Mme la présidente. La parole est à le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Avant d’entamer la discussion des articles 2 et 3, il me paraît nécessaire de rappeler de façon claire la logique du travail de la commission sur ces articles qui renforcent la compétence économique des régions.
Dans l’ensemble du projet de loi, la commission a supprimé un certain nombre de transferts de compétences du département vers la région pour ne pas remettre en cause le rôle nécessaire des départements à l’égard de certaines compétences et ne pas les dévitaliser.
Dans un souci d’équilibre, elle a voulu non seulement renforcer – c’est très positif – les compétences laissées à la région, en particulier en matière de développement économique, mais également lui donner des responsabilités complémentaires nouvelles, notamment en matière d’emploi, comme nous le verrons lors de l’examen de l’article 3 bis.
La commission a donc approuvé la logique de clarification des compétences prévues par le projet de loi qui vise particulièrement la suppression de la clause générale de compétence, tout en cherchant à aller un peu plus loin en matière de décentralisation pour la région.
Dans ces conditions, elle a précisé les dispositions des articles 2 et 3 relatives à l’attribution à la région d’une compétence économique renforcée. La région ne serait pas simplement chef de file.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À l’article 2, le contenu du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation a été précisé : celui-ci comporterait non seulement les orientations générales, mais aussi les interventions économiques que la région entend mener. Par ailleurs, la commission des lois a agréé le principe de la compatibilité des actions économiques des collectivités territoriales et de leurs groupements avec le schéma régional approuvé par le préfet, étant entendu qu’il ne s’agit pas d’une obligation de conformité.
J’ajoute que les rapporteurs ont déposé, au nom de la commission, l’amendement n° 1021 visant à énoncer clairement que les compétences économiques des métropoles et des intercommunalités ne sont pas remises en cause par le présent projet de loi, non plus que la loi du 27 janvier 2014. Les actions conduites à ces échelons devront simplement être compatibles avec les orientations fixées dans le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation.
Les rapporteurs défendront également l’amendement n° 1023 tendant à créer, pour l’élaboration de ce schéma, une procédure précise et détaillée faisant intervenir la conférence territoriale de l’action publique et accordant une place particulière aux groupements de collectivités compétents en matière économique, ainsi qu’aux chambres consulaires. Cet amendement vise même à instaurer une sorte de seconde délibération lorsqu’une majorité qualifiée d’intercommunalités émet un avis défavorable sur le projet de schéma.
Cette procédure donnera aux collectivités territoriales infrarégionales et à leurs groupements un vrai droit de regard non seulement sur les orientations générales de la politique régionale dans le domaine économique, mais aussi, je le répète, sur les actions concrètes que la région compte mener, ce que la rédaction initiale du projet de loi ne permettait pas.
En outre, nous examinerons l’amendement n° 698 présenté par Michel Mercier visant à autoriser la signature de conventions avec les intercommunalités pour la mise en œuvre du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation.
L’ensemble de cette procédure imposera à la région une véritable co-élaboration du schéma. Notre objectif est clairement d’éviter que ce schéma ne soit élaboré par la région de façon unilatérale. En vérité, si la région veut donner à ce document une portée réelle, elle devra l’élaborer et le mettre en œuvre en liaison étroite avec les intercommunalités et les métropoles. Il n’y aura pas de jacobinisme régional !
S’agissant en particulier des métropoles, le projet de loi prévoit une procédure spéciale d’élaboration et d’adoption conjointes des dispositions du schéma qui les intéressent. L’obligation de s’entendre sera plus forte dans le cas d’une région traitant avec une métropole, car on ne peut imaginer que les deux s’ignorent dans le domaine de l’action économique (M. Michel Delebarre acquiesce.) ; des interventions coordonnées sont nécessaires dans l’intérêt de l’ensemble des territoires de la région, tant il est vrai que le rayonnement économique de la métropole s’étend à tout le territoire régional, et même parfois au-delà.
À l’article 3, la commission des lois a prolongé la logique du projet de loi en matière de clarification des compétences et de limitation des financements croisés dans le domaine économique. Elle a souhaité donner aux régions et aux métropoles des responsabilités équivalentes pour le soutien aux pôles de compétitivité et pour le pilotage de ceux-ci. Ces précisions devraient dissiper un certain nombre d’inquiétudes et satisfaire un certain nombre de préoccupations à l’origine de divers amendements.
