M. Christian Bourquin. Tout à fait !
M. Simon Sutour. À cet égard, je souhaite remercier tout particulièrement mon collègue Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, qui vient de vous saisir par courrier, madame la garde des sceaux, pour vous indiquer son soutien en faveur de la cour d’appel de Nîmes.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Voilà !
M. Simon Sutour. Cessons de vouloir toujours tout concentrer à tout prix.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Simon Sutour. La concentration n’est pas un gage d’efficacité. Ce pays a besoin d’air. Un aménagement équilibré de notre territoire est, j’en suis depuis toujours convaincu, source de bien-être pour nos concitoyens, mais est également bénéfique pour le développement économique.
Madame la garde des sceaux, nous ne voulons pas revivre le cauchemar que nous avons vécu voilà quelques années avec Mme Dati.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Simon Sutour. Il est en votre pouvoir d’affirmer dès aujourd’hui que la cour d’appel de Nîmes vivra. Faites-le ! Ce serait, pour reprendre le titre de la chanson de Stromae, « formidable ». (Applaudissements.)
M. Christian Bourquin. Quelle conclusion !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui nous réunit n’est pas le premier du genre. En effet, vous m’avez invitée à plusieurs reprises pour évoquer un certain nombre de sujets concernant la justice. Je pense au débat sur la carte judiciaire, à celui sur l’application de la loi pénitentiaire de 2009, organisé à la suite d’un rapport d’information auquel a participé M. le rapporteur Détraigne, ou à la séance de questions cribles thématiques qui a eu lieu récemment. Nous avons en quelque sorte pris l’habitude de nous retrouver à l’occasion de la publication de rapports de très grande qualité et d’explorer en détail des sujets qui préoccupent le législateur, les professionnels de la justice et du droit.
Je me réjouis d’être parmi vous cet après-midi et salue votre très forte implication. Je remercie le président de la commission des lois, les deux rapporteurs ainsi que Catherine Tasca d’avoir assisté, pendant plus de deux heures et demie, à la restitution des conclusions et à la présentation des recommandations des groupes de travail que j’ai organisées à la Chancellerie, sous forme de séance plénière. J’associe à ces remerciements Christian Favier et tous ceux qui ont accepté de participer au grand colloque qui s’est tenu à la Maison de l’UNESCO au début du mois de janvier dernier. C’est dire si les questions qui ont été soulevées aujourd’hui sont essentielles et occupent fortement la Chancellerie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’exercice auquel je me livre devant vous est complexe. J’ai le souci de vous présenter l’esprit et la doctrine de la réforme judiciaire que j’ai engagée et, dans le même temps, pour avoir été extrêmement attentive à vos interventions, je tiens à répondre aux questions que vous m’avez posées. À certains d’entre vous d’ailleurs, je veillerai à les apporter par écrit. Je répondrai bien évidemment à l’interpellation très directe de Simon Sutour concernant la cour d’appel de Nîmes, mais permettez-moi de faire durer encore un peu le suspense... (Sourires.)
Je commencerai par vous rappeler les raisons pour lesquelles cette réforme judiciaire est engagée et les motivations profondes qui en sont à l’origine. Globalement, dans notre pays, l’organisation judiciaire remonte à 1958. C’est en effet sur l’initiative de Michel Debré qu’ont été supprimés les juges de paix et créés les tribunaux de grande instance, les tribunaux d’instance, les juges de l’application des peines, le Centre national d’études judiciaires, lequel est devenu en 1970 l’École nationale de la magistrature.
Depuis lors, des évolutions ont eu lieu. Des gardes des sceaux d’envergure ont apporté des modifications d’importance dans notre organisation judiciaire. Ce fut le cas de Robert Badinter, qui a introduit la possibilité pour les justiciables de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, supprimé les juridictions d’exception, notamment la Cour de sûreté de l’État, instauré le travail d’intérêt général, qui a eu, vous le savez, un effet important sur les décisions de justice. Ce fut également le cas d’Henri Nallet, qui a mis en place la politique publique de l’aide juridictionnelle. Ce fut encore le cas d’Élisabeth Guigou, qui a élaboré la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, créant notamment le juge des libertés et de la détention.
Ces modifications ont considérablement consolidé notre organisation judiciaire. D’autres sont également intervenues. Ainsi, certains tribunaux de grande instance ont été créés, d’autres supprimés. Il en est de même des tribunaux d’instance et des conseils de prud’hommes. Enfin, les greffes, qui étaient auparavant des charges privées, ont été fonctionnarisés en 1965.
Pour autant, notre organisation judiciaire manque d’une vision globale. Elle est aujourd'hui nécessaire. En effet, la société a changé : le droit est devenu plus complexe, la demande des justiciables s’est fortement diversifiée, les justiciables eux-mêmes ont changé leur rapport à la justice – ils sont plus informés, plus exigeants –, de nouveaux contentieux existent. J’ai entendu tout à l’heure que la loi ALUR créerait de nouveaux contentieux. Monsieur Hyest, il s’agit plutôt d’apporter des réponses et d’élaborer des procédures pour des contentieux qui existent et qui ne sont pas traités. Ainsi, si la loi relative à la consommation introduit la possibilité de répondre à des préjudices sériels, c’est bien parce que le préjudice et le contentieux existaient, mais qu’aucune réponse satisfaisante n’avait encore été trouvée. Aux réponses éclatées à des initiatives individuelles se substituera désormais une réponse collective, structurée et plus rapide, ce qui constitue une amélioration du service de la justice.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut des moyens !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous répondrai sur ce point, et je me délecterai même à décrire un certain nombre de moyens mis en place depuis une vingtaine de mois.
Il est nécessaire de penser l’organisation judiciaire de façon cohérente, sous la pression des contraintes que je viens d’énoncer et que renforcent un certain nombre d’initiatives récentes. Je pense notamment à la décision heureuse que vous avez prise ici même au mois de décembre 2012, mesdames, messieurs les sénateurs, de reporter de deux ans la suppression des juridictions de proximité, qui était prévue au 1er janvier 2013, sur la base du rapport Guinchard du mois de décembre 2011. Comme je l’ai souvent rappelé à cette tribune, un certain nombre de mesures d’accompagnement de cette suppression de juridictions de proximité, indispensables et prévisibles, n’avaient pas été prises. Je pense au décret en Conseil d’État qui n’a même pas été rédigé, au recrutement de magistrats qui était nécessaire, à la formation des juges de proximité, puisqu’ils devaient être rattachés aux tribunaux de grande instance.
Votre initiative a donc été incontestablement heureuse. Il n’en demeure pas moins, puisque vous l’avez souligné, monsieur Hyest, qu’il n’est pas question de supprimer les juges de proximité : leur utilité est reconnue par les justiciables et par les professionnels de justice. Reste qu’il nous faut réfléchir aux missions que nous allons leur confier, à la façon dont ils interviendront dans les tribunaux de grande instance. Tout cela participe de cette réflexion globale sur le tribunal de première instance que vous avez menée dans votre rapport avec un pragmatisme indéniable, madame, monsieur les rapporteurs. Ainsi, vous avez très clairement énoncé la conception idéale du tribunal de première instance, tout en tenant compte des réticences et des difficultés pratiques ; en conséquence, vous avez proposé une mise en œuvre progressive, ce qui me paraît tout à fait raisonnable.
Il nous faut tenir compte de l’impact de ces dispositions. C’est pourquoi nous devons continuer à réfléchir à la fermeture des juridictions de première instance qui a été programmée, puis différée au 1er janvier 2015. La maintenons-nous ? Pour ma part, cela me paraît souhaitable. J’entends les arguments en faveur d’une prolongation du report, mais je n’ai pas souhaité que, comme cela m’a été suggéré, cela figure dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures en cours de navette parlementaire. Nous avons un peu de temps pour poursuivre la réflexion afin de prendre la meilleure décision possible.
Pour penser l’organisation judiciaire, d’autres éléments de « pression » existent. Je pense à la collégialité de l’instruction, élaborée par la loi du 5 mars 2007, votée à l’unanimité, qui prévoit la suppression de 74 infrapôles. Cette mesure a un effet immédiat et direct sur l’organisation judiciaire. L’application de cette loi a été reportée à plusieurs reprises déjà, parce qu’elle demandait elle aussi le recrutement de 314 magistrats, selon nos estimations.
L’été dernier, j’ai présenté en conseil des ministres un projet de loi relatif à la collégialité de l’instruction, qui n’a malheureusement pas trouvé place dans le calendrier parlementaire. Voyant la fin de l’année arriver et ne souhaitant pas un report de l’application de ce texte prévue au mois de janvier 2014 – ce que je considère du plus mauvais effet –, j’ai pris sur moi de demander l’introduction dans le projet de loi de finances pour 2014 d’un amendement tendant à reporter d’un an encore l’application de la loi du 5 mars 2007. Je rappelle d’ailleurs que, avant cette loi du 5 mars 2007, deux textes sur la collégialité de l’instruction avaient été adoptés, qui avaient dû être abrogés avant leur application, parce que les mesures d’accompagnement et les moyens nécessaires à leur entrée en vigueur manquaient.
Je veux croire que, d’ici à la fin de l’année, ce débat se tiendra à l’Assemblée nationale et au Sénat, et que le texte de loi relatif à la collégialité de l’instruction pourra ainsi être mis en œuvre.
S’y ajoutent d’autres effets liés à la demande de spécialisation, qu’a évoquée M. André Reichardt. Nous le savons, cette requête est exprimée au titre des accidents collectifs et des procédures militaires.
M. Jean-Jacques Hyest. Et dans le domaine de la santé !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À cet égard, je vous renvoie à la dernière loi de programmation militaire, pour ce qui est des compétences confiées à diverses cours d’appel.
D’autres demandes concernent la cybercriminalité. Globalement, la réalité de notre vie quotidienne et collective impose, aujourd’hui, un effort de spécialisation. (M. Christian Bourquin acquiesce.) Cependant, cette exigence ne doit pas devenir antinomique de l’ambition de proximité.
M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La justice doit se rapprocher le plus possible des Français, en particulier sur le plan géographique. C’est là tout l’enjeu du tribunal de première instance et du guichet unique de greffe. Comment placer la justice à la portée physique de nos concitoyens, quelles que soient la nature et la technicité des contentieux ? En spécialisant certaines juridictions.
M. André Reichardt. C’est une question d’équilibre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, M. Reichardt l’a également rappelé avec raison, les nouvelles technologies sont le moyen par excellence pour atteindre cet objectif de proximité, dans le domaine des contentieux spécialisés.
De surcroît, nous devons faire face aux effets des deux lois de mai 2013 conduisant à diviser par deux le nombre de cantons.
M. André Reichardt. Vaste programme !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le sais bien, monsieur le sénateur, c’est précisément la raison pour laquelle je me tourne, à cet égard, vers la Haute Assemblée.
M. Jean-Claude Lenoir. Vous levez le voile, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, il n’y a pas de voile ! Ces textes ont été débattus publiquement. Ils ont été promulgués. Les décrets d’application ont été rédigés. Ils ont été publiés le 20 février prochain.
M. Jean-Claude Lenoir. Et quelles seront leurs conséquences ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Enfin, je sais qu’un carrousel de recours a été déposé devant le Conseil d’État. Vous le voyez, il n’y a absolument rien de secret ou de confidentiel ! Ces lois énoncent très clairement qu’il s’agit de réduire de moitié le nombre de cantons. C’est un travail, non de redécoupage, mais de fusion.
Je le répète, cette réforme a été menée par les deux chambres du Parlement. Elle est bien sûr susceptible d’avoir un effet sur la carte judiciaire.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est tout le problème !
M. Jacques Mézard. Hélas, cela n’a jamais été dit…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À ce titre, la direction des services judiciaires s’est saisie de la question suivante, que nous continuons à traiter avec les services du ministère de l’intérieur : quelle doit être notre référence ? En effet, on nous le répète à longueur de temps, la carte judiciaire ne correspond pas à la carte administrative.
M. Jacques Mézard. C’est un scoop !
M. Jean-Claude Lenoir. Le voile est levé ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Aujourd’hui, l’échelon retenu pour le tribunal d’instance, c’est le canton. Nous sommes donc placés face à une alternative : conserver ou non, dans ce domaine, la référence aux cantons existants.
Soyons clairs : nous n’allons pas réviser la carte judiciaire au détour d’un redécoupage cantonal mené par le ministère de l’intérieur. Il n’y aurait pas de logique judiciaire à le faire, notamment en termes de proximité.
M. Jean-Jacques Hyest. D’autres modifications ne sont pas plus logiques…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Hyest, je n’ai rien entendu ! (Sourires.)
J’insiste sur ce point : il n’y aurait aucune logique à ce que cette modification de la carte administrative emporte celle de la carte judiciaire, qui se fonde sur les cantons actuels.
M. Jean-Claude Lenoir. Bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, je le dis haut et fort : il n’y aura pas de fermeture de sites judiciaires,…
M. Christian Bourquin. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … j’y reviendrai en conclusion.
Dès lors, la question qui se pose à nous est la suivante : quelle sera la référence ? Aujourd’hui, dans le code de l’organisation judiciaire, le canton est bien le niveau de base pour le tribunal d’instance.
M. Jacques Mézard. En effet.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En conséquence, nous envisageons de prendre pour référence un groupe de communes. En découle une difficulté pratique, car, de ce fait, l’article annexe tableau IV dudit code comptera non plus 4 055 entrées, mais plus de 36 000. Toutefois, cette solution semble préférable quant à la pratique et à la doctrine. Si une commune disparaît – cela arrive – nous en tirerons les conséquences, mais la référence de nos instances judiciaires de base n’en sera pas modifiée pour autant.
De surcroît, nous avons envisagé de geler la carte actuelle, sur la base des cantons existants au 1er janvier 2014, c’est-à-dire avant la publication des décrets et la mise en œuvre de la réforme. Je n’ai pas encore tranché définitivement cette question. C’est la solution qui a été privilégiée pour les circonscriptions législatives. Il s’agit bien d’une option possible. Nous sommes en train d’étudier la faisabilité de la référence aux communes, eu égard aux 36 000 entrées qui seraient nécessaires. Si cette difficulté se révélait insurmontable, mais je ne crois pas que ce sera le cas, nous pourrions retenir cette méthode.
Personnellement, sur le plan philosophique, j’éprouve certaines réticences à geler une carte sur la base d’une référence administrative, en sachant que cette dernière est déjà modifiée et que sa révision s’apprête à entrer en vigueur. Je sais que cette possibilité a été retenue pour les circonscriptions législatives, mais, je le répète, si nous pouvons procéder par commune, nous privilégierons cette solution.
Je précise qu’un autre texte emporte des conséquences en la matière : il s’agit de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ces modifications portent avant tout sur les cours d’appel. J’y reviendrai dans quelques instants. Toutefois, je précise d’ores et déjà que ces effets doivent être pris en compte dans la réflexion que nous menons au sujet de l’organisation judiciaire.
Nous devons étudier plus précisément chacun des territoires. Je songe, par exemple, à la métropole de Lyon, qui sera dotée d’un statut particulier et absorbera, sauf erreur de ma part, le conseil général du Rhône. (Protestations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. On ne peut pas dire cela !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Une partie seulement de ses compétences et de son ressort, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quoi qu’il en soit, tous ces éléments méritent d’être pris en considération dans le cadre de la réflexion consacrée à l’organisation judiciaire.
J’ai souhaité que ce chantier soit mené en concertation. Voilà pourquoi j’ai réuni des groupes de travail, en leur demandant de me remettre leurs rapports passé un délai de quatre mois. Leurs membres ont souhaité bénéficier d’un plus grand laps de temps.
Aussi, ces documents m’ont été communiqués en décembre dernier, et non en juin dernier comme je l’espérais à l’origine. Sur la base de ces travaux, 268 préconisations ont été émises. S’y ajoutent les 20 recommandations énoncées dans votre rapport, monsieur Détraigne, qui a largement alimenté notre réflexion, notamment au sein du groupe de travail sur les juridictions du XXIe siècle. Ces diverses pistes ont fait l’objet d’un travail collectif mené, en janvier dernier, à la maison de l’UNESCO.
Au total, nous avons retenu trois axes, qui ont été soumis aux juridictions, comme je m’y étais engagé. Actuellement, ces dernières travaillent sur ces pistes, à l’aide de questionnaires et de formulaires qui leur ont été adressés et qui concernent, notamment, le tribunal de première instance.
Tout d’abord, il faut associer plus étroitement les citoyens à la construction d’un certain nombre de réponses et de solutions apportées à leurs litiges. En effet, nous ne pouvons pas nous réjouir que le citoyen soit plus informé et plus érudit, qu’il connaisse mieux les textes de loi et devienne partant plus exigeant, tout en persistant à le traiter comme un administré passif.
À cet égard, MM. Mézard et Hyest ont évoqué les juges de paix, ainsi que les fonctions de conciliation et de médiation. Il importe que nous développions ces dernières pour des contentieux assez divers, notamment civils ou sociaux. Il convient de faire du citoyen un acteur à part entière de la résolution de son litige tout en redéfinissant et en améliorant, via lesdites fonctions, les missions des professionnels de justice.
Dans la perspective du vaste chantier qui nous attend, j’ai souhaité m’en remettre à l’intelligence collective, en mobilisant les personnels des juridictions tout entières – magistrats, greffiers et fonctionnaires – et les professionnels du droit, ainsi que les parlementaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne manque jamais une occasion de le dire : il importe que la représentation nationale soit informée,…
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … du fonctionnement de nos juridictions, des besoins qu’expriment les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires de la justice, ainsi que des évolutions que connaît l’organisation de nos juridictions.
Évidemment, l’organisation judiciaire soulève des enjeux territoriaux, auxquels se joint la question de la répartition des contentieux.
En matière territoriale, je rappelle que le Président de la République lui-même s’est prononcé pour la création d’une juridiction unique de première instance. Il a souligné combien il importait d’assurer un accueil mutualisé des contentieux tout en développant les procédures de conciliation et de médiation. À cet égard, nous disposons, depuis quelques semaines, des nombreux rapports remis par les récents groupes de travail, sans oublier les documents antérieurs.
Parallèlement, nous devons nous pencher sur la définition des périmètres des contentieux. Il s’agit, là aussi, d’un sujet que vous avez abordé, monsieur Détraigne, et pour lequel vous avez formulé certaines propositions. Il faut poursuivre le travail engagé sur ce front.
J’entends qu’il est nécessaire de mettre en œuvre progressivement cette juridiction unique, une fois que nous serons parvenus à en définir le périmètre territorial.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je peux d’ores et déjà vous l’affirmer : je tiendrai les engagements que j’ai pris. Il n’y aura pas de fermetures de sites judiciaires. Aucun site ne sera fermé, ni la cour d’appel de Nîmes ni aucun autre !
M. Christian Bourquin. Bravo, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Sutour, vous souhaitiez me l’entendre dire à la tribune. Je l’affirme sans détour : Nîmes vivra,…
M. Simon Sutour. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et bien au-delà de sa cour d’appel !
Parallèlement, nous renforçons les sites judiciaires, notamment les maisons de justice et du droit. Je remercie les sénateurs dont les collectivités territoriales ont détaché des personnels au sein de ces structures. Toutefois, d’un point de vue organisationnel, les maisons de justice et du droit sont des sites judiciaires. Elles doivent, par conséquent, être dotées de greffiers.
M. Claude Dilain. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Aussi, nous avons décidé de créer des postes de greffier et de les affecter à ces instances.
MM. Claude Dilain et René Vandierendonck. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au surplus, sans insister lourdement et inélégamment sur la réforme de la carte judiciaire de 2008, je rappelle que nous ne supprimons pas de sites. Bien au contraire, depuis vingt mois, la tendance est plutôt à les rouvrir.
Mme Nathalie Goulet. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mézard, nous avons rouvert non pas un, mais trois tribunaux de grande instance, auxquels s’adjoignent quatre chambres détachées. Pour cette catégorie de juridiction, un cinquième dossier de réouverture est en cours d’examen.
Je le répète, nous affectons des greffiers aux maisons de justice et du droit. Nous ouvrons de nouveaux points d’accès au droit, les PAD, y compris au sein de nos établissements pénitentiaires, et nous dédions certains PAD spécifiquement aux jeunes. La dynamique à l’œuvre est donc bien celle des réouvertures !
Quant aux moyens et aux effectifs, s’ils nourrissent un débat récurrent, ils ne peuvent constituer un sujet en tant que tel. En effet, l’augmentation des effectifs ne garantit pas nécessairement, à elle seule, l’efficacité et la proximité de la justice, si essentielles pour nos concitoyens. Je songe à l’observation, formulée par M. Hyest, au sujet des nouveaux contentieux et des contentieux de masse.
Concernant les effectifs, je rappelle tout de même que, depuis l’arrivée aux affaires du Gouvernement, quelque 500 emplois sont créés chaque année dans le domaine de la justice.
M. Christian Bourquin. Ce n’est pas rien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette année 2014, nous bénéficierons même de 590 créations de postes.
J’en conviens, la situation est préoccupante sur le front des effectifs. Quelle est-elle ? Dès notre arrivée au pouvoir en 2012, nous avons estimé à 1 400 le nombre de départs à la retraite à venir, dans le domaine de la justice, au cours du quinquennat. Pour compenser ce flux, il aurait fallu, sous la précédente mandature, ouvrir 300 postes chaque année. Dans les faits, seuls 85 postes ont été créés par an – les promotions ayant été fixées à 105 élèves et divers postes ayant été supprimés au titre de la réforme de la carte judiciaire. Dès lors, il est facile d’évaluer les déficits cumulés en cinq ans !
M. Jacques Mézard. Ah, le cumul… (Sourires sur les travées du RDSE.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Depuis que je suis garde des sceaux, soit au seul titre des deux dernières années budgétaires, nous ouvrons en moyenne plus de 300 postes au concours. Cette année, ce nombre a été fixé à 384. L’année dernière, les 420 postes proposés n’ont pas tous été attribués. Il m’a alors été suggéré de baisser le niveau du concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature, l’ENM…
M. Jean-Claude Lenoir. Ah, ça non !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez bien fait !
M. Christian Bourquin. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, le concours de l’ENM est l’un des plus beaux de la fonction publique, et de la République tout entière. Il nous faut, à tout le moins, en maintenir le niveau actuel. Plutôt que de réduire nos exigences, nous avons donc mené, sur deux années, une campagne de sensibilisation, pour attirer les meilleurs candidats et recruter partant les meilleurs étudiants. L’an passé, ces efforts ont été récompensés : les 384 postes ouverts ont trouvé preneur.
Par ailleurs, comme je vois que cette assemblée est massivement masculine…
M. Jean-Claude Lenoir. Je peux partir, si vous le souhaitez ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Moi, je suis là !
Mmes Évelyne Didier et Esther Benbassa. Moi aussi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, chacune d’entre vous compte pour dix ! (Sourires.)
Comme je vois que cette assemblée est massivement masculine, disais-je, je souhaitais rappeler que le taux de féminisation des lauréats du concours de l’ENM atteint 82 %. Vous l’avez d'ailleurs vous-mêmes observé, mesdames, messieurs les sénateurs. Ce n’est pas un mal, dans la mesure où les études ont montré que les magistrates jugent de la même façon que les magistrats – ni plus ni moins sévèrement.
M. Christian Bourquin. C’est un signe de la dégradation du métier !
Mme Évelyne Didier. Ce n’est pas cela qui dégrade le métier, enfin !
M. Christian Bourquin. J’ai dit : « Un signe de cette dégradation », ma chère collègue. Que l’on s’entende bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les femmes magistrates appliquent le droit, comme les hommes. Cette année, la promotion de l’École nationale de la magistrature compte 72 % de femmes, les hommes représentant 10 % de plus qu’auparavant. Leur nombre augmente donc un peu. Il n’y a pas eu, durant les dix dernières années, autant de lauréats hommes aux trois concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature.
De plus, soixante-quatre auditeurs de justice ont intégré ce cursus au titre de l’article 18-1 du statut de la magistrature, c'est-à-dire après avoir exercé d’autres professions, ce qui entraîne une diversification des expériences et des cultures qui se rencontrent à l’école.
Enfin, treize auditeurs de justice sont issus de nos classes préparatoires, qui visent à contribuer à la mixité sociale. Il s’agit de jeunes ayant suivi des parcours différents, originaires de milieux sociaux moins favorisés que ceux qui ont emprunté les autres voies. Après un cursus en classe préparatoire, ils intègrent l’École nationale de la magistrature avec exactement le même niveau que les autres lauréats : ils passent le même concours, avec les mêmes épreuves, corrigées de la même manière.
En ce qui concerne les greffiers, nous avons fait le même effort, et plus encore. Je suis en effet soucieuse de l’échéance de 2023, à laquelle 40 % de la profession partira en retraite. Nous avons donc déjà commencé à anticiper cette évolution. Dans l’immédiat, 1 084 greffiers vont arriver dans nos juridictions.
En résumé, 250 magistrats arrivent dans nos juridictions, où 350 postes sont vacants, alors qu’à peu près 250 autres magistrats sont en poste à l’extérieur des juridictions. Ils prendront leurs fonctions d’ici à septembre prochain et renforceront les effectifs en place. De surcroît, 1 084 greffiers prendront leurs fonctions dans les juridictions durant la même période, apportant un renfort humain. Depuis vingt mois, le Gouvernement n’a pas désarmé pour améliorer les effectifs et les moyens. Voilà ce que je souhaitais vous dire concernant ce sujet qui, s’il est sérieux, n’est pas le seul important.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai parlé un peu trop longtemps et vais accélérer mon propos…