M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Madame le sénateur, votre question est très importante pour nos agriculteurs, dans un pays comme le nôtre, défenseur de la filière bovine. Il est parfaitement légitime que la représentation nationale, à travers vous, soit exigeante à l’égard du Gouvernement. Toutefois, vous le savez, Stéphane Le Foll a eu l’occasion à plusieurs reprises de démontrer sa mobilisation en faveur de la défense de cette filière, dont le rôle est stratégique pour notre agriculture et nos agriculteurs. Croyez bien à l’engagement très sincère et puissant du Gouvernement, au plan tant national, qu’européen et international.
Vous l’avez dit, dans les traités de libre-échange, cette question est essentielle. Nous voulons défendre la filière de production française lors de chaque négociation. Vous avez eu raison de souligner que le bœuf est un produit sensible, comme la viande de porc, le sucre et l’éthanol. C’est entendu avec la Commission, nous refusons que soient abaissés les tarifs douaniers européens à zéro sur ces marchandises. Ce point fait partie du mandat de négociation.
En revanche, des quotas à droit zéro peuvent être octroyés à nos partenaires commerciaux pour de la viande de bœuf, bien sûr exclusivement sans hormones, ce qui…
Mme Françoise Laborde. … est déjà beaucoup !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … apporte une clarification importante par rapport à la production nord-atlantique.
Dans le cas du Canada, l’Union européenne a octroyé un quota en franchise de droits de 45 780 tonnes de viande de bœuf sans hormones. Ce quota sera atteint progressivement en cinq ans. En échange, le Canada a attribué un nouveau contingent sans droits de douane pour les fromages européens – cette demande émane évidemment aussi de la France – de 18 500 tonnes qui concerne donc largement la filière bovine.
Ces quotas ne perturberont pas le marché européen. Je vous l’affirme, ce que nous avons négocié avec le Canada ne servira pas de base à la discussion avec les États-Unis. La négociation avec le Canada est une chose ; celle que nous aurons avec les États-Unis en est une autre, si le processus se poursuit. Je ne veux pas anticiper sur les résultats d’une discussion dont, je le rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez, en tant que parlementaires, à juger.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre engagement. Je saurai m’en souvenir.
Ma réplique sera à dominante locale. La Haute-Garonne est trop souvent classée parmi les départements dits « urbains » en raison de la présence de la métropole toulousaine et de la place importante de son industrie aéronautique. Pourtant, le secteur agricole est bien présent sur ce territoire. Il peut s’appuyer notamment sur le pôle d’excellence Agrimip.
Or ce secteur souffre. Il est pris en étau entre une zone urbaine qui se développe et des contraintes réglementaires qui poussent de nombreux exploitants à cesser leur activité. Entre 2006 et 2012, il est important de le signaler, 25 % des éleveurs ont disparu, soit 556 élevages. Vous comprendrez aisément la crainte des éleveurs. Nous serons particulièrement vigilants lors du processus de ratification des accords européens à venir.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d’État, les discussions sur un traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada sont déjà anciennes – elles ont commencé voilà près de dix ans –, mais elles sont beaucoup moins connues que celles qui ont été entamées l’an passé avec les États-Unis.
Pourtant, il y aurait beaucoup à en apprendre, notamment quant à la manière dont elles ont été menées de part et d’autre.
Du côté canadien, un dialogue a été entrepris avant l’ouverture des négociations officielles entre Gouvernement fédéral et gouvernements provinciaux et territoriaux, y compris avec les municipalités et les groupes d’entreprises. Les provinces et territoires ont ainsi pu pleinement participer aux négociations quand celles-ci se rapportaient à leurs domaines de compétences.
Du côté européen, les choses se sont faites de façon très centralisée et parfois excessivement secrète autour de quelques services de la Commission. À l’inverse des territoires canadiens, nous n’avons disposé d’aucune étude d’impact précise permettant d’évaluer, pays par pays, région par région, secteur par secteur, les effets d’un tel accord au sein de l’Union européenne. Même nos gouvernements nationaux ont souvent peiné à connaître l’état précis des discussions et les options privilégiées par les négociateurs de la Commission.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre réponse précédente relative à la procédure de ratification. Je connais votre détermination à impliquer les parlements nationaux. Mais à l’heure actuelle, nous n’avons aucune certitude sur la procédure qui sera finalement retenue.
Au-delà de ce que l’on peut penser du projet de traité lui-même, cette totale dissymétrie observée sur le plan de la méthode illustre bien la très grande méconnaissance que nous avons, nous, Européens, du mode de fonctionnement fédéraliste de nos partenaires. Pourtant, nous ferions bien de nous en inspirer : ce sont notamment ces défauts dans nos pratiques démocratiques qui, chaque jour, alimentent un peu plus la crise de confiance de nos peuples à l’égard de nos institutions et de l’Union européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, ne jugez-vous pas urgent de repenser les procédures encadrant ce type de négociations, au moment même où la Commission négocie, et ce à marche forcée, je le souligne, de nouveaux accords de libre-échange, très décriés par l’opinion, avec les États-Unis ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur Gattolin, je vous remercie de votre question qui, elle aussi, est très politique.
L’organisation fédérale de nos partenaires, notamment américains et canadiens, peut, dans le cadre d’une négociation commerciale, leur conférer un avantage évident : leurs négociateurs doivent obtenir l’aval de chacune des provinces ou de chacun des États avant de prendre des engagements qui les concernent. Voilà sans doute de quoi relativiser les analyses sur le fameux « libéralisme américain »…
Cette rigidité institutionnelle n’existe pas au sein de l’Union européenne, en raison de la compétence des institutions communautaires en matière de politique commerciale, découlant des traités, du mandat de négociation conféré par les États membres à la Commission et de l’effet direct du droit de l’Union européenne et des conventions auxquelles celle-ci est partie.
Toutefois, les États membres sont pleinement associés à la définition et à la conduite des négociations, conformément aux traités, notamment via les réunions d’experts qui se tiennent chaque semaine à Bruxelles.
En outre, je vous confirme que les deux accords respectivement négociés avec les États-Unis et le Canada seront des accords de compétence mixte, ce que le commissaire au commerce a reconnu publiquement. Ils devront donc être également ratifiés par le Parlement français.
De surcroît, le Gouvernement est résolu à renforcer la transparence des négociations commerciales, tant vis-à-vis des assemblées parlementaires que de la société civile et des collectivités territoriales.
S’agissant du Canada, le négociateur européen a su obtenir des résultats que nous jugeons satisfaisants dans des domaines relevant, pour tout ou partie, de la compétence des provinces canadiennes. Je songe, par exemple, aux marchés publics : l’accord aboutit à une amélioration importante pour ce qui est de l’accès aux marchés publics des provinces.
Dans d’autres domaines relevant de la compétence des provinces, comme le commerce des vins et spiritueux ou la reconnaissance des qualifications professionnelles, l’accord consacre également des avancées notables. Notre but est bien entendu d’obtenir des résultats de même nature avec les États-Unis, si nous devions conclure avec eux un accord commercial similaire.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.
M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, qui vient préciser et clarifier encore les indications que vous nous avez précédemment données.
Permettez-moi cependant d’insister. J’ai assez souvent l’occasion d’aller au Canada. Le Québec, dont nous avons reçu ici même, la semaine dernière, le président de l’Assemblée nationale, M. Chagnon, a consacré plusieurs millions à des études destinées à mesurer l’impact précis qu’aura le traité entre l’Union européenne et le Canada.
M. André Gattolin. À l’inverse, nous ne disposons pas aujourd’hui, au niveau des États membres, de la France ou des régions, d’éléments de cette nature.
Certes, en amont, la Commission nous promet que le traité TAFTA garantira un demi-point de croissance supplémentaire et assurera la création de 300 000 emplois. Mais où ?
Pour m’être récemment rendu aux Pays-Bas, je sais que, là-bas, tout le monde, à gauche comme à droite, est favorable à cet accord. Et pour cause : le port de Rotterdam, qui, je le relève au passage, bénéficie depuis 2006 d’avantages absolument incroyables – les droits de douane y ont été quasiment abolis et n’ont de droits que le nom –, profitera pleinement de ce traité.
Comment donc se répartira la richesse nouvelle créée au sein de l’Union européenne ? Malheureusement, force est d’admettre que nous l’ignorons en grande partie. Il serait important que nous lancions des études précises en amont, pour éclairer les représentations nationales et les opinions publiques. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
M. Éric Bocquet. Avant tout, je tiens à saluer l’excellente initiative de nos collègues du groupe UMP, qui ont proposé que cette question fondamentale des accords de libre-échange soit abordée aujourd’hui dans l’hémicycle. Espérons que cette séance de questions permettra de sortir ce débat de l’obscurité dans laquelle il est plongé, loin des yeux et loin des têtes.
Rappelons ici que l’accord de partenariat transatlantique, qui, sous son acronyme anglais « TAFTA », pour Transatlantic Free Trade Agreement, est peut-être un peu moins inconnu, représente un enjeu majeur. En effet, il prévoit que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant ou d’une réparation de l’ordre de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.
Ces dispositions visent à brader des pans entiers du secteur non marchand. Or les discussions et les négociations autour de cet accord se déroulent derrière des portes closes. Les délégations américaines comptent plus de six cents consultants mandatés par les multinationales, qui disposent d’un accès illimité tant aux documents préparatoires qu’aux représentants de l’administration. Et rien ne doit filtrer.
À cela s’ajoute une autre préoccupation de taille, dont plusieurs de nos collègues se sont déjà fait l’écho.
Le texte stipule d’ores et déjà que les pays signataires assureront « la mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures avec les dispositions du traité ». En cas de non-respect de cette clause, les États pourraient être poursuivis devant les tribunaux d’arbitrage, spécialement créés pour trancher les litiges entre les investisseurs, d’une part, et les États, de l’autre. Le cas échéant, ces instances pourraient même prononcer des sanctions commerciales à leur encontre.
Chacun le sait, il y va de nos intérêts économiques, mais aussi de la démocratie et de la souveraineté des États.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre afin de créer, dans notre pays, les conditions d’un large débat, transparent et démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Bariza Khiari et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur Bocquet, j’ai déjà eu l’occasion d’apporter un certain nombre d’éclairages sur cette question. Je vais tenter d’être plus précis encore.
Dans le cadre des négociations menées au titre de l’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis, la France a des exigences précises, qui doivent être entendues.
La transparence est une nécessité absolue. Nous avons progressé dans cette direction, et nous irons encore plus loin. À ce titre, nous pouvons nous féliciter de la publication du mandat de négociation donné à la Commission européenne : voilà qui permet à tout un chacun de se forger un jugement quant aux objectifs visés en la matière.
C’est une étape très importante. Je le répète, nous voulons aller plus loin. Matthias Fekl réunira le comité stratégique de suivi les 28 et 29 octobre prochains. Cette instance réunit, d’une part, des représentants de la société civile, et, de l’autre, des élus.
Au sujet du mécanisme de règlement des différends, le fameux ISDS, vous le savez, la France a exprimé des réserves. Dans le cadre de l’accord avec les États-Unis, l’utilité de ce dispositif n’est pas avérée.
Par ailleurs, les critères de transparence et d’impartialité ainsi que le respect du droit des États à réguler sont pour nous des lignes rouges.
Il faudra respecter la consultation publique lancée par la Commission ; nous en connaîtrons les résultats en novembre. Je précise, à ce propos, que plus de 150 000 réponses ont été envoyées, dont 10 000 françaises.
Enfin, je rappelle que, pour la France et les autres États membres de l’Union européenne, les accords conclus avec les États-Unis et le Canada sont mixtes, et qu’ils devront, en cette qualité, être soumis à la ratification des parlements nationaux, donc au débat démocratique.
Monsieur Bocquet, sur toutes les travées de cet hémicycle, et notamment sur celles du groupe auquel vous appartenez, s’expriment des inquiétudes et des appréhensions. Elles sont très largement légitimes. Néanmoins, il faut valoriser les préventions qui sont les vôtres pour en faire une force dans la négociation. On ne peut se satisfaire de l’idée selon laquelle on ne pourrait pas avancer !
Le Gouvernement en est persuadé, il est possible d’obtenir des avancées, tout en restant ferme sur un certain nombre de principes. Nous sommes ouverts : ni contraints d’accepter nécessairement cet accord, ni contraints de le refuser ! C’est ce qui, à mon sens, fait la force de la position du gouvernement français.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de reconnaître que l’enjeu économique de cet accord est énorme, mais, vous en conviendrez, l’enjeu démocratique l’est tout autant.
Lors d’une conférence de presse tenue au cours de sa visite officielle aux États-Unis, en février dernier, le Président de la République a eu cette phrase très surprenante : « Nous avons tout à gagner à aller vite, sinon nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. » Nous avons pu évoquer, lors de cette séance, ce sujet essentiel pour notre avenir commun, mais nous pensons qu’il exigerait, à lui seul, plusieurs heures de discussion en séance publique – la possibilité reste ouverte, du moins je l’espère, monsieur le président !
L’un de nos collègues députés l’a récemment souligné, cet accord négocie des règles qui sont autant de choix de société. Souvenons-nous du mot de Condorcet : « Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. »
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur quelques travées du RDSE.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à insister à mon tour sur la transparence. Je reviendrai en outre sur les formes de ratification qui garantissent la souveraineté nationale et, je l’espère aussi, la souveraineté européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez bien indiqué que votre collègue Matthias Fekl avait écrit à la Commission. C’était le 17 septembre. Que répond la Commission ? Quels outils nouveaux seront mis en œuvre pour garantir l’information de chaque État ? En effet, dans la mesure où les cycles de négociations sont associés à des thèmes, il serait tout de même assez légitime qu’à l’issue de chaque thème les différents parlements nationaux soient informés.
Comme tous mes collègues, je m’associe bien sûr aux messages de sympathie qui ont été adressés au peuple canadien, aujourd’hui dans l’angoisse et la peine. Je constate cependant que, s’il a été beaucoup question du traité CETA avec le Canada, nous n’avons pas parlé d’un traité qui se prépare, avec ce même pays, dans le domaine des services. Cette négociation est menée dans le plus grand secret à Genève, à quelques rues de l’OMC, mais en dehors de l’OMC, avec la participation de l’Union européenne et des États-Unis, sous l’égide de l’ambassade d’Australie.
Nous devons être informés non seulement des étapes suivies et des sujets traités, mais aussi du champ de ces négociations. WikiLeaks a publié des documents classés « secret », dans lesquels on pouvait lire que la négociation sur les services était ouverte à des sujets aussi sensibles que la libéralisation de la sécurité sociale ou du champ éducatif. Il y est en outre question de l’instance de règlement des différends, dont nous avons parlé, mais aussi de l’interdiction qui serait imposée aux États signataires de renationaliser tel ou tel secteur ou de le restaurer comme service public. Parallèlement, obligation leur serait faite de verser les mêmes subventions aux opérateurs, publics ou privés, d’un même domaine intervenant dans le champ des services publics.
Inutile de vous dire que c’est tout un pan du modèle historique de la France, et, je l’espère, de son modèle futur, qui risquerait d’être menacé par des décisions de cette nature.
On nous oppose en général, pour chasser nos inquiétudes, d’une part que la transparence sera accrue, de l’autre que les traités conclus devront être ratifiés par les parlements nationaux. Or rien n’est moins sûr.
M. Bizet l’a rappelé, le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a pris position contre la présence, dans le futur traité, de la fameuse clause sur le mécanisme de règlement des différends. On peut certes y voir la prise de conscience du refus exprimé par les États membres, mais il y a une autre réalité : dans les couloirs de la Commission, on murmure que, si cette clause était supprimée, l’accord perdrait son caractère mixte et ne serait plus que purement commercial ; dès lors, il ne serait soumis qu’à la ratification du Parlement européen, et non à celle des États membres !
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous garantir qu’en tout état de cause tous ces grands traités dont nous parlons seront qualifiés de « mixtes », justifiant de ce fait une ratification par les États membres ?
L’ampleur et la diversité des sujets abordés aujourd’hui par les uns et les autres le montrent bien, derrière la question du libre-échange commercial demeure celle du juste échange, loin d’être réglée, elle. Comme l’ont dit M. Guerriau, Mme Khiari et d’autres collègues, le juste échange, c’est celui qui, respectueux des normes mais aussi des ambitions, sait faire vivre l’humain avant l’argent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi. Tout est dit !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Madame Lienemann, un tel programme ne peut que vous rallier la quasi-unanimité du Sénat et, sans doute, de l’Assemblée nationale. Voilà qui est, à mon sens, de très bon augure pour bien cadrer les discussions techniques que nous consacrerons à ce sujet ! (Sourires.)
Vous le savez, je suis moi-même un militant politique, j’ai exercé des fonctions parlementaires et j’ai donc une certaine expérience. Des remarques similaires aux vôtres avaient été formulées en d’autres temps, non pas à propos de traités transatlantiques, mais tout simplement au sujet de la construction européenne.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Absolument !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Que n’ai-je entendu à l’époque! La construction européenne allait remettre en cause notre modèle républicain, notre sécurité sociale, nos services publics...
Il est vrai que certains États sont, de par le monde, moins avancés que la France. Nous sommes même – vous le savez, et, d’ailleurs, vous le rappelez fréquemment – l’un des pays dont la dépense sociale est la plus élevée et dont les structures publiques sont les plus étoffées. (M. Éric Bocquet acquiesce.) Si nous nous comparons au reste du monde, nous devons reconnaître que, sur ce point, nous sommes bien en avance sur beaucoup d’autres.
Je comprends, dès lors, pourquoi, dès que nous franchissons une frontière ou que nous discutons avec un autre pays, c’est tout notre modèle républicain ou notre modèle social qui, pour vous, risque d’être mis en cause.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Roger Karoutchi. Mieux vaut fermer toutes les frontières ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Mais ce gouvernement est particulièrement mobilisé autour des valeurs qui nous rassemblent, ainsi que cela a été constaté dans cet hémicycle il y a quelques instants. Les négociations secrètes, ou discrètes, dont vous parlez, ont lieu à l’OMC. Certes, et je m’en faisais l’écho à l’instant, la situation est grave pour l’OMC et malheureusement on ne voit pas trop prospérer ces discussions ; cela n’empêche pas, toutefois, de discuter !
Je vous confirme que nous avons très précisément exclu du mandat le modèle éducatif, la sécurité sociale et les services publics, questions qui sont, d’ailleurs, également exclues des champs de compétence classiques de l’Union européenne.
Pour le reste, je vous confirme que, s’il n’y a pas d’accord mixte, il n’y aura pas d’accord du tout ! Je ne sais pas si cette affirmation suffira à lever tous les doutes, mais, selon nous, il n’y a plus de motif d’inquiétude : il n’y aura pas de traité sans accord mixte, c'est-à-dire sans la possibilité, pour le Parlement français, de ratifier les engagements pris en son nom. Que dire de plus ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je prends d’abord acte du fait que cet accord ne sera pas ratifié par la France s’il ne s’agit pas d’un accord mixte. C’est essentiel, mais cela n’avait jamais été clairement dit à nos concitoyens. Je ne suis pas certaine, d’ailleurs, que cela ait été dit plus clairement aux autorités européennes, si j’en crois les récentes déclarations sur le sujet.
Je n’ai, ensuite, jamais prétendu que le libre-échange ne pouvait pas être encadré. Je souhaite seulement avoir la certitude qu’il n’y aura pas d’extension de concept en cours de mandat, comme c’est déjà le cas. La sécurité sociale et les retraites peuvent en effet être réintroduites par ce biais, à partir d’une extension du concept de liberté des fonds de pension. Le texte sur ce sujet évoque tous les mécanismes assurantiels relatifs à la santé et aux retraites, qu’ils soient publics ou privés. S’il ne s’agit pas de sécurité sociale ou de système de retraites, de quoi s’agit-il, monsieur le secrétaire d’État ?
Mais je suis rassurée, car vous ne laissez pas la moindre place au doute sur la question de l’extension de ces concepts. Pour autant, je serais tout à fait rassurée si une information régulière nous était adressée, pour que nous puissions prendre acte des désaccords à chaque étape. Comme vous, je n’exclus jamais un bon accord, mais, pour qu’il soit bon, encore faut-il que les points négatifs puissent être évacués à chaque étape ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde et M. Joël Guerriau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe UMP.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le secrétaire d’État, je m’associe également aux messages de sympathie qui ont été adressés au Canada, un pays que j’aime beaucoup. Je m’y suis d’ailleurs rendu le mois dernier avec une délégation de la commission des affaires économiques. Nous avons rencontré des responsables politiques fédéraux et provinciaux avec lesquels nous avons évoqué ce traité.
Je souhaite vous poser quatre questions à ce sujet.
La première concerne la ratification du traité. Pour l’Union européenne, j’ai bien entendu votre propos s’affermir au fur et à mesure de vos réponses, les premières étant plus floues : vous avez donc précisé que le Parlement français serait associé à la ratification, car il s’agirait bien d’un traité mixte.
Du côté canadien, nous avons observé une certaine distance entre les positions des gouvernements provinciaux et celles du gouvernement fédéral, dépositaire du mandat, je le rappelle. Avez-vous d’ores et déjà des assurances concernant la manière dont le Canada ratifiera ce traité ?
M. Philippe Bas. Très bonne question !
M. Jean-Claude Lenoir. Deuxième question, qu’en est-il des garanties pouvant être accordées à des entreprises, françaises mais aussi européennes, pour ce qui est de l’accès à la commande publique, notamment dans le domaine financier, dans les télécommunications et les transports ?
Troisième question, qu’en est-il des déplacements temporaires des cadres et salariés d’entreprises européennes qui vont au Canada ? Il y a là un vrai problème, qui nous a été exposé à plusieurs reprises.
Enfin, ma quatrième question touche à l’agriculture et aux menaces réelles qui pèsent, notamment, sur l’élevage français, menaces qui valent d’ailleurs aussi pour les États-Unis. L’Orne, que je représente, est un département de Normandie particulièrement concerné à deux titres : l’élevage laitier et la viande.
Pour ce qui concerne le lait, les réticences de certains milieux américains à l’égard de nos produits sont connues. Elles s’expliquent simplement : nos produits sont les meilleurs, je pense notamment au camembert ! (Sourires. – MM. André Gattolin et Roger Karoutchi applaudissent. )
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et le chaource ?
M. Jean-Claude Lenoir. Toutes les normes réglementaires et sanitaires imposées aux produits au lait cru, et d’une façon générale, à l’élevage, font naître des risques de distorsion de concurrence. En effet, l’élevage américain recourt, on le sait, à certains produits qui valorisent la viande et améliorent le goût. Certains éleveurs français s’inquiètent à juste titre de cette distorsion de concurrence et redoutent que ces productions n’inondent le marché européen.
Pour qu’un traité soit signé, monsieur le secrétaire d’État, il doit être « gagnant-gagnant ». Beaucoup aujourd’hui estiment qu’il pourrait être « gagnant-perdant » ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle est très précise !
M. Jean-Claude Lenoir. Elle appelle une réponse précise !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … au sens où elle part des services financiers pour finir sur le camembert ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. C’est très français ! (Nouveaux sourires.)