M. Jacques Chiron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous l’avons souvent répété ici, selon les meilleures estimations, quelque 1 000 milliards d’euros par an échappent aux administrations fiscales européennes, soit une moyenne d’environ 2 000 euros par an et par Européen. À l’échelle nationale, ce sont entre 60 milliards d'euros et 80 milliards d’euros qui manquent chaque année dans les caisses de l’État.
Cette fraude est le fait de ceux qui ont les moyens de s’offrir les services de fiscalistes qui élaborent des mécanismes d’évasion fiscale toujours plus complexes pour les soustraire à leur obligation légale de contribution à la solidarité nationale. À l’heure où il est demandé à chacun de faire des efforts, il est absolument indispensable, au niveau tant moral que comptable, de mener un combat ininterrompu contre la délinquance fiscale qui est un véritable affront au pacte social national.
Ce combat, il passe par une réponse coordonnée et cohérente de l’ensemble des acteurs publics.
L’occasion m’est ici donnée de rappeler le travail des commissions d’enquête sur l’évasion fiscale que nous avons mises en place au Sénat dès le mois de novembre 2011, d’une part, et sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, d’autre part. Ces travaux nous ont permis de décrire un état des lieux objectivé, d’identifier les véritables obstacles – juridiques, politiques, techniques – à la transparence et à la régulation, de mettre en lumière des pistes de travail et de décliner des propositions dont certaines sont aujourd’hui traduites en mesures juridiquement opposables.
À l’époque – c’était au mois de juin 2012 –, lorsque nous avons terminé nos travaux, si l’on nous avait dit qu’aujourd’hui nous en serions là, nous aurions tous été sceptiques. Il faut reconnaître le travail et les efforts considérables accomplis en deux ans. (Mme la rapporteur acquiesce.)
Ce travail a permis au Gouvernement de se saisir des questions de fiscalité internationale. Nous nous félicitons que le travail accompli depuis lors ait permis de dépasser le stade des bonnes intentions et de resserrer réellement les mailles du filet de la juste régulation.
Le durcissement des peines, la dotation de nouveaux moyens techniques et humains pour poursuivre les fraudeurs et, plus globalement, la promesse que la contrainte publique ne faiblira pas produisent aujourd’hui des résultats. En témoigne le nombre encourageant de demandes de régularisation reçues au ministère de l’économie et des finances – plus de 25 000 – provenant principalement de Suisse, mais aussi du Luxembourg, pour environ 1 milliard d’euros de recettes, 1,8 milliard d’euros étant attendus d’ici à la fin de l’année 2014.
Dans cette démarche, la France a donc des alliés, sensibilisés par la crise financière, mais également par des opinions publiques qui, légitimement, ne supportent plus la fraude et l’évasion fiscales. Par conséquent, de nombreux États se sont engagés pour plus de transparence et de coopération entre leurs administrations fiscales.
Parmi eux, les États-Unis, on l’a dit, ont joué un rôle fondamental de pression sur les États pratiquant le secret bancaire et la fiscalité privilégiée. La puissance de négociation américaine, et sans doute aussi la peur des représailles des établissements financiers, a permis la signature d’accords entre les États-Unis et des dizaines de pays, parmi lesquels la Suisse et le Luxembourg.
De plus, l’enterrement des accords dits « Rubik », unanimement critiqués dans leur principe en France, mais dont on parlait encore voilà à peine deux ou trois ans, nous permet d’être raisonnablement optimistes sur la réussite de notre objectif de généralisation du principe de transmission obligatoire et automatique des données bancaires, à l’échelon de l’Europe. L’Union européenne doit peser de tout son poids dans cette démarche, puis à l’échelle mondiale, et selon des termes identiques pour tous.
La convention bilatérale FATCA signée avec les États-Unis le 14 novembre 2013 et qu’il s’agit aujourd’hui de ratifier permet plusieurs types d’avancées majeures, directement et indirectement.
