M. Bruno Sido. Quel numéro ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Toutefois, je veux avant tout redonner confiance à la communauté des chercheurs, parce qu’elle en a besoin et parce notre avenir en dépend.
Le rayonnement de notre pays, la survie non pas seulement de notre économie, mais aussi de notre société, dépendent de la confiance que nous accorderons au progrès, un progrès maîtrisé, respectueux de l’environnement, mais qui soit tout de même porté par l’ensemble des citoyennes et des citoyens.
Donc, pour ces raisons, je le répète, tout en déplorant le retrait de l'amendement n° 1,…
M. Bruno Sido. Dans ce cas, reprenez-le !
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. … je m’en remettrai tout à l'heure à la sagesse du Gouvernement sur l'amendement n° 3 rectifié bis.
M. le président. L'amendement n° 1 ayant été retiré, les trois amendements suivants seront examinés séparément.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est dommage !
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Jouanno, MM. Lasserre et Roche, Mme Morin-Desailly et M. Marseille, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Comme je l’ai expliqué dans le cadre de la discussion générale, la plupart des dispositions de cet article unique me posent problème. Aussi, je propose de n’en conserver que la dernière partie concernant la formation à l’environnement et de supprimer toutes les autres dispositions, qui m’apparaissent soit inutiles, soit dangereuses en termes de contentieux potentiels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, pour l’évidente raison que l’adoption de ce dernier aurait pratiquement pour effet de faire disparaître la proposition de loi !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous vous retrouvons, madame la secrétaire d'État ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Détraigne, Mme Férat et MM. Capo-Canellas, J. Boyer, Merceron et Amoudry, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...) Les mots : « et dans leurs domaines d'attributions » sont remplacés par les mots : « dans leurs domaines d'attributions et dans les conditions définies par la loi » ;
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Cet amendement vise également à préciser, à encadrer par la loi l’application exacte du principe de précaution, mais dans des conditions qui seraient définies par une loi simple, et non pas par une loi organique.
L’application du principe de précaution doit être encadrée ; le législateur explique ce qu’il veut au travers du principe de précaution qu’il a voté. Nous suggérons donc, au travers de cette disposition qui avait déjà été proposée au moment de la discussion initiale de la Charte, d’encadrer dans des conditions définies par la loi l’application du principe de précaution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement, que j’expliciterai en apportant quelques explications complémentaires.
Tout d’abord, je souligne que l’amendement de M. Détraigne est conforme à la position exprimée il y a dix ans par M. Robert Badinter. Celui-ci ne parlait pas de loi organique, il parlait de la loi. Ce n’est même pas la loi ordinaire, c’est la loi in abstracto, c’est-à-dire le texte qui crée des normes applicables. Il peut donc, dans certains cas, s’agir d’un règlement.
Ainsi, le Préambule de la Constitution de 1946 énonce que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Or il y a très peu de lois qui réglementent le droit de grève.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il y en a bien une sur la grève dans les services publics, mais c’est la seule.
Par conséquent, nous sommes là dans un domaine où « la loi » est un terme abstrait. Ce n’est pas un terme qui désigne la loi ordinaire ou la loi organique ou la loi constitutionnelle ou un règlement.
M. Charles Revet. C’est la loi in abstracto !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà ! Par ailleurs, pourquoi ne peut-il s’agir d’une loi organique ? L’article 46 de la Constitution dispose : « Les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de lois organiques sont votées [….] » En d’autres termes, c’est la Constitution qui confère le caractère organique à une loi. A-t-on jamais vu une seule disposition du préambule de la Constitution, que ce soit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Préambule de 1946 ou la Charte de l’environnement renvoyer à une loi organique ?
Ce serait d'ailleurs extrêmement dangereux pour la suite. Imaginez que puisse être renvoyée à une loi organique la modification de telle ou telle disposition du Préambule de 1946 ! Dès lors, le caractère supraconstitutionnel ou constitutionnel des préambules se trouverait affecté par cette disposition.
Par conséquent, la formulation proposée par M. Détraigne est conforme à ce qui s’est déjà pratiqué pour le Préambule de 1946, mais il ne faut pas aller plus loin.
En outre, la loi organique prévue par l’amendement n° 1, qui a été retiré, avait un grave inconvénient, celui de rendre inapplicable le principe de précaution tant qu’une loi organique n’aurait pas été adoptée. Pour l’instant, tant qu’il n’y a pas de loi, ce principe est d’application immédiate, exactement comme le droit de grève.
C’est la raison pour laquelle nous donnons, dans un esprit de consensus, un avis favorable à cet amendement déposé par M. Détraigne.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. À l’égard de la proposition de M. Détraigne, je réitère tout de même mes réserves, qui ne portent pas tant sur l’aspect juridique que sur l’aspect politique de son argumentation.
Si l’on juxtapose les principes d’innovation et de précaution dans la Constitution, on retrouvera exactement les mêmes désordres de jurisprudence. On ne pourra pas avoir de débat démocratique, ni les précisions que permet une loi, qu’il s’agisse d’une loi ordinaire ou d’une loi organique.
Le problème est donc plutôt de surcharger la Constitution et de juxtaposer des notions qui ne devraient jamais être mises en complémentarité ou en opposition, pour peu qu’elles soient définies dans un texte de loi qui a été débattu démocratiquement.
Or, là, en faisant les choses à la va-vite, on prend pour le coup un plus grand risque – puisqu’il a été question de risques –, celui d’introduire dans la Constitution une complexité complémentaire que l’on ne maîtrisera pas, dont on ne contrôlera pas la jurisprudence, parce que les précisions n’auront pas été données.
Encore une fois – que ce soit bien compris –, le Gouvernement est tout à fait favorable à l’innovation. Il a été le premier à demander un rapport à Louis Gallois, qui avait une expérience de cette innovation et de sa diffusion. Il a aussi été le premier à renverser la logique s'agissant de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. D'ailleurs, je n’ai pas souvenance, monsieur Détraigne, que votre parti ait, à ce moment-là, émis un seul vote favorable sur ces questions, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat…
Nous avons donc donné des preuves de notre attachement à l’innovation, au progrès et surtout à la liberté de la recherche, pour peu que celle-ci soit encadrée lorsque les procédés ou les explorations mis en œuvre requièrent des précautions particulières.
C’est pourquoi, tout en réitérant sa confiance dans la recherche et dans l’innovation – ce sont deux choses différentes –, mais aussi dans les chercheurs et dans la capacité de notre pays d’entreprendre, afin de transformer l’invention du laboratoire en innovation adaptée à l’industrie et développée en emplois, le Gouvernement ne peut pas souscrire à la complexité juridique et aux risques supplémentaires en termes de jurisprudence que votre amendement tend à introduire.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement s’en remet à la sagesse de votre assemblée. Je ne veux pas que notre position soit mal interprétée, mais je tenais à réitérer ces réserves, qui me paraissent tout de même pouvoir être prises en considération et débattues.
Nous ne sommes pas ici dans une démarche de grand débat, je le regrette également, mais je m’en remets à la sagesse du Sénat, à qui l’on reconnaît traditionnellement cette qualité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne suis pas un grand scientifique, je ne suis qu’un modeste juriste. On m’a appris, à la faculté de droit, ce qu’était qu’une loi organique : l’application de certaines dispositions constitutionnelles à l’organisation des pouvoirs publics. Il y en a d'ailleurs extrêmement peu dans la Constitution.
Renvoyer un principe à une loi organique, c’est juridiquement absurde. Et ma position sur ce point tient uniquement à des motifs juridiques.
Par ailleurs, j’observe – M. Détraigne aurait pu faire cette remarque – que le texte ne crée pas de principe d’innovation, mais précise que l’on veille à l’innovation. Il est dit, dans les dispositions relatives au principe de précaution, que l’on doit veiller aussi à « la promotion de l’innovation », ce qui n’est pas tout à fait pareil.
En fait, on applique le principe de précaution inscrit dans la Charte depuis son adoption ; des lois existent qui permettent de veiller à l’application du principe de précaution, mais il y a aussi des règlements, des décisions administratives. C’est un principe de procédure, nous a-t-on dit – je renvoie sur ce sujet au rapport de notre excellent doyen Gélard –, et qui est d’application directe.
On peut bien sûr faire des lois, mais prévoir une loi organique, ce qui serait tout de même un paradoxe juridique, et même introduire un nouvel article 34-2 dans la Constitution, c’est peut-être aller trop loin... On peut certes bouleverser la Constitution. On a déjà fait la Charte de l’environnement, qui est, de mon point de vue, un objet juridique et constitutionnel assez mal identifié. Certains auraient été prêts aujourd'hui à adopter un article 34-2 pour l’appliquer. Il me paraît préférable de s’en tenir à quelques principes juridiques ; c’est quand même la moindre des choses !
Je me demande d'ailleurs, mon cher collègue – vous l’aviez proposé à l’époque et cela n’avait pas été accepté, je m’en souviens fort bien –, si le principe de précaution s’applique uniquement dans le cadre des lois. Ce n’est pas sûr… À ce moment-là, faudrait-il renvoyer à l’article 34 de la Constitution, en disant que les textes qui concernent ce principe de précaution font l’objet de lois ? Non ! On voit bien qu’il y a quand même là une hésitation. Je m’interroge donc encore sur l’intérêt d’ajouter cette notion de loi.
M. Bruno Sido. On ne vote plus l'amendement, alors ?
M. Jean-Jacques Hyest. Vous ferez comme vous voudrez ! (Sourires.)
Je ne fais que donner mon avis, mais je pense qu’il faut se méfier des blocages. On dira : « il faut une loi ! » ; mais cela entre-t-il dans le domaine de la loi ?
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Je ne suis pas un scientifique et je suis un bien plus modeste juriste que Jean-Jacques Hyest. Néanmoins, j’ai effectivement appris en première année de droit quel était l’objet de la loi organique, et nous n’y sommes pas du tout lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des principes ou des droits, qu’ils soient sociaux, économiques, civils ou environnementaux d'ailleurs.
Nous ne sommes pas là pour définir le fonctionnement de nos institutions, de nos corps constitués. Nous sommes en plein dans le domaine de la loi. Et je m’étonne quelque peu que Mme la secrétaire d’État parle de la complexité qu’induirait cet amendement, alors que c’est précisément la loi organique, en l’espèce inadaptée, qui ajouterait une complexité !
Je suis, pour ma part, très attaché à la valeur constitutionnelle du principe de précaution. Mme la secrétaire d'État disait que celui-ci peut être en contradiction avec d’autres principes. Certes, mais c’est tout à fait normal ! Tous les principes constitutionnels sont, dans l’absolu, contradictoires les uns avec les autres : on en a un exemple avec la liberté et l’égalité. C’est à la loi et à la jurisprudence constitutionnelle d’établir des compromis entre des principes contradictoires. Pour autant, il serait souhaitable, dans bien des cas, que cela soit réglé par la loi.
J’avais d’abord craint que l’adoption de l’amendement de M. Détraigne n’offre à ceux qui, sans forcément le dire, parfois même dans ma famille politique, sont opposés au principe de précaution le moyen de supprimer l’applicabilité directe de ce dernier. Il faudrait, en effet, attendre une loi, ce qui, finalement, pourrait ôter toute portée à ce principe.
En réalité, ce n’est pas du tout le cas ! Le renvoi à la loi pour la mise en œuvre d’un principe constitutionnel ne supprime nullement l’applicabilité directe de celui-ci, même si cela n’a pas été précisé. L’exemple le plus flagrant a été rappelé par M. le rapporteur : c’est l’exercice du droit de grève. Il s’agit d’un droit à valeur constitutionnelle qui, bien qu’il renvoie à une loi, s’applique malgré tout. Les victimes de risques potentiels doivent bénéficier du droit que leur ouvre le principe de précaution.
Par ailleurs, je rappelle que le principe de précaution est inscrit dans l’ordre juridique européen : il a donc, de toute façon, une valeur supra-légale.
Cet amendement n’est donc pas forcément indispensable, mais, sur un plan pédagogique, il n’est pas inutile. L’objet principal de la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui est de rappeler que le principe de précaution est également un principe d’innovation.
Personnellement, j’estime que la rédaction initiale de la Charte, que j’ai relue avant notre débat de ce soir, est excellente. Pour autant, il ne serait pas forcément inutile que, dans certains domaines, le législateur précise les modalités de mise en œuvre des principes constitutionnels.
Pour conclure, cet amendement n’est pas indispensable, mais il n’est pas non plus inutile. Dès lors, autant le voter !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Vous l’avez rappelé, monsieur Grosdidier, le principe de précaution figure dans l’ordre juridique européen : un règlement de 2002 prévoit un processus précis, en six étapes, d’évaluation et de prévention des risques connus.
Force est de constater que, en réalité, l’introduction du principe de précaution, par la Charte de l’environnement, dans notre Constitution est d’une portée qui est à la fois plus exigeante et plus floue. Par conséquent, si l’on souhaite éviter que les non-juristes ne fassent du principe de précaution un principe d’abstention, il est préférable de le préciser dans une loi plutôt que d’attendre la jurisprudence.
Je formulerai quelques remarques supplémentaires.
Tout d’abord, le progrès scientifique n’entraîne pas toujours celui des sociétés. En revanche, il en est une condition indispensable.
Ensuite, la situation actuelle de la planète et l’exploitation de cette dernière exigent que des efforts scientifiques soient menés pour comprendre la situation et protéger ses habitants. Dans ces conditions, le premier risque, c’est de ne pas en prendre.
Le principe de précaution devrait plutôt s’appeler « obligation d’anticipation ». Il faudrait d’abord procéder à une analyse raisonnée, maîtrisée et collective du risque. La régulation devrait se faire par la démocratie représentative et ne pas consister en une gestion médiatique des fantasmes véhiculés sur des bases non rationnelles.
Le principe de précaution doit s’appuyer sur une analyse des conséquences néfastes possibles sur la base des connaissances scientifiques disponibles. Par conséquent, sans approfondissement de ces connaissances, il ne pourra être correctement appliqué.
Enfin, cela a été rappelé, le principe de précaution doit être contrôlé par les tribunaux. Il s’agit, en fait, d’une procédure.
En conclusion, le principal risque pour la planète et ses habitants, c’est l’incapacité des hommes à s’émanciper de l’ignorance et de l’oppression. La France a toujours porté un message universel issu du siècle des Lumières : il faut comprendre l’inconnu et s’émanciper par l’éducation et la recherche. Aujourd’hui, nous devons rester fidèles à ce message. Je le redis, plutôt que de principe de précaution, je préférerais que l’on parle d’obligation d’anticipation, qui conjuguerait conviction dans la force du progrès et maîtrise collective de celui-ci par l’éducation et le droit.
Pour ces raisons, je voterai l’amendement de M. Détraigne.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Ma conviction est toujours la même : ce texte est absolument inutile et vain, à moins que l’on estime, si l’on est quelque peu paranoïaque, qu’il cache d’autres desseins…
J’aimerais éclaircir les choses. On compare l’amendement de M. Sueur, qui tend à renvoyer à une loi organique, à celui de M. Détraigne, qui vise à proposer une loi simple. Toutefois, ce n’est pas la seule différence ! Le premier a pour objet de prévoir une rédaction de l’article 34-2 de la Constitution qui se substitue à celle de la proposition de loi constitutionnelle, alors que le second tend à en quelque sorte à s’introduire dans le texte visé.
Aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression que nous assistons à un jeu de rôles, dont on connaît déjà l’issue. On dépose un amendement pour le retirer ensuite, on a des états d’âme, on défend les chercheurs, mais on s’en remet avec tristesse à la sagesse du Sénat… Madame la secrétaire d'État, nous avons adopté une loi sur les lanceurs d’alerte, certes, mais cela fait plus d’un an que nous attendons les décrets d’application. Pendant ce temps, les lobbys sont tranquilles ! Tout cela me donne une mauvaise impression.
On se réfère au grand Robert Badinter. Les propos qui ont été cités sont admirables. Nous avons tous connu son charisme et son talent. Néanmoins, rappelez-vous, mes chers collègues, que lorsque nous avons débattu de la Charte de l’environnement, ce n’était pas son meilleur jour : il en avait contesté la rédaction au nom de la laïcité. En effet, il était écrit que l’avenir de l’humanité dépendait du bon état des écosystèmes, et Robert Badinter estimait que cela pouvait froisser les croyants, pour lesquels l’avenir dépend d’autre chose…
Je n’aurais pas voté l’amendement de M. Sueur s’il avait été maintenu, pas plus que je ne voterai celui de M. Détraigne. J’ai entendu les propos du doyen Gélard, repris par certains de nos collègues. Pour autant, en tant que citoyenne et parlementaire, il ne m’a pas convaincue que le renvoi à une loi ne risque pas d’ouvrir un espace-temps dans lequel s’engouffreront les lobbys du gaz de schiste. Ces derniers pourront arguer que, en l’absence de loi, le principe de précaution ne s’applique pas : « En attendant, allons-y, sortons les foreuses ! »
M. Daniel Raoul. Oh là là !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mes chers collègues, la loi qui complète la Charte existe déjà : il s’agit du code de l’environnement et de la réglementation du ministère de la santé !
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Par conséquent, cet amendement n’est, en quelque sorte, que la reconnaissance d’une réalité.
J’ajouterai que, sans l’amendement de M. Détraigne, rien n’interdira un jour à un justiciable de déposer une question prioritaire de constitutionnalité contre les dispositions du code de l’environnement pour non-conformité à la Charte de l’environnement.
Cet amendement est donc tout à fait logique. Une loi existe déjà ; il ne fait que la reconnaître.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'UDI-UC.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 185 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 281 |
Contre | 37 |
Le Sénat a adopté.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Grosdidier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
, à un coût économiquement acceptable,
insérer les mots :
au regard des enjeux sanitaires et environnementaux
La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Cet amendement vise à modifier la rédaction de l’alinéa 3, qui mentionne un « coût économiquement acceptable » à l’article 5 de la Charte de l’environnement.
J’étais décidé à voter le texte initial, mais cette rédaction, issue de l’adoption d’un amendement de M. le rapporteur, me gêne énormément. En effet, les mesures, notamment d’évaluation, à prendre en cas de survenue d’un risque potentiel doivent rester proportionnées à ce risque qui, même s’il est hypothétique, pourrait tout de même affecter l’environnement « de manière grave et irréversible ». Autrement dit, le coût des mesures doit tenir compte de la gravité des risques.
Le texte évoque un coût « économiquement acceptable », sans préciser, d'ailleurs, pour qui il le serait. Est-ce pour le générateur du risque, qui prend le risque non pas pour lui, mais pour la société ou pour l’environnement ? Il est assez rare qu’il considère le coût des mesures comme inacceptable ! Du reste, s’agit-il du coût immédiat ou d’un bilan coûts-avantages agrégeant l’ensemble des coûts, y compris sociaux, sanitaires, environnementaux et éventuellement économiques, pour la société elle-même ?
Selon la rédaction actuelle du texte, le « coût économiquement acceptable » concerne celui qui crée le risque sans le prendre. Or, ceux qui prennent le risque ne l’ont généralement pas souhaité ! Les dispositions de l’alinéa 3 sont donc contradictoires avec l’idée de proportionnalité.
Pour reprendre l’exemple de l’amiante, que certains ont évoqué, nous sommes, depuis les années quatre-vingt, dans la prévention, le risque étant certain, avéré. Toutefois, des années soixante aux années quatre-vingt – on peut débattre de la date –, le risque était encore incertain, contesté : il était nié par le patronat, les syndicats, la représentation nationale et même l’Académie de médecine. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
On peut considérer que nous étions alors dans la précaution. Dès lors, si les mesures nécessaires pour contrer ce risque avaient été prescrites à l’époque, leur coût aurait été considéré comme n’étant pas économiquement acceptable.
Tout le problème est de savoir si l’on place la compétitivité et l’emploi, auxquels nous sommes tous sensibles, au-dessus des considérations de santé ou de l’environnement. Il s'agit véritablement d’un problème de hiérarchie des valeurs.
Dans ces conditions, parler de « conditions économiquement acceptables », sans préciser pour qui – est-ce uniquement pour celui qui génère le risque et le fait supporter aux autres ? –, fait passer la considération économique au-dessus de toute autre.
C'est la raison pour laquelle je conditionne mon vote sur l’article unique de la proposition de loi à l’adoption du présent amendement, lequel vise à rétablir cette idée de proportionnalité, sans faire primer la considération économique sur les autres.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement est satisfait par les articles 1er, 2, 3 et 4 de la Charte, qui ne sont ni modifiés ni abrogés par le présent texte, ainsi que par l’adoption de l’amendement n° 3 rectifié bis de M. Détraigne, qui permet de tenir compte de la préoccupation que vous venez d’exprimer.
La commission sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, étant cosignataire de la proposition de loi constitutionnelle, je n’insisterai pas sur les vertus que je trouve à ce texte, ni sur le fait que je l’adopterai.
Néanmoins, je tiens à souligner que notre débat, extrêmement intéressant, a permis de mettre en valeur un certain nombre de principes auxquels nous sommes attachés et qui, d'ailleurs, se fondent sur le principe de la liberté.
On ne peut aujourd'hui, par prudence, éventuellement par maladresse et, très souvent, par confort intellectuel se réfugier derrière des arguments pour tout simplement décider qu’il ne se passera rien.
La France est le pays des Lumières ; c’est le pays de la science.
Mme Cécile Cukierman. La science doit éclairer !
M. Jean-Claude Lenoir. On pourrait réciter la liste de toutes les innovations et inventions qui n’auraient jamais vu le jour si avait été appliqué le principe de précaution tel qu’il a été décrit par certains, en particulier à l’extérieur de notre assemblée.
Heureusement, le bon sens l’a emporté et le courage a caractérisé aussi bien des responsables publiques, notamment politiques, que des chercheurs qui ont beaucoup donné pour mener à bien un certain nombre de travaux.
Je souhaite insister, et c'est la raison pour laquelle je me suis permis, monsieur le président, de prendre la parole, sur une autre disposition de la proposition de loi constitutionnelle, dont il n’a pas été vraiment question jusqu’alors : l’information du public.
Pour m’être vu confier un certain nombre de travaux, notamment dans cette assemblée, j’ai été frappé de voir à quel point les mauvais arguments chassaient les bons, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne. Lorsque l’on s’intéresse à un sujet assez complexe et susceptible d’avoir un impact sur la vie quotidienne, combien de fois entend-on se dresser devant nous des arguments qui heurtent la vérité et, surtout, le bon sens ? Or, malheureusement, le public retient ce qui fait peur, au détriment des bons arguments. C’est un phénomène très répandu et entretenu, en particulier, par le développement des réseaux sociaux et par l’accès à des informations non fiables.
À l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, dont je salue le président et les collègues qui en sont membres, combien de fois, mus par la même volonté de faire progresser la science et de faire reculer l’obscurantisme, nous sommes-nous dit qu’il était absolument nécessaire que la vérité puisse être établie de façon impartiale et indépendante ?
C’est ce que permet la présente proposition de loi constitutionnelle, qui, dans sa seconde partie, dont nous avons moins discuté, dispose que « l’information du public et l’élaboration des décisions publiques s’appuient sur la diffusion des résultats de la recherche et le recours à une expertise scientifique indépendante et pluridisciplinaire ». Il est précisé, à l’alinéa suivant, que « l’expertise scientifique est conduite dans les conditions définies par la loi ».
Bien évidemment, il est difficile d’édifier, sur la seule base du présent texte, un dispositif juridique complet, permettant d’atteindre cet objectif. Néanmoins, il est absolument indispensable que l’on puisse disposer d’expertises avérées, incontestées et réfutant les arguments inspirés par la méfiance, le doute, mais aussi la mauvaise foi, et entretenus par des personnes qui, de toute façon, s’opposent à ce qu’il se passe quelque chose.
Je veux donc souligner le mérite de cette proposition de loi constitutionnelle, en toute modestie puisque j’y ai apporté ma signature (Sourires.), mais en insistant sur ce point, qui mériterait certainement d’autres développements. En effet, mes chers collègues membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, il me semble que nous tenons là un bon moyen de consolider la vérité contre la mauvaise foi ! (MM. Jean Bizet et Bruno Sido applaudissent.)