M. Jean-Pierre Sueur. Heureusement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … parce qu’il nous est apparu essentiel de conforter la CNDA dans la plénitude de ses missions.
Madame Benbassa, vous m’interrogez par ailleurs sur le niveau de la dotation budgétaire prévue en 2015 pour financer l’allocation temporaire d’attente, soit près de 110 millions d’euros, et sur son caractère réaliste. Je vous ai répondu à l’instant, en vous montrant que nous avions réduit le décalage qui existait jusqu’à présent entre le niveau des crédits budgétisés et celui de l’exécution, ce qui prouve notre volonté de rigueur et de sincérité budgétaire.
En ce qui concerne le nombre de créations de places en CADA, je vous ai également répondu : nous avons créé quelque 4 000 places en 2014 et en créerons 5 000 de plus en 2015. J’ai ajouté que j’escomptais que la réduction des délais de traitement des dossiers de demande d’asile contribuerait à diminuer l’écart qui existe entre le nombre de demandeurs d’asile et le nombre de places disponibles. Bien entendu, notre objectif est de procéder à un ajustement grâce à la réforme de l’asile.
Vous m’avez interrogé également sur l’évolution des missions de l’OFII dans le cadre de la réforme de l’asile. Nous allons adapter le fonctionnement de cet organisme, et trois sources d’économies nous permettront de garantir qu’il soit en situation d’accomplir ses missions dans de bonnes conditions : l’adaptation de la visite médicale – une évaluation par le Haut Conseil de la santé publique est en cours –, la suppression de certaines démarches redondantes ou sans valeur ajoutée et l’optimisation des aides au retour.
Monsieur Leconte, vous m’avez interrogé sur le délai d’enregistrement des demandes d’asile. J’ai commencé à répondre sur ce point, et nous aurons encore l’occasion d’en débattre longuement dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.
Cette réforme vise à réduire les délais d’entrée dans la procédure, notamment les délais d’enregistrement, fixés en principe à trois jours par les directives européennes. À cet effet, le projet de loi supprime l’obligation d’une domiciliation préalable des demandeurs d’asile. En outre, mes services travaillent à la mise en place de guichets uniques, rassemblant les services des préfectures et de l’OFII, afin de rendre plus simple et plus rapide l’enregistrement des demandes.
Mme Assassi a posé la question des associations qui s’occupent des migrants en rétention. L’idée que la France ne respecterait pas les droits fondamentaux des étrangers…
Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit cela !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la sénatrice, je sais que vous n’avez pas employé ces mots, mais je saisis cette occasion pour élargir mon propos, afin de répondre aux critiques que l’on entend souvent dans les médias ou dans certains milieux associatifs.
L’idée selon laquelle la France ne respecterait pas les droits fondamentaux des étrangers, disais-je, me semble devoir être nuancée. En ce qui concerne la rétention en général, le cadre juridique français est bien plus favorable que ce que prévoient les directives européennes : en France, la durée de rétention est la plus brève d’Europe – quarante-cinq jours au maximum –, le contrôle juridictionnel sur la rétention est le plus poussé, avec l’intervention de deux juges, le juge administratif et le juge des libertés et de la détention, et des associations rémunérées par l’État sont systématiquement présentes pour aider les étrangers dans leurs recours.
Nous sommes le seul pays d’Europe à offrir autant de garanties : c’est très bien ainsi, et je ne souhaite pas remettre en cause cette situation.
J’observe simplement que ces garanties vont bien au-delà de ce que prévoient les normes européennes. Celles-ci disposent que la rétention ne peut excéder dix-huit mois, alors que sa durée maximale est de quarante-cinq jours seulement en France, je le répète, et que des associations doivent pouvoir accéder aux centres de rétention : tel est bien sûr le cas en France, où elles sont même subventionnées par l’État pour aider les demandeurs d’asile dans leurs recours.
La France est l’un des rares États européens à prévoir des garanties aussi complètes. Du reste, c’est normal, la force de notre État de droit étant de donner toutes les armes au migrant, même en rétention, pour faire valoir ses droits. Telle sera toujours la doctrine du Gouvernement.
Le prochain projet de loi relatif à la réforme de l’asile introduira une garantie supplémentaire, en ouvrant aux journalistes la possibilité d’accéder aux centres de rétention, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Mme la présidente. Monsieur le ministre, je dois vous demander de conclure.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais le faire, madame la présidente, ne craignez rien ! En réalité, je suis pris entre deux feux : être désagréable en poursuivant ou ne pas être complet dans ma réponse en m’interrompant… (Sourires.) Toutefois, rassurez-vous, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais conclure.
S'agissant des mineurs en rétention, la directive du mois de novembre dernier a été évoquée. Il faut distinguer la situation de Mayotte, qui est soumise à une intense pression migratoire, et celle de la métropole. Sur ce sujet, je profiterai du projet de loi relatif à la réforme de l’asile pour vous apporter toutes les réponses.
Monsieur Karam, je propose, compte tenu de la pression horaire à laquelle je suis soumis, de ne pas vous répondre succinctement sur un sujet qui appelle des développements assez longs. Je le ferai à l’occasion de l’examen du projet de loi susmentionné. J’en profite pour vous confirmer mon déplacement en Guyane, prévu les 15 et 16 janvier prochain. La discussion de ce futur texte et mon déplacement dans votre département me permettront d’apporter une réponse cursive à toutes les questions que vous avez bien voulu soulever. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
État B
(en euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Immigration, asile et intégration |
643 675 794 |
653 812 794 |
Immigration et asile |
585 616 235 |
595 190 235 |
Intégration et accès à la nationalité française |
58 059 559 |
58 622 559 |
Mme la présidente. L'amendement n° II-164, présenté par MM. Ravier et Rachline, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Immigration et asile |
|
247 831 000 |
|
247 831 000 |
Intégration et accès à la nationalité française |
||||
Total |
247 831 000 |
247 831 000 |
||
Solde |
- 247 831 000 |
- 247 831 000 |
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Cet amendement vise à faire baisser la charge de l’immigration sur le budget de la France et à rendre au droit d’asile sa pleine signification.
À cet effet, les crédits alloués à l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, sont diminués en trois phases. Tout d’abord, une réduction de 220,8 millions d’euros, qui correspond à la suppression des centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA. Ensuite, une baisse de 17,1 millions d’euros, qui correspond à la réduction des crédits liés à l’hébergement d’urgence, pour revenir au niveau de l’année 2014. Enfin, une soustraction de 109,931 millions d’euros, qui correspond à la suppression de l’allocation temporaire d’attente.
Ces économies permettront d’augmenter le budget alloué à l’action n° 3, Lutte contre l’immigration irrégulière. Actuellement créditée de 73,8 millions d’euros, celle-ci passerait ainsi, selon nos souhaits, à 100 millions d’euros.
L’asile, tradition historique de notre pays, doit être considérablement réduit. Il faut le réserver aux seuls persécutés politiques, à condition bien sûr qu’ils fassent vraiment l’objet d’une persécution. Et il faut en exclure ceux qui, grâce à un glissement sémantique et idéologique, bénéficient du statut de réfugié sanitaire, sexuel, comme l’a rappelé M. le ministre, voire environnemental. J’en passe, et des plus abracadabrantesques !
La France n’a clairement plus les moyens d’avoir une politique d’asile aussi généreuse et dogmatique. Le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, paru au printemps dernier, estime le coût total de la politique d’asile en 2014 à 666 millions d’euros.
Par conséquent, il est urgent de supprimer les politiques d’hébergement obligatoire et de mettre un terme à l’aide temporaire d’attente, pour cesser de faire du droit d’asile une pompe aspirante de l’immigration clandestine.
Les dotations à l’hébergement d’urgence sont conservées. Concernant les centres d’accueil, l’action n° 15 du programme 104 finance déjà les centres provisoires d’hébergement des réfugiés, les CPH.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission des finances. Je vais donc émettre un avis personnel, et chacun pourra voter comme il l’entend.
Mon avis est bien sûr tout à fait défavorable. Vous devriez d'ailleurs, cher collègue, retirer cet amendement, parce que ses dispositions vont à l’encontre de l’objectif que vous avez dit vouloir atteindre.
Mme Esther Benbassa. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Vous affirmez en effet que le droit d’asile en lui-même doit être préservé – j’allais presque dire sanctifié. Vous préférez le droit d’asile à l’immigration détournée, qui utilise le droit d’asile, et nous sommes d’accord sur ce point.
Nous devrions désormais avoir globalement 30 000 demandeurs d’asile, au lieu de 65 000 à 70 000. Les places en CADA leur sont destinées. Un certain nombre de vos amis ont tellement dénoncé, au cours de leurs campagnes électorales respectives, l’hébergement d’urgence et l’hébergement dans les hôtels qu’il est évident que nous avons tous intérêt à privilégier les CADA, dont les places sont contrôlées, plutôt que l’hébergement d’urgence, qui est évidemment beaucoup moins contrôlé et plus difficile à mettre en œuvre dans les centres-villes.
L’Allocation temporaire d’attente, l’ATA, est liée au manque de places en CADA, me semble-t-il, ce qui pose un autre problème. Si vous persistez à vouloir supprimer les CADA, il vous faudra donner plus d’ATA. Préservons donc les CADA, réduisons à terme le nombre de demandeurs et essayons de le faire correspondre au nombre de places dans les centres d’accueil.
La suppression des crédits destinés au CADA aboutirait au résultat inverse de celui que vous recherchez, à savoir préserver le droit d’asile et le rendre prioritaire par rapport à son détournement via l’immigration clandestine.
Par conséquent, je vous demande, cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme Esther Benbassa. Bravo !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Notre groupe est totalement défavorable à cet amendement, dont les dispositions s’inscrivent dans la droite ligne du discours tenu par M. Ravier lors de la discussion générale.
Les dispositions de cet amendement reposent sur le postulat selon lequel la France délivrerait trop généreusement le droit d’asile.
M. Stéphane Ravier. Je le confirme !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous le confirmez ! Finalement, chaque demandeur d’asile est un suspect, coupable d’accroître l’immigration clandestine.
Sachez, cher collègue, que la France accueille les demandeurs d’asile conformément à la convention de Genève. Sachez également que la France accueille moins de demandeurs d’asile qu’un certain nombre d’autres pays d’Europe très proches de nous.
Il existe une grande différence entre la politique d’immigration, qui est définie par le Gouvernement, et l’asile, qui est un droit, garanti par la convention de Genève.
Je n’accepte pas, pour ma part – les membres de mon groupe non plus –, que l’on jette la suspicion sur les demandeurs d’asile. Pensons à toutes les personnes persécutées, à celles qui actuellement se noient dans la mer. Pensons aussi aux êtres humains qui vivent en Syrie dans des conditions épouvantables et qui arriveront en Europe. Qu’allons-nous leur dire ?
Sur le fond, cet amendement me paraît tout à fait inacceptable, car il est contraire aux principes respectés depuis très longtemps par la France en matière d’asile. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Vouloir supprimer l’ensemble des crédits du CADA, cela peut faire sourire. Toutefois, ne sourions pas trop ! En effet, derrière ces propositions démagogiques et xénophobes, il y a tout un courant de pensée, selon lequel on va mettre dehors les immigrés, et tout ira mieux ! Telle est l’idée fondamentale, totalement irréaliste et bien sûr irréalisable.
Néanmoins, ce sont des idées qui malheureusement progressent dans l’opinion – il faut le dire – et que l’on retrouve dans d’autres pays d’Europe. Pensons à ce qui se passe en Angleterre, la mère de la démocratie, avec l’UKIP. Pensons à ce qui a déjà commencé à se passer en Suisse. Malheureusement, il faut répondre à ce problème.
Nous sommes confrontés à une progression importante du nombre de demandeurs d’asile. Mon collègue Jean-Pierre Sueur a bien exposé la situation sur le plan juridique.
Un Premier ministre avait dit que la France ne pouvait « pas accueillir toute la misère du monde », mais qu’elle devait « en prendre sa part. » Le codicille est important ! Or notre part, aujourd’hui, cela représente entre 60 000 et 62 000 personnes. On le voit, la pression continue. Et c’est une idée fausse de croire que cela va s’arrêter.
J’ai visité Ceuta et Melilla. On a construit des murs et tout ce qui est nécessaire pour empêcher les futurs demandeurs de droit d’asile de passer. Que font-ils ? Ils passent un peu plus loin ! On n’arrête rien !
Cette idée surprenante, puérile et démagogique de supprimer tous les crédits dévolus aux CADA et de fermer ces derniers aura donc pour seul effet de provoquer autant d’abcès de fixation que ceux que nous observons aujourd’hui à Calais, où 400, 500 ou 600 personnes courent dans les rues, à droite, à gauche, et se cachent derrière les haies. On les chasse, ils reviennent ! C’est quelque chose de totalement irréaliste et infaisable. De plus, c’est une insulte au genre humain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je me reconnais totalement dans les propos de M. Yung. Mon groupe est fermement opposé à l’amendement qui nous est proposé, pour de nombreuses raisons et notamment parce qu’il révèle l’obsession anti-immigrés du Front national. Nous en avons encore un exemple cet après-midi, et je trouve cela lamentable !
Mme la présidente. L'amendement n° II-160, présenté par M. Karoutchi, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(en euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Immigration et asile |
10 000 000 |
10 000 000 |
||
Intégration et accès à la nationalité française |
10 000 000 |
10 000 000 |
||
Total |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
Solde |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, j’hésite ! J’hésite à défendre cet amendement, non pas en tant que tel, mais parce que je suis convaincu que l’OFII ne dispose pas des moyens nécessaires.
Au cours d’une mission consacrée à l’Office, j’ai visité des centres. Et j’ai constaté combien étaient dérisoires les cours de français, d’instruction civique, la formation à la société française… On peut toujours faire des déclarations pour affirmer que l’on va améliorer le niveau en français l’année prochaine, en le faisant passer du niveau 1 au niveau 2 : si on ne donne pas les moyens nécessaires à l’OFII, ces propos resteront lettre morte !
Monsieur le ministre, quand vous dites que 94 % des crédits de l’ATA sont inscrits en loi de finances. C’est vrai, facialement. Toutefois, avec un report de 40 millions d’euros, en réalité, vous êtes à 70 millions d’euros.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. C’est mieux que 34 millions d’euros, certes. N’engageons pas sur une bataille de chiffres, ce n’est pas le sujet. Le problème, c’est que l’on ne se donne pas les moyens d’intégrer dans de bonnes conditions les gens qui ont demandé l’asile et qui l’ont obtenu au terme d’un parcours administratif.
Je reviendrai un jour sur l’ensemble des centres d’hébergement pour les réfugiés. Sincèrement, ils ne sont pas dignes du droit d’asile qui a été accordé à ces derniers ! Il faut une politique équilibrée, qui soit sans complaisance envers une immigration qui, en réalité, joue sur le droit d’asile ; en même temps, ceux qui sont réellement demandeurs d’asile doivent être mieux traités que nous ne le faisons actuellement Quant aux délais de traitement des dossiers, ils progressent très peu, en fait.
Monsieur le ministre, j’ai demandé le rejet de l’ensemble des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». J’ai donc quelque peu de scrupules à défendre un amendement visant à faire passer 10 millions d’euros du programme 303 au programme 104…
En conséquence, après avoir souligné que l’OFII n’a décidément pas les moyens de réaliser sa mission et que je compte sur vous, monsieur le ministre, pour rétablir cet équilibre, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme Esther Benbassa. C’est la sagesse !
Mme la présidente. L’amendement n° II-160 est retiré.
Nous allons maintenant procéder au vote des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 46 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 133 |
Contre | 207 |
Ces crédits ne sont pas adoptés.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
Outre-mer
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Outre-mer » (et articles 57 et 57 bis).
La parole est à Mme Teura Iriti, rapporteur spécial.
Mme Teura Iriti, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma première intervention sur les crédits de la mission « Outre-mer », vous comprendrez que j’intervienne, à la fois, en qualité de rapporteur spécial de cette mission et en tant qu’élue ultramarine d’une Polynésie bien française qui vous envoie tous ses soleils pour illuminer nos travaux. (Sourires. – Applaudissements sur certaines travées.)
Ce projet de budget apporte incontestablement certaines réponses aux besoins particuliers des territoires d’outre-mer, et je m’associe à mes collègues ultramarins qui ont eu l’occasion de vous en féliciter, madame la ministre, au cours des débats parlementaires.
Je retiendrai dans ce projet de budget trois priorités.
La première concerne la nécessité vitale pour nos collectivités de soutenir l’emploi et les entreprises, qui souffrent encore plus durement outre-mer qu’en métropole des effets du ralentissement économique mondial.
La deuxième priorité porte sur les mesures en faveur du développement et de la formation des jeunes, pour contribuer au redressement des économies ultramarines et les accompagner à l’aide de nouveaux outils de développement.
La troisième priorité, enfin, vise à répondre aux besoins massifs de logements dans les territoires ultramarins, à l’aide de mesures favorisant l’accès à une palette de logements élargie, du très social jusqu’au logement intermédiaire, en passant par l’habitat dispersé, qui reste un domaine à consolider.
S’agissant de l’emploi, la compensation des exonérations de charges sociales constitue une nécessité vitale pour les économies des territoires ultramarins. En 2014, ce dispositif a été recentré sur les bas salaires, pour une économie estimée à 90 millions d’euros, et à 108 millions d’euros en régime de croisière. Par ailleurs, 1,13 milliard d’euros sera consacré en 2015 à la compensation des exonérations de charges.
Une question demeure toutefois, celle de la dette de l’État vis-à-vis des organismes de sécurité sociale, qui s’élevait, en 2013, à 75,5 millions d’euros. La réforme de 2014 devrait s’accompagner de mesures visant à apurer la dette antérieure ; vos rapporteurs resteront cependant vigilants sur cette question.
S’agissant des aides spécifiques aux entreprises, l’article 57 rattaché à la présente mission prévoit la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière.
Le bilan de cette mesure montre que, depuis sa création, cette aide a été globalement peu utilisée à l’échelle de l’outre-mer par les entreprises hôtelières. Je proposerai donc d’adopter cet article sans modification.
Pour ce qui concerne la formation des jeunes ultramarins, celle-ci repose essentiellement sur le service militaire adapté, le SMA, et la formation en mobilité.
Le SMA constitue un incontestable succès : 76,3 % des volontaires quittent ce dispositif avec un stage qualifiant ou un contrat, et je me félicite que l’objectif de 6 000 volontaires ait de bonnes chances d’être atteint en 2016.
La formation en mobilité s’appuie principalement sur trois dispositifs : le passeport-mobilité formation professionnelle, ainsi que les programmes « Cadre avenir » et « Cadres pour Wallis-et-Futuna ». Ces initiatives, bien qu’elles soient utiles, semblent toutefois limitées au regard des enjeux et devront être confortées par des dispositifs à plus large portée.
C’est un euphémisme que de dire que la crise du logement revêt une dimension particulière dans les territoires ultramarins : quelque 7 612 logements sociaux neufs ont été financés en 2013, quand il en faudrait 12 000 pour satisfaire les besoins. La stabilité des crédits de paiement de la ligne budgétaire unique à 247,7 millions d’euros est une mesure de sauvegarde qu’il faut saluer, même si elle est loin d’être suffisante.
Cependant, au-delà de ces mesures de sauvegarde, le projet de budget qui nous est présenté comporte de graves lacunes, qui ne me permettent pas de le soutenir.
De fait, comme l’a souligné l’intergroupe parlementaire auquel je ne peux, bien évidemment, que m’associer, la hausse globale des crédits consacrés au financement de contrats de plan État-régions ne doit pas masquer certaines disparités. La Polynésie française verra ainsi le montant des autorisations d’engagement dédiées au financement de ces contrats diminuer de plus de 6 millions d’euros en 2015.
L’article 57 bis rattaché à la présente mission prévoit, de plus, la fixation dans la loi du montant de la dotation globale d’autonomie, la DGA, versée à la Polynésie française. Il entérine ainsi, pour l’avenir, une baisse significative de cette dotation, ce qui est un bien mauvais sort réservé à la Polynésie française au sein d’un budget présenté comme équitable entre les collectivités. C’est pourquoi, à titre de refus symbolique, j’ai appelé à voter contre cet article pour rouvrir la discussion entamée à l’Assemblée nationale sur le sujet, tout en sachant que nos marges de manœuvre étaient étroites.
Les filets de la nasse étant bien serrés, puisqu’il nous faudrait encore amputer les crédits du SMA, j’aurai l’occasion, mes chers collègues, de vous demander de revenir sur cette position de principe lors de la discussion de cet article.
Cette position en rejoint une autre à propos de la continuité territoriale, qui est un autre sujet de déception, sur lequel je partage les attentes de notre collègue Didier Robert. Pourtant, si je ne puis être favorable à une nouvelle ponction de 10 millions d’euros sur le SMA pour abonder les crédits de la continuité territoriale, je me félicite que la délégation sénatoriale aux outre-mer envisage de se saisir du dossier en 2015 pour formuler des propositions de révision d’une politique publique tellement importante pour les relations avec les collectivités ultramarines.
Enfin, je rappellerai que la mission « Outre-mer » a vu ses crédits diminuer de 4,2 millions d’euros à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale sur des programmes présentés, là encore, comme prioritaires.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable au projet de budget qui nous est présenté aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, rapporteur spécial.
M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec près de 2,7 millions d’habitants, les territoires ultramarins rassemblent plus de 4 % de la population française.
Malgré leur diversité de populations et de cultures, les outre-mer – il est préférable d’employer le pluriel, tant leur situation géographique et leur niveau de développement sont différents – sont confrontés à une même situation de crise, avec un dénominateur commun : l’urgence.
Cette urgence est tout d’abord sociale : une étude relativement récente de l’Agence française de développement souligne ainsi que l’indice de développement humain des outre-mer est significativement plus faible que celui de la métropole. Ces territoires connaissent un retard de développement estimé à une vingtaine d’années en moyenne.
Cette urgence sociale se double d’une urgence économique. Selon l’INSEE, le PIB par habitant de ces territoires s’élevait à 19 349 euros en 2005, contre 31 420 euros dans l’hexagone. Le taux de chômage des outre-mer représente en outre plus du double de celui de l’hexagone, soit plus de 25 %. Les jeunes sont particulièrement touchés, puisque leur taux de chômage peut atteindre, selon les territoires, jusqu’à 60 %, contre 24 % environ en métropole.
Ce budget apporte des réponses concrètes à cette double urgence. En effet, avec un peu plus de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, la mission « Outre-mer » fait partie des rares missions dont les crédits augmenteront sur l’ensemble de la programmation triennale 2015-2017.
Plus de 90 millions d’euros supplémentaires seront ainsi consacrés, sur les trois prochaines années, aux deux programmes de la mission « Outre-mer », le programme 138, « Soutien à l’emploi », et le programme 123, « Amélioration des conditions de vie outre-mer ».
En 2015, les crédits de la présente mission afficheront une relative stabilité. Ils progresseront de 0,39 % en crédits de paiement et diminueront de 0,7 % en autorisations d’engagement, hors mesures de périmètre.
Ce budget traduit aussi la participation de la mission « Outre-mer » à l’effort de réduction des dépenses publiques. Je citerai comme exemple le recentrage des exonérations de charges intervenu en 2014 – il devrait produire ses pleins effets en 2015 –, la diminution de 5 % des crédits de fonctionnement du ministère, la suppression ou encore la réforme de plusieurs dispositifs d'aide en 2015.
Le budget de la présente mission est avant tout un budget de soutien. Il est constitué à près de 90 % de dépenses d’intervention. Le dispositif de compensation des exonérations de charges aux organismes de sécurité sociale représente ainsi, à lui seul, plus de la moitié des crédits de paiement de la mission, soit 1,13 milliard d’euros.
La dépense liée au remboursement des exonérations de charges augmentera de 200 millions d’euros sur le quinquennat. En outre, les entreprises situées dans les départements d’outre-mer, qui pouvaient déjà prétendre au bénéfice du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dans les conditions de droit commun, pourront bénéficier d’un taux majoré qui sera porté de 6 % à 7,5 % en 2016, puis à 9 % en 2017.
La majoration du taux du CICE devrait contribuer à compenser le déficit de compétitivité dont souffrent les entreprises ultramarines. Reste, madame la ministre, à vérifier l’impact sur le terrain de ces exonérations de cotisations sociales, outil essentiel de la politique de l’État pour la croissance et l’emploi dans les outre-mer. Les résultats en termes d’emplois créés ou sauvegardés, en termes d’incitation à investir plutôt qu’à rémunérer le capital, seront-ils à la hauteur des enjeux ?
S’agissant du logement, les efforts sont louables. Après avoir connu une hausse significative de 25 % depuis 2011, les crédits de paiement de la ligne budgétaire unique sont sanctuarisés. Toutefois, cette augmentation des crédits n’a pas permis d’éviter de revenir à un niveau élevé des impayés de l’État vis-à-vis des bailleurs sociaux : 34,6 millions d’euros à la fin de 2013.
Par ailleurs, il convient d’émettre des réserves sur le niveau retenu pour les crédits, qui ne devrait pas permettre une diminution significative du niveau des charges à payer pour le logement.
Malgré ces efforts, les besoins annuels en matière de logement restent immenses. Ils sont évalués à un nombre d’habitations compris entre 21 000 et 24 000, dont près de 11 600 logements sociaux. Or le nombre de logements neufs sociaux financés n’était que de 7 162 en 2013.
Les crédits à la jeunesse sont un point de satisfaction. L’action n° 2, Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle, qui vise essentiellement le service militaire adapté, le SMA, voit ses moyens augmenter. Cette progression des crédits devrait permettre d’atteindre l’objectif de 6 000 volontaires d’ici à 2017.
Diminuer ces crédits de dix millions d’euros, comme le propose notre collègue Didier Robert dans un amendement déposé au nom de la commission des affaires sociales, se traduirait par une réduction des moyens du SMA d’environ un cinquième. Cette mesure ne me semble pas souhaitable, dès lors que les outre-mer affichent des taux moyens de chômage des jeunes de plus de 50 % et que le SMA est reconnu comme un dispositif efficace, qui faisait jusqu'alors l’unanimité sur les travées de cette assemblée.
L’augmentation des crédits de l’ADOM, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité, permettra de sécuriser la politique de formation en mobilité, qui est sa mission prioritaire. La réforme du dispositif d’aide à la continuité territoriale, telle qu’elle est proposée, n’aura aucune conséquence pour 80 % des bénéficiaires de l’aide : la majorité des personnes éligibles voyagent non pas tous les ans, mais tous les trois ou quatre ans. En revanche, cette réforme renforce les possibilités accordées aux étudiants, aux personnes en formation ou aux familles vivant des drames personnels.
Le soutien aux territoires ultramarins connaît des évolutions contrastées. S’agissant des quatre départements et régions d'outre-mer, les DROM, le montant initialement pris en charge était de 268 millions d’euros. Il s’élève, après transferts de crédits issus de quatre autres ministères, à 297,9 millions d’euros.
Quant aux moyens destinés au financement des opérations contractualisées, ils s’élèvent en 2015 à 137,5 millions d’euros en autorisations d’engagement, et 154,6 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de respectivement 5,28 % et 6,3 %, après une diminution l’an passé.
En revanche, les crédits du Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI, subissent une baisse sensible. Or celle-ci ne doit pas remettre en cause l’objectif de 500 millions d’euros de crédits d’ici à 2017, objectif qui était un engagement du Président de la République.
S’agissant de l’appui à l’accès aux financements bancaires, il serait souhaitable que l’AFD, l'Agence française de développement, communique davantage sur les opérations éligibles à ce dispositif.
Enfin, les crédits consacrés à l’action n° 4, Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport, sont stables. En raison de la forte croissance démographique des outre-mer et de l’importance des problèmes sociaux, un effort plus important aurait pu être consenti. Nous espérons que les ministères directement concernés y contribueront.
Il convient en effet de rappeler que la mission « Outre-mer » ne représente qu’une part minoritaire de l’effort de l’État en faveur des territoires ultramarins. Cet effort global en faveur des outre-mer est porté par quatre-vingt-cinq programmes relevant de vingt-six missions. En 2015, il atteindra 14,25 milliards d’euros, soit une augmentation de 0,3 %, après une baisse de 1,2 % en 2014.
Il est nécessaire cependant de noter que la hausse des crédits globaux en faveur des territoires ultramarins est essentiellement imputable à une hausse des dépenses de personnel, qui atteindront 7,26 milliards d’euros en 2015.
Je terminerai mon propos par cette information issue de la Fédération des entreprises d’outre-mer, la FEDOM, qui notait dans sa lettre du 20 octobre 2014 que l’effort budgétaire de l’État par habitant en 2013 s’élevait à 5 194 euros pour les onze départements et collectivités d’outre-mer, contre 5 668 euros pour l’Hexagone. Ce chiffre va bien sûr à l’encontre des idées reçues : les Ultramarins ne sont pas, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, les « enfants gâtés de la nation ».
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je voterai en faveur des crédits de cette mission, ainsi que des articles 57 et 57 bis rattachés, sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)