Directement, tout d'abord, la mise en place du principe d’échange automatique des informations permettra de sortir de la logique de coopération « à la demande ». Désormais, l’administration fiscale sera automatiquement et systématiquement informée des ouvertures de compte, transferts de fonds, créations de sociétés de nos compatriotes aux États-Unis, même en dehors de toute procédure administrative ou judiciaire.
Il s’agira toutefois, certains l’ont souligné, d’être vigilants sur l’application réelle d’une réciprocité parfaite entre nos deux États. Ne perdons pas de vue que les pratiques des États-Unis en matière de transmission d’informations sur demande ont fait l’objet de réserves à l’occasion du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales qui s’est tenu à Jakarta au mois de novembre 2013, réserves qui visaient principalement d'ailleurs l’État du Delaware.
Indirectement, ensuite, cette ratification intervient à un moment charnière où le rapport de force à l’échelle mondiale a été incontestablement bouleversé.
Les États les plus traditionnellement réticents à la transparence bancaire, qu’ils soient membres de l’Union européenne, comme le Luxembourg ou l’Autriche, ou non, comme la Suisse et le Liechtenstein, sont de plus en plus isolés, et l’idée d’échange automatique des informations se trouve renforcée.
Sous l’impulsion du G20, l’OCDE œuvre pour la généralisation du principe d’échange automatique, qui deviendra un standard international, beaucoup l’ont dit, permettant d’apporter une réponse cohérente et adaptée au secret bancaire et à la dissimulation des avoirs. Ce standard a été publié hier par l’OCDE et doit être adopté par les ministres des finances du G20 au mois de septembre prochain. Nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, que la France conservera son rôle de force motrice dans cette démarche, comme elle l’a fait depuis deux ans.
Parallèlement, la France et ses partenaires du G5 se sont engagés en faveur du renforcement du civisme fiscal en proposant la révision de la directive sur la coopération administrative dans le domaine fiscal sur le fondement de l’application de la clause de la nation la plus favorisée. La révision de cette directive doit nous amener à consacrer la règle de transmission automatique des informations à l’échelle de l’Union et à adopter des règles communes vis-à-vis des pays tiers, comme le rappelait ici même le ministre de l’économie en 2013.
Cette négociation devra aboutir sous la présidence italienne du Conseil de l’Union européenne. Nous comptons, monsieur le secrétaire d’État, sur votre vigilance pour que l’accord conclu le soit sur des bases ambitieuses. Il est en effet fondamental que l’Europe parle d’une seule voix, forte et claire, sur le sujet. Elle aura alors autant de poids que les États-Unis. On compare souvent notre puissance à celle des États-Unis, mais si l’Europe était soudée, sa puissance serait équivalente.
Mme Michèle André, rapporteur. Absolument !
M. Jacques Chiron. À l’échelon européen, le processus de révision de la directive sur la fiscalité de l’épargne s’est accéléré. Une version révisée a été adoptée par le Conseil le 24 mars dernier et intègre une extension de son champ d’application : le périmètre initialement limité aux revenus d’épargne des particuliers est désormais étendu aux produits d’assurance vie. Ce texte consacre en outre l’échange automatique des informations entre États membres, étendu aux trusts, aux fondations et aux autres sociétés-écrans. Nous avions eu un débat sur cette question en 2011 ou 2012, et nous n’en espérions alors pas tant !
Il s’agit, là encore, d’un pas décisif vers la fin du secret bancaire en Europe, autorisé par l’émergence d’un standard partagé, qui a permis la levée des réticences autrichiennes et luxembourgeoises. G5, G20, OCDE, Union européenne : partout, les lignes bougent. Les obstacles d’hier s’effritent, les verrous sautent sous la pression de la communauté internationale organisée.
Dans ce combat, la France est en première ligne et occupe une position volontariste, qui produit particulièrement ses effets depuis 2012, et nous pouvons nous en féliciter. Nous devons toutefois poursuivre nos efforts.
