M. Pierre-Yves Collombat. Mais ce n’est pas un sujet essentiel ! (Sourires sur les travées du RDSE.)
M. Philippe Kaltenbach. … plus d’efficacité, plus de clarté. Ne les décevons pas, faisons notre travail, et rejetons cette motion référendaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Karoutchi. Il va avoir du travail !
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à remercier les différents orateurs qui se sont exprimés à l’occasion du début de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Lors de mon audition devant la commission des lois du Sénat, j’ai indiqué que le Gouvernement se tenait à la disposition des sénateurs pour aborder l’ensemble des sujets qu’ils souhaitaient évoquer, afin que le débat soit de qualité et permette d’aller au fond des choses.
J’ai également signalé que le Gouvernement ferait preuve à l’égard du Sénat d’une exigence de rigueur intellectuelle, de précision et de recherche de compromis – les réformes sont plus belles, plus fortes et davantage acceptées lorsqu’il est possible de trouver ensemble un chemin commun –, qu’il lui doit particulièrement sur un texte qui relève de ses compétences premières.
C’est dans cet esprit que je suis venu participer aux débats sur l’examen de la présente motion, destinée à priver le Sénat de la possibilité d’examiner lui-même ce texte, relatif pourtant aux collectivités territoriales, et à le soumettre directement au référendum.
En écoutant les différentes interventions, je pensais à ce très joli distique d’Edgar Faure, rédigé à la fin de sa vie : « On ne vit que pour un instant ; le reste du temps, on attend. »
Joli distique, en effet, écrit par un homme politique de tout premier plan, à l’esprit élevé, à l’exigence intellectuelle grande et éminente, qui a été sénateur entre 1959 et 1966, c’est-à-dire à une époque où s’est forgée la réputation de sagesse du Sénat. Cette réputation conduisit les sénateurs de l’époque à faire en sorte que l’intérêt général – de nombreux orateurs se sont référés à cette notion il y a un instant – prévale systématiquement sur toute autre considération, notamment de nature politique et a fortiori politicienne, et les fit veiller à ce que le Sénat ne soit jamais dépouillé de ses prérogatives.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. C’est vrai !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je me souviens, pour avoir lu un certain nombre des discours prononcés alors par les plus éminents des membres de cette assemblée, que les sénateurs n’aimaient pas qu’on demandât au référendum de se substituer à eux pour traiter des questions qui relevaient de leurs compétences.
Dès lors, mesdames, messieurs les sénateurs, quand vous proposez que ce texte soit soumis à cette consultation, j’imagine que c’est dans cette tradition que vous vous inscrivez… C’est en tout cas dans cet esprit que je souhaite vous répondre, et ce de façon extrêmement précise. Je le ferai en reprenant chacun des arguments utilisés. Pour un membre d’un gouvernement qui vient défendre un texte, en effet, la meilleure manière de respecter le Parlement, c’est de ne pas répondre à côté des questions posées ; c’est donc de considérer chacun des arguments développés et de les décortiquer en séance afin d’en analyser, avec l’assemblée, la pertinence et la validité.
Les premiers arguments portent sur la réforme elle-même, sur l’utilité de procéder à la fusion des régions et à la suppression, à terme, des conseils départementaux, sur la pertinence de donner davantage de force aux intercommunalités et de renforcer l’administration déconcentrée de l’État à l’échelle départementale.
Je constate que, sur ces sujets, selon les configurations politiques, selon les majorités, selon qu’on soit en situation de mener à bien des réformes ou dans l’opposition, les mêmes qui, hier, ont défendu certaines thèses en défendent d’autres aujourd’hui, parfaitement inverses et symétriques.
M. Retailleau s’est livré tout à l’heure à un exercice extrêmement véloce sur le plan rhétorique,…
M. Bruno Sido. Et brillant !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et brillant, en effet, sur le plan intellectuel. Je salue d’ailleurs cette prestation, qui a été de très grande qualité. J’y répondrai en tout point.
Monsieur Retailleau, vous critiquez la démarche du Gouvernement, en indiquant que la suppression des conseils départementaux serait un exercice funeste, qui accroîtrait considérablement la fracture territoriale dont notre pays serait la victime, et qui, couplée à la création de grandes régions, serait de nature à éloigner considérablement le citoyen des centres de décision. Pour ces raisons, selon vous, la réforme devrait être combattue absolument.
M. Bruno Sido. Vous avez tout compris !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cela, vous l’avancez – et je le comprends parfaitement – en tant que membre d’un groupe éminent de l’opposition, le groupe UMP, lequel est tout à fait en droit, à l’occasion de ces débats, de faire prévaloir son point de vue.
J’ai souri, c’est vrai, pendant votre intervention, monsieur le sénateur – je n’ai pas ri à gorge déployée pour ne pas vous compromettre…
M. Bruno Retailleau. Merci !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et pour ne pas, non plus, donner le sentiment d’une trop grande complicité –, et je vais vous expliquer pourquoi.
Je vais vous faire passer un document : la une du magazine Le Parisien, publié il y a non pas quatre ou cinq ans, mais six mois. (M. le ministre brandit la couverture du magazine Le Parisien du 17 janvier 2014.)
Vous y voyez Jean-François Copé, « feu le président » – si j’ose dire ! – du parti dont votre groupe est l’émanation parlementaire (Exclamations sur les travées de l’UMP.),…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Il ne l’est plus !
M. Didier Guillaume. C’est la réalité politique !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … avec ce titre : « Jean-François Copé nous dévoile son projet : Une France sans département. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Larcher. Erreur !
M. Bruno Sido. Erreur fatale !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lorsque Jean-François Copé, qui a été président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale et président du parti auquel vous appartenez, propose une France sans département, c’est une délectation, un grand moment de clairvoyance et d’intelligence politique. Lorsque, six mois plus tard, alors que le texte qui est soumis à votre examen ne va pas aussi loin, alors que la réforme territoriale envisagée est cohérente et alors que votre parti avait émis des propositions identiques, vous vous dressez, oublieux de tout cela, et prétendez que ces mesures sont totalement inadéquates et scandaleuses ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-François Husson. Il y a quatre mois, François Hollande aussi pensait l’inverse !
M. Bruno Retailleau. On s’en fiche des partis ! Ce qui compte, c’est la France !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est cela, monsieur le sénateur, qui m’a beaucoup amusé tout à l’heure. Et pour que vous puissiez continuer à rire, lorsque je ne serai plus là – il n’y a pas de raison que cette complicité s’arrête au moment où le débat s’achèvera ! –, je vais vous faire passer la totalité de l’entretien que Jean-François Copé avait consenti à ce magazine. Cela vous permettra également, quand nos échanges sur ce texte seront tendus, de goûter à la délectation des débats parlementaires.
M. Jean-Pierre Raffarin. Voilà qui n’est pas faire preuve de l’élévation d’esprit d’Edgar Faure ! On descend bien bas…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, monsieur le sénateur, ce qui abaisse la politique, ce qui la fait descendre très bas, c’est tenir des discours différents selon les circonstances et selon les lieux, dans le mépris absolu des citoyens. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste. – Vives exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-François Husson. Le Président de la République en est un bon exemple !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cela s’appelle un abaissement démagogique du débat politique ; et c’est parce qu’il existe que notre pays est incapable de faire les réformes dont nous avons besoin ! Le Gouvernement, pourtant, est déterminé à les mener.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous avez évoqué un deuxième argument : les fusions de régions, dont le pays n’aurait nul besoin, contribueraient à éloigner les citoyens des centres de décision politique.
Je veux là aussi vous répondre. Beaucoup de rapports ont été écrits sur ce sujet, de nombreuses études ont été conduites, parfois même par vous ! Je me souviens notamment d’un comité présidé par un homme à l’esprit élevé, très au fait de ces sujets, Édouard Balladur, lequel a conduit des concertations, sollicité des élus, auditionné des collectivités territoriales pour élaborer son rapport.
M. Bruno Retailleau. Et Jacques Attali ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Jacques Attali, aussi, a mené certaines missions sur la modernisation de notre pays et de nos institutions.
Mais la mission menée par le comité pour la réforme des collectivités locales était à ce point longue et ses concertations à ce point significatives que son président les a conclues par un rapport intitulé Il est temps de décider. Cela, c’était en 2009, mesdames, messieurs les sénateurs !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Décider, oui, mais dans la concertation !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’opposition sénatoriale actuelle a dirigé le pays pendant dix ans. Quelles conclusions a-t-elle tirées de ces études, de ces rapports, de ces incitations à réformer ?
M. Gérard Larcher. Et la loi de 2010 ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Aucune, puisque nous sommes obligés de faire les réformes qu’elle n’a pas été capable de mener au cours de cette période ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Vives exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau. Vous avez supprimé le conseiller territorial ! Quelle mauvaise foi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la deuxième réponse que je voulais vous faire.
Je vous apporterai, enfin, une troisième réponse. Selon vous, notre réforme des territoires, fondée sur la réunion de régions, éloignerait les citoyens des lieux de décision politique, car les régions seraient à la fois trop peu nombreuses et trop larges pour être des instances de proximité.
Or, dans vos propres rangs, certains sénateurs ayant, eux aussi, conduit des réflexions intelligentes, proposaient jadis la réduction du nombre de régions, non pas à quinze ou à quatorze, mais à dix ! Je pense notamment à l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui, avec M. Krattinger, a remis un excellent rapport. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
MM. Éric Doligé et Bruno Retailleau. Prévoyant le maintien des départements !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Quant à l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, il proposait de faire quinze régions. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
En clair, lorsque l’actuelle majorité propose quatorze régions, ce n’est pas respectueux du citoyen et cela éloigne les citoyens des centres de décision politique ; mais lorsque vous en proposez dix ou quinze, là, c’est bien ! Où est la cohérence ? Où est la logique ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Francis Delattre. La cohérence n’est sûrement pas du côté de l’ancien président du conseil général de Corrèze !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends que cela vous agace. Mais, dans les débats parlementaires, il y a tout de même un moment où la vérité doit être dite, où les choses doivent être nommées, les incohérences pointées et les propos tenus par le passé rappelés. Car la politique, c’est tout de même une cohérence dans le temps ! Permettez-moi donc de vous rappeler ce que vous avez dit ou fait, et ce qu’ont déclaré vos leaders ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Il est un autre point sur lequel j’aimerais m’exprimer pour rétablir des vérités.
Au cours des derniers mois, à l’occasion des débats budgétaires, j’ai participé dans cet hémicycle, et de manière assez roborative, à des discussions sur le niveau des économies qu’il fallait réaliser et sur les dépenses qu’il fallait cibler.
Lorsque j’ai proposé voilà six mois, en tant que ministre du budget, d’engager 50 milliards d’euros d’économies, selon les uns, c’était trop – au moins ceux-là sont-ils restés cohérents ! – et, pour les autres, ce n’était pas assez ! Et ces derniers de m’expliquer que les économies étaient à rechercher du côté des collectivités locales, là où il y avait, me disait-on, du gras, alors qu’au niveau de l’État et de son administration, nous étions à l’os ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. C’est votre discours qui est à l’os !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais vous donner quelques chiffres sur la réalité de la gestion de l’État et des collectivités locales ; ils corrigent sensiblement les propos que vous avez tenus, monsieur Retailleau. Ils ne sont le fruit ni de mon imagination ni de ma volonté de faire des effets de manche à cette tribune. Je les tire tout simplement des rapports de la Cour des comptes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. Parlons-en, de la Cour des comptes !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. D’ailleurs, le Parlement – et singulièrement le Sénat – les cite abondamment dans ses publications, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer les questions budgétaires.
Selon vous, les collectivités locales n’ont pas d’économies à faire ; l’État aurait engagé trop de dépenses, tandis que lesdites collectivités auraient été vertueuses.
Pour moi, en revanche, il faut faire des économies partout, surtout lorsque nous connaissons une situation aussi dégradée de nos finances publiques !
Un sénateur du groupe UMP. Oui, partout !
M. Francis Delattre. Vos économies n’existent que dans les discours !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous fais d’ailleurs observer que les déficits budgétaires n’ont, en moyenne, jamais été inférieurs à 5 % au cours des dix dernières années.
Nous avons donc décidé de réaliser des économies au niveau tant de l’État, des collectivités locales que de la protection sociale. La situation, qui appelle au sens des réalités et à la rigueur intellectuelle, nous oblige à dire la vérité aux Français. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Éric Doligé. Quel manque de pudeur !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. La vérité, c’est qu’il n’y aura pas de redressement des comptes sans économies ! Nous proposons d’en faire partout, faute de quoi nous n’en ferons nulle part, les déficits se dégraderont et nos comptes ne se redresseront pas !
Au cours des dix dernières années, les frais de fonctionnement de l’État ont augmenté de 2,8 %, contre 6,3 % pour ceux des collectivités locales, en neutralisant l’effet de la décentralisation. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Ces chiffres sont exacts, mesdames, messieurs les sénateurs ! Ils figurent dans les rapports de la Cour des comptes. Vous-mêmes les invoquez abondamment quand cela vous arrange, et vous les contestez lorsqu’on vous les met en face des yeux pour rétablir des vérités !
Ainsi, nonobstant les effets de la décentralisation, les frais de personnels des collectivités locales – et cela vaut pour toutes les collectivités locales – ont augmenté de 6,3 %…
M. Éric Doligé. Cela ne concerne pas les départements !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … quand l’augmentation a été de moitié moins pour l’État !
Monsieur Retailleau, on ne peut pas demander davantage d’économies aux collectivités locales lors d’un débat budgétaire, et affirmer qu’elles ont déjà beaucoup fait à l’occasion d’un autre relatif à l’organisation territoriale !
En matière de finances publiques, la responsabilité collective doit nous conduire à tout moment au même discours de vérité : le redressement de nos comptes appelle des efforts dans tous les domaines de la dépense !
M. Francis Delattre. Vous pourriez commencer par en faire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout le reste n’est que démagogie. Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés ! Voilà la contrainte à laquelle nous devons faire face !
Nous ne parviendrons pas à réaliser des économies sur les collectivités locales si nous ne modifions pas la structure de chacune d’elle, de chaque strate. En effet, il faut faire en sorte que ces économies soient soutenables et qu’elles ne privent pas les collectivités locales de la possibilité d’investir. Si nous voulons faire de la croissance, si nous voulons investir, il faut dépenser moins pour investir plus !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous sommes d’accord !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tel est l’objectif de la réforme. Nous voulons garantir la possibilité des collectivités locales d’investir massivement dans l’avenir !
J’aimerais reprendre chacun des arguments qui ont été développés pour motiver la demande de certains groupes, que je respecte, d’un référendum.
Premier argument : les études d’impact seraient insuffisantes. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé en indiquant qu’il ne partageait pas le sentiment de votre assemblée. Je pensais que l’autorité de la chose jugée pouvait également exister au Sénat ; manifestement, ce n’est pas pris en compte. Mais peu importe ! Je reprends votre argument.
Admettons que les études d’impact ne soient pas suffisantes et ne permettent pas l’examen du texte au Sénat ; nous n’aurions pas été assez loin dans l’analyse des choses pour que vous puissiez statuer. Mais alors, comment admettre que le peuple, lui, puisse se prononcer ? Où est la cohérence d’une telle démarche ? (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Si l’on considère que l’attention portée aux études d’impact a été insuffisante, que la réflexion n’a pas été assez loin pour permettre l’examen par votre assemblée, que le texte n’est pas digne du Sénat faute de travaux préparatoires satisfaisants,…
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas la question !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … comment admettre qu’il puisse être digne du peuple, si c’est le souci du peuple et de l’intérêt général qui préside au dépôt d’une motion référendaire ?
M. Didier Guillaume. C’est évident !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’ai, je l’avoue, énormément de mal à accéder à tel raisonnement. Je le trouve vicié...
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui le viciez !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et, pour tout dire, un peu pervers.
Quelle est cette logique qui consiste à soumettre au peuple, exactement dans la même mouture, le contenu d’un texte jugé indigne de la représentation nationale ?
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas bien ce que vous faites !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y a là une forme d’incohérence absolue, de raisonnement faux. C’est comme une boussole qui indiquerait le sud.
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui avez perdu le nord !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement ne peut pas souscrire à une telle logique dès lors qu’il s’agit de faire des réformes dont le pays a besoin.
Le deuxième argument développé est que les découpages ne seraient pas bons et que la carte serait absurde. Certains affirment même que les décisions auraient été prises sur un coin de table…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. C’est exactement le cas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et que, comme cette carte ne conviendrait pas, il faudrait prendre le temps de la refaire. Et vous voudriez soumettre au peuple, qui n’aurait pas la possibilité de l’amender, une carte que, selon vous, il faudrait refaire ? Deuxième incohérence absolue de ceux qui présentent cette motion référendaire !
Si l’on considère que la carte n’est pas satisfaisante ou pas optimale, il faut l’amender ! Et où peut-elle être mieux amendée qu’au Sénat et à l’Assemblée nationale ? Comme je l’ai indiqué devant la commission des lois, nous sommes prêts à accepter des amendements tendant à modifier la carte des régions à condition de ne pas en augmenter le nombre et de préserver la cohérence globale du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si vous voulez que le projet de loi soit modifié pour avoir une carte plus cohérente, comme cela semble être votre souhait, n’empêchez pas que le texte soit amendé en réclamant un référendum !
M. René-Paul Savary. C’est votre majorité qui a déposé la motion référendaire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Emparez-vous de ce texte ! Proposez des amendements ! Faites en sorte qu’une réforme optimale, conforme à vos objectifs, soit possible ! Vous aurez ainsi rempli votre rôle de sénateurs, conformément à l’article 39 de la Constitution,…
Un sénateur du groupe UMP. Ne jouez pas au donneur de leçons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … au lieu de vous dessaisir d’une matière qui relève de votre cœur de compétence et de rendre vos propres objectifs inatteignables ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
J’en viens à un troisième argument, qui n’a pas été évoqué, mais que j’ai senti en creux. (Ah bon ? sur les travées de l'UMP.) Pour que les textes relatifs aux collectivités locales puissent aboutir, il faudrait que nous ayons une relation apaisée...
M. Francis Delattre. C’est mal parti…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Chez nous, c’est apaisé !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. C’est vous qui ne nous laissez pas le temps du débat !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous apporter toute garantie à cet égard. Pour notre part, nous sommes prêts à passer le temps qu’il faudra pour aboutir à un bon texte. À condition que vous le vouliez bien !
S’il s’agit de tout mettre en œuvre pour empêcher cela, s’il s’agit d’apporter une nouvelle fois à nos concitoyens et à l’Union européenne…
Mme Éliane Assassi. Ah ! Nous y voilà !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … la démonstration collective de notre incapacité à faire les réformes dont le pays a besoin,…
M. Éric Doligé. Il nous fait la morale, maintenant !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … s’il s’agit une fois de plus de faire en sorte que rien ne se passe, alors qu’il est urgent d’agir en utilisant toutes les procédures possibles et imaginables pour atteindre cet objectif, alors cela ne contribuera pas à rehausser l’image de la République, de ses assemblées et de ses élus ! Dans ce cas, allez-y, perdez-vous en arguties !
Mais, sachez-le, la volonté du Gouvernement est que le débat ait lieu et que la réforme se fasse,…
M. Roger Karoutchi. Au pas de charge !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … avec vous, par la présentation de vos amendements et dans le respect de ce que vous porterez. Mais pas dans les approximations, les raccourcis et les amalgames,…
M. Roger Karoutchi. Mais voyons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … pas dans l’oubli de ce vous disiez hier, pas au travers de procédures destinées à faire diversion et à organiser l’enlisement pour empêcher les réformes urgentes dont le pays a besoin !
Vous aurez en face de vous un gouvernement déterminé à mener ces réformes dans le respect du Parlement, et à n’accompagner aucune mesure de diversion, aucun propos dilatoire oublieux des déclarations d’hier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique de la motion de renvoi au référendum.
Article unique
En application de l'article 11 de la Constitution et des articles 67 et suivants du règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 635, 2013-2014).
Explications de vote
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre à référendum le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, je donne la parole à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Monsieur le ministre, s’il y aujourd’hui débat sur la motion référendaire, c’est sur l’initiative de la majorité qu’a rassemblée M. François Hollande au mois de mai 2012. C’est le problème de votre majorité, pas celui de l’opposition ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Lorsque nous étions aux responsabilités, le groupe de travail présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur et auquel participaient l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy et M. André Vallini, qui est à présent secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale,…
Mme Isabelle Debré. Pourquoi n’est-il pas là ?
M. Gérard Longuet. … avait mené une réflexion pluripartite de plus d’un an. Un débat parlementaire avait été organisé au Sénat et à l’Assemblée nationale. L’architecture proposée était simple et profondément républicaine ; j’aurais d’ailleurs l’occasion de mieux la présenter au cours du débat, si toutefois il a lieu.
Fondée sur le conseiller municipal et le conseiller territorial, notre réforme était axée sur la coopération, d’une part, des communes et des intercommunalités et, d’autre part, des départements et des régions existants. Grâce aux possibilités de nouvelle commune ou de fusion de régions, nous avions un système équilibré, sous la responsabilité des élus locaux, femmes et hommes d’expérience.
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Gérard Longuet. Or, aujourd’hui, ainsi que l’ont souligné avec beaucoup de talent nombre d’orateurs, en particulier Bruno Retailleau, vous nous proposez une mesure qui, très honnêtement, n’a ni queue ni tête !
Pourquoi acceptons-nous la motion référendaire ? Comme vous le soulignez, monsieur le ministre, ce n’est pas dans la tradition libérale à laquelle j’appartiens ; nous sommes pour le débat parlementaire. Sauf que le problème est non pas technique, mais bien politique.
Vous imposez au Parlement une réforme pour laquelle vous n’avez aucune majorité au Sénat. Quant à votre majorité à l’Assemblée nationale, force est de reconnaître qu’elle n’est plus très représentative de notre pays ; les élections municipales et européennes l’ont montré.
Naturellement, vous avez la légitimité pour faire adopter les textes que vous voulez à l’Assemblée nationale. Mais cette réforme, qui n’est pas d’une actualité absolue, concerne un sujet à la fois de raison et d’affection : le lien des Français avec leur territoire. Et vouloir forcer le destin en utilisant une majorité à l’Assemblée nationale dont nous savons qu’elle ne correspond plus aux souhaits de nos concitoyens…