M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la gestion et la prévention des risques industriels et technologiques se sont brutalement imposées à nous après l’accident survenu à l’usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001. Les pouvoirs publics, que ce soient l’État, les parlementaires ou les collectivités, ont souhaité en tirer immédiatement les conséquences par la loi dite Bachelot du 30 juillet 2003. Son objectif était de renforcer les modalités de prévention des risques technologiques et naturels, et d’améliorer l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques.
L’insuffisante prise de conscience de l’existence du risque à tous les niveaux de la société et le fait que le risque zéro n’existe pas ont poussé le législateur à mettre en œuvre des mesures responsabilisant tous les acteurs : industriels, élus et citoyens. Parmi celles-ci, la mesure essentielle de cette loi fut l’élaboration des plans de prévention des risques technologiques, ou PPRT.
Ces PPRT sont des outils de maîtrise de l’urbanisation qui doivent normalement permettre de résoudre les situations difficiles en matière d’urbanisme héritées du passé et de mieux encadrer l’urbanisation future, en déterminant un zonage en fonction du type de risques et de leur gravité.
Ils concernent tous les établissements soumis au régime de l’autorisation avec servitudes s’apparentant aux sites Seveso seuil haut et visent à améliorer la coexistence des sites industriels à hauts risques existants avec leurs riverains, en améliorant la protection de ces derniers tout en pérennisant les premiers.
C’est tout cet équilibre entre prévention du risque et maintien de l’activité économique et de l’emploi qui constitue la principale difficulté des PPRT. Un subtil mélange qui a parfois fait naître des tensions entre les différents acteurs, y compris avec les collectivités et leurs élus, qui jouent un rôle de modérateur et de conciliateur défendant au mieux les intérêts de leur territoire et de leurs habitants.
La proposition de résolution qui nous est présentée pointe du doigt de réelles difficultés, mais prévoit une solution excessive.
Nos collègues du groupe CRC, auteurs de cette proposition de résolution, considèrent que les PPRT ne sont pas adaptés aux objectifs qui leur sont attachés. Ils estiment que les difficultés de mise en place de ces PPRT se traduisent par de fortes insécurités pour les riverains des sites Seveso et qu’ils ne respectent pas l’esprit de la loi initiale. Ils considèrent qu’il faut revoir la législation pour améliorer la sécurité et la sûreté des citoyens, diminuer le danger à la source, revoir les modes de financement et redéfinir la notion d’« économiquement acceptable ».
Les objectifs sont louables et peuvent être partagés ; néanmoins la solution prévue par cette proposition de résolution, à savoir un moratoire sur les PPRT, est disproportionnée.
Un moratoire signifie un arrêt total de la mise en place des plans de prévention pour les 25 % restants. Ce serait nuisible aux riverains, aux industriels, aux collectivités et, au final, à la sécurité générale. Un moratoire signifie que ce qui avait été proposé, et donc les PPRT existants, ne répond pas aux objectifs de prévention des risques. Tel n’est pas le cas.
Un moratoire introduit selon nous une véritable insécurité juridique préjudiciable aux riverains et à l’économie locale. Ce n’est donc pas la bonne méthode pour traiter des questions de sûreté industrielle.
De premières adaptations de la loi de 2003 ont été mises en œuvre, mais une réflexion plus globale est nécessaire. Eu égard aux difficultés déjà exprimées ici, des mesures d’adaptation ont été prises, tout en garantissant l’attractivité et la compétitivité de notre pays.
Ainsi, une circulaire du 25 juillet 2013 fixe les modalités particulières pour l’élaboration des PPRT des principales plateformes économiques du territoire. Il s’agit de permettre l’implantation de nouvelles activités dans certains grands ensembles industriels tout en maintenant un haut niveau de sécurité. Les PPRT sont alors envisagés comme un atout pour le développement industriel.
La circulaire définit les principales règles qui seront applicables aux grandes plateformes industrielles. Pour ces entreprises disposant d’une culture du risque technologique, les extensions ou nouvelles implantations seront autorisées sous réserve de protéger les salariés exposés aux risques.
De plus, dans le cadre du projet de loi de simplification des entreprises récemment adopté, un amendement gouvernemental visant à adapter les dispositions PPRT aux activités économiques a été voté.
Deux nouvelles dispositions visent donc à lever les difficultés d’application pour les entreprises riveraines des sites à risques.
