Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Que l’on me permette tout d’abord de remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions.
Je voudrais dire, avec beaucoup de simplicité, que réduire le déficit, ce n’est pas renoncer à nos priorités, cela n’interdit pas de faire des choix ! J’ai entendu certains orateurs nous reprocher de ne pas en faire. C’est faux ! Nous faisons le choix de continuer à financer nos priorités – l’école, la justice, la jeunesse, la lutte contre les inégalités –, en réalisant des économies sur les autres dépenses publiques !
Michèle André et Jean Germain ont utilement rappelé les orientations retenues dans ce projet de loi et la cohérence de celui-ci. Je les remercie, au nom du Gouvernement, de leur soutien.
Je souhaiterais répondre précisément aux orateurs ayant émis des réserves sur la programmation proposée par le Gouvernement.
Il a été dit que nous ne réalisions pas d’économies, que la dépense continuait de progresser. Effectivement, la dépense publique est en augmentation ; c’est heureux, car sa diminution en valeur signifierait une réduction des pensions, une baisse du traitement des fonctionnaires, ou encore la suppression des mécanismes de redistribution : autant d’évolutions dont, pour notre part, nous ne voulons pas !
Toutefois, si la dépense publique continue de croître, c’est de façon beaucoup plus lente qu’auparavant, car nous entendons gérer l’argent public avec sérieux.
Ainsi, entre 2002 et 2012, monsieur le rapporteur général, la dépense publique a augmenté, en moyenne, de 32 milliards d’euros chaque année.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il y a eu la crise de 2008, tout de même !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En 2013, sa progression n’aura été que de 21 milliards d’euros, soit 11 milliards d’euros de moins. Cela représente une croissance en valeur de 1,9 %, la plus basse depuis 1998. Pour 2014, nous prévoyons une hausse de la dépense publique de 1,4 %, soit environ 16 milliards d’euros.
Pour prendre l’exemple de l’ONDAM, lorsque l’on déclare vouloir réaliser des économies sur les dépenses d’assurance maladie, cela signifie non pas que l’on réduit en valeur les dépenses de santé, mais que l’on s’inscrit en dessous du taux de croissance tendancielle de 3,9 %. En effet, outre que les traitements sont de plus en plus coûteux, nous sommes de plus en plus nombreux et nous vivons de plus en plus longtemps… ce dont on ne peut que se féliciter ! Il n’empêche que limiter la progression des dépenses d’assurance maladie à 2 %, comme le prévoit l’ONDAM, cela représente une économie substantielle par rapport aux évolutions naturelles, même si certains estiment que nous pourrions faire un peu mieux.
S’agissant du rythme de progression de l’ensemble des dépenses publiques, il sera donc, en 2014, divisé par deux par rapport à ce qu’il était en moyenne entre 2002 et 2012.
J’ai été attentif, monsieur le rapporteur pour avis, à votre souhait de disposer d’une information plus ample et précise sur les dépenses ne relevant pas du champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec les difficultés que cela peut compoter, non pas pour établir les constats, mais en matière de gouvernance. En effet, cette dernière est souvent entre les mains des partenaires sociaux, même si l’État, comme il l’a déjà montré par le passé, sait bien sûr prendre ses responsabilités quand cela s’avère nécessaire.
Je veux maintenant dire quelques mots sur le point qui est peut-être le plus important : les hypothèses de programmation.
Vous les avez tous évoquées, les qualifiant tantôt d’optimistes, tantôt de réalistes. En tout cas, nous les assumons. Le projet de loi qui vous est soumis a été élaboré à la fin du mois d’août ; nous sommes au mois de novembre.
M. Vincent Delahaye. Ça ne fait jamais qu’à peine plus de deux mois !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Sans doute, monsieur le sénateur, mais je lisais ce matin qu’un organisme – que ce soit l’OCDE, la Commission européenne, l’INSEE, le FMI, la Banque de France, telle ou telle agence, tous emploient des spécialistes plus qualifiés les uns que les autres ! – avait diminué de 0,1 point les prévisions pour la France. Et de telles annonces s’enchaînent tous les huit jours !
Or nous vous présentons une loi de programmation pour les trois, voire pour les cinq prochaines années. Nous ne révisons pas nos chiffres tous les huit jours ! Mais l’INSEE, lui, publie des prévisions révisées très régulièrement.
Il est facile de prévoir le passé. Monsieur Delahaye, vous avez affirmé tout à l'heure que le faible niveau d’inflation que nous connaissons actuellement était prévisible. Bravo ! Vous êtes le seul à l’avoir prévu ! Voilà un an, ou même six mois, aucun organisme, si éminent fût-il, n’avait annoncé que l’inflation en Europe serait aussi faible aujourd'hui. Sur la croissance, oui, on nous faisait des remarques, mais personne n’avait écrit dans une note de conjoncture que la faible inflation serait une caractéristique de la période que nous traversons aujourd'hui. À part vous, peut-être !
À l’avenir, il faudra que je demande aux uns et aux autres de mettre dans une enveloppe cachetée leurs prévisions de croissance et d’inflation pour les années 2017, 2018 et 2019 ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Car il est un peu facile de nous reprocher, après coup, de nous être trompés dans les prévisions quant au niveau de l’inflation !
Je le dis avec beaucoup d’humilité, mesdames, messieurs les sénateurs, au poste que j’occupe, avec tous les techniciens et spécialistes qui nous entourent, que ce soit au Trésor ou dans les services des grandes administrations de l’État, nous annonçons des prévisions parce que les lois organiques nous y obligent et pour nous donner de la lisibilité. Mais, de grâce, comparons avec ce qui s’est fait dans toutes les lois de finances précédentes !
Dans l’avis du Haut Conseil des finances publiques, sur lequel certains aiment à s’appuyer aujourd'hui - et qui sont d'ailleurs tout aussi prompts à revendiquer les prérogatives du Parlement par rapport aux autorités indépendantes, y compris le Haut Conseil –, vous lisez la phrase qui vous arrange suivant que vous vous trouvez d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle. Reconnaissez tout de même – et certains membres de la majorité sénatoriale y ont consenti – que les prévisions de croissance du projet de loi sont probablement plus proches que jamais de ce que l’on appelle le « consensus des prévisionnistes », que j’évoquais précédemment avec un peu d’ironie.
Monsieur le rapporteur général, vous avez, avec une grande précision, qui vous honore et qu’il faut saluer, détaillé l’ensemble des questions.
S’agissant de la méthode, avec d’autres, vous nous avez reproché d’avoir préféré changer la loi parce que nous avions été mis en demeure d’utiliser la procédure de correction des écarts. Monsieur le rapporteur général, avec tout le respect que je vous dois, je vous rappellerai que cette procédure a été clairement inscrite dans la loi organique du 17 décembre 2012, loi qui a d'ailleurs été votée dans un large consensus au Parlement.
Dès lors, comment peut-on nous reprocher d’avoir eu recours à cette procédure ? Ayant constaté que la conjoncture évoluait de façon significativement différente de ce qui était attendu, nous avons fait ce choix et nous l’assumons. Bien sûr, on peut avoir un avis tout à fait différent, et tout aussi respectable, sur l’appréciation de la situation. Pour notre part, nous constatons que la croissance semble durablement atone en France, comme partout ailleurs en Europe.
La baisse de l’inflation, qui est le fait nouveau que personne n’avait prévu – à l’exception d’un seul ! – change la donne. Nous assumons le choix de reporter dans le temps l’atteinte des objectifs que nous avions pu nous fixer dans un contexte différent. Le contexte ayant changé, le principe de réalité et le pragmatisme nous imposent de procéder à certaines modifications.
M. le sénateur Rachline a parlé d’un déficit public de l’ordre de 2 000 milliards d’euros ; j’ai d’ailleurs eu le sentiment que beaucoup d’entre vous avaient tiqué en entendant ce chiffre… Je pense qu’on peut mettre sur le compte de l’inexpérience le fait de confondre le déficit et la dette. Nous dirons que c’est un péché de jeunesse ! Non, Dieu merci, le déficit public n’atteint pas un tel montant !
Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat est légitime. Cela étant, adopter une loi de programmation des finances publiques sans les « articles de chiffres », comme votre commission le propose, nous paraît tout de même assez inconcevable. C’est pourquoi le Gouvernement vous proposera de les rétablir.
En tout cas, je remercie chacune et chacun de sa contribution au débat.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019
TITRE Ier
ORIENTATIONS PLURIANNUELLES DES FINANCES PUBLIQUES
Article 1er
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Est approuvé le rapport annexé à la présente loi, prévu à l’article 5 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Si vous me le permettez, madame la présidente, je présenterai simultanément les amendements nos 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 32, 33 et 34, qui visent tous à rétablir les « articles de chiffres » tels qu’ils étaient issus des travaux de l’Assemblée nationale. Nous en avons, me semble-t-il, assez largement débattu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je serai également très bref, la discussion générale nous ayant suffisamment éclairés sur le désaccord de fond de la majorité sénatoriale quant à la trajectoire proposée par le Gouvernement.
Un important rapport a été publié par la commission des finances. Les services de la commission ont réalisé un travail extrêmement approfondi, qui explique notre critique portant sur les économies structurelles et la renonciation à l’objectif de réduction du déficit.
Pour les raisons qui ont été mentionnées et compte tenu des désaccords qui ont été exprimés, notamment par la majorité sénatoriale, à l’égard de la position du Gouvernement sur cette loi de programmation, la commission a évidemment émis un avis défavorable sur l’ensemble des amendements qu’il a présentés et qui visent tous à rétablir les articles que nous avons supprimés.
Nous n’allons pas nous lancer, en cet instant, dans une bataille de chiffres, mais je voudrais revenir succinctement sur les propos que vient de tenir M. le secrétaire d’État.
Comme le souligne le rapport de la commission, la dépense publique reste très sensiblement plus élevée en France : de plus de 7 points de PIB par rapport à la moyenne des autres pays de la zone euro. Le secrétaire d'État a cité la période 2002-2012. Je rappelle que c’est au cours de cette période, en 2008, que s’est déclenchée une crise majeure.
Nous avons longuement évoqué ce sujet en commission, à propos tant du projet de loi de programmation des finances publiques que du projet de loi de finances pour 2015 : tous les pays européens, du fait de cette crise, ont été amenés à recourir à l’augmentation de la dépense publique pour soutenir l’investissement et éviter l’effondrement de la zone euro.
Ce qui est plus inquiétant aujourd'hui, c’est la comparaison des courbes. En 2012-2013, les pays de la zone euro ont augmenté leurs dépenses publiques de 1,2 % en moyenne, quand la France les augmentait de plus du double, soit d’environ 2,5 %.
S’il y a eu une période où l’ensemble des pays, y compris la France, ont eu recours à la dépense publique, depuis 2012-2013, le nôtre se caractérise à la fois par un niveau de dépense publique plus élevé et par une augmentation annuelle de plus du double de la moyenne de la zone euro. C’est ce qui nous préoccupe, tant en termes de comparaison européenne que de trajectoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Nous sommes dans un débat classique entre majorité et opposition sur le caractère plus ou moins réaliste ou optimiste des prévisions économiques d’un gouvernement. Je comprends que l’opposition conteste celles qui nous sont présentées.
Nous pourrions disserter longuement, comme le fait le rapport de la commission – il est d’ailleurs excellent, monsieur le rapporteur général –, sur l’estimation de la croissance potentielle, de l’écart de production, sur les conséquences de ces estimations sur le déficit structurel, etc. Pour ma part, je considère que ces débats entre techniciens sont relativement secondaires par rapport à la véritable question qui nous est posée, en tout cas selon moi, et qui pourrait s’énoncer de la manière suivante : la France est-elle capable de revenir sur un sentier de 2 % de croissance, à quel horizon et à quelles conditions ?
M. Philippe Dallier. Eh oui ! À quelles conditions ?
M. Jean-Pierre Caffet. Puis-je m’exprimer sans être interrompu, monsieur Dallier ?
M. Philippe Dallier. Oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Merci !
Or, sur cette question, nous n’avons pas de réponse de la part de la majorité sénatoriale.
On peut supprimer tous les articles de la loi de programmation ! Jean Germain a montré les problèmes constitutionnels que pouvait induire le choix de la commission. On peut même se passer de programmation ! J’aimerais cependant entendre la majorité sénatoriale nous dire quel cheminement elle envisage, à quel terme et à quelles conditions. Or le rapport reste totalement muet sur ce point, monsieur le rapporteur général.
J’ai cru comprendre que, pour revenir à un sentier de 2 % de croissance, il faudrait procéder à une purge budgétaire. Mais vous ne le dites que de manière allusive et sans donner aucun chiffre. En tout cas, c’est là le désaccord que nous avons avec vous.
Nous pensons, nous, que, pour revenir à un sentier de 2 % de croissance, il faut d’abord restaurer la compétitivité de l’économie française, c'est-à-dire celle des entreprises. Le CICE, le pacte de responsabilité et de solidarité, de notre point de vue, répondent à cet enjeu, qui est fondamental.
En ce qui concerne le rétablissement des comptes publics et la gestion des finances publiques, nous avons une divergence. Pour ma part, je suis plutôt d’accord avec Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, qui affirmait, voilà quelques semaines à peine : « La consolidation budgétaire doit se faire à un rythme mesuré et bien calibré. » C’est exactement ce que fait le Gouvernement ! Vous pouvez certes reprocher au Gouvernement de suivre les recommandations du FMI…
Moi, j’aimerais vraiment savoir comment vous allez rétablir la croissance en réduisant la dépense publique bien au-delà de ce qu’envisage le Gouvernement. J’ai entendu des chiffres divers et variés, compris entre 100 milliards d’euros et 150 milliards d’euros. Nous ne savons d'ailleurs pas si ces économies seraient réalisées en tendance ou en niveau. Pourriez-vous également nous éclairer sur ce point, chers collègues de l’opposition ? Nous ne savons pas non plus en combien de temps cela pourrait se faire.
Très franchement, pensez-vous qu’en réduisant en trois ans ou en cinq ans la dépense publique de 150 milliards d’euros, que ce soit en tendance ou en niveau d'ailleurs, vous allez revenir sur un chemin de croissance de 2 % ? (Oui ! sur les travées de l’UMP.)
Vous pouvez le croire !
Toujours est-il que je m’étonne de vos propos sur les effets de la dépense publique en fonction des acteurs de cette dépense : selon vous, seule la réduction de la dépense publique des collectivités territoriales aurait un caractère récessif !
M. Jean Germain. Pour l’instant !
M. Jean-Pierre Caffet. Vous pouvez supprimer le « glissement vieillissement technicité », le fameux GVT, vous pouvez diminuer les prestations sociales… Pour vous, tout cela n’aura rigoureusement aucune incidence sur la croissance ! Dans votre raisonnement, seules les collectivités territoriales sont porteuses de croissance. Un enfant de quatre ans ne croirait pas à cette fable ! Alors, monsieur le rapporteur général, comment y croire quand on a atteint mon âge ? (Sourires.)
On peut toujours casser le thermomètre et se priver de prendre la température ! Mais j’aimerais connaître les propositions de la majorité sénatoriale en matière de réduction de la dépense publique.
Que propose, par exemple, la commission des affaires sociales ? Une réduction du déficit de l’ensemble des organismes de protection sociale de 700 millions d’euros en 2015 et de 300 millions en 2016. D’un côté, la majorité propose des économies d’un milliard d’euros sur le système de santé, de l’autre, elle revient sur la disposition concernant les allocations familiales. Faites les comptes : cela fait 700 millions d’euros d’économies en 2015 et 300 millions en 2016.
Franchement, est-ce avec de telles mesures, et alors que le PLFSS représente une dépense totale d’environ 500 milliards d’euros, que vous allez régler le problème de la dépense publique et faire revenir la France sur un sentier de 2 % de croissance ?
Encore une fois, personne ne peut croire à cette fable.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. J’ai toujours pensé – je n’étais sans doute pas le seul – que les anticipations d’inflation de la BCE étaient trop hautes et que, de ce fait, elle maintenait les taux à un niveau plus élevé qu’aux États-Unis, alors que la Fed, la Réserve fédérale américaine, était beaucoup plus réaliste quant à l’inflation prévisible et savait répondre plus promptement à un risque de sous-activité.
J’ai également toujours pensé que les niveaux de dépense publique et de prélèvements obligatoires de notre pays, nettement plus élevés que ceux des autres pays, constituaient un fardeau pour notre économie et nous empêchaient de rejoindre le sentier des 2 % de croissance.
Les prédécesseurs de M. le secrétaire d’État nous ont souvent brossé un tableau très flatteur de l’avenir et promis des taux de croissance de 2 %, voire 2,5 %. Or le niveau actuel de la dépense publique et des prélèvements obligatoires, je le répète, ne nous permet pas d’atteindre ces objectifs.
Pour ce qui est des prévisions, monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas capable de me projeter à l’horizon 2018-2019. Je me contente de l’année prochaine et, si j’avais à faire ce budget, je prendrais des hypothèses prudentes.
Qu’est-ce qu’une hypothèse prudente en matière budgétaire ? Il s’agit du consensus des prévisionnistes auquel on retranche 0,5 point. Je l’avais déjà proposé il y a deux ans et, si l’on m’avait suivi, je crois que l’on ne serait pas tombé loin du taux réellement atteint.
Le consensus du mois d’août – car il change tous les mois – était de 1 %. Prenons ce chiffre et enlevons 0,5 point. Avec les 0,5 % obtenus, construisons un budget et prenons rendez-vous pour l’année prochaine. Si l’on fait 0,6 % ou 0,7 % de croissance, nous aurons enfin de bonnes surprises ! Et moi, je suis friand de bonnes surprises en matière budgétaire, monsieur le secrétaire d’État, car j’en ai assez d’en avoir de mauvaises chaque année.
On nous annonce le beau temps pour demain, on attend le retour de la croissance… Comme je l’ai dit dans la discussion générale, nous avons l’impression que le Président de la République attend le retour de la croissance, qu’il pense qu’elle finira bien par arriver, par nous tomber dessus… Eh bien non ! Il faut prendre des mesures pour cela !
Sur les retraites, sur les allocations chômage, on n’est pas allé assez loin. Beaucoup de choses restent à faire !
Pourquoi la réduction de la dépense publique des collectivités territoriales est-elle plus récessive ? Vous avez la réponse…
M. Claude Raynal. Non !
M. Vincent Delahaye. L’investissement ! Vous n’avez qu’à regarder qui investit encore dans ce pays !
M. Jean-Pierre Caffet. Parce que la consommation, elle, n’a rien à voir avec la croissance ?
M. Vincent Delahaye. Croyez-vous que c’est l’État qui investit ? Il ne consacre qu’à peine 2 % de son budget à l’investissement !
Vous parlez d’assainissement budgétaire, mais il n’y a aucun assainissement ! Les déficits sont maintenus entre 75 milliards et 80 milliards d’euros et la dette a augmenté de 250 milliards d’euros depuis mai 2012 ! Est-ce cela, l’assainissement budgétaire ? Laissez-moi rire !
Je ne pense pas que Mme Lagarde, dans la phrase que vous avez citée, parlait de la situation de la France ni de ce qui est proposé par le Gouvernement dans ce texte !
M. Vincent Delahaye. Les dispositions de ce projet de loi sont totalement insuffisantes.
C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas les amendements proposés par le Gouvernement. Je ne crois pas à cette trajectoire budgétaire. On nous raconte encore des fables. Nous nous sommes passés de programmation pendant des années ; aujourd’hui, nous en avons une, mais à quoi nous sert-elle ? J’ai posé la question au président du Haut Conseil des finances publiques ; il m’a répondu que c’était mieux que rien… Je n’en suis même pas sûr : ces prévisions ne sont visiblement ni réalistes ni prudentes. Or, en matière de finances publiques, il faut être prudent et rigoureux, parce qu’il s’agit d’argent qui appartient à tout le monde.
Je ne partage absolument pas l’option du Gouvernement consistant à faire porter l’effort sur les collectivités territoriales, sur les familles et sur la défense nationale. Il ne s’agit pas de bons choix. D’autres voies sont à explorer.
M. Claude Raynal. Lesquelles ?
M. Vincent Delahaye. Je l’ai dit : les retraites, les allocations chômage… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mais qu’attendez-vous pour faire des réformes sur ces sujets ? Beaucoup de choses sont à faire s’agissant du marché du travail, du code du travail…
Le Président de la République en est à chercher des idées, nous dit-on. Peut-être nous donnera-t-il ce soir quelques-unes des pistes sur lesquelles il va travailler d’ici à la fin de son quinquennat.
M. Philippe Dallier. Une idée par ministre !
M. Alain Gournac. Une idée par membre des cabinets !
M. Vincent Delahaye. Toujours est-il que le Gouvernement semble en panne d’idées. Nous avons l’impression d’aller dans le mur. Serge Dassault parlait tout à l'heure de « précipice ». Nous n’en sommes effectivement pas si loin !