Peut-être conviendra-t-il aussi d’envisager la question de la période transitoire précédant l’adoption des schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. De fait, les départements interviennent aujourd’hui beaucoup dans ce domaine.
M. Michel Bouvard. C’est bien de s’en souvenir !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’en suis parfaitement conscient, mon cher collègue, d’autant plus que je suis conseiller général ! (M. André Reichardt rit.)
Je vous rappelle enfin qu’une collectivité territoriale n’est pas obligée de tout faire : en vertu de l’article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales, elle peut déléguer l’exercice de certaines de ses compétences. Cette procédure est mise en œuvre tous les jours, et je vous supplie, mes chers collègues, de laisser vivre ce droit conventionnel, qui est certainement l’un des moyens les plus fructueux de favoriser la coopération entre collectivités territoriales !
Tel est l’esprit dans lequel la commission des lois a travaillé, et telles sont les conclusions auxquelles elle est parvenue.
M. André Reichardt. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Collomb, sur l'article.
M. Gérard Collomb. Je tiens tout d’abord à remercier M. le rapporteur de la façon dont il guide nos débats. Après tout, il est dans l’opposition ; sur un certain nombre de sujets, il pourrait se dire : c’est le texte du Gouvernement, laissons aller ! Or il ne le fait pas. Au contraire, il nous exhorte, les uns et les autres, à suivre, même sur les questions un peu rugueuses, une ligne de conduite tendue vers l’intérêt général.
M. André Reichardt. En effet !
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. Gérard Collomb. Comme vous, mes chers collègues, je me suis rendu tout à l’heure aux vœux de M. le président du Sénat. Ce dernier a souhaité que la Haute Assemblée n’adopte pas une attitude d’opposition systématique au Gouvernement, mais qu’elle recherche avec celui-ci des solutions communes, dans l’intérêt de notre pays.
M. Bruno Retailleau. Ça n’a pas toujours été le cas !
M. Gérard Collomb. Au commencement de ce débat sur les compétences économiques, il me paraît nécessaire de procéder à un examen de la situation de notre pays.
Depuis le début de la crise, en 2008, nous avons perdu 280 000 emplois salariés et 700 000 emplois industriels. C’est dire si la situation est grave !
Avec un certain nombre d’amis sénateurs, j’ai rencontré, à midi, l’un des meilleurs observateurs de l’évolution économique de notre pays et de ses territoires : M. Laurent Davezies, dont les livres, que je vous invite à lire, jettent sur l’état de notre pays un éclairage selon moi extrêmement fécond.
Or que dit M. Davezies ? Grosso modo, qu’il s’est produit un changement considérable : le système productif d’aujourd’hui n’est plus celui des années soixante et soixante-dix, et celui des prochaines années ne le sera pas davantage. En particulier, dans l’actuelle économie de la connaissance, la croissance est de plus en plus enregistrée là où le monde universitaire et de la recherche est interconnecté à une masse critique d’entreprises.
Or, mes chers collègues, c’est très largement au sein des métropoles que ces conditions sont réunies. Remarquez qu’il s’agit non pas d’un a priori idéologique, mais d’un constat : de fait, c’est dans les métropoles que la croissance est réalisée et que des emplois continuent d’être créés, alors qu’ailleurs on en perd.
Dès lors, il est légitime de s’interroger sur les relations qui doivent être nouées entre les métropoles et les périphéries, y compris les départements hyper-ruraux. À cet égard, je souscris à plusieurs des propos qui ont été tenus cet après-midi ; en particulier, j’ai trouvé excellente l’intervention de M. Alain Bertrand.
C’est en effet dans ces relations que réside la solution, car les métropoles ne se développent pas au détriment du reste du territoire. Au contraire, là où une métropole existe, tout l’hinterland en bénéficie, comme on le constate sur le terrain ; et c’est lorsqu’il n’y a pas de métropole que des difficultés apparaissent. Aussi devons-nous peut-être inventer de nouveaux systèmes de coopération et de partenariat entre les grandes métropoles et un certain nombre de territoires hyper-ruraux. (M. Alain Bertrand acquiesce.)