La ratification de l’accord FATCA est naturellement une nécessité. Nous la voterons tous, me semble-t-il, à une exception près. Elle est tout à la fois une étape et un levier pour aboutir à la disparition programmée des angles morts fiscaux à l’échelle internationale, afin que cesse cette insupportable entrave à la justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés de la qualité du débat et de l’unanimité, à une exception près, que je vois se dessiner en cette fin de session parlementaire. Cela nous change un peu ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Cela change de cet après-midi !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous regrettez que les choses aient mis du temps à se faire – c’est vrai – et qu’elles ne soient pas achevées ; c’est également vrai, mais quelle œuvre humaine est vraiment terminée ? Voilà un beau sujet de philosophie pour le baccalauréat ! La femme, peut-être… (Sourires.)
Ne boudons pas notre plaisir et saluons donc plutôt l’aboutissement d’un processus que l’on doit, certes, au volontarisme d’abord unilatéral des Américains, mais, après tout, s’il était nécessaire pour faire avancer les choses en Europe… Au moins, c’est chose faite aujourd'hui. Continuons ensuite de travailler et de progresser sur ces sujets, qui sont effectivement complexes.
J’ai entendu ce qu’il reste à faire en termes de réciprocité. Un certain nombre de dispositions manquent en effet, on le sait – j’en ai parlé à la tribune –, pour que la réciprocité soit complète. Je sais également ce qu’il reste à accomplir pour faire avancer le projet BEPS au niveau de l’OCDE.
Pour autant, je pense qu’il serait stupide de ne pas ratifier cette convention, dans la mesure où elle permettra indéniablement des progrès dans la connaissance et l’identification des contribuables et des comptes bancaires. Certes, dans un premier temps, des interrogations au cas par cas seront toujours nécessaires, mais nous espérons que les échanges vont ensuite se généraliser.
Même si l’exception nous a quittés, je voudrais lui répondre ! (Sourires.) Pardon de le dire en son absence, mais j’avoue que je ne comprends pas très bien son abstention. M. Marini considère que la France serait en la circonstance un trop bon élève par rapport à d’autres pays n’ayant pas engagé la démarche de signature de l’accord.
Or j’ai sous les yeux la liste des États ayant déjà soit signé soit paraphé l’accord FATCA, soit le modèle 1, soit le modèle 2. Je vous en épargne la lecture, mesdames, messieurs les sénateurs, mais elle compte des pays assez surprenants, tels Jersey, le Liechtenstein, le Luxembourg, les îles Caïman, la Suisse, bien entendu, Panama, Singapour. Oui, nous serons probablement parmi les premiers à avoir ratifié la convention, mais nous ne serons pas les seuls. Je le répète : j’ai donc un peu de mal à comprendre l’exception.
Mme Goulet m’a demandé une consultation gratuite… (Sourires.) Je lui précise donc que, effectivement, un Français résidant aux États-Unis entre, comme les contribuables américains, dans le champ d’application de FATCA. J’espère que cette consultation gratuite vous aura satisfaite, madame la sénatrice !
En ce qui concerne le FICOVI, je rappelle qu’il a été créé à la suite de l’adoption d’un amendement que j’avais déposé – c’était dans une vie antérieure, pardon de le dire deux fois en deux jours ! – au projet de loi de finances rectificative pour 2013. Certes, son application ne sera pas immédiate, car un certain nombre de travaux doivent être réalisés pour le rendre opérationnel, mais au moins ce fichier, qui répond à une demande assez générale, existe-t-il.
Je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pas répondre très précisément à vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, mais à cette heure tardive, je vais laisser la place à mon collègue Frédéric Cuvillier, qui a malheureusement assisté cet après-midi à un moment très douloureux et pour qui il doit être difficile d’être ici ce soir. (M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche acquiesce.)
Avant de conclure, je veux vous rassurer sur les moyens mis à la disposition de l’administration pour faire face aux exigences et aux possibilités qui sont les nôtres, mesdames, messieurs les sénateurs : nous venons de renforcer le service de traitement des déclarations rectificatives, le STDR, dont il a été question plusieurs fois ces derniers jours.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que vous serez effectivement les premiers à adopter ce texte, puisque l’Assemblée nationale ne connaîtra pas ce plaisir avant la fin de la session extraordinaire. Je me réjouis donc que nous puissions, à une exception près, que j’ai un peu de mal à comprendre, je le répète, adopter ce texte, même si nous avons conscience du travail qu’il nous reste à accomplir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA ») (ensemble deux annexes), signé à Paris le 14 novembre 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements.)
10
Organisation des travaux
Mme la présidente. Mes chers collègues, il nous reste à examiner les conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi portant réforme ferroviaire et sur la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.
Je vous propose donc de poursuivre nos travaux la nuit afin d’achever l’examen de ces textes.
Il n’y a pas d’opposition ? …
Il en est ainsi décidé.
11
Réforme ferroviaire – Nomination des dirigeants de la SNCF
Adoption des conclusions de deux commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme ferroviaire (texte de la commission n° 735, rapport n° 734) et de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF (texte de la commission n° 736, rapport n° 734).
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Teston, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire réunie le 16 juillet dernier est parvenue à un accord sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme ferroviaire, d’une part, et de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF, d’autre part.
Sur le projet de loi, 30 articles restaient en discussion ; 21 ont été adoptés dans la rédaction du Sénat. Les principaux apports de la commission mixte paritaire sur les autres articles sont les suivants.
À l’article 1er bis A, le dispositif des contributions locales temporaires, introduit par le Sénat sur l’initiative de notre collègue Philippe Marini, a été réservé aux aménagements extérieurs des gares d’intérêt régional et local. En outre, leur bénéfice reviendra exclusivement aux collectivités territoriales qui auront fait le choix de les mettre en place. Par ailleurs, pour éviter que cette ressource ne devienne permanente, la durée d’imposition maximale a été réduite à dix ans au lieu de trente.
À l’article 2, la CMP a retenu le principe de la définition par le Parlement des ratios nécessaires à l’application de la règle de maîtrise de l’endettement de SNCF Réseau. Elle a, en revanche, supprimé la référence à la loi de finances, dans la mesure où les ratios doivent être déterminés dans une perspective pluriannuelle. La commission a aussi insisté sur la nécessité de prendre en compte les conditions de la concurrence intermodale.
À l’article 4, elle a précisé les missions dans le cadre desquelles l’ARAF, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, consulte le Gouvernement, afin d’exclure expressément de cette procédure les missions exercées par l’Autorité en matière de règlement des différends et de sanction.
À l’article 5 bis, la commission mixte paritaire a étendu au STIF, le Syndicat des transports d’Ile-de-France, en plus des régions, le bénéfice de l’ouverture des données des services conventionnés. La CMP n’a donc pas remis en cause les grands équilibres trouvés lors des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, car il était nécessaire, sur un sujet aussi important, de voter un texte équilibré et adapté.
En effet, la réforme du système ferroviaire est nécessaire et urgente. Elle assure la cohérence du système ferroviaire, tout en étant eurocompatible. En outre, elle rend possible la construction d’un cadre social commun à tous les travailleurs de la branche ferroviaire.
Je dirai maintenant quelques mots pour étayer ces affirmations.
Premièrement, la réforme est nécessaire. La situation actuelle issue de la loi de 1997 n’est pas du tout satisfaisante. Une partie non négligeable du réseau a vieilli, faute de moyens suffisants pour régénérer ce dernier. Le développement du réseau à grande vitesse, joint à la non-reprise de la dette de la SNCF par l’État, se traduit par 37 milliards d’euros de dette pour RFF, Réseau ferré de France, le gestionnaire d’infrastructure.
La « logique système » ne fonctionne pas bien : nulle part au monde l’infrastructure n’est coupée en deux comme en France, avec, d’un côté, RFF, et, de l’autre, la direction de la circulation ferroviaire, la DCF, et SNCF Infra, deux filiales de la SNCF. Cette césure a créé de la redondance, des surcoûts et de grandes difficultés au quotidien.
Pour améliorer le service rendu aux usagers – voyageurs et chargeurs –, mais aussi pour améliorer la performance économique afin de stabiliser l’endettement, il a été décidé de regrouper RFF, la DCF et SNCF Infra dans une structure, SNCF Réseau, qui sera le gestionnaire unique des infrastructures et en charge de la circulation des trains.
Pour autant, le système ferroviaire reposant sur un mode guidé, il faut éviter que les questions d’entretien soient disjointes des contraintes de l’exploitation. D’où l’idée d’un groupe public industriel verticalement intégré avec un EPIC de tête qui assure le contrôle et le pilotage stratégiques, la cohérence économique, l’intégration industrielle et l’unité sociale du groupe public.
Cette organisation me paraît adaptée. Elle a d’ailleurs été retenue depuis longtemps par la Deutsche Bahn, où une holding de tête chapeaute deux sociétés, l’une s’occupant des infrastructures et de l’attribution des sillons, l’autre étant exploitant ferroviaire. Cette organisation est reconnue unanimement comme celle qui assure le meilleur fonctionnement.
Deuxièmement, cette réforme est non seulement nécessaire, mais aussi urgente.
La réforme doit intervenir avant l’adoption par la Commission européenne et le Parlement européen du quatrième paquet ferroviaire. Si la France tardait à réorganiser son système ferroviaire et ne le faisait qu’après l’adoption du quatrième paquet, il n’est pas impossible qu’elle soit obligée de séparer totalement le gestionnaire d’infrastructures et l’exploitant historique. Cette réforme assure donc la cohérence du système ferroviaire, tout en étant eurocompatible. C’est le troisième point sur le lequel je souhaitais insister.
Le rattachement du gestionnaire unifié d’infrastructures SNCF Réseau à l’exploitant historique SNCF Mobilités, au sein d’un groupe unifié, l’EPIC SNCF, ne devrait pas poser de problèmes, puisque des dispositions sont prévues pour assurer l’accès non discriminatoire au réseau.
SNCF Réseau sera indépendant en matière d’allocation des sillons et de tarification de l’usage des infrastructures, c’est-à-dire pour les deux fonctions essentielles reconnues par la Cour de justice de l’Union européenne et la Commission européenne. Cette indépendance sera assurée par ailleurs par les pouvoirs reconnus en la matière à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires.
Enfin, pour tirer les conséquences négatives de la libéralisation « à la hussarde » du fret, intervenue voilà quelques années, la réforme a pour objectif d’éviter le dumping social en cas d’ouverture à la concurrence de tous les services ferroviaires de transport de voyageurs, en permettant la construction d’un cadre social commun à tous les travailleurs de la branche ferroviaire.
Ainsi, le statut des cheminots est maintenu. Un décret-socle définira les règles applicables en matière de durée du temps de travail. Une convention collective du secteur ferroviaire sera négociée au sein d’une commission mixte paritaire représentant les employeurs et les salariés du secteur.
Mes chers collègues, voilà les raisons pour lesquelles je vous propose d’adopter ce projet de loi sur lequel l’Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé main dans la main, avec le souci de renforcer le service public ferroviaire.
Je remercie tous les collègues, députés et sénateurs, qui ont travaillé sur ce projet de loi, notamment celles et ceux qui sont intervenus en commission, séance publique et commission mixte paritaire. J’adresse un grand remerciement à Gilles Savary, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, qui a fait adopter le texte dans un contexte marqué par une grève à la SNCF. Gilles Savary a su intégrer un certain nombre d’amendements, dont l’adoption a amélioré le texte – je pense en particulier à ceux qui ont visé à renforcer l’intégration sociale au sein du groupe public.
Il a en outre accepté d’échanger régulièrement avec moi durant la longue période qui a précédé l’examen du projet de loi par le Parlement. Nous avons poursuivi activement ce travail de concertation pendant les semaines d’examen du texte par le Parlement.
Je tiens donc particulièrement à rendre hommage à Gilles Savary, à sa compétence, son engagement, son sens du dialogue et son respect de tous ses collègues, qu’ils soient députés ou sénateurs.
Mes remerciements s’adressent également à M. le secrétaire d’État et à ses collaborateurs, avec qui les échanges ont été nombreux et fructueux.
Je voudrais enfin remercier la responsable de la commission du développement durable, l’administratrice et l’administrateur de la commission, qui m’ont beaucoup aidé dans mon travail, ainsi que l’administrateur de la commission des finances qui a accompagné François Patriat, rapporteur pour avis de cette commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’évoquer avec vous la réforme ferroviaire, je voudrais rappeler ici la tragédie qui vient de frapper notre pays, cette après-midi, lorsqu’un minibus transportant des enfants de retour d’une sortie en forêt a percuté de plein fouet un poids lourd sur une route de l’Aube.
Je me suis rendu sur place aux côtés du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve pour exprimer la solidarité et l’émotion de la nation, tout entière endeuillée, mais aussi pour remercier les secours et les forces de l’ordre qui se sont immédiatement mobilisés à la suite de cet accident extrêmement douloureux, dont le bilan est très lourd. Nous avons ce soir une pensée émue pour ces jeunes vies fauchées et ces familles endeuillées, dont nous partageons la douleur.
Je tiens également à assurer le sénateur-maire de Nangis, Michel Billout, de toute notre compassion et notre amitié dans ces moments difficiles. Ce voyage était organisé par la commune, et ces drames ont une résonance particulière pour les élus quand ils interviennent dans le cadre d’activités récréatives proposées aux jeunes par la collectivité dont ils ont la charge.
Que toutes celles et tous ceux qui sont touchés par ce drame – un de plus dans le domaine des transports – soient assurés de notre sympathie et de notre solidarité.
Une enquête judiciaire a été engagée, et le Bureau d’enquêtes sur les accidents est lui aussi mobilisé. Ces investigations permettront de préciser les circonstances de ce drame.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons donc ce soir au terme de l’examen parlementaire de notre réforme ferroviaire, de votre réforme ferroviaire.
Je tiens à vous remercier très sincèrement, monsieur le rapporteur, du travail que vous avez accompli, tout comme je remercie toutes celles et tous ceux qui se sont impliqués dans cette réforme et qui ont contribué à l’améliorer. Dans le respect des prérogatives du Parlement, le Gouvernement a souhaité que toute la place soit faite aux contributions parlementaires. Elles ont été nombreuses et ont permis d’améliorer le texte initial, pour donner plus d’ampleur encore à la réforme ferroviaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous êtes investis dans ce grand défi et vous vous prononcerez définitivement, d’ici à quelques minutes, sur ce que nous souhaitons être une grande réforme du secteur ferroviaire, non pas une réforme définitive, mais, comme j’ai eu l’occasion de le dire devant les députés, une réforme qui fixe un nouveau cadre et un nouveau cap, et qui doit être capable de redonner confiance et espoir en l’avenir du ferroviaire.
Nous souhaitons que la représentation nationale ne soit plus écartée des choix effectués en la matière et nous sommes confiants dans la capacité de la nation, au travers de ses représentants, d’assurer cette mission dont elle n’aurait jamais dû se départir. Le Parlement s’est d’ailleurs légitimement emparé de l’enjeu ferroviaire, ainsi que des questions d’aménagement du territoire, de cohésion sociale et de développement économique et industriel qui lui sont associées.
Sans revenir sur tous les objectifs de la réforme, je tiens à souligner les apports importants du débat parlementaire.
Premièrement, pour renforcer le service public, les fonctions du Haut Comité du ferroviaire ont été précisées. Associant les parlementaires, les régions, les entreprises et les organisations représentantes des salariés, il doit structurer les orientations d’avenir de notre système ferroviaire, remettre les enjeux d’efficacité économique, d’équité territoriale – une question fondamentale pour la Haute Assemblée – et de puissance industrielle, qui sont stratégiques pour le pays, au cœur même des lieux de décision. Le Parlement, trop longtemps tenu à distance, devra également se saisir de ces enjeux d’avenir, notamment financiers, dont il débattra.
Par ailleurs, et à juste titre, vous avez tenu à renforcer le rôle des régions, qui se voient reconnaître enfin leur implication et leur place majeure dans le système ferroviaire. Ces évolutions étaient attendues et elles ouvrent de nouvelles perspectives. Nous tirerons aussi toutes les conséquences d’autres réformes, qui ne concernent pas spécifiquement le secteur ferroviaire, mais le poids et le rôle des régions en tant qu’institutions décentralisées.