La première consiste à offrir la possibilité à ces entreprises de mettre en œuvre des mesures alternatives aux mesures d’expropriation et de délaissement. Celles-ci pourront bénéficier d’un financement tripartite - industriels à l’origine du risque, État, collectivités -, dans la limite du montant des mesures foncières évitées.
La seconde disposition consiste à assouplir les obligations de travaux de renforcement des locaux des entreprises riveraines, en ouvrant le recours à d’autres méthodes de protection des personnes, telles que des mesures organisationnelles dans le cadre des autres réglementations applicables.
Ces nouvelles mesures ont déjà permis d’approuver 300 PPRT sur les 407 à réaliser en France. Leur nombre a donc significativement augmenté depuis le moment où nos collègues ont déposé leur proposition de résolution.
Ces adaptations par petites touches viennent tout de même conforter l’analyse globale de la nécessaire adaptation de la loi Bachelot de 2003. Il nous revient, en tant que sénateurs, de contrôler la bonne application de la loi et de son esprit. C’est pourquoi, mes chers collègues, plutôt qu’un moratoire, je vous propose que notre assemblée se saisisse de ce sujet et réalise un véritable travail de contrôle, sous la forme d’un rapport d’information.
À l’issue de ce travail, nous pourrions proposer toutes les mesures législatives nécessaires pour améliorer le droit existant. Nous ferions ainsi œuvre de production législative sans créer de rupture avec ce qui existe déjà.
En conclusion, mes chers collègues, vous comprendrez que le groupe UDI-UC sera défavorable à l’adoption de cette proposition de résolution.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en septembre 2001, l’usine AZF de Toulouse explose, causant 31 décès, 2 242 blessés et détruisant 30 000 foyers. La France découvre alors qu’une partie de ses citoyens vit exposée à des risques industriels majeurs, conséquence d’une urbanisation toujours plus proche des sites industriels.
En mars 2013, le dégagement accidentel, dans l’usine de Lubrizol, près de Rouen, d’un produit dont l’odeur est proche de celle du gaz naturel est ressenti jusqu’à Paris, provoquant la panique dans son sillage ; de nombreux services de secours seront submergés.
Entre ces deux accidents aux origines et conséquences bien différentes, douze ans ont passé. Douze ans pendant lesquels la question des risques industriels a fait l’objet de plans d’action gouvernementaux mis en musique via des lois, décrets et autres circulaires... Douze ans de construction d’une culture du risque en France qui peine encore à se développer.
Toutefois, force est de constater que les acteurs locaux concernés que sont les collectivités et les industriels semblent avoir entamé un dialogue à travers les PPRT.
Cet outil ne concerne pour l’instant que les sites les plus dangereux de type Seveso, classés comme tels du fait de la présence en quantité importante de substances dangereuses.
La directive européenne 96/82/CE, dite « directive Seveso », distingue deux types d’établissements selon la quantité totale de matières dangereuses stockées ou utilisées : les établissements Seveso « seuil haut » et les établissements Seveso « seuil bas ».
Si les mesures de sécurité et les procédures prévues par la directive varient selon le type d’établissements afin de conserver une certaine proportionnalité, l’étude de dangers constitue la clef de voûte du dispositif. Elle sert de base à l’élaboration des PPRT en France, et vise à minimiser les risques à la source, à prévoir les effets d’un accident, à limiter les dégâts humains et matériels sur site et en dehors et à organiser le recours aux services de secours, le tout en relation avec les collectivités.
Les industriels doivent également, depuis peu, travailler de concert. C’est en tout cas ce que souhaite l’État français à travers sa nouvelle doctrine, présentée en avril 2013, en matière de gestion des risques industriels : mutualisation des procédures, des équipements de protection, des études de dangers... L’exercice semble déroutant pour les industriels : alors qu’ils commencent seulement à maîtriser le dialogue avec les collectivités, les voilà sommés d’échanger entre eux ; un exercice à l’épreuve du terrain.
Que ce soit en France ou en Europe, les politiques de gestion des risques industriels se construisent donc au rythme des accidents. Ce retour d’expérience est nécessaire et participe progressivement à la mise en place d’un dialogue entre les acteurs locaux concernés.
Votée à la suite de la catastrophe d’AZF de 2001, la loi du 30 juillet 2003, dite « loi Bachelot », prévoit la mise en place de PPRT autour des installations à « haut risque » et une meilleure maîtrise de l’urbanisation autour de ces sites via des actions de protection.