Mes chers collègues, il est vrai que les grandes métropoles sont riches, qu’elles produisent de la richesse, mais elles en redistribuent aussi. Ainsi, M. Davezies a calculé que la part de l’Île-de-France dans le PIB de notre pays – je prends l’exemple de cette région pour ne pas être accusé de parler pour ma paroisse, si je puis dire… – avait crû de 27 à 31 %, tandis que la part du total des revenus perçu par les franciliens avait baissé de 25 à 22,5 %. En d’autres termes, les métropoles jouent un rôle redistributif extrêmement important, par l’intermédiaire de leurs prélèvements sociaux et de ce que Laurent Davezies appelle l’« économie résidentielle ».
Si nous voulons avancer dans ce débat, et surtout réussir à faire sortir notre pays de la crise, nous devons imaginer une coopération entre, d’une part, les métropoles et les régions et, d’autre part, les territoires qui se trouvent hors de la sphère d’influence des métropoles : c’est dans cet esprit qu’il convient, selon moi, d’examiner la question des compétences économiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Alain Bertrand et André Reichardt applaudissent également.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, sur l'article.
M. François Patriat. Au cours de la séance du 28 octobre dernier, M. le Premier ministre a souligné sa volonté de favoriser l’essor de régions fortes, de régions « qui devront bénéficier de leviers puissants, de leviers stratégiques, pour préparer leur avenir et celui de notre pays. »
Je tiens à réaffirmer avec force que, contrairement à ce que j’entends souvent, les régions ne réclament rien ; elles ne réclament aucune compétence supplémentaire et, en particulier, elles n’entendent pas prendre celles des départements. (M. René-Paul Savary s’exclame.) Elles demandent seulement les moyens d’assumer pleinement leurs missions, notamment les deux missions essentielles que le présent projet de loi leur confère : l’aménagement du territoire et le développement économique.
Leur rôle majeur dans le domaine économique se traduit par le pilotage du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation et par la définition des régimes d’aides aux entreprises. Il est en effet nécessaire que ce travail soit accompli à une échelle géographique permettant la mobilisation de l’ensemble des partenaires utiles, depuis les acteurs de la recherche jusqu’à ceux du financement, en passant par ceux de la formation : il ne saurait donc être réalisé à un échelon infrarégional – ce propos est complémentaire de celui que vient de tenir M. Collomb.
Les rapports Gallois et Queyranne-Demaël-Jürgensen ont dressé un constat sans appel : les interventions économiques des pouvoirs publics sont fragmentées, sédimentées et ne sont pas majoritairement orientées vers la compétitivité de demain, fondée sur les « quatre I » que sont l’investissement, l’industrie, l’innovation et l’international. Alors que l’on confie aux régions une compétence majeure dans le soutien au développement économique, il faut leur donner les leviers d’action leur permettant d’accompagner le redressement économique.
L’article 2 du présent projet de loi consacre un nouvel outil de planification : le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, que M. le rapporteur vient de présenter. Ce document stratégique, conçu à la lumière des expérimentations menées depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, assurera, selon moi, la cohérence des interventions économiques des collectivités territoriales, dans un souci de clarification des compétences et d’amélioration de la lisibilité.
Les modalités de co-élaboration de ce schéma par les régions, les collectivités territoriales infrarégionales et leurs partenaires vont faire l’objet d’un débat nourri. Prescriptif, ce document définira les orientations en matière d’aides aux entreprises, de soutien à l’international et d’investissement immobilier ; il permettra d’assurer la complémentarité des actions menées par l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements, et d’éviter que les aides versées par ceux-ci ne soient des vecteurs de délocalisation des entreprises au sein de la région ou au détriment des régions limitrophes.
Il s’agit, je le répète, d’améliorer la lisibilité des interventions, mais aussi, notamment, de simplifier les procédures et de réduire la dispersion des moyens, tous objectifs auxquels tiennent fortement les entreprises et les collectivités territoriales.
