M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’épargne populaire.
7
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Catherine Deroche.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée, et je proclame Mme Catherine Deroche comme membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
9
Lutte contre la contrefaçon
Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (proposition n° 335, texte de la commission n° 383, rapport n° 382).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de trois mois, la présente proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par le Sénat, qui en est à l’origine. Résultant d’un important travail commencé en 2011 à l’occasion de l’évaluation de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, elle vise à renforcer la lutte contre ce fléau mondial, protéiforme et exponentiel qu’est la contrefaçon, qui représente tout de même pour notre pays, bon an mal an, 6 milliards d’euros de manque à gagner par an.
Je salue la méthode. On dit souvent que trop de loi tue la loi, mais le travail et l’évaluation auxquels cette proposition de loi a donné lieu constituent une valeur ajoutée à laquelle le Gouvernement se rallie.
Le 4 février dernier, l’Assemblée nationale s’est elle aussi prononcée à l’unanimité pour l’adoption de cette proposition de loi. S’inscrivant dans vos pas, les députés ont confirmé les objectifs fixés par le texte : dissuader la contrefaçon par l’augmentation des dédommagements civils et renforcer les moyens d’action de la douane en assurant à tous les types de droits de propriété intellectuelle le niveau de protection le plus élevé.
Leur travail a abouti à un renforcement des dommages et intérêts attribués aux entreprises victimes de contrefaçon. Il sera dorénavant tenu compte du préjudice moral dans la méthode forfaitaire de réparation du préjudice et l’indemnisation versée sera obligatoirement supérieure aux droits normalement payés par le contrefacteur. Il a en outre abouti à un encadrement plus précis du fichier prévu par l’article 13 qui sera mis en œuvre par les douanes à partir des données transmises par les opérateurs de fret express.
Des questions ont été légitimement soulevées sur la nécessité de mieux encadrer ce dispositif, notamment par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui s’est autosaisie de ce texte le 23 janvier dernier. Le Sénat avait déjà précisé que cette transmission des données ne devait pas porter atteinte au secret des correspondances. L’Assemblée nationale s’est fait l’écho de ses préoccupations en défendant la transmission de toute donnée nominative, en précisant la notion d’opérateur de fret express ainsi que le champ des flux concernés, et en limitant à deux ans la conservation de ces données. Cette durée est à la fois raisonnable et nécessaire pour procéder à une analyse de risque efficace en disposant d’un nombre de données suffisant et en tenant compte de la saisonnalité de certains flux. Il s’agit bien de n’arrêter les flux qu’à bon escient. Ce dispositif en offre les moyens aux douanes.
Je souhaite aussi que les douanes et les opérateurs puissent déterminer ensemble les conditions de leur coopération, rendue nécessaire par le développement du commerce en ligne, le texte complétant d’ores et déjà les moyens offerts aux douanes en aval sans pour autant entraver le commerce légitime.
En France, 117 500 sites de e-commerce sont actifs et réalisent un chiffre d’affaires annuel de 45 milliards d’euros dans le domaine des biens et des services. Certes, l’e-commerce n’est pas aussi prospère en France que dans d’autres contrées, mais je connais les Français : lorsqu’ils s’y mettront, ils rattraperont très vite leur retard !
En Europe, près de 550 000 sites marchands s’adressent à plus de 250 millions d’acheteurs en ligne, pour un chiffre d’affaires de 312 milliards d’euros. Vous mesurez l’importance de ce type de commerce !
Conséquence directe de ce développement, les saisies de contrefaçons sur les vecteurs du fret express postal ont fortement augmenté, passant de 35 000 en 2005 à 1,4 million en 2012, soit 30 % des saisies.
Au moment où se tient le salon de l’agriculture, il faut rappeler que la France est le premier exportateur mondial de semences. Le texte adopté par l’Assemblée nationale affirme clairement, comme l’avait rappelé le Sénat auparavant, que les semences de ferme ne constituent pas une contrefaçon.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !
Mme Nicole Bricq, ministre. Un équilibre a été trouvé dans le texte pour offrir aux certificats d’obtention végétale la protection nécessaire à toute invention intellectuelle, tout en préservant les pratiques agricoles de semences de ferme.
La protection de ces obtentions végétales garantit la durabilité de l’activité de 72 entreprises semencières, parmi lesquelles se trouvent de nombreuses PME, de 9 000 emplois et de quelque 17 800 agriculteurs multiplicateurs de semence. Il faut savoir que, chaque année, 600 nouvelles variétés sont créées et que le budget dépensé dans la recherche est de 240 millions d’euros par an.
Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que vous avez examiné la semaine dernière en commission des affaires économiques, vous donnera l’occasion de discuter de ce sujet. De même, comme le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll l’a annoncé devant vous à l’occasion du récent débat, le décret élargissant la liste des semences de ferme à treize autres semences, dont les sojas, les trèfles, les lupins, les pois, a été transmis au Conseil d’État le 13 février dernier. Celles-ci viennent s’ajouter aux vingt et une prévues par la réglementation européenne. Les engagements pris ont donc été tenus.
Enfin, le Gouvernement a souhaité confirmer la position du Sénat en matière d’alignement des délais de prescription en matière d’action civile, notamment s’agissant de l’action en paiement des sommes recouvrées par les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur. Je salue ici l’esprit de compromis du rapporteur de l’Assemblée nationale, qui s’est rallié à cette position.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme Nicole Bricq, ministre. Notre lutte contre ce fléau doit être portée sur tous les fronts, en France, en Europe et avec tous nos partenaires.
L’adoption de la proposition de loi permettra à la France de se mettre en cohérence avec le nouveau règlement européen du 12 juin 2013, entré en application le 1er janvier de cette année, qui encadre l’action de la douane contre la contrefaçon. Hier, le Parlement européen s’est également prononcé en session plénière sur le « paquet marques ». La rédaction votée permet la reprise des contrôles de marchandise en transit, mis à mal par la jurisprudence européenne Nokia-Philips de 2011, qui avait entraîné une chute des saisies opérées par la douane. C’est la position portée par la France qui a été adoptée. Il reste à convaincre le Conseil, qui doit maintenant statuer sur ce paquet législatif pour que puisse s’engager au plus vite le « trilogue » avec la Commission et le Parlement.
Nous menons également cette lutte contre la contrefaçon au niveau international par un renforcement des moyens dévolus à la coopération internationale et grâce à notre réseau d’attachés douaniers déployés dans soixante-dix pays. Ainsi, à l’occasion de la récente visite présidentielle en Turquie, j’ai signé un accord de coopération avec le ministère du commerce et des douanes turc qui permettra de renforcer les échanges entre nos services.
Notre arsenal pour lutter contre la contrefaçon est déjà bon et nous cherchons, avec le Parlement, à le rendre meilleur au travers de cette proposition de loi. Le classement de la chambre de commerce des États-Unis, paru le 28 janvier dernier, situe d’ailleurs cette année notre pays à la troisième position en matière de protection de la propriété intellectuelle, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni. Ce classement est significatif, car il est souvent dur avec les Français. Protéger l’innovation des entreprises participe aussi de l’attractivité de notre territoire.
La proposition de loi dotera la France d’un arsenal plus efficace encore dans sa lutte contre le trafic de marchandises contrefaites. C’est grâce à l’important travail qui a été mené sur l’initiative du Sénat que ce texte a pu avancer aussi vite sans que jamais l’intérêt général soit perdu de vue par les uns et les autres. Ce dialogue constructif entre le Gouvernement et le Parlement est un bon exemple de ce que nous pouvons faire ensemble pour rendre la France plus compétitive dans la bataille économique mondiale. Si nous parvenons ce soir à la fin de ce processus législatif, la France sera à la pointe de ce combat. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, autant le dire d’emblée, notre commission des lois est satisfaite du texte adopté par l’Assemblée nationale en séance publique et propose donc au Sénat d’adopter conforme en deuxième lecture la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Entre la réunion de la commission des lois et la séance publique à l’Assemblée nationale, j’ai pu avoir des échanges approfondis tant avec le Gouvernement qu’avec mon homologue rapporteur Jean-Michel Clément, que je tiens ici à remercier pour son écoute, son ouverture à la discussion et au compromis. Ces échanges ont permis d’aboutir, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale en séance publique, le 4 février dernier, à une rédaction tout à fait proche des préoccupations du Sénat et ne remettant en cause aucune de nos positions. Je ne peux que m’en féliciter.
Je rappelle que le texte dont nous discutons tire son origine d’une proposition de loi déposée par notre collègue Richard Yung le 30 septembre 2013, elle-même reprenant pour l’essentiel le texte de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon déposée par notre ancien collègue Laurent Béteille, tel que notre commission l’avait adopté le 12 juillet 2011, sans que ce texte puisse être inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
Avant de présenter les modifications apportées par l’Assemblée nationale, permettez-moi de faire le point sur la question des « semences de ferme ». Comme lors des débats en séance au Sénat, cette question a quelque peu détourné les débats de l’Assemblée nationale de l’objet même du texte, dont je rappelle qu’il consiste à renforcer les moyens de la lutte contre le phénomène de la contrefaçon, en harmonisant et en améliorant les procédures existantes, dans le respect du cadre fixé par le droit communautaire.
Je veux redire ici qu’en aucun cas ce texte ne modifie le fond du droit applicable aux obtentions végétales et à la dérogation prévue pour les semences de ferme. Je rappelle également que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adopté par l’Assemblée nationale le 14 janvier dernier, doit être examiné en avril par le Sénat ; c’est le texte idéal pour ceux qui souhaitent avoir un débat sur les semences de ferme.
Toutefois, afin de répondre aux inquiétudes qui se sont développées sur cette question, trois amendements ont été adoptés au cours de la navette : le premier au Sénat, sur l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy, et les deux autres à l’Assemblée nationale. Ces amendements ont une vertu didactique pour deux d’entre eux : rappeler la dérogation prévue par le code de la propriété intellectuelle pour les semences de ferme lorsque l’on énumère les utilisations interdites d’un certificat d’obtention végétale sans le consentement de son titulaire et préciser que les semences de ferme utilisées dans le cadre prévu par le code de la propriété intellectuelle ne sont pas des contrefaçons. Le troisième amendement a une portée plus normative, mais son impact pratique demeure très limité et ne remet pas en cause la logique d’harmonisation du texte : il s’agit d’exclure les semences de ferme de la procédure de retenue douanière et de destruction simplifiée.
Pour conclure sur cette question des semences de ferme, je déplore qu’elle nous ait éloignés du véritable enjeu de ce texte, c’est-à-dire l’activité économique et les emplois que nous perdons à cause du développement de ce fléau multiforme de la contrefaçon. Ne l’oublions pas !
J’en reviens à présent à l’objet réel de la proposition de loi, à savoir le renforcement des moyens de la lutte contre la contrefaçon.
Sur vingt et un articles en navette, huit ont été adoptés conformes par l’Assemblée nationale. Il s’agit des articles 9, 10, 14, 15, 16, 16 bis, 17 et 18.
Je souhaite dire quelques mots de l’article 16, car il a fait l’objet d’importantes discussions avec l’Assemblée nationale. Cet article vise à aligner sur le délai de droit commun de cinq ans les délais de prescription en matière civile figurant dans le code de la propriété intellectuelle, conformément à la réforme souhaitée par notre commission des lois, sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest, dans le cadre de la loi du 17 juin 2008.
Dans un premier temps, sur proposition de son rapporteur, la commission des lois de l’Assemblée nationale avait approuvé le relèvement de trois à cinq ans du délai de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon. Elle avait toutefois souhaité maintenir à dix ans le délai de prescription de l’action en paiement des sommes recouvrées par les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur lorsque ces sommes n’ont pu être versées à un ayant droit, considérant qu’il s’agissait d’une action en paiement et que la réduction à cinq ans serait moins favorable aux ayants droit.
Une telle modification remettait évidemment en cause la position défendue par notre commission, attachée à l’alignement sur le délai de droit commun de cinq ans, selon une logique d’harmonisation des délais de prescription. Cependant, après discussion, sur l’initiative du Gouvernement et avec l’accord du rapporteur de l’Assemblée nationale, l’article 16 a été rétabli en séance publique dans la rédaction adoptée par le Sénat, de sorte que l’article a été voté conforme.
D’autres articles ont fait l’objet de modifications notables, mais sans dénaturer ou remettre en cause la portée du texte que nous avons voté en première lecture. Je les évoque rapidement.
À l’article 2, destiné à améliorer les dédommagements civils pour les victimes de contrefaçon, l’Assemblée nationale a quelque peu modifié les modalités de l’indemnisation forfaitaire et apporté des précisions, sans remettre en cause la rédaction du Sénat visant à écarter tout risque de dommages et intérêts punitifs, contraires à notre tradition juridique.
À l’article 5, concernant les conséquences de l’absence d’action civile ou pénale de la part du saisissant à la suite d’une saisie-contrefaçon, l’Assemblée nationale a préféré s’en tenir à l’état actuel du droit en matière de propriété industrielle, c’est-à-dire l’annulation de l’ensemble des opérations de saisie-contrefaçon – saisie réelle comme saisie descriptive –, plutôt que de suivre la voie intermédiaire adoptée par le Sénat d’une mainlevée de la seule saisie réelle, permettant à la saisie descriptive de demeurer valable dans la perspective d’une éventuelle action ultérieure devant la justice.
Suivant la logique d’harmonisation du texte, l’Assemblée nationale a cependant aligné la procédure prévue en matière de propriété littéraire et artistique, douteuse d’un point de vue constitutionnel, sur celle prévue en matière de propriété industrielle. Il s’agit d’une question de conciliation entre les droits de la défense, dans le cadre d’une procédure quelque peu exorbitante, et l’efficacité de l’action des personnes victimes de contrefaçon. Nous pouvons nous rallier sans nous renier à la solution de l’Assemblée nationale, qui a au moins le mérite de s’en tenir au droit en vigueur, lequel n’est pas contesté...
L’article 13, vous vous en souvenez peut-être, instaure une obligation de transmission aux douanes des données relatives aux colis transportés par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, à des fins de contrôle par la mise en place de traitements automatisés de ces données.
L’Assemblée nationale a poursuivi la démarche d’encadrement de ce dispositif – très contesté par les entreprises concernées – engagée par le Sénat sur ma proposition, au nom du principe de proportionnalité et de l’exigence de protection des données personnelles. La collecte des données relatives aux personnes concernées par les colis a notamment été supprimée, ce qui constitue une garantie substantielle pour la protection de la vie privée. En outre, le dispositif est expressément soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le délai de conservation des données est fixé à deux ans par la loi.
S’agissant de l’exclusion des envois domestiques du dispositif, c’est-à-dire ce qui est envoyé en France à destination de la France, votée par le Sénat pour assurer une meilleure proportionnalité du dispositif, l’Assemblée nationale a estimé qu’elle posait une difficulté au regard des principes de non-discrimination et de libre circulation des marchandises dans l’Union européenne. Seuls seraient exclus du dispositif les envois en provenance ou à destination des États extérieurs à l’Union européenne, car ils sont déjà couverts par une obligation européenne similaire de transmission de données. Même si les paramètres sont un peu différents de ceux que nous avions proposés en première lecture, l’encadrement de ce dispositif sort renforcé de la navette et des débats parlementaires, ce dont il faut se féliciter.
Enfin, concernant l’article 20 relatif à l’application du texte dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie – vous savez combien la commission des lois est attentive à l’application de la loi outre-mer –, les échanges avec le rapporteur de l’Assemblée nationale ont permis de parvenir à une rédaction conforme aux textes organiques statutaires des collectivités concernées et à la répartition des compétences entre l’État et ces collectivités.
Dans ces conditions, notre commission a considéré que les positions adoptées par le Sénat en première lecture n’avaient pas été remises en cause par l’Assemblée nationale, laquelle a partagé notre vision des finalités comme des modalités d’application du texte. Elle a donc adopté la proposition de loi sans modification et invite aujourd’hui le Sénat à faire de même, car, comme vous l’avez dit, madame la ministre, il est urgent que ces mesures entrent en vigueur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon a pris une dimension nouvelle ces dernières années. Le trafic mondial de produits contrefaisants représenterait 10 % du commerce mondial, soit environ 250 milliards d’euros par an. À l’échelon national, la contrefaçon pourrait entraîner chaque année jusqu’à 38 000 destructions d’emplois et 6 milliards d’euros de manque à gagner pour l’économie. Surtout, elle représente une menace pour la santé et la sécurité des consommateurs en raison de ses conséquences sanitaires et sociales, qui peuvent être désastreuses.
La lutte contre la contrefaçon est donc un enjeu majeur qui doit viser avant tout à protéger les consommateurs contre les produits dangereux et à préserver l’emploi. C’est pourquoi nous estimons que le texte qui nous est soumis va globalement dans le bon sens, étoffant l’arsenal juridique à disposition des douaniers.
Nous soutenons les principales dispositions que sont le renforcement des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon, l’harmonisation des procédures existantes en matière de contrefaçon, notamment via la clarification de la procédure du droit à l’information, la procédure de saisie-contrefaçon entre les différents droits de propriété intellectuelle, l’alignement des délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans et, globalement, l’accroissement des moyens d’action juridique des douanes.
Cela étant dit, madame la ministre, se pose tout de même la question de l’efficacité des nouvelles mesures juridiques conférées à l’administration des douanes, eu égard à la situation dans laquelle elle se trouve, tant en termes d’effectifs que de moyens.
Les services des douanes ressortent particulièrement meurtris de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, qui a entraîné la suppression de plus de 8 % des postes : le nombre des agents, qui s’élevait à 22 000 au début des années quatre-vingt, est aujourd’hui d’à peine plus de 16 000. Alors que les services des douanes sont au bord de la rupture, leur budget est encore en baisse pour 2014.
Notre débat est aussi l’occasion de rappeler que le service des douanes est un levier de régulation économique, de sauvegarde du tissu industriel et de lutte contre le dumping social et écologique dont la France ne peut se passer. S’il est important de renforcer l’arsenal juridique, il nous semble tout aussi indispensable d’augmenter les moyens humains et budgétaires alloués à son application.
Ces remarques générales étant faites, je voudrais maintenant aborder deux points particuliers.
Le premier concerne les semences de ferme. Comme l’a dit mon collègue Gérard Le Cam en première lecture, nous avons soutenu pleinement l’action de la Confédération paysanne visant à introduire une exception agricole, afin que les paysans ne voient pas leurs récoltes saisies ou détruites à la moindre demande des multinationales. Nous faisons du droit des paysans à utiliser leurs propres semences végétales et animales l’une des conditions de l’existence d’une agriculture paysanne répondant à la satisfaction des besoins humains.
Je sais que l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à affirmer dans la loi que l’utilisation des semences de ferme n’est pas une contrefaçon. Reste que le débat n’est pas clos. L’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt sera l’occasion de revenir sur cette question.
Je voudrais déplorer encore une fois le mandat donné à la Commission européenne dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange transatlantique, qui portera sur des questions liées aux droits de propriété intellectuelle. Nous pensons qu’il devrait exclure toutes les dispositions y afférentes, car nous ne souhaitons pas importer un système dans lequel les firmes de l’industrie chimique polluent les cultures et attaquent ensuite les agriculteurs pour contrefaçon.
La Cour suprême des États-Unis a donné raison, en mai dernier, au géant de l’agrochimie Monsanto dans un litige qui l’opposait à un producteur de soja de l’Indiana, accusé d’avoir enfreint ses brevets par l’utilisation de graines transgéniques. La Haute Cour a pris cette décision à l’unanimité, considérant que la protection intellectuelle « ne permet pas à un agriculteur de reproduire des graines brevetées en les plantant et en les récoltant sans détenir une permission du propriétaire du brevet ». Voilà ce à quoi nous nous exposons !
C’est pourquoi – je le dis avec force – notre inquiétude est grande pour notre agriculture, face à la tendance actuelle d’accepter de breveter, non des inventions, mais des découvertes, et de les transformer en outil mercantile, alors même qu’elles devraient être au service de la recherche agricole, afin de favoriser la construction, avec les agriculteurs, d’un modèle agricole alternatif vertueux sur les plans social et environnemental.
Le second point a trait à l’article 13 de la proposition de loi, qui présente des risques d’atteinte à la vie privée et aux libertés publiques, dans la mesure où il prévoit la transmission aux douanes des données détenues par les opérateurs du fret express et de La Poste. Ces données seront enregistrées sur un fichier informatisé, mis à disposition de la direction générale des douanes. Le champ d’application de cet article est très large, même si l’Assemblée nationale a défini les opérateurs de fret express soumis à cette obligation en référence aux règles européennes et précisé la durée de conservation des données ainsi que les modalités de destruction. Vous connaissez notre position sur la création de fichiers, quels qu’ils soient, et nous en appelons à la plus grande vigilance.
Pour finir, mes chers collègues, je voudrais rappeler l’essentiel, en tout cas selon nous : la lutte contre la contrefaçon ne saurait se cantonner au simple champ judiciaire ; elle doit aussi avoir pour objectif de freiner les délocalisations de productions et nous permettre de repenser nos modèles d’échanges économiques, notamment avec les pays en voie de développement.
Sous réserve de ces quelques remarques, nous voterons le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon est un enjeu majeur pour la France et son savoir-faire reconnu dans de multiples domaines. Le 30 janvier dernier, a été lancée une mission interministérielle de réflexion et de concertation destinée à mettre en lumière les enjeux et les moyens de mise en œuvre d’une marque « France ». Cette mission, présidée par M. Philippe Lentschener, fait suite au rapport Gallois ; elle a été annoncée dans le cadre du pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi.
Alors que l’image de marque de la France constitue une véritable manne pour notre pays, elle se voit aujourd’hui écornée par l’inadéquation de son exploitation, ainsi que par une protection lacunaire contre certains aspects dommageables de la mondialisation. Pour reprendre l’expression de M. Lentschener, il s’agit aujourd’hui de poursuivre et de consolider un « récit national économique dont on sera fier ».
C’est de cet enjeu que traite la présente proposition de loi, fruit d’une collaboration étroite et féconde entre nos deux assemblées. Elle constitue une avancée en matière de lutte contre la contrefaçon et de préservation du made in France. Par « préservation », je n’entends pas un combat peu ou prou réactionnaire ou d’arrière-garde, mais bien la valorisation de l’atout économique que représente notre savoir-faire.
La perte directe de chiffre d’affaires pour les entreprises françaises victimes de la contrefaçon est estimée à 6 milliards d’euros par an et à 4 % à 7 % pour l’ensemble du secteur du luxe français. Aux pertes d’emplois induites s’ajoutent les pertes en matière d’innovation.
Le made in France doit être un argument de vente supplémentaire et un gage de qualité. À ce titre, nous saluons l’adoption du projet de loi relatif à la consommation et l’introduction consécutive, dans le code de la propriété intellectuelle, d’une procédure nationale d’homologation des cahiers des charges des indications géographiques pour les produits manufacturés. Les consommateurs bénéficieront désormais d’une meilleure information et ne pourront plus être les victimes d’un jeu de dupes mené par certaines marques. Il s’agit même davantage, par cette loi, de mettre en place un outil de protection et de valorisation du « made in territoires de France » plutôt que du simple « made in France ».
Par ailleurs, la procédure d’alerte au bénéfice des collectivités locales en cas d’utilisation de leur nom au sein d’une marque déposée permettra à nos collectivités et à leurs élus de se prémunir contre le risque d’exploitation de leur image de marque, ainsi que contre un risque avéré de dilution et de ternissement de cette image. Je pense en particulier à la commune de Laguiole, dans le département de l’Aveyron. Désormais, ces pratiques commerciales « déceptives » tendant à instrumentaliser le consommateur, à lui faire croire à l’origine locale des produits commercialisés seront rendues difficiles.
Avec ce texte sur la contrefaçon, nous continuons dans notre choix de valoriser le tissu productif français. La proposition de loi s’inscrit en effet dans la lignée des quatre axes dégagés par la loi de 2007 : le renforcement de la spécialisation des juridictions ; le renforcement des procédures simplifiées et accélérées devant le juge civil ; la consécration d’un droit à l’information pour contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur leur provenance ; l’amélioration de la réparation du préjudice pour les victimes.
Avec ce texte de loi, la France se dote enfin d’un arsenal juridique digne de ce nom. Les agents des douanes voient leurs moyens augmenter, afin de lutter contre tous les types de contrefaçon et dans toutes les circonstances. Nous avons notamment étendu à l’ensemble des marchandises contrefaisantes la possibilité pour un douanier de réaliser, après autorisation du procureur, la collecte d’informations sous une fausse identité et en infiltration. De même, les perquisitions douanières se trouvent facilitées par l’autorisation de l’accès aux locaux à usage d’habitation avec le seul accord de la personne concernée. Les agents des douanes disposent désormais de procédures plus souples pour la mise en œuvre des contrôles douaniers chez les opérateurs de fret.
La procédure de saisie-contrefaçon, ô combien essentielle dans la démonstration de la preuve pour ce type de litiges, a été modernisée. Nous saluons ici la précision apportée par l’Assemblée nationale concernant l’intervention d’un expert lors d’une telle saisie. Celle-ci ne constitue désormais qu’une faculté, afin d’éviter tout risque de vice de procédure que l’absence de désignation d’un expert par le demandeur pourrait entraîner.
Progrès supplémentaire apporté par ce texte : l’indemnisation des victimes de la contrefaçon se voit améliorée. L’état actuel du droit est très peu dissuasif : le contrefacteur est condamné au paiement d’une somme équivalente à celle versée par l’exploitant régulier d’un droit de propriété intellectuelle. Sans créer de dommages et intérêts punitifs, inconnus dans notre droit positif, la loi précisera désormais que le contrefacteur s’expose au paiement d’une somme plus élevée, ainsi qu’à la réparation d’un préjudice moral.
Mes chers collègues, la contrefaçon porte atteinte à notre capital matériel et immatériel, à la part palpable de notre économie comme à sa part impalpable, qui est notre image de marque. La dentelle de Calais, les santons de Provence, les mouchoirs de Cholet : comme il serait dommage de laisser à d’autres la fierté de notre capital culturel, qui est aussi notre capital économique et un réel avantage comparatif dans la mondialisation. Préservons la créativité française, elle est notre plus grande source de richesses et une solution pour une sortie durable de la crise ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)