M. Jacques Mézard. Et M. le Premier ministre, dans ce même hémicycle, lorsqu’il soutenait le binôme, nous disait : « Certains continuent de croire que moderniser la vie politique locale, c’est supprimer un échelon. […] Le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence. […] on n’améliore pas l’efficacité des politiques publiques en éloignant les citoyens des décisions. » Je suis d’accord avec lui !
M. Didier Guillaume. Il parle d’or !
M. Jacques Mézard. Qui a changé d’avis par rapport à un discours récent, dont nous pouvons approuver bien des éléments ? Qui manque de cohérence ? L’exécutif ou nous ?
Non, monsieur le ministre, il ne nous est pas agréable de nous opposer avec force à un Premier ministre que nous respectons, à un ministre de l’intérieur dont nous connaissons les qualités et avec lequel nous partageons bien des convictions – car vous fûtes à bonne école et vous ne la reniez point ! (Sourires sur les travées du RDSE.)
Toutefois, nous devons pourtant nous opposer, car, oui, la qualité de l’arbre ministériel, je l’ai dit hier, ne pourra cacher la forêt de l’impréparation, voire de l’incohérence. Tel est notre devoir de parlementaires. Vous citiez Edgar Faure hier. Souvenez-vous du titre de ses mémoires : Avoir toujours raison… c’est un grand tort.
M. Gérard Longuet. Surtout trop tôt !
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Jacques Mézard. Parlant de la décolonisation, il disait aussi qu’il faut de « l’indépendance dans l’interdépendance ».
M. Roger Karoutchi. C’était à propos du Maroc !
M. Jacques Mézard. On peut aussi vouloir tout et son contraire…
Nous avons vu que ces projets ne correspondent à aucun engagement. Ils ne sont pas davantage en phase avec les conclusions des divers rapports parlementaires. Il était donc légitime et démocratique que ces propositions nouvelles, sorties du chapeau de l’exécutif, fassent l’objet d’une concertation et d’un débat.
Au lieu de cela, nous n’avons droit qu’à une caricature de discussion : vous avez scindé deux textes qui ont été présentés ensemble en conseil des ministres, parce qu’ils sont indissociables au fond ; vous avez décidé d’abuser de la procédure accélérée, avec un conseil des ministres le 18 juin dernier, une conférence des présidents au Sénat le soir même, cinq jours pour déposer des amendements en commission, un examen en séance publique le 1er juillet, tout cela étant fondé sur le leitmotiv selon lequel nous aurions le temps de débattre en séance publique !
Le tout fut agrémenté d’une étude d’impact indigente ne répondant pas aux prescriptions de la loi organique et d’un rapport auquel on pourrait, sur certains points, monsieur le rapporteur, attribuer le même qualificatif, car il évacue sans examen toutes les véritables questions. Et que dire du travail de la commission spéciale ? Nous avons fait ce que nous pouvions : cinq heures d’audition en tout et pour tout, et une matinée passée à jouer au Monopoly ou au Rubik’s cube pour dessiner à la sauvette une nouvelle carte. Est-ce bien raisonnable vis-à-vis de l’ensemble de nos concitoyens ? (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Le tricot, il paraît que c’est une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Or ce texte n’est que mailles à l’envers. Vous avez commencé par la fin, la loi électorale sur le binôme, vous poursuivez par le découpage des régions et terminez par les compétences et la suppression du département. C’est tout à fait illogique !
Par les moyens de procédure législative que nous permettent la Constitution et le règlement du Sénat, nous avons voulu exprimer fortement notre hostilité à de tels procédés. D’où la motion référendaire votée très largement hier par le Sénat. Entendez ce message et épargnez-nous les cris d’orfraie de ceux qui, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, ont ici même signé et défendu des motions référendaires sur des sujets bien moins essentiels.
S’agissant des institutions, nous avons déjà pu juger, avec la loi sur les élections départementales et le non-cumul des mandats, que le Gouvernement avait pour habitude, sur de tels textes, de refuser toute modification en nous expliquant que l’Assemblée nationale aurait le dernier mot. Comment restaurer la confiance ? Chat échaudé…
L’impréparation de ce texte, monsieur le ministre, est reconnue sur l’ensemble des travées.
Tout d’abord, il n’y a point trace de décentralisation. Rien sur la poursuite des transferts de compétence de l’État vers les collectivités – le vide sidéral ! Vous ne terminez même pas certains transferts de compétences en partie entamés.
Bien mieux, pour faire passer la pilule de la suppression des conseils généraux, vous annoncez un renforcement de l’État dans les départements au moment même où les dispositifs ATESAT – assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire – sont supprimés, où les communes vont devoir assumer la charge de l’instruction du permis de construire et où la suppression des certains services est annoncée.
Votre projet, c’est le binôme région-intercommunalité, accompagné de la suppression des conseils généraux et, progressivement, des communes.
Est-ce une avancée démocratique ? Si vous ne modifiez pas le système électoral, c’est plutôt un double recul. En effet, étendre à de grandes régions le système électoral actuel, c’est non seulement priver les départements à faible population de toute représentation sérieuse, mais aussi faire siéger au conseil régional des élus complètement coupés des territoires et des habitants.
M. Gérard Longuet. Des élus « hors sol » !
M. Jacques Mézard. Aujourd’hui, personne ne connaît les conseillers régionaux désignés par les sections des partis.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Demain, ce sera pire : le pouvoir sera confisqué de manière encore plus évidente par les présidents de région et leurs services techniques. Quant aux intercommunalités, même avec le fléchage, le lien direct avec les citoyens est ténu.
Au reste, comment occulter le fait que ce système électoral appliqué à de très grandes régions va interdire l’expression de sensibilités minoritaires et installer fermement l’extrême droite dans nos territoires ?
M. Gérard Longuet. Ce texte fait le lit du Front national !
M. Jacques Mézard. Vous voulez nous éliminer, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, et vous voudriez, en plus, que nous vous en remerciions.
M. Roger Karoutchi. Mais oui !
M. Jacques Mézard. Ce projet constitue-t-il, ensuite, une avancée dans l’organisation territoriale ? Aucunement, les découpages qu’il contient sont totalement arbitraires, sans aucun lien avec les réalités économiques, géographiques et historiques, pas plus qu’avec les grands bassins de vie.
M. Christian Bourquin. On peut le dire !
M. Jacques Mézard. M. le rapporteur ne veut pas que la Picardie rejoigne sa région, non pas pour développer l’emploi, mais – soyons francs ! – pour préserver le résultat électoral ! La suite se décline à l’envi.
M. Daniel Dubois. C’est lamentable !
M. Jacques Mézard. Ce projet est-il une avancée pour trouver les économies nécessaires au respect des critères imposés par l’Europe ? Sur ce point, les annonces de M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la décentralisation relevaient de la pure fantaisie. (M. le secrétaire d’État proteste.)
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Personne n’y a cru ; cet argument est d’ailleurs abandonné. À ce propos, je note que, lors des questions d’actualité au Gouvernement, M. le Premier ministre n’a pas répondu à l’excellente question d’Anne-Marie Escoffier.
Ce projet représente-t-il, enfin, une avancée dans la simplification de l’organisation territoriale ?
M. Christian Bourquin. Non !
M. Jacques Mézard. Nous attendons toujours le plus petit début de preuve que l’organisation proposée sera plus lisible et plus efficace pour le citoyen. Nous pensons plutôt qu’elle contribuera à aggraver les choses pour des millions de nos concitoyens, en les éloignant du centre de décision régional.
La Lozère et le Cantal ont été cités dans nos débats d’hier ; comment expliquer aux habitants de ces territoires qu’ils résideront à onze heures de train aller-retour de la métropole régionale ? Comment leur expliquer qu’ils ne seront représentés que par un, deux ou trois conseillers sur les cent cinquante que compteront les futurs conseils régionaux, et qu’ils seront par conséquent inaudibles ?
On nous répond qu’il suffit d’y faire siéger de bons élus ; cela revient à affirmer que les départements dotés de nombreux représentants n’y enverraient que des imbéciles ! (Sourires sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Jacques Mézard. Ce n’est pas un argument !
Le Gouvernement va répondre favorablement à l’angoisse de la Corrèze – Tulle l’y oblige ! –, mais nombre d’autres départements excentrés vont être les victimes – pour ne pas dire les sacrifiés – de cette réforme.
Vous n’apportez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, aucune réponse à nos questions, à nos inquiétudes : vous traitez le besoin de proximité par l’éloignement, la sous-représentation et la marginalisation définitive. Créer de grandes régions en supprimant l’échelon de proximité dans les zones rurales est une des pires incohérences de ce projet.
Oui, notre société change et les évolutions sont telles que l’on ne peut imposer la même organisation à tous les territoires. À quoi sert, en effet, un conseil départemental à Paris, si ce n’est à cumuler les indemnités ? (M. Roger Karoutchi approuve.) La situation dans les départements où existent des métropoles n’a rien à voir avec nos départements ruraux ; la loi doit donc accepter ces différences, les reconnaître.
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. J’en termine, monsieur le président.
M. Gérard Longuet. Vous pouvez continuer, cher collègue, c’est très bien !
M. Jacques Mézard. Parmi les dossiers les plus urgents, figure incontestablement celui de la fiscalité locale, qu’il faut rendre plus lisible et plus juste, mais aussi celui de la péréquation, la vraie, celle qui rétablit un équilibre entre les territoires, et non pas celle qui compense les erreurs de gestion et l’endettement de certaines collectivités.
Vous avez choisi un autre chemin. Pour que nous nous retrouvions sur une partie du trajet, sachez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que nous pouvons accepter la mise en place de grandes régions, que nous sommes favorables à une spécialisation des compétences, favorables également à une organisation différenciée selon les territoires métropolitains ou ruraux, favorables, enfin, au renforcement des intercommunalités et aux communes nouvelles.
M. Christian Bourquin. Ce n’est déjà pas mal !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, votre projet sera rejeté par le Sénat en première lecture, puis examiné à toute vitesse par des députés de plus en plus éloignés des problèmes des collectivités ; il appartient donc au Gouvernement de décider s’il choisit le chemin de la raison et du bon sens.
Inscrivez dans la loi le principe d’un nombre maximal de régions, impartissez au Parlement un délai pour voter une carte en liaison avec la question des compétences, conservez l’échelon des conseils départementaux, sauf dans les territoires métropolitains, repoussez les élections si vous le voulez, et, alors, vous n’aurez pas reculé, vous aurez fait œuvre de responsabilité et de rassemblement. Vous aurez fait, en somme, ce que nous attendons de vous ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Christian Bourquin se lève et applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ce débat bâclé, je crains que ne soit porté un coup fatal à la décentralisation. Pour ma part, je dirai que ce texte, c’est le projet des sept erreurs. J’y vois en effet un certain nombre d’erreurs majeures, aussi bien dans la procédure retenue pour son examen que dans son ambition même.
La première erreur, cela a été souligné par de nombreux orateurs, c’est la précipitation dont a fait preuve le Gouvernement. Franchement, quand on apprend comment ce projet de loi a été élaboré, quand on voit comment il a été difficile de bâtir une carte régionale, quand on sait les conditions dans lesquelles elle aurait été négociée, le soir, à l’Élysée, il est difficile de ne pas douter de la réflexion engagée, donc, au fond, de la légitimité de ce travail.
Les conditions dans lesquelles ce texte est examiné ne sont pas dignes du Parlement. Nous connaissons tous, mes chers collègues, les délais nécessaires, généralement, à l’adoption d’un texte, ou le temps requis par la simple navette parlementaire. Le 14 janvier dernier, le Président de la République a annoncé un plan pour une politique de l’offre destinée aux entreprises.
M. Gérard Longuet. Plan qui n’est toujours pas adopté !
M. Jean-Pierre Raffarin. Six mois plus tard, il n’y a toujours rien.
Pour le présent texte, en revanche, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision mardi matin, le Sénat a siégé mercredi soir et adopté une motion référendaire, que l’Assemblée nationale a rejeté dans la foulée : voilà une navette rapide ! (M. Jacques Mézard approuve.)
M. Didier Guillaume. C’est l’efficacité parlementaire !
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous pouvons vous proposer de nombreux textes, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, qui mériteraient d’être examinés aussi vite ; vous nous avez démontré que c’était enfin possible !
Tout cela, en réalité, a été fait pour escamoter le débat. L’essentiel, ce n’est pas le fond du sujet, c’est le calendrier électoral. C’est profondément désolant pour nous, les Girondins, qui sommes nombreux à siéger en ces lieux.
Évidemment, je sais quel serait le meilleur destin pour la région dont je suis l’élu. Évidemment, comme mes collègues charentais, notamment, je sais que le Poitou-Charentes et le Limousin ont vocation à se rassembler dans la grande Aquitaine. Je le sais très bien ; je le vis depuis quarante ans. Mon père, ma mère, ma famille, mon sang : tout cela me l’a appris !
M. Didier Guillaume. Alors ?
M. Yannick Vaugrenard. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Toutefois, puis-je, en trois jours, décider de fusionner l’Alsace et la Lorraine ? Puis-je, en quelques heures, consentir à quelque marchandage, sous prétexte que certains notables sont convenus de se rapprocher par intérêt ?
Je suis capable de parler de mon territoire, mais, pour le reste de la France, je veux que l’État et le Parlement discutent ensemble, qu’ils mènent ensemble une réflexion économique, sociale, géographique, culturelle, historique, et qu’ensemble ils élaborent une carte.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Jean-Pierre Raffarin. Très franchement, avec Yves Krattinger, dont je regrette l’absence – significative – aujourd’hui, nous aurions pu vous la dessiner, cette carte. Nous étions prêts ; il nous fallait seulement un peu de temps, un peu de confiance. Nous vous aurions proposé le résultat d’une approche discutée, partagée, le fruit d’un bon travail parlementaire. C’était faisable, mais certainement pas dans la précipitation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
La deuxième erreur est d’avoir adopté une logique inversée, qui conduit à décider du périmètre avant de discuter des compétences.
M. Daniel Dubois. Voilà !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je vais prendre un exemple concret : est-il bien sérieux de vouloir transférer à une grande région la compétence en matière de tourisme, quand il s’agit, évidemment, d’une compétence de proximité ?
M. Gérard Longuet. Évidemment ! Autant parler d’huîtres à Dreux ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Autant il est intéressant, pour que la France ait une stratégie claire en la matière, que le ministre des affaires étrangères soit également chargé du tourisme, autant il faut laisser le terrain de camping sous la responsabilité des acteurs locaux ! On le voit bien, pour ces questions, il est nécessaire de discuter de la compétence avant de définir le périmètre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
La troisième erreur, celle qui me paraît la plus grave, me semble due – je le dis sans arrogance ni prétention – à un déficit de pensée. Pour réduire le millefeuille territorial, car on en parle depuis une bonne dizaine d’années,…
M. Jean-Pierre Sueur. Voire plus !
M. Jean-Pierre Raffarin. … deux grandes voies existent, qui peuvent être aménagées avec beaucoup de nuances.
La première voie, retenue par le gouvernement précédent, consistait à rapprocher le département et la région. Le conseiller territorial aurait été une sorte d’enzyme unificatrice qui, à terme, aurait contribué à réunir les deux structures pour faire l’économie d’un échelon administratif.
M. Gérard Longuet. Voilà !
M. Christian Cambon. Ce n’était pas si stupide !
M. Jean-Pierre Raffarin. Vous n’en avez pas voulu, monsieur le ministre. Dans votre intervention, en effet, vous avez prétendu que nous n’avions pas fait de proposition sur le sujet qui nous occupe. Pourtant, la loi de réforme des collectivités territoriales avait été adoptée, et c’est vous qui avez décidé de l’abroger !
La seconde voie, sur laquelle nous avons travaillé avec Yves Krattinger et les membres de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, consistait à prendre acte de l’impossibilité du rapprochement du département et de la région, pour les raisons que je viens d’évoquer, en adoptant une stratégie de différenciation.
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Jean-Pierre Raffarin. Pas de doublon, deux vocations complètement différentes : la proximité – c’est-à-dire la cohésion sociale et territoriale – au département, la puissance – les investissements, les projets d’envergure, l’enseignement supérieur, l’intervention économique, les grandes infrastructures, en somme, la programmation de long terme – à la grande région.
De deux choses l’une : soit la puissance et la proximité sont réunies dans une structure, ce qui s’apparente à un rapprochement entre le département et la région, soit on les sépare, en adoptant une clause de compétence qui empêche que les structures se fassent concurrence. Nous l’avons souligné, dans bien des territoires, en effet, la région est un quatrième ou un cinquième département ; elle cherche à départementaliser son action. De son côté, le département cherche parfois à régionaliser son action. Tout cela est cause de nombreux doublons.
Nous avions donc opté pour la séparation, en établissant entre la région et le département une différence de nature : à l’une les grandes infrastructures, à l’autre la proximité, la cohésion sociale et territoriale.
Dès lors, il n’était pas très élégant – je dirai même que c’était une faute – de mêler en permanence nos deux noms, celui d’Yves Krattinger et le mien, à l’évocation de votre réforme, monsieur le ministre ; notre réflexion n’était pas du tout du même ordre que la vôtre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Si, dans le rapport, nous acceptons le principe de la réforme et de la grande région, nous considérons que cette dernière est le fondement du département. Annoncer en même temps la création de grandes régions et la suppression du département, c’est s’en prendre à la proximité et à la décentralisation !
La décentralisation, en effet, a pour vocation d’apporter de la simplicité et de l’efficacité, grâce à la proximité. C’est parce qu’on fait les choses dans la proximité qu’on les fait mieux et que cela coûte moins cher.
M. Alain Néri. Vous n’en étiez pas convaincu en 1982 ! Nous nous en souvenons !
M. Jean-Pierre Raffarin. La proximité, c’est la vertu. Une réforme qui s’y attaque est donc une réforme fragile.
M. Alain Néri. Il vous a fallu du temps pour penser cela !
M. Jean-Pierre Raffarin. La quatrième erreur, c’est que la concertation a été bâclée. La mission commune d’information, elle, a fait un travail considérable. En pleine période de campagne pour les élections municipales, des membres du groupe UMP, du groupe socialiste et de tous les autres groupes se sont réunis ; ils ont créé une mission commune d’information et sont parvenus à se mettre d’accord sur un texte, qui fut adopté à la quasi-unanimité. Croyez-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que cela a été facile à faire accepter par nos diverses formations politiques ?
Pour le projet dont nous discutons, aucun des membres de la mission n’a reçu un seul coup de fil ni obtenu un seul rendez-vous. Aucune personnalité ne nous a contactés pour demander notre avis, pas même le préfet de la région dont je suis l’élu, qui ne m’a invité que pour discuter des cantons. J’ai seulement entendu dire, deux heures avant l’annonce officielle, qu’il était question que le Poitou-Charentes fusionne avec les Pays de la Loire, qui n’ont pas voulu, puis avec l’Aquitaine, qui a refusé, et finalement, après cette accumulation d’échecs, avec le Centre.
Mme Jacqueline Gourault. Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout cela s’est fait sans qu’un seul coup de fil soit passé aux membres de la mission, monsieur le ministre, sans qu’aucune discussion ou réunion de travail soit organisée !
M. Christian Cambon. Quelle élégance !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cette attitude envers le Parlement est tout à fait inacceptable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Le travail réalisé avec Yves Krattinger et les membres – de gauche comme de droite – de la mission était fondé sur le respect et le consensus ; des moyens avaient été trouvés. Nous pourrions mener à bien cette réforme, si vous nous la confiiez, alors que vous, vous êtes dans une situation très difficile et aurez du mal à tirer quelque chose de positif de tout cela. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. Gérard Longuet. C’est un échec !
M. Jean-Pierre Raffarin. La cinquième erreur a été de raviver l’antagonisme entre l’État et les territoires. Le gouvernement précédent avait été particulièrement maladroit ; il avait accumulé un certain nombre d’erreurs, qui ont abouti, notamment, à la perte du Sénat.
Pourtant, vous n’avez pas tiré la leçon de nos échecs. Vous n’avez pas compris que s’attaquer en même temps à la carte de l’intercommunalité, au financement des collectivités territoriales, aux départements, à la carte régionale et à la carte scolaire contribuait à monter les territoires contre l’État.
Mme Jacqueline Gourault. Absolument !
M. Gérard Longuet. Ils veulent nous aider pour les prochaines élections sénatoriales !
M. Jean-Pierre Raffarin. Le conflit est grand entre les territoires et l’État. Or comment voulez-vous faire une réforme constructive, positive, qui dégage des perspectives d’avenir, quand ce mécontentement gronde ? De notre côté, nous nous en accommoderons au mois de septembre prochain, mais nous ne souhaitons jamais voir notre pays divisé.
La sixième erreur, Jacques Mézard l’a souligné, réside dans l’absence de vision sur la ruralité. On ne peut pas accepter l’idée que le conseil départemental serait seulement pour les territoires ruraux. Le monde rural a besoin de péréquation, d’équilibre. Si vous isolez les zones de pauvreté, vous ne leur donnez pas la possibilité de s’en sortir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Il faut des partenariats entre l’urbain et le rural.
Vous prétendez faire une distinction en faveur la ruralité, en maintenant le département. Néanmoins, un département appauvri, affaibli, ne pourra pas aider le monde rural à sortir de ses difficultés !
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. René-Paul Savary. C’est évident !
M. Jean-Pierre Raffarin. Par ailleurs, la fin des départements soulève une autre question, qu’il faut tout de même évoquer : quelle place pour le Sénat dans la République ?
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. La légitimité de notre assemblée législative, incarnation de ce bicamérisme indispensable à notre République, est fondée sur une cellule de base, dont la suppression créerait de lourdes difficultés.
La France a connu un tel débat par le passé. Le jour où la légitimité départementale du Sénat sera entamée, nous aurons beaucoup de problèmes. Pour les Français, le département est un espace profondément républicain, doté d’une légitimité importante ; l’attachement y est très fort.
J’ai bien noté que la discussion était ouverte et que nous avions la possibilité d’amender le texte ; je m’en réjouis. Toutefois, monsieur le ministre, ne considérez pas que notre horizon, c’est la région. Notre horizon, notre ambition, c’est la France ! Notre légitimité est territoriale, mais notre projet est national ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je pourrais partager beaucoup de ce qui a été dit depuis deux jours.
C’est le premier point que je souhaiterais aborder : de grâce, ayons confiance en la Haute Assemblée, en nos propres débats ! Quels que puissent être les projets des gouvernements, et pas seulement du gouvernement actuel, le rôle du Parlement est de discuter, de délibérer, d’améliorer les textes législatifs et de voter en conviction.
J’aimerais lancer un appel. Il nous faut croire à la force de la discussion parlementaire, à la force du Sénat, à la force de conviction des sénateurs. Nous évoquons un grand et beau sujet, celui des territoires. Nous devons avoir à l’esprit deux exigences : clarté et cohérence.
Mettons un terme aux faux débats, notamment sur la forme ou la procédure. Tout le monde a eu recours à des motions prévues par notre règlement. Je ne parlerai pas de « blocage » ou de « retardement », car cette pratique fait partie du jeu. Il serait même possible de déposer encore deux ou trois autres motions. Néanmoins, débattons du fond !
Il faut parler en sincérité. Je crois que chacun l’a fait. Chacun a sa part de vérité. Les différents intervenants, y compris ceux dont je ne partageais pas les analyses, se sont exprimés avec conviction. Acceptons de présumer que chacun parle de la même façon.
Toutes les positions sont respectables, mais tous les excès sont condamnables ; j’essaierai de bien m’en garder. Les positions des groupes ou des partis ont certainement évolué.
Il y a ici de nouveaux convertis, dont votre serviteur. La réforme envisagée par le Gouvernement ne correspond pas forcément à ce que moi ou mon organisation avions pu prôner par le passé. De même, nos collègues de l’UMP défendent aujourd'hui des thèses qui n’étaient pas celles de leur parti voilà quelques semaines encore. C’est vrai pour la fusion des départements et des régions, pour la création des grandes régions ou pour la suppression des conseils généraux, une mesure qui figurait noir sur blanc dans le programme présidentiel rédigé par mon excellent ami le député de Drôme Hervé Mariton. Tout cela, c’est le débat politique.
Aujourd'hui, le Gouvernement nous demande de clarifier et de moderniser l’administration territoriale. Nous avons le choix entre deux attitudes : ne rien faire, parce que nous serions contre le Gouvernement, quitte à opter pour l’immobilisme et à prendre le risque que rien ne sorte des travaux du Sénat, ou bien avancer et essayer d’aller – j’ose le dire – dans le sens de l’histoire.
Le sens de l’histoire, c’est celui de cette belle décentralisation. Sur ce point aussi, les positions des uns et des autres ont évolué. Il y a trente ans, certains combattaient la décentralisation. Aujourd'hui, ils lui trouvent toutes les vertus : le rapprochement du pouvoir au plus près du terrain, la proximité entre les citoyens et les lieux de décision territoriale !
La décentralisation a été conçue sur le diptyque commune-département. Oui, en 1982, nos beaux départements ont eu des compétences fortes grâce à la décentralisation Mitterrand-Mauroy-Defferre ! Puis, les intercommunalités et les régions sont apparues. Et la vie a changé. On est passé des établissements publics régionaux à de véritables conseils régionaux, d’abord gérés par la droite, puis aujourd'hui par la gauche. Les régions réalisent de grands aménagements, engagent des politiques fortes.
Ensuite, il y a eu la régionalisation des services de l’État, qui m’a posé plus de problèmes, car cela éloignait l’action de l’État des citoyens et des élus locaux.
Pour notre part, nous sommes prêts à aider la réforme, à soutenir la décentralisation, à accompagner l’évolution territoriale. Cependant, nous nous opposerons à la recentralisation : il n’est pas question de redonner des pouvoirs aux préfets en en enlevant aux élus locaux ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.) Ce n’est pas dans cette direction que nous voulons aller.
Observons la situation. Certains voudraient que rien ne change. Pourtant, tout va-t-il vraiment pour le mieux dans le meilleur des mondes ?