Mme Nicole Bricq. Pas nous !
M. Thierry Foucaud. … selon lequel : « Trop d’impôt tue l’impôt ».
M. Philippe Dallier. C’est la réalité !
M. Thierry Foucaud. Il convient plutôt d’établir une évidente causalité entre ralentissement de l’activité économique et dynamisme modéré des recettes fiscales, alors que la croissance du PIB s’est élevée à 0,3 % en 2013. Le décalage croissant entre les recettes fiscales prévues et constatées persiste en 2014 a conduit le Gouvernement à présenter un projet de loi de finances rectificative comportant plusieurs milliards d’euros de contraction des recettes fiscales.
Vous le savez, nous ne voterons pas le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013.
J’en viens aux éléments de langage utilisés pour justifier les choix proposés. On nous parle d’efforts « partagés ».
En plus de réduire ses propres dépenses, l’État continuera en parallèle à transférer des charges aux collectivités territoriales – je pense à la réforme des rythmes scolaires, pour évoquer l’exemple le plus récent – et à leur serrer la vis, en baissant de 22 milliards d’euros sur trois ans le montant des concours budgétaires qui leur sont attribués ; au total, la diminution aura atteint 28 milliards d’euros en quatre ans.
En outre, l’avenir des collectivités territoriales est suspendu à l’adoption ou au rejet d’une réforme territoriale qui n’est, à mes yeux, ni faite ni à faire. En vérité, elle n’est que la copie française d’une orientation européenne ayant déjà donné de remarquables résultats dans des pays aussi divers que le Portugal, la Grèce ou l’Italie…
Dans les faits, une telle incertitude institutionnelle vise à soumettre le premier échelon de pouvoir démocratique, la commune, à la double domination du président du conseil régional et de l’État, devenu prescripteur de politiques définies « en haut » pour s’appliquer coûte que coûte « en bas ».
Dans ce schéma, la décentralisation disparaît, comme en témoigne le fameux droit d’option des départements, qui évite, comme par hasard, le recours à la consultation populaire ; sans doute un mauvais souvenir de la démarche infructueuse engagée en 2013 en Alsace… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Le Président de la République et le Gouvernement attendent beaucoup de la réforme territoriale en termes de réduction du déficit budgétaire. Mais, nous le savons tous, une telle évolution aboutira à une dégradation de la vie de nos habitants, qui perdront peu à peu les services publics, dont tout le monde a loué le rôle déterminant dans la réduction des inégalités et l’amortissement de la crise financière.
Il en va de même pour la sécurité sociale. Pensez-vous vraiment qu’il soit conforme à la justice et à l’équité de geler les retraites, de réduire les dotations des hôpitaux et de rogner les prestations familiales ? Encore ne sont-ce là que quelques-unes des mesures prévues. Devoir se priver d’une sécurité sociale de haut niveau dans une économie nationale qui n’a jamais été aussi riche et productive, voilà en vérité une étrange conception de la justice et de l’équité !
La politique menée par le Gouvernement en matière de sécurité sociale est la parfaite illustration du risque dénoncé dès l’origine par son créateur, le ministre communiste Ambroise Croizat : « Faire appel au budget de l’État, c’est inévitablement subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières qui risqueraient de paralyser les efforts accomplis. »
Il faut bien le reconnaître, nous faisons face, dans le domaine de la sécurité sociale, à quelques enjeux majeurs.
D’une part, on constate une persistance des déficits sociaux combinée à la prégnance toute particulière de la prise en charge par l’État des cotisations sociales des entreprises.
Au cours de sa conférence de presse de ce midi, notre collègue Michelle Demessine a souligné la dangereuse accoutumance du monde économique aux exonérations de cotisations sociales, qui représentent plus de 10 % du montant des cotisations normalement dues. Elle a rappelé que 210 milliards d’euros d’exonérations avaient été distribués depuis 1993. L’emploi s’en porte-t-il mieux qualitativement et quantitativement ? Pas du tout : il y avait 3 millions de chômeurs en 1993 et qu’il y en a 5,6 millions aujourd’hui ! Voilà la réalité, mes chers collègues !
D’autre part, alors que la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, supporte plus de 130 milliards d’euros de passif à apurer, la situation des comptes sociaux n’a connu aucune évolution sensible du point de vue des ressources.
Le taux de cotisation des entreprises pour la branche famille, qui était de 5,40 % au mois de juillet 1993, vient d’être ramené à 5,25 %. En revanche, le taux de cotisations sur les salaires prévu pour l’assurance vieillesse jusqu’au plafond de la sécurité sociale, qui était de 8,20 % en 1993, a été porté à 8,30 % en janvier 2006, et il atteint 8,45 % depuis le mois de janvier dernier.
Dans un article paru dans la revue de l’Institut de recherches économiques et sociales, l’économiste Michel Husson fait apparaître que le niveau des cotisations sociales en 2012 est équivalent à celui des années soixante-dix, mais avec un taux employeur global de 24 % du total des rémunérations. De ce point de vue, la chute est de plus de 3 % sur le début des années quatre-vingt-dix.
En d’autres termes, c’est un problème d’insuffisance de recettes qui est à la base des difficultés de la sécurité sociale, comme de celles de l’État.
L’insuffisance des recettes est largement encouragée par une politique publique de l’emploi parfaitement inepte dans le contexte actuel. La stratégie de Lisbonne devait conduire la France sur la route de l’effort pour l’innovation, la recherche, la qualification et la création de valeur ajoutée par la matière grise. Qu’en est-il ? En assurant la rentabilité de la grande distribution et la solvabilité des entreprises de services à la personne, de nettoyage, de gardiennage et d’entretien, nous avons favorisé le développement de l’emploi précaire et de l’intérim.
En 1982, notre pays comptait un peu plus de 6 % de salariés en contrat à durée déterminée et un peu plus de 8 % de salariés à temps partiel.
En 2009, nous comptons plus de 12 % de salariés en contrat à durée déterminée et près de 18 % de salariés à temps partiel, chiffres plus actuels. Et il y a encore de belles âmes pour nous expliquer que le code du travail ne serait pas suffisamment « souple » ou « flexible », ou qu’il faudrait le « simplifier » parce qu’il compterait « trop de pages » !
M. Vincent Delahaye. C’est l’évidence !
M. Thierry Foucaud. Tout cela est réalisé et encouragé avec de l’argent public qui ne sert pas à maintenir notre équipement industriel en l’état. Notre déficit commercial extérieur le montre à l’envi.
Toujours est-il que ces politiques publiques, qui maintiennent dans la précarité des millions de salariés et leurs familles, ont des surcoûts évidents en matière d’allégements fiscaux, d’action sociale, de moins-values de recettes. Cela pèse sur les comptes publics et participe des déficits constatés.
Le budget de l’État, les comptes de la sécurité sociale et les finances locales n’ont pas vocation à prendre éternellement à leur seule charge l’ensemble des désordres économiques et sociaux que provoque l’économie libérale dans laquelle nous vivons.
Au groupe CRC, nous sommes partisans depuis toujours de la réduction des déficits publics et, par voie de conséquence, de l’évolution maîtrisée de la dette publique. Le problème, c’est que le discours sur « l’effort » reste un élément de langage. Je me suis ainsi reporté au rapport de notre éminent collègue François Marc sur le collectif budgétaire de 2014, que nous avons examiné voilà peu.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bonne référence !
M. Thierry Foucaud. On trouve dans ce document un intéressant tableau sur la stratégie fiscale des années à venir. Sont retracées de manière synthétique les mesures prévues par le fameux pacte de responsabilité et de solidarité sur les années 2014 à 2017. Le total atteint, en coût et en « mesures nouvelles », la somme de 25,3 milliards d’euros, étant par ailleurs précisé que ce montant n’est pas inclus dans le coût du CICE.
Le problème, c’est que le chiffrage n’est pas juste. En réalité, les allégements de cotisations sociales supplémentaires initiés en 2015 pour 4,5 milliards d’euros vont atteindre 13,5 milliards d’euros à la fin de l’année 2017 pour les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC, tandis que ceux qui concernent les salaires supérieurs vont coûter 9 milliards d’euros sur deux ans.
De même, la mesure d’allégement de cotisations sociales des travailleurs indépendants, précédant l’intégration du régime social des indépendants, le RSI, dans le régime général, va coûter deux milliards d’euros supplémentaires.
Sur le plan des cotisations sociales, ce sont donc 24,5 milliards d’euros de plus qui vont être accordés en allégements aux entreprises.
Pour la « modernisation du système fiscal des entreprises », la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, dite C3S, va coûter 7,2 milliards d’euros en trois ans au budget de l’État, tandis que la disparition de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés, ou IS, représentative de la contribution du monde économique au redressement des comptes publics, va coûter 5,2 milliards d’euros de plus.
Aux 24,5 milliards d'euros d’allégements sociaux payés sans doute in fine par la contribution sociale généralisée, la CSG, la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, et la CADES, nous ajoutons donc 12,4 milliards d'euros d’allégements fiscaux, soit un total de 36,9 milliards d'euros.
Pour faire bonne mesure, cerise sur le gâteau, on envisage de réduire le « taux facial » de l’impôt sur les sociétés de 33,33 % – vous savez très bien que le taux est, en moyenne, bien inférieur – à 32 %, voire à 28 % si l’on veut que les fruits de la croissance attendue puissent correctement alimenter les dividendes versés. Cela fera, nous dit-on, 1,5 milliard d’euros d’efforts supplémentaires pour tout le monde, sauf pour les entreprises et la finance, qui vont donc, pendant que l’on rationne les collectivités locales, se partager près de 40 milliards d'euros de nouveaux allégements sociaux et fiscaux !
Au demeurant, pour dissuader parfaitement les employeurs d’accroître les salaires de manière inconsidérée, le Premier ministre vient d’annoncer la couleur sur la seule mesure destinée aux ménages dans le cadre du pacte : un dispositif pérenne sur l’impôt sur le revenu d’un coût estimé compris entre 2,5 milliards et 2,7 milliards d’euros.
Il s’agit non d’une revalorisation du barème, comme nous avons eu l’imprudence de le proposer dans le cadre du collectif 2014, mais d’une nouvelle ristourne sur la contribution des redevables percevant un revenu inférieur à deux SMIC. Cela conduira à rembourser 400 euros payés « en trop » lors du dernier tiers provisionnel ou de la dernière mensualité de l’impôt sur le revenu ! Manuel Valls sera ensuite autorisé à remercier les généreux contribuables concernés d’avoir prêté gratuitement à l’État pendant neuf mois les sommes qui leur seront remboursées.
Il y a aussi l’allégement des cotisations sociales, destiné à augmenter le salaire net perçu par les salariés. Là encore, le MEDEF remercie le Gouvernement de creuser ainsi un peu plus le déficit de la sécurité sociale sans contraindre les entreprises à augmenter les salaires bruts. Les 7,5 milliards d'euros que devrait coûter cette mesure sont un cadeau empoisonné au monde du travail.
Pour augmenter les salaires et le pouvoir d’achat des ménages en France, il y a deux outils : il faut un décret de revalorisation du SMIC et un autre de dégel du point d’indice de la fonction publique. Les efforts ne sont donc pas si équitablement partagés que certains veulent le laisser penser.
Et ceux qui, par pure posture politique, contestent cette politique en l’ayant eux-mêmes mise en œuvre dans un passé récent ne sont pas plus qualifiés que l’actuel Gouvernement pour donner des leçons, surtout après avoir ratifié avec les parlementaires socialistes le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, dont le pacte de responsabilité est une forme d’avatar.
Au mois de mai 2012, un peu plus de 18 millions de Français, partagés entre espoir, volonté et détermination, votaient en faveur du changement. Le 25 mai dernier, moins de 19 millions votaient lors du scrutin européen, dont seulement 2,65 millions en faveur du parti de l’actuel Président de la République.
Pour retrouver les autres, je ne vois décidément qu’une solution : abandonnez les illusions libérales ! Une fois, une fois seulement, menez une politique de gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on considère souvent qu’il y a deux moteurs principaux pour relancer la croissance : la consommation des ménages et les investissements des entreprises. En réalité, pour que ces deux moteurs démarrent, il faut en plus un élément fondamental, qui a d’ailleurs souvent été évoqué : la confiance.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. François Fortassin. Sans confiance et sans prévisibilité pour l’avenir, ni la consommation ni les investissements ne pourront repartir, et la croissance et les emplois resteront en berne.
