M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 avril 2010, à cette tribune, présentant ma proposition de loi relative aux contrats d’assurance sur la vie, je citais la célèbre maxime de Boileau :
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
« Polissez-le sans cesse et le repolissez ; ».
Elle illustrait, selon moi, la nécessité d’avancer dans ce domaine avec détermination pour garantir enfin une réelle protection des épargnants, mais de manière progressive, et par là même prudente, pour éviter d’être stoppés net par les lobbies.
Ces propos étaient, hélas ! exacts puisqu’il a fallu plus de trois ans pour que cette proposition de loi, qui n’était qu’une étape, soit adoptée, et encore seulement partiellement.
Aujourd’hui, nous devons examiner un nouveau texte, issu de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 19 février dernier et de celle déposée par mes soins le 28 novembre 2013.
L’amélioration des droits des épargnants est un long cheminement engagé depuis près de dix ans. Dans le domaine de l’assurance vie, le législateur s’est à plusieurs reprises saisi du sujet. Il s’est penché sur la question, notamment en 2005, en obligeant les assureurs à informer les bénéficiaires s’ils étaient avisés du décès du souscripteur et en permettant à toute personne se croyant bénéficiaire d’un contrat d’interroger un organisme spécialisé ; c’était la naissance de l’AGIRA 1. Il s’est également saisi du sujet en 2007, en obligeant les assureurs à s’informer sur l’éventuel décès des souscripteurs, âgés de plus de quatre-vingt-dix ans et dont le contrat est supérieur à 2 000 euros, et à rechercher, le cas échéant, les bénéficiaires ; c’était la naissance de l’AGIRA 2.
L’application de ces textes a cependant été tardive, limitée et de toute évidence insuffisante.
Cette situation ne me semblait pas tolérable, ni d’un point de vue éthique, parce qu’il n’est pas normal que les sommes déposées ne profitent pas à leurs bénéficiaires, ni d’un point de vue économique et fiscal, puisqu’il serait beaucoup plus utile que cet argent soit réinjecté dans l’économie. Aussi ai-je déposé en 2009, peu après mon élection, une première proposition de loi, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 29 avril 2010. Elle visait principalement à obliger les assureurs à s’informer chaque année du décès éventuel de tous les souscripteurs – ce sont les conditions qui étaient précédemment énoncées –, à améliorer la transparence sur l’état du « stock » des assurances vie et à renforcer la transparence sur les « flux » en obligeant les assureurs à rendre compte chaque année des recherches effectuées.
À défaut d’examen par l’Assemblée nationale, cette proposition de loi a été une première fois reprise dans le projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, qui n’a malheureusement jamais été adopté définitivement en raison des échéances de 2012. Elle a ensuite été partiellement intégrée dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires en juillet 2013, à l’exception notable, et j’y reviendrai, des dispositions relatives à la transparence sur les flux.
Dans le même temps, il m’avait semblé utile de m’intéresser à la question de la déshérence des produits d’épargne, des comptes bancaires et du contenu des coffres-forts. C’était le sens de ma question orale du 22 février 2012, dans laquelle je dénonçais l’absence de cadre législatif définissant ce phénomène et permettant a fortiori d’évaluer son ampleur.
Le Gouvernement de l’époque s’était déclaré prêt à examiner les moyens d’améliorer le dispositif existant ; malheureusement, aucune initiative n’est intervenue depuis lors.
C’est donc avec intérêt et satisfaction que j’ai pris connaissance du rapport de la Cour des comptes sur le sujet en juillet 2013. La Cour des comptes estime au minimum à 1,2 milliard d’euros l’encours des avoirs bancaires non réclamés et celui des contrats d’assurance vie et de capitalisation à au moins 2,76 milliards d’euros. Une enquête plus récente de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution parle même de 4,6 milliards d’euros pour les seules assurances vie. Vous le voyez, on est très loin des chiffres annoncés par les assureurs en 2009, qui étaient, selon eux, bien inférieurs à 1 milliard d’euros !
Ce constat sans appel sur l’ampleur du phénomène, sur l’attitude des assureurs et des banquiers et sur les carences du cadre législatif m’a convaincu de la nécessité de déposer une nouvelle proposition de loi en novembre 2013. Celle-ci visait essentiellement à étendre aux avoirs bancaires la démarche engagée depuis 2005 pour les assurances vie et à compléter le cadre législatif relatif aux assurances vie en renforçant la transparence et en prévoyant la revalorisation post mortem. Elle reprenait également quelques mesures pratiques suggérées par la Cour des comptes, telles que l’obligation pour les notaires de consulter le FICOBA.
Cette proposition de loi, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, est pour l’essentiel satisfaite par le texte que nous examinons aujourd'hui, et je me félicite que la présente proposition de loi apporte un certain nombre de solutions non seulement à la question des comptes inactifs, mais aussi, sur l’initiative de la commission des finances, aux assurances décès, au contenu des coffres-forts, des bons et des contrats de capitalisation. Je me félicite aussi qu’une définition précise du compte inactif soit enfin établie, que les frais de gestion soient plafonnés et qu’une revalorisation post mortem des contrats soit garantie dès le décès à un taux minimal fixé par décret. Je me réjouis également que des outils soient mis à la disposition des professionnels dans le cadre du règlement des successions, que soit mis un terme à la pratique scandaleuse qui conduisait certains professionnels à réclamer toujours de nouvelles pièces ou des pièces identiques pour retarder le règlement des contrats et que le rôle de l’ACPR soit renforcé.
Je suis donc satisfait pour l’essentiel, mais, je dois l’avouer, monsieur le rapporteur, pas totalement ! En effet, je trouve que si ce texte a l’immense mérite d’éviter que les banques et les sociétés d’assurance conservent des avoirs inactifs trente ans grâce à leur transfert à la Caisse des dépôts et consignations, il ne pose pas assez clairement l’obligation de recherche des titulaires ou ayants droit, qui n’est prévue que pour les assurances vie. Je souhaite donc, sans oublier la nécessité que j’évoquais tout à l’heure d’avancer progressivement dans ce domaine, que nous allions dès aujourd'hui un peu plus loin. C’est la raison pour laquelle je proposerai d’étendre l’obligation de recherche au titulaire des comptes et des coffres-forts inactifs dans la procédure de droit commun visée à l’article 1er – aujourd'hui uniquement prévue pour les contrats d’assurance vie – et dans le dispositif provisoire prévu à l’article 12. Je considère que, sans une réelle recherche préalable, le transfert des avoirs inactifs n’apporte pas de réelle protection supplémentaire aux épargnants. Le transfert ne peut être qu’un ultime recours, sinon il s’apparente à un « hold-up » des épargnants.
En ce qui concerne l’article 12, je ne suis pas d’accord avec sa philosophie pour des raisons que j’ai déjà énoncées.
Alors que l’ACPR a commencé, enfin, à prendre des sanctions contre les assureurs pour les négligences et les fautes intentionnelles dans la gestion des contrats en déshérence, le transfert général à la Caisse des dépôts et consignations et à l’État prévu à l’article 12 dans l’année qui suit l’entrée en vigueur, soit à partir du 1er janvier 2017, dédouanerait largement les assurances de leurs responsabilités dans la gestion de ce scandale. Il relèverait à bon compte les assureurs de leur responsabilité, il permettrait, pour reprendre les termes de M. le rapporteur, de « sortir par le haut d’une situation qu’ils ont certes contribué à créer ». Surtout, il leur permettrait d’échapper aux risques de sanctions pécuniaires par l’ACPR. Je rappelle que, récemment, une amende de 10 millions d’euros a été infligée à une société que j’aurai la charité de ne pas citer. Tout cela n’est évidemment pas acceptable !
Je souhaite donc qu’il y ait une obligation de recherche. Afin que celle-ci puisse s’effectuer dans de bonnes conditions, je proposerai de décaler légèrement la date de transfert.
Je souhaite également que la transparence qui a été améliorée par ce texte sur les stocks le soit aussi en ce qui concerne les flux. Cette transparence sur les flux, qui figurait déjà dans ma proposition de loi de 2010, est indispensable, car elle permet de mesurer les efforts engagés par les assureurs et les banquiers année par année pour résorber ce phénomène.
Pour celles et ceux de nos collègues qui n’auraient pas eu connaissance du rapport de la Cour des comptes, le constat qu’elle dresse est sans appel. Il y a eu une volonté claire de ne pas appliquer ou de n’appliquer que très partiellement la loi de 2007. Le président de la commission des finances, M. Marini, lors de l’examen de ce texte en commission, a d’ailleurs fait ce constat : « Il faut croire que nous avons été sciemment trompés ». Eh bien oui, nous avons été sciemment trompés ! Dans ces conditions, je ne doute pas de la volonté de notre assemblée de renforcer la transparence.
Je souhaite enfin introduire dans le texte un dispositif permettant d’être informé sur ce que l’on nomme les NPAI, c’est-à-dire les courriers retournés à l’expéditeur avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée ».
Chaque année, les banquiers et les assureurs reçoivent de nombreux NPAI, parce que l’adresse du destinataire est mal renseignée, du fait d’un changement d’adresse ou, comme cela m’est arrivé à titre personnel, parce que l’adresse a été mal enregistrée à l’origine. Combien d’envois sont concernés ? Quelles actions sont menées pour retrouver les destinataires de ces courriers, c’est-à-dire les bénéficiaires des contrats ? Nous n’en savons rien alors que, de toute évidence, des recherches précises permettraient de retrouver le destinataire et de limiter par là même le risque de perdre tout contact avec le titulaire ou le bénéficiaire d’un compte, d’un coffre-fort ou d’un contrat.
L’objet de ma démarche, mes chers collègues, c’est la protection des épargnants. L’ambition de notre ancien collègue député Eckert, et peut-être même du Gouvernement dont il fait aujourd'hui partie, est, me semble-t-il, de se montrer plus attentif aux effets sur les finances publiques du transfert des sommes conservées par les assureurs et les banquiers. À cet égard, l’absence d’étude d’impact prive les parlementaires d’une estimation des montants qui seraient transférés à la Caisse des dépôts et à l’État en application de l’article 12. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez tout à l’heure nous fournir quelques éléments chiffrés sur ce point.
En conclusion, je voudrais rappeler, comme le soulignait le Premier président de la Cour des comptes lors de son audition à l’Assemblée nationale, que « les personnes les plus susceptibles d’être touchées par la déshérence sont celles qui détiennent de petits dépôts bancaires ». C’est pour elles, et pour elles seules, que nous devons travailler aujourd’hui, car, si au terme de nos travaux, l’argent des avoirs inactifs ne fait que passer des livres de comptes des banques et des assurances à ceux du Trésor, l’intérêt, c’est le moins que l’on puisse dire, sera réduit pour l’épargnant. C’est pourquoi je souhaite que l’examen de ce texte permette de renforcer cette protection. À défaut, les nombreuses avancées qu’il contient auront un goût amer, et je ne suis pas certain de pouvoir l’accepter. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui tente, par certains aspects, de clore un débat entamé avec la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, débat relatif à la gestion des avoirs « endormis » dans les écritures de nos établissements de crédit et de nos compagnies d’assurance.
Même si, par essence, nous ne connaissons pas tout à fait les montants en jeu, nous disposons, ainsi que le rappelle le rapport, de quelques éléments de mesure de l’ampleur du phénomène ; un phénomène mis au jour lors des précédents débats sur la profession bancaire que nous avons eus dans cette enceinte et qui motive, à la lecture du contenu des amendements défendus en commission comme de ceux qui ont été déposés en vue de l’examen en séance publique, un assez large accord sur la nécessité de mettre un terme à des pratiques qui devraient au demeurant avoir disparu depuis longtemps.
Le débat que nous avons est, au fond, assez proche, par ses enjeux, de celui relatif à l’assurance crédit, puisqu’on parle de plusieurs milliards d’euros d’encours enregistrés au crédit des comptes inactifs et des contrats d’assurance vie en déshérence. Ce montant représente à la fois peu au regard des sommes collectées chaque année par nos établissements de crédit, par exemple, et dans le même temps beaucoup. Même s’il est relativement dérisoire au regard de l’importance des écritures passées par nos banques et nos compagnies d’assurance, on ne peut oublier que plusieurs milliards d’euros de ressources gratuites constituent toujours un levier plutôt rémunérateur pour les établissements intéressés… D’autant que nos banques, par exemple, continuent d’encaisser quelques frais de gestion sur des comptes dont le calme et l’inactivité sont pourtant le lot. Étonnante pratique qui consiste à récupérer des frais sur les titulaires de comptes parfois un peu trop actifs, jusqu’à se retrouver à découvert, comme sur les comptes où rien ne se passe.
L’affaire porterait sur environ 3 milliards d’euros, somme que l’on ne peut évidemment s’empêcher de rapprocher de l’encours des comptes créditeurs, estimé à la fin de février dernier à plus de 487 milliards d’euros.
En clair, nous parlons de quelque chose qui pèse pour moins d’un point sur les comptes créditeurs de nos établissements bancaires et encore moins au regard de l’encours total des dépôts bancaires, qui dépassait, lui, à la fin de février, 1 600 milliards d’euros.
En pratique, les banques prélèvent des frais sur des comptes inactifs dont le montant constitue 0,2 % de l’encours mensuel moyen des dépôts.
Pour en revenir au texte qui nous préoccupe ce jour, nous souhaitons évidemment qu’il soit adopté – nous y contribuerons –, quand bien même il conviendrait d’y apporter quelques utiles précisions, notamment sur la notion de « compte inactif », qui fait parfois débat. Nous pensons, pour notre part, que l’inactivité d’un compte bancaire, même si elle est constatée par les systèmes de gestion d’un établissement de crédit, ne peut être que le fait du titulaire même du compte. Nous avons décidé d’amender le texte en ce sens, et j’ai d’ailleurs constaté avec intérêt que ce souci de précision était largement partagé sur les travées de notre assemblée.
La même observation vaut pour les contrats d’assurance vie, et il importe que la question de la démarche de recherche des ayants droit soit précisée autant que faire se peut et que les responsabilités des compagnies d’assurance soient clairement établies.
Les articles du texte ont permis des avancées, mais il nous semble que d’autres doivent encore être obtenues, notamment du point de vue du contrôle de l’activité des compagnies. En tout état de cause, il est évident que l’adoption de la présente proposition de loi ainsi amendée permettra de compléter le nécessaire effort de transparence et de modification des pratiques bancaires et assurantielles entamé depuis deux ans.
La lecture du rapport de la commission est particulièrement riche d’enseignements. En effet, on y apprend que des établissements de crédit ont été défaillants dans l’application de certaines règles de gestion. Sont citées et pointées notamment l’identification des comptes inactifs, voire l’absence totale d’identification de ces comptes. La communication de la Cour des comptes est tout aussi explicite quant aux obligations de certains assureurs, qui ont été de leur côté également défaillants – c’est le mot utilisé.
Monsieur le rapporteur, je me permettrai ici de citer votre rapport, dont la lecture, même sur un sujet financier comme celui-ci, peut nous autoriser un sourire : « La part anormalement élevée de centenaires parmi les assurés sur la vie, dont certains battent tous les records de longévité, est un signe particulièrement révélateur de ces dysfonctionnements. » Vous citez également le manque de diligence de certains assureurs à s’acquitter de leurs obligations de recherche et d’information des bénéficiaires d’un contrat.
Je conclurai cet inventaire à la Prévert en me référant à nouveau à votre rapport, qui met clairement en cause l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – en tout cas jusqu’en 2011 – et l’insuffisance des contrôles effectués sur le respect des obligations des assureurs. Cette proposition de loi devrait donc aider à clarifier la gestion des comptes et contrats en déshérence. Toutefois, notre démarche ne serait pas complète si nous n’appelions pas à la plus grande vigilance quant aux responsabilités des établissements bancaires et des assureurs. Aucun maillon de la chaîne ne doit être défaillant ! Nul doute d’ailleurs que la situation dont nous débattons aujourd’hui aurait un peu moins de prégnance si notre secteur financier et assurantiel était investi de missions de service public dans un rôle exclusif de financement de l’économie réelle.
Mes chers collègues, le texte dont nous débattons ce jour ne constitue certes pas un enjeu fondamental de la nécessaire régulation des activités financières. Toutefois, il peut très modestement y contribuer, chacun mesurant bien à quel point il reste au « politique » bien du chemin à parcourir pour encadrer avec beaucoup de rigueur et d’efficacité les activités financières, afin de toujours les orienter vers l’intérêt de l’économie du réel et de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Trucy applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne s’agit pas ici de la fermeture d’une niche financière ; il s’agit plutôt de l’ouverture d’une caverne d’Ali Baba. Quant aux quarante voleurs, ils sont identifiés de longue date…
M. le rapporteur, avec sa précision habituelle, a rappelé le nombre de comptes bancaires théoriquement détenus par des centenaires. À ce jour, en France, le meilleur moyen de se survivre, c’est de détenir un compte bancaire… C’est accéder à l’éternité de la meilleure manière qui soit ! On pourrait donc se réjouir de la longévité de ces 674 014 centenaires. Pourtant, l’INSEE – même si, en tant qu’élus locaux, nous savons qu’il se trompe souvent – évalue leur nombre à environ 20 000. On est donc loin du compte, même à raison de plus d’un compte bancaire par personne.
Si nous avons sans doute des milliers d’heureux et riches centenaires, nous avons surtout de nombreux bénéficiaires qui se retrouvent privés de sommes figurant sur des comptes dont ils n’ont pas connaissance. On peut faire à peu près le même constat pour les contrats d’assurance vie en déshérence, c’est-à-dire ceux dont le « titulaire ne se manifeste pas et n’est pas localisable » ou dont le « titulaire est décédé » et pour lequel « aucun ayant droit ne s’est manifesté ».
Constatons qu’il faut la conjugaison des forces de la Cour des comptes, de l’Assemblée nationale et du Sénat pour tenter de vaincre la résistance de la finance, monsieur le ministre.
Les montants concernés, s’ils sont difficiles à évaluer, sont colossaux. Quand on compare les efforts que nous déployons parfois pour économiser quelques millions d’euros avec l’importance des sommes en jeu – les avoirs bancaires non réclamés, entendus comme inactifs depuis au moins dix ans, se montent à 1,2 milliard d’euros –, on mesure l’importance du sujet. Quant aux contrats d’assurance vie ou de capitalisation non réglés, leur encours est estimé à un peu plus de 4,5 milliards d’euros. C’est considérable ! Pour appeler les choses par leur nom, il s’agit là d’un des vrais scandales de la République.
Même si les assureurs, contrairement aux banques, sont déjà obligés de s’informer du décès de leurs assurés et de rechercher les bénéficiaires, en pratique ces obligations sont imparfaitement respectées et les sanctions, jusqu’à présent très rares, paraissent peu dissuasives. Aussi, certains amendements qui ont été déposés auront toute leur utilité pour améliorer la situation de nos concitoyens.
Le cadre juridique actuel relatif à ces avoirs inactifs est loin d’être optimal et même « pâtit […] de faiblesses structurelles ». L’enjeu de la proposition de loi est donc de corriger cette situation. Nous nous réjouissons donc qu’elle puisse enfin aboutir.
L’une des principales faiblesses des dispositions législatives et réglementaires actuelles est l’absence de définition des comptes bancaires inactifs. La constatation de l’inactivité repose en pratique sur l’appréciation de chaque établissement de crédit, ce qui ne peut être satisfaisant. Autant demander aux braconniers d’élaborer les règles de lutte contre le braconnage !
Le premier mérite du texte est donc d’inscrire dans la loi une définition des comptes inactifs. À cette fin, il établit une obligation pour les établissements de crédit de les recenser. Ils devront pour cela procéder à la recherche des personnes décédées parmi leurs titulaires de comptes, en consultant le répertoire national d’identification des personnes physiques. En outre, ces établissements seront dans l’obligation de procéder au transfert des avoirs de ces comptes inactifs à la Caisse des dépôts et consignations – cela représente un progrès évident – trois ans après le décès du titulaire et au bout de dix ans pour les autres cas d’inactivité.
L’encadrement du devenir des avoirs – de la constatation de l’inactivité à l’application de la déchéance trentenaire, à l’issue de laquelle les sommes, confiées dans un premier temps à la Caisse des dépôts, reviennent à l’État – est la deuxième avancée principale de la proposition de loi.
Le texte prévoit un dispositif similaire pour les contrats d’assurance vie en déshérence. À cet égard, je remercie M. le rapporteur d’avoir complété et renforcé le dispositif par les amendements qu’il a fait adopter en commission visant, d’une part, à élargir le champ des contrats d’assurance vie concernés et, d’autre part, à créer un régime spécifique des « coffres-forts inactifs ». La notion même de « coffre-fort inactif » est très parlante…
L’article 7 bis, qui vise à obliger les notaires à consulter le fichier des comptes bancaires et le fichier des contrats d’assurance vie dans le cadre du règlement des successions, contribuera à réduire considérablement le nombre de comptes inactifs et de contrats d’assurance vie en déshérence, dont les sommes doivent être systématiquement restituées à leurs bénéficiaires.
Il faut le dire, nous avons une responsabilité collective, depuis de très longues années, dans la situation actuelle, qui est absolument lamentable.
Au final, ce texte devrait donc permettre de rendre à qui de droit les avoirs des comptes inactifs ou des contrats d’assurance vie en déshérence, au lieu qu’ils soient ponctionnés, parfois réduits à néant, par la perception de frais de gestion par les banques ou les assurances.
Dans la vie quotidienne, monsieur le ministre, on a parfois la surprise de s’entendre dire par un établissement bancaire qu’il est impossible d’ouvrir tel type de livret, au motif qu’on en possède déjà un – c’est ce qu’a vécu récemment l’un de mes proches. Et quand on cherche à accéder au compte en question, c’est un véritable parcours d’obstacles ! Même la Banque postale ne fait pas preuve d’une diligence exceptionnelle.
C’est donc dans l’intérêt non seulement des épargnants et de leurs ayants droit, mais aussi de l’État et des finances publiques que nous soutenons ce texte. En définissant ce qu’est un compte inactif, en créant de nouvelles obligations pour les établissements bancaires, en élargissant et en précisant celles des assureurs, en renforçant les contrôles et les sanctions, en encadrant strictement le devenir des sommes concernées, la proposition de loi représente une avancée indéniable pour les épargnants, leurs ayants droit et leurs bénéficiaires ainsi que pour les comptes publics. C’est pourquoi les membres du RDSE lui apporteront leur soutien unanime. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question en débat dans le cadre de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui intéresse depuis longtemps le Sénat puisque, voilà quatre ans, nous avions discuté d’un texte ayant le même objet présenté par notre collègue Hervé Maurey.
L’an dernier, le sujet a à nouveau été abordé lors de l’examen du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. C’est d’ailleurs parallèlement à l’examen de ce texte que nos collègues députés, dont Christian Eckert – vous l’avez souligné, monsieur le ministre –, ont exprimé le souhait que soit rapidement examinée la question des avoirs bancaires et des contrats d’assurance vie en déshérence. Ils ont sollicité en ce sens la Cour des comptes, dont le rapport rendu en juin 2013 a relevé des lacunes de la part tant des établissements financiers que de l’État.
Le constat fait par la Cour des comptes est édifiant. En effet, l’encadrement insuffisant des banques et des assureurs laisse au moins 4 milliards d’euros d’encours non réclamés par leurs titulaires et leurs ayants droit : 1,5 milliard d’euros dans la trésorerie des établissements bancaires et 2,7 milliards d’euros dans celle des assurances. Cela contribue à expliquer certaines disproportions comptables – tout le monde l’a souligné – relevées par le rapport : 675 000 comptes seraient détenus par des titulaires centenaires, alors que la France ne compte que 20 000 personnes de cet âge ; de surcroît, 1,3 million de comptes bancaires appartiendraient à des titulaires âgés de plus de quatre-vingt-dix ans.
Parallèlement à cette insuffisante garantie du droit de propriété des épargnants, la Cour des comptes souligne que la prescription trentenaire, au terme de laquelle les avoirs non réclamés doivent être reversés à l’État, n’est que très partiellement appliquée. Seuls 29 millions d’euros ont été versés à la Caisse des dépôts et consignations sur la période 2006-2012.
La proposition de loi déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale vise donc à assurer tant la garantie des droits des titulaires, bénéficiaires et ayants droit, que la protection des intérêts financiers de l’État.
La commission des finances a adopté le texte la semaine dernière, en faisant sienne les amendements parfois substantiels de M. le rapporteur, dont je tiens à saluer ici le travail.
La présente proposition de loi offre en premier lieu des garanties essentielles pour les titulaires de comptes bancaires ou de contrats d’assurance vie et leurs ayants droit. Elle renforce pour cela la protection déjà existante pour les contrats d’assurance vie et en crée une pour les comptes bancaires qui en étaient dépourvus.
Comme je l’ai dit, le rapport de la Cour des comptes relève que l’encadrement juridique des contrats d’assurance vie n’est que partiellement appliqué. En particulier, les assureurs tardent à mettre en œuvre l’obligation faite par la loi du 17 décembre 2007 de consulter le répertoire national d’identification des personnes physiques. La loi du 26 juillet 2013 a renforcé cette obligation de consultation, mais cela n’était probablement pas suffisant. La Cour des comptes relève en effet que « les décès identifiés par ces assureurs grâce au RNIPP ne portent que sur les décès d’assurés âgés de plus de quatre-vingt-dix ans et/ou dont le montant du contrat est supérieur à 2 000 euros ». Je me félicite donc que la proposition de loi tende à imposer une consultation annuelle aux assureurs, qui devront également publier un état annexé à leurs comptes dans lequel seront retracés le nombre et l’encours des contrats non réclamés.
De la même manière, l’obligation d’information annuelle détaillée pour les seuls contrats de plus de 2 000 euros, instaurée par la loi du 1er août 2003, laisserait hors du champ de très nombreux contrats, qui tombent d’autant plus facilement dans l’oubli. Pour cette raison, nous nous réjouissons que la présente proposition de loi vise à étendre cette obligation à tous les contrats d’assurance vie, quel que soit leur montant.
La loi de 2007 a surtout rendu obligatoire la revalorisation du capital garanti un an après le décès du souscripteur. La Cour des comptes relève cependant que cette obligation, qui n’impose aucun niveau minimal de revalorisation, se traduit par « une revalorisation post mortem du capital moins élevé que la rémunération du capital avant le décès ». C’est pourquoi l’article 4 de la proposition de loi pose le principe d’un seuil minimal de revalorisation du capital garanti en cas de décès.
La commission des finances a adopté la semaine dernière un amendement essentiel de François Marc, dont l’objet est d’élargir le bénéfice de l’obligation de revalorisation et du seuil minimum à l’ensemble des contrats d’assurance vie, en cours et à venir.
Si le régime des contrats d’assurance vie était incomplet, celui des comptes bancaires était quasiment inexistant. Toute tentative de protection se heurtait à l’absence de définition du compte inactif. Un compte sera donc désormais considéré comme inactif en l’absence d’opération ou de manifestation du titulaire pendant un an sur l’ensemble des comptes détenus dans un même établissement bancaire – cinq ans pour les livrets et comptes à terme. En cas de décès du titulaire, le compte sera déclaré inactif un an après celui-ci en l’absence de toute réclamation par les ayants droit, ce qui paraît tout à fait logique.
Sur la base de cette définition, les établissements teneurs de compte devront publier, chaque année, le nombre et l’encours des contrats inactifs maintenus dans leurs livres et assurer la conservation des informations relatives à ces comptes. Les frais de gestion seront plafonnés de manière à garantir les droits des ayants droit sur le capital conservé ou, en leur absence, de l’État.
Conformément à l’une des recommandations du rapport de la Cour des comptes, la proposition de loi vise également à rendre obligatoire la consultation par les notaires du FICOBA dans le cadre d’une succession. Cet accès centralisé et direct devrait limiter le nombre de comptes non réclamés. La proposition de loi a aussi pour objet de consacrer la jurisprudence récente qui permet aux ayants droit de consulter ce fichier.
L’examen au Sénat a, je le crois, permis de répondre à une question laissée en suspens par nos collègues députés : celle des coffres-forts. Leur nature étant différente de celle des comptes bancaires, il fallait concevoir un régime particulier, et celui proposé par François Marc me paraît ingénieux : le coffre est inactif si deux critères cumulatifs sont remplis, à savoir aucune manifestation du client pendant dix ans et le constat d’un loyer impayé ; vingt ans plus tard, la banque pourra disperser le contenu du coffre pour se rémunérer des frais générés, le reste étant acquis à l’État.
M. François Marc, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Chiron. À ce propos, il est étonnant de constater que les banques avaient décidé de construire, à la périphérie de Paris, des bâtiments destinés à abriter des coffres-forts qui n’avaient pas été visités depuis trente ou quarante ans. Ce système était spécial, pour ne pas dire spécieux.
Si le principal objet de la proposition de loi est de protéger les épargnants, celle-ci assure également la sauvegarde des intérêts financiers de l’État. Ces deux préoccupations se rejoignent d’ailleurs pour justifier la mission confiée à la Caisse des dépôts et consignations. La proposition de loi met en effet en œuvre la préconisation phare du rapport de la Cour des comptes, qui consiste à confier la gestion de long terme des comptes inactifs à la Caisse des dépôts et consignations et réaffirme ainsi le rôle historique de conservation des dépôts par cette dernière.
À la suite d’un amendement adopté par la commission la semaine dernière, le transfert des avoirs bancaires inactifs à la Caisse des dépôts et consignations se fera, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, à l’issue d’un délai de trois ans suivant le décès du titulaire du compte – et non plus deux ans, comme cela était initialement prévu par la proposition de loi – ou à l’issue d’un délai de dix ans suivant le début de la période d’inactivité du compte. La Caisse des dépôts devra, d’une part, organiser la publication de l’identité des titulaires de comptes qui lui ont été transférés, afin de faciliter la recherche des comptes inactifs et de protéger le droit des épargnants, et, d’autre part, garantir la valeur du capital déposé auprès d’elle, en en limitant les frais de gestion. Ce rôle de conservation des dépôts est également confirmé pour les contrats d’assurance vie.
Je suis persuadé, mes chers collègues, que ce texte consensuel, comme en témoigne le faible nombre d’amendements déposés, permettra de rétablir la transparence et la confiance nécessaire en matière d’épargne. Je note que la Fédération bancaire française et la Fédération française des sociétés d’assurance ont apporté tout récemment leur soutien à cette initiative dans des communiqués de presse.
M. Hervé Maurey. C’est inquiétant !
M. Jacques Chiron. Elles auraient pu agir plus tôt…
Je me réjouis surtout que ce soient le Gouvernement et le Parlement, par la loi, qui permettent de renforcer une confiance qui s’est détériorée ces dernières années de façon significative, et souvent à juste titre, entre les Français et leurs établissements financiers.
Tout en protégeant l’intérêt des épargnants, je souligne également que, grâce à ce texte, l’État protège ses propres intérêts financiers dans une période financièrement difficile avec une nouvelle recette potentielle de plusieurs milliards d’euros. En complément des dispositions prises dans le cadre de l’examen du texte relatif aux activités bancaires voté l’année dernière, en parallèle des mesures relatives à la fraude fiscale prises par le Gouvernement à la suite de propositions figurant dans des rapports de commissions d’enquête parlementaires, c’est un nouveau pas en avant vers une régulation nécessaire et un contrôle effectif des établissements bancaires.
Ces dernières années, vous l’avez souligné, mes chers collègues, nous avons, et souvent à une large majorité, obtenu des avancées dans ces domaines. Il nous faudra persévérer pour plus de transparence et encore plus d’efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence
Chapitre Ier
Comptes inactifs