Seulement, madame la ministre, monsieur le rapporteur, j’ai quelques bémols à formuler. En effet, cette architecture de la compétence économique impose au législateur de clarifier l’action publique en faveur des entreprises, en octroyant à la région une compétence exclusive pour ce qui concerne les interventions économiques directes et indirectes qui devra être exercée en liaison avec l’exercice par le bloc communal de sa compétence exclusive en matière immobilière et de foncier d’entreprise – une compétence que les régions reconnaissent tout à fait.
À cet égard, l’amendement n° 758 rectifié du Gouvernement vise à supprimer la notion d’interventions économiques en tant que compétence exclusive des régions au prétexte, selon son objet – j’en suis quelque peu étonné – qu’elle restreindrait la capacité des EPCI en matière de création de zones industrielles. L’expression « interventions économiques » a pour finalité, au contraire, de couvrir, au-delà de la simple allocation d’aides directes aux entreprises, l’ensemble de ce que l’on appelait auparavant les « aides indirectes ».
L’objectif est bien de proposer un interlocuteur unique à toutes les entreprises du territoire régional en matière d’interventions économiques hors secteurs immobilier et foncier, et de mettre en cohérence au sein d’un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation co-élaboré l’ensemble des interventions en faveur des entreprises, afin que ces dernières s’approprient les stratégies régionales.
Enfin, je m'exprimerai sur les capacités de financement de l’action publique en cohérence avec ces deux compétences exclusives, et mes propos feront sans doute réagir certains d’entre vous, mes chers collègues. En effet, le projet de loi supprime les compétences des départements en matière d’interventions économiques sans prévoir, dans le même temps, l’octroi aux régions des ressources correspondantes. Cette situation met gravement en péril les entreprises susceptibles d’en bénéficier à l’heure où elles ont pourtant plus que jamais besoin d’être soutenues et accompagnées.
Il est donc nécessaire que l’exercice des deux compétences exclusives susvisées s’accompagne d’un transfert de fiscalité permettant de redéployer vers les régions et le bloc communal la somme de 1,6 milliard d’euros que les départements consacraient jusqu’alors au soutien aux entreprises, sous peine de voir baisser l’effort national en faveur des entreprises.
Par ailleurs, comme le Premier ministre l’avait dit, il convient de tirer les conséquences sur la fiscalité économique de la clarification proposée sur les compétences en matière de développement économique en redistribuant la CVAE aux deux seuls échelons qui disposeront d’une compétence exclusive en l’espèce, à savoir l’échelon communal-EPCI-métropoles et les régions. (M. René-Paul Savary s'exclame.) C’est l’objet de deux amendements que je présenterai tout à l'heure.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 195 est présenté par M. Collombat.
L'amendement n° 825 est présenté par M. Favier, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L'amendement n° 195 n'est pas soutenu.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 825.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement, de principe, tend à la suppression de l’article 2, pour quatre raisons essentielles.
Si nous ne sommes pas opposés au renforcement des compétences économiques des régions, nous ne pouvons accepter qu’il intervienne sans la moindre réflexion, sans la moindre proposition en termes de moyens financiers et budgétaires en faveur de celles-ci pour leur permettre de mettre en œuvre ces compétences et de faire face à leurs obligations.
De même, nous ne pouvons accepter qu’aucun objectif ne soit fixé à un tel développement des actions économiques des régions, hormis celui de veiller à ce que ces actions ne contribuent pas aux délocalisations au sein de la région ou d’une région limitrophe. Rien n’est déterminé en termes d’emploi, de conditions de travail, de formation, d’élévation des qualifications ou d’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Rien n’est non plus prévu en matière de contrôle des fonds publics ainsi utilisés.
Nous ne pouvons pas non plus accepter que le renforcement de cette compétence économique des régions s'effectue au détriment de la libre administration des autres collectivités qui mènent des actions dans ce domaine et qui, demain, ne le pourront plus.
Cela dit, l’article 2 crée un nouveau concept, une nouvelle notion juridique non prévue par la Constitution, avec laquelle elle entre même en contradiction : il fait de la région la collectivité responsable des orientations en matière de développement économique, et donne de ce fait à cette dernière une tutelle sur les autres collectivités, ce qui est en principe rigoureusement interdit par notre loi fondamentale.
Enfin, pour que la région puisse imposer ces orientations et les rendre opposables aux autres collectivités, le préfet est appelé à approuver le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. Ce faisant, le texte rétablit un contrôle a priori des préfets sur l’action de la région et, par ricochet, sur celle des autres collectivités.
Nous ne pouvons donc pas davantage accepter ce recul en matière de décentralisation par la remise en cause de l’un des piliers essentiels des lois de 1982 qui ont justement aboli la tutelle préfectorale et son contrôle a priori, remplacé par un contrôle a posteriori.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission tenant beaucoup à l’article 2, elle ne peut qu’être défavorable à sa suppression !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le Gouvernement avait proposé un système équivalent. À l’issue du travail de la commission, des avancées intéressantes ont été réalisées, et d’autres évolutions auront probablement lieu.
Quoi qu’il en soit, madame Assassi, vous dites qu’il n’y a pas de conditionnalité en matière de formation professionnelle ou d’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Mais on ne peut à la fois défendre la liberté des collectivités locales et demander que la loi fixe les conditions, y compris politiques, d’exercice des compétences ! (Mme Éliane Assassi s'exclame.) Et la conditionnalité des aides relève justement de l’assemblée délibérante, qui sera jugée en fonction de la mise en œuvre de celles-ci.
Si nous définissions le type de conditionnalité de telle ou telle collectivité, mieux vaudrait en revenir à la situation qui prévalait avant la décentralisation, et ne plus rien décentraliser du tout !
Mme Éliane Assassi. Et la clause de compétence générale ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. La conditionnalité des aides est un vrai sujet, et suscite débat depuis longtemps. Autant je pense que vous avez parfaitement raison de souligner son intérêt, autant il me paraît évident qu’elle ne saurait relever de la loi, mais relèvera seulement de chaque assemblée.
Par ailleurs, quand une collectivité a la responsabilité du développement économique et de la cohérence de l’action, elle est responsable de tous les territoires. Cette notion de responsabilité – il s’agit de s’interroger sur ce que l’on fait et sur la façon de rendre compte – ne me gêne pas du tout.
Madame Assassi, votre amendement étant en totale opposition avec projet de loi, le Gouvernement ne pourra qu’y être très défavorable si vous le mainteniez, ce que je crains…
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Collomb, pour explication de vote.
M. Gérard Collomb. La position que je défends me paraît équilibrée.
Les régions ne peuvent pas dire aux métropoles qu’elles accapareront tout le pouvoir en termes d’innovation, de matière grise en ne leur laissant que la construction des murs. Aucun président de métropole, quelle que soit sa couleur politique, ne pense qu’il n’est pas de son devoir de favoriser le développement économique sur son territoire en faisant travailler ensemble les universitaires, les chercheurs, les entrepreneurs… Encore aujourd'hui, ce n’est pas facile, mais l’on commence à fabriquer des écosystèmes performants. Alors je vous le dis : on ne peut pas casser cela, sauf à détruire toute la dynamique existante.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais on ne le casse pas !
M. Gérard Collomb. Pour ma part, je pense qu’il faut trouver une juste articulation entre ce que doivent respectivement faire les régions et les métropoles.
Par ailleurs, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que, demain, nos débats seront lus et interprétés par le juge administratif quand un conflit éclatera sur tel ou tel point. S'il apparaît que nous avons décidé que la région s'occupe de manière exclusive de l’innovation ou du développement économique, vous vous exposerez à des difficultés pour développer certains projets.
Je vais prendre un exemple. À Lyon, les sciences du vivant sont fondamentales : la moitié du développement de la ville en découle. Or si, demain, la majorité régionale choisit de renoncer au développement d’un laboratoire P4 – on y manipule des virus du type Ebola – pour des raisons qui lui sont propres et ne l’inscrit pas dans le schéma, alors les sciences du vivant seront, en quelque sorte, jetées à la poubelle !
Si nous allons dans cette direction, nous rencontrerons de grandes difficultés au cours des prochaines années. C'est pourquoi je souhaite que la position équilibrée retenue par la commission soit acceptée.
