3
Prise d'effet de nominations à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 2 juillet prennent effet.
4
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des finances a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 actuellement en cours d’examen.
Cette liste a été affichée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Nomination de membres d'une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats a été affichée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Philippe Marini, François Marc, Mme Nicole Bricq, MM. Michel Berson, Éric Bocquet, Francis Delattre et Vincent Delahaye ;
Suppléants : Mme Michèle André, MM. Yannick Botrel, Yvon Collin, Philippe Dallier, Éric Doligé, Philippe Dominati et Jean Germain.
Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.
6
Loi de finances rectificative pour 2014
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2014.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article liminaire
La prévision de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2014 s’établit comme suit :
Prévision d’exécution 2014 |
|
Solde structurel (1)* |
-1,9 |
Solde conjoncturel (2)** |
-1,9 |
Mesures exceptionnelles (3)* |
- |
Solde effectif (1 + 2 + 3)** |
-3,8 |
* En points de produit intérieur brut potentiel. ** En points de produit intérieur brut. |
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, sur l'article.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, n’ayant pu intervenir dans la discussion générale, je saisis l’opportunité de l’examen de l’article liminaire pour évoquer les questions qui ont été abordées cet après-midi.
Nous sommes confrontés à un problème assez difficile : rétablir l’équilibre de nos comptes publics sans casser les perspectives de croissance.
À cette question économique, me semble-t-il, la réponse est d’abord politique. Je m’interroge toujours sur les raisons qui conduisent, au fond, les uns ou les autres à ne pas traiter cette affaire sur le plan politique qui convient.
La question est économique, je n’ai pas besoin d’insister sur ce point, chacun ici en est conscient. Nous avons à faire en sorte que la situation de nos budgets réponde non seulement aux engagements européens que nous avons pris, mais aussi, de manière plus générale, aux exigences d’équilibre auquel doit se soumettre tout gouvernement. De ce point de vue, il faut saluer l’effort accompli depuis deux ans, qui a permis d’améliorer la situation financière de notre pays, sans pour autant véritablement permettre de relancer l’activité économique, et c’est bien là qu’est la difficulté.
Lors du débat sur le projet de loi de finances initiale, j’avais eu l’occasion de dire, de différente manière, même si je n’avais pas pu, là encore, m’exprimer dans le cadre de la discussion générale, que je ne voyais pas comment on pouvait approuver un budget qui aurait forcément un effet récessif sur l’activité.
En dépit des dispositions qui ont été ajoutées dans le projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis, notamment les aides apportées aux ménages, l’effet récessif de ce budget est encore démontré : nous étions à peu près à un peu plus d’un point de PIB en décembre dernier par rapport aux prévisions budgétaires, nous sommes sans doute à un peu moins d’un point actuellement.
Or le paradoxe dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui, c’est que l’action publique, qui, à entendre mes collègues ainsi que le Gouvernement, est censée se concentrer exclusivement sur la croissance, a, au contraire, pour effet, de freiner cette croissance et de l’embarrasser, au nom des objectifs d’économies, qui sont, comme je l’ai relevé, parfaitement respectables, mais qui aboutissent à la situation que nous connaissons, à savoir une relative stagnation de l’activité – les différentes prévisions dont nous disposons indiquent que la croissance sera probablement de moins d’un point cette année – et, surtout, une augmentation très nette et très forte du chômage.
Dans ces conditions, le Gouvernement a essayé de dégager des solutions nouvelles. Il s’y est engagé au travers du pacte de responsabilité et de solidarité, qui a fait suite au CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Il nous est donc demandé de mobiliser plusieurs dizaines de milliards d’euros, pour l’essentiel, pour diminuer les cotisations et réduire l’imposition des entreprises.
Après tout, c’est une option, mais elle présente plusieurs inconvénients.
Premièrement, elle ne garantit pas que les entreprises consacreront ce rétablissement des marges au développement économique, faute de perspectives de croissance. Mais, au fond, ce n’est pas là l’essentiel, c’est un pari, que l’on peut comprendre.
