Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Touraine, qui ne peut être présente ce matin.
Le diabète est une maladie métabolique chronique à l’origine d’une morbi-mortalité élevée, favorisée par son ancienneté et son déséquilibre. Je ne vous apprends rien, vous l’avez d’ailleurs évoqué, mais il n’est pas inutile de rappeler qu’il existe deux types de diabète bien distincts : le diabète de type 1, d’emblée insulino-dépendant, représente moins de 10 % des diabétiques et concerne principalement les enfants et les sujets jeunes ; le diabète de type 2, causé par une résistance à l’insuline, est quant à lui la forme la plus fréquente de cette maladie. Longtemps asymptomatique, ce dernier touche des adultes au-delà de quarante-cinq ans. Le nombre de personnes atteintes augmente avec le vieillissement de la population et les inégalités socio-économiques.
Vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut effectivement appeler à la mobilisation contre cette maladie chronique en pleine expansion. Depuis 2011, le seuil des 3 millions de personnes traitées pour diabète a été franchi. Sur les dix dernières années, ce nombre a ainsi augmenté d’environ 5,4 % par an.
Parce qu’il constitue un enjeu majeur de santé publique, le diabète est au cœur de la stratégie nationale de santé, présentée par la ministre des affaires sociales et de la santé le 23 septembre dernier. Nous le retrouvons ainsi dans les trois axes de la stratégie nationale de santé.
Il est tout d’abord au centre de l’axe « prévention » de cette stratégie. Il s’agit en effet d’agir tôt, avec un objectif pédagogique fort, en privilégiant l’éducation à la santé pour éviter, dès l’enfance, le surpoids et l’obésité et favoriser à tous les âges une alimentation adaptée et l’exercice physique régulier. Pour éviter les complications suivant l’apparition d’un diabète, il s’agira également d’intensifier l’éducation thérapeutique et les programmes d’accompagnement et de renforcer le rôle des « patients-experts » afin de faire du patient un véritable acteur de sa prise en charge.
Le diabète est également une priorité du deuxième axe de la stratégie nationale, c’est-à-dire l’organisation des soins autour des patients et la garantie d’un égal accès aux soins. Les patients atteints de diabète verront ainsi leur parcours de soins simplifié, recentré autour du médecin traitant, avec une coopération renforcée entre professionnels, notamment avec les endocrinologues.
Enfin, Mme Touraine est particulièrement attentive au renforcement de l’information et des droits des personnes touchées par le diabète, le renforcement de la « démocratie sanitaire » constituant le troisième axe de la stratégie nationale de santé.
Monsieur le sénateur, comme vous pouvez le constater, les travaux engagés sous l’égide de la stratégie nationale de santé apportent des réponses concrètes pour lutter contre la véritable épidémie que constitue aujourd’hui le diabète, en France comme ailleurs dans le monde.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de ces précisions. Tous ces éléments montrent que le Gouvernement souhaite se mobiliser sur tous les fronts pour faire face à cette épidémie très inquiétante à la fois sur le plan de la santé publique et sur celui de l’économie de la santé.
Néanmoins, je renouvelle mon regret et celui des associations, des patients et des médecins que le thème porteur de la campagne nationale n’ait pas été utilisé. Le Premier ministre, M. Ayrault, avait choisi d’ériger l’engagement associatif en grande cause nationale pour 2014. Si cet engagement est important, la lutte contre le diabète, vous l’avez rappelé, reste malgré tout une priorité.
J’ose donc espérer, au nom de tous les malades et de toutes celles et tous ceux qui se battent, y compris dans le secteur de la recherche, pour faire en sorte de limiter le développement de cette maladie, que nous pourrons ériger cette lutte en grande cause nationale dans les années qui viennent. L’information, à travers les grands supports médias, joue un rôle très important pour combattre une maladie dont nous avons rappelé, vous et moi, qu’elle était cachée au début et qu’elle procurait, lorsqu’elle était mal identifiée au départ, beaucoup de désagréments et de complications.
code de déontologie des infirmiers
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la question n° 682, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Hervé Marseille. Dernier né des institutions ordinales, l’ordre national des infirmiers a été créé par la volonté du législateur le 21 décembre 2006.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a confirmé les dispositions de 2006 prévoyant la rédaction d’un code de déontologie par l’ordre, charge au ministère d’édicter ce code sous la forme d’un décret en Conseil d’État.
Vous le savez, l’ordre national des infirmiers, comme l’ensemble des institutions ordinales de notre pays, a reçu délégation des pouvoirs publics. Ainsi, il exerce des fonctions juridictionnelles au travers de ses chambres disciplinaires, présidées par des magistrats de tribunaux administratifs et par un conseiller d’État au niveau national dont les décisions sont susceptibles d’être déférées devant le Conseil d’État. De fait, il contrôle l’accès à la profession et garantit la sécurité des soins pour les patients en veillant au respect des bonnes pratiques et de la déontologie.
Actuellement, cette juridiction ordinale fonde ses décisions sur des règles professionnelles incluses dans le code de la santé publique. Or ces dernières datent de 1993 et n’ont pas été mises à jour, alors que la législation sanitaire a considérablement évolué depuis vingt ans et que la profession d’infirmier est elle-même en complète mutation.
Il apparaît aujourd’hui indispensable que ces règles professionnelles prennent en compte les évolutions affectant le monde de la santé et plus particulièrement l’exercice infirmier. Dernier exemple en date : la volonté affichée de M. le Président de la République de créer un statut d’infirmière clinicienne pour 2016. Il s’agit d’une mesure annoncée dans le cadre du plan cancer III et attendue depuis longtemps par la profession. Ces professionnels aux « pratiques avancées », qui auront suivi une formation sur cinq ans, pourront accomplir certains actes médicaux comme la consultation ou la prescription.
De même, en appelant de ses vœux, dans le cadre de la stratégie nationale de santé, l’exercice pluriprofessionnel, Mme Touraine va augmenter le champ de compétences des infirmières et infirmiers. Cette augmentation de compétences ou, en d’autres termes, de droits, appelle un corollaire immédiat : l’augmentation des devoirs. Ces derniers doivent être identifiés et contrôlés par l’ordre au travers du respect de règles facilement identifiables par le professionnel ou par les patients au sein d’un document unique.
Au vu de ces constats, pouvons-nous réellement envisager une évolution des pratiques sans évolution de la déontologie ? La réponse est non ! Il est donc naturel de revoir les règles professionnelles inhérentes à la profession d’infirmier. C’est ainsi que l’existence même d’un code de déontologie pour les infirmiers est requise.
L’ordre national des infirmiers a présenté aux services du ministère un projet de code de déontologie au premier semestre de 2010. Quatre ans après, le décret n’a toujours pas été pris, au mépris patent de la lettre du législateur. Le document, qui ne fait que vingt-quatre pages, est pourtant rédigé en français ! Cela est d’autant plus étrange que, depuis 2012, des avenants au code des sages-femmes et des pédicures podologues ont été pris par décret en Conseil d’État sans aucun souci et dans un délai de quelques mois après leur transmission par les ordres concernés.
Certaines situations sont pourtant alarmantes. Je tiens notamment à appeler l’attention de Mme la ministre sur les cas de refus de soins, par des infirmiers en exercice libéral, de patients connaissant de très lourdes prises en charge mais restant à leur domicile par choix ou faute de place en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Face à l’ancienneté et l’imprécision des textes sur les refus de soins, le juge ordinal ne peut aujourd’hui juger avec précision les professionnels mis en cause et prendre en compte la complexité des situations. La santé publique gagnerait à ce que les structures disciplinaires de l’ordre des infirmiers puissent s’appuyer sur un texte remis à jour. Le code de déontologie répondrait à cet impératif.
Autre exemple, celui de la publicité : il serait utile de préciser l’usage que les infirmiers peuvent faire d’internet, qui n’existait simplement pas en 1993. Ici encore, la rédaction du code répondrait à cette nécessaire mise à jour.
Aussi, je vous prie, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir nous préciser sous quels délais sera édicté le décret d’application de la loi du 21 décembre 2006 portant code de déontologie des infirmiers. Il s’agit d’un impératif pour la qualité des soins que nous devons à nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, il convient d’abord de rappeler que la profession d’infirmier ou d’infirmière dispose déjà de règles professionnelles. En effet, en application des dispositions législatives définissant la profession d’infirmier, ces règles ont été élaborées et publiées en 1993 à l’occasion de la réforme de la formation et de l’exercice de la profession. Elles ont fait l’objet d’adaptation au fil du temps et s’organisent autour de grandes thématiques.
La première d’entre elles concerne les dispositions communes relatives aux devoirs généraux de l’infirmier, la seconde les règles spécifiques aux différents modes d’exercice, salarié ou libéral. Pour ce dernier mode sont notamment réglementées les relations entre confrères et les conditions d’installation et de remplacement. Tout manquement aux règles d’exercice et de déontologie peut d'ores et déjà faire l’objet d’une action disciplinaire à l’encontre de l’infirmier concerné.
Les chambres disciplinaires ont pu fonctionner de manière effective depuis 2010, à la suite de la création de l’ordre national des infirmiers, et ainsi rendre des décisions qui, pour certaines d’entre elles, ont débouché sur des sanctions disciplinaires. Les chambres disciplinaires de première instance ont déjà rendu plus de 200 décisions et la chambre nationale a statué en appel une cinquantaine de fois.
Monsieur le sénateur, la publication du projet de décret portant code de déontologie des infirmiers doit, par ailleurs, être examinée à l’aune des évolutions possibles concernant l’ordre national des infirmiers, compte tenu du questionnement récurrent de la légitimité de cet ordre auprès des infirmiers salariés depuis sa création en décembre 2006.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Je remercie Mme la secrétaire d’État de m’avoir apporté ces précisions.
J’observe que les services du ministère n’ont, depuis quatre ans, pas été en mesure de prendre ce décret et qu’aujourd’hui le Gouvernement évoque un problème de légitimité de l’ordre. Il s’agit d’un problème grave qui remet en cause le fondement même de l’existence de cet ordre, pourtant prévu par les textes. Je pense que l’ordre ainsi que la communauté des infirmières et des infirmiers apprécieront cette nouveauté !
situation du groupe pharmaceutique bms-upsa
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la question n° 685, transmise à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Henri Tandonnet. Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur la situation du groupe BMS-UPSA et notamment sur le site de fabrication des médicaments à base de paracétamol implanté à Agen, qui est actuellement le premier employeur privé du Lot-et-Garonne et le deuxième employeur de la région Aquitaine.
Au mois de décembre 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, a informé BMS de son intention de créer un groupe générique, sans référence, pour le paracétamol.
Le département de Lot-et-Garonne est tout particulièrement concerné par le risque que fait courir une telle décision pour l’ensemble des 1 400 employés de l’usine d’Agen, dont 70 % de l’activité est dédiée à la production de paracétamol.
En sus des 120 employés du siège de Rueil-Malmaison, plus de 580 personnes sur les 1 400 travaillant à l’usine d’Agen sont directement liées à la production de paracétamol pour la France. Ces dernières seraient donc concernées en premier lieu, ce qui mettrait en péril l’ensemble de l’usine. À cela, il faut ajouter les 3 600 emplois de la sous-traitance.
Le site de fabrication d’Agen, dans lequel BMS a investi ces dix dernières années 230 millions d’euros a vu, sur la même période, un doublement de sa capacité de production et de ses emplois. Il est un acteur essentiel du dynamisme du territoire lot-et-garonnais.
Bien entendu, il ne faut en aucun cas négliger les efforts à fournir pour diminuer le déficit de l’assurance maladie par la vente de médicaments génériques. Cela étant, pour ce qui nous concerne, il s'agit d’un faux problème, car le paracétamol a toujours été dans le domaine concurrentiel.
BMS a constamment été disposé à participer à l’objectif national de réduction des déficits. À la fin de 2013, le groupe a d’ailleurs accepté une baisse de 6,7 % du prix pour 2015, au terme d’une négociation avec le Comité économique des produits de santé, le CEPS.
Cependant, les économies souhaitées par l’État pour essayer d’équilibrer les comptes de la sécurité sociale vont avoir d’autres effets extrêmement néfastes pour l’économie du territoire. Alors que l’État ne récupérera que quelques centimes d’euros par boîte, avec un bénéfice incertain, un grand nombre d’emplois seront mis en péril, voire supprimés, et notre capacité à exporter et à rester indépendant à l’égard de cette production ne pourra pas perdurer.
Un rapport que nous avons communiqué au ministère montre que BMS-UPSA verse 70 millions d’euros de contribution à l’État et aux collectivités territoriales chaque année et que l’entreprise, depuis votre annonce, a gelé un plan d’investissement d’environ 60 millions de dollars.
Madame la secrétaire d’État, cela fait maintenant cinq longs mois que l’entreprise, les salariés et les syndicats sont dans l’attente.
Le 6 février dernier, j’ai posé une question d’actualité au Gouvernement sur ce même thème, duquel je n’ai obtenu aucune information claire. Trois mois sont passés, et il me semble qu’un arbitrage est impératif, compte tenu de la gravité de l’impact industriel et des menaces sur l’emploi que cette décision fait peser, aussi bien sur le bassin de vie agenais que sur le tissu économique local. Je souhaite donc, une nouvelle fois, connaître la position et les intentions du Gouvernement sur ce dossier.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Touraine, qui s’est néanmoins déjà exprimée sur ce dossier à plusieurs reprises. Votre question touche à la fois à la maîtrise des dépenses de santé, à l’attractivité de notre territoire pour l’industrie pharmaceutique et, bien sûr, à l’emploi.
Dans ce dossier, nous recherchons une solution qui concilie la valorisation des médicaments génériques et l’emploi. Nous recherchons aussi une solution qui tienne compte des exigences de qualité du produit et de pérennité des approvisionnements, car le paracétamol est une molécule utile et efficace, dont, j’y insiste, le remboursement par la sécurité sociale doit être maintenu.
Marisol Touraine avait indiqué, lors des interventions auxquelles je faisais référence il y a un instant, que ce dossier serait traité dans le cadre du conseil stratégique de la dépense publique.
Le 16 avril dernier, le Premier ministre a présenté le plan d’économies sur les dépenses publiques entre 2015 et 2017. Il a fixé à cette occasion le montant des économies à réaliser sur les dépenses d’assurance maladie d’ici à 2017. C’est un effort ambitieux, mais à notre portée, qui nécessite une action volontaire sur l’évolution des dépenses de médicaments.
Le Gouvernement souhaite donc une baisse du prix des spécialités dont le brevet est tombé et qui ne sont pas inscrites au répertoire des génériques. Le paracétamol appartient à cette catégorie et son prix n’a pas bougé depuis 2005. La négociation engagée entre les industriels et le Comité économique des produits de santé doit donc se poursuivre et déboucher sur une baisse de prix plus importante que celle qui a déjà été envisagée. Cette baisse de prix doit être effective au début de l’année prochaine.
Le Gouvernement est également favorable à ce que cette démarche soit accompagnée d’une réflexion sur la taille des conditionnements.
Faut-il aller au-delà et inscrire le paracétamol dans le répertoire des génériques ? À ce stade, la réponse dépend encore des résultats de l’analyse des observations transmises par les trente-six laboratoires consultés par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. C’est un travail complexe, qu’il faut conduire avec soin, compte tenu non seulement des enjeux de santé publique que cela représente, mais aussi de l’inquiétude des salariés et des élus concernés. Vous connaissez d’ailleurs mon intérêt particulier sur ce dossier, monsieur le sénateur.
La ministre des affaires sociales et de la santé le sait, les entreprises ont besoin de visibilité et de temps pour s’adapter : aucune décision sur la « générication » ne sera donc prise à court terme. La réflexion se poursuit dans le cadre d’un travail plus global sur le développement des génériques, axe central du plan d’économies sur l’ONDAM présenté par le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse, qui montre que le ministère s’est vraiment emparé de cette question difficile. Jusqu’à présent en effet deux positions contradictoires opposaient le CEPS et l’ANSM.
Je voulais néanmoins appeler votre attention sur un point : le problème du générique n’est pas forcément celui du paracétamol, puisque ce dernier a toujours été dans le domaine public et soumis à une forte concurrence. Les différences de prix, d’ailleurs tous réglementés, entre les produits de BMS-UPSA et les médicaments génériques sont donc très faibles.
C’est dans la négociation que vous venez d’annoncer que résidera la solution et non pas dans la création d’un groupe générique, qui tendrait à favoriser les pharmaciens plutôt que la sécurité sociale. En effet, la procédure des remises, propres aux médicaments génériques, avantage les distributeurs. Dès lors, s’il y a des gains à attendre, c’est sur le prix tarifé qu’il faut agir.
Nous souhaitons désormais qu’une solution rapide soit trouvée, qui apporte de la visibilité à l’entreprise, laquelle a gelé, je le rappelle, un plan d’investissement de 66 millions de dollars, et qui réponde aux préoccupations des salariés et des syndicats, inquiets pour l’emploi.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
exécution de trois militantes kurdes dans les locaux de leur organisation parisienne
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la question n° 705, transmise à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Éliane Assassi. Madame la garde des sceaux, je suis très sensible à votre présence dans cet hémicycle pour répondre à une question à laquelle je suis extrêmement attachée.
Vous le savez, le 9 janvier 2013, Sakine Cansiz, Fidan Doğan et Leyla Söylemez, trois militantes kurdes, étaient exécutées dans les locaux de leur organisation parisienne. Ces femmes luttaient pour la reconnaissance des droits politiques et culturels de leur peuple.
Depuis, un suspect a été arrêté, connu pour ses sympathies avec des mouvements nationalistes d’extrême droite turcs. Le mode opératoire et des révélations récentes tendent à démontrer l’implication des services secrets turcs et ceux d’autres États européens. Il s’agirait donc d’un acte planifié de longue date.
L’affaire Adem Uzun, dont l’ensemble des poursuites et la procédure ont été récemment annulées par la cour d’appel de Paris, prouve la coopération de la police française avec la Turquie pour l’arrestation des militants kurdes sur le territoire français. Partant de ce constat, nous pouvons nous interroger sur le rôle des services de renseignements français, sur les informations concernant Ömer Güney, ainsi que sur ses plans d’assassinat.
Une enquête a été ouverte et suit son cours en dépit des obstacles nombreux, qui visent à masquer les commanditaires. On peut craindre en effet l’enlisement de l’affaire. Il est dans notre pays une macabre tradition, qui consiste à ne jamais élucider les crimes politiques.
Il est un aspect sur lequel je souhaiterais appeler votre attention, madame la garde des sceaux, et qui donne sens à ma question. À ce jour, les plus hautes autorités de l’État n’ont toujours pas reçu les familles de victimes, contrairement à l’usage établi. Je salue d’ailleurs certains membres d’entre elles, qui sont actuellement présents dans les tribunes du Sénat.
Dans cette épreuve, les familles ont besoin du soutien de la République, alors que les leurs portaient les valeurs de démocratie, de justice et du droit des peuples. Les autorités de la République, en les recevant, exprimeraient leur compassion et prendraient en considération leur souffrance. L’indifférence accroît l’immense préjudice que ces familles vivent. Elles reconnaîtraient ainsi leur statut de victimes. L’œuvre de justice n’est pas une simple procédure de répression ou de sanction ; elle doit permettre aux victimes d’être informées, d’occuper la place qui leur revient.
Être à la hauteur de la gravité de l’événement est une manière de dire que la République ne laissera pas faire. Ne pas les recevoir introduit un doute sur la détermination des autorités. Or la recherche de la vérité nécessite que les questions empreintes de doutes soient posées.
Les recevoir permettrait aussi d’envoyer un message clair aux commanditaires de ce triple crime : la France ne le laissera pas impuni ! Il s’agit, enfin, d’adresser un signe à tous les démocrates qui ont trouvé refuge chez nous : la France les protégera et sera à leurs côtés.
Les associations de solidarité, comme l’association de solidarité France-Kurdistan, qui m’a sollicitée, les élus de tous bords que j’ai pu rencontrer, les citoyens et les personnalités comme celles rassemblées autour du comité « Vérité et justice », les associations kurdes et les familles ont besoin de cet encouragement.
Dès lors, madame la garde des sceaux, ma question est toute simple : quand les plus hautes autorités de l’État recevront-elles ces familles ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question, qui va me permettre non seulement de donner quelques éléments d’appréciation, mais aussi, et surtout, d’exprimer ma compassion à l’égard des familles frappées par ce crime odieux, qui ne peut pas rester impuni.
Pour le courage et la constance dont elles ont fait preuve dans leurs engagements, pour la détermination avec laquelle elles ont fait connaître et respecter la cause de leur peuple, ces trois militantes, Sakine Cansiz, Fidan Doğan et Leyla Söylemez, méritent, au-delà même de ce crime odieux, que la vérité soit faite.
Vous savez que trois juges d’instruction de la section antiterroriste de Paris ont été chargés d’une information judiciaire. Ils disposent bien entendu de tous les moyens d’investigation prévus par le code de procédure pénale, y compris d’ailleurs les outils de coopération judiciaire, dont les commissions rogatoires internationales, car il s’agit d’une affaire qui nécessite une coopération efficace.
Comme vous l’avez vous-même indiqué, une personne a été arrêtée et placée en détention provisoire, sous les chefs d’inculpation d’assassinats en lien avec une entreprise terroriste et d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Elle demeure évidemment présumée innocente tant que le jugement n’a pas eu lieu. Mais les investigations nécessaires et les actes de procédure estimés utiles par les juges d’instruction pour la manifestation de la vérité sont menés.
Les familles des victimes se sont constituées parties civiles. Elles ont donc accès à l’entier dossier et doivent être régulièrement informées de l’avancée des investigations.
Vous avez évoqué l’attitude des autorités publiques. Comme vous le savez, en tant que garde des sceaux, je ne peux pas recevoir les familles et prendre ainsi le risque de fragiliser la procédure, en donnant à la partie adverse des éléments permettant d’en contester le déroulement neutre et indépendant. En revanche, votre question me donne l’occasion d’adresser la compassion et l’attention des autorités publiques aux familles.
En ma qualité de garde des sceaux, je continuerai de veiller à ce que les juges d’instruction disposent des moyens d’agir, c'est-à-dire des effectifs nécessaires – je pense notamment aux enquêteurs –, ainsi que des moyens d’information et d’accompagnement de la part de notre bureau d’enquêtes pénales internationales. Je m’assurerai donc qu’aucun obstacle matériel ou logistique ne vienne fragiliser l’avancée de l’enquête.
Au nom de l’ensemble du Gouvernement, j’exprime notre attention, notre respect, notre compassion et surtout notre détermination à ce que la vérité soit faite.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la garde des sceaux, je vous remercie des mots de compassion que vous avez prononcés à l’égard des familles et de reconnaître les combats menés par ces femmes lâchement assassinées.
Je comprends bien les raisons – vous les avez explicitées – pour lesquelles vous ne pouvez pas recevoir les familles. Reste qu’il y a malheureusement des faits douloureux qui se passent dans notre pays et les familles des personnes concernées sont reçues et entendues par le Gouvernement.
En l’occurrence, bien que vos motifs puissent, je le répète, être entendus, il me semble que les familles pourraient être reçues, par exemple par M. le ministre de l’intérieur, même si les procédures sont en cours. Ces familles ont certes besoin de compassion, mais également d’encouragements pour les combats, malheureusement toujours d’actualité, de ces militantes. Il s’agit de reconnaître des batailles qui sont menées, sans d’ailleurs forcément être reprises dans les médias. Ce serait donc, me semble-t-il, un acte de la plus haute importance que M. le ministre de l’intérieur reçoive ces familles.