M. Louis Nègre. Très bien !
M. Vincent Capo-Canellas. Le troisième objectif doit être de renforcer l’indépendance des établissements publics au sein du pôle unifié que vous avez choisi afin de rendre le projet de loi pleinement compatible avec les règles européennes. C’est aussi, d’ailleurs, nécessaire pour garantir un accès équitable au réseau.
Notre quatrième objectif, en concordance avec le précédent, c’est bien sûr de renforcer encore les pouvoirs de l’ARAF comme véritable autorité de régulation indépendante. Louis Nègre a évoqué tout à l’heure la question du commissaire du Gouvernement. C’est d’autant plus nécessaire que votre système peut parfois être considéré comme ambigu, donc remettons de la clarté !
Enfin, nous voulons, c’est notre cinquième objectif, rendre le train plus compétitif et plus attractif. Cela veut dire améliorer la productivité du système, la qualité du service rendu aux usagers, mais aussi revenir à des prix concurrentiels. Tout de même, quand on voit les tarifs sur internet, il y a parfois de quoi désespérer ! (M. Louis Nègre opine.) Tout cela appelle une volonté claire.
Sur les points que je viens d’énumérer, la réponse du Gouvernement sera déterminante pour ce qui concerne notre vote. Nous avons déposé des amendements et nous aurons l’occasion d’approfondir la discussion.
Votre projet de départ n’est pas le nôtre, monsieur le secrétaire d'État, vous le savez. L’Assemblée nationale l’a amélioré, mais il reste du chemin à faire. Sur le texte initial, nous avions de grandes réserves. Une partie d’entre elles ont été levées. Nous mesurons l’enjeu pour le système ferroviaire et les cheminots. L’enjeu c’est de s’adapter et de se redonner les moyens d’être compétitifs. Repousser la mise en concurrence sans s’y préparer n’est pas la solution. Au contraire c’est l’assurance de réveils douloureux.
Ce texte, s’il était adopté par le Sénat, ce qui ne me paraît pas acquis à cette heure, ne réglera pas tout. Il faudra demain encore aller plus loin dans l’expérimentation des délégations de service public. Gageons que les régions elles-mêmes y viendront. Après tout, le droit européen existe. Il faudra aussi, à court terme, réussir le quatrième paquet ferroviaire avec un Parlement européen et une Commission renouvelés. Ce ne sera pas forcément le plus facile.
La France a trop souvent l’image d’un pays qui ne sait pas se réformer. Si cette réforme devra bien sûr être suivie d’autres, dans ce domaine précis, elle peut malgré tout contribuer à améliorer la situation du chemin de fer français. La discussion mérite en tout cas d’être engagée et c’est dans cet esprit que nous examinerons ce texte.
Je terminerai en évoquant bien sûr les attentes des voyageurs. Monsieur le secrétaire d'État, il est des secteurs où l’exaspération des voyageurs est à son comble – et l’Île-de-France en est un. Hier encore, le RER B était bloqué à la station Luxembourg.
M. Roger Karoutchi. Comme toujours…
M. Vincent Capo-Canellas. À vingt heures, en plein conseil municipal, j’attendais un certain nombre de mes collègues élus qui étaient encore dans les rames. Il faut répondre à cette attente. La ligne B est celle que je connais le mieux, mais d’autres souffrent tout autant.
Les annonces du procureur d’Évry – forcément légitimes – sur l’état de vétusté du réseau, en particulier en gare de Noisy-le-Sec, interrogent et interpellent nos concitoyens.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le secrétaire d'État, il faut rassurer sur les moyens mis en œuvre, car les usagers et le maire de Noisy-le-Sec, en particulier, sont légitimement inquiets du constat qui a été livré à l’opinion.
Tout cela nous rappelle si besoin que la finalité du réseau comme du transporteur, c’est d’être au service des usagers pour les transporter.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Vincent Capo-Canellas. En cela, le système ferroviaire répond à une obligation de service public et d’égalité. C’est un beau défi qu’il nous faut relever aujourd’hui encore. Alors je connais le talent de notre rapporteur, Michel Teston, et sa passion pour le ferroviaire…
M. Vincent Capo-Canellas. … et je sais, monsieur le secrétaire d'État, que vous êtes à l’écoute du Parlement. Dans la discussion qui s’engage, nous mettrons en avant quelques idées simples. À l’Assemblée nationale, cette réforme était assez mal engagée, peut-être sur la mauvaise voie, elle a peut-être failli dérailler en raison de la grève, mais vous avez réussi à faire en sorte qu’il n’en soit rien. Après son passage devant les députés, elle a été « réaiguillée » dans un sens plus favorable. Espérons qu’après son examen par le Sénat, elle sera enfin sur de bons rails. Il n’appartient qu’à vous, monsieur le secrétaire d'État, d’orienter ce projet de loi dans le bons sens et de faire arriver cette réforme à quai et à temps. (Mme Françoise Férat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, maintenance inadaptée, délabrement jamais vu : les mots du procureur chargé de l’accident de Brétigny-sur-Orge sont durs, très durs à entendre pour nous qui aimons le chemin de fer. Ils font cependant écho à ceux des cheminots, qui, depuis plusieurs années, nous alertent sur la dégradation du service public ferroviaire, ainsi qu’au constat unanimement partagé des Assises du ferroviaire.
Cela s’ajoute à la charge médiatique sur les rames de TER inadaptées à la largeur des quais et renforce le sentiment de gâchis et d’insécurité des usagers.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme Mireille Schurch. La SNCF est une entreprise publique de service public, caractérisée par certaines valeurs qui cimentent le corps social et le territoire national. Malheureusement, les choix des gouvernements successifs et de la direction ont tendu à l’assimiler à une entreprise comme une autre. Le cloisonnement des métiers et des personnels ainsi que le recours massif à la sous-traitance des activités essentielles mettent à mal la complémentarité et les savoirs multiples, apportant son lot d’inquiétudes, de souffrance et de dysfonctionnements.
Pour notre part, dans une démarche constante et cohérente, nous n’avons jamais cessé de pointer les lacunes de la réforme de 1997, le poids des intérêts divergents de RFF et de la SNCF, la perte d’énergie dans la gestion des relations entre deux entreprises publiques qui devaient logiquement travailler ensemble et la remise en cause de la légitimité des cheminots.
Que ce soit dans notre proposition de loi permettant la relance du secteur public ferroviaire de mai 2012 ou encore notre proposition de résolution tendant à la maîtrise publique du système ferroviaire national de juillet 2013, sans parler de notre résolution demandant une évaluation de la libéralisation du secteur, nous avons été attentifs aux préoccupations des acteurs de terrain et nous avons appelé de nos vœux une réforme du système ferroviaire.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, nous saluons vos efforts pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de nos assemblées, d’autant plus qu’une course de vitesse est engagée avec la Commission européenne.
M. Christian Poncelet. Oui !
Mme Mireille Schurch. Toutefois, le quatrième paquet ferroviaire, vous l’avez rappelé, n’est pas encore voté et la Commission européenne a déjà dû reculer.
À cet égard, rappelons que le droit positif impose seulement une séparation des fonctions essentielles, à savoir la définition des péages et la répartition des sillons.
De plus, les États – et donc les gouvernements – ne sont pas étrangers à la production législative européenne et ils ont une marge de manœuvre dans la transposition des directives. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, n’utilisez pas l’argument de l’eurocompatibilité ou de la concurrence comme indépassable : il ne peut y avoir de double discours, l’un national, l’autre européen. Le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, – j’ai entendu le Premier ministre – veut être un gouvernement de combat et la France – je reprends vos mots – est une grande nation ferroviaire et européenne qui a un poids certain dans les négociations européennes.
Ce projet de loi est une formidable opportunité pour faire valoir les exigences de la France dans le domaine ferroviaire.
Dès lors, ne reproduisons pas les erreurs passées sous couvert d’un discours d’urgence ou de contraintes réelles ou imaginaires. C’est pourquoi, à travers nos amendements, nous défendrons un modèle unifié autour de l’entreprise publique SNCF, car il a fait ses preuves par le passé. Nous pensons qu’il est seul à même de répondre aux défis du futur, aux exigences d’un service public ferroviaire, fiable et performant au service des usagers et du territoire, un service public qui ne soit pas, comme cela transparaît en filigrane dans le projet de loi, exclusivement orienté vers la gestion de l’infrastructure.
Le service public que nous défendons englobe l’offre de service, la gestion et le déploiement des réseaux, mais aussi la gestion des gares et du patrimoine ferroviaire.
S’il est impératif de mettre fin à l’absence de vision cohérente à long terme sur le système ferroviaire, la question de son financement ne peut être minorée et reportée dans le temps.
À sa création, RFF a hérité de la dette de la SNCF – 20 milliards d’euros au départ, dette qui est devenue colossale aujourd’hui, comme l’a rappelé le rapporteur –, laquelle n’apparaît plus comme de la dette publique.
Pourtant, le désendettement de la SNCF aurait pu être obtenu par le transfert d’une partie de ses dettes à l’État, ce que la directive de 1991 autorisait. D’ailleurs, dans la plupart des autres pays européens, l’État a ainsi repris une grande partie des dettes de l’opérateur ferroviaire historique. Voyez l’exemple allemand.
Pourtant, force est de constater que l’État n’a toujours pas l’intention de désendetter le système ferroviaire. Ce projet de loi, à notre avis, n’apporte pas de réponse satisfaisante à cette question pourtant cruciale.
La seule perspective de ce projet de loi sur le financement du système réside dans ce que vous appelez « des gains de performance dans les organisations et les modes de travail dans l’ensemble du groupe », et dans l’optimisation de l’offre ferroviaire.
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'État, qu’au vu de l’actualité cela crée un certain malaise. Car c’est cette logique de réduction des coûts et des moyens financiers et matériels, de suppressions d’emplois, d’abaissement de la qualité des formations dispensées qui dégrade les conditions de travail des cheminots et la qualité du service public SNCF rendu aux usagers et à la nation.
Cette logique qui encourage un recours toujours plus important à la sous-traitance pour réaliser la maintenance verra peut-être se multiplier les catastrophes comme celle de Brétigny-sur-Orge. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Car, selon les chiffres annoncés lors des débats à l’Assemblée nationale, pour trouver annuellement 250 millions d’euros, il faudrait réduire les effectifs de 4 330 personnes par an. En cinq ans, ce seraient donc plus de 20 000 salariés en moins.
Reconnaissons-le, les craintes des cheminots ne sont pas dénuées de fondement, monsieur le secrétaire d'État !
De plus, l’optimisation de l’offre ferroviaire, ainsi que la règle prudentielle, prévoit une hiérarchisation des investissements en faveur des projets présentant le meilleur retour d’investissement. À terme, cela se traduira inévitablement par des fermetures de lignes. En effet, le projet de loi prévoit un système de priorisation des projets ferroviaires, c’est-à-dire que les travaux nécessaires à la régénération du réseau ne seront effectués que lorsqu’ils sont jugés « utiles » et si les finances le permettent – pour certaines lignes, l’occasion ne se présentera jamais.
C’est donc le passage de la recherche d’une sécurité maximale à un risque calculé. Il faudra expliquer cela à nos concitoyens, monsieur le secrétaire d'État. Au fond, vous rayez d’un trait de plume les engagements de la commission Mobilité 21.
En outre, la gestion en temps réel du trafic relève complètement de l’opérationnel, de l’exploitation ferroviaire, et fait partie des fondements de la sécurité et de la qualité des services ferroviaires effectifs, alors que la gestion de l’infrastructure au sens propre a lieu en amont, en temps différé.
Où est donc dans votre projet la construction d’une synergie en temps réel des équipes de terrain, par exemple aiguillage et manœuvre des trains ?
Sur ce terrain, monsieur le secrétaire d'État, votre réforme ne répond pas aux attentes des cheminots en termes d’efficacité.
À cet égard, le nouveau rôle de gendarme financier dévolu à l’ARAF nous interroge. Nous avons toujours contesté ce type de structure dont les missions n’ont, à notre avis, rien à voir avec le service public, puisque l’unique objectif visé est de faire de la place aux nouveaux entrants et donc d’assurer la concurrence. Nous soutenons l’idée que la régulation du système ferroviaire doit être la mission de l’État plutôt que d’une structure prétendument indépendante et loin de la notion de service public.
Eurocompatibilité, ouverture à la concurrence, pérennité de la réforme, mais aussi unicité du système sont les termes que vous utilisez pour décrire votre réforme.
Vous nous dites : efficacité du système. Ainsi, pour remédier à l’éclatement du passé, il faudrait créer trois nouvelles entités : SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Par une mathématique opaque, vous affirmez, monsieur le secrétaire d'État, que trois serait plus performant que deux, et plus performant encore que un. Pourtant, les directives européennes n’imposent absolument pas la mise en place de trois EPIC distincts ; elles n’exigent de séparation organique que pour « les fonctions essentielles ».
Pourquoi ne pas avoir simplement externalisé ces fonctions auprès de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, et reconstruit un groupe public ferroviaire autour d’un seul EPIC ? Si l’objectif est la rationalisation et l’efficacité du système, pourquoi n’avoir pas retenu cette solution de bon sens au lieu de multiplier les structures et compétences de coordination, d’arbitrage, de consultation ? D’autant qu’il y a toujours un président de SNCF Réseau et un président de SNCF Mobilités : la complexité est loin d’avoir disparu.
Vous nous dites que cette réforme sera source d’économies ? Pouvez-vous être plus précis au vu de l’empilement de toutes ces nouvelles structures et instances diverses et variées ?
Vous nous dites : pérennité de la réforme. Ce choix des trois EPIC nous interroge. En effet, et vous le savez, l’EPIC est une forme juridique aujourd’hui menacée. La Cour de justice de l’Union européenne nourrit des suspicions sur son régime juridique. À cet égard, l’exemple de La Poste est éclairant – à l’époque, la gauche s’était battue contre le changement de statut de l’entreprise. Il ne faudrait qu’un pas pour que la Cour de justice juge tout simplement les EPIC comme incompatibles avec le marché intérieur.
En outre, par le passé, la séparation en filiales de différentes activités a été le plus sûr chemin vers leur privatisation. C’est pourquoi le schéma proposé n’emporte pas notre conviction, surtout au vu des transferts d’actifs organisés dans les articles 10 et suivant du projet de loi, qui, tout en renforçant SNCF Réseau, apurent en quelque sorte les comptes de SNCF Mobilités.
Vous nous dites : unicité du système et simplification. Depuis plusieurs années, les régions sont désireuses d’affirmer leur rôle d’autorités organisatrices de transport de plein exercice, ce qu’elles ne sont pas. Si le texte initial prévoyait un léger renforcement des régions, son passage à l’Assemblée nationale tend à une véritable « régionalisation » de notre système ferroviaire.
Certes, les députés ont refusé de reconnaître aux régions les prérogatives d’autorités organisatrices de plein exercice. Toutefois, il appartiendra aux régions de définir la politique tarifaire des services d’intérêt régional et elles pourront devenir propriétaires et gestionnaires d’infrastructures, compétence qu’elles sous-traiteront. Nous sommes donc bien loin de l’unité du réseau ; pire, à notre avis, c’est d’un éclatement du réseau qu’il s’agirait.