L’usine AZF, classée Seveso 2, propriété de la société Grande Paroisse, filiale de Total, avait alors été entièrement détruite. L’ancien site chimique, qui s’étendait sur soixante-dix-huit hectares, a aujourd’hui fait place à un projet de cancéropôle, après une opération de dépollution de la zone – menée par Total – qui aura duré trois ans, de la fin de l’année 2004 à 2007.
L’explosion de l’usine AZF a donc mis en lumière les failles de la gestion du risque industriel en France. Si, jusqu’à la catastrophe, la législation visait avant tout une prévention du risque à la source dont l’effort portait essentiellement sur l’exploitant, la loi Bachelot a impliqué l’État, les collectivités locales et les citoyens.
Quelle est la méthodologie des PPRT ?
La loi Bachelot a fixé un nouveau cadre méthodologique autour de ses sites à risque en créant les PPRT. Ces plans délimitent un périmètre d’exposition aux risques autour des installations classées à haut risque, à l’intérieur duquel différentes zones peuvent être réglementées en fonction des risques.
L’étude de dangers constitue la base de la maîtrise de l’urbanisation et de la délimitation du périmètre des plans, dans le but d’assurer la coexistence des sites avec leur environnement, dans des conditions sécuritaires.
Il s’agit de prévenir les risques d’accident et de pollution liés aux installations industrielles et agricoles – notamment les installations classées pour la protection de l’environnement –, aux canalisations de transport de fluides dangereux, à l’utilisation d’explosifs, au transport de matières dangereuses, aux équipements sous pression et à la distribution et à l’utilisation du gaz.
Après une phase de réduction des risques à la source, le PPRT est ainsi prescrit sur un périmètre d’étude issu de l’étude de dangers du site.
Après instruction technique, concertation et enquête publique, le PPRT est approuvé par le préfet et annexé aux différents documents d’urbanisme – plan local d’urbanisme, ou PLU, schéma de cohérence territoriale, ou SCOT, et programme local de l’habitat, ou PLH.
Il prévoit des restrictions sur l’urbanisme futur : restrictions d’usage et règles de construction renforcées. Des aménagements ou des projets de construction peuvent être interdits ou subordonnés au respect de prescriptions. Dans ces zones, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents peuvent instaurer un droit de préemption urbain.
Les PPRT peuvent également prescrire des mesures foncières de protection des populations sur l’urbanisation existante la plus exposée. Ces mesures doivent être prises par les propriétaires et exploitants. Des mesures supplémentaires sont prévues pour réduire le risque à la source sur les sites industriels, si elles sont moins coûteuses que les mesures foncières qu’elles évitent.
Les plans peuvent encore définir des secteurs à l’intérieur desquels l’expropriation peut être déclarée d’utilité publique pour cause de danger très grave menaçant la vie humaine, et ceux à l’intérieur desquels les communes peuvent instaurer un droit de délaissement.
Un plan ministériel a été mis en œuvre pour lever les « blocages » des PPRT.
Les PPRT prévoient des travaux de renforcement à effectuer sur les constructions voisines existantes pour en réduire la vulnérabilité. Toutefois, le financement tripartite – État, industriels, collectivités – de ces travaux a été au cœur des blocages : 407 plans devaient être validés au 31 juillet 2008 ; ils n’étaient que 248, soit un taux de 61 %, à être mis en place au 1er novembre 2013, selon les chiffres du ministère de l’écologie.
L’incident de l’usine chimique Lubrizol, à la fin de l’année 2013, à Rouen, a poussé le ministère à présenter le 11 avril 2013 un nouveau plan d’action afin d’accélérer la mise en œuvre des PPRT : l’objectif est que 75 % d’entre eux soient approuvés à la fin de 2013, et 95 % à la fin de 2014. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Quelles sont les raisons de ce retard ? Outre le financement des travaux prescrits chez les riverains, on regrettera l’absence de mesures d’accompagnement des propriétaires des biens concernés par la mise en œuvre des PPRT.
On pourra évoquer également la complexité des études préalables à mener et la difficulté éprouvée par certains industriels pour finaliser la réduction du risque à la source.
Je tiens ici à saluer l’effort de la plupart des industriels, qui ont investi 200 millions à 300 millions d’euros par an afin de réduire les risques de leurs établissements.
