M. Jean-Jacques Filleul. Ce sont, là encore, des infrastructures majeures pour la grande agglomération parisienne.
Permettez-moi de revenir sur les propositions issues du rapport de la commission Mobilité 21 en faveur d’un schéma national de mobilité durable. La commission a eu pour mission de préciser les conditions de mise en œuvre du SNIT, les montants affichés en octobre 2011 n’ayant aucune chance de pouvoir être mobilisés d’ici à 2030, voire 2040.
Nos collègues parlementaires ont donc dû proposer une hiérarchisation des projets d’infrastructures, cohérente avec la situation et les perspectives des finances publiques. Je partage leurs constats : tous les territoires doivent pouvoir bénéficier de transports performants, et plus particulièrement de l’amélioration des transports du quotidien, de la lutte contre la fracture territoriale et du soutien à la compétitivité économique, sans que soit oublié pour autant l’objectif l’intégration des recommandations du Grenelle de l’environnement, qui impose une réduction des émissions de C02 de 20 % dans le domaine des transports d’ici à 2020.
Ainsi, la priorité doit être donnée aux modes de déplacement alternatifs à la route. Il est en effet nécessaire de favoriser une réduction du trafic automobile, ainsi qu’un report modal vers les transports du quotidien, tels que les TER, les métros et les tramways.
En repoussant ce catalogue d’illusions, vous avez fait preuve, monsieur le ministre, d’un réalisme qui vous honore, tout en proposant dans le même temps un avenir raisonnable et durable aux infrastructures de transport. Je rappelle qu’aucun des grands projets, en particulier les lignes à grande vitesse, n’est abandonné.
M. Charles Revet. Elles sont beaucoup moins nombreuses que dans le précédent schéma !
M. Jean-Jacques Filleul. Certes, mais c’était une promesse illusoire, cher collègue.
Ces projets sont phasés pour permettre précisément leur réalisation dans le temps. Les besoins de décongestionnement des grands nœuds et artères routiers et ferroviaires sont traités.
Ce débat sur l’avenir des infrastructures de transports nous aura au moins donné l’occasion d’évoquer ces domaines, auxquels nous sommes tous attentifs. Il m’aura permis de me projeter dans un passé récent et, dans le même temps, d’actualiser les évolutions que vous avez su, monsieur le ministre, élaborer avec vos différents partenaires.
Certes, la demande et les besoins sont importants ; les financements sont complexes, nous l’avons encore entendu aujourd'hui. Toutefois, notre histoire récente montre combien il est nécessaire de voir et de parler juste en matière d’infrastructures de transport. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai les grands ports maritimes et, plus spécifiquement, Le Havre. J’y ai d’ailleurs été invité par mon excellent collègue Louis Nègre, que je félicite de son intervention.
Monsieur le ministre, en juillet 2008, nous avons adopté la loi portant réforme portuaire. Les conditions de transfert, tant des personnels que des équipements concernés, ont globalement été respectées dans les délais prévus. Dès lors, comment expliquer que, plus de cinq ans après le vote de cette loi et trois ans après l’application des dispositions relatives aux personnels et aux équipements, l’activité de nos ports n’ait guère progressé, alors que, à l’étranger, il en allait différemment ? Anvers est toujours le premier port français. À lui seul, il voit transiter plus de conteneurs que l’ensemble de ceux qui passent par les ports français.
Pour qu’un port fonctionne, il faut bien sûr qu’il soit opérationnel, au niveau tant des équipements que des personnels, mais aussi que les moyens d’acheminement des marchandises soient satisfaisants, ce qui, malheureusement, n’est pas encore le cas aujourd'hui, surtout dans les secteurs ferroviaires et fluviaux.
J’en viens aux deux premières interrogations que je souhaite formuler, monsieur le ministre.
S’agissant du ferroviaire, qui n’a cessé de se réduire d’année en année, nous achevons la liaison électrifiée entre Serqueux et Gisors : sa réalisation a duré quatre ans, pour un investissement de 200 millions d’euros, alors que, dans le même temps, pour des investissements portuaires nouveaux, le port de Rotterdam a engagé 3 milliards d’euros de travaux et Anvers 1 milliard d’euros.
La vocation des ports normands, Le Havre et Rouen, est d’élargir les débouchés vers l’Europe, y compris l’Europe centrale. Monsieur le ministre, est-il prévu de poursuivre les travaux sur les lignes ferroviaires pour développer le transport ferroviaire ? Si oui, quand seront-ils mis en œuvre ? Il semble qu’un redémarrage du canal Seine-Nord soit envisagé. Ne risquons-nous pas, si nous ne procédons pas aux aménagements suffisants, de faciliter ainsi le développement des ports du Nord, alors que, si nous le voulons, Le Havre, Rouen et même Paris pourraient disposer d’atouts extraordinaires ?
Aujourd'hui, seul le port du Havre, avec Port 2000, et Rotterdam sont en capacité d’accueillir les plus grands porte-conteneurs. Si nous ne réagissons pas, il est à craindre que l’avantage que nous donne notre position géographique ne disparaisse progressivement. D’où la nécessité d’engager rapidement des investissements dans le domaine ferroviaire, afin d’élargir notre hinterland et notre zone de développement. Qu’est-il prévu à cet égard, monsieur le ministre ?
Notre situation est sensiblement identique dans le domaine fluvial. Si le trafic a légèrement augmenté, nous sommes loin d’être pleinement opérationnels. Il n’a jamais été autant question de développement durable. Depuis le Grenelle de l’environnement, le port du Havre a un objectif à atteindre pour ce qui concerne le pourcentage de conteneurs acheminés par des modes économes en CO2, c'est-à-dire par rail ou barge.
Le transport fluvial, manifestement dynamique, est probablement celui qui a le plus progressé dans l’hinterland du Havre. Toutefois, cette évolution aurait pu être beaucoup plus importante.
Quand il fait mauvais temps, il est quasiment impossible de transférer des conteneurs du terminal fluvial de l’Europe à Port 2000, les automoteurs ne pouvant faire le tour de l’estuaire pour entrer dans le bassin de ce port. Ainsi des conteneurs déchargés au terminal de l’Europe ont-ils mis plus de temps pour être transférés à Port 2000 – près de vingt et un jours pour une distance de 6 kilomètres –, que pour être acheminés du Havre à Hong Kong… Une telle situation ne doit-elle pas nous interpeller ?
La réalisation d’une plateforme multimodale est engagée, mais, pour l’heure, elle n’est pas encore opérationnelle. Je rappelle que la loi a été adoptée en 2008, il y aura donc six ans en juillet prochain.
Un autre aspect est à prendre en compte. Lorsque des transporteurs ou opérateurs choisissent leur port d’accueil, ils tiennent compte de l’efficacité des intervenants sur site, mais aussi des coûts de manutention. Or plus il y a d’opérateurs dans le port, plus ces coûts sont élevés.
Lorsque j’avais présenté, en 2008, mon rapport sur la loi portant réforme portuaire, après de très nombreuses auditions d’acteurs maritimes, il avait été suggéré, au titre des investissements à envisager au Havre pour établir un lien direct entre le fleuve et Port 2000, la mise en place d’une chatière, estimée à cette époque à environ 50 millions d’euros. De nombreux opérateurs plaident toujours aujourd'hui en ce sens. Là encore, il y a urgence. Qu’envisagez-vous dans ce domaine, monsieur le ministre ?
Manifestement, nous devons le reconnaître, il existe un décalage important entre la réactivité et l’engagement des responsables des ports étrangers, tant au Nord qu’au Sud, et la réactivité et l’engagement que nous observons chez nous.
Je souhaite à présent évoquer un autre domaine, lié aux transports en commun. J’ai eu l’occasion de prendre, en pleine campagne, un train qui m’a déposé au cœur de la ville de Fribourg. Il s’agissait d’un tram-train. Une telle orientation avait été évoquée comme une démarche intéressante à envisager en France.
Lorsque l’on regarde une carte du réseau ferré français, on s’aperçoit que presque toutes les villes de France disposaient de dessertes ferroviaires de proximité les reliant à leur arrière-pays. Presque partout, heureusement, ce réseau secondaire a été préservé, même si, après l’abandon des services dans les années soixante-dix, il y aura des travaux de remise à niveau à réaliser.
Pareillement, beaucoup de grandes villes utilisaient pour le transport urbain des tramways, qui ont également, pour une grande part, été supprimés à la même époque. Depuis dix ou quinze ans, on a vu ces mêmes grandes villes remettre en circulation de nouveaux tramways, plus modernes, bien sûr, pour diminuer le nombre des voitures et répondre aux besoins de la population.
Remettre en service certaines lignes ferroviaires, dont on a souvent gardé l’emprise, ressortirait à une démarche identique à celle dans laquelle s’engagent la plupart des villes. Chaque fois que c’est possible, il serait bien sûr souhaitable de le faire sous forme de tram-train.
Outre l’effort important en faveur du développement du transport collectif que cela représenterait, cela éviterait souvent d’importants et coûteux travaux d’aménagement routier indispensables du fait de l’augmentation du nombre de voitures, cela réduirait les embouteillages aux entrées de ville et cela dispenserait de nombreuses familles habitant à l’extérieur de la ville de devoir investir dans une seconde voiture, une charge financière souvent importante pour nombre de nos concitoyens. Je pense aussi aux jeunes ou aux personnes âgées, qui, avec un service cadencé, pourraient se déplacer plus librement.
Il existe à certains endroits des lignes indépendantes du réseau principal. Le transfert sur le réseau secondaire d’une part du trafic permettrait de libérer des sillons nécessaires pour d’autres activités. Je pense, bien sûr, au fret – c’est le cas pour Le Havre.
Monsieur le ministre, est-ce une démarche que le Gouvernement pourrait favoriser ? Il faudrait du temps, de l’argent, même si l’on en manque, pour envisager, fût-ce à terme, ce qui pourrait permettre un bon aménagement du territoire. Toutefois, gouverner, c’est prévoir !
Monsieur le ministre, je vous remercie des réponses que vous pourrez nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris de me trouver ici ce soir. En effet, vous savez pourquoi j’interviens : pour vous parler d’une voie routière originale, originale par nature puisqu’elle ne passe pas par Paris, d’un grand axe européen malgré tout, à savoir la route Centre-Europe Atlantique, autrefois appelé « axe Genève-Océan ».
Cette route a une histoire ancienne. Je n’entrerai pas dans le détail, sinon pour saluer ceux qui en ont été les initiateurs, à savoir Jean Valleix, député et premier adjoint au maire de Bordeaux d’alors, Jacques Chaban-Delmas, et l’ancien député-maire de Mâcon, Louis Escande.
Monsieur le ministre, tous deux avaient prévu vingt-cinq années de travaux pour réaliser la liaison Genève-Océan. Le financement, qui reposait toujours sur les mêmes bases, devait s’appuyer sur les fameux contrats de plan État-région, avec une participation de l’État, de la région et du département. Ce dispositif a vite montré ses limites : quand l’État était prêt, ce qui n’était pas toujours le cas, le département ne l’était pas, non plus que la région. Il fallait alors attendre que les trois le soient pour commencer les travaux, qui s’en trouvaient retardés d’autant.
Quarante-cinq ans après, il reste encore une moitié de cet axe à réaliser – je le rappelle, on prévoyait vingt-cinq ans de travaux en 1969 !
Il est vrai que certaines sections ont été aménagées beaucoup plus rapidement que d’autres : en 1989, l’axe Genève-Mâcon est devenu une autoroute ; il n'y a aucun problème de ce côté-là. De l’autre côté, à l’ouest, la configuration est plus originale et a dû s’adapter au trafic et à l’éclatement de cet axe vers Nantes, La Rochelle, Royan et Bordeaux. Les travaux avancent assez vite, à tel point que l’axe Angoulême-Bordeaux est pratiquement terminé et que l’axe Poitiers-Nantes est bien avancé – deux fois deux voies ou deux voies, selon les circonstances et les besoins.
Demeure le tiers central, monsieur le ministre, celui par lequel tout le monde passe – entre 19 000 et 20 000 véhicules par jour, dont 40 % de poids lourds, étrangers pour plus de la moitié d’entre eux, ce qui est très original. Pourquoi empruntent-ils cette route ? Parce qu’il n’existe pas vraiment d’autre solution. L’axe autoroutier Bordeaux–Clermont-Ferrand–Lyon est très peu fréquenté par les poids lourds, pour deux raisons : d’une part, il est coûteux ; d’autre part, et c’est la raison essentielle, il passe à plus de 1 000 mètres d’altitude, ce qui le rend impraticable pour les poids lourds une bonne partie de l’année. Voilà pourquoi ceux-ci préfèrent emprunter l’axe Centre-Europe Atlantique.
Un tronçon de cet axe tiers central a été réalisé immédiatement, entre 1981 et 1986, sans doute en raison de la très forte influence qu’exerçait le président du conseil général de la Creuse de l’époque auprès de l’Élysée.
Restait le tronçon Montluçon-Mâcon. Actuellement réalisé pour moitié, il dessert des régions difficiles d’accès du centre de la France : le département de l’Allier et l’ouest de la Saône-et-Loire. Surtout, il a la réputation d’être terriblement meurtrier, puisque l’on compte en moyenne, sur ses 160 kilomètres, vingt-quatre morts chaque année.
Les accidents sont tous identiques : une collision frontale entre un véhicule de tourisme et un camion circulant dans le sens opposé. Après avoir suivi sur dix, vingt ou trente kilomètres le même camion, les véhicules de tourisme, dès que la situation leur paraît favorable, tentent un dépassement, malgré une visibilité imparfaite, et se jettent contre le camion arrivant en face. J’y reviendrai dans ma conclusion.
Cette situation étant dénoncée de toutes parts sur ce territoire, votre prédécesseur, Dominique Bussereau, est venu trouver l’ensemble des élus de l’Allier et de Saône-et-Loire concernés pour tenter de trouver une solution. Il a proposé d’accorder une concession autoroutière sur l’axe Mâcon-Montluçon. Le département de l’Allier, je dois le dire, s’est montré d’emblée favorable à cette solution et l’a acceptée immédiatement. Nous avons fait valoir que les financements qu’avaient déjà apportés les régions et les départements nécessitaient bien un petit avantage. Celui-ci s’est traduit, dans le département de l’Allier, par la gratuité du tronçon Paray-le-Monial–Montmarault, ce qui n’est pas neutre pour ce département.
La Saône-et-Loire, quant à elle, a été atteinte d’une maladie rare, très contagieuse – c’est le vétérinaire qui parle –, à savoir une allergie socialiste soudaine à la concession autoroutière de la part d’un élu influent du département. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Il a bien fallu trouver une solution. Monsieur le ministre, je vous félicite, car cette solution, c’est vous qui l’avez trouvée, ce qui n’était pas évident. Le problème, c’est qu’elle me semble se désagréger, ainsi que je vais tenter de vous l’expliquer doucement.
Vous avez fait réaliser une étude sur les solutions possibles par le fameux conseil général de l’environnement et du développement durable – issu de la fusion du conseil général des ponts et chaussées et du service de l’inspection générale de l’environnement. Finalement, vous avez considéré que ce tronçon pouvait être financé par une participation de l’État, de la région et du département, ce qui ne constituait pas une nouveauté.
Puisque ce système n’avait pas fonctionné pendant quarante ans, il était normal de le reprendre, faute d’avoir trouvé une autre solution et faute d’accepter la concession autoroutière ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Aussi, différents financeurs ont été sollicités. Interrogé, le conseil régional de Bourgogne, d’une discrétion totale sur le sujet, a répondu qu’il étudiait la question. La concession autoroutière, qui avait été refusée, est acceptée pour la réalisation d’un adossement à la sortie de Mâcon. L’État, quant à lui, prévoit un financement à hauteur de 30 millions d’euros par an pour la période 2014-2019, auxquels il faut ajouter un apport de 3 millions d’euros par an de la part du département de Saône-et-Loire, financés par le produit de l’écotaxe – décidément, on en parle beaucoup aujourd’hui, mais c’est bien naturel. Or on sait ce qu’il est advenu, à ce jour, de l’écotaxe.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, comment comptez-vous financer rapidement les premières tranches que vous aviez prévues, notamment le tronçon Paray–Ciry-le-Noble, l’un des plus accidentogènes ?
Pour l’instant, aucun engagement de travaux n’a été pris, sinon ceux qui sont financés grâce à des crédits votés auparavant, des crédits d’entretien et de sécurité et non des crédits de réalisation. Qu’en est-il du financement par les départements, maintenant qu’ils ne peuvent plus compter sur le produit de l’écotaxe ? Enfin, et tout le monde vous a posé cette question, avez-vous un plan, que je qualifierai de « B’ », ne voulant pas empiéter sur le « plan B » de M. Mézard, étant peu désireux de lui prendre l’argent dont il a grand besoin ?
Monsieur le ministre, je vous rappelle tout de même – et là, je ne souris plus – que, chaque année perdue, ce sont vingt-quatre morts de plus. C’est aussi l’économie de la Saône-et-Loire et de l’Allier qui est menacée. Il existe une très bonne solution, c’est la concession tout le long du sujet, comme cela était prévu auparavant. Il vous suffit de guérir un certain ministre du département de la Saône-et-Loire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors d’un récent colloque sur la transition écologique qui se tenait au Sénat, le conférencier, un éminent universitaire, regrettait que la France ait perdu le sens des grands projets qui ont structuré notre pays. C’était l’aménagement du territoire.
Si je fais part de cette réflexion, qui pourrait apparaître comme un regret, c’est parce que, de tous les ministères, le vôtre, monsieur le ministre, est certainement l’un des derniers où cette flamme peut rejaillir avec une volonté politique. Il serait si réconfortant de voir nos grands ports animés par ceux-là mêmes qui semblent plus occupés à les bloquer, de voir certains de nos grands canaux aménagés pour répondre au défi d’un trafic moderne.
Je sais bien que, tout à l’heure, on nous a présenté un concept européen moderne selon lequel il serait possible de faire du sur-place en ayant le sentiment de bouger si les autres reculent !
Dans un tout autre domaine, le récent drame ferroviaire que nous avons connu pose la question sur les choix du tout-TGV aux dépens du reste du réseau ferroviaire. Cela ne devrait-il pas nous conduire, monsieur le ministre, dix-huit ans après la réforme de 1996, à nous interroger sur le rôle et l’efficacité de RFF dans notre organisation ferroviaire ? Au risque de paraître quelque peu provocateur et lapidaire, je poserai la question suivante : cet opérateur n’a-t-il pas préféré jouer le rôle d’un cabinet d’études plutôt que d’être un outil chargé des capacités ferroviaires modernes de notre pays ?
Hier, le SNIT dressait un état des lieux factuel. Aujourd’hui, la mission Mobilité 21 hiérarchise les orientations et les priorités.
Reconnaissons que, si l’Europe n’est pas exempte de tout reproche sur le plan économique, elle doit au moins se voir attribuer le mérite d’une vraie vision stratégique en matière d’infrastructures de transport. Je ne vous surprendrai pas en évoquant les liaisons ferroviaires du grand Sud-Est, notamment celles du corridor sud européen avec le Lyon-Turin.
Le 20 novembre dernier, le Président de la République, François Hollande, et le président du Conseil italien, Enrico Letta, ont pris des engagements décisifs en faveur de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Nous ne pouvons que nous en féliciter : ce sommet bilatéral vient ainsi marquer une nouvelle étape, après l’engagement de 2001, sous la présidence de Jacques Chirac, du lancement de ce projet, retenu dès 1993 au sommet d’Essen parmi les infrastructures européennes prioritaires.
Ce sommet du 20 novembre fait suite à la ratification par le Sénat, le 18 novembre, de l’accord de Rome du 30 janvier 2012 et de l’adoption par le Parlement européen, le 19 novembre, des financements des grandes infrastructures pour la période 2014-2020, avec un budget de 26 milliards d’euros, niveau sans précédent.
Toutefois, comme tout grand projet, celui-ci se divise en plusieurs chantiers distincts sur lesquels il convient, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions, dans le prolongement du comité de pilotage qui s’est tenu récemment à la préfecture de la région Rhône-Alpes, sous l’autorité du préfet Carenco.
Le premier chantier, c’est bien évidemment le nœud lyonnais, qui est non seulement partie intégrante du projet Lyon-Turin, mais qui en constitue un élément essentiel, compte tenu des contraintes qui doivent être levées dans la traversée et le contournement de Lyon.
C’est donc une vraie satisfaction de voir les conclusions du rapport Duron retenir le projet relatif au nœud lyonnais comme l’une des priorités. Nous aimerions néanmoins entendre des engagements et des précisions en termes de calendrier, monsieur le ministre.
Le deuxième chantier concerne évidemment les « accès » entre Lyon et la combe de Savoie. Là encore, les conclusions du rapport Duron ont été particulièrement précises, considérant que ce chantier devrait être envisagé dans le prolongement du tunnel ferroviaire international. Or les accès concernent le trafic international de passagers et de marchandises, mais aussi les infrastructures de transport régional, aujourd’hui saturées. Il est donc nécessaire que ce chantier des accès puisse bénéficier dès à présent de la mise en place d’un observatoire – ça ne coûte pas cher ! – pour apprécier et évaluer l’ensemble des enjeux et priorités, et aider aux prises de décisions.
Troisième chantier : la plateforme de ferroutage de Grenay. Voilà une des premières réalisations concrètes du Lyon-Turin, avec la création de l’autoroute ferroviaire et le basculement du transport de marchandises de la route sur le rail, entre la plateforme de Bourgneuf-Aiton, en Savoie, et Orbassano, en Italie.
La mise au gabarit du tunnel historique aura montré la pertinence de cette autoroute ferroviaire puisque 2013 aura vu le trafic de l’AFA – autoroute ferroviaire alpine – progresser de 25 %, au moment même où le trafic ferroviaire national de marchandises continue de régresser.
La plateforme de Grenay constitue donc aujourd’hui un enjeu majeur pour passer de l’expérimentation technique à une pleine activité sur une distance et avec des équipements correspondant aux besoins de l’activité commerciale. Ce dossier est prêt depuis bientôt trois ans et pourrait être facilement mis en œuvre dans le cadre des financements inscrits au prochain contrat de projets État-région – CPER –, puisque l’idée en a été émise au sein du comité de pilotage régional que j’évoquais à l’instant.
Monsieur le ministre, pouvez-vous donc nous confirmer la volonté du Gouvernement de retenir la plateforme de Grenay parmi les priorités du prochain CPER ?
Enfin, quatrième et dernier chantier : le tunnel international dit « tunnel de base », dont il a déjà été beaucoup question. Je le disais au début de mon propos, l’engagement franco-italien du 20 novembre constitue une étape décisive dans le lancement des travaux du tunnel international. Le coût de ce chantier, qui devrait s’élever à plus de 8 milliards d’euros, sera supporté par l’Europe, qui s’est engagée à un financement exceptionnel de 40 %, par l’Italie, à hauteur de 35 %, et par la France, de 25 %, alors même que les trois quarts de l’ouvrage se trouvent en territoire français.
La participation de la France devrait donc s’élever à 2,1 milliards d’euros sur une période estimée à plus de dix ans. Rappelons toutefois que les travaux réalisés à ce jour, à savoir les descenderies, s’élèvent à près de 1 milliard d’euros, soit la moitié de la contribution qui restera à la charge de l’État français.
Pour importante que soit la décision du 20 novembre dernier, il convient de rappeler les règles posées par le Parlement européen et le Conseil européen dans le règlement dit « Mécanisme pour l’interconnexion en Europe », adopté le 11 décembre dernier, qui précisent les conditions des concours financiers octroyés par l’Europe.
Vous le savez, monsieur le ministre, l’octroi des financements européens relève directement de l’appel à projets qui sera lancé dans les prochains mois. La France et l’Italie devront évidemment y répondre, mais elles devront surtout satisfaire à deux exigences.
La première, déjà ancienne, c’est la nomination, d’ici à l’été 2014, d’un promoteur public qui sera chargé de la réalisation du chantier. La première question, monsieur le ministre, porte évidemment sur l’engagement du Gouvernement de désigner ce promoteur public, dès à présent ou en tout cas avant l’été.
La seconde exigence, c’est le montage financier de l’opération et la certification des coûts du projet, conjoints avec nos partenaires italiens. Cette ingénierie et le plan financier devront être finalisés d’ici à l’automne 2014. Là encore, il s’agit d’une condition essentielle de la recevabilité de la réponse à l’appel d’offres européen.
Monsieur le ministre, ces trois conditions – réponse à l’appel d’offres, mise en place d’un opérateur, adoption du montage financier de l’opération – sont celles auxquelles les États français et italien doivent satisfaire. C’est également la clé pour concrétiser les engagements pris le 20 novembre dernier par le Président de la République et par le président du Conseil italien et pour doter notre pays de cette grande infrastructure européenne répondant aux enjeux économiques et environnementaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un débat important et passionnant qui nous réunit aujourd’hui. Les différentes interventions ont permis d’évoquer de nombreux sujets tout à fait actuels et d’exprimer des préoccupations auxquelles je tâcherai de répondre.
Ce débat est d’autant plus nécessaire qu’il est urgent de doter notre pays d’infrastructures de qualité afin de créer du dynamisme, de la croissance et d’ouvrir de nouvelles perspectives d’aménagement du territoire.
L’enjeu du transport – y compris du transport aérien, dont il a été assez peu question aujourd'hui – est celui du quotidien, de la proximité, mais aussi celui de la qualité, de la régularité et de l’efficacité du service public, de sa capacité de s’adapter à un environnement évolutif. Ces préoccupations devraient conduire à un certain nombre de réformes, et je pense notamment à la prochaine réforme du service public ferroviaire.
Le transport est étroitement lié à la vie quotidienne. Un sondage vient d’ailleurs de souligner l’importance du transport dans les attentes et les exigences des Français à l’égard des décideurs, donc de nous-mêmes. Il est vrai que, pendant des années, peut-être des décennies, la question des transports n’a pas été suffisamment au centre des politiques publiques et de la réflexion sur les grands mouvements de l’avenir.
Je prendrai l’exemple de la région parisienne et des autres grandes métropoles nationales. Comment éviter l’espèce de thrombose dont ces territoires sont menacés ? Une solution réside dans la promotion de modes de transport alternatifs, notamment les mobilités douces, dans toute leur diversité. À ce titre, un plan vélo sera bientôt lancé.
La question des transports nous oblige à nous projeter dans le temps, à définir une certaine vision de l’aménagement et à chercher la mobilisation optimale des ressources financières, publiques ou non, car les contraintes budgétaires nous obligeront sans doute à faire preuve d’imagination et d’exigence pour trouver des sources originales de financement.
Le transport est aussi un enjeu industriel. Je rappelle que nous sommes parmi les leaders mondiaux dans ce secteur. D’ailleurs, nos industriels attendent de nous l’impulsion de la commande publique pour participer à la croissance de ceux de nos territoires qui détiennent ce savoir-faire et cette source de compétitivité, qui abritent des pôles de recherche.
Car le transport, on tend peut-être à l’oublier, c’est aussi l’innovation, l’imagination, la créativité. Le transport de demain sera un transport intelligent. Mon ministère organise une grande manifestation le 11 février prochain sur ces thématiques du transport intelligent et des réseaux de demain, où toute une série de start-up innovantes en matière d’amélioration de la qualité des services, de transition énergétique ou de limitation de la consommation pourront faire la preuve de leur dynamisme. Il y a là un véritable bouillonnement d’idées qu’il faut encourager.
Nous devons avoir un tour d’avance à l’heure où l’innovation dans le domaine des transports suscite une compétition mondiale. Les États-Unis ont ouvert plusieurs chantiers en matière d’infrastructures intelligentes, et l’Europe a, elle aussi, engagé un grand projet qui doit nous permettre de devenir l’un des acteurs les plus dynamiques dans ces domaines.
Avec Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, je lancerai un plan permettant d’accompagner les start-up innovantes dans le champ des transports connectés.
Grâce à l’innovation, nous pouvons devenir l’un des pays leaders dans ces domaines d’avenir.
Par ailleurs, ainsi que je le disais hier, lors d’un colloque que vous coprésidiez avec Philippe Duron, monsieur Nègre, nous ne devons pas oublier cette réalité géographique qui nous place au carrefour du continent européen et qui constitue un atout considérable pour notre pays. Encore faut-il savoir tirer parti de cette situation stratégique de la France, terre de transit et porte de l’Europe ; cette situation est du reste multidimensionnelle : à la fois terrestre, maritime, fluviale, aérienne.
La France est, de fait, une terre de passage entre l’Europe du Nord, l’Europe centrale et l’Europe du Sud, entre l’Europe et l’Afrique du Nord. Elle est aussi, par son littoral – le plus long d’Europe –, ouverte sur plusieurs mers, la porte maritime de l’Europe, même si, pour différentes raisons historiques, les grands ports du nord ont privé nos places portuaires du poids qu’elles auraient dû avoir.
Comme l’ont très justement dit Jean-Jacques Filleul et Charles Revet, on a trop longtemps négligé le lien entre les ports et l’hinterland.