Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. L’article 2 est important et ne doit pas être supprimé.
Mes chers collègues, je vous rappelle que cet article, introduit par la lettre rectificative au projet de loi du 16 juillet dernier, proroge les mandats actuels des conseillers prud’hommes jusqu’au 31 décembre 2017 au plus tard. En outre, il fixe le plafond d’autorisations d’absence pour que les conseillers représentant les salariés puissent suivre des formations liées à leur mandat. Enfin, il aménage les règles en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d’une section.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur le présent amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer l’année :
2017
par l’année :
2016
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Bien que ce débat ait déjà eu lieu en commission et que vous connaissiez le sort que je réserverai à cet amendement, j’interviens ici pour réaffirmer, avec les autres membres de mon groupe, que ce texte constitue réellement une atteinte à la démocratie sociale.
Monsieur le ministre, la question qui se pose – Laurence Cohen vient d'ailleurs de la répéter – est la suivante : quelles mesures allez-vous proposer pour nous convaincre que la suppression de ces élections constituerait réellement une avancée ?
Cet amendement tend à raccourcir d’un an, de 2017 à 2016, la prorogation des mandats des conseillers prud’homaux telle que vous la proposez. Je vous rappelle en effet que les conseillers prud’homaux actuellement en place ont été élus en 2008 pour un mandat de cinq ans, que ce mandat a déjà été prorogé et que, en le prorogeant encore de deux ans, vous parviendrez à un mandat d’une durée de neuf ans.
Or chacune des organisations syndicales, salariales ou patronales, que nous avons rencontrées, tout comme vous avez pu le faire, monsieur le ministre, nous ont rapporté les difficultés qu’elles rencontraient pour maintenir en place ces conseillers prud’homaux au-delà de leur mandat. Les raisons en sont multiples, et je me contenterai de citer le cas des salariés qui, parvenus à l’âge de la retraite, décident de ne plus travailler.
Dans certains conseils de prud’hommes, il y a donc carence et, déjà, certains présidents de ces conseils sont obligés d’organiser des élections partielles pour remplacer les conseillers prud’homaux arrivés « à épuisement », car être conseiller prud’homal, ce n’est pas tous les jours facile !
Mes chers collègues, vous aurez donc compris que cet amendement a du sens dans le cadre des élections prud’homales, dont nous aurions donc souhaité qu’elles soient avancées à 2016.
Toutefois, avec le rejet de notre amendement de suppression de l’article 1er, les dispositions du présent amendement perdent de son sens. Dès lors, madame la présidente, mes chers collègues, je ferai gagner du temps à tout le monde en le retirant.
M. Charles Revet. Voilà la sagesse !
Mme la présidente. L'amendement n° 4 est retiré.
L'amendement n° 5, présenté par Mme Emery-Dumas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
1° Remplacer les mots :
aux dispositions
par les mots :
à la dernière phrase du premier alinéa
2° Après le mot :
général,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les affectations prévues à l’article L. 1423-10 du code du travail en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d'une section peuvent être renouvelées au-delà de deux fois.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Il s'agit d’un amendement de clarification juridique.
Le premier alinéa de l’actuel article L. 1423-10 du code du travail dispose que « lorsque le président du conseil de prud'hommes constate une difficulté provisoire de fonctionnement d'une section, il peut, après avis conforme du vice-président, sous réserve de l'accord des intéressés, affecter temporairement les conseillers prud'hommes d'une section à une autre section pour connaître des litiges relevant de cette dernière. Ces affectations sont prononcées pour une durée de six mois renouvelable deux fois dans les mêmes conditions. »
L’article 2 du présent projet de loi vise les dispositions de cet alinéa, mais il assouplit une de ses modalités d’application en prévoyant que les affectations temporaires peuvent être renouvelées au-delà de deux fois jusqu’à la date du prochain renouvellement général des conseils de prud’hommes.
Or la rédaction actuelle de l’alinéa 5 de l'article 2 peut être source de confusion, car il est indiqué que le projet de loi déroge aux dispositions de l’article L. 1423-10 du code du travail, tout en prévoyant explicitement d’appliquer son premier alinéa.
C’est pourquoi, au travers du présent amendement, nous proposons une rédaction qui ne modifiera pas l’intention initiale du Gouvernement, mais qui clarifiera juridiquement le dispositif et permettra d’appliquer l’ensemble des autres dispositions de droit commun de l’article L. 1423-10 du code du travail.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous nous rallierons à l'amendement de Mme la rapporteur, dans la mesure où la possibilité d’un renouvellement au-delà des deux fois six mois apporte une réponse concrète à un problème qui nous est remonté du terrain et que, ici, chacun a identifié. En effet, certaines situations se révéleront complexes, et de nombreux présidents de conseils de prud’hommes sont d’ores et déjà inquiets.
Le groupe UMP votera donc cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Le groupe CRC prend acte du rejet de ses amendements. Et comme nous l’avions annoncé, nous voterons contre ce projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur les arguments déjà développés par les membres de notre groupe – par moi-même, dans la discussion générale, ou par mes collègues Annie David et Laurence Cohen.
Ce texte, finalement, est un rendez-vous manqué. Les organisations syndicales qui siègent au Conseil supérieur de la prud’homie, de la CGC à la CGT, en passant par Force ouvrière et par l’UNSA, n’ont pas manqué de formuler des propositions pour rendre ce scrutin des prud’hommes plus efficace et moins complexe.
Force est de constater qu’elles n’ont pas été entendues. La CGT, notamment, réclame depuis 2008 la création d’une commission ad hoc pour faire étudier objectivement ces propositions. Si elles sont mauvaises, des arguments le démontreraient, et si elles sont bonnes, d’autres arguments les appuieraient… Or il n’a pas été possible, pour les organisations syndicales, de faire étudier des propositions se posant en alternative à une proposition qui est tout de même grave, puisqu’il s'agit de la suppression d’un droit démocratique, l’élection !
Par ailleurs, nous, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, nous entendons souvent dire que nous sommes passéistes, que nous ne voulons rien changer. Mais nous ne sommes pas pour le statu quo !
Les organisations syndicales ont énoncé des propositions fort intéressantes. Je me contenterai de citer la proposition de la CGT d’organiser l'élection sur le lieu de travail, en lien avec les institutions représentatives du personnel, d’organiser dans les mairies le scrutin pour les chômeurs et les retraités – il est effectivement important que les chômeurs puissent s'exprimer –, et de mettre en place un scrutin beaucoup plus simple que le scrutin par section – il est possible, nous dit-on, d’organiser un scrutin unique, quitte à ce que le syndicat ventile ensuite les élus entre chacune des cinq sections.
Je crois donc que nous avons fait œuvre de démocratie en organisant, ce matin, une conférence de presse pour donner la parole aux syndicats et pour écouter leurs arguments, et cela sans se cantonner au sujet des élections, d'ailleurs.
En effet, M. le ministre l’a rappelé, la France a été condamnée soixante et onze fois pour ses délais de justice excessifs. Or les représentants syndicaux que nous avons écoutés ce matin nous ont, eux, rappelé que la réduction continuelle des moyens résulte des gouvernements successifs, qu’il s'agisse du nombre de greffiers ou du contingentement du temps consacré à chaque dossier, obligeant aujourd'hui les conseillers prud’homaux à prendre sur leur temps personnel pour se faire une opinion et étudier convenablement les litiges.
Alors que les conseils prud’homaux ont beaucoup de mal à réunir le quorum de leurs membres, la prorogation de leurs mandats jusqu'en 2017 va encore accroître les difficultés que rencontrent les conseillers salariés à respecter leurs engagements.
En effet, les listes des conseillers élus depuis 2008 arrivent à un point de rupture, et l’on nous dit que les présidents de tribunaux sont – ou vont être – dans l'obligation de réfléchir à l'organisation d'élections complémentaires après épuisement des possibilités de transfert d’une section à l’autre…
C'est un comble que des élections complémentaires doivent être organisées alors que l’on nous propose un texte qui supprime ces élections !
La vérité, il faut la dire : ce texte s'inscrit dans un ensemble de projets que l’on ne peut ignorer et qui, tous – ce n’est pas un hasard ! –, visent à affaiblir les mécanismes de protection des salariés. Sans les énumérer tous, je pense au décret sur l’inspection du travail, au projet de relever sensiblement les seuils sociaux, ce qui privera nombre de salariés de délégués du personnel ou de comité d’entreprise, ou bien encore le texte sur la modernisation de la vie des entreprises, que nous étudierons bientôt.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que le délai moyen de traitement des dossiers prud’homaux était, en moyenne, de 12 mois. Comme vous, nous pensons que ce délai est trop long. Toutefois, à qui la faute ? Nous pensons d'abord aux politiques d’austérité, dont j'ai parlé à l’instant, qui ont considérablement réduit les moyens budgétaires. Je rappellerai aussi, pour être juste, la suppression de 25 % du nombre des conseils prud’homaux décidée par Mme Dati, sous la présidence de M. Sarkozy.
En conséquence, nous nous opposons à ce projet de loi, qui affaiblit la légitimité des conseillers prud’homaux. Pour autant, je le répète, nous ne sommes pas pour le statu quo et nous renouvelons notre demande que soit ouvert un véritable débat associant toutes les organisations syndicales, pour trouver les meilleures réponses possible afin d’améliorer le fonctionnement quotidien des conseils de prud’hommes.
Des solutions existent, qui doivent absolument préserver l’originalité de cette juridiction dans le cadre de la parité et de l’électivité. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, nous ne voterons pas ce projet de loi – notre position ne vous surprendra pas.
On pourrait longtemps discuter de l’aspect financier. Quand on fait des économies et que l’on redistribue l’argent ainsi économisé, il faut choisir les dépenses que l’on vise, et tout dépend alors de leur nature !
Si ces économies sur les dépenses servent à augmenter les dividendes des actionnaires, ce n’est pas un bon choix, et l’on peut parfois penser que le CICE – le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi –, c'est cela ! En revanche, s'il s'agit de développer l’activité locale, par exemple en donnant des dotations aux départements ou aux régions afin de favoriser un ensemble d’investissements pour des entreprises de proximité, c'est plutôt une bonne chose…
Il ne s'agit donc pas de dire qu’il ne faut pas de dépenses, mais plutôt de s'interroger sur leur nature et sur la façon dont elles améliorent le tissu économique. Néanmoins, je ne m'attarderai pas davantage sur ce point, car nous aurons l’occasion d’en discuter de nouveau.
À mes yeux, l’aspect le plus important de ce projet de loi, dont je ne sais s’il est une initiative du gouvernement actuel ou s’il était déjà dans les cartons du gouvernement précédent, porte sur la démocratie sociale.
Aujourd’hui, on nous dit que la démocratie sociale implique moins d’élections. Or je ne suis pas d’accord, mes chers collègues ! J’ignore si je serai traité de passéiste, mais je dirai que les gens ont envie de donner leur avis de plus en plus souvent. Ils ne veulent plus accorder de délégation pour 5, 8 ou 9 ans. Ils souhaitent donner leur point de vue et participer régulièrement.
La démocratie sociale se construit. Or limiter la consultation à une seule élection pendant cinq ans ne participe pas d’une telle construction !
Au niveau local, on construit grâce à une élection ; au niveau national, l’élection est l’occasion de présenter des projets différents. Voilà ce qu’est la construction de la démocratie sociale.
À cet égard, nous étions prêts, à l’instar de nos collègues du groupe communiste,…
M. Jean-Louis Carrère. De nos camarades !
M. Jean Desessard. … à discuter des modalités. Comment devons-nous associer les gens ?
Par ailleurs, et c’est le second point, il y a une différence entre la démocratie sociale et la démocratie politique. En effet, les syndicats représentent les intérêts des salariés, lesquels choisissent celui qui les représente le mieux.
Seulement, mes chers collègues, force est de constater que ce projet de loi tend à exclure les précaires et les chômeurs ! Les plus défavorisés ne peuvent pas participer à cette démocratie sociale en donnant leur point de vue sur les orientations sociales du Gouvernement ou de la nation. C’est tout de même aberrant ! Consciemment, on dit que les plus pauvres, ceux qui souffrent le plus, même s’ils sont moins nombreux, ne peuvent pas donner leur avis. C’était un droit constitutif de la démocratie sociale, et on le leur refuse !
Il aurait fallu prévoir des modalités pour qu’ils soient associés. Certes, la vie n’est plus rectiligne et on n’occupe pas le même emploi pendant 40 ans ; on vit des périodes de chômage, de précarité, définitives pour certains, ce qui n’empêche pas d’avoir envie d’être représenté et défendu par des syndicats ayant différents points de vue.
En l’espèce, on oppose une fin de non-recevoir aux chômeurs ; quant aux précaires, on a l’air de leur dire qu’il faut laisser ces choses trop sérieuses aux salariés des grandes entreprises. Certes, il est normal que ces derniers aient leur mot à dire dans le cadre de la démocratie sociale, mais exclure de ce champ les chômeurs et les précaires est une décision très grave !
Ne serait-ce que pour cette raison, l’ensemble des sénatrices et sénateurs écologistes votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Je tiens tout d’abord à réitérer notre attachement aux conseils de prud’hommes. Je le fais avec un peu de solennité, car j’ai eu le sentiment, à certains moments, que l’on nous faisait un mauvais procès en nous accusant pratiquement d’être sur le point de supprimer ces juridictions.
Soyons clairs : l’institution des conseils de prud’hommes est pour nous un acquis social, une conquête sociale qui, comme cela a été rappelé, plonge ses racines dans la Révolution française. À nos yeux, elle est à placer sur le même plan que la médecine du travail ou l’inspection du travail.
Pour preuve de cet attachement, je voudrais rappeler, après avoir écouté tous les orateurs, que j’ai été le seul à m’inquiéter des conditions de fonctionnement et de formation des conseillers prud’homaux, puisque j’ai demandé à M. le ministre s’il était possible de faire un effort financier dans ce domaine, par exemple en recyclant dans l’aide à la formation les économies réalisées grâce à ce texte.
De grâce, que l’on ne nous fasse pas de mauvais procès en nous accusant de vouloir attenter à la démocratie sociale !
Par ailleurs, quels sont les débats qui nous ont opposés, ou en tout cas occupés, à l’occasion de la discussion de ce projet de loi ? À mon sens, ils sont au nombre de trois : la question de la légitimité ; le problème de l’exclusion d’un certain nombre de catégories sociales ; la question tout aussi fondamentale du fonctionnement de la démocratie, tout particulièrement de la démocratie sociale.
Je ne reviendrai pas sur la question de la légitimité, car tout a été dit à cet égard.
S’agissant de l’exclusion d’un certain nombre de catégories, notamment les chômeurs et les précaires, qui ont été mis en avant au cours du débat, je veux rappeler à M. Desessard, qui ne sera peut-être pas d’accord avec moi, que les organisations syndicales ont vocation à représenter les chômeurs et les précaires !
Si vous pensez, mon cher collègue, que les organisations syndicales ne se préoccupent que de ceux qui ont un emploi en laissant tomber les chômeurs et les précaires, je vous laisse libre de votre appréciation, mais sachez que telle n’est pas ma conception. Je tenais à vous le faire savoir.
Enfin, le dernier débat a trait à la démocratie. Nous nous préoccupons aujourd’hui concrètement des modalités selon lesquelles les conseillers prud’hommes vont recevoir leur mandat. Telle est la question qui nous est posée.
Certains disent qu’il faut une élection. Or aux termes de ce texte, il y a déjà une élection, à savoir celle qui assure la représentativité des organisations syndicales.
Mme Laurence Cohen. Mais non !
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur Desessard, il n’a donc jamais été envisagé de remettre en cause la légitimité des conseillers prud’hommes, qu’ils tirent – j’y insiste – d’un processus électoral.
M. Jean-Louis Carrère. Les sénateurs aussi sont élus au deuxième degré !
M. Jean-Pierre Caffet. Pour ma part, étant quelque peu pragmatique et soucieux de la manière dont les conseils de prud’hommes fonctionnent et des moyens qui leur sont accordés, je préfère franchement recycler le coût de cette élection, soit 100 millions d’euros tous les cinq ans, ce qui n’est pas une bagatelle, dans la formation et l’amélioration du fonctionnement de ces juridictions.
Enfin, monsieur Desessard, puisque vous m’avez interpellé vivement à deux reprises, en tant que collègue au Conseil de Paris, en sous-entendant que je tenais des propos scélérats, permettez que je vous lise la page 45 du rapport de Jacky Le Menn, où figure la retranscription de l’audition des organisations syndicales : « Il ne nous paraît pas que l’évolution vers la désignation porte atteinte à la démocratie. La réforme envisagée constitue au contraire un progrès démocratique. » (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas l’avis de toutes les organisations syndicales !
M. Jean-Pierre Caffet. Madame Cohen, permettez-moi de terminer mon explication de vote ! Je poursuis ma lecture du rapport : « La démocratie ne se mesure pas au nombre d’élections proposées aux salariés, mais à leur cohérence d’ensemble. »
Ces propos, que j’ai tenus à la tribune, en m’inspirant du rapport, ont semblé vous scandaliser, mais ils ont bel et bien été tenus par la secrétaire nationale d’une grande confédération syndicale qui, elle, monsieur Desessard, est représentative. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Annie David. Nommez-la !
Mme Laurence Cohen. N’ayez pas honte, citez vos sources : c’est la CFDT !
M. Jean-Pierre Caffet. Et alors ? Elle n’est pas représentative ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. J’ai quelque peu l’impression que nous avons eu un débat théologique autour du principe de l’élection. À mon avis, il faut regarder ce qui se passe dans la vie réelle. Si nous comparions le nombre de candidats et le nombre de postes de conseillers prud’homaux à pourvoir, nous verrions que nous nous rapprochons plus d’une cooptation que d’une véritable élection telle que nous en connaissons dans la vie politique.
À cet égard – permettez-moi d’ouvrir une parenthèse à l’intention de nos collègues de la majorité gouvernementale, qui ont apporté leur soutien à la suppression d’élections politiques –, j’estime que revenir sur le panachage dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants est bien davantage de nature à priver de choix les citoyens, qui l’ont d’ailleurs très mal vécu !
J’en reviens au texte qui nous occupe. Le système proposé n’est pas parfait, mais il n’est pas aberrant non plus.
Nos collègues du groupe CRC ont avant tout fait référence à la position de l’une des organisations syndicales, mais, si l’on examine le point de vue des autres, force est de constater tout de même qu’un consensus s’est dégagé. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Annie David. Trois organisations sur cinq sont contre !
Mme Laurence Cohen. Votre présentation est malhonnête !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il faut tout de même raison garder.
Monsieur le ministre, je regrette qu’un certain nombre de questions soient néanmoins restées pendantes, notamment s’agissant des rumeurs de regroupement des sections ayant « le moins de travail » ou de la mesure de l’audience à prendre en compte au niveau soit territorial, soit national.
Toutefois, je ne voudrais pas terminer cette explication de vote sans saluer les femmes et les hommes qui s’engagent dans cette fonction de conseiller prud’homal, laquelle est exigeante et prend du temps, pour les représentants des salariés comme pour ceux des employeurs.
Mme Laurence Cohen. Et cela pour quelques euros de l’heure !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous sommes conscients que certains d’entre eux sont à bout, le mandat ayant tendance à s’allonger, avec des conditions de travail qui semblent « se durcir » entre collègues. Il nous faut éviter de laisser cette situation s’aggraver, car les conseils de prud’hommes doivent avant tout s’attacher à l’examen de chaque dossier individuel au fond. Chacun doit sortir de ses postures, ce qui est aussi l’objectif de ce texte.
Comme je l’avais annoncé lors de la discussion générale, le groupe UMP s’abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mon explication de vote sera simple. Tout à l’heure, au cours de la discussion générale, j’ai indiqué que le groupe UDI-UC voterait pour ce texte.
Je tiens aussi à dire solennellement, dans le droit fil des discussions que nous venons d’avoir, que nous ne remettons évidemment pas en cause l’institution du conseil des prud’hommes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il s’agit ici du mode d’élection des conseillers prud’hommes. Or, malheureusement, la démonstration vient d’être faite que celui-ci était imparfait. Nous avons tous pu constater dans nos mairies le peu de participation que ces élections suscitent et les difficultés d’organisation qu’elles représentent.
Peut-être y avait-il d’autres organisations possibles ? Je veux bien l’entendre, et c’est la raison pour laquelle nous serons très attentifs, monsieur le ministre, au contenu de ces ordonnances, lesquelles ne seront pas simples à rédiger, d’un point de vue tant technique que réglementaire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
À l’expérience, nous verrons si la démocratie sociale n’y gagne pas réellement, car s’il y a bien des élections qui sont représentatives de toutes les forces sociales dans le pays, ce sont bien les élections professionnelles, telles qu’elles sont organisées aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Pour reprendre la discussion sur les organisations syndicales et répondre au reproche qui nous est fait de ne prendre en considération qu’un seul syndicat parmi ceux qui ont été auditionnés, je vous invite à mon tour, comme l’a fait notre collègue Jean-Pierre Caffet, à lire le rapport de Jacky Le Menn, qui est très complet et qui reprend l’ensemble des auditions que nous avons organisées.
J’ai participé à ces séances et je puis vous dire que, sur les cinq organisations syndicales salariales, deux ont manifesté leur accord pour aller vers une désignation ; une a fait connaître ses réticences en déclarant, tout en prenant acte du choix du Gouvernement d’aller vers une désignation de la représentation prud’homale, qu’elle s’interrogeait sur le respect de la démocratie sociale ; enfin, les deux dernières nous ont fait savoir leur opposition à ce texte.
Par ailleurs, si les organisations syndicales patronales ont exprimé leur accord, d’autres syndicats, notamment de magistrats et d’avocats, ont montré leur désaccord avec ce mode de désignation. Je tenais donc à rétablir les faits et à rappeler qu’il y a plus d’une organisation qui est opposée à ce projet.
Quant au mode actuel d’élection, il est évidemment imparfait, et notre collègue Dominique Watrin a proposé des améliorations. En effet, cette élection attire moins de 30 % des électeurs inscrits, ce qui ne saurait être une source de satisfaction, et 5 % des demandeurs d’emploi seulement sont inscrits sur les listes électorales. Un important travail législatif restait donc à faire pour améliorer l’organisation des élections prud’homales.
Cependant, les législateurs que nous sommes ne doivent en aucun cas accepter que cette modification du mode de désignation des conseillers prud’hommes se fasse par voie d’ordonnance. Jean-Marie Vanlerenberghe a dit qu’il accorderait une attention extrême à la rédaction de cette ordonnance, mais nous en ferons autant, rassurez-vous, monsieur le ministre ! Toutefois, le texte du projet de loi indique bien que ces nouveaux conseillers prud’hommes seront désignés et non plus élus.
Quelles que soient les modalités d’organisation de cette désignation, nous ne pouvons en accepter le principe. Les collègues de mon groupe s’étant déjà exprimés, je ne reprendrai pas leurs arguments sur la nécessité de conserver une réelle représentativité à ces conseils de prud’hommes, dont le rôle reste essentiel à l’échelon national.
De notre point de vue, leur représentativité est différente de celle des organisations syndicales, mesurée en application des deux textes que nous avons adoptés en 2010 et en 2014 et qui sont relatifs respectivement aux organisations syndicales de salariés et aux organisations syndicales patronales. Monsieur le ministre, il nous semble qu’il s’agit de deux niveaux de représentativité différents : en recourant à une désignation sur la base de l’audience des organisations syndicales mesurée lors des élections professionnelles, vous niez la spécificité des conseillers prud’homaux.
J’ai retiré en séance le deuxième amendement de notre groupe relatif à la prorogation du mandat des conseillers prud’homaux en place, parce que nous espérions – peut-être sommes-nous de doux utopistes ! – un sursaut du Sénat, dans l’hypothèse où une majorité de nos collègues aurait adopté notre amendement de suppression de l’article 1er. Tel n’a pas été le cas, et nous le regrettons.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous sommes donc opposés à l’adoption de ce projet de loi, madame la présidente.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes dans le texte de la commission, modifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)