Deuxièmement, elle accrédite l’idée, qui me paraît fausse et que j’avais pourfendue lorsque nous étions dans l’opposition – je n’étais pas alors le seul à le dire ! –, selon laquelle ce qui fait la compétitivité c’est non pas la baisse du coût du travail, mais la qualité de ce travail, la qualité de l’investissement et de la formation. En poursuivant cette démarche de baisse des cotisations, nous encourageons des pratiques qui ne sont pas les bonnes pour assurer la compétitivité de notre économie. Même s’il est nécessaire de réduire, pour une part, les cotisations, le faire dans de telles proportions avec, comme unique outil de politique économique, la baisse des cotisations, c’est se préparer à des lendemains qui déchantent.
J’ajoute que, concernant la question touchant directement à l’Europe, c’est, au fond, théoriser, et mettre en pratique ensuite, l’idée que l’Europe est non pas un espace de solidarité, mais un espace de compétition. Puisqu’il s’agit de faire cette compétition par la baisse du coût du travail, comme l’ont fait les Espagnols ou les Italiens, il y aura donc demain des vainqueurs et des vaincus.
L’Europe se construira par conséquent dans le succès pour les uns et dans la défaite, pour les autres, y compris à l’intérieur de la zone euro. Or c’est très exactement cette absence de solidarité et de convergence des objectifs qui a provoqué la crise que nous connaissons aujourd'hui.
Il faut donc chercher une autre réponse, qui consiste, me semble-t-il, à soutenir beaucoup plus fortement l’investissement de manière coordonnée, si possible à l’échelle européenne. Vous me direz : l’Europe n’en veut pas, pas plus que l’Allemagne ! (M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, acquiesce.)
Je vous vois acquiescer, monsieur le ministre. Aussi, je m’interroge. Votre politique, est-ce la résignation ? Le choix européen consiste-t-il à dire que la France ne compte pas et que l’intérêt vital de la France, qui est de préserver l’économie et l’emploi, ne compte plus pour vous, monsieur le ministre ? Je ne puis le croire. (M le ministre s’exclame.) J’imagine que vous avez, comme nous, cette volonté. Dans ce cas, pourquoi ce gouvernement ne prend-il pas plus d’initiatives en la matière ?
Pourquoi, lors du dernier sommet européen, ce gouvernement ne s’est-il pas battu – car là est la question politique ; tout ce que l’on peut dire par ailleurs sur les incantations à croissance ne compte pas – pour obtenir de l’Allemagne qu’elle fasse ce que l’on est en droit d’attendre d’un pays ayant des excédents, c'est-à-dire contribuer à la relance de l’activité économique. J’entends des incantations à la tribune, des déclarations de ministres, mais je ne vois pas d’actions concertées à l’échelle européenne pour y parvenir. (M. le ministre des finances et des comptes publics s’exclame.)
Pourquoi ne nous battons-nous pas lors des sommets européens, non pas comme l’ont fait nos amis britanniques – chacun sa méthode ! –, mais avec la même détermination, pour obtenir la mise en place d’un plan de relance coordonné ? Pourquoi attendons-nous ? Pour une raison simple, malheureusement, nous savons que l’Allemagne ne bougera pas si nous ne proposons pas un plan de consolidation politique de l’euro. Nous n’avons aucune chance de faire bouger les Allemands, non pas parce qu’ils seraient embarrassés d’une théorie économique particulière ou d’une idéologie particulière, mais parce qu’ils attendent une consolidation politique de l’euro.
Il faut donc que nous prenions nos responsabilités sur ce que nous voulons faire de l’euro.
Le principal reproche que je fais à ce gouvernement et, d’abord, au Président de la République – pardonnez-moi de le dire aussi directement, mais les enjeux sont considérables –, c’est justement de rester en retrait, de rester, j’allais presque dire, inerte par rapport à cet enjeu essentiel qu’est la relance de la construction européenne au service du développement économique.
Si l’on poursuit dans cette voie, celle qui nous est tracée par ce projet de budget, le risque que nous prenons – je vais le prendre avec vous, mais je ne le prendrai pas encore très longtemps : cela n’a pas beaucoup d’importance, mais j’aurai exprimé mes convictions ! –, c’est ni de rétablir l’équilibre de nos comptes – car nous voyons bien la difficulté que nous aurons à y parvenir avec une croissance faible –, ni de faire reculer le chômage. Si nous échouons sur ces deux terrains, je ne vous dis pas dans quelle situation sera notre économie et dans quelle situation sera notre pays d’un point de vue politique !
