M. Michel Sapin, ministre. Mais cette politique dépend des régions !

M. Jean-Claude Carle. Dès lors qu’il n’y a plus de politique nationale de l’apprentissage, je vois mal comment l’objectif, fixé par le Président de la République, de 500 000 jeunes formés en alternance en 2017 pourrait être atteint.

La diminution du nombre de collecteurs de la taxe d’apprentissage, qui répond à l’objectif de régionalisation de la politique d’apprentissage, est à mon sens une bonne chose.

M. François Patriat, rapporteur pour avis. Ah ! merci !

M. Jean-Claude Carle. Toutefois, à terme, nous devrions tendre vers un seul contrat d’alternance, un seul mode de financement et une organisation capable de disposer d’une vision globale de la formation tout au long de la vie. Cela signifie peut-être, au niveau de l’État, un seul ministre en charge des questions de formation initiale, de formation continue et d’emploi.

En conclusion, je veux souligner que la formation est le levier principal de la cohésion républicaine et que, sans elle, la France ne saurait affronter son avenir : celui de la croissance et du progrès. Nous ne pouvons plus tolérer qu’un jeune sur quatre qui sort du système éducatif pousse non la porte d’une entreprise ou d’une administration mais celle de Pôle emploi.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Et ils la poussent de plus en plus longtemps, cette porte !

M. Jean-Claude Carle. L’amélioration de la performance et de l’équité de notre système de formation est un enjeu considérable pour notre pays. Comme le disait John Fitzgerald Kennedy, « une seule chose est plus coûteuse que la formation permanente, c’est l’absence de formation ».

On dénonce souvent la manne financière de la formation professionnelle, et il est vrai que le budget que notre pays alloue aux formations initiale et professionnelle est extrêmement important. Mais ce qui doit nous réunir aujourd’hui, c’est moins la question des moyens que nous y consacrons que celle de l’efficacité et de l’équité de ce système. Il est temps de mettre un terme à un système de formation qui vit par défaillances successives du maillon précédent. La véritable réforme de la formation commence avec le cycle des apprentissages fondamentaux, tel que l’avait défini Lionel Jospin dans la loi de 1989.

Je ne puis achever mon intervention sans saluer le travail accompli par Claude Jeannerot. Si nous n’avons pas toujours le même avis et les mêmes positions, nous partageons à coup sûr la volonté d’améliorer une situation, qui n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gérard Roche applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Chantal Jouanno ayant exposé notre position concernant la formation professionnelle, je me concentrerai sur le reste du projet de loi, dont le champ est très large, peut-être même un peu trop. La formation professionnelle étant un sujet à part entière, les autres aspects auraient sans doute pu faire l’objet de textes distincts.

C’est donc une question de méthode qui est posée : est-il lisible de mélanger des sujets qui relèvent de l’article L. 1 du code du travail, qui traite de la concertation avec les organisations paritaires, avec des thèmes qui n’en ressortissent pas ? Il s’agit également d’une question politique : une fois de plus, nous devons légiférer à marche forcée et, surtout, en changeant le moins de choses possible.

J’en viens au fond.

Le thème le plus consensuel de ce texte est l’organisation de la transparence des comptes des comités d’entreprise. Cette mesure, nous la réclamions de longue date. Elle avait été adoptée ici même dans le cadre de la proposition de loi de Mme Procaccia. Il n'était pas compréhensible que seul le comité d’entreprise échappe aux obligations de transparence des comptes.

Dans le même ordre d’idées, nous ne pouvons que souscrire aux mesures de transparence du financement des organisations représentatives.

Les autres volets sont plus problématiques. Certes, l’inscription dans la loi de critères de représentativité des organisations patronales est un progrès. Il était singulier que seule la représentativité des syndicats soit clairement définie par la loi, alors que celle du patronat ne l’était que par la jurisprudence. Mais, à bien y regarder, le progrès n’est que formel, puisque les critères retenus ne changent rien au paysage patronal actuel. Le critère qui évalue la représentativité en fonction du nombre d’entreprises adhérentes est sans aucun doute le plus contesté. Est-il satisfaisant sur le plan de la légitimité démocratique ? Sans doute pas complètement. En ce domaine, ne devrions-nous pas nous inspirer de la représentation parlementaire des États fédéraux ou de l’élection des chambres consulaires ? Telle est notre conviction, et nous déposerons un amendement tendant à transposer ce système à la représentativité patronale.

Nous franchissons un cran supplémentaire dans l’inquiétude avec la question de l’apprentissage, ainsi que M. Carle vient de le souligner.

Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif fixé par le Gouvernement de parvenir à 500 000 apprentis d’ici à 2017, ce qui équivaudrait presque à un doublement des effectifs. Comment toutefois concilier un tel volontarisme avec la suppression de l’aide à l’embauche d’un jeune en alternance pour les PME, avec la division par deux, dans la loi de finances pour 2014, du crédit d’impôt en faveur de l’apprentissage, avec la réduction drastique de l’indemnité compensatrice forfaitaire accordée aux entreprises de plus de dix salariés s’investissant dans l’apprentissage et avec la suppression de passerelles entre l’école et l’apprentissage en fin de troisième ? De plus, cela a déjà été signalé, l’apprentissage est cannibalisé par les emplois d’avenir et les contrats de génération.

Les résultats sont là : le nombre de jeunes entrés en apprentissage en 2013 a reculé de 8 % ! Le projet de loi relatif à la formation professionnelle ne semble pas devoir corriger le tir, bien au contraire : 380 millions d’euros sont retirés aux CFA au profit des régions. Or l’efficacité du système repose en grande partie sur le lien tissé par les CFA avec les entreprises. En conséquence, nous déposerons une série d’amendements visant à remédier à cette situation.

Autre sujet qui fâche : la réforme de l’inspection du travail. Elle apparaît dans ce projet de loi comme un cavalier législatif, comme M. Desessard l’a souligné. Schématiquement, le texte pose trois problèmes, qui résonnent entre eux.

Le premier concerne la nature des pouvoirs qui sont conférés aux inspecteurs du travail. Ils doivent être définis de manière à concilier contrôle et liberté d’entreprendre. Au regard de cet impératif, la possibilité de prononcer des amendes administratives ou l’élargissement du dispositif d’arrêt temporaire ne nous semblent pas exorbitants, s’ils sont bien encadrés. En revanche, beaucoup plus problématique au regard de l’intelligence économique est le droit pour les inspecteurs de se faire communiquer tous les documents « nécessaires à l’accomplissement de leur mission ». Ce pouvoir est trop largement défini pour ne pas receler une part de danger. Nous proposerons donc un amendement visant à l’encadrer.

Le deuxième problème touche à l’organisation hiérarchique de l’inspection. Les agents craignent que la création d’unités de contrôle ne porte atteinte à leur indépendance réelle. A contrario, les entreprises, qui craignent, comme vous le savez, l’arbitraire de certaines décisions de l’inspection, doutent de l’efficacité de cette réorganisation.

Le troisième problème n’est tout simplement pas abordé dans le texte : il s’agit des moyens financiers et humains du corps. Pourtant, c’est une clef essentielle.

Tout cela ne permet pas d’avoir une vision claire des perspectives que l’on entend donner à l’inspection du travail. Autrement dit, il eût été préférable de préparer un texte spécifique, assorti du temps nécessaire à son examen. Nous demanderons donc la suppression de l’article en question et le report de la discussion concernant l’inspection du travail.

Le groupe UDI-UC se positionnera sur tous ces sujets en fonction du sort qui sera réservé à ses propositions.

Enfin, je tiens à mon tour à remercier Claude Jeannerot de la qualité du travail d’analyse qu’il a accompli dans des conditions difficiles. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

(M. Jean-Claude Carle remplace M. Charles Guené au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale vise à dynamiser la lutte contre le chômage en en constituant l’une des clefs de voûte.

Le système fonctionne actuellement sur l’héritage de la loi fondatrice de 1971, mais se révèle aujourd’hui inadapté. Une évolution s’impose donc, malgré le constat de la bonne productivité horaire des salariés français, qu’il faut rappeler. Cette productivité horaire, qui nous place notamment devant les salariés allemands et nettement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, résulte non seulement des compétences indéniables et reconnues des travailleurs français – en témoigne l’ouverture, dans le Nord, d’une nouvelle chaîne de production par Toyota, qui a embauché 500 contractuels en vue de la construction d’une nouvelle voiture –, mais aussi de leur crainte de perdre leur emploi. Cette crainte, que connaît près d’un salarié sur quatre, est encore accrue par la crise économique que nous connaissons.

La loi de 1971, dite « loi Delors », a rendu possible les promotions individuelles de qualité en instaurant l’obligation pour les entreprises de financer la formation professionnelle des salariés. Mais le fameux ascenseur social, dont cette loi a été l’un des moteurs, se trouve dorénavant ralenti. Ce dysfonctionnement rend nécessaire une réforme de fond intégrant les mutations que connaît notre économie dans une « société en mouvement mondialisé ».

Destiné aux salariés, le système ne tient pas assez compte des publics précaires, des demandeurs d’emploi et de leurs besoins, ainsi que des exigences du marché du travail en termes de qualification, de mobilité et d’évolution permanente. Au sein même de l’entreprise, les salariés les moins qualifiés n’ont que peu accès à la formation professionnelle. En outre, le financement du système de formation se révèle très complexe, dans la mesure où une multitude d’intervenants et de règles en brouillent la compréhension et l’utilisation.

La formation professionnelle est une véritable richesse pour l’entreprise et doit être considérée comme un investissement et non plus comme une obligation.

Au-delà de la simple question de la formation professionnelle, ce texte a pour vocation de répondre aux exigences légitimes de démocratie sociale. Grâce à ce projet de loi, nous approfondissons le sujet de la représentativité des partenaires sociaux, en particulier de la représentativité patronale, quand la loi Larcher a clarifié celle des organisations syndicales.

Le compte personnel de formation constitue la mesure phare de la réforme et illustre notre attachement à la promotion professionnelle de la personne, et non plus au seul statut du salarié, lequel peut avoir connu ou être amené à subir des accidents de parcours. Ces derniers ne remettront plus en cause les droits acquis une fois pour toutes et ne feront plus obstacle à l’acquisition de nouvelles compétences professionnelles.

Au-delà de cette mesure, le projet de loi aborde avec cohérence l’ensemble des sujets relatifs à la formation professionnelle et à la démocratie sociale ainsi que des thèmes qui prêtent à débat, tels que la réforme de l’inspection du travail.

Au vu de l’ambition du projet de loi, je souhaite évoquer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, en rappelant des constats qui nous sont déjà familiers. Mais, après tout, la pédagogie n’est-elle pas l’art de la répétition ?

Mme Catherine Génisson. Les femmes subissent encore aujourd’hui une triple peine, qui débute dès la formation initiale et se poursuit au sein du monde du travail.

Tout d’abord, en matière d’orientation scolaire, alors qu’elles ont en moyenne de meilleurs résultats que les hommes durant la formation initiale, moins de 43 % des femmes obtiennent un baccalauréat scientifique, contre près de 65 % des hommes. Les filles représentent en outre moins d’un tiers des inscrits en classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques.

Ensuite, bien que le taux d’activité des femmes ait fortement augmenté depuis trente-cinq ans, il demeure inférieur de près de 9 points à celui des hommes.

Enfin, les inégalités en termes de salaires perdurent, avec un salaire moyen inférieur de 27 % à celui des hommes sur l’ensemble des temps de travail, de plus de 23 % parmi les cadres du secteur privé et semi-public et de plus de 18 % chez les ouvrières, ainsi qu’une rémunération de près de 33 % inférieure chez les dirigeantes d’entreprises.

Ces constats sont le résultat d’inégalités entre les femmes et les hommes non seulement dans leur orientation au moment de la formation initiale, mais aussi lors de l’accès à la formation professionnelle. Ainsi, la formation professionnelle demeure discriminante pour les salariés peu qualifiés comme pour les employés à temps partiel, qui n’y accèdent que peu. Or les femmes représentent plus de 80 % des emplois à temps partiel, ainsi qu’une majorité des emplois peu qualifiés.

Seules les femmes relevant de la catégorie des cadres bénéficient de plus de possibilités de formation professionnelle que leurs homologues masculins, mais elles demeurent minoritaires, ne constituant que moins de 40 % des effectifs de la catégorie. Les femmes les moins qualifiées, majoritaires dans l’entreprise, ont, elles, bien peu accès à la formation professionnelle. À âge égal, trente-cinq ans, une femme bénéficie de deux fois moins de chances qu’un homme d’accéder à une formation professionnelle.

Le compte personnel de formation s’applique au prorata des heures travaillées, ce qui pose problème pour de nombreux emplois à temps partiel, majoritairement exercés par des femmes. Dans les faits, 15 % des formations suivies par les femmes sont qualifiantes, certifiantes ou diplômantes, contre 25 % de celles que suivent les hommes, alors que le taux d’emploi des femmes, près de 60 %, reste bien inférieur à celui des hommes, qui dépasse 68 %.

Les problèmes de mobilité, de garde d’enfant, de prise en compte des tâches domestiques constituent encore des facteurs discriminants négatifs pour l’accès aux formations professionnelles des femmes. L’examen du texte à l’Assemblée nationale a toutefois apporté des améliorations dans la prise en compte de ces sujets.

Le temps partiel, encore trop souvent subi, et exercé à plus de 80 % par les femmes, reste un sujet prégnant. La loi relative à la sécurisation de l’emploi a permis de définir un plancher hebdomadaire de temps de travail de vingt-quatre heures, assorti d’un certain nombre de dérogations, qui avaient donné lieu à de vastes débats.

Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé, avec Mme la ministre des droits des femmes, à produire au premier semestre de 2014 une évaluation des conséquences de ces dérogations. Nous attendons ce rapport avec intérêt.

Le champ d’application de ces dispositions n’est pas toujours aisé à définir. Néanmoins, vous nous avez indiqué en commission qu’un accord de branche, dans le cadre de la restauration rapide, venait d’être signé sur cette question. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

L’application de ces dispositions au secteur de l’emploi à domicile réclame une réflexion collective. Nos collègues Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe mènent d’ailleurs une mission d’information sur l’emploi à domicile ; nous attendons avec impatience les conclusions de ce rapport.

Il me semble intéressant de considérer que nous sommes au cœur du sujet de la formation professionnelle pour ce type d’emploi. En effet, même si l’emploi à domicile permet d’assurer l’accompagnement de la perte d’autonomie de personnes âgées ou handicapées et répond, à ce titre, à des horaires contraints, il me semble important de réfléchir à l’extension du périmètre de compétences des personnes qui travaillent dans ce domaine, car ces emplois peuvent aussi valoriser la richesse de l’expérience de vie des personnes accompagnées. En la matière, il nous faut explorer des champs d’investigation importants.

Au-delà de cette question, l’accès au compte personnel de formation se définit au prorata du nombre d’heures travaillées. Dès lors, il importe de pouvoir en améliorer l’égalité d’accès tant pour les hommes que pour les femmes, par rapport au plancher de vingt-quatre heures.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué en commission que le plafond-socle pourrait être abondé grâce à des dispositifs complémentaires. À ce titre, je me réjouis de l’amendement de notre collègue Claude Jeannerot, qui propose une « proratisation » au regard des heures travaillées. Cet amendement, que nous voterons avec grand plaisir, monsieur le rapporteur, vise à autoriser la mise en place, au travers d’un accord collectif, de dispositions plus favorables sur le modèle de ce que certaines branches ont prévu aujourd’hui pour le droit individuel à la formation.

Pour conclure, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir pris en compte ces cas particuliers, où le dialogue social peut se révéler complexe, et poursuivi ainsi les discussions avec les partenaires sociaux, en vue d’assurer la mise en œuvre des véritables avancées qui feront de l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité et inscriront demain nos discussions d’aujourd’hui dans les « archives du parcours de notre société vers le chemin de l’égalité pleine et entière ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est important. Il transpose un accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle, traite de démocratie sociale et de représentativité patronale, réorganise l’inspection du travail, prévoit des dispositions sur le contrôle des comptes des comités d’entreprise que vous aviez demandé à votre majorité de repousser ici même il y a deux mois, revient sur le temps partiel ainsi que sur le contrat de génération. Tous ces sujets sont abordés dans un seul projet de loi qu’il nous est, en outre, demandé d’examiner en une seule lecture.

En 2009, nous avions passé trois jours entiers à examiner le texte relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie soumis à la commission spéciale que je présidais et dont notre collègue Jean-Claude Carle était rapporteur. Le texte sur la démocratie sociale nous avait occupés toute une journée ; seul l’examen de ma proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise n’avait pris qu’une matinée. Bref, il est facile de faire les comptes. Aussi m’est-il difficile de comprendre les raisons pour lesquelles un ministre qui prône en permanence le dialogue social nous demande de bâcler le travail sur des sujets aussi importants.

Si, depuis l’adoption de la loi de 2007 de modernisation du dialogue social, les syndicats répètent que démocratie sociale et démocratie parlementaire se complètent, vous nous donnez l’impression, monsieur le ministre, de sacrifier en permanence la seconde. Dès lors, comment vous étonnez que le Conseil constitutionnel revienne régulièrement sur vos textes ou que vous soyez obligé de faire un texte fourre-tout pour corriger des lois que vous nous avez fait voter il y a peu et, déjà, dans l’urgence ? C’est cette urgence non justifiée que je dénonce ici, à l’instar de mes collègues, car je ne nie pas qu’il y ait de bonnes choses dans ce texte.

Mme Catherine Procaccia. Je commencerai naturellement par évoquer le contrôle des comptes des comités d’entreprise.

Les dispositions que vous proposez reprennent aussi fidèlement que ma proposition de loi les conclusions du groupe de travail tripartite animé par la Direction générale du travail.

Mme Catherine Procaccia. Qui plus est, ce contrôle s’appliquera bien, comme je le proposais, à tous les comités d’entreprise, quelle que soit leur structure juridique, y compris aux comités d’entreprise des industries électriques et gazières. Cependant, certains anciens élus de ces grands comités d’entreprise issus de ces ex-entreprises publiques mis en cause par la justice ou par la Cour des comptes m’ont fait savoir que ces dispositions ne suffisaient pas. Je leur réponds aujourd'hui que légiférer en la matière constitue déjà un grand pas et que nous pourrons en faire d’autres ultérieurement. Aussi voterai-je cet article.

J’apprécie également l’instauration dans le code du travail des règles de représentativité patronale, même si celles-ci sont imparfaites. En 2008, j’avais regretté que seule la représentativité salariale soit traitée.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

Mme Catherine Procaccia. À l’époque, mener de front ces deux réformes aurait été impossible, d’autant qu’il est complexe de mesurer l’audience des organisations patronales.

Ce projet de loi s’inscrit dans le droit fil des réformes déjà engagées par Gérard Larcher, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez, trois ministres avec lesquels j’ai beaucoup travaillé. Je ne suis donc pas vraiment perdue quant au contenu.

S’agissant de la formation professionnelle, beaucoup de choses ont été dites, que je ne répéterai pas. J’espère sincèrement que le compte personnel de formation ne se révélera pas aussi difficile à gérer que le droit individuel à la formation.

Vouloir réorienter les actions vers ceux qui en ont le plus besoin, tel était déjà l’objectif annoncé par le président Sarkozy en 2009 dans son discours de Valence. Mais moi qui ai commencé ma carrière professionnelle en mettant en application, dans une entreprise, la loi de 1971 citée par notre rapporteur Claude Jeannerot, moi qui ai testé tant de formations, qui se sont révélées surtout utiles aux finances de l’organisme qui les proposait, je dirai que, malheureusement, rien n’a changé en quarante ans : trop d’argent continue et continuera à être dépensé pour rien, parce que la notion de qualité ou d’efficacité n’existe toujours pas. Vous dites, monsieur le ministre, que la loi actuelle marquera les quarante ans à venir ; j’espère que cela ne se fera pas sans contrôle !

Les récentes révélations sur des gigantesques escroqueries de faux organismes de formation dans la région d’Île-de-France – plus de 4 millions d’euros ! – démontrent la fragilité d’un système incontrôlé dans les faits. Des milliers de témoignages existent sur ces formateurs incompétents, sur les fausses feuilles d’émargement et sur ces formations écourtées chaque jour, mais bel et bien facturées à temps plein.

La formation professionnelle est devenue un monstre complexe qui s’auto-alimente et entraîne une complexité réglementaire.

Le rapport remis par l’IGAS, en août 2013, suggérait d’ailleurs, à l’instar de ce que font nos partenaires étrangers, une démarche de certification et de contrôle, qui n’apparaît pas dans ce texte.

Évoquons maintenant la réforme de l’inspection du travail.

Grâce au cycle suivi à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, j’ai une approche assez concrète de la réforme des « agents de contrôle ». Ce cycle, qui intègre, grâce à Gérard Larcher, des parlementaires, permet de travailler avec des directeurs des ressources humaines, des juristes du droit du travail, des syndicalistes et des directeurs ou inspecteurs du travail, à Marcy-L’Étoile, là où ces derniers sont formés.

Cette approche est complétée par mon passé dans une entreprise qui voyait débarquer très régulièrement des inspecteurs. Depuis que je suis parlementaire, j’ai pu mesurer combien mon entreprise était exemplaire, et, rétrospectivement, je comprends la notion d’acharnement. Il était bien plus confortable pour les inspecteurs de surveiller pendant des mois, bien au chaud, le pointage de 2 000 cols blancs que de vérifier les chantiers de travaux publics au pied de notre immeuble.

Loin de moi l’idée de stigmatiser tous les agents de contrôle, mais lorsque des directeurs du travail expliquaient que leurs inspecteurs refusaient d’aller vérifier les conditions de travail dans des entreprises susceptibles d’être amiantées, cela m’a troublée et marquée à tout jamais. C’est pourquoi je proposerai un amendement visant à encadrer le délai dans lequel un inspecteur garde une entreprise dans son giron.

Si mes propos montrent jusqu’à présent que je reconnais des avancées dans le projet de loi, il n’en sera pas de même s’agissant des dispositions relatives à l’apprentissage. J’y retrouve là le paradoxe français ou, pis, la schizophrénie de la gauche, qui déclare que l’apprentissage et l’alternance sont des voies d’excellence et qui, dans les faits, discrimine ce cursus professionnalisant. Je ne reviendrai pas sur les explications formulées par notre collègue Jean-Claude Carle à propos des mesures mises en place en faveur de l’apprentissage ou, plutôt, contre l’apprentissage. Au moment où le Sénat va recevoir, comme chaque année, les meilleurs apprentis de France, comment voulez être crédible, alors qu’il n’a jamais été aussi difficile de trouver un maître de stage et que les centres de formation d’apprentis sont au bord de la faillite ?

Enfin, dans la loi de 2009, nous avions fixé des règles d’indemnisation pour les stagiaires. Aussi, je ne comprends pas les raisons pour lesquelles une proposition de loi relative aux stages sera soumise au vote de l'Assemblée nationale. Dans le cadre de la loi de 2009, nous avions également évoqué les problèmes réguliers qui se posent en matière de droit du travail. J’interviens sur cette question depuis de nombreuses années, et j’ai pu aussi constater que les bonnes intentions se traduisaient souvent par des effets inverses à ceux qui sont recherchés.

Pour ma part, j’attendrai avec intérêt vos réponses, monsieur le ministre, et je mesurerai les avancées lors de nos débats pour me positionner définitivement sur le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent travail réalisé par notre rapporteur, Claude Jeannerot, et notre rapporteur pour avis, François Patriat.

Depuis sa prise de fonctions, le Gouvernement accorde une place centrale au dialogue social dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques en matière d’emploi, de travail et de formation professionnelle. En témoigne, une fois de plus, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui renforce la légitimité des partenaires sociaux. Aussi, je me réjouis du texte qui nous est aujourd’hui présenté, car il met l’accent, une nouvelle fois, sur le dialogue social.

Issu de l’accord national interprofessionnel signé le 14 décembre dernier par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, à l’exception de la CGT et de la CGPME, le projet de loi fait donc l’objet d’un large consensus. Il transforme en profondeur l’organisation de la formation professionnelle, en instaurant un compte personnel de formation et en réformant son financement, dont celui de l’apprentissage.

Mon intervention portera essentiellement sur la démocratie sociale. Celle-ci est essentielle et doit permettre de clarifier les responsabilités de chacun, de respecter les acteurs sociaux et de promouvoir la culture de la négociation et du compromis.

Ce projet de loi est crucial, car il vise à renforcer la démocratie sociale en termes de représentativité et de transparence. Pourquoi ce texte conforte-t-il notre démocratie sociale ?

Tout d’abord, il apporte des ajustements aux dispositions de la loi du 20 août 2008, qui traite de la représentativité syndicale et pose des règles en matière de représentativité patronale.

Contrairement aux organisations de salariés, aucun texte n’encadre actuellement l’établissement ni l’exercice de la représentativité patronale. L’article 16 du projet de loi définit – enfin ! – un cadre juridique. Les critères de représentativité patronale fixés sont calqués sur ceux qui sont déjà applicables aux syndicats, tels que le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière,... Ainsi, les organisations patronales seront habilitées à négocier et signer des accords si elles remplissent plusieurs critères, le principal d’entre eux étant l’audience, qui sera appréciée en fonction du nombre d’entreprises adhérentes : au moins 8 % des adhérents aux organisations professionnelles dans une même branche. La prise en compte du nombre d’adhésions plutôt que du résultat d’un suffrage représente un véritable progrès.

Ensuite, il reconnaît les organisations professionnelles qui représentent les employeurs dans les secteurs de l’agriculture, des professions libérales et de l’économie sociale, à savoir, respectivement, la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, l’UNAPL, l’Union nationale des professions libérales, et l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire. Pendant longtemps, ces organisations « hors champ » n’ont pas eu la capacité de signer des accords interprofessionnels et demandaient à voir leur représentativité reconnue. C’est maintenant chose faite. Ce texte est donc porteur d’une réelle avancée quant à la représentativité patronale.

En matière syndicale, il constitue aussi un véritable progrès, car il assouplit les règles de désignation des délégués syndicaux lorsque l’organisation syndicale représentative ne dispose d’aucun candidat ayant recueilli 10 % des suffrages sur son nom propre, une mesure dont on peut se féliciter.

S’agissant de la réforme du financement des organisations syndicales et patronales, je salue la volonté de transparence en la matière. Leur financement évolue pour laisser plus de marge de manœuvre au dialogue social.

Ce texte a trois objectifs : la transparence quant à l’origine des fonds et leur répartition, la clarification des financements résultant de politiques publiques et, enfin, la justification par les partenaires sociaux des missions d’intérêt général qu’ils assument.

Ainsi, les financements du paritarisme et de la formation professionnelle ont été déliés.

Le dialogue social et sa mise en œuvre seront financés par une cotisation versée par l’ensemble des entreprises et assise sur la masse salariale, ainsi que, éventuellement, par une contribution des organismes paritaires. Les missions d’intérêt général seront payées par l’État. La formation syndicale, l’information et l’animation des salariés exerçant une activité syndicale seront, quant à elles, cofinancées par les contributions de l’État et des entreprises.

Après concertation avec les partenaires sociaux, le texte prévoit l’instauration d’un fonds paritaire mutualisé, qui sera créé par accord entre les organisations représentatives à l’échelon national et interprofessionnel.

Concernant le financement des comités d’entreprise, de nouvelles règles de transparence et de contrôle vont être mises en place. Les grands comités d’entreprise doivent présenter des comptes certifiés et installer « une commission des marchés », chargée de choisir les fournisseurs et les prestataires. Les comités d’entreprise de plus petite taille présenteront des comptes simplifiés ou ultra-simplifiés.

On critique depuis longtemps le nombre élevé de branches professionnelles dans notre pays. Il est vrai que près d’un millier de branches existent aujourd’hui : elles sont 255 dans le domaine agricole et 687 dans le reste du secteur privé. Le Gouvernement les restructure donc et prévoit d’en réduire le nombre.

Pour conclure, je tiens à dire que le présent texte introduit un système plus juste et plus efficace, car il favorise l’accès de tous, en particulier des moins qualifiés, qui sont aussi les plus éloignés de l’emploi, à la formation professionnelle. C’est l’un des objectifs majeurs du Gouvernement qu’il tend à atteindre ; on ne peut que s’en féliciter. Nous savons combien est essentielle la démocratie sociale, que le projet de loi vise à transformer, sécuriser, améliorer.

Il était urgent de réformer en profondeur notre système de formation professionnelle, afin d’en faire un véritable levier de la sécurisation de l’emploi et de la compétitivité de nos entreprises. Il fallait le faire, le Gouvernement l’a fait ! Je vous en remercie, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)