Des mesures ont été prises pour favoriser le retour de cette confiance, qui, faut-il le rappeler, ne se décrète pas. Aussi, grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le taux de marge des entreprises s’est redressé de plus d’un point en seulement un an. Et des taux de marges qui augmentent, ce sont des investissements qui reprennent. C’est plus d’innovation, plus de compétitivité et donc, in fine, plus d’emplois créés.
La création de la Banque publique d’investissement a également permis de faciliter l’accès au financement, en particulier pour les TPE et les PME en croissance, qui sont les « championnes » de l’économie de demain.
Enfin, le pacte de responsabilité et de solidarité, avec la baisse massive des charges patronales et salariales dès 2015, puis, à terme, la réduction du taux facial de l’impôt sur les sociétés, constitue un signal très fort en direction des entreprises et des ménages – je parle des ménages modestes et des classes moyennes –, pour qui la pression fiscale devra nécessairement être allégée dans les prochaines années.
Les récentes déclarations du ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique au cours de la présentation de sa feuille de route nous semblent également aller dans le bon sens. Toutefois, elles suscitent également des interrogations.
Non pas que nous soyons opposés à la remise en question des monopoles détenus par certaines professions réglementées, qui tirent à n’en pas douter les prix de nombre de services vers le haut. Bien au contraire ! Mais quand M. Arnaud Montebourg annonce que leur remise en cause conduira à redistribuer 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français, nous aimerions avoir le détail de son calcul pour savoir comment il parvient à un tel résultat, d’autant plus que le projet de loi pour la croissance et le pouvoir d’achat n’est pas finalisé, le ministre ayant annoncé qu’il y travaillerait tout l’été avec ses collaborateurs de Bercy !
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas publier immédiatement le rapport de l’inspection générale des finances qui porte sur ces professions réglementées et qui a visiblement inspiré le projet, au lieu de le retenir comme une « bombe à retardement » ? Nous aimerions en effet connaître le détail des professions et secteurs concernés par ce projet, d’autant plus que les exemples mentionnés pour l’instant ne paraissent pas constituer les plus grandes sources d’économies pour les ménages.
Que Bercy espère réellement relancer le pouvoir d’achat et la croissance en faisant baisser les tarifs des prestations d’huissiers de justice ou le prix des prothèses dentaires, cela laisse un peu rêveur ! En effet, seule une minorité de nos concitoyens y ont recours. Et encore, de façon souvent irrégulière, hélas ! Cela ne signifie pas qu’il ne soit pas souhaitable de faire baisser les prix dans ces secteurs, mais nous nous interrogeons simplement sur le gain massif de pouvoir d’achat escompté.
En revanche, en tant que force de propositions, nous soulignons qu’il existe dans notre pays des monopoles profondément ancrés avec des effets négatifs évidents sur le pouvoir d’achat de millions de nos concitoyens, en particulier les plus vulnérables. Ainsi, le groupe RDSE se bat depuis plusieurs années, et nous avons défendu régulièrement des amendements en ce sens, pour que soit remis en cause le monopole des constructeurs automobiles sur le marché des pièces détachées.
Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à libéraliser ce marché ? Cela se traduirait par des gains de pouvoir d’achat tout à fait significatifs pour les consommateurs, comme le montrent de nombreux exemples étrangers. Je pense en particulier aux foyers les plus modestes des zones rurales ; ceux qui sont obligés de se déplacer en voiture sont, en quelque sorte, prisonniers des prix exorbitants des pièces détachées.
Nous attendons donc avec impatience les détails quant à la piste de relance annoncée par M. le ministre de l’économie. Nous sommes par ailleurs en parfait accord avec la seconde piste évoquée, celle de la relance des investissements dans les grandes infrastructures, comme dans le domaine de l’énergie. Je pense notamment aux barrages hydroélectriques. Contrairement à d’autres, nous souhaitons non pas les raser, mais plutôt les rehausser pour produire davantage. Nous pourrions nous inspirer de l’exemple de la Suisse, où l’expérience a été menée avec un certain succès.
En ce sens, nous ne pouvons que regretter que les documents accompagnant ce débat d’orientation des finances publiques ne démontrent pas la volonté du Gouvernement de relancer les investissements. En effet, les économies de dépenses réalisées jusqu’à présent et celles qui sont prévues dans le cadre du plan de 50 milliards d’euros annoncé entre 2015 et 2017 s’effectueront malheureusement au détriment des dépenses d’investissement.
Comment préparer l’avenir, la compétitivité et la croissance de demain sans investir dans la recherche, le développement des infrastructures énergétiques, numériques ou le transport ? La situation des collectivités territoriales et les efforts sans précédent que celles-ci doivent réaliser, s’additionnant aux effets de la crise économique, conduisent déjà à la réduction des investissements, alors que les collectivités, faut-il le rappeler, réalisent 70 % des investissements publics de notre pays.
Monsieur le ministre, au-delà des décisions qui peuvent être prises, il faudrait que vous interveniez fermement auprès de l’administration française. C’est une administration de grande qualité, mais elle tire son pouvoir de sa puissance à dire « non » en permanence,…
M. Gilbert Barbier. Eh oui !
Mme Michèle André. Il n’y a pas qu’elle !
M. François Fortassin. … quand elle pourrait dire « oui » et faciliter les investissements !
À titre d’exemple, voilà un an, mon département, les Hautes-Pyrénées, a été très touché par des crues massives qui ont détruit un certain nombre d’investissements dans les vallées. À l’époque, nous avons considéré, en particulier le président du conseil général, que la loi sur l’eau et les milieux aquatiques et les règles sur les marchés publics devaient être transgressées en période de difficultés et qu’il fallait aller vite. Aujourd'hui, tous les travaux ont été réalisés, alors qu’un département voisin, pourtant beaucoup plus riche, qui a observé les règles de façon stricte, n’a encore rien fait ! Voilà un exemple dont vous pourriez vous inspirer ! Il pourrait d’ailleurs servir dans de nombreux domaines.
M. François Fortassin. Il s’agit non pas de transgresser les règles de manière systématique, mais bien de faciliter la relance de l’investissement pour les collectivités territoriales.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. François Fortassin. C’est, me semble-t-il, tout à fait possible. Priorité doit donc être accordée aux mesures permettant de relancer la croissance, sans pour autant abandonner totalement, ce qui serait irresponsable, la trajectoire de redressement des finances publiques.
Je ne reprendrai pas à mon compte le lyrisme accusateur du ministre de l’économie, pour qui l’Union européenne confondrait morale et économie. Selon ses termes, il serait « moralement juste » mais « économiquement stupide » de rembourser ses dettes. Il est tout de même permis d’en douter.
Selon nous, dans le contexte actuel de très faible croissance, il existe des marges de manœuvre, même avec les règles européennes, qui peuvent sembler très contraignantes à première vue.
Peut-être faudrait-il suivre la piste esquissée par le président du Conseil italien, Matteo Renzi, c’est-à-dire utiliser la « flexibilité » du pacte de stabilité et de croissance, pacte qui nous impose la fameuse règle du déficit nominal inférieur à 3 % du PIB.
Il nous semblerait nécessaire de ne pas comptabiliser dans le calcul du déficit les dépenses d’investissement qui servent à préparer l’avenir ou celles qui financent des réformes structurelles favorables au redressement et à la croissance durable. (M. Jean-Vincent Placé s’exclame.) Mon collègue Jean-Vincent Placé n’est visiblement pas d’accord avec moi.
M. Jean-Vincent Placé. Au contraire, mon cher collègue ! Je me réjouis qu’une telle idée progresse !
M. François Fortassin. Parmi les annonces du Gouvernement pour les années à venir, il manque encore des réformes structurelles ambitieuses et courageuses pour redresser durablement nos finances publiques et éviter l’emballement de la dette, qui pèserait sur les générations futures.
Comme l’écrivent les économistes Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, « la méthode des petites réformes a échoué : malgré l’urgence, la France n’a toujours pas restructuré ni même maîtrisé fondamentalement sa dépense publique, ni réformé le marché du travail ou le marché des biens et services de façon significative, ni modernisé son école ou ses universités ou son système de formation professionnelle pour les rendre plus efficaces. »
De ce point de vue, la réforme territoriale n’est qu’un leurre ; nous le savons tous. Les économies attendues sont largement surestimées.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. François Fortassin. D’ailleurs, leur réalité reste à démontrer.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. François Fortassin. Enfin, alors que nous discutons de l’orientation de nos finances publiques, je ne peux pas conclure mon intervention sans évoquer une notion chère aux membres du groupe RDSE, celle de la justice sociale.
Outre les comportements de fraude ou d’optimisation de la part des particuliers comme des entreprises, qui ne sont pas sans lien avec le taux de prélèvements obligatoires exceptionnellement élevé de notre pays, la justice fiscale est aujourd’hui menacée par la multiplication de ce que l’on appelle communément les « niches fiscales »,…
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ah, les niches !
M. François Fortassin. … dont on ne sait pas toujours bien comment elles sont comptabilisées. Dépenses ? Dépenses fiscales ? Moindres recettes ? Tout cela est particulièrement opaque. Arrêtons d’ailleurs avec ce galimatias financier qui nous est asséné à longueur de journée !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. François Fortassin. Monsieur le président de la commission des finances, vous êtes en première ligne pour faire en sorte que le langage des membres de votre commission puisse enfin être compréhensible par tous ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je m’y efforce, mais c’est difficile ! (Nouveaux sourires.)
M. François Fortassin. Alors que nous fêtons le centenaire du vote de l’impôt sur le revenu, dont la mise en œuvre a été retardée par l’éclatement du premier conflit mondial, il est indispensable de revenir à l’esprit de cet impôt : un impôt personnel, progressif sur le revenu, marquant l’égalité non pas « devant » l’impôt, mais « par » l’impôt !
Il est urgent de revenir à la préoccupation principale de son fondateur, le sénateur radical Joseph Caillaux, celle de la justice fiscale ! C’est la raison pour laquelle les radicaux de gauche en appellent aujourd’hui à une grande réforme fiscale, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de celui sur les sociétés, afin de retrouver lisibilité et justice, deux notions elles aussi indispensables au rétablissement de la confiance, à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure.
Monsieur le ministre, vous nous trouverez à vos côtés chaque fois que ces différents éléments seront au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Éric Doligé. Ce n’est pas pour demain !
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est désormais la troisième fois sous cette mandature que nous nous réunissons pour débattre de l’orientation de nos finances publiques. Cette année, faute de temps et en raison d’un calendrier législatif particulièrement intense, nous discutons en même temps du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année écoulée, en l’occurrence 2013.
Prévu à 3,1 % dans la dernière loi de programmation des finances publiques, le déficit public pour 2013 s’établit finalement à 4,3 % du PIB. Un tel écart s’explique d’abord par une mauvaise hypothèse de croissance. Alors que le consensus des économistes s’opérait à l’automne 2012 sur une prévision de croissance de 0,3 %, ce qui s’est vérifié, le Gouvernement a préféré bâtir son budget sur une hypothèse de 0,8 %. Nous verrons à l’avenir si la création du Haut Conseil des finances publiques, qui n’était pas encore en place à l’automne 2012, aura un effet bénéfique sur le réalisme des hypothèses de croissance retenues par les futurs gouvernements, quel que soit leur bord politique.
Le déficit plus important que prévu s’explique aussi et surtout par la faiblesse de la recette fiscale. Ce ne sont pas moins de 14,6 milliards de recettes qui manquent à l’exercice 2013 par rapport à la prévision de la loi de finances initiale. Le Gouvernement n’apporte pas d’explication probante à cet énorme manque à gagner. Il s’agit simplement de la réaction d’une économie en tension à un traitement de choc qu’elle n’est manifestement pas en mesure de supporter.
Si la prévision est à ce point délicate à réaliser et admet des marges d’erreur aussi importantes, il y a de quoi relativiser fortement la méticulosité du mécanisme de planification et de contrôle du TSCG. En effet, l’année 2013 constitue le premier exercice budgétaire intégralement géré sous cette mandature et sous le régime du pacte budgétaire européen. L’écart à la prévision du déficit structurel étant supérieur à 0,5 point, il va donc falloir que la France déclenche le mécanisme dit de « correction automatique », supervisé par le Haut Conseil, qui conduira probablement à supprimer encore davantage de dépenses publiques.
Après 4 milliards d’euros de réductions de dépenses cet été, dans le projet de loi de finances rectificative et le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, ce ne sont pas moins de 21 milliards d’euros d’économies qui sont planifiés pour le projet de loi de finances pour 2015, constituant ainsi un effort inédit. Sans parler des conséquences directes de ces coupes claires, notamment sur l’investissement public, il est difficile de se convaincre que ce qui n’a pas fonctionné en 2012 et en 2013 pourra fonctionner les années suivantes.