Ces investissements ont permis à ce jour de réduire les zones soumises aux mesures foncières d’environ 350 kilomètres carrés, tandis que près de 2 000 études de dangers ont été instruites.
Autres obstacles pointés : les procédures actuellement applicables sont redondantes et les collectivités de taille modeste ne disposent pas toujours des compétences pour les mener à terme.
Face à ces retards, un nouveau plan de prévention des risques technologiques prévoit douze mesures visant à répondre aux attentes des riverains, élus et industriels.
Il s’agit d’abord de mobiliser les moyens de l’État, notamment par l’élaboration d’un planning ambitieux inscrit dans la circulaire datée du 11 avril 2013 adressée aux préfets.
J’en viens aux pistes de financement des travaux riverains.
Côté financement, l’adoption d’un amendement de notre collègue député Yves Blein en juillet 2013, lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, a porté à 90 % le taux de la prise en charge des travaux imposés aux riverains selon la clé de répartition suivante : 40 % à la charge de l’État sous forme de crédit d’impôt, 25 % à la charge des industriels et 25 % à la charge des collectivités locales.
La loi prévoit désormais que les travaux de protection ne peuvent être prescrits que pour des aménagements dont le coût n’excède pas 20 000 euros pour un particulier – ou 10 % de la valeur vénale du bien –, 5 % du chiffre d’affaires lorsque le bien est la propriété d’une société, et 1 % du budget lorsqu’il est la propriété d’une collectivité.
Le plan prévoit en outre un accompagnement des riverains afin qu’ils bénéficient de micro-crédits et des aides de l’ANAH.
Nous devons donc mieux articuler la politique de prévention des risques avec la politique du logement.
Parmi les pistes de financement, nous pourrions mobiliser les fonds « 1 % logement » pour créer des aides complémentaires ou des prêts à taux zéro et étendre aux bailleurs sociaux et à la maîtrise d’ouvrage d’insertion le crédit d’impôt instauré au profit des propriétaires privés pour financer les travaux de protection prescrits.
Pour notre groupe, les PPRT, qui sont un bon outil, ne doivent pas empêcher le développement des activités économiques. Il s’agit surtout d’éviter que les interdictions et restrictions prévues par les plans de prévention des risques technologiques n’empêchent l’implantation ou le développement d’activités économiques dans les zones concernées.
Dans ces zones, les règles relatives à l’élaboration des PPRT peuvent être adaptées, en tenant compte de la vocation de ces plateformes et de la culture de sécurité des entreprises concernées.
Le 25 juin 2014, soit quelques jours avant son limogeage, Delphine Batho a signé une circulaire mettant en œuvre cette nouvelle doctrine : elle dresse la liste des dix-sept plateformes industrielles concernées et fixe les règles d’acceptation des nouvelles activités industrielles, de protection des salariés exposés aux risques et de gouvernance collective.
Six mois plus tard, cette nouvelle doctrine a-t-elle produit des résultats ? Il existe encore un écart entre la circulaire et la capacité du terrain à y répondre.
S’il y avait bien une demande initiale des industriels à ce que la mise en place du PPRT autour des sites Seveso ne pénalise pas les autres activités économiques, il semble que les plans soient aujourd’hui un peu plus complexes, ce qui nécessite un véritable travail de concertation.
En vérité, le risque zéro n’existe pas, à moins de vouloir vivre dans un environnement confiné, qui rejette tout type de développement.
Mme Évelyne Didier. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Élisabeth Lamure. Il faut non pas nier la dangerosité de certaines installations, mais tenter au contraire d’en maîtriser les risques de façon lucide et responsable.
Les membres du groupe UMP considèrent que les PPRT sont indispensables, car ils permettent aux industriels de poursuivre leurs activités tout en préservant et protégeant les riverains et tout en procédant à une réduction du risque à la source. C’est pourquoi ils voteront contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout le monde a encore en mémoire les trop nombreux drames industriels de ces dernières décennies qui ont coûté la vie à des milliers de personnes à travers le monde. Bophal, en Inde, c’était il y a trente ans…
Force est de constater que ce phénomène n’est malheureusement pas encore éradiqué, puisque l’usine chimique ayant explosé en Argentine le 7 novembre dernier a fait plusieurs blessés. D’autres accidents ont eu lieu plus récemment encore, comme en Belgique ou en Allemagne, la semaine dernière.
En France, les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT, ont été introduits par la loi, dite « Bachelot » ou loi « Risques », du 30 juillet 2003, à la suite de la terrible catastrophe survenue dans l’usine AZF de Toulouse, en septembre 2001.
Comme cela a été rappelé, parce que c’est leur objet même, ces plans constituent un outil de maîtrise de l’urbanisation autour des établissements industriels à haut risque, qualifiés de « Seveso seuil haut ». Leur finalité est de délimiter des périmètres d’exposition aux risques et de protéger les riverains en agissant non seulement sur la maîtrise de l’urbanisation future, mais aussi sur l’urbanisation existante autour des installations classées AS, ou autorisation avec servitudes.
Au 1er août 2014, 406 PPRT ont été prescrits et 311 approuvés. Ainsi, sur les 407 bassins industriels et plus de 800 communes concernés, 99 % des PPRT prévus sont désormais prescrits et 76 % approuvés.
Si je prends l’exemple de ma région – la Haute-Normandie –, sur les quatorze PPRT, tous sont prescrits et, depuis décembre 2012, six ont été approuvés.
Certes, les premiers cas de mise en œuvre ont révélé des difficultés d’application pour un certain nombre de raisons, parmi lesquelles une concertation insuffisante, collectivités locales, entreprises riveraines et habitants concernés ayant été écartés.
De plus, l’instruction des PPRT est très longue ; en effet, les documents techniques sont nombreux et d’une grande complexité, sans compter le manque d’expertise de l’ensemble des acteurs. Tous ces obstacles ont posé d’indéniables difficultés dans la mise en œuvre de ces plans.
À ces complications générales s’ajoutent des problématiques territoriales qui ralentissent davantage encore leur mise en place. Ainsi, un PPRT peut entraver un projet structurant pour une collectivité du fait de contraintes d’urbanisme imposées. Et on peut regretter un manque d’accompagnement des élus dans certains cas.
Ces retards pris laissent dans l’expectative l’ensemble des forces en présence, en particulier les entreprises riveraines, dont le risque de délocalisation fait peser sur les zones industrielles un phénomène de paupérisation.
En outre, les propriétaires riverains ne peuvent pas accepter de supporter seuls la charge des travaux prescrits sur leurs habitations. Cette charge est jugée très lourde par des habitants qui sont déjà souvent confrontés à des difficultés sociales. Ils rappellent que si le risque existe, ils n’en sont pas responsables et que les conséquences doivent être assumées par les industriels.
À l’énoncé de ces difficultés, la proposition émise par le groupe CRC relative à un moratoire sur la mise en œuvre des PPRT peut paraître légitime, mais elle ne prend pas en compte les nombreuses améliorations introduites depuis 2013 et qui vont permettre d’accélérer la mise en œuvre des PPRT.
Il est intéressant précisément de rappeler les différentes mesures que prescrivent ces plans.
Premièrement, des mesures foncières qui se concentrent sur l’urbanisation existante la plus exposée et pouvant imposer à une collectivité d’acquérir un terrain, dans des périmètres définis.
Deuxièmement, des mesures supplémentaires de réduction du risque à la source sur les sites industriels, plus drastiques que les exigences réglementaires.
Troisièmement, des travaux de renforcement à mener sur les constructions voisines existantes.
Quatrièmement, des restrictions ou des règles sur l’urbanisme futur et les aménagements structurants à proximité du site.
Concernant le financement de ces mesures, je rappelle que les deux premières font l’objet d’un financement tripartite, réparti par convention entre les exploitants des sites industriels, les collectivités territoriales et l’État.
De même, s’agissant des travaux obligatoires, il est à noter que, désormais, la loi prévoit également un financement tripartite au bénéfice des riverains, ce qui n’était pas le cas auparavant, puisqu’ils étaient financés exclusivement par les propriétaires des biens.
Ces mesures ont été saluées comme d’autres, par exemple en Seine-Maritime, où les associations de riverains, en particulier au Havre, approuvent le principe de l’accord AMARIS-UIC-UFIP, qui impose une participation minimale en deux parts égales, entre les industriels à l’origine des risques et les collectivités percevant tout ou partie de la contribution éco-territoriale dans le périmètre couvert par le plan. Ces contributions doivent assurer un financement de 50 %.
Cet ensemble de dispositions a été complété en avril 2013 par le plan Batho, à la suite de l’incident survenu dans la périphérie de Rouen, dans l’usine Lubrizol, et qui facilite aussi l’accélération nécessaire de l’approbation des PPRT, en mobilisant les moyens de l’État.
Je pense ici à la mise en place d’une force d’intervention rapide, la FIR, à la suite de cet incident, tout du moins qualifié comme tel par les autorités et l’entreprise Lubrizol ; au recensement des cas « d’incommodités » via les études de dangers ; enfin, à une meilleure organisation de la communication et de l’information.
Ces trois dispositifs avaient fait cruellement défaut, en particulier auprès des élus.
Pour l’avoir vécu dans ma commune en tant que maire, nous n’avons pas pu prendre les mesures qui auraient dû s’imposer en matière d’information auprès des populations. Ces dispositifs s’inscrivent donc dans une stratégie qui impose aux industriels et à toutes les parties prenantes des partenariats et une mutualisation des ressources.
Ce plan permet, également, le développement économique des plateformes industrielles soumises à PPRT. Il s’agit ici d’accroître l’attractivité de ces zones en permettant l’implantation d’activités industrielles nouvelles.
Une autre évolution à laquelle il faut faire référence concerne la circulaire du 25 juin 2013 relative au traitement des plateformes économiques.
En effet, cette circulaire recommande, notamment, au préfet de « réserver un traitement spécifique aux entreprises qui disposent d’une culture du risque technologique ».
Il faut noter aussi une évolution récente ; en effet, la loi dite « DADUE » du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable contient plusieurs avancées majeures.
Elle dispose que les propriétaires riverains peuvent bénéficier d’un droit de délaissement automatique, et ainsi mettre en demeure les collectivités de procéder à l’acquisition de leurs biens, dans un délai de six ans.
Quant au coût de démolition des biens, en cas d’expropriation, par exemple, qui auparavant était à la seule charge des collectivités, il est désormais intégré dans la convention tripartite de financement des mesures foncières. Le financement des travaux à la charge des propriétaires d’habitations voisines des sites industriels devient aussi tripartite.
De plus, il faut se féliciter de la simplification, pour les communes, de la procédure d’enquête publique, en cas d’expropriation.
Force est de constater que cette dernière loi contribue à l’amélioration du dispositif d’accompagnement des riverains, lesquels, à partir de 2015, pourront également bénéficier d’aides de l’ANAH. Ainsi, les travaux engagés dans le cadre de la mise en œuvre des PPRT pourront s’accompagner de rénovations permettant, surtout, de réaliser des économies d’énergie.
Enfin, une dernière amélioration notable dans la mise en œuvre de ces plans peut être relevée au travers du très récent projet de loi relatif à la vie des entreprises.
En effet, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, le 4 novembre 2014, le Sénat a adopté un amendement déposé par le Gouvernement, relatif aux PPRT.
Cet amendement non seulement vise à adapter les dispositions de ces plans aux activités économiques, mais autorise également le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions afin d’assouplir la mise en œuvre des PPRT. Il est habilité à « préciser, clarifier et adapter les dispositions [relatives à ce PPRT] afin d’améliorer et de simplifier l’élaboration, la mise en œuvre et la révision ou modification des plans de prévention des risques technologiques ».
Je veux rappeler que le groupe CRC du Sénat a voté ici même cet amendement !
Pour conclure, je ne nie pas le fait que la mise en œuvre des PPRT a été compliquée et complexe, et ce d’autant plus que certaines problématiques sont humainement et économiquement difficiles.
Pour autant, il serait malvenu d’occulter les évolutions passées – certaines sont récentes – et à venir, qui ont, depuis la loi de 2003, comme je l’ai expliqué, fait évoluer considérablement la mise en œuvre des PPRT.
Ainsi, un moratoire ne se justifie pas alors que plus de dix ans se sont écoulés depuis que des collectivités locales se sont engagées. Une telle décision porterait au contraire un préjudice grave non seulement aux communes qui sont confrontées au gel de leurs projets d’aménagement et de développement, aux riverains dont certains attendent la finalisation de la procédure d’expropriation afin de pouvoir partir, mais également aux industriels. Enfin, cela aurait des conséquences économiques néfastes pour les zones concernées.
Il faut plutôt continuer à mener une réflexion centrée sur la cohabitation entre les entreprises à haut risque et les habitants et mettre en œuvre la loi dans une démarche d’accompagnement sur le terrain.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques.