M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Parlons maintenant d’énergie.
Je formulerai une première recommandation, monsieur le secrétaire d'État : chaque pays doit pouvoir définir son propre bouquet énergétique. Le nôtre – il est connu – comprend une part importante de nucléaire. Protégeons cet acquis, qui a été consolidé par tous les gouvernements qui se sont succédé, même si nous avons un certain nombre de perspectives – certaines raisonnables, d’autres plus audacieuses – pour ce qui concerne les énergies renouvelables. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
À cet égard, je me permets de rappeler un point important : si le nucléaire constitue une composante importante de notre bouquet énergétique, nos voisins allemands consacrent une part considérable aux énergies fossiles. La part d’électricité produite par le charbon – ce combustible étant moins nécessaire aux États-Unis et à l’Amérique du Nord, il traverse aujourd’hui l’Atlantique vers l’Allemagne et les pays du nord de l’Europe, notamment – est telle qu’elle est passée en Allemagne de 30 % à 42 %, à laquelle il faut ajouter la production d’électricité à partir du gaz, qui représente 16 %, soit pratiquement 60 %. J’entends parfois que la France est le pays du tout-nucléaire. Mais parle-t-on du pays du tout-charbon ou du tout-fossile qu’est l’Allemagne ? Pourtant, l’Allemagne deviendrait un modèle…
On nous dit que les Allemands vont diminuer leur consommation d’électricité de 40 % d’ici à 2030 et que nous devrions en faire de même. Or je ne crois pas que la consommation va diminuer. Au contraire, celle-ci va gentiment augmenter, en raison de nouveaux usages, tel le véhicule électrique. Toutes les réflexions qui sont aujourd'hui menées sur les moyens à déployer pour produire de l’énergie doivent donc tenir compte d’un paramètre essentiel : la consommation.
Un autre point important concerne le prix payé. Au sein de votre majorité – non plus ici, monsieur le secrétaire d'État, mais dans une autre assemblée –, un courant de pensée, qui a d’ailleurs pris la forme d’un groupe parlementaire, veut à tout prix que l’énergie soit chère. Les écologistes prétendent avec une grande constance que le prix de l’électricité n’est pas assez élevé et que le coût du pétrole doit augmenter. Sur ce dernier point, ils auront largement satisfaction, car un certain nombre de mesures contenues dans le projet de loi de finances vont conduire, au grand dam des consommateurs français, à l’augmentation du prix du gazole ou du fioul, pour les raisons que vous savez et sur lesquelles je n’insisterai pas.
Pour ce qui concerne l’électricité, rappelons que le déploiement de tout le potentiel d’énergies renouvelables est supporté par le consommateur au travers de ce qu’on appelle la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui représente aujourd'hui environ 16 euros par mégawatt. En Allemagne, connaissez-vous, mes chers collègues, le montant de l’équivalent de la CSPE ? Le chiffre est certainement déjà dépassé, alors qu’il ne remonte qu’à quelques mois : 53 euros. Avant même d’utiliser un mégawatt, un Allemand paye 53 euros. Cela est notamment dû au fait que l’Allemagne utilise beaucoup d’énergies renouvelables ; le prix est donc très élevé en raison du coût des infrastructures. Savez-vous, par exemple, que, pour ce qui concerne l’éolien, 20 milliards d’euros ont été dépensés pour produire 40 térawatts-heure ? Concernant le photovoltaïque, ce sont 112 milliards d’euros – je dis bien 112 milliards d’euros ! – qui ont été dépensés pour produire 12 térawatts-heure.
En France, le parc électronucléaire de 58 réacteurs aura coûté moins de 100 milliards d’euros pour produire 400 térawatts-heure. Il faut avoir ces chiffres à l’esprit pour arguer du fait que la politique menée en France n’est pas honteuse. Au contraire ! Ce sont des atouts et des acquis que nous devons défendre.
Le temps qui m’est imparti étant déjà écoulé, je conclurai mon propos en évoquant une nouvelle qui nous a beaucoup réjouis ; je veux parler de Jean Tirole, qui s’est vu décerner le prix Nobel d’économie. Ce professeur a réalisé des travaux importants sur la puissance du marché et de la régulation. Or, monsieur le secrétaire d'État, en matière d’énergie, il faut à la fois du marché, de la régulation et de l’ambition ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis très heureux de m’exprimer ce soir pour la première fois à cette tribune en tant que président de la commission du développement durable pour évoquer la question essentielle du climat, qui sera l’objet d’une très importante conférence internationale à Paris en 2015 et qui sera à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
La politique énergétique et climatique fait partie des cinq priorités stratégiques définies par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne pour les cinq prochaines années. Ainsi que le relevait le Conseil européen du 27 juin dernier, « les événements géopolitiques, la compétition mondiale pour l’énergie et les impacts des changements climatiques nous incitent à repenser notre stratégie énergétique et climatique. Nous devons éviter une Europe reposant sur les importations massives de gaz et de combustibles. Pour s’assurer que l’énergie du futur soit pleinement sous contrôle, nous devons construire une Union européenne qui tend vers une énergie abordable, à l’approvisionnement sûr et durable ».
C’est dans ce contexte que, les 23 et 24 octobre prochain, les chefs d’État ou de gouvernement des vingt-huit États membres de l’Union européenne se réuniront pour statuer sur les trois objectifs du paquet énergie-climat pour 2030. Ces trois objectifs, tels que proposés actuellement par la Commission européenne, sont les suivants : 40 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins ; 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et 30 % d’efficacité énergétique par rapport aux projections futures de consommation d’énergie, c’est-à-dire un effort substantiel d’économies d’énergie.
Il est intéressant de noter que l’objectif en matière d’efficacité énergétique ne faisait pas partie de la proposition initiale de la Commission européenne et n’a été ajouté au paquet énergie-climat qu’en juillet dernier. On sait en effet que l’efficacité énergétique a un impact significatif sur l’indépendance énergétique, notamment sur la sécurité des approvisionnements et les importations de gaz. Selon les calculs réalisés par la Commission, un objectif de 30 % d’économies d’énergie d’ici à 2030 permettrait de réduire dans la même proportion les importations de gaz par rapport aux chiffres de 2010.
À ce stade des discussions, sur les trois objectifs évoqués, seul celui de 27 % d’énergies renouvelables serait contraignant et, en outre, à la seule échelle de l’Union européenne, sans ventilation par pays. Or chacun sait qu’il existe une grande disparité entre les pays membres, avec plus de 50 % d’énergies renouvelables dans certains pays comme la Suède et moins de 5 % au Royaume-Uni, par exemple.
Les lignes directrices préparées en prévision du Conseil européen évoquent également la nécessité de réformer le marché européen du carbone, en durcissant le plafond annuel de quotas, tout en maintenant des quotas gratuits pour les industries les plus exposées à la concurrence internationale.
La commission du développement durable a déjà eu l’occasion de souligner l’année dernière, assez unanimement d’ailleurs, la nécessité d’engager une réforme structurelle de ce marché d’échange, qui ne permet pas d’atteindre les objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre et qui, de surcroît, pénalise certains secteurs économiques.
Je ne rentrerai pas dans le débat sur les chiffres proposés, qui sont cohérents avec les objectifs retenus jusqu’à présent dans notre pays. Nous aurons largement l’occasion de nous exprimer au cours de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte sur le niveau d’ambition pour la France. La commission du développement durable prendra d’ailleurs toute sa part dans cette discussion déterminante pour l’avenir de notre économie.
Dans le contexte européen actuel, certains pays s’interrogent sur les objectifs proposés. Ils ont même manifesté, pour certains d’entre eux, une claire opposition lors du dernier Conseil européen consacré à ce sujet. C’est la raison pour laquelle des mesures de flexibilité et des mécanismes de soutien ont été prévus. Il s’agit en particulier des pays de l’Est, qui, derrière la Pologne et le groupe de Visegrád, refusent l’adoption d’objectifs contraignants pour 2030, préférant attendre les résultats de la conférence internationale de 2015 sur le climat.
Cette conférence internationale est une priorité de la diplomatie française, et nous nous en réjouissons. Concernant ces questions climatiques, le prochain Conseil européen sera le premier véritable test pour notre pays. À cet égard, pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le secrétaire d'État, dans l’optique de la présidence française des négociations de 2015 ? L’enjeu est en effet, vous en conviendrez, tout à fait considérable.
Trois mécanismes de solidarité sont aujourd’hui en discussion dans le cadre du paquet énergie-climat : la création d’une réserve de 400 millions de quotas pour financer des projets industriels pilotes à bas carbone ; la création d’un nouveau fonds, afin d’aider à moderniser les systèmes énergétiques et l’efficacité énergétique des pays dont le PIB est inférieur à 60 % de la moyenne européenne ; enfin, un transfert de 10 % des quotas destinés à être vendus aux enchères à destination des pays dont le PIB n’excède pas 90 % de la moyenne européenne, à savoir les pays de l’est et du sud de l’Europe.
Ces contreparties permettront-elles d’emporter un accord sur les objectifs européens ? Quelle sera la position de la France sur ces points précis ? Nous aimerions vous entendre sur ces questions, monsieur le secrétaire d'État.
Il s’agit bien à présent pour notre pays de tracer les grands axes de sa politique extérieure en matière de dérèglement climatique, dans la perspective de la conférence de Paris sur le climat. La feuille de route fixée en décembre 2011 lors de la conférence de Durban est claire : tous les pays doivent parvenir en 2015 à un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux, afin de respecter l’objectif de contenir le réchauffement climatique à deux degrés que s’est fixé la communauté internationale. Si l’on souhaite voir aboutir la conférence de Paris, il est impératif de pouvoir s’appuyer sur une position commune et forte, portée par tous les pays de l’Union, avant cette échéance.
La commission du développement durable contribuera à la réflexion commune en participant en fin d’année à la conférence préparatoire de Lima ainsi qu’aux différentes rencontres interparlementaires internationales et en reprenant les travaux de son groupe de travail sur les questions climatiques, qui se mobilisera tout au long de l’année 2015. Nous en sommes convaincus, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer dans la définition d’un nouvel accord mondial.
Il nous faut donc donner lors de ce Conseil européen un signal politique fort et clair. Il n’en faut pas moins rester réalistes afin que le signal envoyé soit positif.
Au-delà de l’impérieuse nécessité d’obtenir un accord international en décembre 2015, il est aussi indispensable de fixer une fois pour toutes un horizon clair pour les investisseurs qui ont besoin, en ce domaine comme dans bien d’autres, d’un cadre juridique stable et prévisible. Dans un contexte de crise économique grave, les négociations autour du paquet énergie-climat doivent aussi être l’occasion d’enclencher une politique économique résolument ambitieuse et génératrice d’emplois. De nombreux industriels européens l’ont parfaitement compris. C’est pourquoi ils se mobilisent fortement autour du prochain Conseil européen.
En France, le Conseil national de l’industrie prône un objectif contraignant prioritaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cinquante-sept entreprises et fédérations des secteurs de l’énergie et de la distribution ont appelé, dans une lettre adressée au Conseil européen, à un paquet énergie-climat ambitieux afin de permettre un accord mondial à Paris et de sécuriser les investissements à long terme.
Réussir la transition énergétique, c’est aussi adopter un cadre réglementaire national et européen cohérent et stable afin d’apporter la visibilité essentielle aux acteurs économiques tout en préservant à court terme la compétitivité des entreprises intensives en énergie et des entreprises fortement exposées à la concurrence internationale.
L’objectif à atteindre est clair. La position de la France dans le cadre de ce Conseil européen va largement conditionner sa crédibilité pour les négociations internationales à venir. En mars dernier, le Conseil européen n’était pas parvenu à adopter d’objectifs chiffrés pour 2030. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons désormais plus le droit à l’erreur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les 23 et 24 octobre prochain, les questions de climat et d’énergie seront en tête de l’ordre du jour du Conseil européen – plusieurs de nos collègues ont développé cet aspect –, mais il y sera aussi examiné la situation économique de l’Union européenne et de ses États membres. C’est pourquoi j’ai souhaité intervenir sur différents aspects de cette situation en la mettant en perspective à la lumière de questions budgétaires.
Pour commencer, je m’interroge sur l’examen annuel de croissance, qui marque le début du semestre européen. En 2014, la première priorité retenue est « d’assurer un assainissement budgétaire différencié propice à la croissance ». Il doit donc s’agir de concilier consolidation budgétaire et croissance. Le gouvernement français est pleinement engagé dans cette voie, mais les autorités européennes et certains de nos partenaires ne semblent pas prêts à dépasser le stade des discours.
À ce sujet, je souhaite précisément évoquer l’évaluation par la Commission européenne des projets de plans budgétaires des États membres de la zone euro, suite au two-pack entré en vigueur le 30 mai 2013. Nous saurons d’ici au 30 octobre si la Commission européenne a décelé dans le budget français un manquement particulièrement grave aux obligations découlant du pacte de stabilité et de croissance et si elle demande qu’un projet révisé lui soit soumis.
Ce Conseil est l’occasion de rappeler qu’un assainissement propice à la croissance n’est pas un assainissement qui étouffe la croissance. Le cas allemand constitue une bonne illustration de ce phénomène : les prévisions de croissance ont été abaissées, et il se pourrait que le dynamisme économique de l’Allemagne marque un ralentissement sur la durée. La crise économique a eu une incidence sur le potentiel de croissance de nos économies, et il ne faut pas l’empêcher de se reconstituer si nous voulons qu’un jour l’Europe contribue à nouveau à la croissance mondiale. L’Eurogroupe envoie des signaux encourageants en débattant des modalités selon lesquelles pourrait être mis sur pied un fonds d’investissement afin, notamment, de mettre en œuvre le plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur les trois prochaines années.
On assiste à de nombreux débats sur les modalités de financement de ces investissements, sur le rôle que pourraient jouer la Banque européenne d’investissement et les banques nationales telles que la KfW allemande ou la Caisse des dépôts française et sur le rôle que pourrait jouer ou ne pas jouer le mécanisme européen de stabilité. Mais on peine à y voir clair sur le type d’investissements visés. On évoque beaucoup les infrastructures. Ce plan portera-t-il essentiellement sur elles ? Je pense, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous donnerez peut-être des indications sur ce débat qui ne fait que commencer.
Enfin, je voudrais revenir sur l’agenda de la zone euro en matière bancaire et financière, point sur lequel la commission des finances est traditionnellement très vigilante. Dans ce domaine, le principal chantier en cours est celui de l’union bancaire. Dans quelques semaines, le premier pilier de l’union bancaire, le mécanisme de surveillance unique, va entrer en vigueur.
Le deuxième pilier est la résolution unique, c’est-à-dire la mise en place d’une architecture et d’un financement commun pour gérer les crises bancaires, afin d’éviter au maximum l’appel au contribuable pour renflouer les banques. Le règlement européen a été adopté et le projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne – dont le sigle « DDADUE » peut prêter à sourire –, que nous examinerons cette semaine, prévoit l’adaptation de notre droit à cette nouvelle architecture.
Cependant, la commission des finances est soucieuse du financement de notre économie. Elle n’oublie pas non plus que le contribuable français sera tout de même indirectement sollicité puisque toutes les sommes versées par les banques au fonds européen viendront réduire le montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles acquittent et qu’il faudra donc trouver de l’argent ailleurs pour poursuivre la réduction des déficits. C’est la raison pour laquelle nous nous inquiétons de la contribution des banques françaises au Fonds de résolution unique européen de 55 milliards d’euros. Nous avons donc adopté un amendement sur la proposition de notre collègue Richard Yung, rapporteur, qui permet, en quelque sorte, de « surseoir à statuer » sur la participation de la France au mécanisme de résolution unique tant que nous ne connaissons pas le résultat de la négociation sur le financement du Fonds de résolution unique.
Sur le fond, nous voudrions savoir pourquoi les banques françaises devraient payer une part supérieure aux banques allemandes alors que notre économie est de plus petite taille et notre système bancaire réputé moins risqué. Sur le calendrier, nous voudrions comprendre pourquoi la Commission européenne tarde à prendre les « actes délégués » dans lesquels doit figurer la répartition des contributions entre les différents systèmes bancaires de la zone euro.
Par ailleurs, si le fonds de résolution ne suffisait pas à éponger les pertes d’un établissement, quel serait le filet de sécurité ? Lors du lancement de l’union bancaire, l’objectif était de permettre in fine un financement par le mécanisme européen de stabilité, le MES. Cette idée a du mal à aboutir, alors même qu’elle représenterait la véritable intégration et la véritable solidarité à l’échelle de la zone euro. Un accord politique a été obtenu au sein de l’Eurogroupe le 13 juin dernier sur ce sujet, mais il pose de multiples conditions à l’utilisation du MES et nécessite de passer par la procédure lourde de l’accord intergouvernemental. Nous aimerions savoir si cette idée a des chances de prospérer.
Je conclurai en souhaitant que la France ne baisse pas la garde en matière de régulation financière. Le commissaire Jonathan Hill a présenté la régulation du shadow banking – la finance de l’ombre – comme l’un de ses chantiers prioritaires. Encore une fois, à nous de l’aider à passer de la parole aux actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce premier débat préalable au Conseil européen depuis le dernier renouvellement du Sénat. C’est un moment important auquel nous sommes très attachés. Il est en effet essentiel que le Sénat puisse avoir ce dialogue avec le Gouvernement, et je remercie M. le secrétaire d’État de sa disponibilité. Je remercie également mon prédécesseur, Simon Sutour, qui a veillé lors de la précédente mandature à ce que ce débat soit régulièrement organisé afin de partager auprès d’une majorité de nos collègues les problématiques européennes, problématiques que notre collègue Fabienne Keller a souligné comme étant très clairement imbriquées dans les problématiques nationales.
Notre débat d’aujourd’hui s’inscrit dans le contexte du renouvellement des institutions européennes. Si le Parlement européen confirme le 22 octobre, dans quelques jours à peine, la nouvelle Commission présidée par Jean-Claude Juncker, le Conseil européen pourra procéder à la nomination du collège.
Les défis sont nombreux. Jean-Claude Juncker les a identifiés. Il propose une feuille de route qui nous paraît pertinente. Il s’agit en effet de se concentrer sur les priorités de l’heure : la croissance et l’emploi, en tout premier lieu ; le climat et l’énergie ; le traité transatlantique ; le numérique ; les questions migratoires. Tels sont les grands sujets sur lesquels l’opinion publique attend l’Europe. Celle-ci ne doit plus se disperser dans des questions de détail. Cela lui a fait beaucoup de mal par le passé. La subsidiarité doit jouer pleinement son rôle. Nous, parlements nationaux, devons être les gardiens vigilants du respect de ce principe !
Le climat et l’énergie, chacun l’a dit, seront les deux sujets majeurs inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. Celui-ci devra en effet prendre une décision finale sur le nouveau cadre d’action dans ces domaines. Sa décision devra inclure la sécurité énergétique de l’Europe et les objectifs en matière d’interconnexion à l’horizon de 2030.
Le défi climatique est immense, nous le savons : 2013 a établi un nouveau record pour les émissions mondiales de CO2. Le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, estime qu’en prolongeant la trajectoire actuelle, le réchauffement atteindrait six degrés d’ici à la fin du siècle. Or les conséquences du réchauffement risquent de devenir incontrôlables au-delà de deux degrés. Sans doute la communication sur ces enjeux essentiels a-t-elle été maladroite, voire déficiente. À mes yeux, elle n’a pas suffisamment fait place aux scientifiques. On a trop privilégié une écologie punitive au détriment d’une écologie éducative.
L’Union européenne s’est positionnée comme pionnier de la lutte contre le changement climatique. Le président Juncker a repris les objectifs ambitieux de la Commission sortante. Cependant, il faut veiller à ce que l’Union européenne ne se fragilise pas unilatéralement en cherchant à être la « première de la classe ». Un principe de réciprocité doit s’appliquer. Je rappelle que l’Europe représente aujourd’hui environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De 1990 à 2011, ces émissions ont augmenté de 214 % en Chine, contre 130 % en Inde et 8 % aux États-Unis, alors que, dans le même temps, l’Europe abaissait les siennes de 18 %. Or, à ce jour, aucun engagement international contraignant n’implique l’Inde ni la Chine. C’est la raison pour laquelle la conférence de Paris sur le climat en 2015 revêtira un enjeu crucial.
Soyons aussi conscients des très grandes disparités nationales existant au sein de l’Union. La directive sur l’efficacité énergétique de décembre 2012 n’a été correctement mise en œuvre que par la moitié de ses États membres. En mars 2014, plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale ont demandé un « partage équitable du fardeau » pour atteindre les objectifs climatiques à l’horizon de 2030.
Certains secteurs industriels tirent aussi la sonnette d’alarme sur les risques de « désavantages compétitifs ». Des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu. Les secteurs de l’agriculture et des transports sont également exposés. On voit bien que ces questions doivent recevoir, je le répète, des réponses au niveau mondial.
L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais où le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis – le président Lenoir le sait mieux que quiconque. À la recherche de nouveaux moteurs pour sa croissance, l’Europe doit donc réfléchir à une politique véritablement énergétique. Elle doit aussi veiller à sa sécurité énergétique.
On a beaucoup investi dans les énergies renouvelables. Dans un récent rapport sur la coopération énergétique franco-allemande, j’avais fait valoir que l’Union européenne devait financer la transition énergétique tout en soutenant sa réindustrialisation. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer cette évolution. Au-delà, la progression des énergies renouvelables sera inévitablement ralentie dans un avenir proche. En effet, les investissements indispensables n’ont pas été réalisés pour pallier l’intermittence caractérisant la plupart des énergies renouvelables.
Voilà ce que je souhaitais dire concernant le paquet climat-énergie.
La situation économique au sein de l’Union européenne sera aussi un enjeu important de ce Conseil européen.
Chacun peut faire le constat préoccupant de l’atonie de l’économie européenne. Jean-Claude Juncker a annoncé un plan d’investissement de 300 milliards d’euros. Nous pouvons soutenir la démarche. Encore faut-il examiner de près d’où viendront les financements de ce plan. Vous avez commencé à l’évoquer, monsieur le secrétaire d’État. Je veux ici mettre en garde sur une éventuelle utilisation unilatérale des crédits des fonds structurels européens. Ceux-ci sont très attendus dans nos collectivités locales, notamment pour compenser, au moins en partie, la baisse drastique des dotations de l’État. Tout détournement de ces fonds ferait l’effet d’une douche froide dans nos territoires. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos explications à ce sujet.
En toute hypothèse, les débats autour d’une relance européenne ne peuvent dispenser la France de rétablir ses finances publiques et de réaliser les réformes structurelles indispensables.
À cet égard, je rappelle que nous évoluons dans un cadre juridique européen, établi à la suite de la crise économique et financière. C’est en vertu de nos engagements européens que le gouvernement français, comme celui de chaque État membre de la zone euro, doit soumettre à la Commission européenne avant le 15 octobre, c’est-à-dire avant demain, son projet de plan budgétaire. La Commission européenne rendra un avis public sur ce projet avant la fin de novembre ; elle peut, en particulier, requérir d’un État membre qu’il révise son projet sous trois semaines. Si, par hypothèse, ce cas de figure se présentait pour la France, je souhaite que nous demandions à la Commission européenne de venir expliquer sa position devant le Sénat ; la possibilité en est expressément prévue par le TSCG adopté en mars 2012. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l'UDI-UC.)
Au vu de la situation de récession constatée au début de 2013, notre pays a déjà bénéficié d’un délai supplémentaire de deux ans pour ramener son déficit en dessous des 3 % du PIB. La Commission européenne avait toutefois souligné que la France avait une marge de manœuvre nulle en matière budgétaire. Elle avait aussi pointé un « progrès limité » en ce qui concerne les efforts structurels. En conséquence, elle invitait les autorités françaises à exécuter le budget de manière rigoureuse.
À vrai dire, l’avis plus que réservé rendu le 2 octobre dernier par le Haut Conseil des finances publiques, dont je vous rappelle qu’il est un organisme indépendant, sur le projet de budget augure mal de la position à venir de la Commission européenne. De fait, je doute que la situation de « circonstances exceptionnelles » prévue par les textes européens puisse être utilement invoquée : la France l’a déjà invoquée en mai 2013, pour obtenir un délai au cours duquel sa situation budgétaire s’est encore plus dégradée.
Quant à invoquer des « circonstances exceptionnelles » à l’échelle collective, en arguant de l’atonie de la croissance européenne et du risque de déflation, la France, si elle s’y risquait, pourrait se trouver très isolée en Europe. En effet, ces « circonstances exceptionnelles » n’ont pas été reconnues au plus fort de la crise, en sorte que des États, comme l’Espagne, ont dû consentir de très grands efforts de rigueur budgétaire, qui, du reste, commencent à porter leurs fruits, si j’en crois les propos tenus récemment par le président du comité monétaire et financier international du FMI.
Je le dis clairement : au-delà des clivages politiques, l’heure est au courage politique. Dans ce contexte, la majorité et l’opposition, même si elles ont des divergences d’analyse sur la situation actuelle, doivent rechercher un accord sur des mesures rationnelles propres à remédier aux difficultés présentes, avec le souci, tout simplement, de l’intérêt de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.