Aussi, il est temps – ce pourrait être le rôle du Sénat, monsieur le rapporteur général – de dire au Gouvernement qu’il convient non pas de changer de politique, mais de passer la surmultipliée, en menant une action vigoureuse, ce qui suppose d’utiliser des moyens politiques, visibles et diplomatiques pour que la donne change à l’échelle européenne.
En nous refusant d’agir de cette manière, en négociant simplement étape par étape, nous préparons, au fond, l’affaiblissement de ce pays, et cet affaiblissement, c’est la démocratie qui en paiera le prix. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Marc, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau, 2nde colonne, 2ème et 3ème lignes :
Rédiger ainsi ces lignes :
- 2,3 |
- 1,5 |
La parole est à M. le rapporteur général.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement, que nous avons déjà évoqué cet après-midi, tend à rétablir l’article liminaire dans sa rédaction initiale.
En effet, cet article a été modifié par l'Assemblée nationale, sur l’initiative de sa commission des finances, contre l’avis du Gouvernement. La modification apportée vise à améliorer la prévision du solde structurel pour 2014 et à dégrader celle du solde conjoncturel.
Nos collègues députés ont considéré que l’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel, qui sert à calculer le solde structurel, était sous-estimé au début de la période de programmation. Selon eux, l’activité économique serait ainsi plus éloignée de son potentiel que ne le laissent entendre les hypothèses retenues dans la loi de programmation des finances publiques.
Tel est le raisonnement ayant prévalu à l’adoption de cet article tel qu’il nous est proposé.
Quand bien même cela serait le cas – sur ces sujets, les opinions peuvent diverger selon les uns et les autres ! –, il ne me paraît pas souhaitable de réévaluer en cours de route les hypothèses de PIB potentiel et de croissance potentielle figurant dans la loi de programmation et, par conséquent, la prévision du solde structurel. En effet, si l’on s’autorisait à revoir les hypothèses sur lesquelles on travaille, cela nous conduirait à modifier sans cesse notre objectif de solde structurel et, surtout, le niveau d’efforts à réaliser pour y parvenir – nous serions donc confrontés en quelque sorte à ce que l’on appelle « le syndrome de la cible mouvante » –, et nous porterions atteinte à la crédibilité de la France auprès de ses partenaires.
En effet, s’écarter des méthodes définies dans nos textes donnerait le sentiment que les autorités françaises s’arrogent le droit d’améliorer, comme bon leur semble, leur trajectoire de solde structurel.
Dans ces conditions, et dans le souci de respecter la permanence des hypothèses et des méthodes à partir desquelles est estimé le solde structurel, cet amendement prévoit de rétablir l’article liminaire dans la version initiale proposée par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Le Gouvernement partage le raisonnement de la commission des finances, que vient d’exposer très précisément M. le rapporteur général.
Nous vous rejoignons dans l’idée que l’article liminaire, imposé par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, adoptée en décembre 2012, doit être en cohérence avec la loi de programmation des finances publiques en vigueur. Or si celui-ci était modifié comme en a décidé l'Assemblée nationale, ce ne serait plus le cas, ce qui risquerait de poser un problème à la fois technique et juridique : le Conseil constitutionnel pourrait alors estimer que cet article n’est pas conforme à la loi organique précitée.
Je voudrais donc remercier la commission des finances du Sénat d’avoir proposé de rétablir cet article liminaire dans sa version initiale, ce qui ne nous empêche pas – je rejoins, là aussi, M. le rapporteur général – d’avoir ultérieurement, peut-être à l’occasion de l’examen de la prochaine loi de programmation des finances publiques, une discussion sur la croissance potentielle et les paramètres conduisant au calcul du déficit structurel par rapport au déficit nominal.
Par conséquent, l’avis du Gouvernement est favorable à cet amendement n° 2.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. Ces définitions de soldes structurel et conjoncturel nous interpellent effectivement depuis un moment.
C’est l’Allemagne qui nous a proposé de faire cette distinction. Or elle se trouve dans une situation bien différente de la nôtre puisque son budget est souvent proche de l’équilibre. Alors qu’il s’agissait pour elle de se donner quelques marges de manœuvre pour faire de la relance budgétaire en cas de conjoncture défavorable, nous sommes, pour notre part, comme cela a été largement souligné à la tribune, dans une recherche d’assainissement budgétaire.
Personnellement, je suis donc, depuis le début, opposé à ces notions et j’ai toujours pensé que cela nous conduirait sans doute à voir évoluer le déficit structurel à la baisse et le déficit conjoncturel à la hausse. Les finances publiques ne sont déjà pas forcément très faciles à comprendre par le commun des mortels, y compris parfois par nous-mêmes, élus… Il serait donc bon, d’après moi, d’abandonner cette distinction et de revenir à une notion de déficit effectif, c'est-à-dire de déficit réel.
Je précise que le déficit structurel est aujourd'hui calculé sur la base d’une croissance potentielle de 1,5 % ou 1,6 % (M. le secrétaire d’État opine.), alors que nous peinons actuellement à dépasser une croissance nulle ou de l’ordre de 0,5 % à 0,7 %. Nous sommes tout de même très loin de cette croissance potentielle, qui reste très théorique !
Je partage également le point de vue de M. le rapporteur général quant à la nécessité de ne pas changer les critères à chaque vote. Les modifications adoptées par l’Assemblée nationale doivent donc être revues et je voterai cet amendement n° 2 plutôt deux fois qu’une, même si, sur le fond, comme je l’indiquais, je préférerais que l’on utilise la notion de déficit effectif, et non celles de déficit structurel et de déficit conjoncturel.
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Je comprends parfaitement le raisonnement de notre commission des finances, suggérant d’en revenir à une lecture classique, et la position que vient de défendre M. Delahaye.
Ce que nos collègues de l’Assemblée nationale ont voulu indiquer, me semble-t-il, c’est que, pour une part, les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont très clairement liées à une insuffisance de la stimulation économique. Souligner l’importance d’un déficit que l’on pourrait qualifier de conjoncturel revient effectivement à souligner la faiblesse des efforts réalisés en la matière.
On peut bien sûr prétendre que notre économie s’essouffle et que ses perspectives en termes de croissance sont faibles. Mais nous savons tous, au vu de la situation de nos entreprises, que les capacités de production inemployées sont considérables. La baisse de la productivité en témoigne. Aujourd'hui, les entreprises sont prêtes, dans la plupart des secteurs, à accompagner un effet de relance de manière très significative, et je ne parle même pas de la demande, sur laquelle les moyens sont difficiles à mobiliser.
Or nous ressentons une insuffisance de soutien à l’activité, comme le montrent les chiffres à notre disposition sur le mouvement de relance de l’activité et de la croissance engagé au début de l’année 2010. Cet élan a été brisé par le double effet des restrictions budgétaires trop fortes et de la crise du désendettement affectant les États.
Notre économie française et les autres économies européennes disposent d’une très importante capacité de rebond, pour autant que l’Union européenne et les différents États se donnent les moyens de l’enclencher. Considérer, comme on l’entend parfois dans ces débats, et comme notre collègue Nicole Bricq, avec qui j’en débattrai volontiers, l’a fait précédemment, qu’il n’y aurait de choix qu’entre l’assainissement financier et une politique de relance tous azimuts, c’est envisager la situation d’une manière trop limitée.
Mme Nicole Bricq. Je n’ai pas dit cela !
M. Gaëtan Gorce. Effectivement, il convient d’assainir nos comptes. Nous avons pris des engagements en la matière et nous nous trouvons dans la nécessité de le faire, car nous ne pouvons pas continuer à générer du déficit et de la dette comme par le passé. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Mais nous ne pouvons pas faire payer à nos concitoyens, et aux habitants de l’Europe entière, le prix de cet assainissement, alors même que nous disposons de capacités économiques inexploitées et que d’autres pays ou régions du monde se développent et partent à la conquête de marchés.
Cette situation est absurde, d’autant que cela se fait au détriment de l’investissement, c’est-à-dire la préparation de l’avenir ! (Mme Nicole Bricq s’exclame de nouveau.)
Voilà pourquoi, bien loin de soutenir l’idée d’une relance par le pouvoir d’achat dont nous n’avons pas les moyens, je pense, à l’instar de mes collègues de l’Assemblée nationale, que nous avons la responsabilité d’engager une action de relance par l’investissement.
Nous avons aujourd'hui une épargne disponible et peu chère, des besoins de production qui existent, des besoins de modernisation qui sont considérables. Dois-je citer, comme exemple de modernisation possible, les moyens qui seront nécessaires à la SNCF pour remettre à niveau une partie de son réseau ? Dois-je mentionner les enjeux liés au numérique ? Dois-je évoquer l’université et la recherche ? Les besoins ne sont-ils pas immenses dans ces domaines ?
Or investir, ce n’est pas créer du déficit et de la dette, c’est créer de l’actif futur, qui servira à porter la croissance de notre économie ! En ne respectant qu’une logique d’assainissement, nous sommes en train de bloquer toute perspective de modernisation de notre pays !
J’ai entendu Jacques Delors, qui n’est apparemment pas un révolutionnaire et n’est pas plus étiqueté à l’extrême gauche ou membre des altermondialistes, défendre ces thèses à plusieurs reprises. Mais je vois que tout cela vous ennuie, monsieur le ministre. J’ai pourtant le droit de m’exprimer !
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Cessez d’interpréter mes gestes ! Vous vous trompez à chaque fois !
M. Gaëtan Gorce. Ne pouvant interpréter vos paroles, j’interprète vos gestes, monsieur le ministre. Mais peut-être me répondrez-vous…
Dès lors qu’un gouvernement me déçoit, je le dis ! Si un parlementaire vous déçoit, vous le direz ! Pour ma part, j’attendais autre chose de votre gouvernement que cette politique-là !
Quand Jacques Delors, donc, plaide pour la rigueur aux États, mais la relance à l’Europe, il pose bien les deux termes de l’action. Se résigner à la montée du chômage parce qu’il est impossible, nous dit-on, de faire bouger l’Allemagne n’est pas digne du Gouvernement de la France, que cela plaise ou non au ministre des finances !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Je ne vais pas entrer dans le débat technique, souvent éloigné des préoccupations de nos concitoyens, sur les notions de déficit structurel et de déficit conjoncturel, l’un se définissant par défaut vis-à-vis de l’autre.
Je souhaite simplement, dans le cadre de cette explication de vote, revenir sur la notion plutôt trouble de PIB « potentiel ».
Essayons de faire en sorte qu’elle le soit un peu moins, en partant du concret. Deux facteurs de production sont mobilisés pour créer la richesse dans notre pays, dans le cadre de l’activité économique globale : d’une part, le capital, dont la forme peut être autant immatérielle que matérielle, et, d’autre part, le travail, considéré dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire la force de travail de la main-d’œuvre, formations initiale et continue comprises.
La France connaît tout de même un problème structurel, qui nécessite, selon moi, quelques réflexions.
Le PIB marchand dans notre pays dépasse assez nettement 2 000 milliards d’euros.
Le ralentissement de la hausse de la productivité du travail, constaté au cours des dernières années, a une origine bien connue : c’est le produit de la rencontre entre une aspiration patronale et une politique publique.
Le recours massif aux politiques d’allégement du coût du travail, devenues depuis quelques années le principal élément des politiques publiques de l’emploi, a fortement encouragé le développement d’emplois de service à faible valeur ajoutée et à rémunération souvent indigente. Ces politiques n’ont pas permis, loin de là, d’éviter la décrue de l’emploi industriel.
Mais un autre facteur structurel de handicap devient de plus en plus préoccupant. Faiblement dotée en emplois de qualité et porteurs de croissance, notre économie a engendré un volant de main-d’œuvre privée d’emploi qui ne cesse de croître.
Ainsi, notre économie libérale de marché s’autorise le luxe de laisser sur le côté du chemin des millions de personnes sans emploi, véritable « armée de réserve » d’un marché du travail qui les exclut durablement.
C’est là, de fait, un des obstacles qui se dressent encore sur la route de l’amélioration de la situation des comptes publics, comme de la situation économique et sociale du pays en général.
Une observation vaut d’ailleurs pour les banques, qui continuent à jouer avec parcimonie la fonction d’appui aux activités économiques non financières.
Chacun sait que la France, par la qualité de sa main-d’œuvre, son équipement industriel, les disponibilités financières qui y circulent, dispose des moyens nécessaires à une croissance plus forte, susceptible d’apporter plus de richesses et d’en assurer un plus équitable partage. Au lieu de cela, nous avons rendez-vous avec l’austérité, la réduction de la dépense publique comme objectif ultime et suprême, et des mesures particulièrement impopulaires.
Comme nous l’avons déjà dit, il est temps de changer de politique et de mener enfin une vraie politique de gauche, audacieuse et ambitieuse !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. On peut le qualifier à sa guise, un déficit reste un déficit ! Par conséquent, je n’entrerai pas dans la subtilité de tous ces distinguos, qui, parfois, nous échappent.
Il n’en demeure pas moins que les conditions dans lesquelles cette modification a été apportée à l’Assemblée nationale sont assez révélatrices de la situation actuelle de votre majorité, messieurs les ministres. Nous venons encore d’en avoir la démonstration avec l’intervention de M. Gorce. Nous sommes dans une situation pour le moins étonnante puisque vous vous retrouvez, à l’Assemblée nationale, désavoués par votre majorité et soutenus par l’opposition !
Pour notre part, nous avons suffisamment dénoncé l’insincérité du budget pour ne pas en rajouter et il nous apparaît souhaitable, sous toutes les réserves que je viens d’émettre, de le placer au moins à l’abri d’un risque d’inconstitutionnalité. C’est pourquoi le groupe UMP votera cet amendement n° 2.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Il existe un débat de politique économique entre nous. Les choses sont tout à fait claires ! Ce n’est un secret pour personne ! (MM. Éric Doligé et Dominique de Legge s’exclament.) De là à conclure que les choix du Gouvernement seraient frappés d’indignité, il y a un pas que, personnellement, je ne saurais franchir !
Sur quoi porte ce débat ? Sur la position du curseur entre, pour reprendre les noms qu’on leur donne traditionnellement, la politique de l’offre et la politique de la demande. S’agissant de cette dernière, aussi dénommée politique de la relance, il convient de rappeler que la demande se compose principalement de la consommation des ménages et de l’investissement.
Fort heureusement, je constate que les défenseurs d’une relance par la consommation des ménages sont peu nombreux, en tout cas dans cet hémicycle. Ce serait une consommation à crédit, qui, de fait, nous entraînerait dans une situation tout à fait comparable à celle de 1981, engendrant un creusement extraordinairement important de notre déficit extérieur, en outre financée par de la dette supplémentaire.
Nous pourrions passer la nuit sur les notions de déficit structurel, de déficit conjoncturel, de PIB potentiel, etc. Cela a-t-il franchement un intérêt ? Après tout, si nous utilisons la notion de déficit structurel, c’est en accord avec le traité que nous avons ratifié et qui a ensuite été mécaniquement traduit en droit français à travers la loi organique votée par nos soins. Nous sommes bien obligés d’utiliser ces concepts.
Encore une fois, nous pourrions discuter à l’infini du calcul du niveau des déficits structurel et conjoncturel, voire de l’hypothèse sous-tendant ce calcul, à savoir le PIB potentiel. En toute franchise, cela n’a rigoureusement aucun intérêt.
L’élément robuste, celui qui importe à mon sens, ce sont les variations du déficit structurel, calculé selon la même méthodologie, c'est-à-dire l’effort que consent la nation d’une année sur l’autre pour réduire ce déficit structurel. Voilà l’important, le reste n’est que littérature !
Indépendamment des mesures et des définitions, dont on peut penser ce que l’on veut, la question posée dans le cadre du débat à l’Assemblée nationale, repris ici par M. Gaëtan Gorce, est celle de la politique économique et de la position du curseur entre politique de l’offre et politique de la demande. Pour affirmer qu’il fallait une relance par la demande en France, que ce soit par la consommation ou par l’investissement, on a décidé de changer les chiffres. C’est aussi simple que cela !
Chaque année, le même thermomètre est utilisé. Il ne nous convient pas parce que la politique du Gouvernement ne nous convient pas… Alors, nous allons simplement en changer ou le casser. Nous allons modifier la répartition entre déficit structurel et déficit conjoncturel.
Selon moi, même si le problème est réel, ce n’est pas la bonne méthode pour aborder un débat de politique économique. Je souligne d’ailleurs, à la suite du Gouvernement, le risque d’inconstitutionnalité qu’entraînerait le maintien dans le collectif budgétaire de la disposition telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale.