M. Christian Bourquin. Jusqu’à Bourges.
Mme Jacqueline Gourault. … jusqu’à Bourges, à cause de Jacques Cœur.
Permettez-moi de parler de ma région – je ne l’ai pas beaucoup fait jusqu’à présent – : le fait de dessiner une région qui regroupe le Centre et les Pays de la Loire représente aussi pour moi un premier pas et permettait d’avancer et de continuer de discuter.
Alors je sais bien que M. Auxiette et de nombreuses autres personnes ne veulent pas. Les Bretons non plus ne veulent pas. Cependant, à un moment, après la consultation, il faudra prendre des décisions. Le Parlement devra voter.
J’ai reçu les rapports rédigés par la région Pays de la Loire pour nous expliquer combien elle est riche et forte, mais je ne me laisse pas impressionner. La région Centre n’est pas une région où il ne se passe rien. Il faut savoir si on veut faire évoluer les régions, s’il y a une volonté réformiste et non une volonté de s’attaquer, comme l’a dit tout à l'heure Jean-Jacques Hyest, à quelques responsables locaux qui ne veulent pas bouger de leur siège.
Cela me fait penser à Foulques Nerra, que certains ici ne connaissent peut-être pas.
M. Philippe Bas. C’est l’occasion d’apprendre !
Mme Jacqueline Gourault. Il était comte d’Anjou. Il avait la peau noire, d’où son nom de Nerra. Il chevauchait jusqu’à Blois pour prendre du territoire au royaume de France. On a tout de même dépassé cela ! On peut se parler et regarder où est l’intérêt de nos régions et de nos populations. Je rappelle qu’Anne de Bretagne a vécu au château de Blois ; elle y est même morte. C’était la femme de Louis XII ; elle était reine de France.
Il faut savoir ce que l’on veut faire. Est-ce que l’on veut faire de grandes régions, est-ce que l’on veut travailler pour nos populations ? Les enjeux sont très importants. Encore une fois, je ne vois pas en quoi cela aurait gêné la discussion future de faire une carte aujourd'hui.
Je suis souvent d'accord avec Philippe Dallier ; il n’est pas là,…
M. Jean-Claude Lenoir. Il revient !
Mme Jacqueline Gourault. … mais je le dis quand même. Néanmoins, tout à l'heure, en reprenant l’histoire de la métropole parisienne, il a un peu trop érigé en méthode l’envoi par le Sénat d’une feuille blanche. Ce n’est pas possible. Il ne faut pas chercher à gagner du temps, en comptant sur la deuxième lecture. Le Sénat doit assumer ses responsabilités. C’est très, très important.
Au sein du parti centriste, nous avons beaucoup travaillé avec nos collègues députés. Nous allons donc bien sûr nous arranger pour qu’ils travaillent dans le sens qui nous intéresse, si je puis m’exprimer ainsi, mais je regrette vraiment que nous ne poussions pas la discussion jusqu’au bout au Sénat. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je crois qu’il y a dans tout cela une contradiction. Quelle est cette contradiction ? Mes chers collègues, vous demandez dix fois, vingt fois, trente fois qu’il y ait deux lectures. Si vous le faites, c’est parce que vous êtes attachés à la procédure parlementaire, qui est itérative. On vote un texte en première lecture ; l’autre assemblée travaille sur ce texte et éventuellement l’améliore ; en deuxième lecture, le travail reprend dans une assemblée puis dans l’autre. Il est contradictoire de demander avec force qu’il y ait deux lectures et de faire en sorte qu’il n’y en ait qu’une qui serve à quelque chose. Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous agissez ainsi.
Comme cela a été dit par plusieurs collègues, dont Michel Boutant et Jacqueline Gourault, rien, mais vraiment rien, n’empêchait qu’on adopte un texte. Ce texte n’eût pas été parfait, il n’eût pas correspondu à toutes les attentes, évidemment. Cependant, monsieur le président de la commission spéciale, lors de notre réunion de jeudi dernier, il y a eu des avancées sur la fameuse carte des régions. Sur certains points, tout le monde était d'accord ; je pense notamment au rapprochement des régions Aquitaine, Poitou-Charentes et Limousin, dont a parlé Michel Boutant. Il est vrai que, sur d’autres points, il n’y avait pas d'accord, mais la carte aurait pu changer au fil des lectures.
M. Roger Karoutchi. Cela voudrait dire que nous n’avons pas de convictions !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Karoutchi, vous avez parlé tout à l'heure du Gouvernement. Vous n’avez même parlé que du Gouvernement. Vous qui avez été un brillant secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous savez bien qu’il est prévu dans la Constitution que le Parlement vote la loi.
M. Roger Karoutchi. Jusque-là, je vous suis !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes ici au Parlement. Je pense que le Sénat de la République aurait très bien pu faire des propositions sur la carte des régions. Ces propositions n’auraient peut-être pas été exhaustives ni parfaites, mais cela aurait été une première parole. Le Sénat aurait pu faire des propositions sur le droit d’option des départements ou l’avenir de la structure départementale. Beaucoup de choses intéressantes ont été dites à ce sujet. Tout le monde voit bien qu’il faut garder une instance de proximité et que la situation n’est pas la même dans le rural et dans l’urbain. On est train de s’acheminer vers quelque chose. Le Sénat aurait pu proposer des premières formulations.
Avec le choix qui est le vôtre, que va-t-il se passer ? Nous n’allons rien voter,…
M. Éric Doligé. Si !
M. Jean-Pierre Sueur. … rien, si ce n’est quelques pétitions de principe, certes utiles ; je suis tout à fait d'accord pour qu’on révère la Constitution de la République française. L’Assemblée nationale, qui, du fait de son mode d’élection, n’a pas notre culture – nous représentons les collectivités territoriales de la République –, recevra notre texte avec quelque ironie ; ce sera du moins le cas de certains de ses membres. Nous sommes nombreux à avoir été députés et nous savons donc ce que certains députés pensent du Sénat, jusqu’à ce qu’ils deviennent sénateurs, bien entendu…
Les députés considéreront que le Sénat n’a rien dit, et l’Assemblée nationale travaillera donc sur une page blanche.
M. Roger Karoutchi. Elle travaillera sur le texte du Gouvernement, et non sur une page blanche !
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, elle travaillera sur le texte du Gouvernement. Après quoi, il ne nous restera qu’une seule possibilité d’améliorer le texte. Au final, nous n’aurons fait qu’une vraie lecture, alors que nous aurions pu utiliser les deux lectures que vous réclamez avec une conviction que je salue. Mes chers collègues, je pense vraiment que c’est une erreur. En envoyant à l’Assemblée nationale cette page blanche, le Sénat se tire une balle dans le pied. D’une certaine manière, il marque contre son camp.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Lozach. J’ai bien noté l’ouverture et la disponibilité des membres du Gouvernement en vue d’une modification de la carte des régions dans les mois et même les jours à venir. Le problème, c’est que, pour l’heure, nous devons nous déterminer par rapport à la carte existante. Nous nous déterminons par rapport à l’architecture globale, mais il est évidemment très difficile d’échapper à des considérations locales. Ici ou là, les questions ont d'ailleurs été réglées localement ; le cas cité par Michel Boutant est exemplaire à cet égard.
Personnellement, je ne prendrai pas part au vote sur ces amendements, à cause de la proposition du Gouvernement pour le centre de la France – je parle bien du centre, et non de la région Centre. Beaucoup ont parlé de mariage : mariage d’amour, mariage de raison, mariage d’intérêt… Cependant, ils ne pensaient qu’à des mariages à deux. En ce qui nous concerne, la situation est plus complexe, puisque, pour des raisons démographiques, nous sommes condamnés à un mariage à trois.
Un bloc s’impose naturellement, tant pour des raisons historiques et culturelles que du fait des infrastructures, des liaisons ferroviaires et routières et de l’ensemble des coopérations interrégionales : le bloc Limousin–Poitou-Charentes. Il s’agit de déterminer la troisième composante du mariage. Ce peut être soit la région Centre, soit la région Auvergne. La carte du Gouvernement opte pour la région Centre. Ce n’est pas ma position.
Ma position, qui prend en compte l’identité du Massif central, n’est pas une position personnelle : elle est partagée par tous les parlementaires de mon département et, de façon quasi unanime, par l’association des maires et adjoints de ce département. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas adopté la position d’équilibre, de synthèse, consistant à associer le bloc Limousin–Poitou-Charentes à la région Auvergne. C’est la raison pour laquelle, je le répète, je ne participerai pas au vote sur ces amendements.
J’aimerais également faire une observation sur le rapprochement, ou plutôt la relation entre l’échelon départemental et l’échelon régional. Je n’ai toujours pas compris pourquoi le mandat des conseillers généraux avait été prorogé jusqu’en 2020 et non jusqu’en 2021. On a modifié la durée du mandat. Pour quelle raison ? Il doit y avoir une explication.
Un sénateur du groupe UMP. On les supprime !
M. Jean-Jacques Lozach. Le mandat de conseiller général dure normalement six ans et non pas cinq.
Je ne suis pas favorable à une sorte de bras de fer entre les régions et les départements sur la répartition des compétences. Il faut prendre acte de la mise en place de grandes régions. Leur périmètre n’est pas décisif ; ces régions sont de toute manière des moteurs économiques. Le conseil général du XXIe siècle doit intégrer cette réalité pour trouver son positionnement, peut-être – on a beaucoup parlé du modèle allemand – à partir d’une réflexion sur la relation entre les Bezirke et les Länder. En tout cas, ce n’est pas par une lutte d’influence avec les régions que les départements trouveront leur place. Ils doivent être un échelon de coordination, de concertation et sans doute aussi de péréquation.
Si les voiries et les transports sont subdélégués à des intercommunalités, il faudra bien qu’il y ait, juste au-dessus du niveau intercommunal, une instance qui coordonne les programmes routiers, les programmes d’axes, les transports scolaires, les transports interurbains, etc. Cette coordination ne peut être organisée depuis la métropole régionale, qui peut se trouver à trois cents ou trois cent cinquante kilomètres. (M. René-Paul Savary applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Nous avons eu des débats longs, riches, passionnants, mais qui risquent de se traduire dans quelques instants par la suppression de l’article 1er. Cette suppression mettrait fin au débat sur l’essentiel du texte proposé. Tous nos débats passionnants aboutiraient ainsi à une décision stérile, puisque nous ne pourrions pas améliorer la carte présentée par le Gouvernement. Ce n’est pas ce que souhaite le groupe socialiste, et c'est pourquoi il votera contre les amendements de suppression de l’article 1er.
Comme cela a été dit, nous sommes entrés dans ce débat avec la volonté d’améliorer le texte. Notre groupe a déposé des amendements. En ce qui concerne la carte elle-même, nous proposons de créer une région Aquitaine–Limousin–Poitou-Charentes. Nous soutenons également le droit d’option des départements, la possibilité pour les petits départements d’avoir un nombre suffisant de conseillers régionaux, l’attribution d’un nombre suffisant de conseillers régionaux aux grandes régions et le maintien des conseils départementaux dans les territoires ruraux. Vous le voyez, nous avons écouté les débats et fait des propositions.
Malheureusement, on nous explique que tout cela est bien beau, mais que ce n’est pas le moment, qu’il ne faut pas que nous allions plus loin en l’état, qu’il faut que nous laissions la main à l’Assemblée nationale en attendant de reprendre le débat en octobre ou en novembre. Tout le monde a bien compris qu’il y avait des élections sénatoriales en septembre et que certains ne voulaient pas avancer leurs propositions d’ici là, par crainte de déplaire aux uns ou aux autres ; ils se réservent pour l’après-élections. Est-ce cela que nos concitoyens attendent ? Est-ce cela qu’il faut attendre d’une assemblée comme le Sénat sur un sujet aussi important, et qui la concerne aussi directement, que l’organisation des collectivités territoriales ? Je ne le crois pas.
Nous avons l’opportunité de nous saisir de cette carte et de ce texte, faisons-le ! Après le précédent des métropoles, on va finir par se demander quel est l’intérêt de soumettre en premier lieu au Sénat les textes concernant les collectivités territoriales si, chaque fois, pour des raisons diverses et variées, il ne veut pas débattre au fond et renvoie le texte à l’Assemblée nationale.
Certaines personnes malintentionnées vont finir par dire que, à la limite, il vaut mieux commencer directement le débat sur ces textes à l’Assemblée nationale pour qu’elle donne d’abord son avis, puis que le Sénat vienne derrière.
Nous avons une prérogative, que la Constitution nous a donnée, et d’aucuns nous proposent de ne pas utiliser ce privilège. Pour ma part, je considère que ce n’est pas un service à rendre au Sénat. Comme l’a dit le président Sueur, notre assemblée « se tire une balle dans le pied ». Quoi qu’il en soit, si c’est la décision qui sera majoritaire dans cet hémicycle, nous ferons avec et nous nous rapprocherons de nos collègues députés. Ce sont eux qui auront la main sur cette carte et qui auront le privilège de faire les premières modifications,…
M. Roger Karoutchi. On la changera !
M. Philippe Kaltenbach. … d’apporter des corrections, le cas échéant en reprenant les propositions avancées au Sénat. Je le regrette, car, après des débats passionnants, nous aurions pu aussi être dans l’action concrète en proposant des amendements. Ce ne sera malheureusement pas le cas ; c’est l’Assemblée nationale qui aura, de fait, le premier mot sur cette carte et ce texte. Nous refusons donc de soutenir ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Je sais que l’on a tendance à cultiver la mémoire courte, mais je voudrais tout de même faire quelques rappels, qui vont nous renvoyer à un passé très récent.
Souvenons-nous du discours de François Hollande : il n’est pas vieux, puisqu’il date de la cérémonie des vœux pour 2014.
M. Didier Guillaume. Très bonne référence !
M. François Grosdidier. Je le cite : « Les départements gardent leur utilité pour assurer la cohésion sociale, la solidarité territoriale et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple, comme certains le réclament,…
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. François Grosdidier. … car les territoires ruraux perdraient en qualité de vie, sans d’ailleurs générer d’économies supplémentaires. »
M. Didier Guillaume. Parfait !
M. François Grosdidier. J’ai entendu Manuel Valls, ou plutôt Laurent Fabius s’exprimant à sa place ici même, nous annoncer la suppression des départements à l’horizon 2020.
Je vous ai vu rétablir la clause de compétence générale pour les départements et les régions.
M. Alain Néri. Et alors ?
M. François Grosdidier. Monsieur le ministre de l’intérieur, hier, vous avez reproché à la Haute Assemblée son conservatisme et l’avez accusée de faire le jeu du Front national, parce qu’elle refusait votre réforme dans ces conditions. Ce ne sont pas les médias, mais bel et bien M. le ministre qui a tenu de tels propos.
Si vous aviez voulu vous inscrire dans une certaine continuité institutionnelle, rien ne vous empêchait de modifier, sans l’abroger, la précédente réforme territoriale. Rien ne vous interdisait d’aller plus loin dans la clarification des compétences et de proposer, si nécessaire, de fusionner certaines régions, bien au contraire.
Nous demander aujourd’hui de décider de la fusion d’office de régions constituant parfois d’immenses territoires sans savoir si les départements existeront encore, sans savoir si c’est depuis Amiens que sera décidé l’entretien des collèges ou organisé le ramassage scolaire sur le plateau de Langres, ce n’est pas sérieux !
Même si nous pouvons tous être tentés de redessiner une carte qui est plus qu’imparfaite, et qui risque d’être imposée, nous n’avons aucune envie d’engager un tel exercice dans d’aussi mauvaises conditions, alors que vous nous faites par ailleurs la promesse, que nous espérons voir tenue, dans quelques semaines ou dans quelques mois, de discuter d’une clarification des compétences pour l’avenir.
À ce moment-là, nous saurons au moins si ces régions seront dessinées pour gérer des grandes compétences transférées par l’État, par exemple l’université ou les pôles de productivité, ou si ces collectivités vont être appelées à exercer des compétences de proximité assurées actuellement par des départements dont vous n’êtes pas capable de nous dire aujourd’hui s’ils existeront encore demain ou si ce sont les communautés de communes, dont on ne sait pas si la population minimale sera portée à 20 000 ou restera à 10 000 ou 5 000 habitants, qui les remplaceront. Nous sommes dans le flou le plus total.
Aussi, il me semble très injuste de faire au Sénat le reproche du conservatisme – qui a été votre position dans les années précédentes –, alors qu’il a fait tout le contraire, et, plus encore, de lui reprocher de faire le jeu du Front national.
Vous avez déjà commencé à tuer la proximité en vidant les communes de leur substance. En effet, demain, les maires vont être obligés de signer des permis de construire sur la base de plans locaux d’urbanisme qu’ils désapprouveront et qui n’auront pas été adoptés par la commune. Vous déracinez également les conseillers généraux. En somme, vous vous attaquez aux rocs de la démocratie locale, qui sont les plus résistants aux courants populistes et extrémistes.
En éloignant le pouvoir territorial des citoyens et en dessinant des grandes régions désincarnées, vous risquez, au contraire, de faire le lit de l’extrémisme.
Vous avez, hélas, fermé la porte qui vous était proposée par Jean-Pierre Raffarin et par Philippe Bas. Vous n’avez pas retenu leur méthode, qui aurait consisté à discuter d’abord dans les territoires, l’État décidant en fin de compte si aucun accord local ne pouvait être trouvé.
Cette façon de faire, utilisée pour l’intercommunalité, mais que vous jugiez déjà trop autoritaire, vous n’en voulez même pas, et vous préférez l’oukase de la loi, de surcroît en nous accordant un délai d’un week-end pour réunir la commission spéciale.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Grosdidier. Ce n’est pas ce que nous vous demandions et ce n’est pas ainsi que nous pourrons dessiner la France des décennies à venir. Dans ces conditions, on ne peut voter en faveur de cet article 1er.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Le RDSE votera les amendements de suppression de l’article 1er, pour des raisons simples, qui ont déjà été exposées.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé la brutalité de la suppression de la taxe professionnelle, or vous faites la même chose que ce qui a été fait par un gouvernement précédent, ce que vous n’aviez pas manqué, tout comme nous, et à juste titre, de lui reprocher.
Par ailleurs, je ne tomberai pas dans la malignité du raisonnement de l’excellent président Sueur qui nous dit qu’il ne faut pas envoyer une page blanche à l’Assemblée nationale, car cela reviendrait à « se tirer une balle dans le pied ».
Nous connaissons tous cet argument, puisque chaque fois que nous ne sommes pas d’accord on nous explique que le Sénat ne sert à rien. C’est là un raisonnement simpliste, qui est totalement inacceptable ! (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Insupportable !
M. Jacques Mézard. Certains ont rappelé le processus du texte concernant les métropoles. J’ai souvenance que, à un moment, du plus haut sommet de l’exécutif, il a été demandé au Sénat de réécrire le texte du Gouvernement, ce qui laissait supposer que le projet de loi n’avait pas été très bien écrit.
M. Roger Karoutchi. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jacques Mézard. In fine, c’est ce qu’il s’est passé, avec un travail très constructif, auquel nous avons tous pris notre part.
Enfin, il y a les questions de fond, auxquelles il n’a pas été répondu. Nous connaissons la difficulté de cette réforme : il y a en fait deux textes qui sont intimement liés, comme tout le débat l’a montré. Or vous voulez isoler les deux projets de loi.
En plus, il y a un hiatus évident dans votre objectif : vous voulez de grandes régions – et le principe en est d’ailleurs largement accepté, car nous sommes ici en majorité d’accord avec les grandes conclusions du rapport Raffarin-Krattinger – mais, dans le même temps, vous supprimez les échelons de proximité sans dire sérieusement par quoi vous allez les remplacer.
Or vous avez devant vous une assemblée qui, très majoritairement, souhaite le maintien de l’échelon de proximité départemental.
Monsieur le ministre, vous avez eu la loyauté, et je n’en attendais pas moins de vous, de répondre à mes questions, mais d’autres réponses auraient pu m’être apportées.
Prenez la carte qui a été votée par la commission spéciale, dans des conditions pour le moins originales : pendant trois quarts d’heure, nous avons eu un peu l’impression de jouer au Rubik’s cube en enlevant un territoire d’un côté, en rajoutant une région d’un autre ; c’est du même tonneau que l’étude d’impact, qui ne comprend que trois lignes sur l’Île-de-France…
Convenez qu’il n’est pas raisonnable de découper le territoire national dans de telles conditions.
Monsieur le ministre, imaginons un instant que la carte votée par la commission spéciale vienne tout à l’heure en débat. J’aurais aimé savoir si le Gouvernement lui aurait donné un avis favorable, confirmant par là même au président Bourquin qu’il est d’accord pour laisser Languedoc-Roussillon séparée de Midi-Pyrénées. D’ailleurs, il est encore temps que vous nous le disiez… (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
M. Philippe Kaltenbach. Dans ce cas, ne demandez pas la suppression !
M. Jacques Mézard. Laissez-moi aller jusqu’au bout, monsieur Kaltenbach !
M. Philippe Kaltenbach. Ce n’est pas cohérent !
M. Jacques Mézard. Que ce que je dis ne vous convienne pas, je peux l’entendre ; que vous ne me trouviez pas cohérent, c’est possible, mais permettez-moi de vous dire que l’accumulation de vos interventions depuis le début du débat ne me paraît pas de nature à démontrer une cohérence de même niveau. (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Bourquin. Continuez sur le Languedoc-Roussillon, je vous prie.
M. Jacques Mézard. Il eût été intéressant que le Gouvernement nous dise qu’il est d’accord avec ces propositions. On a cru entendre, de manière subliminale, qu’il était d’accord pour que le Limousin rejoigne l’Aquitaine, mais, en ce qui concerne Languedoc-Roussillon, j’ai pu constater que nombre de nos collègues socialistes ont voté contre cette proposition.
Il faut donc que les choses soient claires, or elles ne le sont pas !
Monsieur le ministre, je terminerai sur les réponses que vous avez apportées, très loyalement, comme d’habitude, à mes questions. Je les entends, mais, vous le savez, elles ne peuvent me satisfaire.
La fracture territoriale, vous allez l’aggraver par les propositions que vous êtes en train de faire. S’agissant des départements, vous nous dites que l’on verra dans six ans : demain on rase gratis, mais le problème, c’est qu’on sera rasés.
M. Jean-Claude Lenoir. On sera même tondus !
M. Jacques Mézard. Ce n’est pas une bonne conclusion, ni une bonne réponse. Cela justifie que nous votions les amendements de suppression de l’article 1er. (M. Christian Bourquin et quelques sénateurs du groupe UMP applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je ne voudrais pas que nous nous laissions enfermer dans un dialogue de sourds.
Monsieur le ministre, vous savez l’estime que j’ai pour vous, mais permettez-moi de vous dire que nous ne nous sommes pas reconnus dans les intentions que vous nous avez prêtées ni dans les positions que vous avez reformulées à notre place.
Nous avons sans doute été mal compris, faute, peut-être, de nous être exprimés assez clairement. Je vais donc tenter de vous réexpliquer notre position, avec la patience et la sérénité du talapoin.
Nous ne sommes pas favorables à la suppression des départements, car il s’agit d’un échelon de mutualisation des services et de proximité. Contrairement à ce que vous avez dit, la suppression des départements n’est pas pour 2020 ou 2021, elle commence maintenant par le dépouillement systématique de leurs compétences de gestion de services publics locaux dans le cadre de la proximité.
En transférant ces compétences départementales non pas à des régions, mais à des super-régions, vous créez des collectivités régionales qui auront des semelles de plomb. Or nous considérons que ce n’est pas l’avenir de la région que d’être enlisée dans des compétences de gestion.
Monsieur le ministre, le périmètre des régions ne peut pas être décidé indépendamment de leurs compétences.
Enfin, nous élevant sans doute au-dessus de notre condition de modestes opposants, nous nous sommes permis de vous faire des recommandations de méthode. Vous voulez nous enfermer dans une seringue en nous disant : chiche, réécrivez la carte des régions ! Seulement, si nous le faisions, nous serions totalement incohérents avec ce que nous vous avons dit.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Philippe Bas. Nous vous avons dit, et nous ne voulons pas encourir le même reproche, que nous n’acceptons pas que la carte des régions soit redessinée sans aucune consultation ni concertation avec les territoires. (M. Philippe Kaltenbach s’exclame.)
Vous le faites obligatoirement quand vous redécoupez les cantons, puisque vous devez alors demander l’avis des conseils généraux. Vous le faites obligatoirement quand vous recomposez les intercommunalités, puisque vous devez passer, d’abord, par le vote des communes.
Pourquoi, s’agissant par exception de la carte des régions, faudrait-il que le Parlement intervienne par voie d’autorité, sans procéder à aucune concertation ou consultation ?
J’observe, monsieur le ministre, que vous n’avez répondu à aucun moment du débat à cette question de la concertation, du dialogue avec les élus et les territoires et de la consultation de leurs assemblées.
Bien sûr, par la concertation et le dialogue, nous ne pensons pas que vous obtiendriez un accord généralisé. (M. Alain Néri s’exclame.) Dans quel cas est-ce possible ? Je connais comme vous mon pays, et je sais que la concertation ne permet pas toujours de déboucher sur des consensus.
Mais je sais aussi que lorsque l’on fait l’économie de la concertation, en particulier lorsqu’on travaille pour les décennies à venir comme c’est le cas ici, on travaille sur de mauvaises bases et on crée des institutions sur de mauvaises fondations.
Telle est la position de notre groupe. Je vous demande, cette fois, de l’entendre et de répondre sur cette concertation. Nous ne cherchons pas à différer l’adoption de cette réforme, et compte tenu des délais que vous vous êtes fixés à vous-mêmes pour l’adoption de la loi sur les compétences, vous pouvez fort bien procéder aux concertations nécessaires, sans retarder en rien l’entrée en vigueur de cette réforme.
Aussi, ne nous accusez pas de recourir à des procédés dilatoires : ce n’est pas le cas. Nous vous recommandons simplement de procéder comme on doit le faire dans un grand pays moderne, en évitant de passer en force par voie d’autorité. (Mme Marie-Annick Duchêne ainsi que MM. René-Paul Savary et François Grosdidier applaudissent.)