M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRC de nous donner l’occasion de débattre de cette question importante, en particulier dans le contexte de crise économique et sociale que nous connaissons.
Le diagnostic est connu et partagé : la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays n’est pas satisfaisante, ainsi que de très nombreux rapports l’ont fait ressortir. En 1999 déjà, Anicet Le Pors, dont le nom est souvent cité ce soir, avait rédigé un rapport tendant à améliorer la situation professionnelle et sociale des travailleurs saisonniers du tourisme. Il pointait alors la précarité de ces emplois, qui ne bénéficient pas d’une bonne image : synonymes d’horaires de travail épuisants et de conditions de vie difficiles, ils ne permettent pas de se projeter dans de véritables perspectives de carrières.
Depuis, la situation a bien peu évolué. Force est de constater que le secteur du tourisme, particulièrement dynamique pour l’emploi, cache une bien triste réalité : la précarité des travailleurs saisonniers.
Alors que la France occupe une place très importante dans le tourisme mondial, il convient de rappeler que les travailleurs saisonniers ont un rôle stratégique. Par la qualité de leur travail, ils sont en effet les garants du dynamisme de la filière et de l’attractivité de nos territoires.
Ces travailleurs, de plus en plus nombreux, n’exercent d’ailleurs pas uniquement dans l’industrie du tourisme ou le monde agricole ; ils interviennent aussi dans d’autres secteurs, comme la grande distribution ou la fonction publique, lesquels, avouons-le, dépendent assez peu des saisons ! (Sourires.)
Je l’ai dit, la situation des travailleurs saisonniers est particulièrement précaire. Lors du troisième Forum social des saisonniers, qui s’est tenu en novembre dernier à Chambéry, la profession a dénoncé à nouveau leurs conditions de travail et formulé des propositions qui doivent nous amener à réfléchir à un véritable statut du salarié saisonnier.
Améliorer la situation des travailleurs saisonniers suppose que l’on agisse à différents niveaux pour atténuer cette précarité.
Chaque année, les saisonniers rencontrent des difficultés pour se loger et se rendre sur leur lieu de travail. La pénurie de logements à bon marché est un problème récurrent, qui peut faire obstacle à l’obtention d’un emploi ou entraîner des conditions de vie difficiles.
Du fait de la cherté des loyers, les saisonniers sont souvent contraints de vivre dans des logements de fortune, inadaptés, ou de résider loin de leur lieu de travail, ce qui implique un allongement sensible de leur temps de trajet. Chacun de nous a en mémoire le drame de La Clusaz : en janvier 2013, deux jeunes saisonniers ont trouvé la mort dans l’incendie de leur camion. De telles catastrophes ne sont pas tolérables !
Garantir des conditions satisfaisantes d’accueil et d’environnement professionnel passe également par une amélioration des transports. Dans ce domaine, il faut bien reconnaître que rien n’est fait pour faciliter les trajets des travailleurs saisonniers. En outre, les temps de transport peuvent être très longs dans certaines régions touristiques, notamment à la montagne, où le relief et les intempéries s’ajoutent à la densité du trafic pour rendre les conditions de circulation particulièrement difficiles.
Surtout, la précarité de ces professions résulte de la nature du contrat de travail. Les saisonniers ne bénéficient ni de la prime de précarité, contrairement aux autres salariés sous contrat à durée déterminée, ni de la reconduction de leur contrat. C’est pourtant l’une des principales revendications des salariés de ce secteur.
Lors des débats sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, nous avions été plusieurs dans cet hémicycle et à l’Assemblée nationale – je pense notamment à mon collègue député Joël Giraud – à demander la mise en place de la reconduction automatique du contrat : en cas de non-respect de la clause de reconduction par l’employeur, celui-ci devrait verser au salarié une prime de « non-reconduction », équivalente à la prime de précarité des CDD non saisonniers. L’employeur aurait toutefois la possibilité de ne pas respecter cette clause en cas de motifs réels et sérieux.
Une telle disposition permettrait d’atténuer la précarité dans laquelle se trouvent ces salariés. Malheureusement, le Gouvernement avait à l’époque rejeté cette proposition, au motif de la création d’un groupe de travail sur ce sujet.
Mon groupe avait également proposé de recourir à des CDI intermittents, en l’absence d’accord collectif dans les régions touristiques. Il s’agissait de mettre en place un nouveau droit optionnel permettant une meilleure sécurisation du contrat sur le long terme.
Là encore, le Gouvernement n’a pas donné de suite favorable à notre proposition. En effet, la loi relative à la sécurisation de l’emploi a mis en place, à l’article 24, les contrats intermittents à titre expérimental, dans trois secteurs bien spécifiques : les chocolatiers, la formation et le commerce des articles de sport. Il nous a donc été demandé de laisser cette expérimentation aller à son terme et d’en tirer les conséquences avant d’envisager son extension.
Le Gouvernement devait transmettre au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation avant le 31 décembre 2014, mais il semble que celui-ci n’ait pas encore été publié. Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous des précisions à nous apporter sur ce point ?
En novembre 2013, le groupe de travail présidé par François Nogué a rendu son rapport intitulé « Le tourisme, filière d’avenir », dans lequel il présente un plan de mobilisation national en faveur de l’emploi dans le secteur du tourisme. Ce plan comprend vingt et un leviers d’actions, dont quatre répondent à l’idée majeure selon laquelle il est nécessaire de consolider et de « déprécariser » l’emploi saisonnier.
Si l’auteur de ce rapport invite à développer le contrat de travail intermittent pour les travailleurs saisonniers employés en CDI par deux employeurs, il envisage également la possibilité d’un contrat saisonnier assorti d’une clause de reconduction obligatoire.
Michel Sapin et Sylvia Pinel ont réaffirmé leur détermination à faire de ce rapport un levier d’action immédiat et un socle de réflexion pour l’avenir. Ils ont également souhaité le lancement d’un groupe de travail sur l’emploi et la formation dans le cadre des Assises du tourisme.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelles suites le Gouvernement compte donner au rapport Nogué ?
Enfin, je voudrais me faire le porte-parole de mon collègue Guillaume Arnell en vous transportant dans le cadre enchanteur et paradisiaque de Saint-Martin (Exclamations sur certaines travées.), en passant, bien sûr, par Auray ! (Sourires.)
Le marché de l’emploi dans l’île de Saint-Martin se caractérise par une forte saisonnalité. C’est encore une illustration de « l’envers du décor ». Le secteur du tourisme est principalement concerné : dopé par la défiscalisation dès les années quatre-vingt, il constitue l’un des piliers de l’économie saint-martinoise. Il regroupe de nombreuses activités, parmi lesquelles les branches de l’hôtellerie et de la restauration, qui emploient près de 1 500 salariés.
Dans ce contexte, aggravé par un fort taux de chômage, Saint-Martin rencontre deux problèmes majeurs : tout d’abord, les Saint-Martinois sans emploi sont confrontés à la concurrence des travailleurs ne résidant pas sur l’île à l’année ; par ailleurs, des saisonniers inscrits au chômage à la suite d’une saison effectuée en métropole viennent exercent une activité non déclarée le temps d’une saison sur l’île, ce qui ne manque pas de créer des difficultés.
La situation des travailleurs saisonniers méritait bien un débat. Merci encore au groupe CRC d’avoir proposé son inscription à l’ordre du jour. Les membres du groupe du RDSE sont heureux d’y participer et d’apporter leur contribution à la réflexion. (Bravo ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays est très clairement problématique. C’est pourquoi je remercie nos collègues du groupe CRC d’avoir inscrit cette question à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, ce qui nous permet d’engager ce débat.
Il convient de relever un paradoxe : alors que le travail saisonnier est devenu un élément incontournable de notre économie, les pouvoirs publics n’ont pas accompagné cette évolution majeure de notre marché du travail.
Oui, le travail saisonnier est aujourd’hui un atout clef de l’économie française.
L’Association des lieux d’accueil des travailleurs saisonniers, l’ALATRAS, estime à 1,6 million le nombre de travailleurs saisonniers et pluriactifs sur les quelque 29 millions d’actifs que compte la France. Le travail saisonnier représenterait donc plus de 5 % de l’emploi français. À l’heure où plus personne ne croit à l’inversion de la courbe du chômage, ce chiffre mérite d’être pris sérieusement en considération.
L’emploi saisonnier s’est, bien sûr, énormément développé avec le tourisme. Il recouvre les professionnels mobiles, ayant fait une école hôtelière ou des études de tourisme, les pluriactifs locaux et les jeunes à la recherche d’un premier emploi ou d’un emploi occasionnel.
La France demeurant la première destination touristique du monde, nous ne pouvons négliger ce phénomène.
Dans mon département de Haute-Savoie, par exemple, où les sports d’hiver occupent une place prépondérante dans l’activité économique, le travail saisonnier constitue un véritable poumon.
Le poids économique de l’emploi saisonnier dépasse d’ailleurs le seul secteur du tourisme. En effet, la saisonnalité est protéiforme et il ne faut pas négliger le travail saisonnier induit, avec les activités d’animation et de services à la personne. Le travail saisonnier occupe également une place centrale dans l’agriculture, ainsi que l’évoquera notre collègue Claude Kern tout à l’heure.
Pourtant, plus le travail saisonnier se développe, plus la situation des travailleurs saisonniers, dont nous avons si vitalement besoin, semble se dégrader.
À la suite de notre collègue Jean-Claude Requier, je rappellerai la mort de deux saisonniers dans l’incendie de leur caravane, sur le parking d’une station de mon département, au début de l’année 2013. Ce drame a tragiquement braqué les feux de l’actualité sur la question du logement des travailleurs saisonniers. Mais cette question, pour fondamentale qu’elle soit, ne représente, hélas, que l’un des aspects du problème.
Pour le dire de façon schématique, le problème est qu’il n’existe pas de statut du travailleur saisonnier. Une forme particulière d’emploi, induite par l’évolution de l’activité économique, s’est développée sans que notre droit en accompagne l’essor. Aussi, alors que nombre de travailleurs saisonniers construisent, année après année, une vie professionnelle d’une grande stabilité, leur statut juridique et social demeure placé sous le sceau de la précarité.
La question du logement est d’autant plus prégnante qu’elle doit être rapprochée de l’impossibilité dans laquelle sont les travailleurs saisonniers d’obtenir un prêt bancaire, compte tenu de l’instabilité apparente de leur vie professionnelle.
M. Michel Le Scouarnec. C’est vrai !
M. Loïc Hervé. La question de la pérennisation des contrats saisonniers est tout aussi lancinante. Dans la loi Montagne de 1985, le chapitre IV prévoyait des décrets d’application pour faciliter la pluriactivité et la reconduction des contrats saisonniers. Près de trente ans après, la situation n’a pas évolué.
Quid de la formation ? Le compte formation professionnelle semble totalement inadapté à la situation des travailleurs saisonniers. In fine, les employeurs, qui ne trouvent plus de travailleurs suffisamment qualifiés, en sont réduits à se tourner vers la main-d’œuvre étrangère. Idem en matière de pénibilité : les dispositions législatives sont tout aussi inadaptées, dans la mesure où elles prennent en compte des seuils annuels pour ouvrir d’éventuels droits à un départ anticipé à la retraite. Enfin, l’obligation d’avoir une mutuelle professionnelle oblige les saisonniers à gérer plusieurs contrats qu’ils doivent régulièrement résilier.
On le voit, les lois sociales, même les plus récentes, ne prennent pas en compte la multiactivité et le cumul de contrats.
Face à l’absence de statut juridique et social du saisonnier, employeurs et collectivités ont cependant tenté de réagir. Les exemples en sont nombreux. Pour ma part, je n’ai pas à aller chercher bien loin. Dans mon département, des stations de sports d’hiver ont acheté des immeubles pour y aménager des appartements à destination des saisonniers.
Par ailleurs, les maisons des saisonniers, les espaces saisonniers ou maisons de la saisonnalité se sont multipliés. Saisonniers et employeurs peuvent s’y informer sur toutes les questions liées à la recherche d’emploi, de logement et à la vie dans les stations.
On peut encore citer le partenariat entre les communes de bord de mer, qui prévoit un échange de saisonniers, le Forum des saisonniers organisé depuis douze ans à Saint-Lary-Soulan, l’ouverture d’un guichet initiative pluriactivité emploi, ainsi que la mise en place de Perennitas, un logiciel de gestion de la saisonnalité et de la pluriactivité sur un territoire donné.
On ne peut que saluer ces initiatives. Elles ont toutefois leurs limites : elles ne peuvent complètement remédier à l’absence de statut du travailleur saisonnier.
Ce statut, il appartient aux partenaires sociaux et au législateur de le mettre urgemment en place. De nombreux rapports sont là pour les inspirer : celui d’Hervé Gaymard en 1994, celui d’Anicet Le Pors en 1999, d’Alain Simon en 2003, de François Vannson en 2011 ou, le dernier en date, celui de la mission conduite par François Nogué au mois de novembre 2013. Ces rapports formulent des propositions très concrètes.
L’heure n’est plus aux rapports. Les travailleurs saisonniers attendent qu’une impulsion politique soit donnée.
Monsieur le secrétaire d'État, entendez-vous demander aux partenaires sociaux d’aboutir à un résultat sur ce sujet, quitte à intervenir ensuite sur le plan législatif en cas d’échec des négociations ou, au contraire, pour pérenniser les accords dans la loi ?
L’une des principales demandes des travailleurs saisonniers est la clause de reconduction automatique de leurs contrats.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Loïc Hervé. Cette question pourrait être prioritairement examinée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Catherine Génisson applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes rendu dans la Marne il y a quelques jours. Comme j’étais pris par la session du conseil général, je n’ai pu vous accueillir, mais j’ai suivi de très près votre déplacement. Vous avez pu constater que la viticulture était une économie florissante, qui pesait fortement dans la balance commerciale extérieure – quelque 4,5 milliards d’euros –, mais qui, dans le même temps, connaissait des problèmes. Comme d’autres secteurs, en effet, elle est confrontée aux conséquences de la crise.
Je pense que l’on a dû vous faire part d’un certain nombre de difficultés, notamment celles qui concernent les emplois saisonniers, régulièrement sollicités, en particulier au moment des vendanges.
Au fil du temps – c’est encore plus vrai pour ces dernières années –, les charges sociales ont considérablement augmenté, ce qui commence à peser lourdement sur la viticulture et à mettre en péril un certain nombre d’actions traditionnelles dans le vignoble de champagne ou dans d’autres vignobles.
Qui plus est, la concurrence internationale est particulièrement âpre et les normes de plus en plus contraignantes. Si l’on veut une viticulture raisonnée, encore faut-il conserver les traditions, notamment faire en sorte que l’on puisse assurer des vendanges manuelles et non pas se résoudre à des vendanges à la machine, comme cela peut se faire dans un certain nombre de vignobles.
Mme Annie David. Dans la Marne ?
M. René-Paul Savary. Oui, madame David, les vendanges se font à la main, en Champagne !
Mme Annie David. C’est très bien !
M. René-Paul Savary. C’est particulièrement noble. C’est une technique traditionnelle qui suppose une sélection des raisins et qui contribue à la notoriété de ce vin au prestige mondial, qui fait pétiller les yeux lorsque l’on en parle ! (Sourires.)
Mme Cécile Cukierman. Et aussi lorsqu’on en boit ! (Rires.)
M. René-Paul Savary. C’est une carte de visite extraordinaire !
Au moment des vendanges, le nombre d’emplois créés se révèle particulièrement significatif. De fait, nos concitoyens ne manquent pas de s’interroger, lorsqu’ils voient des vendangeurs venus de l’étranger remplacer cette main-d’œuvre, alors que le taux de chômage est singulièrement élevé, dans ce bassin comme ailleurs.
Il convient d’adresser des signaux à cette profession, qui connaît des difficultés importantes. Il ne faudrait pas que ce coût social supplémentaire conduise les viticulteurs à utiliser d’autres pratiques pour amasser des raisins, notamment la machine à vendanger. C’est la raison pour laquelle nous devons être particulièrement attentifs.
Nous voulons toujours moderniser les pratiques culturales, faire en sorte d’aller vers une viticulture raisonnée. Pourtant, les contraintes sont là, et la remise en cause des contrats vendanges, récemment, pose un certain problème. Jusqu’à présent, une exonération partielle des cotisations sociales visait plus de 8 % du salaire des vendangeurs. La suppression de ce dispositif pèse lourdement sur ces derniers. C’est la raison pour laquelle je souhaitais attirer votre attention sur ce point.
Mme Cécile Cukierman. Quand on voit le prix de certaines maisons de champagne, on a peine à le croire !
M. André Reichardt. Cela n’a rien à voir !
M. René-Paul Savary. Les bénéfices des maisons de champagne sont tout à fait importants, vous avez raison de le signaler, ma chère collègue. Ils permettent d’ailleurs à ces maisons, sur la base des conventions collectives signées depuis un certain nombre d’années, de rémunérer des travailleurs saisonniers ou des travailleurs employés à temps plein au-dessus du SMIC, alors même que ces entreprises ne sont pas du tout concernées par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
M. Michel Le Scouarnec. Oui !
M. René-Paul Savary. En conséquence, quand on prétend que, dans un certain nombre de secteurs, le CICE a apporté aux entreprises des avantages et que l’on pourrait donc, en contrepartie, revenir sur des exonérations de cotisations sociales, on se trompe. C’est inexact, car ce ne sont pas les mêmes qui sont concernés.
M. Jean Desessard. On ne peut pas délocaliser le champagne !
M. René-Paul Savary. Il est heureux qu’une économie florissante tire vers le haut les salaires. Il est heureux que nous ayons, grâce à cela, une balance commerciale positive. C’est tout à fait essentiel à la fois pour ce secteur et pour la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. André Reichardt. Vive la Champagne ! C’est une grande région.
M. Michel Le Scouarnec. Il faut tirer vers le haut !
M. René-Paul Savary. Oui, cher collègue, il est important de continuer à tirer vers le haut, si nous voulons un modèle économique et un modèle social qui tiennent la route et qui soient des facteurs de croissance dans des territoires comme les nôtres, régulièrement mis à mal par d’autres interventions.
Mme Annie David. Tirons aussi vers le haut les salaires !
M. René-Paul Savary. Lorsque le vendangeur a soixante euros ou quatre-vingts euros en moins dans la poche – c’est une somme, lorsque l’on travaille entre une semaine et quinze jours en période de vendanges ! –, on pourrait imaginer que l’employeur compense cette perte par une prime versée à son salarié. Toutefois, le montant des charges patronales est alors multiplié par trois, ce qui n’incite pas l’employeur à combler le manque à gagner !
Pour bien mesurer la situation, il n’est qu’à se pencher sur les chiffres. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, quelque 125 376 vendangeurs pour l’AOC Champagne ont été soumis à ces problèmes liés au contrat vendange, notamment l’absence d’exonération de charges patronales.
Pour une semaine de travail, les charges patronales d’un cueilleur qui est payé 9,43 euros de l’heure…
Mme Annie David. C’est le SMIC !
M. René-Paul Savary. … sont passées de 68 euros en 2012 à 112 euros en 2013. L’écart est encore plus important pour les pressureurs – après avoir cueilli, il faut bien pressurer ! (Sourires.) –, à savoir 55 euros de charges pour une semaine de travail en 2012, contre 482 euros en 2013. C’est considérable !
Ne serait-ce que, pour les vendanges, cela fait une augmentation des cotisations de six millions d’euros à l’échelle de la Champagne, pour huit à dix jours de vendanges.
Mme Annie David. Tant mieux pour la sécurité sociale !
M. René-Paul Savary. Or il est inutile de rappeler que les charges sont déjà très importantes. Pour un seul saisonnier à la taille, les charges patronales sont passées de 75 euros en 2012 à 632 euros en 2013. Cela représente donc un coût supplémentaire particulièrement important ; il fallait le souligner.
Par ailleurs, en tant que président de conseil général, je suis frappé de voir que si peu de bénéficiaires du RSA font les vendanges. La raison en est que le dispositif atteint vite ses limites. Même si l’on note quelques mesures encourageant à cumuler le revenu de solidarité et le revenu du travail, elles ne sont pas suffisamment incitatives.
En effet, les bénéficiaires du RSA sont ensuite pénalisés et un certain nombre de leurs droits sont remis en cause et réduits en raison de ce travail supplémentaire. Ainsi, ce public n’est pas incité à aller vers ce travail qui lui procurerait pourtant un revenu complémentaire.
À l’occasion de ce débat sur le travail saisonnier, je tenais à signaler cette situation, qui touche non seulement des personnes, mais également des secteurs d’activité importants. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier le groupe CRC d’avoir inscrit ce débat sur les travailleurs saisonniers à l’ordre du jour de nos travaux.
Les quelques recherches que j’ai pu mener m’ont montré que ce sujet n’était que trop rarement abordé au Parlement. Cela a été souligné, la dernière occasion d’évoquer cette problématique remonte au projet de loi de finances, avec la fameuse question des contrats vendanges. Selon moi, d’ailleurs, la question avait été abordée davantage du point de vue des employeurs que de celui des salariés.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Henri Cabanel. Cette différence de visibilité des travailleurs saisonniers dans nos débats, par rapport à d’autres salariés plus proches des relais traditionnels, s’explique assez facilement. C’est pourquoi je suis heureux que nous puissions aujourd’hui accorder à ces travailleurs toute l’attention qu’ils méritent.
Aujourd’hui, de 1,5 million à 2 millions de personnes seraient concernées chaque année par un emploi saisonnier, une pratique utilisée majoritairement dans les secteurs agricole et touristique. Les limites de ce statut sont connues : à la différence du CDD, le salarié saisonnier n’a pas droit à la prime de précarité de 10 % à la fin de l’exécution de son contrat.
Les travailleurs saisonniers sont soumis à de nombreux inconvénients et risques professionnels. Outre la précarité inhérente à cette nature d’emplois, ils ne bénéficient pas des formations auxquelles ils pourraient prétendre, subissent un rythme effréné et des horaires décalés et notablement excessifs au regard de la loi, une fatigue et un stress particulièrement nuisibles.
Les principales infractions relevées concernent la sous-déclaration des heures de travail.
Les conditions de transport et de logement sont elles aussi délicates ; cela a été dit, mais je le répète. Nous avons tous en mémoire la mort des deux jeunes saisonniers brulés vifs, évoqués à l’instant par nos collègues.
Pour apporter des réponses durables à ces situations de précarité, quelques solutions existent. Je pense notamment aux groupements d’employeurs, car ce système, véritable exemple de mutualisation, a démontré son efficience.
Dans mon département de l’Hérault, l’emploi saisonnier est majoritairement concentré dans la branche agricole et dans la branche tourisme, qui représentent à elles seules, selon Pôle emploi en Languedoc-Rousillon, près de 24 % des emplois proposés dans le département.
Pour faciliter la création d’emplois durables, différentes actions ont été menées afin de repérer les besoins des entreprises ou des collectivités, d’identifier les complémentarités d’activités entre filières, branches et territoires, et de mener des actions de formation ciblées auprès des publics demandeurs d’emplois pour faire coïncider les compétences et les besoins des entreprises.
Ces actions de structuration de l’emploi saisonnier ont mis en évidence la nécessité de faire coopérer les entreprises en facilitant le partage d’emplois et de compétences pour sécuriser les parcours professionnels et faciliter la création d’emplois pérennes.
Dans l’Hérault, cette solution est l’une des mieux adaptées à l’évolution et à l’amélioration des conditions de l’emploi saisonnier. Elle a donné des résultats probants depuis sa mise en place dans les années deux mille. Près de 148 groupements d’employeurs actifs, dont 70 % de groupements agricoles, ont vu le jour à la suite des actions menées sur les territoires. Au total, 1 500 emplois ont ainsi été créés.
En 2010, à la suite d’un constat de déficit de compétences, la profession agricole a souhaité accompagner la création d’un GEIQ, un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, spécifique aux métiers de la vigne et du vin. Après quatre années d’activités, soixante personnes ont été formées dans le département de l’Hérault, pour cinquante-cinq entreprises adhérentes. Au total, quelque 90 % d’entre elles ont ensuite trouvé un emploi pérenne.
Aujourd’hui, quatre GEIQ sont présents dans l’Hérault. Ils concernent des secteurs très divers : l’agriculture, le bâtiment, l’hôtellerie de plein air et les services à la personne.
Il s’agit d’un exemple concret de réponse au problème de précarité lié à l’emploi saisonnier. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous m’indiquer si vous avez des pistes pour favoriser l’émergence de tels groupements d’employeurs, notamment des aides au démarrage, lesquelles permettraient d’accompagner des emplois qualifiés, qui sont aussi l’une des composantes des groupements d’employeurs ?
Pour revenir au contexte national, comment aborder enfin la question des travailleurs saisonniers sans évoquer les travailleurs venant de pays hors Union européenne ?
Si la situation des travailleurs saisonniers ressortissants de l’Union européenne n’est pas satisfaisante, celle des ressortissants de pays tiers est le plus souvent marquée par le dumping salarial et social, ainsi que par des règles de droit ouvertement bafouées. Sur l’initiative des organisations syndicales, de nombreux exemples d’horaires, de conditions de travail et de logement indignes sont portés chaque année à la connaissance du public et donnent lieu à contentieux.
À cela s’ajoutent les sociétés de service européennes qui, via des contrats de prestations de services, offrent une main-d’œuvre étrangère en toute légalité, à des tarifs défiant toute concurrence – onze euros de l’heure –, sans aucune formalité : pas de bulletin de salaire, pas de déclaration à l’URSSAF, pas de cotisations sociales, une prestation payable sur facture. Les salariés peuvent être nourris et logés par le prestataire, qui retient parfois une partie de leur salaire. Dans la majorité des cas, les règles ne sont pas respectées, notamment en ce qui concerne le taux horaire. C’est scandaleux.
Dans l’Hérault, certains agriculteurs font appel à ces sociétés pour diverses raisons. Il est d’abord très difficile, compte tenu de la pénibilité des tâches et de la flexibilité des horaires – le week-end ou les jours fériés par exemple – de trouver des salariés. Ces sociétés épargnent aux agriculteurs les lourdeurs administratives. Ils n’ont en effet qu’une facture de prestation de services à payer. Cela doit nous conduire à nous interroger fortement sur ces emplois, qui n’alimentent pas la solidarité nationale et qui n’offrent aucune perspective durable aux travailleurs souvent venus de pays d’Amérique latine.
Une directive sur ce sujet a été adoptée par le Parlement européen le 5 février 2014, qui doit obligatoirement être transposée dans les deux ans et demi. Je suis évidemment impatient de voir la traduction dans les faits de cette initiative européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous indiquer les principaux changements attendus par la transposition de cette directive ? J’attends notamment des précisions sur les moyens de contrôle prévus et les sanctions envisagées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)