M. Éric Bocquet. L’optimisation fiscale est un sujet important ; nos débats le montrent bien. Comme cela a souvent été souligné, y compris dans cette assemblée, l’optimisation fiscale est au cœur de la stratégie de développement des grandes entreprises du numérique, comme Google, Amazon, Facebook ou Apple. Leur activité dématérialisée leur permet de développer des pratiques inacceptables : elles s’installent dans des pays à fiscalité très allégée, tels que le Luxembourg, l’Irlande ou les Bermudes, et élaborent des montages fiscaux complexes pour échapper définitivement à tout impôt.
La récente affaire LuxLeaks, citée précédemment, et le rôle plus que trouble joué par l’un des Big Four, à savoir PricewaterhouseCoopers, ont confirmé ce qui était pressenti. Il existe une véritable fuite des recettes fiscales liées à l’impôt sur les sociétés. L’évasion fiscale annuelle ayant été évaluée, pour la France, à au moins 50 milliards d’euros – d’aucuns évoquent quelques dizaines de milliards d'euros supplémentaires –, il est plus que temps de s’emparer de cette question.
Le Conseil national du numérique estime que les revenus des quatre grands acteurs du numérique oscillent entre 2,5 milliards et 3 milliards d'euros par an. Ces groupes s’acquittent de seulement 4 millions d’euros d’impôt sur les sociétés par an, alors que, au regard du régime français, ils devraient être redevables de 500 millions d’euros, soit 125 fois plus. Il est rare, admettez-le, mes chers collègues, de pouvoir appliquer un tel coefficient multiplicateur !
La fiscalité se heurte donc à la révolution numérique. Cette problématique nouvelle crée une vraie difficulté ; elle a déjà été appréhendée, mais il y a lieu d’y travailler plus en profondeur. L’évolution technologique suscite des interrogations sur la territorialité des bénéfices et sur l’érosion des bases fiscales, fondée sur un plan international ou européen. Par rapport aux autres sociétés, les sociétés numériques échappent, pour des services identiques, à l’impôt sur les sociétés mais aussi à la TVA. Techniquement différentes, elles remplissent une même fonction, ce qui remet doublement en cause l’équité fiscale.
La publicité est taxée sur les médias télévisuels et radiophoniques, mais pas sur internet. Les surfaces commerciales sont soumises à la taxe sur les surfaces commerciales, ou TASCOM, mais le commerce en ligne n’est assujetti à aucune taxe équivalente.
La perte de TVA pour la France était évaluée à 300 millions d’euros en 2008 ; selon une étude du cabinet Greenwich consulting, elle s’élèverait à 600 millions d’euros en 2014.
Une réflexion a été engagée en Europe au sujet de la TVA sur les services électroniques et de télécommunication en Europe. Cette TVA est actuellement perçue par le pays où le prestataire est établi. À partir de 2015, en Europe, elle sera due au pays du consommateur final, même si, entre 2015 et 2019, un régime transitoire permettra au pays du prestataire de continuer à en percevoir une partie.
Fort de ces constats, le présent amendement, qui reprend l’un des articles d’une proposition de loi de Philippe Marini, entend lutter contre l’évasion fiscale des principaux géants d’internet, objectif auquel nous souscrivons pleinement. À cette fin, il avance des pistes intéressantes. Il tend à créer un régime d’obligation de déclaration d’activité des acteurs de services en ligne qui ne sont pas établis en France. Ce régime s’appliquerait aux revenus de la publicité en ligne, du commerce électronique et de la vidéo à la demande. Il permettrait d’asseoir des taxes visant à rétablir l’équité fiscale ; tel est bien notre objectif commun, en tant que parlementaires ou membres du Gouvernement.
C’est en ces termes que Michel Le Scouarnec s’était exprimé lors de l’examen de la proposition de loi de Philippe Marini, qui s’était achevé par le renvoi du texte à la commission.
Notre amendement est quelque peu un amendement d’appel. Il s’agit notamment de nous interroger sur le régime de TVA applicable au commerce en ligne. Les Britanniques semblent avoir été les premiers à décider de taxer les produits du commerce en ligne à leur destination. Nous devrions mettre à profit les quatre années à venir pour réfléchir à la question du partage du produit fiscal engendré par le commerce en ligne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il n’y a pas de droits d’auteur sur les propositions de loi. Sinon, les auteurs de l’amendement ayant recopié intégralement un article d’une proposition de loi de Philippe Marini,…
M. Éric Bocquet. Les propositions de loi sont libres de droits !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … celui-ci aurait pu leur en réclamer. (Sourires.)