Si la conjoncture se retourne, nous risquons d’avoir de très, très mauvaises surprises. J’entendais M. Botrel nous parler de la dette et dire que le Gouvernement faisait des efforts. C’est oublier que ce sont les marchés qui fixent les taux, pas nous. Tant mieux s’ils sont bas aujourd’hui, mais, s’ils devaient se retourner, le coût de la dette deviendrait monstrueux.
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Je voudrais en quelques mots expliquer mon vote sur l’ensemble des amendements visant à rétablir les articles de cette loi de programmation que le rapporteur général nous a proposé de supprimer en commission.
Aujourd’hui, l’alternative est simple : soit, comme nous y invite monsieur le secrétaire d’État, nous rétablissons les dispositions supprimées, et il y a une loi de programmation des finances publiques, soit, suivant la proposition du rapporteur général, nous adoptons le texte de la commission, et il n’y a pas de loi de programmation des finances publiques dans le pays.
Je souhaite m’associer aux propos de Jean-Pierre Caffet et dire qu’il me paraît souhaitable d’avoir une gouvernance des finances publiques, une loi de programmation, un cadrage sur le moyen et le long terme.
Je veux aussi mettre en avant deux arguments.
Premièrement, on nous dit que les prévisions manqueraient de réalisme et de crédibilité. Or je pense qu’elles sont en ligne avec les projections des principaux instituts de prévision, l’OCDE et le FMI. Je crois que le réalisme est bien au cœur des projections qui nous sont soumises aujourd’hui et qu’il convient de suivre la proposition qui nous est faite.
Deuxièmement, on nous dit que le projet du Gouvernement ne comporterait pas assez d’économies sur les charges, sans nous indiquer pour autant sur quelles charges il faudrait réaliser des économies supplémentaires…
Je voudrais attirer votre attention sur l’exercice d’autocritique et de rétropédalage auquel se livrent beaucoup d’instituts de prévision. Le FMI vient de le faire, en reconnaissant avoir commis une erreur majeure après avoir préconisé pour un certain nombre de pays européens des programmes qui se sont révélés très récessifs.
Par ailleurs, j’observe qu’au sein de l’UMP, au sein de la droite sénatoriale, des désaccords fondamentaux existent sur le point de savoir jusqu’où aller en matière d’économies. En commission des finances, certains d’entre vous ont évoqué l’existence d’un coefficient récessif de l’ordre de 1,7, ce qui signifie qu’une baisse des dépenses de 1 peut entraîner un effet récessif de 1,7 : c’est considérable. Dès lors, on voit bien qu’au sein même de l’opposition, la ligne n’est pas très clairement affirmée. C’est la raison pour laquelle vous vous contentez de remettre en cause quelques-unes des projections et de supprimer les principaux articles de cette loi de programmation.
Je crains que l’exercice ne révèle très vite ses limites. On ne peut qu’attendre de vous, dans les semaines qui viennent, plus de précisions sur vos propositions.
Il me semble important de restituer à cette loi de programmation ses articles supprimés. C’est pourquoi le groupe socialiste soutiendra tous les amendements présentés par Christian Eckert. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Il y a au moins un point sur lequel je suis d’accord avec Jean-Pierre Caffet : la bonne question est celle de savoir comment retrouver nos 2 % de croissance.
Mais il est une seconde question qu’il faut se poser : avons-nous du temps devant nous ? Vous semblez répondre oui ; pour notre part, nous répondons non.
Les 2 000 milliards d’euros de dette sont comme une épée de Damoclès. Vous savez très bien ce que signifierait pour notre pays une remontée des taux d’intérêt. L’État emprunte, pour son propre compte, quasiment 200 milliards d’euros par an sur les marchés financiers : 70 ou 75 milliards d’euros pour financer le déficit, le reste pour refinancer les emprunts arrivant à échéance.
Que se passerait-il avec une hausse des taux de 100 points de base ? En cinq ans, tout va très vite : 2 milliards d’euros de plus la première année, 4 milliards la deuxième, puis 6, puis 8. Et cela pour seulement 100 points de base ! Rappelez-vous : il n’y a pas si longtemps, les taux d’intérêt étaient plus élevés. Or on nous annonce leur remontée. Prenez un scénario moyennement pessimiste d’une hausse de 300 points de base et faites le calcul !
Vous pensez avoir du temps devant vous pour essayer de réduire tranquillement la dépense publique ; nous ne le pensons pas. Sur cette question, monsieur Marc, il n’y a pas de désaccord au sein du groupe UMP ; nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a urgence !
La question est bien de savoir à quel rythme réduire la dépense publique. Ce que vous nous proposez aujourd’hui montre que vous pensez avoir encore du temps : 2017-2019 !
Mais, mes chers collègues, si nous connaissons entre-temps une forte remontée des taux d’intérêt, vous devrez nous expliquer comment faire face à l’augmentation de la charge de la dette. C’est celle-là, la seconde question fondamentale !
C’est pourquoi nous disons qu’il faut en cinq ans trouver 100 milliards d’euros. S’agit-il d’une purge ? En cinq ans, non.
Vous dites que vous aimeriez entendre nos propositions. Mais vous les connaissez déjà !
Vous ne souhaitez pas toucher globalement au nombre de fonctionnaires. Vous préférez réduire les effectifs de l’armée de terre pour continuer à recruter dans l’éducation nationale.
Vous faites des choix et vous les assumez, mais vous refusez de réduire véritablement la voilure. Et pourtant, en seulement dix ans, le nombre de fonctionnaires, État et collectivités territoriales confondus, a crû de 900 000 !
Vous ne voulez pas toucher au temps de travail. Nous, nous souhaitons revenir sur les trente-cinq heures.
Des propositions comme celles-là, je pourrais en décliner un certain nombre…
La différence est là : vous ne voulez pas toucher à grand-chose et vous espérez que vous aurez le temps. Nous, nous pensons que vous faites courir un très grave risque à ce pays et que nous pourrions le payer très cher.
L’Espagne et le Portugal, qui se sont trouvés dans une situation impossible parce qu’ils ne pouvaient plus refinancer leur dette, ont été obligés de procéder à de véritables purges budgétaires, très douloureuses pour les populations. C’est justement parce que nous ne voulons pas en arriver là que nous considérons qu’il faut faire des efforts supplémentaires.
Vincent Delahaye l’a signalé, l’État consacre désormais 2 % de son budget à des dépenses d’investissement. Cher Jean-Pierre Caffet, en tant qu’élu de Paris, vous savez bien que la situation est complètement différente pour les collectivités territoriales : la baisse de la dotation globale de fonctionnement va certainement les conduire à réduire la voilure en matière d’investissement. Elles joueront d’ailleurs sur trois leviers : un peu sur celui les dépenses de fonctionnement, beaucoup sur celui de l’investissement, et peut-être aussi sur les impôts locaux. L’effet récessif sera donc important.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, on peut faire dire beaucoup de choses aux chiffres, mais fonder votre démonstration sur une moyenne annuelle de l’augmentation du déficit au cours la période 2002-2012 n’est pas du niveau de ce débat ! À la fin de l’année 2003, après les années Jospin, alors que la croissance avait déjà commencé à piquer du nez, le déficit budgétaire se montait à 55 milliards d’euros. À la fin de l’année 2007, avant la crise, il était redescendu à 37,5 milliards d’euros. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) Excusez-moi, mes chers collègues, mais nous avions réduit le déficit budgétaire !
Après la crise, le déficit a atteint 140 milliards d’euros. On sait pourquoi : il a fallu relancer l’économie et soutenir la croissance. Souvenez-vous, chers collègues de l’opposition sénatoriale, de ce vous disiez à l’époque : le plan de relance n’était jamais suffisant ; il aurait fallu que nous en fassions plus ! Alors, effectivement, nous avons creusé le déficit.
Voilà, en somme, les différents points qui nous opposent. Je partage, tout comme les autres membres du groupe UMP, l’avis exprimé par le rapporteur général. Nous pensons que les prévisions du Gouvernement sont bien trop optimistes ; nous ne pouvons donc pas voter les amendements qu’il nous soumet.
Je souhaite du fond du cœur que les taux d’intérêt de la dette ne dérapent pas ; mais c’est bien ce qui nous pend au nez, et c’est un risque majeur ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)