Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi sur le prix unique du livre du 10 août 1981 a permis à notre pays de maintenir un réseau dense de librairies sur tout le territoire et d’assurer la diversité de la création littéraire.
Elle a permis de protéger les librairies indépendantes menacées par la concurrence des grandes surfaces qui vendent des livres à moindre coût.
Reposant sur l’idée juste que la concurrence par les prix déboucherait sur un amoindrissement de l’offre culturelle, cette loi a créé le principe d’un prix unique fixé par l’éditeur s’imposant à tous les détaillants.
Le maximum de rabais autorisé sur les livres est ainsi fixé à 5 % du prix déterminé par l’éditeur.
Cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par le Sénat et l’Assemblée nationale, tend à préserver la loi sur le prix unique du livre en l’adaptant à la vente de livres en ligne qui se développe très rapidement.
Or, le prix unique du livre est aujourd’hui contourné et remis en cause par les pratiques commerciales des grandes multinationales d’e-commerce, pratiques qui relèvent d’une concurrence déloyale. Ces grands groupes, dont le plus emblématique est Amazon, offrent en effet les frais de port et accordent en plus 5 % de réduction sur le prix des livres, relançant ainsi une concurrence par les prix.
Cette proposition de loi interdit donc l’application de la remise commerciale de 5 % pour les livres commandés en ligne et livrés à domicile, ainsi que la gratuité des frais de port. Nous l’avons soutenue d’emblée et nous allons continuer à le faire avec vous, car c’est la préservation de l’exception et de la diversité culturelles qui est en jeu.
Ce texte vise à protéger la culture, à limiter les effets pervers provoqués par les pratiques de vente en ligne de livres ; ce faisant, il contribuera à la pérennité du réseau de librairies indépendantes sur notre territoire, déjà tellement fragilisé, et par là même à la diversité éditoriale.
S’agissant de l’amendement présenté par le Gouvernement en première lecture, qui autorise à modifier par ordonnance des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition, telles que prévues par l’accord-cadre sur le contrat d’édition du 21 mars 2013, je ne peux que souligner à nouveau, comme nous l’avons fait en première lecture, notre désaccord avec cette manière de procéder. La voie de l’ordonnance est une procédure qui tend à déposséder le Parlement de ses droits et amoindrit donc la démocratie.
Pour autant, nous voterons cette proposition de loi.
Enfin, nous saluons l’attitude de fermeté de Mme la rapporteur et de la commission des affaires culturelles qui, par une position unanime, a refusé de céder aux menaces de la Commission européenne. Cette dernière, estimant que l’interdiction de la gratuité des frais de port portée par cette proposition de loi « serait disproportionnée », menace la France de contentieux avec un risque de condamnation.
Ne nous laissons pas impressionner ! Félicitons-nous, au contraire, que la France soit porteuse d’une décision courageuse et agisse au niveau européen pour maintenir et pour défendre le principe d’exception culturelle. Elle l’a déjà fait sur la TVA sur le livre et la presse en ligne, malgré les oppositions de Bruxelles, ce qui a permis a posteriori de faire évoluer l’attitude de la Commission, aucune condamnation n’ayant été prise.
En parlant de l’Europe et du livre, je voudrais conclure mon intervention en rappelant la nécessité d’une grande réforme fiscale, car les entreprises dont nous parlons, les pure-players établies dans des paradis fiscaux, ne s’acquittent pas du paiement de la TVA et ne sont pas soumises aux mêmes taux d’imposition sur les bénéfices qu’en France !
Selon la Fédération française des télécommunications, Google, Amazon, Facebook et Apple dégageraient de 2,2 à 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, mais ne verseraient chacune en moyenne que 4 millions d’euros par an au titre de l’impôt sur les sociétés.
Il est donc urgent d’avancer sur ces questions. J’appelle le Gouvernement à œuvrer pour que l’Europe se saisisse enfin de cette question du dumping social, afin que ces entreprises ne puissent plus poursuivre leur stratégie d’accroissement des profits au mépris du droit, de la fiscalité, et bien sûr de la culture.
Enfin, puisque c’est sans doute la dernière fois avant les prochaines élections sénatoriales que la commission des affaires culturelles a à intervenir en séance publique, je tiens à adresser tous mes remerciements à Mme la présidente de la commission pour la manière dont elle a conduit nos travaux et à l’assurer de toute mon amitié. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui apparaît un peu comme une exception par rapport à nos pratiques habituelles au sein de la Haute Assemblée.
En effet, à partir d’une proposition de loi du groupe UMP, nous avons noué un dialogue fructueux et riche avec l’exécutif, aidés en cela par la contribution extrêmement habile de Mme la rapporteur. Finalement, nous avons réussi à montrer que, lorsque les intérêts de tous tendent vers l’intérêt général, nous pouvons avancer sur des questions aussi importantes que celles de la culture et de la place des libraires et des librairies.
La question qui nous était posée à travers cette proposition de loi était simple : voulons-nous la fin des véritables librairies peuplées d’êtres humains ou voulons-nous vivre uniquement dans le modèle économique virtuel qui se développe actuellement, étant entendu que l’entreprise à l’origine de ce modèle ne vise pas uniquement le produit livre ? Ce dernier est en fait un produit d’appel pour une nouvelle économie dans laquelle les contenants et les modes d’acheminement ont en réalité, hélas ! beaucoup plus de place que le contenu lui-même, à savoir l’objet livre.
Compte tenu des enjeux qui ont été fort pertinemment décrits, nous soutenons évidemment cette proposition de loi que nous voterons avec enthousiasme, même si nous devons ajouter que, selon nous, les libraires doivent encore travailler – ils le savent d’ailleurs – à inventer l’évolution de leur métier.
Ils doivent aussi veiller à se montrer réactifs à l’égard du mode d’achat en ligne, qui n’est ni une mode ni une lubie : c’est une évolution très profonde des pratiques. À cet égard, si la profession des libraires n’organise pas une riposte extrêmement structurée, inventive et résolue, notre proposition de loi, aussi pertinente soit-elle, ne sera qu’un cautère sur une jambe de bois.
S’agissant de la question des droits sur le numérique, nous ne sommes évidemment pas enthousiastes à l’idée que l’on nous retire notre pouvoir de voter les lois ; mais, en l’espèce, la méthode du recours à l’ordonnance nous a semblé une bonne solution pour résoudre un vrai problème qui demeure en suspens.
Finalement, même si nous entendons les alertes qu’a suscitées ce texte sur le plan européen, nous devons rappeler qu’il est ici question de culture. Par conséquent, ne raisonner qu’en termes de business, de profits, de marchés, victorieux ou non, n’est pas pertinent – quand bien même l’Europe était, à l’origine, un grand marché !
On pourrait même aller plus loin : les libraires allemands ayant l’impression que le modèle de l’entreprise qui nous préoccupe est éminemment cannibale et anticoncurrentiel, ce sont peut-être ceux qui critiquent aujourd'hui cette proposition de loi qui, par une ironie de l’histoire, invoqueront demain le principe du respect de la concurrence, pour se rallier à notre point de vue !
Comme on ne peut pas parler de vraies libraires et de vraies librairies sans parler de vrais livres, je me permets, pour terminer, de vous recommander à tous un ouvrage vendu par le service public via la Documentation française et intitulé Vers la fin des librairies ? Son auteur, Vincent Chabault, est sociologue et a le mérite de traiter ce sujet de façon extrêmement claire et pédagogique. Son travail académique montre bien que le dispositif de la présente proposition de loi, à défaut de constituer une solution durable au problème des libraires, apporte une solution nécessaire à court terme, le temps de réinventer un nouveau modèle.
Je veux enfin dire un mot de la méthode : peut-être la solution du problème de l’intermittence ne serait-elle pas aussi périlleuse aujourd'hui si nous avions pu procéder, sur cette question, avec le même sens du consensus (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) et la même habileté dans les discussions avec les partenaires que ce qui a prévalu pour les libraires. En tout état de cause, madame la ministre, je veux vous assurer de toute notre confiance et de tout notre soutien sur le dossier difficile des intermittents, dont nous aimerions qu’il trouve une fin aussi satisfaisante que celui des librairies ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets autour desquels l’ensemble des forces politiques et des sensibilités savent se rassembler, et c’est très heureux. C’est souvent le cas de la culture, et c’est plus particulièrement le cas aujourd’hui de l’avenir du secteur du livre et des librairies, sur lequel cette proposition de loi nous invite à nous pencher.
S’il faut, pour défendre ce secteur, tenir tête à la Commission européenne, qui voudrait uniformiser notre façon de voir le monde, nous le ferons avec unité et conviction. La culture a de tout temps occupé une place privilégiée dans notre pays et dans nos politiques publiques, à juste titre.
L’harmonisation européenne, si elle est souhaitable dans de nombreux domaines, ne peut en aucun cas se faire « par le bas ». Et la préservation de la diversité culturelle, qui est au fondement même de l’Europe, est un combat dans lequel la France, fort heureusement, n’a jamais faibli. Dans ce combat, nous avons des alliés, comme l’Allemagne, qui a récemment soutenu notre position sur le taux de TVA réduit sur le livre numérique. Nous avons également réussi, avec nos partenaires, à imposer l’exception culturelle dans les négociations entre l’Union européenne et les États-Unis sur l’accord de libre-échange. Mais il est sans cesse nécessaire de rappeler, haut et fort, l’importance de ces principes à Bruxelles.
Aujourd’hui, nous cherchons une réponse à des pratiques proches de la concurrence déloyale et relevant, en tout état de cause, d’un contournement de notre droit, notamment de l’esprit de la loi de 1981 sur le prix unique du livre. Ces pratiques sont mises en œuvre par certains acteurs de la vente en ligne, qui fragilisent la situation déjà très délicate de nombre de nos librairies indépendantes.
La proposition de loi, que nous examinons ce matin en deuxième lecture, a été déposée à l’Assemblée nationale par nos collègues du groupe de l’UMP, puis modifiée, sur l’initiative, d’abord, du Gouvernement et, ensuite, de Mme la rapporteur. À chaque fois, elle a été adoptée à l’unanimité.
Mme Nathalie Goulet. Presque !
M. François Fortassin. Je m’en réjouis.
Les modifications qui sont intervenues au cours de son examen visent à préciser, à sécuriser et à compléter l’article 1er. Ainsi, d’un dispositif qui s’attaquait, dès l’origine, à la gratuité des frais de livraison, pratiquée par certains grands acteurs de la vente en ligne de livres, nous sommes passés à un texte supprimant l’avantage consistant à appliquer systématiquement la remise légale de 5 % sur le prix unique du livre. Grâce à Mme la rapporteur, nous examinons aujourd’hui un texte qui interdit aux acteurs de la vente en ligne d’appliquer simultanément ces deux avantages, lesquels, associés à la situation déjà déséquilibrée de ce marché, confèrent une position plus que dominante à un site internet qu’il est inutile de citer, puisque tout le monde le connaît bien…
En effet, si je parle « des » grands acteurs de la vente en ligne de livres, nous savons tous qu’il y en a surtout un, qui détient 70 % des parts de ce marché. Ce grand groupe américain, dont les visées ne sont nullement philanthropiques, a décidé d’utiliser ou plutôt de contourner notre législation pour en tirer un avantage commercial incontestable. Mais faut-il rappeler que ce géant du numérique, comme la plupart des autres groupes de ce secteur, utilise sciemment l’ensemble des règles nationales et internationales, notamment en matière fiscale, à des fins d’optimisation ? « Optimisation », en voilà un beau mot pour désigner une réalité dont la frontière avec la fraude est souvent très poreuse ! Les membres de la commission des finances, dont je fais partie, ont souvent à traiter de ces problèmes. Ce comportement choque, à juste titre. Ne tombons pas pour autant dans un excès de stigmatisation, qui consisterait à voir tous les grands groupes de l’économie numérique comme une menace.
L’un des principaux enjeux de ces prochaines années sera l’adaptation de notre fiscalité au numérique, mais c’est un autre débat.
Le numérique est aussi et avant tout une chance, y compris en matière de démocratisation culturelle. Il permet de démultiplier l’accès à la culture. Pour certains de nos concitoyens, les sites de ventes en ligne de livres sont parfois le seul moyen d’accéder à certains ouvrages. C’est vrai pour les Français de l’étranger – nos collègues qui les représentent l’ont rappelé en première lecture –, comme pour d’autres catégories de la population. Par exemple, pour les populations isolées des zones rurales ou les personnes qui, en raison de leur état de santé, ne peuvent se déplacer, pouvoir commander sur internet une multitude de références et les recevoir à domicile constitue un véritable progrès.
Pour autant, il est vrai que les grands acteurs du numérique associent souvent des pratiques commerciales agressives et une utilisation contestable de la législation afin de s’arroger, à terme, une position dominante, pour ne pas dire monopolistique, au détriment de tous. C’est dans la lutte contre de telles pratiques que réside tout l’intérêt de cette proposition de loi.
Les membres du groupe du RDSE sont extrêmement attachés à la préservation d’un réseau dense de librairies sur l’ensemble du territoire, qui est l’une des richesses de notre pays. Aujourd’hui, les libraires sont démunis face aux pratiques des acteurs de la vente en ligne, qui peuvent se permettre de vendre des livres à perte en « se rattrapant » sur d’autres secteurs. Ils ne peuvent pas jouer à armes égales avec ces plateformes capables de proposer des millions de références, immédiatement disponibles, et d’offrir une remise systématique de 5 % ainsi que la gratuité des frais de port.
Cette proposition de loi apporte une réponse, certes insuffisante et peut-être incomplète, aux difficultés des librairies indépendantes, mais elle constitue avant tout un signal fort en direction de ces géants du numérique sans foi ni loi pour qu’ils cessent de contourner impunément notre législation dans le seul but de maximiser leurs profits. C’est pourquoi, convaincus que les institutions européennes ne pourront que nous donner raison, l’ensemble des membres de mon groupe la soutiendront sans hésitation. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
À l’instar de Corinne Bouchoux, je veux terminer mon propos en vous recommandant un ouvrage, que je trouve excellent – je reconnais que c’est un peu provocateur de ma part… – : Recouvre-le de lumière, le récit d’un torero ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, issue du groupe UMP de l’Assemblée nationale, vise à compléter la loi du 10 août 1981, qui a permis la mise en place du prix unique du livre et a été adaptée au livre numérique en 2011.
Cette loi a été d’une grande utilité pour assurer la protection de l’industrie du livre, secteur fragile, dont la pérennité dépend du régime concurrentiel qui lui est imposé.
En 1981, le risque provenait des « livres à rotation rapide » ou best-sellers, sur lesquels les grandes surfaces s’autorisaient à pratiquer des rabais substantiels, nuisant ainsi aux « livres à rotation lente », qui avaient besoin de plus de temps pour trouver leur public, ainsi qu’aux librairies, qui ne pouvaient assurer des rabais équivalents. L’intervention du législateur se justifiait donc par une menace lourde pesant sur l’équilibre économique de ce secteur d’activité. L’enjeu était aussi bien économique que culturel, puisque le prix unique permettait de maintenir la diversité et la richesse du paysage littéraire.
Plus de trente ans après l’entrée en vigueur de ces dispositions législatives, l’industrie du livre demeure un secteur fragile, mais le bilan de la loi est tout de même très positif. Le prix unique a permis au réseau des librairies de se maintenir et de se moderniser. Sur environ 25 000 points de vente du livre, on dénombre 3 000 librairies indépendantes. Ce réseau constitue l’essentiel de la création littéraire française et permet aux éditeurs de maintenir des œuvres durant de nombreuses années dans leurs catalogues. Le marché du livre fait ainsi partie des secteurs culturels les plus stables, avec une importante assise éditoriale : environ 600 000 titres sont disponibles, et près de 60 000 titres paraissent chaque année. En réalité, la loi de 1981, qui constituait une dérogation aux règles habituelles de la concurrence, a permis de préserver celle-ci, en garantissant une grande diversité d’acteurs, au niveau tant de l’édition que de la commercialisation.
Néanmoins, si la loi dite « loi Lang » affiche un bilan positif, elle ne pouvait prévoir le développement d’un nouveau mode de commercialisation, avec le développement d’internet et de la vente à distance.
Le développement du numérique représente autant une opportunité qu’un danger pour le secteur du livre. En tant que support de la vente à distance, internet garantit une large distribution du livre. La recherche, l’achat à bas prix et la livraison en peu de jours assurent un soutien précieux à ce secteur. Cependant, la vente en ligne est un marché dominé par un nombre d’acteurs très restreint, dont Amazon est le plus important, puisqu’il en détient 70 % des parts. Cette situation s’explique par les offres très avantageuses proposées par ce site internet, qui cumule la réduction de 5 % sur les ouvrages autorisés par la loi de 1981 avec la possibilité d’une livraison gratuite. Par ailleurs, Amazon a mis en place une stratégie d’optimisation fiscale grâce à une installation au Luxembourg, laquelle lui permet de réduire au maximum l’imposition sur ses bénéfices français.
Les librairies indépendantes françaises, quant à elles, doivent supporter les charges de personnel, les charges de loyer, les charges fiscales et l’augmentation des frais de transport.
L’industrie du livre se retrouve donc face aux mêmes risques qu’en 1981 : d’une part, un risque économique, avec la suprématie d’un seul acteur sur le marché ; d’autre part, un risque culturel, avec une production éditoriale qui pourrait dépendre un jour d’un acteur en mesure d’imposer ses conditions.
Il s’agit bien ici d’un enjeu à l’échelle nationale, dans lequel le législateur a un rôle important à jouer. À cet égard, je salue l’unanimité qui nous réunit autour de cette proposition de loi, ainsi que l’ambiance constructive dans laquelle nous avons travaillé, qui a permis d’améliorer le texte.
La proposition de loi rend désormais impossible la gratuité des frais de port : toute commande de livre réalisée en ligne devra obligatoirement faire l’objet d’une facturation du service de livraison à domicile.
Certes, cette interdiction de gratuité de livraison a surtout une portée symbolique. En effet, le but est principalement d’éviter le message de la gratuité dont se prévaut aujourd’hui Amazon, mais le coût de livraison que ce site internet devra mentionner après l’adoption de la loi sera nécessairement très restreint, et le consommateur aura toujours tendance à s’orienter vers la vente en ligne.
Nos librairies auront donc besoin de témoignages de soutien supplémentaires de la part des pouvoirs publics.
Il est notamment regrettable qu’à l’échelon européen aucune stratégie n’ait pu être adoptée face à la politique d’optimisation fiscale d’Amazon et d’autres plateformes... Cette situation doit nous conforter dans l’esprit de résistance que notre rapporteur, dont je tiens à saluer l’engagement sur ce texte, a évoqué.
Le problème de la position de la Commission européenne est nouveau. Nous ne l’avions pas soulevé en première lecture, car le Gouvernement avait omis de nous informer de l’obligation de soumettre le texte à l’avis de cette instance, comme toute réglementation technique relative aux services de la société de l’information.
C’est d’ailleurs parce qu’il ignorait cette précision que le Sénat a adopté l’un de nos amendements, présenté par Jacques Legendre, qui fixait un délai de trois mois pour l’application de la proposition de loi. Ce délai est devenu inutile du fait de la procédure engagée devant la Commission européenne.
La réponse de la Commission européenne à la notification montre malheureusement sa défiance envers le dispositif que nous nous apprêtons à voter. En effet, elle exige maintenant une renégociation préalable à l’adoption du texte, car elle estime que la mise en place de notre dispositif serait disproportionnée au regard de l’objectif visé et risquerait de restreindre la liberté des détaillants de livres de fournir à leur tour des services en ligne.
Sur la forme, il est certainement regrettable que le Gouvernement ait tant tardé à s’enquérir de l’avis de la Commission européenne. Respecter les préconisations de cette dernière nous obligerait à faire courir de nouveaux délais.
Sur le fond, ces préconisations vont à l’encontre des intérêts que nous défendons, puisque le respect de la procédure souhaitée par la Commission européenne entraînerait un retard dans l’application d’une mesure de soutien économique au secteur du livre, voire son annulation... Or cette mesure est sollicitée par nos libraires, qui subissent actuellement une concurrence qu’il faut bien qualifier de déloyale.
Le groupe UMP s’associera donc au message de fermeté de Mme la rapporteur. Je pense que nous ne devons pas passer à côté de l’occasion de rééquilibrer, autant que faire se peut, les rapports entre détaillants de livres et plateformes en ligne.
En l’occurrence, je pense que la France doit jouer à nouveau un rôle moteur pour répondre aux nouveaux enjeux rencontrés par le secteur du livre, comme elle a pu le faire en adoptant en 1981 le prix unique du livre. À sa suite, onze pays de l’Union européenne ont mis en place un système identique.
Si nous regrettons que le Gouvernement ait été conduit à introduire, à l’occasion de l’examen de ce texte, un cavalier sur les contrats d’édition, qu’il complétera par voie d’ordonnance, il faut pourtant admettre que l’urgence nécessitait ce processus.
Cela ne nous détournera pas de l’objectif que le groupe UMP s’est fixé en déposant cette proposition de loi. Nous voterons donc sans aucune hésitation la version modifiée de ce texte, dont nous nous réjouissons qu’il rencontre de nouveau l’unanimité de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Eblé. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Vincent Eblé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, soucieux de permettre aux libraires de faire face à la concurrence des plateformes en ligne et de maintenir un réseau dense et diversifié de librairies de qualité, à l’instar de nos prédécesseurs qui ont voté en 1981 la célèbre loi Lang, nous abordons ce matin la deuxième lecture de la proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition.
En première lecture, j’ai souligné les souffrances du réseau des 3 000 libraires indépendants de notre pays et les difficultés auxquelles ces professionnels sont aujourd’hui confrontés.
Les libraires subissent une concurrence déloyale puisqu’ils payent leurs impôts en France, contrairement à une certaine plateforme logistique de vente de livres en ligne qui n’acquitte pas d’impôts, tout au moins pas à la hauteur de son activité. Cette structure ne paye pas non plus de taxe sur les surfaces commerciales, puisqu’elle n’en est pas une. De fait, elle ne subit pas les contraintes financières liées à l’augmentation des loyers dans les cœurs de ville. Elle bénéficie même de subventions pour s’installer.
Les libraires rencontrent également des difficultés en raison de l’impossibilité pour eux de systématiser la ristourne de 5 %, leur marge n’étant que de 0,6 %. Ils sont confrontés à des problèmes de trésorerie liés à l’exigence de posséder un stock important, donc coûteux, pour répondre à la demande des clients. Enfin, la cession d’un fonds de commerce de librairie n’est pas aisée dans le contexte actuel particulièrement morose.
S'agissant de l’éventualité de développer une activité de vente en ligne, l’échec du site 1001 librairies.com a révélé que seules les grosses librairies avaient à ce jour les moyens d’investir dans ce secteur et que, dans tous les cas, ces ventes n’étaient ni rentables ni vraiment concurrentielles.
En effet, comment lutter face aux géants de l’internet qui proposent à la fois le port gratuit, la ristourne de 5 % et la livraison en quarante-huit heures maximum au domicile du client à partir d’un catalogue immense, alors que, dans le même temps, les libraires peinent à se procurer des ouvrages en trois jours ?
Face à ces constats, nos libraires n’étant pas des champions internationaux de la logistique, notre intervention était devenue nécessaire. Dans un tel contexte, cette proposition de loi ne peut à elle seule constituer une solution, mais elle s’inscrit dans une action plus globale.
Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, agit depuis longtemps déjà sur ce dossier pour apporter des solutions aux libraires et tenter de nouveau de les sauver.
Le Gouvernement agit en mettant en place un contentieux fiscal pour 190 millions d’euros concernant la période 2006-2010.
Le Gouvernement agit en recherchant une imposition juste au regard des règles de la fiscalité nationale, même si l’assujettissement de ces entreprises à l’impôt sur les sociétés se révèle extrêmement complexe, sauf à ce que l’OCDE réforme les normes fiscales.
Le Gouvernement agit en maintenant le taux de TVA réduit à 5,5 %, au lieu de 7 % comme cela a failli être le cas.
À cela, il faut ajouter les diverses aides en faveur de la promotion de la lecture, du soutien à la création littéraire et du maintien sur le territoire national d’un maillage important de librairies.
En particulier, le « plan librairie » que vous avez engagé, madame la ministre, démontre l’intérêt du Gouvernement pour ces commerces. Il a pour objectif de faciliter la transmission des librairies, d’aider celles qui rencontrent des difficultés de trésorerie et, plus généralement, de mieux les soutenir.
Je rappelle également qu’ici même, au Sénat, sur l’initiative du Gouvernement, nous avons récemment prévu un médiateur du livre et des agents du ministère assermentés pour constater les infractions à la législation sur le prix du livre, comme le demandaient d’ailleurs les organisations professionnelles de la librairie.
Le groupe socialiste tient ainsi à vous féliciter, madame la ministre, de l’ensemble de vos actions et à vous encourager tant le travail qui reste à accomplir est important.
Aujourd’hui, nous le savons, notre réseau de librairies est menacé, et par là même plus de 30 000 emplois.
Ce texte se veut une pierre à l’édifice. Il permet désormais, sur l’initiative de parlementaires seine-et-marnais et après amendement du Gouvernement lors de l’examen par l’Assemblée nationale au mois d’octobre dernier, de limiter les avantages offerts aux clients des plateformes de vente de livres en ligne.
Le travail de notre rapporteur a d’ailleurs permis d’affiner le dispositif adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale en première lecture. Comme il était très difficile, voire impossible, d’intervenir sur des dispositions mettant en cause soit le coût réel des frais de port soit l’établissement d’un prix plancher, Bariza Khiari nous a judicieusement proposé d’interdire simplement la livraison gratuite.
Après son adoption en première lecture par notre assemblée, durant la navette parlementaire, est apparue la nécessité de transmettre ce texte à la Commission européenne, conformément à la directive 98/34/CE, qui prévoit une procédure d’information s’agissant des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société d’information.
Les délais imposés par cette directive ont conduit l’Assemblée nationale à supprimer le délai de trois mois pour la mise en œuvre du dispositif que nous avions introduit sur l’initiative de notre collègue Jacques Legendre et, ainsi, à maintenir la navette parlementaire en attendant l’avis de la Commission européenne.
Comme l’a évoqué Mme la rapporteur, la Commission européenne a émis des réserves sur l’opportunité de ce texte, estimant notamment que les autorités françaises ne lui avaient pas fourni suffisamment d’éléments pour juger de la proportionnalité du dispositif. Si les autorités européennes semblent prêtes à se laisser convaincre par le dispositif de la proposition de loi, cette acceptation ne pourrait se faire qu’au prix d’une renonciation préalable de la France à la mesure d’interdiction de la gratuité des frais de port. À défaut, la France se retrouverait sous la menace d’un contentieux et, de fait, d’une condamnation.
Nous saluons la détermination de notre rapporteur à ne pas succomber à ce chantage. Bariza Khiari a proposé aux membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication d’adopter cette proposition de loi dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale sans modification, ce qu’ils ont unanimement approuvé.
En effet, mes collègues du groupe socialiste et moi-même estimons que nous ne pouvons plus accepter de telles injonctions de l’Europe si celle-ci ne nous protège pas par ailleurs. Elle ne peut pas nous interdire de défendre nos librairies et affirmer ne rien pouvoir contre le dumping social auquel se livrent les grands groupes. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)