que la coalition issue du scrutin du 30 novembre reste fragile.
L’Union européenne s’est en tout cas montrée très sensible aux efforts démocratiques engagés par les autorités de Chisinau en octroyant un soutien financier qui place la Moldavie au deuxième rang des pays le plus aidés du voisinage européen, si l’on considère l’aide par habitant.
Depuis ses débuts, la Moldavie a ainsi manifesté un penchant vers l’Ouest, ce qui nous conduit à examiner aujourd’hui cet accord d’association, qui prend un relief particulier en raison de la crise ukrainienne. J’y reviendrai.
Sur le fond, on ne peut que souscrire à ce projet de loi autorisant la ratification d’un accord dont on doit rappeler que les principales dispositions, qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union européenne, sont entrées en application à titre provisoire dès le 1er septembre dernier.
Comme l’a excellemment souligné Mme la rapporteur, la portée de l’accord est donc, à ce stade, symbolique.
J’ajoute que, si la France entretient depuis longtemps d’excellentes relations avec la Moldavie, fortement francophone à ce jour, nos échanges économiques avec ce pays sont assez faibles. Sur le plan commercial, l’impact de l’accord à court terme sera donc très limité. Il permettra toutefois – espérons-le – une amélioration du climat des affaires qui pourrait profiter aux investisseurs français.
Dans ces conditions, si nous avons bien compris que l’accord visait à faire transposer par la Moldavie l’acquis communautaire dans de nombreux secteurs, nous savons bien aussi les enjeux géopolitiques de cet arrimage d’un pays de l’Est à l’Europe.
L’affaire de la Crimée en Ukraine nous a rappelé que la Russie ne souhaitait pas céder de son influence dans la région.
En Moldavie, Vladimir Poutine s’est déjà appuyé sur l’antagonisme régional pour conserver un contrôle. Je pense, bien sûr, à la partie orientale de la Moldavie, c’est-à-dire à la Transnistrie, ou République moldave du Dniestr : majoritairement russophone, elle a fait sécession en 1992, une situation qui n’a pas été reconnue par la communauté internationale. Depuis 2013, la Russie a imposé un embargo sur le vin moldave, embargo qui ne s’applique toutefois pas aux entreprises vinicoles de Transnistrie et de Gagaouzie, une autre enclave turcophone sur laquelle Moscou garde aussi un œil.
C’est dans ce contexte délicat que nous allons autoriser la ratification d’un accord qui ne s’appliquera pas immédiatement à la Transnistrie, laquelle représente pourtant à elle seule 40 % du PNB de la Moldavie. Cette situation est regrettable, s’agissant d’un partenariat dont le principal volet consiste à instaurer une vaste zone de libre-échange.
Quoi qu’il en soit, il convient de ne pas attiser cette sourde lutte d’influence entre l’Est et l’Ouest pour ne pas reproduire le schéma ukrainien. Il faut notamment que les relations de la Moldavie avec l’OTAN restent au stade de la coopération. La neutralité de la Moldavie est inscrite dans sa Constitution, ce qui devrait la tenir à l’écart de l’intégration.
Enfin, si la politique européenne de voisinage est distincte de la politique d’élargissement, la Moldavie a déjà exprimé son intérêt en vue d’intégrer l’Union européenne, même si elle n’en a pas fait la demande officielle.
Je pose alors la question : les pays du Partenariat oriental ont-ils vocation à rejoindre, à terme, l’Union européenne ? Bien entendu, je vous exonère, monsieur le secrétaire d’État, de la réponse, puisque je soulève ici le problème des frontières définitives de l’Union européenne, un débat très vaste qui n’est pas celui d’aujourd’hui…
En attendant, conscient des efforts fournis par les autorités moldaves pour moderniser leur pays, le groupe du RDSE apportera son soutien au projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son roman Des mille et une façons de quitter la Moldavie, l’écrivain Moldave Vladimir Lortchenkov dépeint le quotidien d’une galerie de personnages qui, bien que parlant russe, ne rêvent que d’une chose : gagner l’Italie pour devenir riches !
Cela témoigne bien, à première vue, des tiraillements internes à la Moldavie, ancienne république soviétique dans ce que j’appellerai le « proche étranger » de la Russie, mais devenue une jeune démocratie qui regarde vers la grande promesse européenne – ou le grand rêve européen - d’un partenariat économique. Pour autant, l’avenir de la Moldavie n’a pas vocation à devenir un facteur de rupture entre les deux parties de l’Eurasie ; il doit plutôt favoriser le partage, les échanges et les synergies. Les rêves font heureusement partie de tout engagement politique !
En soit, le présent projet de loi que nous examinons ce jour au Sénat aurait pu paraître bien modeste. La ratification d’un accord de partenariat politique, et surtout économique, dont l’essentiel des stipulations est de la compétence de l’Union, avec un pays de 3,6 millions d’habitants pour une superficie de 33 000 kilomètres carrés, ne devait en principe pas conduire la conférence des présidents à demander l’examen de ce texte selon la procédure ordinaire qui nous permet un débat en séance publique ce soir.
Mais la Moldavie est structurellement tiraillée entre ses espoirs européens et son histoire, qui la rapproche de la sphère d’influence russe. C’est donc le produit à la fois de l’histoire et de la géographie. Toutefois, tiraillement ne veut pas dire nécessairement division.
L’affaire de la Transnistrie, que Mme la rapporteur et certains de mes collègues ont exposée avec une grande clarté, en est la parfaite illustration. En effet, nous sommes face à une minorité très active qui, après une tentative de sécession lors de l’effondrement de l’Union soviétique, est parvenue à une autonomie administrative et demande maintenant son rattachement à la Fédération de Russie.
Cette question a pris une tournure d’autant plus délicate que c’est à l’occasion du déclenchement de la crise géopolitique en Ukraine, en mars dernier, que la Transnistrie a formulé sa demande. On pourrait craindre a priori qu’un tel rattachement ne soit pas sans conséquence sur le règlement de la question ukrainienne, puisqu’une Transnistrie russe viendrait renforcer le sentiment d’encerclement du gouvernement de Kiev.
Toutefois, dans ce jeu diplomatique, nous avons suffisamment de sens politique pour le comprendre, il ne semble pas inconcevable que la demande du parlement de Transnistrie ait été pilotée par Moscou. Ainsi, le succès apparent de la conclusion des accords de Minsk 2, attesté tant par les déclarations des ambassadeurs de l’OSCE à Vienne – Alain Néri et moi-même étions présents – et devant le Conseil de sécurité, que par les quatre hauts négociateurs – Petro Porochenko, Angela Merkel, Vladimir Poutine et François Hollande –, contribue à nous redonner espoir, sinon dans le règlement total de la crise ukrainienne, à tout le moins dans l’application de ces accords. Grâce à cela, nous entrevoyons, indirectement, une accalmie pour Kiev susceptible de faire refluer les tensions en Transnistrie.
Dès lors, rien ne porte à croire que la Moldavie puisse traverser les mêmes troubles que ceux auxquels l’Ukraine a dû faire face depuis l’année dernière. L’Union européenne a donc un véritable rôle à jouer.
En effet, j’aime à croire, mes chers collègues, en ces temps où l’euroscepticisme bat son plein, que l’Europe peut encore s’imposer comme un pôle de stabilité et de prospérité pour notre continent. Quand on voyage dans le voisinage de l’Union européenne, on se rend compte de l’espérance qu’elle représente ! Les Moldaves ne regardent plus vers la seule Italie ; ils scrutent l’Europe entière. Pourquoi ? Parce que l’Union européenne a su faire la preuve, depuis le précédent partenariat économique de 1998, de son efficacité.
Ce nouvel accord ira plus loin. Son titre V est un véritable accord de libre-échange. De ce commerce, la Moldavie espère tirer une vigueur et une prospérité économique qui doit lui permettre de choisir librement son destin et donc de répondre à ses propres défis internes.
La Transnistrie est une région économiquement importante pour la Moldavie, dont elle représente 40 % du PIB. Le reste du territoire moldave attend donc de l’Europe les moyens concertés de son développement afin de ne plus être un pays que l’on aide, à hauteur de 136 millions d’euros par an, mais de devenir un véritable partenaire commercial. C’est l’ambition des autorités moldaves – j’espère qu’elles vont atteindre leur objectif –, c’est également celle de ces jeunes dont la situation se dégrade fortement du fait de la crise et que nous accueillons le plus souvent en Europe dans le cadre de leurs études universitaires.
À ce titre, je souhaiterais saluer les efforts de la jeune République de Moldavie vers une meilleure démocratie.
De nombreux progrès en matière de transparence dans l’organisation des élections ont été relevés depuis 1991 et surtout depuis les élections de 2005, de 2009 et plus récemment de 2014.
Les troubles institutionnels et politiques que la Moldavie a traversés ces dernières années – je pense notamment à l’affaire de « l’incident de chasse » de 2013 – ont été surmontés par des réformes et des élections l’an dernier qui ont encore accentué l’ancrage économiquement pro-européen de la Moldavie en prouvant que l’alternance politique y était possible dans la paix. La Commission européenne l’a elle-même reconnu dans ses analyses menées dans le cadre de la politique de voisinage de l’Union.
Nous avons également constaté, lors de notre déplacement en Ukraine comme observateurs pour les élections législatives, un véritable sentiment d’appartenance à la nationalité moldave - pour 76 % des habitants de la République, selon Mme le rapporteur.
Outre le problème de la Transnistrie, un mode de coexistence pacifique a été trouvé avec la minorité gagaouze, orthodoxe mais turcophone. Le rattachement à la Roumanie a été presque unanimement refusé en 1994, et le nouveau gouvernement entend relancer le processus de négociation avec les autorités de Transnistrie tout en gardant de bonnes relations avec la Russie.
Justement, quid de la Russie dans tout cela ?
Je crois fermement, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il ne faut pas opposer la Russie à l’Union européenne, ni même au monde occidental. Nous n’avons pas à garder une posture défensive. Il faut en être conscient : nous avons des intérêts économiques, culturels, politiques et énergétiques à travailler en commun.
Le Président de la République, à Astana, au Kazakhstan – j’étais avec lui lors de ce voyage, il y a deux mois –, s’était d’ailleurs étonné devant les Français de l’étranger du fait que les souhaits de bons rapports entretenus par l’Ukraine à l’égard de l’Europe n’interdisaient pas, au demeurant, qu’elle entretienne d’aussi bonnes relations avec la Communauté économique eurasiatique. Ce qui est ici vrai pour l’Ukraine l’est également pour la Moldavie.
Cette remarque de François Hollande est d’ailleurs à l’origine des accords de Minsk : l’action du Président de la République et celle de la Chancelière, Angela Merkel, ont en effet permis le retour de l’Europe dans la diplomatie ukrainienne, avec, nous l’espérons, la perspective d’une issue favorable.
Ce n’est même pas un choix pour l’Union et la Russie, c’est une nécessité dictée par la géographie même. La dualité moldave n’est donc pas aporétique, elle peut, bien au contraire, être une source de complémentarité et créer une meilleure synergie entre la Russie et l’Union européenne.
La Moldavie n’a d’ailleurs jamais fait part d’un quelconque souhait d’adhérer à l’OTAN. Dès lors, rien ne laisse songer que la Russie pourrait prendre ombrage de l’approfondissement d’une politique économique qui a été engagée dans les années quatre-vingt-dix.
Nous sommes bien face à un texte économique avant toute chose, et c’est sur ce terrain que la Moldavie peut devenir l’un des éléments d’un renouvellement des relations entre les deux branches de l’Eurasie.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur du présent projet de loi de ratification, en espérant qu’il contribue à ce qu’il y ait à l’avenir davantage de raisons de se rendre en Moldavie que de la quitter ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens à commencer mon intervention par des remerciements.
Je remercie tout d’abord notre gouvernement d’avoir demandé l’examen de ce projet de loi quelques mois après la signature de cet accord d’association.
Je remercie également la conférence des présidents, qui a décidé de ne pas mettre en œuvre la procédure d’examen simplifié, prévue par l’article 47 decies du règlement du Sénat, mais a souhaité que nous procédions à l’examen de ce texte en la forme normale.
Le contexte géopolitique dans lequel cet accord intervient justifie, je le pense très sincèrement, que le Parlement se saisisse pleinement de cette question et témoigne justement de l’importance que nous accordons à cette convention qui est, à mon sens, eu égard au contexte géopolitique actuel, primordiale pour la Moldavie et les Moldaves.
Je remercie, enfin, Mme la rapporteur, pour son travail fourni et éclairé, témoignant de son excellente connaissance de la Moldavie.
Le sommet de Vilnius, en novembre 2013, était annoncé comme une étape cruciale du rapprochement des pays du Partenariat oriental avec l’Union européenne. Les événements récents et actuels nous montrent que, si ce sommet a écrit un nouveau chapitre des relations entre l’Union européenne et la Géorgie, et entre l’Union européenne et la Moldavie, il a contribué à accroître les tensions entre la Russie et l’Ukraine.
Hasard de notre calendrier parlementaire, l’examen qui nous rassemble aujourd’hui a lieu dix jours après le premier anniversaire du soulèvement de Maïdan, et quatre jours après le premier anniversaire de la prise du parlement de Crimée par un commando pro-russe.
Oui, mes chers collègues, je partage les mots de notre éminent collègue Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il explique que la Russie n’a pas vu d’un bon œil, et c’est peu dire, les révolutions de couleur dans les pays qu’elle considère comme son « étranger proche », sa zone d’influence traditionnelle, en quelque sorte. Disons-le clairement, certains pays de la Communauté des États indépendants sont devenus un enjeu entre l’Union européenne et la Russie avec, en arrière-plan, l’OTAN et les États-Unis, peu désireux, admettons-le, d’atténuer les tensions.
Le refus de Kiev de signer l’accord d’association et de libre-échange que leur proposaient les Vingt-Huit, a mis en évidence l’échec de la stratégie du Partenariat oriental, lancée en 2009 pour stabiliser et arrimer à l’Europe les ex-républiques soviétiques, et faire ainsi du voisinage de l’Union européenne un espace sécurisé et prospère. Les négociations avaient pourtant été engagées depuis cinq ans entre Kiev et Bruxelles, et plusieurs milliards d’euros avaient été investis par Bruxelles en faveur de la modernisation politique et économique de ce pays.
C’est la crise de la « troisième Europe » qui a ici été mise en évidence. En effet, l’Union européenne n’a jamais proposé une perspective claire d’intégration aux ex-républiques soviétiques, contrairement à ce qu’elle a fait pour les pays de l’Est après la chute du Mur.
Beaucoup ont pensé que ce refus de Kiev briserait l’élan du Partenariat oriental pour de nombreuses années. Mais, comme l’a souligné le président du Conseil européen de l’époque, Herman Van Rompuy, c’était compter sans « la détermination, le courage et la volonté politique des dirigeants géorgiens et moldaves ».
J’en viens, par ces considérations, au territoire qui nous occupe ce soir : la Moldavie. Ce pays est bien pauvre, mais riche d’influences contrastées. Moldaves et Roumains y représentent près de 80 % de la population, les 20 % restants étant composés d’Ukrainiens, de Russes, de Gagaouzes, de Bulgares et de Roms.
Le roumain est devenu la langue officielle de Moldavie le 31 août 1989, soit deux ans avant la proclamation de l’indépendance du pays, et alors même que l’Union soviétique imposait l’alphabet cyrillique depuis 1924 à la République soviétique moldave. C’était là un premier pas, plus que symbolique, dans le sens d’un rapprochement vers l’Ouest et en faveur de liens privilégiés avec la France.
Oui, mes chers collègues, gardons à l’esprit que la Moldavie est le pays d’Europe orientale le plus francophone, devant la Roumanie. Mme la rapporteur l’a rappelé, plus de 50 % des élèves moldaves choisissent d’apprendre le français à l’école. Ces traditions linguistiques et a fortiori culturelles ont été qualifiées par l’ancien Premier ministre moldave de symboles d’une « francophonie de cœur ».
En outre, il convient de rappeler les relations économiques, qui font de la France l’un des principaux investisseurs étrangers en Moldavie.
Ces diverses raisons concourraient à la construction de l’orientation pro-européenne de la Moldavie – mais limitée aux frontières de l’OTAN, entendons-nous bien !
Comme il importe de ne pas restaurer le passé, il convient aujourd’hui de ratifier cet accord d’association, nouveau jalon de l’évolution des relations entre la Moldavie et l’Union européenne.
En négociation depuis janvier 2010, l’accord d’association a été accepté lors du sommet de Vilnius, en novembre 2013. Il a été signé le 27 juin dernier à Bruxelles, puis ratifié par la Moldavie quelques jours plus tard, le 2 juillet 2014.
Les précédents orateurs ont largement détaillé les dispositions de ce texte. En conséquence, je ne les évoquerai que brièvement.
Il s’agit d’un accord mixte, conclu entre la République de Moldavie et plusieurs entités juridiques : l’Union européenne, la Communauté européenne de l’énergie atomique et chacun des États membres de ces deux organisations.
Ce texte vise à renforcer la coopération politique entre l’Union européenne et la Moldavie, ainsi que leur coopération économique et sectorielle, en favorisant une convergence des réglementations et des normes et en libéralisant les échanges. À ce titre, il repose sur deux piliers : un accord de libre-échange et une intégration par la Moldavie des acquis de l’Union européenne dans les nombreux domaines concernés.
Par son titre VII, cet accord institue plusieurs instances de dialogue, notamment un conseil d’association composé de membres du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne ainsi que de membres du gouvernement moldave.
Ce conseil est chargé de contrôler la mise en œuvre par les parties des différents volets de l’accord d’association. Sa première réunion était prévue pour juin 2015, mais elle a été reportée dans l’attente de la formation d’un nouveau gouvernement moldave. Celui-ci a été constitué le 18 février dernier.
Après deux mois de confusion politique, un gouvernement de coalition a été formé, dont la nature est pour le moins surprenante. Notons tout de même que Chiril Gaburici, le nouveau Premier ministre, a assuré pendant sa campagne électorale qu’il poursuivrait le processus de rapprochement avec l’Union européenne mené par son prédécesseur. Nous nous devons de conforter ces ambitions en entretenant des relations soutenues, car la ligne pro-européenne doit continuer à prévaloir.
En effet, il faut que les Moldaves perçoivent les bénéfices de ces changements, qui ne sont pas uniquement économiques : cet accord constitue également un puissant levier de modernisation politique et sociale.
Je forme le vœu que cet accord contribue à débloquer la situation en Transnistrie. Nous devons être capables d’éviter une escalade des tensions dans cette région où tant de russophones tournent des regards impatients vers Moscou.
Le temps de l’action est venu : il est temps d’intensifier la lutte contre la corruption, temps de poursuivre la lutte contre la criminalité, notamment la criminalité organisée, temps d’apaiser les tensions au sein de la société moldave.
Oui, il est grand temps que l’ensemble de la population moldave soutienne à nouveau massivement le processus d’intégration européenne. Il est nécessaire en effet que les Moldaves considèrent leur histoire à long terme et cessent d’être esclaves de la conjoncture dans laquelle les sphères d’influence voisines ont bien voulu les placer et les maintenir.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe socialiste voteront avec conviction pour la ratification de cet accord.
Pour conclure, je tiens à faire miens les mots de Mme la rapporteur, en refusant d’exclure « la perspective européenne de la Moldavie ». Bien sûr, politique de voisinage ne signifie pas élargissement. Nous mesurons le sens de cette distinction, que plusieurs avant moi ont rappelée. Reste que la Moldavie est historiquement et culturellement partie intégrante de notre continent. Elle y a toute sa place !
Cet accord est un repère important dans les tentatives de sortie de crise de la « troisième Europe ». À cet égard, l’Union européenne doit prendre ses responsabilités, toutes ses responsabilités.
Si nous ne pouvons revenir en arrière, nous devons cesser de tergiverser. Un très vieux film de propagande soviétique faisait dire à l’un de ses personnages : « Le fouet royal roumain est plus rude que le bâton de l’ancien tsar. » Ce qui fait désormais le plus mal, mes chers collègues, c’est l’immobilisme. Aussi, je vous invite à voter en faveur de la ratification de cet accord ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères, et M. Bernard Fournier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier les divers orateurs du soutien qu’ils ont exprimé, très largement, à la ratification de cet accord.
La question a été soulevée à plusieurs reprises, et je tiens à insister de nouveau sur ce point : cette ratification n’ouvre pas la voie à une adhésion à l’Union européenne.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Elle s’inscrit bien dans le cadre de la politique de voisinage et non dans celui de la politique d’élargissement.
Cette politique de voisinage vaut pour elle-même.
M. Alain Néri. Il est bon de le préciser !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Elle est un enjeu pour la modernisation, le développement économique, la démocratisation,…
M. Daniel Reiner. Oui !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … la stabilité et la sécurité des pays concernés, qui se trouvent aux frontières de l’Europe – en l’espèce, aux frontières de l’Est, s’agissant du Partenariat oriental.
Dans le préambule de cet accord d’association, il est précisé que l’Union européenne et ses États membres « prennent acte » des aspirations de la République de Moldavie et de son choix de se tourner vers l’Europe. Mais aucun engagement n’est pris sur ce point. Certains orateurs l’ont rappelé : il ne faut pas entretenir de fausses interprétations et de fausses lectures à ce sujet.
La déclaration fondatrice du Partenariat oriental, adoptée au sommet de Prague le 7 mai 2009, est très claire à cet égard : le Partenariat oriental vise à réaliser une association politique et une intégration économique, « sans préjudice des aspirations exprimées par les différents pays partenaires en ce qui concerne leurs futures relations avec l’Union européenne ».
Cela étant, on le constate, il s’agit d’un partenariat fort, qui présente un caractère politique. C’est donc bien un choix d’amitié très fort envers la Moldavie que fait le Gouvernement, en demandant au Parlement d’autoriser la ratification de cet accord d’association.
Plusieurs d’entre vous ont insisté sur l’enjeu que représentent les relations avec la Russie, compte tenu, notamment, de la crise en Transnistrie.
Que les choses soient claires : la Moldavie doit pouvoir choisir souverainement son avenir. Signer un accord d’association avec l’Union européenne ne signifie nullement, pour elle, renoncer à ses relations avec la Russie. Le Partenariat oriental n’est dirigé contre aucun pays. Il ne vise pas à créer de nouvelles lignes de fracture. Son seul objet est la modernisation politique et économique de nos voisins, au bénéfice de tous, au service et dans le respect de la souveraineté de chacun.
À ce titre, l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie, qui comprend la création d’une zone de libre-échange complète et approfondie, ne remet pas en cause les relations économiques que la Moldavie a pu nouer au fil du temps avec certains de ses voisins, notamment avec la Russie mais aussi avec la Biélorussie et l’Ukraine.
Madame la rapporteur, je tiens à vous remercier de nouveau, et très chaleureusement, de la qualité du rapport que vous avez établi et de la manière dont vous avez préparé ce débat. Votre travail a permis le consensus très large que l’on observe aujourd’hui. J’aurais souhaité un accord unanime, mais j’espère convaincre ceux qui nourrissent encore des réserves. Au reste, même si certains ont annoncé qu’ils allaient s’abstenir, j’ai noté qu’il n’y avait pas d’opposition.
Avec cet accord, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons pouvoir franchir un pas pour appuyer le développement économique, la modernisation et l’ancrage démocratique de la Moldavie. C’est un très grand enjeu pour l’avenir de ce pays, pour l’amitié entre la France et la Moldavie, mais aussi pour la sécurité de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. le vice-président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'union européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique et leurs états membres, d'une part, et la république de moldavie, d'autre part
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République de Moldavie, d'autre part (ensemble trente-cinq annexes et quatre protocoles), signé à Bruxelles le 27 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
12
Convention de l'Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées
Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées (projet n° 246, texte de la commission n° 257, rapport n° 256).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi s’inscrit dans une tradition déjà longue : celle de l’engagement de la France dans les activités de l’Organisation internationale du travail, l’OIT.
La France est, avec l’Espagne, le pays qui a ratifié le plus grand nombre de conventions de l’OIT. Au-delà des chiffres, c’est notre attachement au respect et à la défense des règles internationales du travail que nous manifestons ainsi.
Dans un monde où les acteurs sont de plus en plus interdépendants, il est nécessaire de construire un cadre de travail et un cadre social internationaux auxquels des pays en nombre toujours plus grand puissent adhérer. C’est un rôle que l’OIT assume avec volonté dans un cadre original, celui du tripartisme. Je tiens à saluer la durée et l’importance des travaux menés par cette instance.
La convention n° 181 de l’OIT s’inscrit dans ce contexte. Elle prend acte du fait que, depuis deux décennies, de nombreux pays font participer des agences d’emploi privées à l’intermédiation des demandeurs d’emploi et fixent un cadre pour réguler à la fois leurs conditions d’intervention et les droits des salariés qu’elles emploient.
Il s’agit donc d’un texte protecteur, s’inscrivant pleinement dans la lignée de principes qui, pour la France, sont fondateurs dans le champ du service public de l’emploi.
Dans la pratique, les garanties prévues par cette convention existent déjà dans notre droit interne : il en va ainsi du principe de gratuité du service pour les demandeurs d’emploi et du respect du droit des travailleurs employés par ces agences et de ceux qui ont recours à leurs services, principe affirmé dès l’article 2 de la convention, aux termes duquel « la présente convention a, au nombre de ses objectifs, celui de permettre aux agences d’emploi privées d’opérer et celui de protéger, dans le cadre de ses dispositions, les travailleurs ayant recours à leurs services ».
Je veux également souligner le rappel, par la convention, des droits fondamentaux des travailleurs dont doivent bénéficier, comme tous les autres, les salariés des agences d’emploi privées. En voici quelques exemples, non exhaustifs : le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective, posé à l’article 4, les garanties en matière de salaires minimaux et de conditions de travail, ou encore l’accès à la formation, visé à l’article 11.
La convention affirme aussi le principe de gratuité du service public de l’emploi, à l’article 7, ainsi que la promotion de l’égalité des chances et de traitement dans l’accès à l’emploi et la protection des données personnelles des personnes ayant recours aux agences d’emploi privées.
Ce socle de droits et de pratiques est aussi le nôtre. La France est attachée au rôle de la puissance publique comme acteur et régulateur du service public de placement des demandeurs d’emploi, ainsi qu’aux grands principes qui structurent ce service public, comme la gratuité.
Ce n’est donc pas un hasard si la France est souvent perçue comme un pays jouant un rôle moteur, au sein du Bureau international du travail, le BIT, pour la protection des droits des travailleurs.
La convention de l’OIT ne prend pas position pour ou contre le recours aux agences d’emploi privées : elle prend acte de leur existence dans un nombre croissant de pays, et fixe un cadre protecteur pour l’exercice de leur activité. À ce titre, le BIT joue pleinement son rôle de régulation des formes et des pratiques d’emploi, pour répondre au mieux à la réalité des pays qui sont ses parties prenantes.
Pour la France, ratifier la convention n° 181 de l’OIT ne modifiera pas le droit interne, l’intervention des opérateurs privés de placement dans le champ de l’intermédiation étant déjà encadrée par des règles nationales et communautaires, et la protection des travailleurs étant déjà garantie à un niveau élevé.
En revanche, ratifier cette convention permettra de mettre en cohérence nos pratiques et nos engagements internationaux, et de réaffirmer notre attachement aux principes de protection que prévoit l’OIT.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 20 janvier dernier se tenait la dernière édition des entretiens entre la France et le BIT, qui ont concrétisé une nouvelle fois une communauté de valeurs et d’action, dans le champ normatif comme dans celui de la recherche. Cette organisation internationale est originale par son histoire et sa composition. Elle est la seule où se retrouvent dans un format tripartite les représentants des États, des employeurs et des travailleurs.
Cette originalité lui confère aussi un regard particulier sur la question des relations de travail et d’emploi. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, le cadre que pose la convention n° 181 pour les pratiques des agences d’emploi privées constitue une nouvelle illustration concrète des principes que nous devons continuer de promouvoir dans tous les domaines de l’emploi. C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir adopter le projet de loi autorisant la ratification de cette convention.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail, relative aux agences d’emploi privées, vise d’abord à autoriser la création et les activités de celles-ci – qu’il s’agisse, au sens du droit français, des services de placement ou des entreprises de travail temporaire. Elle requiert des États signataires qu’ils assurent « les conditions propres à promouvoir la coopération entre le service public de l’emploi et les agences d’emploi privées ».
Pourquoi faire appel à des agences d’emploi privées ? Parce que le recours à ces opérateurs, en appui aux services publics de l’emploi et dans la mesure où il est encadré, comme c’est aujourd’hui le cas en France sous l’égide de Pôle emploi, permet de renouveler les méthodes de suivi en ce domaine. Il offre la possibilité aux opérateurs publics de se concentrer sur les demandeurs d’emploi les plus en difficulté et favorise ainsi l’employabilité des travailleurs, notamment en facilitant leur accès à la formation et l’acquisition d’expérience professionnelle.
La convention n° 181 de l’OIT, dans le même temps, vise à protéger les travailleurs qui ont recours aux services d’agences d’emploi privées. De ce point de vue, il s’agit d’un texte équilibré. La convention exige en effet la détermination d’un cadre juridique et des conditions d’exercice des activités qui garantissent une protection dite « adéquate » aux travailleurs faisant appel aux services d’agences d’emploi privées.
Concrètement, la convention requiert des États l’adoption des mesures nécessaires pour garantir cette protection en matière de liberté syndicale et de négociation collective, de salaires minimaux, d’horaires, de durée de travail et d’autres conditions de travail, de prestations de sécurité sociale, d’accès à la formation, de sécurité et de santé au travail, d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, etc.
La convention garantit aussi aux travailleurs recrutés par les agences d’emploi privées le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective, une protection contre toutes les discriminations et un traitement des données personnelles dans des conditions respectant la vie privée. Une protection spécifique pour les travailleurs migrants est également demandée, ainsi que la mise en œuvre de mesures assurant que le travail des enfants ne soit ni utilisé ni fourni par des agences d’emploi privées.
Enfin, la convention impose le respect du principe de gratuité des services fournis aux travailleurs par les agences d’emploi privées.
Notez bien, mes chers collègues, que l’ensemble de ces droits et garanties sont déjà inscrits dans notre droit du travail.
Cette convention, adoptée en 1997 avec le soutien de la France, se trouve aujourd’hui ratifiée par vingt-sept pays, dont douze États membres de l’Union européenne.
Pour la France, la ratification présente peu d’enjeux véritables. En effet, notre droit est d’ores et déjà conforme aux exigences de la convention, et ce depuis 2010, grâce à l’adoption de la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui a supprimé les restrictions à la création d’agences d’emploi privées.
La possibilité même de la création d’agences d’emploi privées avait été introduite dès 2005, sous conditions, au travers de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, qui a mis fin au monopole de placement jusqu’alors détenu par l’Agence nationale pour l’emploi, l’ANPE, devenue Pôle emploi à la fin de l’année 2008.
Je rappelle que l’opérateur de l’État qu’est Pôle emploi détient aujourd’hui des prérogatives exclusives, dont l’inscription des demandeurs d’emploi, la gestion de leur liste et le contrôle de la recherche d’emploi.
En outre, en pratique, les agences d’emploi privées n’interviennent sur le marché du placement que dans le cadre des appels d’offres de Pôle emploi, notamment parce que, les services de Pôle emploi étant gratuits pour les entreprises, celles-ci n’ont pas d’intérêt à recourir directement aux agences d’emploi privées, dont les services sont payants pour les employeurs.
La ratification qu’il s’agit pour nous d’autoriser n’emportera donc aucune conséquence sur notre droit interne ni, sans doute, sur la pratique observée, non plus que, je dois le dire, sur le niveau d’emploi en France… Elle permettra seulement à notre pays de mettre en cohérence ses engagements internationaux avec sa législation, en dénonçant la convention n° 96 de l’OIT, que nous avions ratifiée en 1952 et qui, dans la mesure où elle prohibe les agences d’emploi privées, ne constitue plus depuis 2005 un engagement cohérent avec notre législation. L’enjeu se limite donc en somme à assurer une bonne articulation juridique entre droit interne et normes internationales.
Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères a adopté le projet de loi visant à autoriser la ratification de la convention n° 181 de l’OIT relative aux agences d’emploi privées. Je vous propose, mes chers collègues, de suivre ses conclusions et de faire de même.
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui appelé à se prononcer sur la ratification par la France de la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail, relative aux agences d’emploi privées.
La lecture de l’exposé des motifs du projet de loi révèle un paradoxe.
Sur la forme, tout d’abord, je remarque le décalage existant entre la signature de cette convention et sa date de ratification par le Parlement. En effet, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été adopté par la Conférence internationale du travail en 1997 et est entré en vigueur en 2000. La France, quant à elle, a mis fin au monopole de placement jusque-là attribué à l’ANPE dès le 18 janvier 2005, au travers de la loi de programmation pour la cohésion sociale, et a ouvert l’exercice de l’activité de placement à tout organisme public ou privé par le biais de la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010. Or il nous est demandé de nous prononcer aujourd’hui sur la ratification de cette convention internationale, près de quinze ans après son entrée en vigueur. Que l’on me permette de m’interroger sur la crédibilité d’une telle démarche !
M. Alain Néri, rapporteur. Mieux vaut tard que jamais !
Mme Leila Aïchi. Toutefois, sur le fond, en dépit de cette ratification bien tardive, nous examinons un texte d’une actualité brûlante et qui concerne directement les Français, eu égard à la thématique qui le sous-tend. Nul ne peut le nier, tant la situation de l’emploi dans notre pays est dramatique. Les chiffres sont là pour nous le rappeler.
Ainsi, le mois de décembre dernier a été à l’image de la spirale négative qu’a connue notre pays tout au long de l’année 2014, avec une augmentation de 0,2 % du nombre des demandeurs d’emploi, soit 8 200 chômeurs de plus, et même 41 900 en incluant les personnes qui exercent une activité réduite mais sont toujours à la recherche d’un emploi.
Ainsi, 2014 a été une année noire sur le front de l’emploi, avec une augmentation de 5,7 % du nombre des chômeurs par rapport à 2013.
Enfin, si l’on a enregistré au mois de janvier 2015, pour la première fois depuis décembre 2007, une diminution du nombre de chômeurs n’ayant exercé aucune activité au cours du mois, à hauteur de 20 100 personnes, le nombre des inscrits à Pôle emploi, toutes catégories confondues, a encore augmenté de 16 400 ce même mois. Gardons-nous donc de tout triomphalisme, tant la tâche demeure ardue.
Concernant les différentes dispositions prévues dans le texte qui nous occupe aujourd’hui, j’aborderai plus en détail la recommandation n° 188, qui accompagne la convention et en précise les modalités de mise en œuvre, notamment en matière de protection des travailleurs. Malheureusement, comme son nom l’indique, il ne s’agit là que d’une recommandation, dénuée par conséquent de valeur juridique contraignante.
Ainsi, les dispositions concernant les travailleurs migrants figurant à l’article 8 de la convention restent relativement floues et peu contraignantes, notamment à l’endroit des agences d’emploi privées du pays d’origine : « Tout membre doit […] prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées […] pour faire en sorte que les travailleurs migrants recrutés ou placés sur son territoire […] bénéficient d’une protection adéquate. » Je m’interroge sur ce que recouvre exactement cette protection.
Afin d’assurer une pleine concordance avec la recommandation n° 188, qui fait tout de même partie intégrante du projet de loi et contient, je le rappelle, des dispositions que la France aurait voulu voir insérer directement dans la convention n° 181, il conviendrait que la ratification de la convention s’accompagne d’un renforcement effectif de la réglementation et des contrôles de police et de l’inspection du travail sur la situation de ces migrants en matière de protection des droits sociaux et démocratiques, d’accès à la formation professionnelle et de protection contre les accidents du travail.
Les travailleurs migrants employés par les agences d’emploi privées non nationales travaillent fréquemment dans les secteurs du BTP ou de la construction navale. Or ces deux secteurs sont connus comme dangereux. En outre, il est primordial de sécuriser l’instruction des plaintes visée à l’article 10.
C’est pourquoi, de manière plus générale, la ratification de cette convention ne doit pas nous empêcher de repenser le service public de l’emploi dans sa globalité, pour ce qui concerne tant ses missions que son efficacité.
Le recours aux agences d’emploi privées ne peut être la seule réponse à la hausse du taux de chômage que nous avons connue ces dernières années, d’autant que, dans un rapport de juillet 2014, la Cour des comptes a pointé des « dysfonctionnements » dans le suivi des chômeurs confié à des sociétés privées : nombre de transferts de dossiers en baisse, garanties insuffisantes quant à la capacité opérationnelle et technique des opérateurs à délivrer des prestations adéquates et lourdeurs administratives au sein de Pôle emploi. Toutefois, la Cour des comptes insiste sur la nécessité de continuer à travailler avec les acteurs privés, qui pallient les manques structurels de Pôle emploi face à certains cas.
Malgré les quelques réserves formulées par le rapporteur, le groupe écologiste votera en faveur de l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 181 de l’OIT, dont le texte est en conformité avec le droit français. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail permet aux agences d’emploi privées d’intervenir dans le placement des demandeurs d’emploi de façon concurrente avec le service public de l’emploi. Comme le précise l’étude d’impact, il s’agit de promouvoir la libéralisation des activités des agences d’emploi privées.
Cette ouverture au privé est certes encadrée par la convention. Ainsi, les États continuent à régir les statuts de ces agences, ainsi que les droits fondamentaux des travailleurs.
En revanche, la gratuité des services pour les demandeurs d’emploi peut désormais être remise en cause puisque des dérogations sont possibles dans certains cas « pour certaines catégories de travailleurs et pour des services spécifiquement identifiés ». Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser de quels services il s’agit ? Nous avons bien noté l’obligation de consulter les organisations syndicales pour autoriser ces dérogations, mais cela n’atténue pas notre inquiétude.
Après l’adoption du présent texte, cette convention s’imposera à la France : notre législation devra toujours être en conformité avec elle. Sa ratification n’est donc pas une simple formalité ; c’est la confirmation de l’inscription, au cœur de notre droit, de l’activité des entreprises privées de placement de demandeurs d’emploi.
Pour notre part, au regard des enjeux qui sous-tendent ce projet de loi, nous considérons que la Haute Assemblée doit avoir un véritable débat sur ce sujet, d’autant que les critiques que nous émettons sur l’objectif visé au travers de cette convention sont partagées par l’actuel directeur général de Pôle emploi. Lors de son audition par la commission des affaires sociales, le 10 décembre 2014, M. Jean Bassères avait souligné que le service rendu par les opérateurs privés de placement n’était pas de meilleure qualité que celui fourni par Pôle emploi. Il avait ajouté que, tenant compte des critiques de la Cour des comptes, qui estime à 80 millions d’euros le coût de cette sous-traitance, Pôle emploi allait ré-internaliser l’accompagnement des personnes les plus en difficulté. Dès lors, nous nous interrogeons sur la pertinence de la ratification de cette convention.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2005, le « marché de la recherche d’emploi » est ouvert aux entreprises privées. À l’époque, nous nous y étions opposés et avions, avec les parlementaires socialistes, alerté sur les dangers d’une libéralisation du secteur de la recherche d’emploi.
La volonté du Gouvernement de faire entrer cette convention dans notre droit interne signifie-t-elle qu’il souhaite désormais encourager l’intervention directe des agences privées sur le marché de la recherche d’emploi ?
Cette volonté de conforter l’activité des entreprises privées dans ce secteur est d’autant plus incompréhensible que nous avons maintenant suffisamment de recul pour affirmer que les résultats sont loin d’être positifs. L’une des explications avancées tient au mode de fonctionnement des opérateurs privés, qui interviennent le plus souvent en tant que sous-traitants du service public de l’emploi et recourent à des salariés précaires, employés sous contrat de courte durée, pour accomplir la mission qui leur a été déléguée.
Ces salariés précaires sont chargés de trouver du travail à des demandeurs d’emploi, sans avoir les moyens ni la possibilité de maîtriser pleinement leur sujet. En effet, comment développer un réseau d’acteurs, mobiliser des aides, connaître le type d’emplois localement disponibles lorsque l’on a un contrat de travail de quelques mois ?
À ce sujet, le rapport parlementaire sur la performance comparée des politiques sociales en Europe souligne, à juste titre, que « le succès de l’accompagnement tient principalement à la pratique du conseiller, c'est-à-dire à sa bonne connaissance du bassin d’emploi local […] ; sa capacité à mobiliser des aides utiles pour le demandeur d’emploi […] ; sa connaissance des prestations d’aides au retour à l’emploi et de leurs effets ; sa relation avec le demandeur d’emploi. »
Les compétences et le savoir-faire des conseillers de Pôle emploi sont donc l’une des clés d’un service public de l’emploi performant. Or toutes les qualités requises s’acquièrent et se développent grâce à l’expérience accumulée au fil de l’exercice du métier, expérience dont ne bénéficient pas, du fait de leurs conditions d’emploi, les salariés des entreprises privées de placement.
Toutefois, les effets positifs du savoir-faire des personnels de Pôle emploi sont contrariés, on le sait, par le manque de moyens. Cette situation est largement exploitée par les opérateurs privés à la recherche de marchés publics, qui ont tout intérêt à décrier le service public, qualifié parfois d’« inefficace », de « trop cher » ou d’« inadapté », même si ces agences privées peinent à convaincre en raison de leurs résultats pour le moins mitigés.
D’ailleurs, de récentes affaires ont mis en lumière le manque de sérieux de ces opérateurs privés, qui ont parfois défrayé la chronique. Ainsi, l’entreprise C3 Consultants a été sanctionnée par l’État en raison de soupçons de fraude portant sur plusieurs marchés en Seine-Saint-Denis, notamment. La presse a également révélé que des entreprises privées ont dû fermer après avoir été sanctionnées par Pôle emploi pour ne pas avoir respecté le cahier des charges.
La pertinence du recours aux agences privées est donc loin d’être démontrée. C’est pourquoi nous regrettons que, par une délibération de février 2014, le conseil d’administration de Pôle emploi ait adopté le principe d’un changement d’orientation stratégique majeur pour 2015 : « Les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, qui constituaient les publics souvent confiés aux opérateurs privés, ne se verront plus proposer d’accompagnement externalisé, mais un accompagnement renforcé dans le cadre interne de Pôle emploi ; en sens inverse, une nouvelle prestation serait créée dans le but de sous-traiter au secteur privé l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus autonomes. »
Pour notre part, nous estimons que le marché de l’emploi n’est pas un marché comme un autre et qu’un gouvernement de gauche devrait avoir à cœur de remettre en cause les choix politiques arrêtés au travers de la loi de 2005 et, par conséquent, refuser de ratifier cette convention. Aussi nous étonnons-nous, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement s’empresse de demander au Parlement d’adopter un projet de loi autorisant cette ratification, alors même que d’autres conventions, plus favorables aux salariés, restent malheureusement dans les tiroirs.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte, qui conforte les entreprises privées de placement de demandeurs d’emploi, alors qu’il faudrait, au contraire, renforcer le service public de l’emploi.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais, avant toute chose, formuler un vœu.
À l’instar des conventions fiscales, qui sont renvoyées à la commission des finances, les conventions de l’Organisation internationale du travail gagneraient à être renvoyées, au moins pour avis, à la commission des affaires sociales.
M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je partage votre avis, ma chère collègue !
Mme Sylvie Goy-Chavent. En effet, bien qu’il s’agisse d’une convention internationale, ce qui justifie son examen par la commission des affaires étrangères, le contenu normatif de la convention n° 181 de l’OIT aurait gagné en consistance s’il avait été soumis à l’expertise de nos collègues de la commission des affaires sociales. Cela aurait été d’autant plus souhaitable que, concrètement, selon M. le rapporteur, ladite convention ne conduira à aucune modification de notre droit interne.
Une convention pour rien, donc ? Je ne crois pas que tel soit le cas. Il s’agit d’une actualisation bienvenue de la convention n° 97, en cours de préparation depuis plus de quinze ans. La durée déraisonnable du parcours diplomatique du combattant de cette convention explique très simplement que notre droit interne ait, pour une fois, précédé les évolutions du droit international. Ne boudons pas notre plaisir, mes chers collègues, et réjouissons-nous pour une fois de notre célérité !
Plus concrètement, cette convention a pour objet de donner un cadre juridique international à l’existence des agences d’emploi privées. La définition retenue pour ces dernières est très large : il s’agit aussi bien des agences de placement que des agences de travail temporaire ; cela va donc de Manpower aux « chasseurs de têtes », en somme ! Les stipulations de la convention sont déjà inscrites dans notre droit interne depuis 2010 au moins. Il n’y a donc pas d’enjeu normatif en soi ; nous intervenons plutôt en bout de course, au terme de la procédure de ratification.
Sur un plan purement normatif, la convention, et donc le présent projet de loi, ne font que remédier à une légère incohérence dans la hiérarchie des normes, puisque notre législation interne concernant les agences privées n’est pas totalement compatible avec les précédentes conventions de l’OIT. La ratification de la convention n° 181 permettra de dénoncer les textes ainsi rendus obsolètes.
C’est finalement là que réside le malaise. En effet, cette convention ne change rien ; elle ne répond nullement aux problèmes et aux questions qui ont été soulevés par de nombreux collègues en commission des affaires étrangères. Les choses auraient pu être différentes si l’autorisation de cette ratification était intervenue à l’occasion de l’examen d’un projet de loi portant plus largement sur les conditions de l’emploi en France. Nous aurions pu y travailler avec nos collègues de la commission des affaires sociales en vue d’aboutir, en séance publique, à l’élaboration d’un texte qui réponde directement aux besoins de nos concitoyens, et non pas à un simple impératif de technique parlementaire.
En effet, de nombreuses interrogations sur le statut des travailleurs étrangers détachés via des agences d’emploi privées ont été formulées. De fait, rien n’interdit de recruter de tels travailleurs pour casser une grève, par exemple ! Certes, l’OIT proscrit en principe cette possibilité, mais la recommandation relative aux agences privées adoptée par cette instance en même temps que la présente convention n’a pas de valeur normative : c’est une simple déclaration d’intention. La question est donc posée, monsieur le secrétaire d'État.
Une autre interrogation porte sur les travailleurs migrants. Les stipulations de la convention sont particulièrement floues. Il appartient aux États de fixer eux-mêmes leur propre encadrement normatif en la matière. Nous aurions pu le faire, puisque nous sommes justement saisis d’un texte de nature législative.
Par ailleurs, je ne peux que relever l’ironie mordante qu’il y a à adopter un texte qui ne changera rien à notre droit du travail, alors qu’il y a urgence, nous le savons bien, à le simplifier et, surtout, à lutter contre le chômage, qui gangrène notre société.
Enfin, je profite de cette occasion pour saluer la mise à jour des méthodes de travail de la commission des affaires étrangères, qui doit faire face à un stock important de conventions à examiner et inaugure, avec l’examen du présent projet de loi, le rapport simplifié. À l’avenir, on pourrait lier, dans le règlement du Sénat, le déclenchement de l’examen en procédure simplifiée en séance publique et la publication du rapport synthétique : cela garantirait la cohérence de la méthode et la célérité de l’exécution !
Mes chers collègues, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront donc ce texte avec l’enthousiasme qu’il mérite !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais attirer votre attention sur la méthode de travail désormais appliquée, l’objectif étant de fluidifier l’examen des conventions internationales.
Nous le savons, un grand nombre de conventions internationales attendent d’être ratifiées par le Parlement français. Pour permettre l’accélération de leur examen sans que les assemblées parlementaires deviennent de simples chambres d’enregistrement, le rapport d’information du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin, préconise de « redonner tout son sens à l’examen parlementaire des traités » et de mettre en place une programmation à six mois de la discussion des projets de loi d’autorisation de ratification.
Ce soir, nous pouvons nous réjouir d’appliquer déjà ces recommandations, puisque la Haute Assemblée va se prononcer moins de deux mois après l’adoption du texte par l’Assemblée nationale. Si nous gardons ce rythme, nous pourrons affirmer, mes chers collègues, que le Sénat participe à la réduction des « bosses législatives » en matière de ratification des conventions internationales !
Pour en revenir à l’objet du projet de loi, la convention n° 181 de l’OIT vise à autoriser la création et les activités des agences d’emploi privées, mais aussi à définir les conditions de protection des travailleurs ayant recours aux services de ces agences. À mes yeux, ce dernier volet importe beaucoup.
Cette convention fut adoptée en 1997 par la Conférence internationale du travail et a été ratifiée par vingt-sept pays. La genèse de ce texte, entré en vigueur en 2000, s’inscrit dans une large réflexion menée en 1994 par l’OIT, ayant abouti à la conclusion que la convention de l’OIT relative aux bureaux de placement payants, interdisant le recours aux agences d’emploi privées, était obsolète.
Souvenons-nous que, déjà à cette époque, la mise en place d’un accompagnement spécifique des demandeurs d’emploi était au cœur des politiques de lutte contre le chômage en Europe.
Cette nouvelle convention repose sur l’idée simple que les opérateurs privés ont pour vocation d’intervenir en soutien des services publics suivant les personnes à la recherche d’un emploi, l’objectif premier étant de soulager ces services et de permettre ainsi à leurs agents de se concentrer sur les demandeurs d’emploi les plus en difficulté, dont le suivi nécessite plus de temps et de travail.
Le texte de la convention retient une définition très large de ces agences, qui sont indépendantes des autorités publiques, peuvent être des personnes physiques ou morales et peuvent offrir différents services.
Premièrement, il peut s’agir de rapprocher offres et demandes d’emploi, sans que les agences d’emploi privées puissent être parties aux relations de travail susceptibles d’en découler. En réalité, cela n’est pas autre chose que la mise en place de services de placement.
Deuxièmement, ces agences peuvent employer des travailleurs pour les mettre à la disposition de tierces personnes, en fixant les tâches et en supervisant leur exécution. Il s’agit là d’une activité exercée par les agences d’intérim, au sens du droit français. Ainsi, ces entreprises sont considérées comme exerçant non pas une activité de placement, mais une activité de mise à disposition de travailleurs.
Enfin, il peut s’agir d’autres services encore ayant trait à la recherche d’emploi, tels que la fourniture d’informations, sans pour autant viser à rapprocher une offre et une demande spécifiques. Précisons que ces services d’aide à la recherche d’emploi ou au recrutement ne font pas, en droit français, l’objet d’un régime particulier.
En tout état de cause, le statut juridique des agences d’emploi privées doit demeurer en l’état. Pour être plus clair, celui-ci doit rester « déterminé », selon les termes mêmes de la convention, et donc totalement conforme à la législation et à la pratique nationales.
Après avoir rappelé que ce statut demeurait, nous ne pouvons qu’observer que le texte ne présente pas d’enjeux en termes de législation sociale ou de droit du travail. En matière de droit positif, ce texte ne changera rien, parce que le droit français permet déjà son application, notamment grâce à la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui a supprimé les restrictions à la création d’agences d’emploi privées.
Néanmoins, rappelons que la possibilité de création de telles agences avait été introduite par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. De fait, l’ANPE, devenue Pôle emploi en 2008, n’avait plus le monopole du placement des demandeurs d’emploi.
Notre droit commun est donc déjà « prêt », si je puis dire, pour l’application de cette convention, sous réserve que nous adoptions ce soir le projet de loi autorisant sa ratification. Le groupe UMP votera ce texte, qui n’a pas d’incidence juridique.
Toutefois, je voudrais formuler une remarque : le sujet mériterait mieux qu’un débat organisé au détour de l’autorisation de la ratification d’une convention, qui devait faire l’objet d’une procédure simplifiée.
En réalité, c’est un débat d’ensemble sur le travail, son organisation, ses valeurs, son coût, les conditions de sécurité qui devrait être organisé, en particulier à la veille de l’examen par la Haute Assemblée d’un texte visant à décupler l’activité et la croissance dans notre pays, dont la situation économique est des plus moroses. Je fais bien sûr allusion au projet de loi Macron, dont je ne doute pas qu’il fera, sur ce sujet, l’objet de nombreux amendements.
Je comprends donc que nos collègues communistes aient souhaité saisir la présente occasion pour aborder un sujet crucial pour l’avenir de notre pays, de ses jeunes et de ses moins jeunes.
De la même façon, je comprends qu’un débat sur les agences d’emploi privées soit ouvert, la Cour des comptes dressant un bilan assez peu positif de leur activité. Je vous invite d’ailleurs à relire son rapport du 8 juillet dernier sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés pour l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi.
Qu’en est-il ? La Cour des comptes estime que le dispositif de sous-traitance à des opérateurs privés a connu des difficultés de lancement – c’est le moins que l’on puisse dire ! – avant d’enregistrer un certain repli. Pôle emploi a passé ses premiers marchés en 2009. Dans un premier temps, le volume de prestations fut important, mais il a rapidement décru, à hauteur de 54 % en trois ans.
Cette évolution est d’autant plus notable que, au cours de la même période, le nombre des demandeurs d’emploi s’est considérablement accru et que les prestations d’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi sont restées limitées en interne.
Aujourd’hui, le recours aux opérateurs privés de placement est très minoritaire, puisqu’il ne représentait en 2013 qu’une enveloppe de 145 millions d’euros, sur un budget global de près de 5 milliards d’euros.
La mise en œuvre des marchés s’est heurtée à d’importantes difficultés pratiques. La procédure de passation des marchés et l’exécution de ceux-ci ont connu des dysfonctionnements, parce qu’on ne s’est pas toujours entouré de garanties suffisantes, s’agissant par exemple de la capacité des opérateurs à délivrer des prestations de qualité, la sélection des attributaires s’étant fondée principalement sur les prix.
Ainsi, les comptes de résultat des opérateurs privés risquaient de se trouver déséquilibrés si les hypothèses d’activité sur lesquelles ils avaient fondé leurs offres ne se réalisaient pas, c’est-à-dire si Pôle emploi ne leur adressait pas suffisamment de demandeurs d’emploi.
À cela s’ajoutent l’irrégularité et une certaine faiblesse des flux de demandeurs d’emploi orientés vers les opérateurs privés de placement, par rapport à ce que prévoyaient les cahiers des charges. Le rapport de la Cour des comptes indique que cela a contribué à fragiliser l’équilibre économique de certains marchés, voire à mettre en danger les opérateurs pour lesquels les marchés de Pôle emploi constituaient une part importante de leur chiffre d’affaires.
Je ne continuerai pas à résumer le rapport de la Cour des comptes sur ce sujet, car cela prendrait beaucoup trop de temps. Je signalerai simplement que certains opérateurs privés sont au bord de la faillite, voire en situation de faillite.
Cependant, ne nous trompons pas de débat : cela est dû non pas à l’existence même des opérateurs privés, mais au manque d’organisation structurelle de leurs relations avec Pôle emploi. Cette situation justifierait sans doute une refonte législative au travers de l’élaboration d’une loi sur l’emploi ; en tout cas, ce sujet est beaucoup trop sérieux et grave pour que nous puissions le traiter ce soir. (Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Dans un esprit de consensus, je souhaite répondre à M. Watrin.
Cette convention ne libéralise pas le service public de l’emploi, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le sénateur. Pourquoi chercher à faire peur quand les textes sont clairs et précis ? La convention prend acte de la diversité des intervenants, et fixe un cadre protecteur pour leur action. Les partenaires sociaux avaient été consultés en 2011. Par la suite, il a été jugé souhaitable de les consulter de nouveau, ce qui a été fait en janvier 2015. Ils ont ainsi eu une nouvelle occasion d’exprimer leur point de vue.
Le recours à des opérateurs privés de placement permet à Pôle emploi de se concentrer sur ses missions essentielles, à savoir l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus fragiles, qui ont le plus besoin d’être suivis. De plus, même si Pôle emploi fait appel à un opérateur privé de placement, il continue d’intervenir : en effet, c’est lui qui procède au premier entretien, puis à l’entretien de bilan au terme de la prestation. Surtout, Pôle emploi et les opérateurs privés chargés du service public de l’emploi partagent un cahier des charges, et le principe de gratuité est préservé : ce dernier point est particulièrement important aux yeux du Gouvernement. Il ne faut pas faire de cette convention une interprétation étrangère à ses termes.
Enfin, je rappelle que, en 2012, 2 000 emplois supplémentaires ont été affectés à Pôle emploi, puis encore 2 000 autres en 2013. En 2014, le Premier ministre s’est engagé à ce que les effectifs soient maintenus. Le Gouvernement a donc donné des moyens supplémentaires à Pôle emploi, dans une période pourtant difficile en termes de finances publiques : cela montre bien quelles sont nos priorités.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 181 de l’organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention n° 181 de l'Organisation internationale du travail relative aux agences d'emploi privées, adoptée à Genève le 19 juin 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Daniel Reiner, pour explication de vote.
M. Daniel Reiner. Je m’exprime ici au nom du groupe socialiste.
La convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées, que l’on appelle en France les opérateurs privés de placement, a été adoptée en 1997 par la Conférence internationale du travail. Comme M. le rapporteur l’a brillamment souligné, elle vise à autoriser la création et l’activité de ces agences, qui ne sont pas une nouveauté sur notre territoire national, la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale ayant levé le monopole, au demeurant largement fictif, de l’ANPE.
La ratification de cette convention sera donc sans aucun effet sur notre droit, qui offre déjà aux travailleurs en rapport avec les agences d’emploi privées les garanties prévues par celle-ci en termes de salaires minimaux, de durée du travail, de formation, de protection de la santé et de la sécurité, de protection contre les discriminations, de traitement confidentiel des données personnelles. Surtout, notre droit prévoit depuis longtemps un principe de gratuité des services fournis aux travailleurs : aucune rétribution ne peut être demandée, directement ou indirectement, aux personnes à la recherche d’un emploi par ces agences.
Il faut aussi rappeler que Pôle emploi détient toujours des prérogatives exclusives, dont l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi, la gestion de cette liste et le contrôle de la recherche d’emploi. De plus, ses services sont gratuits pour les entreprises, qui n’ont donc pas intérêt à recourir directement aux agences privées. Cela explique que, en pratique, les opérateurs privés de placement interviennent seulement dans le cadre des appels d’offres de Pôle emploi, introduits en 2009.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que la France n’avait pas jusqu’à présent ressenti l’urgence de ratifier la convention de l’OIT relative aux agences d’emploi privées. Cela étant, cette ratification nous permettra, dans le cadre d’une mise en conformité de notre droit avec nos engagements internationaux, de dénoncer la convention précédente, datant de 1949, qui interdisait les agences de placement privées et dont les stipulations ne sont plus depuis longtemps en phase avec la réalité.
Nous regrettons simplement que l’interdiction faite à ces agences privées de mettre à disposition des travailleurs pour remplacer des salariés en grève, inscrite dans la recommandation de l’OIT adossée à la convention, ne figure pas expressément dans la convention elle-même. Cependant, il convient que de telles conventions internationales puissent être adoptées par le plus grand nombre possible d’États, ce qui implique souvent, malheureusement, la recherche d’un dénominateur commun assez petit…
En définitive, la convention dont le présent projet de loi vise à autoriser la ratification ne mérite, au regard de notre propre législation, ni un excès d’honneur ni un excès d’indignité. C’est d’ailleurs pourquoi la conférence des présidents avait initialement décidé que ce texte serait examiné selon la procédure simplifiée.
De fait, ce n’est pas exactement sur cette convention que porte le débat, comme nous avons pu le constater.
Le recours aux opérateurs privés a été instauré dans une vague d’enthousiasme libéral accompagnée de critiques virulentes contre Pôle emploi et ses agents : seule l’initiative privée allait résoudre le problème récurrent du chômage, uniquement dû, prétendument, à l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois. On a vu ce qui est advenu : dès 2011, le recours au secteur privé a été réduit, en raison de coûts élevés et d’un taux de placement moyen, de surcroît dans des emplois précaires. On a également pu constater que les personnels de ces agences étaient souvent eux-mêmes employés sous contrat précaire et soumis à une forte pression pour « faire du chiffre », quelles que soient les conditions réelles de placement. Pôle emploi a donc fortement diminué ses appels d’offres.
Le rapport de 2014 de la Cour des comptes sur le recours aux opérateurs privés, assez sévère, fait notamment apparaître que Pôle emploi affiche des performances meilleures que celles de ces derniers.
Pour autant, la Cour des comptes recommande de corriger les dysfonctionnements qu’elle a constatés, mais de maintenir le recours au secteur privé, en l’encadrant de conditions claires. Elle préconise en particulier d’indiquer clairement les conditions de recours à des opérateurs privés et de s’assurer de l’intégration des conseillers de Pôle emploi, de prendre davantage en compte l’offre technique dans les critères de sélection des attributaires des marchés et de rejeter les offres tarifaires anormalement basses.
La Cour des comptes recommande également de mettre en place une évaluation systématique des prestations réalisées et un contrôle qualité fondé sur un référentiel unique, de tenir compte du profil des demandeurs d’emploi et des perspectives de reclassement dans la zone géographique de recherche d’emploi.
J’ajoute que, à partir de cette année, les chômeurs les plus en difficulté relèveront à nouveau directement de Pôle emploi, afin de pouvoir bénéficier de l’accompagnement renforcé dont ils ont besoin.
La mise en œuvre de ces initiatives et de ces recommandations doit permettre d’améliorer la cohérence du traitement de la recherche d’emploi.
Il est vain de croire que l’on peut revenir en arrière, à l’heure où internet s’empare d’un pan considérable du marché de l’emploi : Linkedin, pour ne citer que ce site, rassemble les curriculum vitae détaillés de 240 millions de personnes dans le monde ; Facebook et d’autres acteurs encore font de même, à cette différence près que les entreprises doivent payer pour accéder à leurs services.
Quel est le statut de ces réseaux au regard de notre droit de la recherche d’emploi ? Quelle instance internationale s’assure de leur fiabilité et du respect des règles minimales de gratuité pour les travailleurs, par exemple ? Agissent-ils conformément à la convention n° 181 de l’OIT ?
Nous sommes face à des problèmes considérables, affectant l’ensemble de ceux qui ont besoin de travailler pour obtenir un revenu leur permettant de vivre. La ratification de la convention de l’OIT relative aux agences d’emploi privées sera utile, mais il est évident que nous devons maintenant pousser plus loin notre réflexion en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
13
Nomination des membres d'une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats a été publiée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean-Claude Lenoir, Ladislas Poniatowski, Louis Nègre, Hervé Maurey, Gérard Miquel, Franck Montaugé et Jean-Pierre Bosino ;
Suppléants : MM. Henri Cabanel, Roland Courteau, Ronan Dantec, Daniel Gremillet, Jean-François Husson, Mme Chantal Jouanno et M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.
14
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 4 mars 2015 :
À quatorze heures trente :
Débat sur les concessions autoroutières.
À dix-sept heures :
Débat sur la situation des maternités.
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes ;
Rapport de M. Michel Mercier, fait un nom de la commission mixte paritaire (n° 248, 2014-2015) ;
Texte de la commission mixte paritaire (n° 249, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART