M. François Marc, rapporteur. Certes, les obligations des banques à l’égard de leurs clients ne sont pas les mêmes que celles des assureurs. Alors que le contrat d’assurance sur la vie a pour objet même le versement d’un capital en cas de décès, ce qui implique de rechercher et de prévenir les bénéficiaires, le banquier n’est tenu qu’à une obligation de restitution au titulaire des fonds qui lui sont confiés. C’est d’ailleurs un point sur lequel nous aurons l’occasion de revenir lors de l’examen des amendements.
Il n’en reste pas moins que les banquiers appliquaient assez peu jusqu’à présent les dispositions relatives aux comptes en déshérence : les sommes déposées volontairement à la Caisse des dépôts et consignations, comme celles qui sont versées au Trésor public au titre de la prescription trentenaire, sont, ces dernières années, restées symboliques. Le fait que ces avoirs constituent des ressources stables au bilan des banques et continuent de donner lieu à la perception de frais, parfois jusqu’à épuisement du compte, n’y est sans doute pas totalement étranger.
Il me paraissait nécessaire de faire ces rappels, peu flatteurs pour nos établissements financiers, même si les pratiques ont été variables, car ce sont les manquements aux dispositions existantes qui justifient, pour une large part, une proposition de loi beaucoup plus précise que les principes et règles générales que nous avions adoptés jusqu’à maintenant.
Une nouvelle intervention du législateur était donc nécessaire, à la fois pour traiter le stock considérable d’avoirs en déshérence qui s’est constitué et pour prévenir une aggravation de ce dernier. Dès lors, il convient de saluer l’initiative de Christian Eckert, qui, en s’appuyant sur l’enquête de la Cour des comptes commandée par la commission des finances de l’Assemblée nationale, a déposé, en novembre dernier, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Votre commission des finances a décidé de procéder à l’examen conjoint de cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 19 février, et de celle qui a été déposée par notre collègue Hervé Maurey, qui travaille depuis longtemps sur le sujet. Les deux propositions de loi ont le même objet et puisent leur inspiration à la même source. La commission des finances a repris l’essentiel de leurs dispositions, tout en élargissant le champ d’application des dispositions contenues dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.
Si cette dernière a rencontré une très large approbation au sein de la commission, c’est parce qu’elle franchit une étape décisive par rapport aux initiatives antérieures. En effet, elle encadre de manière précise les différentes étapes conduisant, après trente ans et en l’absence de manifestation de tout ayant droit en dépit des informations et des recherches mises en œuvre, à la prescription des sommes au profit de l’État. Le dispositif prévu s’organise ainsi en trois temps : d’abord, constat du décès de l’assuré ou du caractère inactif du compte bancaire ; ensuite, à l’issue d’un délai variable selon les situations – dix ans dans la plupart des cas –, dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations, qui organise la publicité de l’identité des titulaires du compte ou du contrat et garantit le reversement des sommes si leur destinataire légitime se manifeste ; enfin, si personne ne se présente, transfert à l’État en application de la prescription trentenaire.
La mécanique de précision qu’il est proposé de mettre en place a une triple vertu : premièrement, elle renforce la protection des épargnants et des bénéficiaires de contrats d’assurance vie ; deuxièmement, elle conforte les intérêts financiers de l’État, en garantissant le respect de la prescription trentenaire ; troisièmement, enfin, elle permet aux professionnels, en particulier aux assureurs, de « sortir par le haut », si je puis dire, d’une situation qu’ils ont certes contribué à créer, mais qui leur est devenue de plus en plus préjudiciable au fur et à mesure qu’a été révélée, au cours de ces dernières années, l’ampleur des sommes en jeu et des dysfonctionnements.
Les activités bancaires et d’assurance vie, essentielles à la sécurisation de l’épargne et au financement de l’économie, reposent sur la confiance des épargnants. Le lancinant dossier des avoirs en déshérence était, on l’a bien compris, de nature à entamer cette confiance ; cette proposition de loi devrait permettre de la rétablir.
À présent, je crois utile de vous présenter, mes chers collègues, de manière plus détaillée, les principales dispositions de la proposition de loi.
Ce texte vient tout d’abord combler une lacune de notre droit, en définissant ce qu’est un compte inactif et le régime auquel il doit être soumis.
Un compte peut être déclaré inactif parce que son titulaire est décédé. Dans ce cas, les sommes sont déposées à la Caisse des dépôts et consignations au bout d’un délai que la commission des finances a souhaité relever de deux à trois ans à compter de la date du décès si aucun ayant droit ne s’est manifesté. La proposition de loi oblige le notaire chargé de la succession à consulter systématiquement le fichier national des comptes bancaires et assimilés, le FICOBA, afin d’identifier l’ensemble des comptes souscrits par le défunt. Cela devrait, à l’avenir, réduire de manière très significative le nombre de comptes en déshérence à la suite du décès de leur titulaire.
Un compte peut également être déclaré inactif s’il n’a pas enregistré d’opération depuis un an et que son titulaire ne s’est pas manifesté. Dans ce cas, le transfert à la Caisse des dépôts et consignations intervient au bout de dix ans d’inactivité. Durant cette période, les établissements sont tenus de vérifier tous les ans que le titulaire du compte inactif n’est pas décédé, en consultant le répertoire national d’identification des personnes physiques. Le dépôt intervient seulement après que la banque a cherché à prévenir le titulaire à différentes occasions définies par le texte, qui pose à cet égard des obligations très précises.
Enfin – c’est un point important –, la proposition de loi instaure un plafonnement des frais pouvant être prélevés sur un compte inactif.
Dans tous les cas, les sommes déposées auprès de la Caisse des dépôts et consignations sont acquises à l’État à l’issue d’un délai de trente ans, qui se décompte à partir du décès du titulaire ou de la dernière opération enregistrée sur le compte.
Le champ du dispositif est large puisqu’il inclut tous les comptes d’épargne considérés comme inactifs au terme d’un délai de cinq ans.
La commission des finances a précisé les conditions de liquidation, au terme du délai de dix ans, des titres déposés sur des comptes inactifs, en substituant un critère de liquidité à celui de la cotation des titres, ce qui permet d’étendre l’application du dispositif. Elle a aussi comblé un vide juridique en adoptant un dispositif spécifique pour la délicate question des coffres-forts en déshérence.
Comme pour les comptes bancaires, le dispositif concernant les contrats d’assurance sur la vie ou de capitalisation non réclamés s’organise en trois étapes.
En premier lieu, la proposition de loi renforce au cours d’une première période les obligations d’information à la charge de l’assureur et oblige ce dernier à respecter un taux minimal de revalorisation post mortem du capital garanti en cas de décès, afin de l’inciter à retrouver les bénéficiaires des contrats.
En deuxième lieu, si, au terme d’un délai de dix ans, les sommes dues n’ont pas été réclamées, elles sont versées à la Caisse des dépôts et consignations, qui assure alors la publicité sur internet de l’identité des souscripteurs des contrats en déshérence.
En troisième et dernier lieu, au terme d’un délai complémentaire de vingt ans, les sommes déposées sont acquises à l’État si personne ne les a réclamées.
La commission des finances a souhaité étendre un peu plus le périmètre d’application du dispositif proposé.
Tout d’abord, elle a étendu aux contrats d’assurance sur la vie ne comportant pas de valeur de rachat, telles les assurances décès, l’obligation de comporter un mécanisme de revalorisation post mortem du capital garanti.
Ensuite, elle a inclus ces contrats ainsi que les bons ou contrats de capitalisation au porteur dans le champ du dispositif de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations.
Enfin, elle propose de faire bénéficier l’ensemble des contrats d’assurance sur la vie, y compris les contrats en cours, du taux minimum de revalorisation introduit par la proposition de loi.
Le texte comporte plusieurs mesures destinées à faciliter le règlement des contrats.
Ainsi, le notaire chargé d’une succession sera autorisé à interroger le futur fichier des contrats d’assurance sur la vie, le FICOVIE, sur mandat d’un bénéficiaire éventuel ou pour identifier les contrats de capitalisation souscrits par le défunt.
Dans le même esprit, la commission des finances a introduit des dispositions visant à renforcer les moyens de recherche et d’information des assureurs, en leur permettant de bénéficier du concours de l’administration fiscale et des notaires.
La proposition de loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2016, afin de laisser à chacun le temps de préparer les outils et procédures nécessaires à sa bonne mise en œuvre. Cela permettra également aux assureurs d’accomplir avec diligence leurs obligations de recherche et d’information des bénéficiaires des contrats qui, sinon, seront transférés à la Caisse des dépôts et consignations ou acquis à l’État.
Tels sont, mes chers collègues, les éléments essentiels que je souhaitais vous livrer. Je vous proposerai tout à l’heure un certain nombre d’amendements visant à améliorer la rédaction du texte élaboré en commission et à lui apporter des précisions utiles. La proposition de loi pourra également être complétée par l’adoption de plusieurs amendements de notre collègue Hervé Maurey, que la commission a validés.
Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, la commission des finances vous invite donc à adopter la proposition de loi. Ce texte n’est pas de nature à susciter des clivages politiques ; il fait, je crois, « œuvre utile », en accroissant la protection des épargnants et des titulaires de comptes bancaires et, à défaut, des intérêts de l’État. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Michel Sapin, monsieur le rapporteur, cher François Marc, madame la vice-présidente de la commission, chère Fabienne Keller, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen s’attaque à un sujet qui aurait pu sembler marginal a priori, mais dont l’ampleur est en réalité considérable. C’est un véritable trésor dont il s’agit !
Les chiffres avancés par la Cour des comptes sont éloquents : les encours concernés s’élèvent à 1,6 milliard d’euros pour les comptes bancaires inactifs et à 2,76 milliards d’euros pour les contrats d’assurance vie. Plus de 670 000 comptes bancaires inactifs sont concernés !
Tout l’enjeu de la proposition de loi consiste à définir le périmètre des comptes bancaires considérés comme inactifs, ainsi que celui des contrats d’assurance vie en déshérence. Je crois que les critères fixés sont pertinents. Je salue donc le travail de Christian Eckert, ancien rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, devenu secrétaire d’État chargé du budget.
Je reconnais à la proposition de loi trois qualités majeures : elle institue une meilleure protection des intérêts des épargnants et de leurs ayants droit, elle améliore la garantie des intérêts de l’État et elle témoigne d’un réel souci d’encadrer les activités bancaires.
La protection des droits des épargnants, titulaires de comptes ou ayants droit, passe d’abord par un plus grand suivi des activités du compte et par une meilleure connaissance des conditions dans lesquelles un compte bancaire est déclaré inactif, mais elle repose surtout sur un vrai travail, systématique, de recherche et d’identification des titulaires et des ayants droit, afin de garantir leur droit de propriété sur les sommes en jeu. En effet, il arrive trop souvent que les ayants droit ne soient pas informés de leur statut par les titulaires des comptes, notamment avant un décès. C’est pourquoi il est de la responsabilité de la banque ou de la société d’assurance de faire son possible pour identifier et informer le nouveau titulaire.
Les délais fixés – dix ans, puis vingt ans, soit trente ans au total avant le transfert des sommes à l’État – me semblent raisonnables ; nous verrons à l’usage s’ils conviennent, mais je suis assez confiant à cet égard.
Dans un deuxième temps, lorsque tout a été mis en œuvre pour identifier les titulaires des comptes et des contrats, c’est évidemment à l’État que doivent revenir les sommes et les avoirs non réclamés. De ce point de vue, je salue l’effort des auteurs de la proposition de loi pour que les intérêts de l’État soient défendus par le biais de la prescription trentenaire. Il est en effet indispensable de s’assurer que les fonds non réclamés au bout de trente ans reviennent bien à l’État. Ce dispositif garantit les intérêts des citoyens non seulement en tant qu’épargnants, mais aussi en tant que contribuables, dans la mesure où le manque à gagner fiscal et financier pour l’État est loin d’être négligeable. Pourquoi, dans ces moments de flottement, les banques profiteraient-elles de la situation ?
Fondamentalement, la proposition de loi témoigne de la volonté de la majorité de poursuivre son travail d’encadrement des activités bancaires ; du reste, cette volonté est partagée par l’ensemble de nos collègues, unanimes, comme M. le rapporteur l’a signalé, à appuyer la proposition de loi. Cet encadrement passe par une plus grande transparence dans la gestion et dans la restitution des comptes bancaires inactifs et des contrats d’assurance vie en déshérence, notamment via un effort de recensement des comptes inactifs et des contrats non réglés. Il prend également la forme d’un plafonnement du montant des frais et commissions prélevés par les banques, afin d’éviter des ponctions trop importantes. Dans les faits, les prélèvements atteignent parfois plus de 60 % du montant total des actifs inscrits sur le compte !
Ce qu’il faut éviter par-dessus tout, ce sont les abus et les négligences – disons-le ! – commis par les banques et par les sociétés d’assurance. Je rappelle que ces excès sont dommageables pour les épargnants, pour les contribuables et pour les finances publiques. L’un de ces excès me paraît absurde : le fait que les banques puissent continuer à prélever automatiquement des frais sur des comptes bancaires considérés comme inactifs, alors que, en raison de l’absence d’écriture de ligne, elles ne supportent que des frais tout à fait minimes pour la gestion de ces comptes. Sans compter que ces frais sont largement compensés par l’accès aux liquidités ainsi disponibles !
Pour mettre fin à cette perception injustifiée de frais, dont les jeunes vivant à l’étranger et les personnes dépendantes ou malades sont les premières victimes, nous avons déposé un amendement à l’article 1er. Je sais que cet amendement, identique à un autre présenté par le groupe CRC, fait débat ; je trouve dommage qu’il n’y ait pas un plus large accord sur ce sujet.
Mes chers collègues, je me réjouis du travail parlementaire que nous avons accompli. Nous avons pu nourrir ce débat et progresser dans notre réflexion, d’abord lors de l’examen du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, puis lors de l’examen du projet de loi relatif à la consommation. Je vous rappelle que, au cours de ce dernier débat, nous avons retiré notre amendement tendant à supprimer les frais sur les comptes bancaires inactifs, après avoir obtenu du Gouvernement la promesse que le problème serait abordé ultérieurement. Je suis content que nous puissions en débattre cet après-midi, même si, je l’ai bien constaté, le Gouvernement n’a pas promis que le débat aboutirait…
La proposition de loi va dans le bon sens : celui de la reconnaissance des droits des épargnants et des intérêts de l’État. Pour cette raison, elle semble faire consensus parmi nous, ce dont je me réjouis ; ce fait, suffisamment rare pour être remarqué et apprécié, illustre la force du bicamérisme et l’utilité du Sénat.
Le groupe écologiste votera la proposition de loi, qui marque une avancée attendue et essentielle en matière d’encadrement des activités bancaires et de renforcement des droits. Je me félicite une nouvelle fois de l’excellent travail réalisé par Christian Eckert, nos collègues de l’Assemblée nationale, notre rapporteur, les membres de la commission des finances du Sénat et le nouveau ministre des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme M. le rapporteur vient de le rappeler, la proposition de loi s’inscrit dans le prolongement d’un grand nombre de dispositions législatives qui n’ont pas toutes produit les effets escomptés. De fait, après les lois de 2003, 2005 et 2007, nous sommes obligés de compléter un arsenal législatif qui n’a pas donné totalement satisfaction.
Sans doute, les établissements financiers ne se sont pas toujours empressés de jouer le jeu, mais il faut dire aussi que l’Assemblée nationale n’a jamais inscrit à son ordre du jour la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey, adoptée par le Sénat en 2010, et qui pourtant allait dans le même sens que la présente proposition de loi.
Monsieur le ministre, le souci des auteurs de cette proposition de loi est donc largement partagé. Je rappelle aussi que, lors de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, au printemps dernier, votre prédécesseur s’était engagé, au nom du Gouvernement, à aboutir sur ce dossier dans le cadre d’un texte spécifique.
La proposition de loi soumise à notre examen est l’aboutissement d’un long processus. La réflexion sur le sujet a été enrichie par un rapport de la Cour des comptes paru en juin 2013. Par ailleurs, une large concertation a été menée avec l’ensemble des parties prenantes : Bercy et la Caisse des dépôts et consignations, les établissements bancaires, les compagnies d’assurance, les notaires et les généalogistes, sans oublier les représentants des épargnants. Le résultat de ce travail et de cette concertation est largement consensuel et dépasse les clivages habituels.
La proposition de loi concilie l’intérêt général et les intérêts particuliers en protégeant aussi bien les intérêts financiers de l’État que les droits des épargnants et de leurs ayants droit. Il reste toutefois des progrès à accomplir sur ce dernier point ; nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
L’article 1er marque une avancée substantielle par rapport au droit positif en élargissant la question de l’assurance vie en déshérence aux comptes bancaires inactifs, dont il précise la définition, ce qui est une novation très utile.
Les chiffres qui ont été donnés par M. le ministre et par M. le rapporteur signalent l’importance des enjeux. Même si l’estimation des montants diverge, l’essentiel est qu’ils soient très élevés : plusieurs milliards d’euros de fonds dorment sur des comptes bancaires ou dans des assurances vie. Or non seulement ces fonds constituent des ressources quasiment gratuites pour les établissements financiers, puisque, en l’absence de mouvement sur le compte, les coûts de gestion pour les banques sont très faibles, voire quasiment nuls, mais, de surcroît, des frais de gestion sont parfois prélevés sur ces comptes dits dormants. En effet, si les livrets réglementés ne subissent aucun frais, tel n’est pas le cas des comptes courants. Ceux-ci supportent des frais qui s’élèvent, par exemple, à 50 euros à la Société générale, à 82 euros chez LCL et jusqu’à 135 euros au Crédit du Nord. À la longue, ces prélèvements peuvent même finir par vider complètement les comptes !
De là vient le peu d’empressement de certains établissements à rechercher les ayants droit comme à appliquer la prescription trentenaire. Songez, mes chers collègues, que, sur ces milliards dormants, seulement 50 millions d’euros ont rejoint les caisses de l’État en 2012 au titre des comptes bancaires inactifs et un peu plus de 6 millions d’euros de 2008 à 2012 au titre des contrats d’assurance vie. Pourtant, monsieur le ministre, ces milliards seraient bien plus utiles, surtout dans le contexte actuel, versés dans les finances publiques ou dans le patrimoine de nos compatriotes qui en sont les ayants droit que dormant dans les comptes des établissements financiers. Au reste, il est intéressant de remarquer que leur nature juridique demeure floue. Sont-ce des fonds propres, des quasi-fonds propres ? Entrent-ils en compte pour l’application des critères de Bâle II et de Bâle III ?
Le dispositif prévu par la proposition de loi ne remettra nullement en cause le ratio de solvabilité des établissements financiers. En effet, la somme de 1,6 milliard d’euros contenue dans les 1,8 million de comptes bancaires inactifs estimés ne représente que 1 % de l’encours total des établissements bancaires. De même, les 2 milliards à 4 milliards d’euros de contrats d’assurance vie en déshérence représentent moins de 0,5 % des encours totaux de l’assurance vie.
C’est pourquoi nous nous réjouissons que la proposition de loi fasse obligation aux établissements financiers de transférer à la Caisse des dépôts et consignations, au bout de dix ans, les sommes non réclamées des contrats d’assurance vie et des comptes bancaires inactifs et, au bout de trois ans, les sommes non réclamées après le décès du titulaire d’un compte. Cette mesure permettra de garantir l’application de la prescription trentenaire, puisque la Caisse des dépôts et consignations, elle, ne saurait manquer d’opérer scrupuleusement le transfert à l’État des fonds non réclamés, d’autant qu’elle sera contrôlée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. L’obligation de transfert préalable des fonds non réclamés à la Caisse des dépôts et consignations va également dans le sens de la protection des épargnants et de leurs ayants droit, puisque cette institution garantit l’intégralité du capital sans prélever aucun frais sur celui-ci.
Le principal changement prévu par la proposition de loi réside dans la publicité en ligne que la Caisse des dépôts et consignations devra assurer via un site sécurisé, qui permettra aux ayants droit de retrouver plus facilement la trace des fonds qui leur sont dus. Cette publicité conforte la position du médiateur de la Caisse des dépôts et consignations qui, comme la Cour des comptes, a dénoncé l’insuffisance du dispositif d’alerte des épargnants ou des héritiers sur le mécanisme de déchéance trentenaire au profit de l’État. En principe, pourtant, le bénéficiaire potentiel doit être prévenu par courrier recommandé six mois avant le transfert des fonds à l’État, mais un courrier, même envoyé à une mauvaise adresse, est considéré comme une information suffisante de l’ayant droit. En vérité, le dispositif d’alerte des titulaires de compte inactif paraît bien léger, surtout lorsque l’on considère qu’il n’y a aucun retour possible de l’argent transféré au Trésor public – peu importe que l’adresse ait été erronée et que le courrier ne soit pas arrivé à son destinataire.
Même si la proposition de loi les renforce considérablement, nous considérons tous que les obligations d’information restent encore insuffisantes. Monsieur le ministre, certains amendements défendus par nos collègues Jean-François Husson et Hervé Maurey, sous-amendés sur l’initiative de M. le rapporteur, pourraient compléter utilement l’arsenal de protection des épargnants et des héritiers. Je pense en particulier à celui qui prévoit l’information du titulaire d’un compte du caractère inactif de celui-ci, sans attendre les six mois avant le transfert à la Caisse des dépôts et consignations. Je pense également à celui qui tend à obliger les banques à rechercher les héritiers connus, par exemple les enfants du titulaire décédé, clients de la même banque.
En revanche, il paraît plus compliqué de demander aux banques de rechercher les ayants droit non connus ; je rappelle qu’elles ne sont pas dans la situation des assureurs, qui sont censés inscrire dans les contrats le nom des bénéficiaires.
Au surplus, lors des successions, les notaires ont l’obligation de consulter le FICOBA, qui recense l’ensemble des comptes bancaires. Les héritiers peuvent être ainsi informés de l’existence ou non de comptes. Certes, la disposition ne protège pas complètement l’ensemble des héritiers potentiels puisque 20 % des décès n’entraînent pas l’ouverture d’une succession. Néanmoins, il s’agit là d’une avancée intéressante.
La proposition de loi prévoit, par ailleurs, d’autres améliorations appréciables. Avant l’information par la Caisse des dépôts et consignations, le texte vise à instaurer un recensement annuel de l’ensemble des comptes inactifs dans les établissements bancaires afin de garantir plus de transparence aux épargnants. Seront précisés leur nombre et leur montant.
Lorsqu’un compte est considéré comme inactif, l’établissement tenant ce compte en informe le titulaire. Sans nouvelle de sa part, il doit alors consulter le répertoire national d’identification des personnes physiques pour vérifier – chose importante – que le titulaire du compte n’est pas décédé.
M. François Marc, rapporteur. Oui !
M. Francis Delattre. De la même façon, les assureurs, quant à eux, n’auront plus la « faculté », instaurée en 2007, mais désormais l’« obligation » de consulter chaque année le répertoire national d’identification des personnes physiques pour identifier les titulaires de contrats d’assurance vie décédés.
Cette recherche des personnes décédées évitera ainsi la situation dans laquelle nous nous trouvons. M. le rapporteur a évoqué le nombre de centenaires. Pour ma part, je citerai les nonagénaires, qui sont 600 000 dans notre pays, alors qu’il existe 1,2 million de comptes bancaires à leur nom…
Une fois l’information du décès du titulaire enregistrée, il s’agit alors de trouver ses ayants droit potentiels.
Nous avons vu que pour les établissements bancaires, hors succession, il leur serait difficile de rechercher des ayants droit inconnus, mais dans le cas de l’assurance vie, si les bénéficiaires sont censés être indiqués, se pose le problème récurrent du manque de précision de leur identité. La responsabilité des compagnies d’assurance est de ce point de vue indéniable. Je souligne que le devoir de conseil de l’assureur en matière de désignation des bénéficiaires d’un contrat d’assurance sur la vie a été récemment rappelé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 octobre 2013. La recherche des bénéficiaires des contrats en déshérence leur incombe, et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution entend désormais contrôler le caractère scrupuleux et diligent de leurs recherches.
Il y a un mois, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a ainsi prononcé un blâme assorti d’une sanction de 10 millions d’euros à l’encontre de Cardif, une filiale d’assurance de BNP Paribas, qui avait tardé à rechercher les bénéficiaires de contrats d’assurance vie non réclamés. Gageons que l’exemplarité de cette décision et l’application de ce pouvoir de sanction du régulateur inciteront l’ensemble des compagnies d’assurance à se conformer à leur obligation de recherche.
Le problème des frais bancaires, avant le transfert désormais obligatoire, au bout d’un certain délai, des fonds non réclamés des comptes inactifs à la Caisse des dépôts et consignations, qui n’applique, elle, aucun frais ou commissionnement, est également résolu par l’introduction d’un plafonnement des frais bancaires prélevés sur ces comptes abandonnés, dont le montant sera fixé par décret.
En outre, aujourd’hui, pour une banque, un compte inactif susceptible d’être facturé en tant que tel est un compte sans mouvement pendant un an.
Aux termes de la proposition de loi, la banque devra désormais prendre en compte l’ensemble des comptes du titulaire pour établir l’inactivité. Pour un compte d’épargne, il faudra attendre non pas un an, mais cinq ans après le dernier mouvement pour le déclarer inactif.
Nous le voyons, des avancées certaines sont proposées dans le texte que nous examinons aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera la proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence telle qu’elle a été enrichie par les travaux de notre commission – je pense, par exemple, à l’extension de l’objet de ce texte aux coffres-forts abandonnés –, tout en souhaitant l’adoption de certains amendements de nos collègues, que j’ai cités, qui visent à renforcer un peu plus la protection des épargnants et des ayants droit. Bien évidemment, le sort qui sera fait à ses amendements ne remettra pas en cause notre soutien à ce texte, qui nous paraît urgent et utile. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.