Plus sérieusement, l’amendement aborde un vrai sujet. Avec Philippe Dallier, nous avons travaillé sur la fiscalité numérique, mais aussi sur le commerce électronique, la fraude douanière, etc. Nous avons très souvent parlé de la fiscalité numérique en commission. Nous en reparlerons sans doute. J’entends bien qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Je ne souhaite pas que la question de la fiscalité numérique soit évacuée.
Monsieur Bocquet, je souscris totalement à vos propos sur l’érosion de nos bases fiscales en raison du développement d’internet ; cette érosion concerne en particulier l’impôt sur les sociétés et la TVA. Le commerce électronique et la publicité en ligne, par exemple, donnent lieu à une délocalisation de nos bases fiscales.
Toutefois, si votre amendement, qui vise à instaurer une taxe sur la publicité en ligne et une taxe sur les services de commerce électronique, était adopté en l’état, il n’atteindrait pas son but mais aurait au contraire pour conséquence une nouvelle délocalisation de nos bases fiscales. L’instauration d’une taxe sur la publicité en ligne due, en vertu du principe de territorialité de l’impôt, par les régies publicitaires et les annonceurs installés en France conduirait ces derniers à s’installer ailleurs : ils organiseraient leurs campagnes de publicité depuis l’étranger.
De même, l’instauration d’une taxe sur les services de commerce électronique due par toute personne vendant par internet des produits à des particuliers établis en France – l’intention est louable – conduirait toutes les entreprises de commerce électronique installées dans notre pays à partir à l’étranger. En effet, quel intérêt auraient ces entreprises à rester en France alors qu’il leur suffirait de s’installer notamment au Luxembourg ou en Belgique pour échapper à la taxe ?
On observe déjà ce phénomène en matière de vidéo à la demande et de musique en ligne. Tous les sites qui commercialisent ces services dématérialisés sont installés au Luxembourg, compte tenu du différentiel de taux de TVA.
Votre amendement pose un problème de territorialité de la taxe. Il ne s’agit pas d’évacuer la question que vous soulevez, mais votre proposition ne pourrait être mise en œuvre que dans un cadre au moins européen.
L’érosion de nos bases fiscales en raison du développement du numérique et des stratégies des grands groupes de ce secteur nous préoccupe considérablement. Je suis complètement d'accord avec vous sur ce point.
Un certain nombre d’avancées ont été ou sont en train d’être réalisées. L’Union européenne a relancé le projet d’une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, dit projet ACCIS. À compter du 1er janvier 2015, la TVA sur les services en ligne sera – enfin ! – due dans le pays du consommateur, et non plus dans celui de l’entreprise. Cela vise le cas du Luxembourg dont je parlais à l’instant. Concrètement, si quelqu'un achète un film ou télécharge de la musique depuis la France, c’est la TVA française qui s’appliquera. Des mesures ont également été prises pour renforcer le contrôle des prix de transfert.
Je le répète, l’instauration de taxes uniquement françaises sur la publicité en ligne et les services de commerce électronique raterait sa cible. Ce serait un encouragement à la délocalisation des sites à l’étranger.
J’espère que nous pourrons travailler sur cette question tout au long de l’année. Je ne dis pas cela simplement pour vous inciter à retirer votre amendement. Je pense qu’il s’agit d’un vrai sujet. Philippe Dallier et moi-même y sommes très sensibles. C’est également le cas de plusieurs de nos collègues. Il faut approfondir cette question plutôt que d’instaurer deux taxes sans en avoir mesuré les effets. La commission émet donc un avis défavorable – non pas sur le principe, mais parce que l’amendement n’est pas directement opérationnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. S’il y a un point sur lequel nous pouvons être d’accord, c’est bien la complexité du sujet.
M. Éric Bocquet. Nous sommes d’accord !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Malheureusement, être d’accord sur ce point ne nous donne pas la solution…
M. Jean Desessard. C’est sûr !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Laisser penser que certains pays auraient résolu cette question au travers d’annonces récentes est aller un peu vite en besogne. En effet, nos services ont regardé de plus près ce que les Britanniques viennent d’annoncer : c’est pour le moins pas abouti. Lorsqu’ils déclarent que, d’ici à quelques mois, il y aura peut-être une disposition – je caricature à peine –, nous n’avons pas franchement le sentiment qu’une réponse parfaite à la question ait été trouvée.
J’ai moi-même rencontré mon homologue irlandais, voilà quelques semaines, et nous avons évoqué cette question. Force est de constater que nous sommes tous face à des difficultés : s’agissant de biens immatériels, comme des fichiers, l’assiette est compliquée à trouver. Je ne veux pas cabotiner davantage sur le sujet.
Pour autant, des évolutions ont lieu. Monsieur le rapporteur général, vous avez opportunément rappelé qu’à partir du 1er janvier 2015 la question de la TVA, au moins pour les sites domiciliés en Europe, devrait être résolue par l’application du taux non pas du pays où le site est localisé, mais du pays de l’acheteur, ce qui devrait rendre moins efficace l’ouverture de sites dans des pays extérieurs que je n’irai pas jusqu’à qualifier d’exotiques car le terme serait impropre.
Adopter cet amendement ne résoudrait pas franchement, selon notre analyse, les problèmes soulevés par les sites que vous visez dans vos propos. En revanche, vous risqueriez, à coup sûr, de viser ceux qui sont localisés chez nous, parce qu’il y a aussi, fort heureusement, des vendeurs en ligne qui sont implantés et qui font du commerce en France. Néanmoins, je le répète, vous ne régleriez pas le problème des sites – j’évite de citer des noms – que vous avez évoqués ou que, à l’évidence, vous avez, comme moi-même, en tête.
Le Gouvernement considère qu’effectivement ces travaux doivent être menés dans le cadre de l’OCDE, du G20, ce qui est déjà le cas, mais ils n’ont pas abouti, pour l’instant, à des systèmes complets.
Nous souhaitons attendre non pas pour le plaisir d’attendre, mais pour faire quelque chose d’efficace, qui ne risque pas de pénaliser de façon quelque peu injuste les sites qui sont chez nous, sans vraiment s’attaquer à ceux qui sont localisés à l’extérieur. Nous sommes donc défavorables à cet amendement, dont nous connaissons bien l’origine, ce qui ne vaut pas jugement pour autant.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, j’entends bien vos argumentaires et j’y suis sensible. Chacun mesure bien la complexité de l’affaire, face à cette nouvelle problématique qui, effectivement, ne pourra être traitée qu’à l’échelon européen, voire au niveau international. (M. Jean Desessard opine.)
Je prends acte de la prise en compte de la thématique soulevée au travers de cet amendement, que l’on pourrait qualifier d’appel ou de rappel. En tout cas, j’entends bien que les travaux se poursuivent et de façon transversale dans cet hémicycle, puisque je sais que plusieurs parlementaires sont très sensibles à ce sujet, au même titre que les sénateurs du groupe CRC. Nous allons donc retirer l’amendement pour l’instant, tout en sachant que le chantier reste entièrement ouvert.
M. le président. L’amendement n° II-448 rectifié est retiré.
Article 44 quaterdecies (nouveau)
I. – Le B de la section 1 du chapitre II du livre II du code général des impôts est complété par un 11 ainsi rédigé :
« 11 : Sanction à l’égard de tiers facilitant l’évasion et la fraude fiscales
« Art. 1740 C. – Toute personne qui, avec l’intention de faire échapper autrui à l’impôt, s’est entremise, a apporté son aide ou son assistance ou s’est sciemment livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations conduisant directement à la réalisation d’insuffisances, d’inexactitudes, d’omissions ou de dissimulations ayant conduit à des rappels ou rehaussements assortis de la majoration prévue au b de l’article 1729 est redevable d’une amende égale à 5 % du chiffre d’affaires réalisé au titre des faits sanctionnés. L’amende ne peut pas être inférieure à 10 000 €. »
II. – Le I s’applique aux insuffisances, inexactitudes, omissions ou dissimulations commises à compter du 1er janvier 2015.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° II-377 est présenté par M. Détraigne, Mme Férat, MM. Kern et Bonnecarrère, Mme Doineau, MM. V. Dubois et Guerriau, Mme Gourault et MM. Cadic, Tandonnet et Delahaye.
L'amendement n° II-379 est présenté par Mme Des Esgaulx.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
Les amendements nos II-377 et II-379 ne sont pas soutenus.
L'amendement n° II-379 n’est pas non plus soutenu.
L'amendement n° II-329 rectifié, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, première phrase
Après les mots :
5 % du chiffre d’affaires
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
ou des recettes brutes qu'elle a réalisés à raison des faits sanctionnés au titre du présent article.
II. – Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions de l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales sont applicables au présent article. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit d’un amendement de précision qui vise, d’une part, à faire référence aux recettes brutes et, d’autre part, à préciser explicitement que l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales sur la motivation des sanctions fiscales est applicable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui se substitue avantageusement à celui que nous avons retiré avant la séance.
M. le président. Je mets aux voix l'article 44 quaterdecies, modifié.
(L'article 44 quaterdecies est adopté.)
Articles additionnels après l'article 44 quaterdecies
M. le président. L'amendement n° II-228 rectifié quinquies, présenté par MM. Darnaud et Médevielle, Mme Micouleau, MM. Genest, Pellevat et Cambon, Mme Deroche, MM. Bouchet, Reichardt et Commeinhes, Mmes Mélot et Gruny et MM. Malhuret, Milon, Bizet, Grand, Savary, Perrin, Raison, César, Vogel, Mandelli et Laménie, est ainsi libellé :
Après l’article 44 quaterdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au second alinéa du II de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, les mots : « des travaux immobiliers » sont remplacés par les mots : « ou d’immobilisation des dépenses engagées par l’entreprise ».
Cet amendement n’est pas soutenu.
L'amendement n° II-432 rectifié, présenté par M. Gattolin, Mmes Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Après l’article 44 quaterdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 176 du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Aux premier, quatrième et cinquième alinéas, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « deuxième année » sont remplacés par les mots : « troisième année ».
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. La taxe sur la valeur ajoutée est une invention française. Créée en 1954, elle a depuis essaimé dans de nombreux pays, notamment en Europe.
Il s’agit d’un impôt sur la consommation, qui présente deux spécificités. D’une part, il s’applique de manière proportionnelle et touche également tous les consommateurs, indépendamment de leur niveau de revenu. C’est donc un impôt particulièrement lourd pour les ménages les plus modestes.
D’autre part, c’est un impôt indirect : facturé aux clients sur les biens qu’ils consomment ou les services qu’ils utilisent, il est collecté par les professionnels, qui le reversent ensuite à l’État.
La taxe sur la valeur ajoutée constitue, et de loin, notre première ressource fiscale. Avec un rendement de 136 milliards d’euros, elle représentait, en 2013, près de la moitié des recettes fiscales nettes de l’État.
Or la fraude à la TVA est aujourd’hui massive. Les services de Bercy ont récemment évalué le manque à gagner pour la France à plus de 10 milliards d’euros par an.
La Commission européenne avance même le chiffre de 25 milliards d’euros.
Cette fraude peut, par exemple, consister en la récupération d’une TVA qui n’a en fait jamais été payée, ou encore en un non-reversement de TVA préalablement collectée. Dans ce dernier cas, la fraude consiste donc non pas simplement à échapper à son devoir fiscal, mais carrément à détourner le produit d’un impôt versé par les consommateurs.
Le Gouvernement est manifestement conscient du problème important que cause cette fraude. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, vous proposez, dans le projet de loi de finances rectificative, diverses mesures visant à l’endiguer.
Au travers de cet amendement, nous vous en proposons une autre, qui consiste à augmenter le délai de prescription de la fraude à la TVA d’un an, en le passant de 3 ans à 4 ans.
Les services chargés des contrôles fiscaux, dont les effectifs sont sous tension, c’est le moins que l’on puisse dire, font face à des méthodes de fraude de plus en plus sophistiquées et ont donc de plus en plus de mal à traiter leurs dossiers dans le temps légalement imparti.
M. Jean Desessard. Oui !
M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet amendement ne coûte rien à l’État, pas plus qu’il ne constitue une hausse de la fiscalité. Il permet simplement de recouvrer davantage d’impôt et de rétablir un peu plus de justice entre les contribuables honnêtes et les fraudeurs. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Initialement, la commission était défavorable à l’amendement, parce qu’il modifiait tout le délai de reprise en le passant de 3 ans à 4 ans.
Il a depuis été rectifié pour s’adresser à la seule TVA, qui, selon notre collègue Gattolin, est l’objet d’un certain nombre de fraudes susceptibles de poser des problèmes à l’administration en matière de contrôle, ce qui nécessiterait une modification du délai de reprise. Très honnêtement, la commission n’a pas les éléments techniques pour apprécier si ces cas sont réels ou supposés. C’est la raison pour laquelle elle souhaite entendre le Gouvernement. Si M. le secrétaire d’État nous dit qu’il y a lieu de modifier le délai de reprise, nous n’en ferons pas une question de principe et nous voterons cet amendement. En revanche, si, à ses yeux, le délai de reprise actuel de 3 ans paraît suffisant, nous voterons contre l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement n’est pas demandeur d’une telle disposition, car le délai de reprise de 3 ans permet déjà à l’administration d’exercer efficacement son droit de contrôle.
D’ailleurs, il existe déjà des cas spécifiques pour lesquels le délai est étendu à 10 ans : les activités occultes, la flagrance fiscale, les placements financiers à l’étranger non déclarés.
Par ailleurs, nous craignons aussi que cette mesure n’ait pour conséquence d’allonger les opérations de contrôle dans les entreprises, ce qui retarderait d’autant la mise en œuvre du recouvrement et du paiement des rappels.
Il y a un équilibre à trouver entre un délai de reprise d’un an et un délai de reprise qui serait de 10 ans : un délai de 3 ans nous semble un bon équilibre. Aussi, le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° II-429, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l'article 44 quaterdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° L’article L. 228 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « sur avis conforme de la commission des infractions fiscales » sont remplacés par les mots : « dans les conditions de droit commun » ;
b) Les deuxième à dernier alinéas sont supprimés ;
2° Les articles L. 228 A et L. 228 B sont abrogés.
II. – L’article 1741 A du code général des impôts est abrogé.
III. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Le II de l’article L. 561-29 est ainsi modifié :
a) Après les mots : « au procureur de la République », la fin de la seconde phrase du troisième alinéa est supprimée ;
b) Le quatrième alinéa est supprimé ;
2° Après les mots : « au procureur de la République », la fin de l’article L. 711-21 est supprimée ;
3° Après les mots : « au procureur de la République », la fin du VI de l’article L. 725-3 est supprimée ;
4° Après les mots : « au procureur de la République », la fin du 8° du II de l’article L. 745-13 est supprimée.
IV. – L'article 13 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière est abrogé.
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° II-442, présenté par M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 44 quaterdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 1741 du code général des impôts, il est inséré un article 1741-… ainsi rédigé :
« Art. 1741-… – L’incitation à la fraude fiscale est le fait, pour toute personne physique ou morale, de concourir intentionnellement et à titre onéreux à :
« a) L’incitation, par voie publicitaire ou par voie de démarchage, la complicité ou la participation pour le compte d’un tiers à la réalisation des faits visés à l’article 1741 ou à la réalisation de schémas d’optimisation fiscale ;
« b) L’ouverture pour le compte d’un tiers d’un compte bancaire dans un pays signalé comme un site d’évasion fiscale par une organisation internationale dans laquelle siège la France.
« Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de 500 000 €. La tentative des infractions prévues par le présent article est punie des mêmes peines. Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du code pénal. La juridiction peut, en outre, ordonner l’affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du même code. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Reprenant le fil de nos réflexions sur la question de la fraude fiscale, je me permets donc de proposer ici même un amendement, déjà défendu en d’autres temps sur d’autres textes, tendant à créer un délit de commercialisation d’outils de fraude ou d’optimisation fiscale.
Cette proposition faisait partie des préconisations de la deuxième commission d’enquête que nous avons eu l’honneur de mener.
Pour mémoire, je ne peux manquer de citer le compte rendu de l’audition de M. Bruno Bézard, actuel directeur général du Trésor, devant cette commission : « En second lieu, à titre personnel, je trouve très bien de sévir contre les contribuables qui se sont laissés aller à ce genre de dérive, mais je pense que l’on devrait également s’attaquer à ceux qui les encouragent, aux monteurs, aux instigateurs.
Il existe un délit d’incitation à la haine raciale, pas à la fraude fiscale ! On peut toujours, par différentes astuces de procédure, utiliser des contextes englobants, recourir à la notion de bande organisée, pour reprendre une expression à la mode, mais nous n’avons pas, dans notre droit, de vecteurs capables d’inquiéter davantage ceux qui démarchent des contribuables pour leur vendre des schémas de fraude fiscale particulièrement lourds. »
Il ajoutait : « Nous luttons aussi contre ce phénomène dans la sphère internationale, en négociant des aménagements aux conventions de l’OCDE sur les produits hybrides, entre actions et obligations, entre capital et dette.
