M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je rejoins notre collègue Yves Détraigne lorsqu’il salue le travail extrêmement important fourni par Jean-Pierre Michel. En revanche, je ne partage nullement ses conclusions, puisque j’approuve totalement les positions de notre rapporteur et le texte dans sa version amendée par la commission des lois.
Au mois de février 2004, un certain Monsieur B. a demandé un rendez-vous au maire de Châteaubourg que j’étais, afin de solliciter la possibilité d’utiliser des salles de sport. Lors de ce rendez-vous, qui a eu lieu une dizaine de jours plus tard, il m’a exposé les motifs de sa démarche. Il venait de sortir de prison après avoir purgé une peine d’environ deux ans à Nantes, sachant qu’il avait été transféré à Rennes quinze jours avant sa libération, car il a de la famille à Châteaubourg.
Ladite famille était d’ailleurs déjà connue des services sociaux, et le foyer, composé d’un couple vivant dans une promiscuité certaine, ne présentait pas vraiment les conditions de logement adaptées pour accueillir une personne de sexe masculin.
Aussi Monsieur B., qui avait été convaincu au cours de sa détention de l’importance de l’hygiène, souhaitait-il pouvoir utiliser les vestiaires des salles de sport, plutôt que de se laver devant sa belle-sœur dans la cuisine de son frère.
Lorsque je l’ai rencontré, sa situation s’était déjà dégradée en une dizaine de jours.
En effet, libéré de prison avec 200 euros en poche, et déterminé à s’en sortir, il avait commencé par s’inscrire dans une agence d’intérim, puis avait acheté un téléphone portable – il n’y a pas de téléphone chez son frère –, convaincu qu’il serait rapidement contacté par un employeur désireux de le recruter. En outre, comme il avait été sensibilisé en prison à l’importance de l’apparence extérieure, et notamment d’une bonne dentition, il était allé chez le dentiste. Et, après avoir payé la consultation, il s’était rendu compte qu’il n’avait plus d’argent.
Il avait alors décidé de solliciter sa tutrice. Mais, comme cette dernière habite à Nantes, elle ne pouvait lui fournir d’argent que par virement. Et Monsieur B. ne pouvait pas ouvrir de compte bancaire, puisque sa carte d’identité était périmée !
Sa seule possibilité était donc de se rendre jusqu’à Nantes. Sauf qu’il n’avait plus assez d’argent pour acheter un billet de train. Il a donc voyagé sans payer et s’est vu infliger une amende par le contrôleur. En plus, comme il n’avait pas téléphoné avant de venir, une fois arrivé sur place, il s’est rendu compte que sa tutrice n’était pas là. Il est donc revenu à Châteaubourg en train, là encore sans payer, ce qui lui a valu une deuxième amende. Ayant absolument besoin d’argent, ne serait-ce que pour se nourrir ou s’habiller, il est retourné à Nantes dans les mêmes conditions, et s’est encore fait contrôler. Au total, quand je l’ai rencontré, il devait payer six amendes de cinquante-quatre euros chacune, correspondant à trois allers-retours entre Châteaubourg et Nantes. Cela commençait à faire beaucoup.
Monsieur B., qui affirmait être déterminé à s’en sortir, demandait de l’aide. Sa tutrice décida de lui envoyer un mandat. Mais, à la poste, il ne pouvait pas récupérer l’argent envoyé, puisque sa carte d’identité était périmée. Et, n’ayant pas d’argent, il ne pouvait pas faire les photos d’identité indispensables pour l’obtention d’une nouvelle carte.
Au sein de la mairie, nous avons réussi à débloquer pour partie la situation, notamment en appelant la poste. Mais sa tutrice demeurait toujours à Nantes, et le suivi n’était pas réalisé. Comme nous n’avions pas accès au dossier et ne disposions pas de l’ensemble des éléments, il ne nous était pas possible de l’aider correctement.
Alors, il a récidivé. Au bout de plusieurs mois, il m’a écrit de prison, m’expliquant qu’il voulait toujours s’en sortir. Il voulait que nous le recevions, pour l’aider. J’ai dit que je ferais ce que je pourrais.
Il a de nouveau récidivé, après être sorti une deuxième fois de prison. Aujourd'hui, il y est retourné.
Vous me direz qu’il s’agit d’un cas particulier et que la gauche a tellement tempêté contre le fait de légiférer à partir de cas particuliers. Vous avez raison, on ne légifère pas à partir de cas particuliers quand il s’agit de faits divers exceptionnels, certes médiatiques et médiatisés. Mais le cas de Monsieur B. n’est pas un fait divers exceptionnel et médiatisé. Monsieur B. est un monsieur comme tant d’autres. À l’instar de 80 % de ceux qui sortent de prison, il n’a pas été accompagné une fois sa peine accomplie et n’avait donc aucune chance de réussir à se réinsérer.
Monsieur B. m’avait dit qu’il avait fait des erreurs, et qu’il les avait payées. Il ne voulait pas les réitérer, mais il n’a pas réussi.
Madame la garde des sceaux, nous vous suivrons bien évidemment sur ce texte, qui s’attaque au réel problème de la prison, sanction comprise… ou non comprise. Surtout, il s’agit de ne plus voir de Monsieur B., d’empêcher les sorties de prison non accompagnées, à l’origine de nombreuses récidives, malgré toute la volonté des personnes concernées.
Ce texte est très loin du laxisme dont on l’accuse.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Virginie Klès. Quand on n’accuse pas la loi de laxisme, on s’en prend aux juges ! C’est toujours le même discours qui revient quand le système ne fonctionne pas ! Où est le laxisme dans le cas de Monsieur B. ? Non, il s’agit non pas d’un texte laxiste, mais d’un texte lucide, qui se fonde sur un vrai diagnostic de la délinquance et de la récidive et s’attaque à la réelle cause des échecs.
C’est un projet de loi en cohérence, cela a été rappelé tout à l’heure, avec un certain nombre d’autres textes que nous avons adoptés ici, au Sénat, avec un certain nombre de positions que nous avons prises ici même, quelles que soient d’ailleurs les travées sur lesquelles nous siégeons.
Ce texte vise à prévoir un suivi efficace des détenus au moment de leur sortie de prison. C’est un texte de courage, parce qu’il faut du courage et de la pédagogie pour tenir un discours de vérité auprès du grand public. Il faut du courage pour expliquer que la dissuasion ne repose pas sur le quantum des peines, que tous les délinquants sont persuadés qu’ils ne seront pas pris. Chaque fois que Monsieur B. a pris le train, il pensait qu’il ne serait pas contrôlé.
Il faut du courage pour rappeler que toute peine, quelle qu’elle soit, a une fin. Il faut donc que les conditions soient réunies pour que la personne sanctionnée, une fois sa peine effectuée, puisse repartir sur ses deux jambes, sur un autre chemin.
Il faut du courage pour affirmer que la dissuasion ne suffit pas, aussi bien pensée soit-elle. Il faut aussi de la persuasion, pour convaincre qu’une autre voie, une autre vie que celle offerte par la délinquance est possible. Il faut du courage pour affirmer qu’il convient de chercher l’inclusion et non l’exclusion, même si l’enfermement peut être nécessaire dans certains cas, pendant un moment donné.
C’est un texte d’innovation et de confiance envers les professionnels de la justice, les magistrats et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Il se fonde sur les expériences déjà menées par certains de nos voisins.
C’est un texte d’innovation : il permet en effet de sortir du raisonnement ayant si longtemps prévalu, selon lequel l’augmentation des peines suffit à faire diminuer la délinquance. On l’a vu tout au long de la soirée, ce paradigme est aujourd'hui battu en brèche.
Bien sûr, on peut affirmer que ce texte est destiné à faire sortir les gens de prison. Tel n’est pourtant pas le cas ! Aux yeux de mon groupe, un projet politique ne se contente pas de chiffres, et ne traite pas les êtres humains comme des numéros. Un projet politique, c’est un vrai projet, qui vise à faire diminuer la délinquance, à lutter contre la récidive, à réinclure et à réinsérer des personnes qui, à un moment donné, ont enfreint la loi.
Bien évidemment, si l’adoption de ce texte avait pour conséquence de vider les prisons, ce serait une saine conséquence, ne serait-ce que parce qu’elles seraient ainsi rendues plus dignes, plus efficaces, plus utiles à la société. Selon moi, les prisons françaises sont aujourd'hui la honte de notre République.
Ce projet de loi ne nie pas les évidences. Oui, la récidive existe et existera. Non, nous ne parviendrons jamais à un taux de récidive ni à un taux de délinquance de 0 %. La récidive est une rechute qui ne signifie pas la perte de tout espoir. Voyez, sur ce sujet, le parcours de Yazid Kherfi, qu’il décrit lui-même dans ses livres. Il a récidivé plusieurs fois avant de se sortir définitivement de la délinquance et de devenir éducateur en milieu carcéral, afin d’aider des jeunes à sortir eux aussi de la délinquance.
Quant à nos prisons, elles sont aujourd'hui une école de l’humiliation. Or l’humiliation n’a jamais été la bonne porte de sortie de la délinquance.
Ce projet de loi, qui comporte quatre grands points, vise à créer une nouvelle peine, la contrainte pénale. Ne mentons pas en y associant le terme de crime, qui est si mal compris par nos concitoyens. Un crime n’est pas un homicide ! Un crime, dans notre code pénal, c’est une certaine catégorie d’infractions. L’existence de la contrainte pénale ne signifiera pas que les personnes ayant commis un homicide n’iront pas en prison ! Tenons ce discours de vérité.
Pour résumer, ce texte tend à créer une nouvelle peine, à proscrire toute sortie sèche et à prendre en compte la place des victimes, même si celles-ci ne doivent pas être au centre du procès pénal. Parce que des moyens sont prévus – le Gouvernement s’y est engagé, et je lui fais confiance –, ainsi qu’une évaluation de la loi, qui fera office de juge de paix en 2017, la prévention de la récidive connaîtra des victoires, j’en suis intimement persuadée.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf. (M. Philippe Bas applaudit.)
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, dont l’intitulé a changé, puisqu’il s’agit désormais de « renforcer l’efficacité des sanctions pénales », constitue la première réforme de politique pénale d’importance depuis l’alternance des dernières élections présidentielle et législatives.
En montant à cette tribune me revient en mémoire le rôle que j’ai eu l’honneur de jouer, en tant que rapporteur de la commission des lois, lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire. Le regard que nous portions sur l’univers carcéral était alors largement partagé, de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, présidée par Louis Mermaz, qui avait notamment exprimé le souhait de rompre le cercle vicieux liant l’accroissement du nombre de détenus et l’augmentation des capacités d’accueil en prison, à la commission d’enquête du Sénat, présidée par Jean-Jacques Hyest, dont le titre, Prisons : une humiliation pour la République, claque encore et toujours à nos oreilles (Mme la garde des sceaux opine.), jusqu’à l’implacable réquisitoire de Nicolas Sarkozy devant le Congrès du Parlement en juin 2009 : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? »
Bien sûr, la discussion de la loi pénitentiaire n’a pas totalement échappé aux querelles convenues entre majorité et opposition. Tout de même, surtout au Sénat, nous étions souvent parvenus à dépasser nos divergences, pour élaborer ensemble un texte de rupture avec un passé qui n’honore pas toujours notre pays. Car si, comme le pensait Albert Camus, une société se juge à l’état de ses prisons, la nôtre ne méritait guère l’acquittement.
C’est le Sénat, mes chers collègues, qui a marqué de son empreinte la loi pénitentiaire, de l’obligation d’activité à la sauvegarde du principe de l’encellulement individuel, de la réforme du régime des fouilles au choix du développement des aménagements de peines et des alternatives à l’incarcération, de la définition du sens de la peine à la refonte des conditions de détention. C’est le Sénat qui a convaincu nos collègues députés de se rallier à ces choix essentiels lors de la commission mixte paritaire, et qui a largement forcé la main du Gouvernement et des gardes des sceaux de l’époque.
Plus récemment, avec notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, dont je n’ai pas oublié que nous n’appartenions pas au même groupe (Sourires sur les travées du groupe CRC.), nous avons commis un rapport sur l’exécution, qui laissait encore beaucoup à désirer, de la loi pénitentiaire. Nous en avons partagé tous les deux, elle présidente du groupe communiste et moi sénateur de l’UMP, l’intégralité des conclusions. Et si l’on me taxait sur ce dossier d’UMPC, je prendrais cela comme un compliment. (Même mouvement.)
Je pensais, j’espérais, je croyais donc que, sur ces questions si difficiles mais si essentielles, dans le respect le plus absolu de la souffrance des victimes et de leurs familles et la volonté de réparer autant que faire se peut les torts qu’elles ont subis, dans la recherche des moyens les plus performants pour lutter contre la récidive, dans la prise en compte aussi de la désespérance de bon nombre de condamnés, nous pourrions nous retrouver, de droite, de gauche, du centre ou d’ailleurs, côte à côte et non frontalement opposés.
La lecture du compte rendu des débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale n’a guère répondu à mes attentes. J’y ai retrouvé un manichéisme que je croyais dépassé, une opposition paraissant irréductible entre deux camps, aussi convaincus l’un que l’autre de détenir le monopole de la vérité et parfois, pour ne pas dire souvent, méprisants à l’égard de ceux qui ne partageaient pas leurs convictions.
D’un côté de l’hémicycle, j’ai cru comprendre qu’il fallait arrêter tout travail de réinsertion, de peur d’inciter les personnes à passer par la case prison pour devenir prioritaire pour en bénéficier... De l’autre côté, une collègue s’adressait à ses « camarades, et seulement à eux » dans une appréhension pour le moins cloisonnée de la démocratie.
Enfin, j’ai quelques difficultés à comprendre qu’une loi de la République portant sur la rétention de sûreté puisse être à de multiples reprises disqualifiée et traitée de loi honteuse. J’entends et respecte les arguments de ceux qui veulent son abrogation, mais en quoi est-il honteux, mes chers collègues, de voter une législation dont on attend qu’elle puisse éviter un certain nombre, même limité, de crimes, et épargner un nombre, même limité, de victimes potentielles ? On ne peut condamner cette loi pour son manque d’application puisque, comme toute loi pénale plus sévère, elle ne pouvait être rétroactive. N’ayant pas été suivi sur ce point en tant que rapporteur du Sénat, j’avais dit que le Conseil constitutionnel me donnerait raison, c’est ce qui s’est passé, et je n’entrerai pas ici dans le débat entre peine et mesure de sûreté.
Je me permets simplement de rappeler une audition qui m’a profondément marqué, celle d’une jeune femme responsable d’une association de victimes, elle-même victime d’un violeur en série. Elle était allée trouver le garde des sceaux de l’époque, à la veille de la libération de l’homme qui l’avait violée, lui demandant de ne pas le laisser sortir, tant elle était certaine de l’immédiateté de sa récidive, ce qu’il affirmait d’ailleurs lui-même. La rétention de sûreté n’existait pas, la peine avait été purgée, le délinquant fut libéré et il a récidivé comme il l’avait annoncé. Elle me disait encore, sans l’ombre d’une volonté de vengeance, que ce qu’elle ne supportait pas c’est que, pendant son incarcération, « il avait simplement fait de la fonte », c'est-à-dire de la musculation – c’est en effet ce qu’on arrive à faire le plus facilement en prison – mais n’avait suivi aucun traitement, participé à aucun groupe de parole, ni bénéficié d’aucun soin de nature à éviter ou même à limiter le risque de récidive.
Je veux aussi dire ici combien les associations de victimes savent faire preuve de réflexion, de modération et de proposition, bien davantage que les associations qui s’expriment à la place des victimes, prétendant parler en leur nom.
Je connais ainsi bien des familles de victimes qui s’impliquent dans la justice restaurative et qui pourraient être bien inutilement blessées par certains commentaires pour le moins hâtifs, évoquant des séances de « câlinothérapie » destinées à faire se rencontrer auteurs et victimes. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Je n’invente rien, ces propos ont été tenus à l’Assemblée nationale.
M. Jean-René Lecerf. Enfin, et j’en termine sur la rétention de sûreté, ne pensez-vous pas que sa suppression pourrait entraîner ou entraînera peut-être inéluctablement l’allongement des peines par les jurys populaires, puisque ces derniers sauront qu’à l’issue d’une peine plus modérée aucun examen de dangerosité, réalisé sur de longues durées par des équipes pluridisciplinaires dans un centre national d’évaluation ne pourrait plus conforter ou infirmer la mise à l’écart de la société ?
Mais sur le projet de loi lui-même, j’ai d’autant moins de critiques à formuler qu’il s’inscrit, on l’a dit, dans l’étroite continuité de la loi pénitentiaire de 2009. Il en va ainsi du sens de la peine, qui concilie la sanction du condamné, la protection de la société, les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue pour lui permettre, disait-on en 2009, de mener une vie responsable et exempte d’infractions. Il n’avait d’ailleurs pas été facile, en 2009, d’introduire le sens de la peine. On nous avait reproché d’être bavards et moralisateurs. Je me réjouis que les opinions aient évolué.
Il en va de même de la volonté, en matière délictuelle, de faire de la prison l’exception et de l’aménagement de peine la règle. Grâce à notre rapporteur, nous en revenons même aux dispositions de la loi pénitentiaire s’agissant du seuil permettant un aménagement de peine. Jean-Jacques Hyest a évoqué précédemment le nombre de fois où il a fallu ferrailler pour éviter la remise en cause de cette disposition d’une loi dont l’encre était à peine sèche.
En outre, je suis convaincu de l’absolue nécessité de rétablir ou de confirmer – peu importe – la confiance à l’égard des magistrats et de leur donner la plus grande liberté d’appréciation. La suppression des peines planchers comme l’absence de toute libération anticipée automatique vont dans ce sens, tandis que la contrainte pénale devrait offrir une nouvelle opportunité de sanctionner et de réinsérer, détachée, du moins dans un premier temps, de l’univers carcéral.
Mais – car il y a un « mais », madame le ministre ! – ce sont d’abord les moyens financiers, et donc les capacités d’accompagnement de ces politiques, essentiellement par des personnels d’insertion et de probation, mais aussi par des associations spécialisées, qui décideront du succès ou de l’échec de cette réforme.
Une fois encore, je me souviens de la loi pénitentiaire. L’étude d’impact qui y était jointe prévoyait le recrutement de 1 000 conseillers d’insertion et de probation pour faire face aux enjeux de la réforme. Ils ne furent pas assez nombreux au rendez-vous, sans doute parce que nous étions engagés dans la suite du programme Perben de construction de 12 000 nouvelles places de prison, qu’une place de prison coûte aujourd’hui entre 120 000 et 150 000 euros et que, bien entendu, ces établissements nouveaux ne peuvent fonctionner sans les personnels de surveillance nécessaires.
Or, en l’état de nos budgets, et gouvernement après gouvernement, notre budget de la justice fait quelque peu figure de parent pauvre des budgets européens. Il serait bien aventureux de vouloir intervenir significativement à la fois dans l’extension du parc pénitentiaire et dans le recrutement d’agents d’insertion et de probation.
Les programmes Chalandon, Méhaignerie, Perben ont permis la mise à disposition d’environ 30 000 places supplémentaires, qui étaient indispensables.
Le ratio d’incarcération de notre pays ne peut, certes, se comparer à celui des États-Unis ou de la Russie, mais serait-ce bien raisonnable ? Il est certes inférieur à celui de la Grande-Bretagne, mais supérieur à celui de l’Allemagne ou des pays nordiques.
L’urgence aujourd’hui c’est bien de se donner les moyens de la réussite dans les aménagements de peines et la contrainte pénale, tout en cherchant à lutter contre la surpopulation carcérale, source de tous les maux dans nos prisons, tant pour les personnes détenues que pour le personnel pénitentiaire, et notamment le personnel de surveillance dont le nombre n’évolue guère en fonction de cette surpopulation.
Je rappelle aussi la présence envahissante, dans nos prisons, de la maladie mentale.
Un rapport sénatorial réalisé par les commissions des lois et des affaires sociales estimait à 10 % de la population carcérale les personnes souffrant de problèmes psychiatriques tels que la peine n’a aucun sens à leur égard. Cette proportion demeure importante.
S’il est difficile de sortir ces personnes de l’univers carcéral – et la création des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, permet de prendre acte de cette situation anormale –, peut-être pourrait-on au moins faire en sorte, par une grande loi sur la santé mentale et le rétablissement de lits psychiatriques en milieu fermé, de ne plus les y faire entrer. Dans une démocratie aussi avancée que la nôtre, la prison ne doit pas se transformer en asile du XXIe siècle.
Enfin, qu’il me soit permis de remercier notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, d’avoir introduit dans le projet de loi le dispositif de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, déposée par Christiane Demontès, Gilbert Barbier et moi-même, texte dont il était le rapporteur, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’en était pas cosignataire. L’altération du discernement cessera ainsi d’être une circonstance aggravante pour devenir une circonstance atténuante, et les garanties concernant l’obligation de soins seront renforcées pendant et après la détention.
Bien qu’elle ait été adoptée à l’unanimité au Sénat, contre l’avis du Gouvernement, le 25 janvier 2011, cette proposition de loi jouait la belle au bois dormant entre le palais du Luxembourg et le Palais-Bourbon ; une situation d’ailleurs assez fréquente... Merci de l’avoir réveillée !
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, même si ce n’est pas le plus important, je crois aussi que la discussion de ce projet de loi représentera pour le Sénat, dont les pouvoirs et l’utilité sont parfois aujourd’hui, çà et là, contestés, l’opportunité de montrer son rôle irremplaçable dans notre démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.