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 826, présenté par M. Favier, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Il s'agit d’un amendement de repli.
Dans la filiation des réformes de 2004, qui ont introduit dans la Constitution la notion de « chef de file », la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles a désigné la région comme chef de file dans le domaine de l’action économique.
Les alinéas 2 et 3, dont nous demandons la suppression, abrogent de fait ce chef de filat.
Certes, nous n’avons pas soutenu la loi précitée, non parce que nous refusions le travail en commun, nécessaire, des collectivités territoriales, mais parce que nous estimions qu’octroyer à une collectivité la mission d’organiser l’action publique de toutes les collectivités dans un domaine donné était contraire au principe de libre administration.
Nous aurions préféré, comme nous l’avions alors expliqué, que les chefs de file coordonnent et impulsent l’action publique, sans en être forcément les organisateurs.
Or le texte qui nous est soumis ce jour va encore plus loin dans la remise en cause du principe de libre administration, car, comme nous venons de le voir, il fait de la région la collectivité responsable de l’action économique. Son schéma s’imposera aux autres collectivités, celles-ci ne pouvant plus intervenir.
Finalement, nos craintes se sont révélées fondées. L’objectif était bien de ficeler, d’encadrer l’action des collectivités par le biais de la détermination et de la mise en place des chefs de file, qu’il faut aujourd'hui redéfinir.
Mais cela n’étant pas encore suffisant, vous nous proposez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, d’entraver encore plus l’action de ces collectivités en instituant une véritable tutelle de l’une sur les autres.
Parce que nous le refusons, nous vous soumettons, mes chers collègues, cet amendement qui tend à la suppression des alinéas 2 et 3 de l’article 2.
Mme la présidente. Les quatre amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 167 rectifié est présenté par MM. Grand et Lemoyne.
L'amendement n° 225 est présenté par M. Nègre.
L'amendement n° 653 est présenté par M. Collomb.
L'amendement n° 682 est présenté par Mme Micouleau.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l’amendement n° 167 rectifié.
M. Jean-Pierre Grand. Nous sommes au cœur du sujet. Dès lors que l’on supprime la qualité de chef de file en matière de développement économique, il s'ensuit évidemment l’attribution d’une compétence presque exclusive aux régions. Mais alors, pourquoi avoir créé les métropoles ? Tous les présidents de métropole ne peuvent imaginer une seconde qu’ils n’auront plus de compétence économique ! Certes, on nous dit qu’une partie demeurera… Monsieur le maire de Lyon, vous avez raison de rappeler que la justice sera susceptible de rendre des décisions remettant en cause celles des métropoles.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, j’ai de bonnes raisons pour vous tenir ce discours. Au départ, j’étais opposé à la métropole de Montpellier. En effet, à la différence des autres métropoles, nous n’avions pas eu le sas de décompression, si j’ose dire, de la communauté urbaine, et j’avais estimé à l’époque que passer directement de la communauté d’agglomération à la métropole méritait, à tout le moins, discussion. La commission mixte paritaire a fait en sorte que la transformation de Montpellier – de même que celle de Brest, me semble-t-il – en métropole nécessite le vote des communes et du conseil d’agglomération.
Je me suis rangé à cette idée, dans la mesure où je savais que la métropole aurait avec la région une compétence partagée, à nos yeux essentielle, dans le domaine économique. Je travaille toutes les semaines avec ma collègue de Toulouse dans le cadre de l’élaboration de la future grande région. Nous parlons non pas de football, mais bel et bien d’économie !
Pouvez-vous imaginer que la métropole de Montpellier ou celle de Toulouse pourraient, demain, ne jouer aucun rôle dans le domaine économique, lequel serait uniquement dévolu à la région ? Ce n’est pas possible dans des villes universitaires, où la recherche explose et où les industries qui y sont liées émergent et enregistrent des résultats fantastiques.
Je demande donc que l’alinéa 2 de l’article 2 soit supprimé. Sinon, tout le travail, toute la volonté des élus, toute la beauté de l’action commune et partagée entre nos régions et nos métropoles seraient réduits à zéro ! On ne peut pas repartir dans nos territoires en devant expliquer que le Sénat de la République a supprimé aux métropoles la compétence économique.