Avant de rejoindre l’administration fiscale, j’ai eu l’occasion de travailler sur ces produits hybrides. Il s’agit d’ingénierie financière classique en tout bien tout honneur, mais ils peuvent aussi constituer un moyen de réduire l’assiette fiscale de manière importante. »
Je vous renvoie, pour l’intégralité de sa déposition, au rapport de la commission d’enquête, toujours disponible à la distribution.
Une telle expertise me semble suffire pour motiver l’adoption de l’amendement que nous vous proposons, et qui va sans doute au-delà du dispositif prévu à l’article 44 quaterdecies. Nous ne pouvons donc que vous inviter à la soutenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission partage l’intention des auteurs de l’amendement, mais si nous ne contestons pas la nécessité de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, nous ne sommes pas sûrs, pour autant, qu’il faille créer un délit d’incitation à la fraude fiscale, qui serait, nous semble-t-il, difficile à prouver.
Par ailleurs, il existe déjà deux autres qualifications juridiques qui, à notre sens, permettent de réprimer un tel comportement.
Tout d’abord, il y a le démarchage illicite. La presse s’est largement fait l’écho du démarchage par une grande banque suisse – il y avait des « carnets de lait – de clients. D’ailleurs, la filiale française de cette banque est mise en examen au titre du démarchage illicite – entre autres qualifications.
Ensuite, il y a la fraude fiscale en bande organisée, délit créé par la loi du 6 décembre 2013, et qui est punissable par des sanctions relativement lourdes : 2 millions d’euros d’amende et 7 ans d’emprisonnement.
L’existence de ces deux délits permet d’engager des poursuites – je rappelais à l’instant l’exemple d’une grande banque mise en examen – et répond déjà à l’intention des auteurs de cet amendement que l’on peut considérer comme satisfait. Faut-il aller au-delà en créant un délit d’incitation à la fraude fiscale qui s’ajouterait aux deux délits que je viens de citer ? La commission ne le juge pas utile et suggère que les auteurs de cet amendement le retirent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. M. le rapporteur général a parfaitement décrit les différents types d’incrimination existant déjà, qui se traduisent dans les faits par la mise en œuvre des poursuites. Dans le cas présent, les auteurs de l’amendement créent un délit d’intention, qui paraît assez difficile à qualifier. Je ne suis d’ailleurs pas sûr, d’un point de vue juridique, qu’une telle disposition échappe à la censure du Conseil constitutionnel.
L’article 44 quaterdecies que vous venez d’adopter répond très largement à l’intention des auteurs de l’amendement et le Gouvernement ne souhaite pas aller plus loin. C’est pourquoi il émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° II-43 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme Conway-Mouret, M. Yung et Mme Lepage, est ainsi libellé :
Après l’article 44 quaterdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement dans un délai de six mois un rapport évaluant les conséquences budgétaires pour la France de l’entrée en application de l’avenant du 14 janvier 2008 porté à la convention entre la France et le Qatar du 4 décembre 1990.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. L’avenant à la convention fiscale entre la France et le Qatar crée des situations dérogatoires, en particulier en matière de fiscalité des dividendes et dans un certain nombre d’autres domaines. Je n’évoque pas le problème général que pose cette convention fiscale, car il est plus de nature politique. Les auteurs de cet amendement souhaitent revenir à l’équité et à la justice, c’est pourquoi ils demandent au Gouvernement de les éclairer sur cet avenant et sur ses conséquences.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Là encore, je comprends tout à fait l’intention des auteurs de cet amendement, car il apparaît comme tout à fait opportun pour une meilleure information du Parlement. Cependant, pourquoi limiter cette démarche aux accords passés avec un seul État ?
Par ailleurs, l’article 31 quatervicies adopté par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative demande la remise d’un rapport sur les avantages accordés par nos conventions fiscales aux entités publiques des pays étrangers, ce qui inclut le Qatar. Je suis plus favorable à un travail comparatif portant sur plusieurs pays et, si cet article est également adopté par le Sénat, nous attendrons ce rapport avec impatience.
La commission propose donc aux auteurs de cet amendement de le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?