S’agissant de la création du groupe public industriel réunifiant la famille cheminote, les parlementaires ont tenu à renforcer encore le caractère intégré du groupe en affirmant, par exemple, son caractère solidaire et indissociable. De la même façon, ils ont tenu à ce qu’un contrat entre l’État et la future SNCF consolide les contrats passés par SNCF Mobilités et SNCF Réseau, ce qui confère un surcroît de structuration à ce groupe public industriel.
S’agissant du pacte national pour assurer financièrement la pérennité de notre modèle de service public ferroviaire national, je retiens tout particulièrement deux dispositions que les parlementaires ont souhaité renforcer.
Premièrement, la règle de rétablissement des équilibres financiers a été retravaillée et renforcée au cours des débats, afin d’éviter notamment les errements du passé, qui ont conduit au niveau de dette que connaît actuellement le secteur, et dont nous devons aujourd’hui assumer l’héritage.
Deuxièmement, la réflexion s’est engagée sur l’avenir de la dette historique : l’État n’a pas aujourd’hui les moyens de reprendre une partie de cette dette, ce qui n’aurait d’ailleurs aucun sens tant que le système n’aura pas été remis dans une logique vertueuse. Plus tard, l’État aura pour mission, à la fois d’assumer cette dette historique, qui est publique, mais aussi de pouvoir en contrôler l’évolution.
Il a été décidé que la part de la dette qualifiée de « publique » ferait l’objet d’un suivi régulier devant les parlementaires. Cette mesure indispensable évitera de faire payer à crédit des investissements, notamment à RFF, comme cela fut trop longtemps le cas.
On mesure aujourd’hui les conséquences de cette pratique sur le réseau national, qui connaît des difficultés d’entretien, car les priorités ont été tout autres pendant des années, sans même que l’on se soucie des conditions de financement. Cette page est désormais tournée : des règles légitimement contraignantes ont été posées, avec le souci de ne pas laisser peser sur les générations futures des choix qui n’auraient pas été économiquement étudiés et qui ne seraient pas financièrement soutenables.
S’agissant enfin du volet social, un esprit de dialogue a toujours animé mon travail durant les mois de négociation avec l’ensemble des représentants syndicaux.
Certains m’ont même reproché d’avoir coécrit cette réforme avec les syndicats. À mes yeux, ce n’est pas une critique : je pense au contraire que, lorsque l’on veut une réforme qui suscite l’adhésion, il faut associer largement les acteurs concernés.
Les accords de modernisation signés le 13 juin dernier avec ceux des syndicats qui ont souhaité assumer des responsabilités de modernisation ont permis des avancées sociales évidentes. Je regrette que certaines organisations syndicales n’aient pas saisi l’occasion que constituait ce lieu de dialogue supplémentaire, qu’elles n’aient pas donné sa chance à la réforme en accompagnant ses avancées sociales, qui ont été au cœur des discussions parlementaires.
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le groupe public disposera d’instances représentatives du personnel centralisées ; des délégués syndicaux centraux seront en charge des négociations transversales. La gestion des ressources humaines, et notamment des parcours et des mobilités au sein du groupe public, sera pilotée au niveau de l’EPIC de tête. C’est extrêmement important ; il s’agissait d'ailleurs d’une revendication. Ce système favorisera la constitution d’une identité de groupe unifiée et permettra de répondre aux aspirations légitimes de chacun des salariés en termes de mobilité et de formation.
Enfin, nous avons fait en sorte que le cadre de la régulation puisse à coup sûr s’appliquer. Sur ce point, nous étions évidemment sous le contrôle de M. Vincent Capo-Canellas ! (Sourires.) Nous nous sommes attachés à rassurer celui-ci, notamment en ce qui concerne le rôle et l’indépendance du régulateur. Ce dernier garantira l’accès au réseau dans des conditions de transparence.
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !