M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce triste état des lieux de la pauvreté étant dressé, j’en viens aux objectifs que je vise et aux préconisations que je souhaite formuler.
Si rien n’est fait, nous l’avons vu, c’est à une prolongation de la situation actuelle que nous assisterons. En d’autres termes, le scénario noir va se répéter inexorablement. Une démocratie comme la nôtre, une République comme la nôtre, un pays des droits de l’homme comme le nôtre ne peut l’accepter ! Il importe donc de lutter contre l’immobilisme et l’indifférence, et de privilégier un scénario de rupture, en nous fixant trois objectifs généraux : prendre conscience, instaurer la confiance et enfin oser la fraternité. Cette ambition globale, j’entends l’étayer par des mesures concrètes, ciblées, d’application immédiate ou de plus long terme.
Prendre conscience, c’est d’abord rendre l’appareil statistique de mesure plus réactif. Il faut le savoir, l’INSEE fournit les statistiques officielles sur la pauvreté avec deux ans de retard. Les derniers chiffres dont nous disposons datent de 2011 : ce n’est pas admissible.
Pour nous donner les moyens d’appréhender la réalité de la situation et d’y faire face, il nous faut pouvoir disposer de statistiques mensuelles sur le taux de pauvreté, comme c’est le cas, du reste, pour le chômage ou l’inflation. C’est techniquement faisable : des techniques de microsimulation sont utilisées au niveau de l’Union européenne et déjà appliquées dans une dizaine d’États membres, dont le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède, l'Autriche, la Belgique. Pourquoi ne pas faire de même en France ?
Prendre conscience, c’est ensuite remettre la question des inégalités, que j’ai évoquées, au cœur du débat. Si nous vivons actuellement une crise économique, financière et sociale aux conséquences dramatiques, je veux le souligner ici : la croissance, pas plus que la baisse du chômage d’ailleurs, n’a d’impact automatique et réel sur la réduction de la pauvreté.
En outre, servir une cause comme la lutte contre la pauvreté, c’est avec volontarisme s’engager à lui attribuer de nouveaux moyens, par une plus grande fermeté contre la fraude et l’évasion fiscale, sans exclure la mobilisation de leviers fiscaux encore disponibles pour les plus fortunés de nos concitoyens !
Prendre conscience, c’est enfin consacrer la primauté du politique. Seule l’affirmation d’une volonté politique claire et déterminée permettra d’obtenir un infléchissement des tendances lourdes observées actuellement.
L’Union européenne a ouvert la voie en adoptant, en 2010, sa stratégie « Europe 2020 » aux objectifs ambitieux, parmi lesquels celui de s’attacher « à ce que 20 millions de personnes au moins cessent d’être confrontées au risque de pauvreté et d’exclusion ». Or, depuis 2010, le nombre de pauvres en Europe, loin de se réduire, a augmenté de 7 millions.
En France, au début de 2013, le Gouvernement a présenté un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui prévoit notamment la revalorisation des minima sociaux, l’instauration d’une « garantie jeunes », l’aide aux familles, ainsi que l’investissement dans l’hébergement et l’accès au logement.
Une telle initiative était nécessaire, elle était même indispensable. Néanmoins, je tiens à le dire aujourd’hui devant vous, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je pense qu’elle ne sera pas suffisante. Il faut aller plus loin, par une mobilisation générale immédiate et plus large que les mesures actuellement prévues. Le portage politique est donc un aspect essentiel. J’y reviendrai à la fin de mon intervention.
Instaurer la confiance constitue un deuxième objectif.
Non, les pauvres ne sont pas des assistés ! Il est plus facile de les stigmatiser, en les faisant passer pour des profiteurs, voire pire, pour des fraudeurs, plutôt que de s’attaquer résolument à la pauvreté.
Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : quand la fraude sociale – du fait, le plus souvent d’ailleurs, des employeurs – est évaluée à 4 milliards d’euros par an, la fraude fiscale s’élèverait, elle, à 60 milliards d’euros chaque année.
Il est plus que temps de mettre fin aux préjugés, celui d’un prétendu assistanat, notamment, et de balayer les idées reçues. Les personnes en situation de pauvreté sont d’abord et avant tout, et très majoritairement, des victimes, donc des ayants droit.
Penchons-nous réellement sur le phénomène du non-recours, car nombreux sont celles et ceux qui ne font pas valoir leurs droits, ne demandent pas les aides ou les minima sociaux auxquels ils sont pourtant éligibles, et renoncent même à se soigner, comme l’a montré notre collègue Aline Archimbaud, que je salue, dans un rapport remis en 2013 au Premier ministre et intitulé L’accès aux soins des plus démunis : 40 propositions pour un choc de solidarité.
Certains estiment que les non-dépenses résultant du non-recours font économiser 10 milliards d’euros à la collectivité dans son ensemble ! Cela explique peut-être l’acharnement pour le moins mesuré que l’on met à lutter contre le non-recours…
À mon sens, il est justifié d’envisager l’automaticité du versement des prestations sociales et de passer d’un contrôle a priori à un contrôle a posteriori : ce faisant, les fraudeurs de demain seront toujours moins nombreux que les non-recourants d’aujourd’hui.
Je suis au demeurant convaincu que passer ainsi de la défiance à la confiance coûterait au bout du compte moins cher à la société.
Instaurer la confiance, c’est également agir en priorité en faveur des enfants, pour briser ce déterminisme inacceptable qu’est l’hérédité de la pauvreté, sa transmission de génération en génération.
La société a changé. Elle n’est plus celle qui a présidé aux fondements du modèle social d’après-guerre. Hausse des divorces, multiplication des familles monoparentales, assumées le plus souvent par la mère, ce sont ces évolutions sociétales qui justifient de repenser véritablement la politique familiale.
Dans ce nouveau contexte, je suis favorable à l’attribution des allocations familiales dès le premier enfant, y compris si cela doit passer par leur mise sous conditions de ressources ou leur plafonnement.
Il convient, en outre, de pouvoir anticiper au mieux, lors de la séparation des parents, les conséquences matérielles et financières pour le ou les enfants concernés.
Pour les enfants qui vivent avec leurs familles des situations de grande détresse, je propose trois pistes d’action : d’abord, mettre en place un numéro spécial d’appel – un « 115 enfants », en quelque sorte –, en vue de venir prioritairement au secours des familles à la rue avec enfants ; ensuite, favoriser un hébergement durable dans un même lieu pour les familles sans logement afin de ne pas faire obstacle à la scolarisation de leurs enfants ; enfin, réduire à six mois le délai d’examen des demandes d’asile pour éviter les procédures d’expulsion touchant des familles dont les enfants ont été entre-temps scolarisés.
Quant aux jeunes adultes, ils sont trop souvent les laissés-pour-compte des politiques publiques.
Ils sont de plus en plus nombreux à être frappés par l’exclusion, sous le double effet de la précarisation du marché du travail et de l’éclatement des solidarités familiales. Cette situation met en péril la cohésion sociale en les pénalisant dans leurs droits à se voir accorder une pleine reconnaissance de leur citoyenneté.
Afin d’assurer, comme cela paraît légitime, l’ouverture des droits sociaux dès l’âge de dix-huit ans, il faut absolument faire coïncider majorité sociale et majorité légale.
De plus, pour ne pas figer les trajectoires de vie à la sortie du système scolaire, je souhaite que nous puissions nous inspirer de l’expérience danoise des bons mensuels de formation. Ceux-ci offrent jusqu’à cinq années de formation rémunérées, à utiliser en continu ou de manière fractionnée.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ne voyez là aucun signe de laxisme de ma part. Ce système, très astucieux, ne fonctionne évidemment pas sans de solides contreparties : l’assiduité à la formation est strictement contrôlée et la responsabilisation des bénéficiaires bien sûr favorisée.
Pour instaurer la confiance, il convient aussi d’instituer un référent unique pour l’accompagnement des personnes en détresse.
Fort d’un constat partagé sur la pluralité excessive des interlocuteurs, l’empilement inquiétant des structures et le cloisonnement opaque des dispositifs, la réponse logique est d’instaurer un accompagnement individualisé, plus simple et donc beaucoup plus efficace.
L’idée d’attribuer à chaque personne en situation de pauvreté un correspondant unique susceptible de la conseiller, de l’épauler dans ses démarches, de l’informer sur ses droits constitue, j’en ai conscience, une importante remise en cause des pratiques actuelles. Ce référent unique pourrait être un professionnel ou un bénévole, travailler dans un bureau d’aide sociale, à la caisse d’allocations familiales, à Pôle emploi, dans une association. L’essentiel est de parvenir à déterminer, au cas par cas, l’interlocuteur le plus à même de faire consensus en vue d’aider au mieux la personne en détresse et d’éviter que celle-ci n’ait à répéter son parcours de vie chaque fois qu’elle entreprend une nouvelle démarche.
J’en viens au troisième objectif : oser la fraternité.
Celui-ci, je tiens à le dire d’emblée, ne fait pas obstacle à la recherche de l’efficacité, tout au contraire.
Du fait de l’enchevêtrement des compétences et d’un millefeuille de dispositifs devenus illisibles, nombreuses sont les inefficacités constatées quotidiennement. Loin de moi bien sûr l’idée de remettre en cause les acquis de la décentralisation, mais force est de constater qu’il existe un traitement différencié de la pauvreté selon les territoires et des inégalités évidentes, selon les départements, dans le montant des aides extralégales versées.
Pour ma part, je considère que s’occuper des personnes en situation de pauvreté est une compétence régalienne de l’État. À ce titre, celui-ci ne doit plus se cantonner à un rôle d’infirmier ; il lui faut surtout agir en investisseur, en substituant la prévention à la réparation, en privilégiant une approche tout à la fois globale, en termes de politiques menées, et individualisée, en termes de publics visés.
Par ailleurs, la mobilisation coordonnée de tous les acteurs devrait permettre d’aller au plus près des populations concernées et d’adapter les dispositifs aux besoins réels.
L’un des enjeux essentiels qui est revenu comme un leitmotiv tout au long des auditions est l’absolue nécessité de généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées. À cet égard, je rappellerai la célèbre formule de Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ».
De ce point de vue, la pérennisation du huitième collège du CNLE, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, collège qui réunit exclusivement des personnes en situation de pauvreté ou de précarité, est une excellente nouvelle.
Sur ce plan, la Belgique est largement en avance sur nous. Elle a développé une nouvelle fonction au sein des administrations fédérales, « l’expert du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale », dont la mission première est d’être un « chaînon manquant », un « passeur de savoirs » entre les personnes démunies, celles qui prennent des mesures et celles qui les exécutent.
La Belgique peut également nous servir d’exemple pour ce qui est de la simplification administrative.
Elle a en effet mis en place une banque de données dématérialisées, dénommée Banque carrefour de la sécurité sociale. Celle-ci permet de fluidifier et d’accélérer l’échange de données à caractère personnel entre les institutions de sécurité sociale, lesquelles, de ce fait, n’ont plus à demander plusieurs fois à la même personne toujours les mêmes renseignements.
Le service rendu s’en trouve considérablement amélioré, tandis que la protection de la vie privée reste totalement garantie par les procédures d’accès aux informations. Il aura fallu dix ans à nos voisins belges pour finaliser cet ambitieux projet. Qu’attendons-nous pour nous en inspirer ? Il va de soi qu’il appartiendra à la Commission nationale de l’informatique et des libertés de contrôler l’intégrité d’un tel système et le respect de la confidentialité.
Je sais que, dans deux de nos départements, une expérimentation est en cours sur l’instauration d’un dossier unique destiné à simplifier les démarches administratives des personnes en difficulté. Cependant, permettez-moi d’avoir des doutes sur la réelle portée simplificatrice de ce dispositif, qui me paraît encore bien trop compliqué.
Par ailleurs, je plaide pour que la simplification dans les transmissions des informations aille de pair avec celle des formulaires à remplir et du langage administratif employé, dont je puis vous assurer qu’ils ne sont clairs pour personne, pas même pour nous.
Une autre piste à explorer est celle qui consiste à libérer les initiatives et à promouvoir l’expérimentation.
En matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, tout n’a pas encore été essayé. Il serait temps de ne rien nous interdire, car c’est de l’expérimentation et de l’innovation qu’émergeront les bonnes pratiques.
Je souhaite, à ce titre, qu’il soit porté un regard attentif sur toutes les initiatives prises par le tissu associatif.
Soyons réalistes : une expérimentation qui ne serait pas suivie d’une évaluation, c’est l’assurance de répéter les mêmes erreurs et le risque de ne pas valoriser et généraliser une pratique innovante efficace. L’évaluation n’a de sens que si elle est effectuée à tous les niveaux et qu’elle devient une véritable aide à la décision.
Reconnaissons, concrètement, que toute politique publique peut avoir un effet, positif ou négatif, sur la pauvreté. Il importe dès lors de nous donner la possibilité d’évaluer systématiquement l’impact de chaque texte de loi ou même de chaque règlement, pour anticiper les conséquences potentielles non seulement sur la pauvreté elle-même, mais aussi et surtout sur les personnes concernées. Il s’agirait notamment de vérifier que les nouvelles dispositions leur sont accessibles, favorables, ou du moins qu’elles ne les pénalisent pas davantage, ce qui peut arriver.
De plus, toute action engagée devrait pouvoir faire l’objet d’une évaluation afin d’alimenter un « répertoire intelligent des pratiques innovantes ». Cela supposerait d’encourager également l’évaluation des professionnels, mais aussi, j’ose le dire, celle des bénévoles, avec toute la finesse et la diplomatie qui convient en l’espèce.
Telles sont, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les préconisations qui découlent des trois objectifs que nous nous sommes fixés : prendre conscience, instaurer la confiance, oser la fraternité.
Ce rapport d’information en appelle à des changements profonds sur un certain nombre de sujets fondamentaux. Toutefois, il a également l’ambition d’être le porte-voix de celles et ceux qui, frappés par la misère, sont contraints à « regarder passer la vie… mais sans y participer ». Privés de ressources, ils sont aussi privés de parole.
Lors de ma rencontre avec des membres d’ATD Quart Monde, l’un des intervenants, pourtant en situation de grande pauvreté, n’a pas un instant évoqué ses problèmes financiers. En revanche, il a insisté sur les notions de respect, de regard, d’attention, de dignité.
C’est pour cette raison que je soutiens l’initiative prise par ATD Quart Monde et relayée par Dominique Baudis, alors Défenseur des droits, dont je tiens à saluer ici la mémoire, visant à ajouter au sein du code pénal un vingtième critère de discrimination pour « précarité sociale », au même titre que l’âge, le sexe, l’origine, l’orientation sexuelle ou l’appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, race ou religion.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je conclurai en formant le vœu que le Sénat s’associe à l’édition 2014 de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, célébrée le 17 octobre de chaque année.
Le président Jean-Pierre Bel m’a d’ores et déjà donné son accord de principe et exprimé son entier soutien pour l’organisation d’une ou de plusieurs manifestations. Je ne doute pas que celui ou celle qui lui succédera aura à cœur de reprendre cette initiative, qui s’inscrit, bien entendu, dans le cadre de l’engagement institutionnel de la Haute Assemblée.
Au bout du compte, mes chers collègues, je souhaite que notre réflexion et notre détermination collective pour enrayer le cycle de la pauvreté aboutissent à concrétiser l’espérance de notre éminent prédécesseur Victor Hugo, qui écrivit : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes ». (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je voudrais tout d’abord remercier sincèrement Yannick Vaugrenard de l’important travail qu’il a fourni, saluer sa capacité d’écoute et la force de l’appel qu’il lance, appel qui, je l’espère, sera entendu et, surtout, suivi d’action. Car, comme vous l’avez dit, mon cher collègue, il y a urgence.
Toutes les études menées notamment par l’INSEE s’accordent à le dire : la pauvreté s’intensifie d’année en année dans notre pays. Si des dispositifs sont régulièrement mis en œuvre pour tenter de lutter contre l’exclusion des plus démunis, ils répondent rarement à une réflexion globale sur la pauvreté. C’est là l’un des principaux intérêts de votre rapport.
La pauvreté, si elle est multidimensionnelle, commence par une pauvreté économique. Vous l’avez rappelé : selon les chiffres publiés par l’INSEE, en 2011, 8,7 millions de personnes vivaient avec moins de 977 euros par mois. À cette catégorie, sans doute plus nombreuse aujourd’hui, il faut ajouter les millions de nos concitoyens qui ne disposent que d’un peu plus que cette somme chaque mois. Ainsi, c’est une part importante de la population française qui est concernée.
Le mot « cycle » employé par Yannick Vaugrenard dans son rapport me semble très juste. En effet, les personnes fragiles sont enfermées dans un cercle vicieux dont il leur est extrêmement difficile de sortir. Emploi, logement, santé, transports, formation, culture, éducation sont autant d’aspects de la vie quotidienne qui forment la spirale de l’exclusion, laquelle est multidimensionnelle et cumulative.
Le baromètre de l’opinion lancé par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, montre bien que nos concitoyens ressentent cette pluralité d’inégalités qui frappent les plus modestes et qu’ils ne les acceptent pas.
Pour la première fois depuis la mise en place de ce baromètre, en 2000, les inégalités d’accès aux soins sont jugées les moins acceptables – 22 % –, devant celles qui concernent les revenus – 19 % – et le logement – 16 %. Nos concitoyens y sont donc fortement sensibles.
Nous ne voulons pas d’un système social à deux vitesses. Malheureusement, le constat est évident : il subsiste dans notre pays de fortes inégalités de santé liées au niveau de revenu. Selon l’INSEE, l’espérance de vie d’un homme de trente-cinq ans diffère aujourd’hui de sept années selon qu’il est ouvrier ou cadre. Au-delà de la pénibilité du travail, qui peut partiellement expliquer les écarts d’espérance de vie, joue la question de la qualité et de l’accès aux soins en fonction du revenu.
Je pourrais citer d’autres exemples dans ce sens, mais je ne m’attarderai pas, car cela a déjà été développé. Toutefois, je veux insister sur le non-recours à des droits théoriquement ouverts – CMU complémentaire, aide à la complémentaire santé, aide médicale d’État –, mais aussi sur les énormes inégalités d’accès aux soins et, plus globalement, à la santé.
Près de quatorze ans après l’entrée en vigueur de la loi créant la couverture maladie universelle – CMU –, véritable avancée sociale, l’accès aux soins s’est détérioré en même temps que s’approfondissaient les difficultés sociales. La santé se dégrade avec la précarité et la maladie accroît la précarité.
Les chiffres publiés en octobre dernier dans le septième baromètre CSA pour Europ Assistance sont accablants : 33 % des sondés ont, en 2013, renoncé à se soigner pour raisons financières. Ce chiffre est en augmentation de six points par rapport à l’année précédente. Non seulement nous sommes bien au-dessus de l’ensemble des pays européens en termes de renoncement aux soins déclaré – la moyenne est de 18 % en Europe –, mais les Français sont aussi amenés à renoncer à se soigner en plus grande proportion que les Américains – ils sont 24 % à avoir pris cette décision –, dont le système de santé est pourtant régulièrement montré du doigt à la fois pour son coût et son caractère inégalitaire.
Cela a été dit, le renoncement aux soins est largement lié à une incroyable lourdeur et complexité des démarches à entreprendre pour les plus fragiles de nos concitoyens. Il tient également à des effets de seuils. Ainsi, pour un bénéficiaire du RSA socle, et donc théoriquement de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, toute activité rémunérée, même de seulement quelques heures par mois, lui fait dépasser le plafond de ressources. La personne perd alors son droit à la CMU-C. On pourrait multiplier les exemples.
Des pistes de travail ont été envisagées et des mesures, adoptées, comme cette Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est déroulée en janvier 2013.
Dans le temps qui me reste, je souhaiterais compléter mon propos.
J’ai remis au Premier ministre en septembre 2013 un rapport comprenant quarante propositions.
Il faut tout d’abord rendre effectif l’accès aux droits en simplifiant les démarches. Il existe actuellement un certain nombre de lourdeurs et de complexités administratives terribles.
Il convient de lever un certain nombre d’obstacles financiers en matière de lutte contre les inégalités dans le domaine de la santé. De ce point de vue, l’engagement de l’actuel gouvernement d’établir le tiers payant en 2017 est évidemment très important, et nous espérons que cette échéance sera respectée. Toutefois, il est aussi nécessaire de réguler les dépassements d’honoraires, qui posent un énorme problème d’inégalité d’accès à la santé. Il faut également soutenir les structures tournées vers les publics fragiles pour les rendre pérennes. En effet, un certain nombre d’entre elles se trouvent dans une situation extrêmement difficile – PASS, services des urgences dans les hôpitaux qui, de fait, accueillent de nombreux précaires, et beaucoup d’autres initiatives.
Par ailleurs, il est nécessaire d’améliorer la gouvernance territoriale et, mon collègue a évoqué avant moi cet aspect important, de renforcer les structures qui pratiquent aujourd’hui l’innovation, qu’il s’agisse de structures professionnelles, d’organismes animés par des associations, des bénévoles ou des salariés.
L’innovation consiste à mener des actions transversales, par exemple santé-logement ou santé-transport, qui puissent être soutenues par l’État. Or, aujourd’hui, elles ont beaucoup de mal à se faire entendre, dans la mesure où elles s’adressent à plusieurs interlocuteurs, et la vie de certaines d’entre elles est réellement menacée.
L’innovation, c’est aussi croiser dans les formations le social et le sanitaire ; c’est aussi tout ce qui permet, vous avez évoqué ce point, que les patients prennent en main leur santé et en soient acteurs. C’est ce que l’on appelle au Québec « la santé communautaire ». Au Québec, en Belgique et dans d’autres pays, il existe des pratiques de ce genre, qui sont encore considérées en France comme tout à fait marginales et dont on ne voit pas l’intérêt.
Enfin, l’accès à la prévention est extrêmement limité pour ce public.
Pour conclure, je remercie de nouveau Yannick Vaugrenard pour ce travail. Les résultats des élections municipales nous ont montré à quel point les inégalités sociales sont sources d’amertume, de colère, de risque de délitement de la cohésion nationale, de risque de montée des extrémismes sous toutes leurs formes. Il y a effectivement urgence. J’espère que ce débat permettra d’encourager des pratiques et des décisions utiles à tous les niveaux. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Marie-Annick Duchêne et M. Alain Fouché applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord commencer mon propos en remerciant nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective qui ont participé à l’élaboration et la rédaction de ce rapport d’information de qualité.
Il s’agit d’un travail très intéressant dont ses auteurs ont eu l’ambition de lui donner une portée générale tout en reprenant des exemples éclairants.
Comment enrayer la pauvreté ? Le débat sur ce thème reste malheureusement toujours un sujet d’actualité.
Pour ma part, j’ai souhaité, dans le cadre de la préparation de cette discussion, associer ceux qui sont directement concernés par la pauvreté et la précarité. J’ai donc, comme vous l’avez fait dans vos départements respectifs, rencontré les représentants de RSA 38, association qui regroupe les allocataires du RSA du département de l’Isère.
Mon intervention est par conséquent le fruit d’un travail collectif, issu d’échanges que nous avons partagés sur les différentes problématiques rencontrées directement par ces citoyens.
Première remarque que je souhaite souligner et qui a été souvent relevée dans le rapport d’information : ces personnes, avec qui j’ai pu échanger, sont d’une grande dignité et refusent d’être assimilées à l’assistanat.
J’ai bien ressenti de leur part de l’incompréhension, parfois de la déception, voire de la colère devant certaines situations qui peuvent paraître injustes.
Ce nouveau rapport sur la pauvreté dans notre pays est une nouvelle occasion pour notre assemblée de proposer des mesures concrètes – j’espère que le Gouvernement l’entendra – afin d’essayer d’améliorer le quotidien de ces femmes, de ces hommes et même de ces enfants qui vivent dans une situation d’extrême précarité.
La pauvreté, c’est quoi ? C’est manquer de revenus et de moyens pour vivre dans des conditions convenables. C’est avoir des difficultés à satisfaire ses besoins fondamentaux, comme se nourrir, se loger, se faire soigner, s’éduquer, payer ses factures. C’est perdre sa dignité face aux regards des autres.
L’objectif que nous partageons tous, mes chers collègues, est d’éviter que ne se développe encore plus une France à deux vitesses, avec, d’un côté, une partie de la population qui aurait un logement, un emploi, qui serait insérée socialement et, de l’autre, une partie de notre société qui serait celle des personnes oubliées ou des laissés-pour-compte.
Le rôle de l’État, solidaire, doit être prioritairement ciblé sur la mise en place d’actions vers ceux qui, souvent à la suite d’un accident de la vie, se retrouvent en grande précarité.
Nous en sommes tous conscients, cette situation peut arriver à n’importe qui, quels que soient son métier, son milieu social ou familial... Pis, vous l’avez dit, cette situation peut s’inscrire dans la durée et se transmettre au travers des générations.
De telles situations, nous en connaissons tous. J’ai parfois l’impression que notre société préfère fermer les yeux afin de ne pas voir ce qui se passe à deux pas de chez nous.
Oui, dans nos quartiers, nos villes et nos villages, des personnes souffrent de la pauvreté qui s’accompagne souvent de l’isolement et pensent peut-être à tort être les oubliées des élus, de la République et de la machine administrative.
Nous sommes des responsables politiques, il est donc de notre devoir dans notre Haute Assemblée de réagir, mais également d’agir avec des propositions concrètes afin que les victimes ne s’enfoncent pas encore un peu plus dans leur situation.
Comment une société moderne peut-elle fermer les yeux face à un tel drame ?
De grands hommes ont, dans leur histoire, su tirer la sonnette d’alarme face à de telles situations comme l’Abbé Pierre qui, en 1954, a fait réagir notre pays. Soixante ans après, la situation n’a pas beaucoup changé en France.
J’espère que ce rapport qui nous est présenté et que nos échanges de ce jour vont permettre une prise de conscience de cette fracture au sein de notre société, et que, madame la secrétaire d’État, vous pourrez en retirer quelques propositions pour réinstaurer une confiance tout en développant plus de fraternité.
En effet, cette prise de conscience ne doit pas s’arrêter à l’étude de rapports et à la lecture de statistiques. Il faut remettre impérativement l’humain au cœur de ce débat.
Il est temps de redonner la parole à ceux qui disparaissent dans l’anonymat des chiffres et des études, voir leurs situations, comprendre leurs difficultés afin de trouver au mieux une solution pour les faire sortir de ce labyrinthe.
C’est ainsi qu’il nous sera possible de restaurer une confiance entre ceux qui souffrent et les pouvoirs publics.
Toutefois, pour cela, il faut réaliser du concret et ne pas se contenter de beaux discours.
Parmi les nombreux points que vous évoquez et les différentes préconisations que vous avancez, je souhaite pour ma part et à la suite des échanges que j’ai pu avoir avec les bénéficiaires du RSA revenir sur deux préconisations qui ont un effet direct sur ces personnes.
La première est l’automatisation des prestations sociales, qui paraît aller dans le bon sens.
Cependant, je pense, et c’est une demande des allocataires du RSA, qu’il faut encore alléger et simplifier les procédures pour que les personnes en difficulté bénéficient plus facilement de ces aides. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur.
On me rétorquera qu’il faut des garde-fous contre ceux qui pourraient tricher et frauder pour bénéficier de ces prestations. Or il ne faut pas oublier non plus que les bénéficiaires ont souvent besoin d’être accompagnés afin de connaître les droits auxquels ils peuvent avoir accès.
Le second point sur lequel je souhaite revenir est la proposition de généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées.
Cette demande, je l’ai entendue plusieurs fois de la part des personnes qui sont au RSA.
Il est en effet regrettable de constater que les personnes concernées par le RSA ne sont pas présentes dans certains conseils d’administration où sont abordées des problématiques qui les concernent directement. Il est vrai que des responsables d’associations y siègent, mais pourquoi ne pas donner la parole aux personnes directement concernées, en proposant par exemple que, dans chaque conseil d’administration des caisses d’allocations familiales ou des bailleurs sociaux, un représentant des bénéficiaires du RSA puisse siéger ? Ceux-ci ne doivent pas se contenter d’être un numéro au bas d’un dossier. Ils sont des femmes et des hommes à part entière.
La précarité réside principalement dans l’absence de sécurité permettant aux personnes mais aussi aux familles d’assurer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de bénéficier des droits fondamentaux que la société leur apporte.
La pauvreté est donc une violation des droits de la femme et de l’homme. Trop souvent, aujourd’hui, les inégalités sociales, économiques et culturelles s’additionnent.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez rappelé, Nelson Mandela affirmait : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ». En effet, participer, c’est proposer, c’est revendiquer, c’est aussi assumer.
Donner à un précaire le droit de s’exprimer, d’être écouté et d’exister en tant que personne au sein de la société conforterait leur rôle de citoyen à part entière et nous permettrait peut-être de mieux comprendre certains mécanismes d’exclusion, les causes et par là même ses conséquences pour y apporter de bonnes réponses.
C’est dans cette fraternité, qui est une valeur de notre République, que l’on redonnera de l’espoir à ces personnes.
Prenons la problématique du logement, qui, pour ces Français en grandes difficultés, reste, comme cela vient d’être rappelé, une réelle priorité.
Pour ceux qui ont la chance d’avoir un logement, la préoccupation majeure chaque mois est de pouvoir dans les délais impartis régler son loyer, sa facture d’électricité, sa facture d’eau, et ce avant même de penser à manger.
Proposer une présence active d’un représentant des bénéficiaires du RSA dans les conseils d’administration des offices d’HLM et des CAF permettrait, je l’ai dit, de mieux cerner certaines problématiques. Cela irait dans le sens du principe de participation que vous préconisez et permettrait une plus grande proximité dans l’analyse et la mise en place des politiques publiques à destination des personnes défavorisées.
Il s’agit là d’une avancée attendue par un grand nombre de personnes, et je souhaitais ainsi le souligner.
Pour conclure, je dirai que ce rapport est très intéressant, certaines de ses propositions sont bonnes et j’espère qu’elles ne resteront pas des vœux pieux. Il serait regrettable, pour ces personnes qui se sentent oubliées par notre société, que rien de concret ne débouche de ce travail collectif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. François Fortassin et Martial Bourquin applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment enrayer le cycle de la pauvreté ? L’intitulé du présent débat peut laisser songeur – M. le rapporteur l’a concédé. Comme si le politique, discrédité, devait rappeler son hostilité aux plaies séculaires !
Sous nos latitudes, la question de la pauvreté comme fléau social se pose au moins depuis le XVIIIe siècle, et sans doute même depuis plus longtemps. Elle a donné lieu à plus d’une révolution et à nombre de théories, dont le marxisme, qui ont écrit notre histoire.
Sur le fondement des réponses à y apporter, trois modèles se sont affrontés au XXe siècle : celui de la collectivisation planifiée, celui du libéralisme dérégulé et un modèle intermédiaire, européen, de capitalisme social, également appelé « économie sociale de marché ».
Ce dernier modèle a porté ses fruits. Entre le début du XXe siècle et la fin des Trente Glorieuses, la pauvreté a considérablement régressé en France. M. le rapporteur l’a rappelé. Je tiens à le dire à mon tour. Mais, depuis, le phénomène semble bel et bien s’inverser. D’où la question posée aujourd’hui.
Monsieur le président de la délégation sénatoriale à la prospective, vous l’avez dit, cet exercice nous permet de prendre du recul. Vous avez précisé que, loin de vous était l’idée qu’en 2014, après mûre réflexion et un peu miraculeusement, nous aurions enfin trouvé la réponse !
Cette réponse, pour laquelle tant d’encre et de sang ont coulé, semble se trouver pour partie aux pages 119 à 124 de votre rapport d’information, qui renferment une douzaine de propositions, au demeurant très intéressantes. Suffiront-elles à résoudre un problème séculaire ? J’en doute. Toutefois, le présent débat revêt au moins un triple intérêt : intérêt du constat, intérêt de la clarification de la problématique et intérêt des propositions formulées.
Sur le constat, tout dépend de l’échelle de temps considérée. À l’échelle du siècle et au-delà, la pauvreté a reculé en France et en Europe. Mais, à l’échelle des seules dernières décennies, la tendance semble s’être sévèrement retournée. Je le souligne à mon tour. Les chiffres de l’INSEE sont éloquents : calculé par rapport à un seuil fixé à 60 % du niveau de vie médian, le taux de pauvreté en France a atteint, en 2011, son plus haut niveau depuis 1997. En hausse de 0,3 point par rapport à 2010, il s’établit à 14,3 % de la population. Cela représente 8 720 000 personnes, dont le quart est en situation de très grande pauvreté. Autrement dit, il s’agit de personnes vivant avec moins de 790 euros par mois.
Évidemment, cette situation n’est pas acceptable. Elle est même très inquiétante, d’autant que le décrochage peut se lire à travers d’autres indicateurs, tels que le classement PISA de la France en matière d’éducation, ou ces 15 % à 20 % d’enfants qui, malheureusement, entrent au collège sans maîtriser la lecture ou le calcul. Le père Joseph Wresenski, fondateur d’ATD Quart Monde, disait que la politique d’éducation était certainement l’arme la plus fondamentale pour combattre la pauvreté.
La partie du rapport consacrée à la problématisation du phénomène est elle aussi très éclairante, en particulier en ce qu’elle bat en brèche un certain nombre d’idées reçues relatives à la fraude sociale. Alors que la fraude aux prestations représente au maximum 4 milliards d’euros, le travail au noir atteindrait 15 milliards d’euros et la fraude fiscale 50 milliards d’euros !
La comparaison entre fraude sociale et non-recours aux prestations – qui vient d’être évoqué – est également très parlante : ce non-recours représenterait plus de 5 milliards d’euros. Il est donc, en volume, plus important que la fraude aux prestations. Cela n’excuse en rien cette dernière, mais en relativise tout de même l’importance.
J’en viens au volet « propositions » du présent rapport. Il s’agit d’une douzaine de pistes générales intéressantes, auxquelles on ne saurait globalement que souscrire. Comment ne pas acquiescer à l’objectif de rendre l’appareil statistique plus réactif, ou à celui de remobiliser l’État pour qu’il continue de jouer pleinement son rôle de réduction des inégalités territoriales ?
Certaines de ces propositions retiennent plus particulièrement notre attention, comme l’expérimentation, ou la concentration des aides sur les enfants et les jeunes adultes. En effet, ces pistes ouvrent d’autres perspectives qui nous sont propres.
Ce qui nous frappe d’emblée et le plus vivement dans ce rapport, c’est l’absence totale de réflexion économique. Bien sûr, je sais que l’on ne peut pas traiter de tout dans un rapport, et que celui-ci a avant tout une finalité sociale. Toutefois, comment répondre à la question posée sans évoquer la problématique de la croissance économique ? Pour enrayer la pauvreté, il faut redistribuer de la richesse. Et pour redistribuer de la richesse, il faut d’abord la produire !
Si, durant les Trente Glorieuses, les pauvretés se sont à ce point réduites dans notre pays, c’est parce que la croissance soutenue a alimenté notre système de redistribution. La fraternité commence par là !
La première approche doit donc être celle de la relance économique, en particulier de l’investissement, notamment humain. (M. le rapporteur manifeste son désaccord.) C’est toute la problématique du choc de simplification et de compétitivité. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet. Je souligne néanmoins que je défends, avec les membres du groupe auquel j’appartiens, une réforme structurelle de notre système de prélèvements obligatoires, précisément afin que celui-ci pèse moins sur la production et plus sur la consommation.
Voilà une première réponse.
Ensuite, une fois la richesse produite, se pose effectivement la question de sa répartition.
À ce stade de l’analyse, nous rejoignons les auteurs du présent rapport : le système aujourd’hui en vigueur a fait son temps et doit être adapté à la réalité actuelle. Mais, à nos yeux, la réforme à entreprendre est bien plus large, bien plus profonde que celle qui est esquissée, et à plus forte raison que les mesures du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, plan dont le rapport d’évaluation établi par François Chérèque dresse en filigrane un bilan assez négatif.
Plus fondamentalement, c’est l’ensemble de notre système de protection et d’aides sociales qu’il faut remettre à plat, à commencer par les retraites. Cette question est évoquée dans le présent rapport : la France occupe, en la matière, une position intermédiaire en Europe, loin derrière un groupe de pays rassemblant l’Autriche, les Pays-Bas et les États scandinaves. Il est souligné que ces pays ont, afin de maintenir cette position, consenti des adaptations « extrêmement vigoureuses » pour préserver leurs systèmes de retraites en les faisant basculer vers un système par points. C’est exactement ce que nous proposons.
Indépendamment de la question des retraites, notre collègue Valérie Létard avait publié en 2005 un rapport intitulé Minima sociaux : mieux concilier équité et reprise d’activité », qui mettait en exergue le poids des droits connexes aux minima sociaux. Ces réflexions ont d’ailleurs donné naissance au RSA.
Comment concilier en fait ces droits très variés et complexes, pour qu’ils ne deviennent pas des trappes à inactivité et donc des trappes à pauvreté ? Près de dix ans plus tard, la question est toujours d’actualité. Le rapport de M. Vaugrenard l’indique clairement : tout le système doit être repensé et concentré sur les populations les plus fragiles, sur ces hommes et ces femmes qui en ont le plus besoin. Autrement dit, il faut en finir avec le saupoudrage pour cibler les jeunes, les femmes seules avec des enfants à charge et les demandeurs d’emploi de longue durée.
En conclusion, j’affirme à mon tour que cette réforme doit passer par l’expérimentation. Elle doit passer par la fraternité, que pratiquent de nombreuses associations dont j’ai plaisir à saluer l’action et qu’il faut bien sûr continuer à soutenir. Telle est la réponse que nous apportons à votre excellent rapport, monsieur Vaugrenard. (MM. Gérard Roche, Michel Savin et François Fortassin ainsi que M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.