Avec cette réforme, le risque est grand que subsistent les stratégies concurrentes des différents acteurs ferroviaires. Les simplifications annoncées sont illusoires. La multiplication des structures, la complexification et l’étanchéité des organisations vont renforcer les difficultés de la mutualisation, pourtant nécessaire.
C’est pourquoi nous porterons des amendements allant dans le sens d’une réelle unification du système. La définition d’une nouvelle ambition pour le ferroviaire renvoie à la nécessité de financements renforcés. Nous porterons des amendements en faveur d’une reprise par l’État de la dette ferroviaire – dette colossale, monsieur le rapporteur – afin de développer les capacités de financement des réseaux.
Nous reviendrons sur l’exigence d’unité du réseau et sur la préservation des conditions de travail dans le monde ferroviaire.
Il y a presque un an, dans cet hémicycle, nous vous demandions de clarifier la position du Gouvernement, considérant que libéralisation, régionalisation et maîtrise publique du système ferroviaire n’étaient pas a priori compatibles et que le message envoyé par votre gouvernement était particulièrement brouillé.
Nous demandions des engagements précis sur des financements nouveaux et sur les missions de service public assumées par le groupe public ferroviaire, notamment en matière de rééquilibrage modal.
Nous demandions également que les salariés du secteur ferroviaire soient respectés.
Toutes ces demandes sont restées sans réponse, ou presque. Quant au respect des salariés, le traitement médiatique de la récente grève a été particulièrement violent et lamentable, alors même, et vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, que les salariés du rail défendent, en toute responsabilité et avant tout, le service public.
Nous proposerons donc clairement, par nos amendements, de renforcer ce groupe public ferroviaire, ce qui, vous nous l’accorderez, constitue bien l’enjeu décisif pour le secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voilà qu’arrive dans notre Haute Assemblée un texte nourri par une actualité forte, ainsi que par plusieurs événements qui ont suscité émotions et interrogations auprès des cheminots, mais aussi auprès de nos concitoyens.
Je mentionnerai volontairement pêle-mêle des événements qui sont d’ordre bien différent : nous avons tous en mémoire le terrible accident de Brétigny-sur-Orge, nous ne pouvons oublier les « embarras » dus aux dernières grèves et nous nous sommes interrogés sur ces quais trop étroits pour accueillir les nouvelles rames de trains modernes…
S’agissant de Brétigny-sur-Orge, monsieur le secrétaire d’État, une enquête a été diligentée à votre demande dont les premières conclusions sont terrifiantes : « coupable négligence », « état de délabrement jamais vu », des mots qui font froid dans le dos, qui heurtent les voyageurs habituels ou simplement occasionnels, des mots aussi qui blessent notre conscience.
L’affaire de la largeur des quais est peu de chose, en vérité, comparée au drame humain que je viens de rappeler. Peut-être n’a-t-on pas assez souligné que le fait était connu et maîtrisé, et que l’on ne saurait faire grief à la SNCF d’avoir voulu moderniser son matériel roulant pour améliorer le confort de ses passagers et le mettre aux normes de l’accessibilité pour handicapés.
Mme Anne-Marie Escoffier. La grève des cheminots, enfin, récurrente, visait à alerter : on ne saurait leur en faire le reproche, si l’on veut bien entendre les inquiétudes des personnels concernés. Pour autant, on comprend bien aussi l’agacement des usagers, pris en otage, une nouvelle fois, et insuffisamment informés des raisons de ce blocage.
J’ai moi-même, il y a quelques jours seulement, en Aveyron, reçu une délégation de cheminots venus me faire part de leurs interrogations ; ils se demandaient notamment si la réforme ferroviaire en discussion allait apporter des solutions pérennes à un certain nombre de problèmes.
Je les énumérerai en vrac. La dette, tout d’abord : les cheminots consacreraient un jour de leur activité sur sept à la rembourser ; la durée d’amortissement des investissements, ensuite : dix-ans, est-ce bien raisonnable ? Je citerai encore l’excessif cloisonnement des activités, insuffisamment coordonnées, qui est source parfois de véritables incohérences ; la réduction du nombre d’agents, qui peut avoir des conséquences sur la sécurité en secteur diffus ; l’ouverture à la concurrence, inscrite dans les principes : interviendra-t-elle à court terme ou à moyen terme ? Je citerai également es trains d’équilibre et le vieillissement du matériel remorqué ; les investissements prévus dans le plan rail, etc.
Je ne parle même pas des problèmes d’organisation plus locaux : par exemple, le maintien du train de nuit, si utile, de Rodez à Paris (M. Roger Karoutchi sourit.), ou encore le maintien de la ligne Rodez-Millau, nécessaire pour nos jeunes élèves, tout cela en lien avec la région.
M. Vincent Capo-Canellas. Belle ville, Millau !
Mme Anne-Marie Escoffier. Toutes ces questions témoignent d’un véritable désarroi auquel j’ai voulu répondre en soulignant la qualité du dialogue établi entre notre assemblée et votre ministère, monsieur le secrétaire d’État.
J’en profite d’ailleurs pour saluer ici la qualité des travaux de toutes celles et de tous ceux qui ont apporté leur concours à la rédaction du texte de la commission, au premier chef l’excellent rapporteur de la commission du développement durable, Michel Teston, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des finances, François Patriat. Tous deux, par leur questionnement éclairé lors des auditions, ont permis à de nombreux acteurs de s’exprimer en toute spontanéité et dans la transparence.
Ce texte, aujourd’hui, corrige les effets, je dirais même les méfaits de la loi du 13 février 1997. En créant Réseau ferré de France, ou RFF, cette loi a établi une stricte séparation entre les activités de gestion des infrastructures, confiées à la nouvelle entité, et les activités d’exploitation, qui restaient du ressort de la SNCF. Ce faisant, elle avait pour but, plus ou moins avoué, de réduire la dette de la SNCF.
Dix-sept années sont passées, sans que le résultat recherché soit atteint, et tout le monde a pu mesurer le mur d’incompréhension qui s’est élevé entre les deux opérateurs. Placer à nouveau les deux entités dans une même main, sous une même autorité cohérente, un EPIC de tête, relève donc du bon sens, un bon sens encadré par la réglementation européenne, qui contraint à distinguer clairement les missions de définition des sillons des missions de tarification. C’est un point important sur lequel il faut insister.
Je veux dire combien j’ai été convaincue par les propos de M. Pepy et de M. Rapoport, mais aussi par les vôtres, monsieur le secrétaire d’État, parce que vous êtes allé aussi loin que possible en matière d’intégration, dans le strict respect du droit. Votre projet remet ainsi sur la bonne voie un système de gouvernance devenu complexe et peu efficace.
Comme vous l’avez rappelé, l’État assumera désormais pleinement sa mission de guide stratégique grâce à la majorité dont il disposera au sein du conseil de surveillance de l’EPIC mère. Le renforcement des pouvoirs de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, les règles d’impartialité applicables à ses membres, l’avis qu’elle devra rendre sur l’organisation interne au sein de SNCF Réseau, sont autant de gages de bonne gestion et de bonne administration.
La création d’un Haut comité du ferroviaire – vous en avez longuement parlé, monsieur le secrétaire d’État –, qui permettra de réunir l’ensemble des acteurs, est la traduction de cette belle volonté de fédérer toutes les forces et de chercher ensemble les meilleures solutions aux problèmes structurels qui se posent.
Je ne manquerai pas de souligner les garanties apportées dans le volet social, parce que c’est un point essentiel de notre débat et qui a souvent fait l’objet de discussions entre nous : un cadre social modernisé, des règles de travail ouvertes à tous les salariés et la volonté d’écarter le risque d’un nivellement par le bas des conditions de travail des employés et cheminots de la SNCF. C’était un pari difficile, mais un pari abouti, selon moi.
Il n’en reste pas moins, monsieur le secrétaire d’État, et j’ai bien entendu que vous avez voulu apaiser les inquiétudes qui se sont exprimées ici ou là, que les préoccupations majeures qui planent sur ce projet de loi tiennent à la question financière, d’une part, à l’ouverture à la concurrence, d’autre part.
Sur la base des analyses réalisées tant par la SNCF que par RFF, nous savons l’ampleur du déficit de la SNCF. Un déficit que vous envisagez de stabiliser, le mot est important, à hauteur de 60 milliards d’euros en 2025. Si l’intention – stabiliser le déficit – est louable, je crains que la réduction projetée ne soit trop ambitieuse, et du coup moins assurée. La question se pose véritablement des moyens, déterminés, persévérants, qui seront mis en œuvre pour tendre à une véritable efficience de notre système.
Nous n’ignorons pas, en effet, les deux aléas auxquels le Gouvernement est soumis.
Le premier aléa, rappelé par M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, est celui de la conjoncture économique : la baisse du trafic diminue les rentrées financières de RFF, malgré les augmentations des tarifs des péages auxquelles il avait été procédé, et la SNCF a été contrainte, pour ses comptes 2013, de déprécier ses actifs TGV pour un montant de 1,4 milliard d’euros.
Le second aléa est celui des taux d’intérêt : la probable remontée du loyer de l’argent tout comme la persistance inquiétante d’une inflation très modeste ne peuvent pas manquer de nous interroger. M. Pepy lui-même ne disait-il pas devant les membres de la commission du développement durable : « Les taux d’intérêt sont très bas, s’ils remontent nous serons en situation de surendettement » ?
J’en viens maintenant à la seconde préoccupation, celle de l’ouverture à la concurrence, point d’interrogation important dans nos débats. Nous voudrions en connaître d’ores et déjà le calendrier et les modalités.
Pour ma part, dans les circonstances actuelles, je ne crois pas utile de vouloir en définir les contours dès maintenant. Je crois sage, prudent et raisonnable de se préparer à cette ouverture dans le cadre d’un calendrier qui reste à négocier. L’adoption éventuelle, au début de 2015, du « quatrième paquet ferroviaire » par le Parlement européen devrait en être l’occasion, et je suis sûre, monsieur le secrétaire d’État, vous connaissant un peu, que vous mettrez tout en œuvre, dans le cadre de vos réunions avec la Commission européenne, pour maîtriser parfaitement un sujet qui requiert à la fois détermination et conviction, et pour défendre notre modèle français.
Je souhaite enfin saluer l’avancée significative, voire l’achèvement de la régionalisation ferroviaire, qui souffrait jusqu’à maintenant de ressources insuffisantes et d’incohérences manifestes. Personne ici n’ignore les efforts démultipliés qui ont dû être consentis par les régions, notamment pour se substituer à RFF ; je les ai clairement mesurés dans ma région, mais je sais que d’autres se sont tout aussi largement impliquées.
Je ne peux donc que me réjouir des nouvelles dispositions permettant à la région d’acquérir, par transfert de propriété, des infrastructures de transport ferré, voire du matériel roulant. La région trouvera alors toute sa place, elle exercera à plein, en toute responsabilité, l’une de ses compétences majeures : l’aménagement du territoire. Autorité organisatrice de transports, la région sera désormais partie prenante dans l’ensemble des débats.
Monsieur le secrétaire d’État, notre discussion viendra, j’en suis certaine, éclairer encore les avancées de ce texte, dont vous avez longuement développé les cinq axes majeurs.
Mes amis du RDSE, groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir, et moi-même sommes conscients des fragilités qui peuvent demeurer encore, mais nous sommes aussi confiants dans la capacité de tous les partenaires à faire évoluer progressivement le système pour aller vers un meilleur service public. Nous voterons donc en faveur du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. Christian Poncelet applaudit également.)