M. le président. L'amendement n° 19, présenté par MM. Watrin, Bocquet et Billout, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1261-3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, n’est pas reconnue travailleur détaché la personne de nationalité française salariée d’un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci, exécute son travail à la demande de cet employeur pendant une durée limitée sur le territoire national. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Cet amendement pragmatique vise à rendre impossible dans notre pays une pratique scandaleuse et abusive qui consiste ni plus ni moins à faire travailler en France des travailleurs détachés de nationalité française.
Cette pratique est légale, car elle n’est interdite ni par la loi ni même par les directives. Pourtant, il s’agit là d’un dévoiement réel de la directive européenne relative au détachement des travailleurs, dévoiement qui ne repose que sur une seule logique : l’optimisation sociale et fiscale, la réduction artificielle d’un coût du travail prétendument trop élevé en France, ainsi qu’on nous en rebat les oreilles.
Cette fraude légale n’est pas minime puisque, comme le révélait récemment une chaîne d’information continue, la deuxième communauté de travailleurs détachés en France est de nationalité française ! Ces salariés empruntent les mêmes chemins que ceux de l’évasion fiscale.
Direction, donc, le Luxembourg, où les agences d’intérim ont flairé l’opportunité. Un travailleur français s’inscrit dans une agence de travail temporaire luxembourgeoise. L’agence en question le place sur un chantier en France, par exemple dans l’Est, près de la frontière, puisque c’est souvent dans les régions frontalières que cette pratique a lieu.
Comme le soulignent à raison les journalistes de la chaîne d’information susvisée, « au final, l’agence d’intérim et l’entreprise utilisatrice sont gagnantes. Contrairement à l’employé, qui pendant ce temps-là, ne cotise pas en France, ni pour sa retraite, ni pour son assurance maladie, ni pour le chômage. » Au rang des grands perdants de cette situation ubuesque, il convient d’ajouter l’État et la sécurité sociale pour lesquels ces non-cotisations représentent des pertes non négligeables.
Afin d’éviter cet abus manifeste, il convient donc de limiter le statut des travailleurs détachés aux seuls salariés recrutés dans un autre pays membre et non titulaires de la nationalité française, de telle sorte que nos concitoyens ne soient pas pris en otage par la forme d’organisation du travail que les employeurs tentent en l’occurrence de leur imposer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. La commission partage bien entendu le souci des auteurs du présent amendement. Elle craint toutefois que la disposition proposée ne constitue pas la bonne réponse au problème que M. Bocquet vient de soulever dans la mesure où l’adoption de cet amendement exclurait de tout détachement en France les travailleurs français. Ainsi, un salarié qui, pour des raisons professionnelles personnelles, aurait décidé depuis vingt ans de travailler en Allemagne dans une grande entreprise n’aurait pas la possibilité d’effectuer une mission de détachement de quinze jours en France. Une telle situation serait complètement en contradiction avec le système du détachement.
Cela étant, il faut toutefois trouver un moyen de mettre fin aux abus qui sont effectivement constatés, notamment dans le cadre des entreprises de travail temporaire et à l’égard des transfrontaliers.
Pour cette raison, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. François Rebsamen, ministre. Le Gouvernement comprend également les motivations qui sous-tendent cet amendement. Mais même au nom de la prévention des abus, on ne peut pas empêcher un salarié de nationalité française – et l’exemple qu’a donné Mme la rapporteur à cet égard est juste – d’être détaché par son entreprise en France ou ailleurs. Une telle interdiction irait à l’encontre de la loi, puisqu’elle limiterait le droit à circuler et à travailler des salariés, et constituerait une atteinte au principe de libre circulation des travailleurs.
Les dispositions actuelles du code du travail en matière de lutte contre le travail illégal, renforcées par la proposition de loi dont nous discutons, permettent de poursuivre les entreprises qui, de mauvaise foi bien sûr, utilisent le détachement aux fins de s’exonérer de leurs obligations fiscales et légales.
C’est pourquoi, tout en comprenant tout à fait la finalité visée au travers de cet amendement, nous ne pouvons pas y donner un avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Avant de me prononcer sur cet amendement, je voudrais obtenir quelques précisions.
Si le travailleur détaché est français, il relève du régime de sécurité sociale français. Il ne subit donc aucune perte. J’ai du mal à comprendre.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Non, il est affilié au régime de sécurité sociale du pays où est installée la société qui le détache !
M. Éric Bocquet. C’est un faux détachement !
M. Jean Desessard. Je comprends mieux.
Pour ma part, j’aurais tendance à souscrire à cet amendement, qui me paraît très pertinent, car il existe effectivement un risque de dumping social : un grand nombre de sociétés vont s’établir au Luxembourg et embauchent des travailleurs français qu’elles détachent dans l’est de la France d’abord, ensuite dans le centre, dans le sud et le sud-ouest en faisant valoir qu’elles sont moins chères que les autres. Leurs travailleurs n’ont pas de problème de logement puisqu’ils habitent sur place. Il existe donc là un dévoiement possible.
Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, c’est l’harmonisation sociale par le bas. Si on ne réalise pas demain l’harmonisation sociale, elle se fera dans le sens qu’a illustré par son exemple M. Bocquet. Les dispositions seront détournées, les entreprises embaucheront des travailleurs français sous un régime social le plus bas possible pour les faire travailler en France, à côté de chez eux, et à la place des travailleurs employés en France qui, eux, relèvent du système français de sécurité sociale.
Madame la rapporteur, puisque cet amendement est selon vous une mauvaise réponse à la judicieuse question soulevée, pouvez-vous nous indiquer quelle est la bonne réponse ? Cela me permettrait de me prononcer.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Il s’agit d’un contournement du détachement et il faut prouver que l’entreprise en question ne répond pas aux règles du détachement.
Je vous renvoie à la page 32 de mon rapport où sont énumérés les critères permettant d’apprécier la réalité d’un détachement de salarié. Il s’agit notamment de « la durée limitée du détachement dans un autre État membre, la reprise par le salarié de son activité normale à l’issue du détachement, la nature des activités du salarié, la prise en charge par l’employeur du voyage, de la nourriture et de l’hébergement », etc. Un faisceau d’indices est donc nécessaire pour apporter la preuve que la société en question contourne le détachement et est passible des sanctions prévues par la présente proposition de loi. Mais il n’est pas nécessaire d’interdire de façon générale à tout salarié français d’être détaché en France.
Dans l’amendement, il est précisé que c’est la nationalité du salarié qui est prise en compte. Or vous pouvez être français et travailler aux États-Unis ou en Afrique. Dans ce cas, on ne peut pas vous interdire d’être détaché en France par votre entreprise dans le cadre normal du détachement. En revanche, par le système de sanctions qui est mis en place, il doit être possible de sanctionner une société qui contourne le détachement et se livre à du travail illégal.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je remercie Éric Bocquet d’avoir soulevé ce problème, parce que c’est justement ce type de détournement de la loi qui alimente l’esprit anti-européen, même s’il peut sembler paradoxal que ce soit lui qui l’ait posé! (Sourires.)
Madame la rapporteur, je vois bien l’obstacle juridique, je comprends parfaitement votre réponse, mais elle est complexe. Or ce qui alimente l’anti-européanisme, c’est justement la complexité.
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce sont les méandres juridiques qui rendent les détournements possibles. La solution, monsieur le ministre, et j’en reviens à la proposition que j’ai formulée tout à l’heure, serait d’obliger les travailleurs détachés à acquitter les cotisations sociales dans le pays d’accueil, sous réserve évidemment que ce régime leur soit plus favorable.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Vous l’avez souligné tout à l’heure, j’avais alors oublié de le préciser, mais je le fais maintenant. Si le droit européen n’évolue pas en ce sens, on ne notera pas de véritable avancée dans le domaine de l’illégalité du travail détaché.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Et en attendant, que fait-on ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre. Monsieur Bocquet, vous envisagez un détournement du détachement, un détournement du droit.
Vous avez évoqué l’exemple d’une entreprise luxembourgeoise de travail temporaire qui embauche un salarié français et le met à disposition d’une entreprise française. Elle acquitte les cotisations sociales non pas en France, mais au Luxembourg. Et ce n’est donc pas la nationalité du salarié qui compte.
Or il serait particulièrement injuste, vous en conviendrez avec moi, de pénaliser le salarié lui-même, qui a le droit, s’il le souhaite, d’être employé au Luxembourg et de revenir travailler en France, si les règles en vigueur sont respectées. L’adoption de votre amendement aboutirait à une limitation du droit de circuler, de travailler du salarié, ce qui serait contraire au droit.
Bien sûr, dans le monde idéal que vous dépeignez – j’aimerais bien y évoluer ! –, le problème serait résolu. Pour autant, j’en suis bien convaincu, il ne faut pas cesser de se battre en vue d’une harmonisation sociale européenne, et donc pour tirer vers le haut le système de protection sociale.
En l’espèce, il s’agit d’un détournement…
MM. Jean-Marie Vanlerenberghe et Jean Desessard. Eh oui !
M. François Rebsamen, ministre. Mais vous ne pouvez pas sanctionner ce détournement en pénalisant le salarié, en l’empêchant de circuler et de travailler. Il y a là une contradiction juridique. Cependant, je le répète, j’ai tout à fait compris l’esprit qui sous-tend cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 19.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 171 :
Nombre de votants | 208 |
Nombre de suffrages exprimés | 176 |
Pour l’adoption | 30 |
Contre | 146 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 1er bis
La sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre II du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1221-15-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1221-15-1. – Il est annexé au registre unique du personnel la déclaration mentionnée au I de l’article L. 1262-2-1. » – (Adopté.)
(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Charles Guené au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Articles additionnels après l’article 1er bis
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Watrin, Bocquet et Billout, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1111-2 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« 4° Pendant la durée de leur détachement, les travailleurs titulaires d’un contrat de détachement employés par une entreprise, y compris dans le cadre d’une sous-traitance par une autre entreprise, sont pris intégralement en compte dans l’effectif de l’entreprise.
« 5° Une même entreprise ne peut pas faire appel, directement, à des prestataires de services, si le nombre de salariés ainsi détachés excède le nombre de salariés employés par le donneur d’ordre dans des proportions définies par décret. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. L’article 1er de la présente proposition de loi étend l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire d’une prestation de service internationale à la vérification du dépôt de la déclaration de détachement auprès de l’inspection du travail. L’article 1er bis, quant à lui, impose que soit annexée au registre du personnel toute formalité déclarative exigée des prestataires étrangers, qu’ils en soient dispensés ou non.
Rappelons que le registre du personnel est un outil mis à la disposition des salariés et des représentants du personnel pour leur permettre de vérifier que les décisions et actions de l’entreprise sont bien conformes aux dispositions des codes du travail et de la sécurité sociale. Il paraît donc normal que toute procédure engagée par l’entreprise et ayant un rapport avec l’emploi de travailleurs étrangers figure dans ce même registre.
Le phénomène croissant de détachement de travailleurs, dans des conditions qui peuvent être totalement licites au regard du droit européen, mais qui violent totalement le droit social de notre pays, repose sur le manque de transparence et l’impunité dont jouissent parfois les entreprises, par manque de contrôle, mais aussi faute de possibilité de prouver les infractions face à des montages frauduleux complexes.
C’est pourquoi nous souhaitons que soient comptabilisés dans l’effectif et inscrits dans le registre unique du personnel les travailleurs en situation de détachement, même dans le cadre d’une sous-traitance. Cela permettrait de responsabiliser les entreprises donneuses d’ordre, renforcerait la transparence des emplois au sein de l’entreprise, et faciliterait les contrôles et la punition des infractions.
En parallèle, nous défendons la mise en place d’un pourcentage maximal autorisé de travailleurs détachés au sein des entreprises, selon un taux correspondant à la taille de l’entreprise et à ses besoins. Les PME et TPE sont les structures qui subissent le plus fortement les conséquences de ce phénomène croissant de détachement, lequel introduit une concurrence déloyale à l’égard de laquelle elles se sentent souvent désemparées. Les plus grosses entreprises, qui recourent massivement à ce genre de méthode, seront tenues de respecter un quota fixé dans la loi, et non par décret.
Le présent amendement vise donc à encadrer et limiter l’usage du détachement de travailleurs dans les entreprises, ainsi que les abus fréquents qui conduisent à une situation de pressurisation sociale insupportable pour les travailleurs comme pour les petits entrepreneurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. L’objet de cet amendement est double.
D’une part, il vise à ce que les salariés détachés soient pris en compte dans les effectifs de l’entreprise d’accueil. Cette proposition soulève un problème, car, si elle était adoptée, elle effacerait totalement la distinction entre les effectifs du prestataire étranger et ceux de l’entreprise d’accueil. Elle aurait, en outre, une incidence majeure sur les règles d’assujettissement applicables en matière d’institutions représentatives du personnel – la constitution d’un comité d’entreprise, par exemple –, ce qui impliquerait une concertation préalable à l’échelon national entre partenaires sociaux. L’annexion de la déclaration de détachement au registre unique du personnel de l’entreprise d’accueil, prévue à l’article 1er bis, me semble plus acceptable.
D’autre part, l’amendement prévoit qu’un décret fixera le nombre maximal de détachements autorisés par entreprise en fonction de ses effectifs. L’idée peut paraître séduisante, mais elle irait à l’encontre de la libre prestation de services qui découle des traités européens et du principe constitutionnel de liberté d’entreprendre.
Par conséquent, la commission souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Rebsamen, ministre. Je partage le sentiment de Mme la rapporteur.
Monsieur le sénateur, je comprends votre souci d’encadrer le détachement de salariés et de lutter contre les abus et les fraudes en la matière, mais je souhaiterais vous apporter deux arguments qui expliquent les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à votre amendement.
Vous le savez, et Mme la rapporteur l’a rappelé, les salariés détachés ne sont pas des salariés de l’entreprise donneuse d’ordre et ne relèvent pas de son collectif de travail. Ils ne peuvent donc pas être intégrés dans ses effectifs. C'est seulement en cas de fraude impliquant du travail dissimulé, et s’il s’avère que le donneur d’ordre emploie des salariés détachés comme ses propres salariés, qu’il devient employeur de fait.
Par ailleurs, limiter le recours à des prestataires de services étrangers en fonction du nombre de salariés détachés par rapport au nombre de salariés employés par le donneur d’ordre constitue une mesure discriminatoire, portant atteinte de manière disproportionnée au principe de la libre prestation de services. Elle pourrait surtout – je crois, monsieur le sénateur, que vous serez sensible à ma remarque – aboutir en pratique à l’effet inverse de celui recherché, en incitant en quelque sorte à une sous-déclaration : il n’y a pas de limite quand on essaye de contourner la loi !
M. le président. Monsieur Bocquet, l'amendement n° 8 est-il maintenu ?
M. Éric Bocquet. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par MM. Watrin, Bocquet et Billout, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L. 1262-1 du code du travail est ainsi modifié :
1° La seconde occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot « , ».
2° Sont ajoutés les mots : « et que la rémunération prévue pour les travailleurs en situation de détachement corresponde à la grille des salaires et des qualifications pratiqués au sein de l’entreprise du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage ».
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. L’article 1er bis, adopté par l’Assemblée nationale en séance publique, rend obligatoire l’annexion des déclarations relatives au détachement des travailleurs dans le registre unique du personnel de l’entreprise d’accueil. À nos yeux, c’est une mesure nécessaire, qui permet d’inscrire le salarié dans la réalité administrative de l’entreprise, mais qui est loin d’être suffisante.
En effet, les protections offertes aux salariés détachés en matière de rémunération sont particulièrement limitées : la seule vraie contrainte est que le travailleur soit rémunéré comme la loi nationale l’impose, c’est-à-dire au moins au SMIC. Or il est courant que certaines entreprises rémunèrent leurs salariés au-delà du SMIC, puisqu’il est logique que corresponde à des compétences et à un poste précis un salaire adéquat.
Pourtant, les travailleurs détachés employés par des donneurs d’ordre en France et qui accomplissent des missions qui requièrent des compétences spécifiques peuvent être contraints de percevoir un salaire bien inférieur à leur compétence réelle, bien que correspondant au minimum légal.
Pour ainsi dire, la concurrence et le dumping jouent autant sur les cotisations sociales que sur les salaires, puisqu’il est possible d’employer un travailleur très compétent dans son domaine tout en le rémunérant, en toute légalité, au SMIC.
Les travailleurs détachés échappent donc aux protections et aux avantages dont disposent les salariés de l’entreprise, notamment les acquis des conventions collectives, qui parfois ont participé de la négociation des grilles de salaires. Bien qu’ils soient détachés pour une période limitée, il n’est pas normal qu’ils échappent aux acquis sociaux résultant de la négociation au sein de l’entreprise. Parce que la loi impose le minimum légal, il faudrait s’y conformer : la loi impose en effet un minimum, mais ce n’est pas pour autant qu’il existe un plafond. La grille des salaires de l’entreprise doit être un outil de référence pour rémunérer le travailleur, détaché ou non, selon ses compétences et diplômes.
Afin de remédier à cette situation et d’éviter réellement le dumping social, notre amendement vise à préciser que les salariés détachés ont droit à une rémunération égale à celle que pratique l’entreprise dans laquelle ils sont détachés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Cet amendement tend à fixer le niveau du salaire qui doit être versé aux salariés détachés. Il revient donc sur la liberté contractuelle qui existe entre l’entreprise d’accueil et le prestataire étranger.
La proposition de loi que nous examinons impose déjà l’obligation de verser un salaire minimum légal ou conventionnel, qui peut donc, dans certaines branches, être plus élevé que le SMIC – l’inverse peut aussi exister. Ce salaire minimum n’est malheureusement pas toujours respecté, comme chacun le sait. Nous avons d’ailleurs prévu un dispositif de sanction dans ce texte.
La mesure proposée risquerait d’être considérée comme une entrave à la libre prestation par la Commission européenne.
Cela dit, cet amendement soulève une question judicieuse. La commission a souhaité connaître l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean Desessard. Une réponse judicieuse, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. François Rebsamen, ministre. Madame la rapporteur, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est intéressante, mais votre amendement n’y apporte pas de réponse satisfaisante.
Il faut bien sûr empêcher les fraudes et les abus en la matière, mais le code du travail prévoit déjà des dispositions spécifiques, comme vient de le rappeler Mme la rapporteur. L’employeur prestataire de services étranger doit respecter le SMIC légal et, quand il est plus favorable – cela peut arriver ! –, le salaire minimum conventionnel.
Par ailleurs, les travailleurs détachés, je l’ai déjà indiqué, ne sont pas salariés du maître d’ouvrage ou de l’entreprise donneuse d’ordre. Ils doivent donc être rémunérés sur la base non pas des salaires pratiqués en son sein, mais de ceux de la branche d’activité dont ils relèvent.
D’autres dispositions de cette proposition de loi également évoquées par Mme la rapporteur, notamment l’obligation de vigilance des donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage en cas de non-paiement du salaire minimum légal ou conventionnel – c'est l’objet de l’article 2 –, permettent de répondre aux enjeux que vous soulevez.
Vous êtes revenu à plusieurs reprises, et à juste titre, sur la chasse aux fraudeurs et sur la nécessité de soutenir les salariés. Mais si les propositions figurant dans vos amendements nos 8 et 10 étaient appliquées, elles pourraient, à terme, se retourner contre les salariés.
Monsieur le sénateur, je souhaite que vous retiriez votre amendement ; à défaut, le Gouvernement y sera défavorable.
M. le président. Monsieur Bocquet, l'amendement n° 10 est-il maintenu ?
M. Éric Bocquet. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. Watrin, Bocquet et Billout, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article L. 1262-3 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Aucun autre contrat de détachement ne peut être conclu entre un donneur d’ordre ou un maître d’ouvrage et l’employeur mentionné à l’article L. 1262-1, s’il n’est observé une période de carence d’un mois entre la fin du précédent contrat et le détachement d’un nouveau salarié. »
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. En l’état actuel du droit, un employeur peu scrupuleux peut avoir recours à ce que l’on peut appeler le « détachement à la chaîne ». Ainsi, les travailleurs étrangers étant détachés pour accomplir des missions souvent courtes, il existe, notamment sur les chantiers du BTP, un turn over assez important de personnel détaché. De ce fait, il est plus difficile de faire respecter le droit du travail par le biais du contrôle, la courte durée du détachement ne correspondant pas à celle, plus longue, du travail de l’inspection du travail ou du traitement administratif.
Cette situation s’explique tout simplement par l’absence de disposition légale réglementant la durée entre deux détachements.
Par ailleurs, une entreprise peut détacher un travailleur sur le sol français alors même que les formalités ne sont pas officiellement finalisées : les entreprises n’hésitent pas à envoyer le travailleur réaliser sa mission dans un pays étranger sans que le formulaire de détachement ait été retourné. Le travailleur commence alors sa mission sans être entièrement ni officiellement protégé par le droit du travail français.
C’est pourquoi nous souhaitons, à l’article 1er bis, introduire dans le code du travail une disposition tendant à ce qu’un délai d’un mois soit imposé à toute entreprise entre deux détachements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Cet amendement pose une interdiction générale et absolue : celle de bénéficier de deux détachements en moins d’un mois.
N’étant pas prévue par la directive d’exécution adoptée le 16 avril dernier par le Parlement européen, une telle mesure serait contraire au principe de libre prestation de service consacré par les textes européens.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.