M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est exact !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il y a donc bien cette part d’appréciation pour laquelle nous plaidons à longueur de temps en disant qu’il faut faire confiance à la justice et permettre au magistrat de librement apprécier les situations qui lui sont soumises. Il n’en demeure pas moins que, dans ces procédures pénales, non seulement le magistrat appréciera les pièces qui sont à sa disposition mais il le fera unilatéralement, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de contradictoire, la défense n’ayant pas son mot à dire. Par ailleurs, son appréciation sera peut-être différente selon les territoires et les enquêtes concernées.
Nous estimons donc qu’il y a là un petit espace d’incertitude en matière de sécurité juridique. Le magistrat peut estimer que la divulgation de ces pièces – ces pièges – peut menacer la sécurité des personnes qui ont contribué à éclairer la justice. La pièce de procédure qui a permis de déterminer l’heure et la date de pose d’une balise peut en effet permettre d’identifier la personne qui a informé la justice. Mais la date et l’heure de pose de la balise peuvent être aussi des éléments de la procédure, en tout cas de régularité de la procédure.
Nous pensons donc que subsiste tout même encore un risque que soit contestée la régularité d’une procédure dans la mesure où la défense n’aura pas accès à toutes les pièces qui lui permettent d’apprécier sa régularité.
Vous avez toutefois pris la précaution d’écrire que ces pièces ne doivent pas être essentielles à la manifestation de la vérité ni de nature à mettre en cause la procédure. Il n’empêche que, au nom du principe du procès équitable et du respect des droits de la défense, un risque demeure. C'est la raison pour laquelle je réitère la suggestion, que j’ai faite tout à l’heure devant l’Assemblée nationale, que, par anticipation avant la promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel soit saisi par le président de l'Assemblée nationale ou par celui du Sénat, ou par les deux.
Deux hypothèses sont envisageables : ou bien le Conseil constitutionnel considère que la manière dont est conçu ce dispositif totalement inédit est satisfaisante, qu’il n’y a pas de risques, et, dès lors, le texte est conforté, consolidé, la sécurité est totale sur les procédures pénales ; ou alors le Conseil exprime une réserve d’interprétation ou suggère une réécriture. Dans ce cas-là, nous aurons évité, avant la promulgation de la loi, une censure a posteriori d’une disposition pouvant éventuellement mettre en cause des enquêtes pénales.
Évidemment, les enquêtes seraient conduites conformément à la loi mais nous savons parfaitement que, aujourd’hui, il ne suffit pas que les actes soient conformes à la loi : avec la question prioritaire de constitutionnalité, la loi elle-même, après bien sûr l’étape de la recevabilité par le Conseil d’État et la Cour de cassation, est passée au crible du Conseil constitutionnel, qui s’assure de sa conformité vis-à-vis de la Constitution, mais sa conventionalité, c’est-à-dire sa conformité vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme, est également contrôlée.
Telles sont les raisons pour lesquelles cette précaution, qui vous semble peut-être superfétatoire, me paraît utile avant la promulgation du texte. Cela nous prendrait huit jours de plus puisque, conformément à l’article 61 de la Constitution, en cas d’urgence, le Conseil constitutionnel peut statuer en huit jours et non en un mois. Ce délai supplémentaire permettrait d’obtenir une sécurité totale sur le texte et éviterait toute censure a posteriori.
À une assemblée aussi sensible aux questions de droit que la vôtre, je rappellerai ce qu’écrivait John Locke : « Là où il n’y a de droit, il n’y a pas de liberté ».
Notre volonté est donc de consolider le droit, c’est-à-dire de créer un cadre juridique qui définisse les conditions et les limites dans lesquelles la géolocalisation peut se pratiquer. Nous voulons surtout a posteriori sécuriser les procédures et éviter qu’une enquête bien conduite, conforme à la loi, ne soit censurée parce que la loi elle-même aura été considérée comme n’étant pas conforme à la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Éliane Assassi et Hélène Lipietz ainsi que M. Robert Tropeano applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre Parlement s’apprête à remédier au vide législatif qui entourait la géolocalisation. Il se conforme en cela aux critères fixés par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui impose que de telles mesures soient prévues par la loi.
La géolocalisation était jusqu’alors régie par les dispositions générales du code de procédure pénale, si bien que la question de sa validité pouvait être posée à tous les stades de la procédure. Nous pouvons nous féliciter de cette clarification.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 février 2014 qui a explicitement désavoué l’interprétation de la Cour de cassation nous confirme la nécessité de mettre fin à une incertitude dommageable à la sécurité juridique. Il ne peut échoir à chaque tribunal la tâche d’infirmer ou de confirmer les mesures de géolocalisation, selon une interprétation plus ou moins claire de la validité de ces mesures.
À l’Assemblée nationale comme au Sénat, a sans cesse été recherché le point d’équilibre entre le respect de la vie privée de chacun et le maintien de l’ordre face à une insécurité croissante et incontestable. Il s’agissait de donner les moyens aux forces de police de mener leurs investigations tout en ne négligeant pas les dérives actuelles autour des données personnelles et de la vie privée.
Il nous semblait ainsi que le Sénat avait trouvé un bon compromis, tant sur le champ d’application que sur la fameuse question du délai de saisine du juge des libertés et de la détention. La chambre basse a pourtant cédé aux sirènes si attrayantes de la sécurité à tout prix sans que l’on en comprenne les raisons.
Aujourd’hui, le groupe RDSE s’inquiète de ce choix par une majorité de gauche qui, lorsqu’elle était dans l’opposition, semblait toujours se positionner à la pointe de la défense des libertés publiques.
M. Jean-Jacques Hyest. Ça, c’est vrai !
M. Robert Tropeano. C’est pourquoi notre groupe déplore la suppression de son amendement adopté à une très large majorité et qui constituait une garantie supplémentaire dans le dispositif juridique de la géolocalisation.
Mes chers collègues, la technique de la géolocalisation constitue une ingérence grave dans la vie privée. Ce délai de huit jours était pourtant conforme à la recommandation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a été saisie pour avis.
Le ministère de la justice a choisi une durée de quinze jours, autorisée par le procureur de la République, en la justifiant par le fait que ce délai correspond à la durée maximale de l’enquête de flagrance prolongée.
Nous rappelons, à cet égard, que la CNIL, dans sa délibération du 19 décembre 2013 portant avis sur ce projet de loi, a rappelé que la durée de la flagrance, telle que prévue à l’article 53 du code de procédure pénale, est de huit jours, renouvelable une fois sur décision du procureur de la République. Elle a ainsi considéré que, pour être en adéquation avec cet article 53, la mesure de géolocalisation devait être de la même durée de huit jours, et renouvelable dans les mêmes conditions.
Cette autorité administrative, chargée de préserver les éventuelles atteintes à la vie privée et aux libertés individuelles, a également relevé que, dans le cadre des autres enquêtes menées par le procureur de la République, le délai de quinze jours prévu par le projet de loi ne correspondait à aucune durée prévue lors du déroulement des enquêtes préliminaires, ainsi qu’à aucune des procédures prévues aux articles 74 à 74–2 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur ce qui a été dit lors des débats sur le satisfecit donné par la Cour européenne des droits de l’homme à la procédure allemande dans l’arrêt Uzun c. Allemagne, notamment sur les contresens qui ont été faits, peut-être à dessein.
L’article 100 c du code de procédure pénale allemand, qui constitue précisément la base légale des mesures de géolocalisation, ne requérait pas une décision judiciaire pour la géolocalisation jusqu’en 2000. En novembre 2000 est entré en vigueur l’article 163 f sur la surveillance systématique de longue durée de suspects.
La Cour s’est félicitée, dans son arrêt, de ce renforcement de la protection des droits d’un suspect au respect de sa vie privée. Une telle surveillance durant plus de vingt-quatre heures d’affilée ou opérée plus de deux jours au total ne peut être ordonnée qu’à l’égard de personnes soupçonnées d’infractions extrêmement graves et lorsque d’autres moyens d’enquête destinés à établir les faits de l’affaire ou à localiser le suspect ont nettement moins de chances d’aboutir ou sont considérablement plus difficiles à mettre en œuvre. La mesure peut être ordonnée par le parquet. Selon le paragraphe 4, qui a été abrogé en 2007, sa mise en œuvre ne pouvait dépasser un mois et toute prolongation devait être ordonnée par un juge.
C’est cette dernière disposition, pourtant abrogée, qui a fondé tout l’argumentaire, du dépôt du projet de loi initial jusqu’à la discussion en commission mixte paritaire, à tout le moins de ceux qui ont défendu un délai de saisine du juge fixé à quinze jours.
Ainsi, vous l’avez bien compris, mes chers collègues, il s’avère aujourd’hui, à l’heure où nous débattons, que les mesures de géolocalisation en Allemagne ne peuvent être ordonnées que par un juge, ce qui est donc parfaitement conforme à la jurisprudence européenne. C’est en cas d’urgence seulement que le procureur ou les fonctionnaires de police peuvent ordonner de telles mesures. Ces dernières deviennent illégales si elles ne sont pas validées dans les trois jours ouvrables par un tribunal.
La France, en 2014, s’apprête à se doter d’une réglementation moins respectueuse des données personnelles et plus attentatoire aux libertés individuelles, alors même que l’Allemagne, il y a déjà sept années, a offert aux suspects la garantie de l’autorisation d’un juge au bout de trois jours de surveillance.
En outre, force est de constater que les débats ne se sont à aucun moment portés sur la question de l’autorisation de telles mesures par le procureur de la République, qui ne constitue pas un juge impartial et indépendant au sens de la jurisprudence européenne. Sans jouer les Cassandre, nous pouvons à juste titre nous inquiéter une nouvelle fois de ce flou juridique autour du caractère non conventionnel des magistrats du parquet.
Le rapport Nadal, que vous avez commandé, madame la garde des sceaux, préconise un alignement des régimes statutaire et disciplinaire de ces magistrats sur ceux de leurs homologues du siège. Je pense notamment à la réforme de la garde à vue, intervenue à la suite de l’arrêt Brusco en 2010, et vous pose la question suivante : quand cesserons-nous d’attendre les condamnations des cours européennes pour réformer notre droit ? La France ne doit pas être le cancre de l’Europe en matière de défense des libertés et droits individuels.
Dans les prochains mois, nous examinerons la réforme pénale. À cet égard, nous espérons que le débat démocratique sera plus soucieux de nos engagements conventionnels comme des droits et libertés de chacun.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les écologistes ont une position commune – pour une fois ! –, sur la géolocalisation, comme le prouvent l’intervention, que j’avais lue en première lecture, de Jean Desessard, et aujourd’hui celle d’André Gattolin, à laquelle j’ai, bien sûr, apporté ma touche personnelle.
L’équilibre global du texte – les éléments positifs et négatifs que nous avions listés en première lecture – n’a pas vraiment été modifié par la procédure parlementaire. De manière logique, notre position n’a donc pas changé sur le fond.
Il eût été préférable de confier au juge du siège toute décision relative à ces procédures, et ce dès le premier jour, tant l’enjeu procédural et/ou symbolique est fort. Il s’agit tout de même de la garantie de nos libertés individuelles et du respect de notre vie privée, qui ne doivent pas être sacrifiés à la sécurité à laquelle chacun aspire.
Nos lois doivent protéger ces deux droits et cette attente, sans hiérarchiser l’un par rapport aux autres.
Le président de la commission des lois a annoncé l’organisation d’une journée de travail sur les questions touchant au numérique et au traitement des données privées. Cette journée s’appuierait – je n’en doute pas ! – sur les rapports de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques, dont la rapporteur est notre collègue écologiste Corinne Bouchoux, ou de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet, à laquelle participe notamment mon collègue André Gattolin.
Nous ne pouvons que saluer ces initiatives, qui vont évidemment bien au-delà de ce seul texte.
Le droit au respect de la vie privée est un principe déjà ancien. Il est pourtant remis en question quotidiennement, de manière imperceptible, par les évolutions technologiques et les habitudes prises par chacune et chacun. Il est également remis en question devant les craintes de terrorisme ou d’atteinte aux biens et surtout aux personnes, qui constituent des menaces pour notre citoyenneté même, pour notre indépendance sociétale et étatique.
En ce début d’année 2014, la moitié de nos concitoyennes et concitoyens disposent d’un smartphone sur lequel ils reçoivent leurs appels, consultent leurs mails et internet, et interviennent sur les réseaux sociaux.
L’institut Médiamétrie indique que les foyers français disposent chacun, en moyenne, de six écrans et demi, si l’on compte à la fois les ordinateurs, les tablettes, les téléphones et la télévision. Pour ma part, je fais baisser la moyenne n’ayant ni smartphone, ni tablette, ni télévision…
Et je ne parle pas des montres, des lunettes, des voitures ou même des cartables, qui, tous, peuvent désormais être également connectés.
Il paraîtrait que ces évolutions, encore inimaginables il y a un ou deux ans, présenteraient – j’utilise à dessein le conditionnel ! – de multiples intérêts. Il me semble que l’on parle surtout des intérêts des firmes qui les commercialisent et des géants du numérique, qui vivent en très grande partie du commerce des données collectées via tous ces objets.
Et les gouvernements – démocratiques ou non – trouvent dans cette très vaste toile d’échanges volontaires et d’empreintes laissées sans y prendre garde un moyen de lutter contre toute une série de menaces.
Or qui décide quelles sont les menaces dont le risque est tel qu’on peut y sacrifier notre vie privée ?
Ainsi, le plan Vigipirate, qui déroge à la Constitution en instituant un état d’exception, est activé depuis 1996 ! S’il a été réduit la semaine dernière à deux niveaux, il garde la France depuis dix-huit ans sous surveillance militaire permanente. Est-ce réellement justifié ?
À quand une réflexion sur ce que nous, citoyens et citoyennes, parlementaires ou membres du Gouvernement, police et justice, souhaitons comme degré de sécurité et comme respect de notre vie privée ?
Nous ne devons pas confisquer ce débat à nos concitoyens en augmentant les droits de la police, des douanes ou de l’armée, sauf à ce que nos lois soient contestées, comme l’a été le fameux article 20 de la loi de programmation militaire.
La question est donc de savoir comment canaliser tout cela pour restaurer un équilibre qui semble aujourd’hui, aux yeux des écologistes, bien précaire, sinon perdu, au détriment des citoyennes et des citoyens.
Il faut également s’interroger sur la façon d’adapter nos sociétés, nos institutions, et donc nos lois, à cette révolution qui est déjà derrière nous.
Nous sommes en retard par rapport à l’évolution des systèmes informatisés. Ces questions ne sont encore pas suffisamment au cœur des débats publics et nous ne les prenons pas assez en compte dans notre façon de légiférer.
Nous n’en sommes encore, me semble-t-il, qu’au début de la réflexion, alors que le temps presse.
Néanmoins, les écologistes s’abstiendront sur ce texte pour que le vide laissé par les décisions juridiques soit comblé, en espérant qu’un texte plus performant soit proposé au plus vite. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Éliane Assassi et M. Claude Dilain applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, de nombreux sujets ont été évoqués. Revenons à la géolocalisation qui est, je le rappelle, un moyen technique permettant la localisation en temps réel d’un individu.
Monsieur le président Sueur, nous avons eu récemment quelques difficultés avec la géolocalisation dans le domaine des écoutes administratives. Une polémique s’est développée. Il n’y avait pas de réglementation, car la géolocalisation n’existait pas il y a encore quelques années. À l’inverse, les écoutes téléphoniques sont très réglementées, dans le domaine du renseignement comme dans le domaine judiciaire.
La Cour de cassation s’en est rendu compte. Le problème vient du fait que le contrôle de constitutionnalité n’empêche pas le contrôle de conventionalité. Il peut arriver que le Conseil constitutionnel juge une loi conforme à la Constitution, et que la Cour de cassation, davantage que le Conseil d’État d’ailleurs, estime qu’elle est contraire aux conventions internationales, notamment à la Convention européenne des droits de l’homme.
Derrière tout cela se pose la question plus large que nous avons évoquée cet après-midi, madame le garde des sceaux, du statut du parquet. En effet, on nous dit que les membres du parquet ne sont ni impartiaux ni indépendants.
En l’espèce, nous nous sommes retrouvés face à la décision de la Cour de cassation, comme cela avait d’ailleurs été le cas voilà deux ans sur la garde à vue. À l’époque, la Cour avait exigé la présence immédiate des avocats, alors que le Conseil constitutionnel avait accordé un délai de six mois.
Il en va de même pour la géolocalisation. Les procédures ont été interrompues. Vous avez dû, madame le garde des sceaux, donner des instructions pour arrêter les mesures de géolocalisation, qui auraient pu, sinon, conduire à l’annulation des enquêtes. Or les services d’enquête ont besoin de recourir à ces techniques pour exercer convenablement leur mission. Il y a donc véritablement urgence.
Les parlementaires ont, me semble-t-il, trouvé un consensus s’agissant de l’encadrement du recours à ces techniques. M. le rapporteur nous a présenté les conclusions de la commission mixte paritaire : le consensus consiste d’abord à prendre rapidement une décision en ce domaine. Notre collègue François Pillet avait d’ailleurs pris l’initiative de proposer une réforme du dispositif de géolocalisation censuré par la Cour de cassation, qui allait dans le même sens que le projet gouvernemental.
La jurisprudence indique à raison que la géolocalisation constitue une ingérence dans la vie privée des citoyens. Le recours à ce dispositif doit donc être strictement encadré.
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, cette géolocalisation doit être limitée aux faits les plus graves et placée sous le contrôle strict du « magistrat compétent » – ce qui, à nos yeux, englobe le parquet.
Sur ces deux points essentiels du dispositif, quelques divergences s’étaient fait jour entre le Sénat et l’Assemblée nationale. La commission mixte paritaire a permis de faire émerger un compromis, puisque le texte qui est sorti de ses travaux retient deux cas de figure : d’une part, les crimes ou les délits punis d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement et, d’autre part, les délits d’atteinte aux personnes punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, auxquels ont été ajoutés l’évasion et le recel de criminel.
Cela dit, madame le garde des sceaux, je m’interroge. On fait exploser l’échelle des peines,…
M. Jean-Jacques Hyest. … cette échelle que l’on avait eu tant de difficultés à établir lors de l’élaboration du code pénal. Ainsi, on ne comprend pas pourquoi tel délit reste puni de trois ans d’emprisonnement, quand tel autre, moins grave mais défini à la suite d’un fait divers, est puni de cinq ans d’emprisonnement. Il n’y a plus d’homogénéité.
Pendant deux ans et demi, j’ai participé, aux côtés d’autres parlementaires, dont Jean-Pierre Michel, à l’élaboration de ce code pénal. Notre travail avait permis d’aboutir à une échelle des peines conforme à l’état de la société. Peut-être ce dernier a-t-il évolué depuis. En tout état de cause, nous aurions intérêt à reprendre le dossier, car il n’est plus du tout vrai que l’échelle des peines dit ce qui est grave, et ce qui l’est moins. (Mme la garde des sceaux opine.)
Au reste, cela explique pourquoi nous avons rencontré cette difficulté.
Néanmoins, le compromis qui a été trouvé me paraît raisonnable et conforme à la jurisprudence. Méfions-nous cependant, car la Cour de cassation s’empare désormais de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et veille à son application.
Pour terminer, madame le garde des sceaux, je reviendrai sur le dossier séparé, que vous avez évoqué à la fin de votre intervention. Ce point est très important car, comme on l’a vu cet après-midi sur un autre sujet, les dossiers peuvent contenir des informations susceptibles de nuire aux personnes qu’elles concernent. À cet égard, le dispositif retenu dans le projet de loi me paraît satisfaisant.
S’agissant des enquêtes de flagrance et des enquêtes préliminaires, si la CEDH autorise un délai pouvant aller jusqu’à trente jours, la commission mixte paritaire a retenu un délai de quinze jours. Je rappelle que le Sénat, lui, avait voté un délai de huit jours.
Puis la CNIL est arrivée comme les carabiniers. (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Après la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation, la CNIL, cette nouvelle instance juridique…
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, madame le garde des sceaux, mais c’est un nouvel acteur dans ce domaine !
La CNIL nous explique désormais qu’un délai de huit jours renouvelable une fois serait plus approprié. C’est quand même épatant, surtout que son avis nous est parvenu un peu tard !
Avec tous ces conseils que l’on nous donne, et qui, d’ailleurs, se contredisent, on ne pourra bientôt plus légiférer.
J’ai beaucoup de respect pour la CNIL. Je l’ai toujours soutenue… quand elle intervenait dans son champ d’attribution.
Cela étant dit, je considère que la commission mixte paritaire a bien travaillé. Bien entendu, nous soutiendrons le texte qui est issu de ses travaux. Madame le garde des sceaux, nous voterons aussi votre amendement de coordination, comme l’ont fait nos collègues députés.
M. Jean-Jacques Hyest. Au reste, si nous ne le votions pas, cela ferait un peu désordre… (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Pour terminer, s’agissant des procédures applicables aux enquêtes judiciaires, toutes les garanties de protection des libertés me semblent apportées par les parquets, par les juges et, permettez-moi de l’ajouter, par les enquêteurs, qui, normalement, sont sous contrôle. Si, dans quelques cas, les procédures n’ont pas été respectées, c’est regrettable.
En revanche, nous aurons à réfléchir au débat qu’a ouvert Mme Lipietz, sur l’évolution des techniques et sur l’utilisation qui peut être faite de certaines données. Peut-être devrons-nous un jour légiférer pour protéger les libertés publiques de risques bien plus grands, pour elles, que les conditions de fonctionnement de la justice ! (Mme Hélène Lipietz ainsi que MM. Claude Dilain et Jean-Claude Frécon applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen de ce projet de loi, ce qui va permettre aux forces de police et aux magistrats de reprendre une activité « normale » en matière de lutte contre la délinquance.
Les décisions du 22 octobre 2013 de la chambre criminelle de la Cour de cassation avaient porté un coup d’arrêt à la géolocalisation lorsque celle-ci est mise en œuvre dans une enquête, sur autorisation du procureur de la République.
L’intervention du législateur était indispensable afin de rendre à nouveau possible l’utilisation des moyens de géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et des enquêtes de flagrance. Elle était également indispensable pour améliorer l’encadrement de ces moyens techniques : en effet, l’absence d’un texte répressif suffisamment clair et précis est la porte ouverte à des pratiques occultes, au bord ou même en dehors de toute légalité, ce qui ne peut être toléré dans un État de droit.
C’est donc dans l’intérêt de la sécurité de nos concitoyens, mais aussi pour un bon fonctionnement de notre justice pénale que le législateur se devait de réagir rapidement après les arrêts rendus par la Cour de cassation en octobre dernier – d’autant que les délinquants, eux, se préoccupent peu de la jurisprudence de la CEDH ou de la Cour de cassation et continuent allégrement à utiliser ces moyens de géolocalisation !
Le texte qui ressort des travaux de la CMP nous paraît équilibré.
Bien évidemment, nous aurions préféré que la rédaction finale du projet de loi retienne une durée maximale de quinze jours consécutifs pour le recours à la géolocalisation sous la seule responsabilité du procureur de la République. Comme l’a justement rappelé Jacques Mézard lors de la CMP, notre Haute Assemblée avait adopté un délai de huit jours avant l’intervention du juge des libertés et de la détention, ce qui nous semblait plus pertinent.
En revanche, nous sommes satisfaits du seuil retenu pour le recours à la géolocalisation, laquelle sera finalement autorisée pour les délits d’atteinte aux personnes, de recel de criminel et d’évasion punis d’au moins trois ans d’emprisonnement ainsi que pour tout autre crime ou délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Cette rédaction est conforme aux exigences posées par la CEDH, qui n’a admis la géolocalisation que pour des faits d’une particulière gravité.
Nous tenons à saluer l’excellent travail réalisé sur ce projet de loi par notre commission des lois, en particulier par son président, Jean-Pierre Sueur, rapporteur du texte. Nous aboutissons, ainsi, à un texte équilibré, précis, qui permettra aux policiers, aux gendarmes et aux magistrats de s’appuyer à nouveau sur ces moyens technologiques, avec la sécurité juridique nécessaire.
Le groupe UDI-UC soutiendra ce projet de loi, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)