Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, poser la question de l’avenir des infrastructures de transport, c’est d'abord partir d’un constat : ces infrastructures sont vieillissantes – Roger Karoutchi vient de le rappeler excellemment pour ce qui concerne l’Île-de-France, sur laquelle je reviendrai – et les besoins sont considérables. C’est ensuite porter un diagnostic : aujourd'hui, le financement n’est plus à la hauteur des besoins.
Besoins considérables d’un côté, financement défaillant de l’autre : nous devons convenir que c’est tout le secteur des transports terrestres qui est aujourd'hui en grande difficulté !
Vous me direz, monsieur le ministre, que les problèmes sont anciens. Je vous rétorquerai que la situation actuelle et les décisions récentes du Gouvernement les ont considérablement aggravés, à moins que vous ne nous annonciez dans un instant qu’une décision claire est enfin prise sur l’avenir de l’écotaxe, que celle-ci soit maintenue ou remplacée d'ailleurs. (M. le ministre délégué sourit.)
Dans ces conditions, le présent débat tombe à point nommé. Je remercie mes collègues du groupe UMP de l’avoir proposé, et je veux les féliciter pour leur sens de l’opportunité.
Tout d'abord, les besoins sont considérables. Pour l’illustrer, j’évoquerai, à la suite de Roger Karoutchi, la situation en Île-de-France. Il ne s’agit pas là d’un passage obligé pour un élu francilien – encore que je sois arrivé au Sénat cette après-midi en empruntant la ligne B du RER, qui, en l’occurrence, fonctionnait normalement.
M. Roger Karoutchi. Il faut le noter !
M. Vincent Capo-Canellas. En réalité, c’est l’actualité qui nous conduit à évoquer cette question.
Pour commencer, j’aborderai la réalité quotidienne, concrète des voyageurs. Monsieur le ministre, voilà quelques mois, vous nous avez fait le plaisir d’inaugurer, avec le président de la région, Jean-Paul Huchon, et non sans quelque pompe, la branche nord du RER B rénové, le « RER B+ », pour – je vous cite, et avec plaisir – « constater la régularité et la fluidité du trafic ».
Sans vouloir être provocateur, je veux quand même vous signaler que, par moments, la situation est pire qu’auparavant ! (MM. Roger Karoutchi et Louis Nègre opinent.) Les événements récents le démontrent, et notre vécu le confirme.
L’un de mes administrés du Bourget me disait hier que les mauvais moments, ceux de blocage, sont tellement récurrents qu’ils font oublier les bons. Il est vrai que les coupures totales et autres catastrophes tendent à occulter l’amélioration « au fil de l’eau » que l’on a pu constater.
Il faudrait chiffrer le coût du stress et l’impact des effets psychosociaux pour les utilisateurs du réseau, qu’ils soient Franciliens ou voyageurs de passage. Je pense à l’étudiant qui ne peut se rendre à son oral de fin d’études ou au concours qu’il a préparé. Je pense au salarié que la peur d’arriver en retard décontenance au point de lui faire rater son entretien d’embauche. Je pense aussi à ceux qui réservent des chambres d’hôtel à 300 euros la nuit – il y a, parmi eux, des étudiants – parce qu’ils craignent que, le lendemain, les réseaux de transports ne leur permettent pas d’arriver à l’heure. Autant dire que le coût psychosocial des dysfonctionnements du réseau francilien est considérable et qu’il devrait être mis en regard de celui de l’investissement.
J’évoquerai le RER B, mais je pourrai également dire beaucoup du RER A. Une coupure totale du réseau est intervenue sur la ligne B nord le 15 janvier dernier, de huit heures et demie à dix-sept heures. Des passagers qui se rendaient à Roissy se sont retrouvés bloqués durant une heure et quart à l’intérieur du RER. Et – tenez-vous bien, mes chers collègues – ce sont les salariés d’Aéroports de Paris et les policiers présents sur place qui ont fini par délivrer les voyageurs, lesquels ont dû traverser les voies avec leurs bagages… Pensez aux dames en talons ! (Sourires.)
J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune : ce scandale ne peut plus durer. Roissy est la deuxième plateforme aéroportuaire d’Europe. L’immense bug qui ne manquera pas d’arriver finira par donner envie au monde entier d’oublier Roissy, et peut-être même Paris.
Au-delà, c’est le quotidien de l’ensemble des Franciliens qui est véritablement massacré. Bien sûr, le vrai problème est celui du retard d’investissement. Quand on réfléchit aux infrastructures de transport et à la rentabilité de nos investissements, il me semble qu’il faut aussi raisonner en termes d’investissement par voyageur.
M. Henri de Raincourt. Oui !
M. Vincent Capo-Canellas. Ainsi que Roger Karoutchi l’a rappelé à l’instant, le nombre de voyageurs est considérable. Nos investissements doivent être améliorés en proportion !
Au reste, je parle de l’Île-de-France, mais on pourrait trouver bien des exemples en province. C’est le réseau dans sa globalité qui est en difficulté. Et encore, je ne reviens pas sur les infrastructures routières.
Au départ, le financement passait par le budget général : en soi, il est justifié que l’État contribue aux grandes infrastructures. Néanmoins, la situation budgétaire contrainte de ce dernier a nécessité des évolutions : puisqu’il devenait difficile de raisonner en termes d’engagements pluriannuels et d’annualité budgétaire, on n’a pas hésité à s’affranchir du principe de non-affectation des ressources et, pour essayer de sécuriser le dispositif, on a créé plusieurs recettes, venues abonder l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF.
Or le piège s’est refermé sur ceux qui l’avaient tendu, la privatisation des autoroutes, puis l’abandon, subreptice, de l’écotaxe ayant produit sur les recettes l’effet inverse de celui qui était recherché. La faiblesse des financements publics remet en cause l’ensemble de la politique en matière d’infrastructures.
Longtemps, on a eu recours à des palliatifs : on a étalé les projets dans le temps, on a trouvé des expédients budgétaires, par exemple, sous forme de partenariats public-privé – encore que le coût des crédits puisse être élevé pour les opérateurs du privé. Finalement, on a compté sur d’hypothétiques financements européens. Or, comme vient de le souligner Ronan Dantec à propos du TGV Lyon-Turin, ces financements sont difficiles à mobiliser !
Plutôt que des palliatifs, on aurait pu imaginer une grande politique européenne de relance des investissements. Toutefois, ce « plan B » n’a même pas été esquissé. Puis, la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, a esquissé un scénario intermédiaire, que le Gouvernement a tenté de reprendre à son compte.
Je le comprends, car cette commission, dont Louis Nègre a fait partie, a produit un travail intéressant et des conclusions auxquelles je souscris. En gros, ce scénario consiste à être moins ambitieux et à se concentrer sur l’essentiel : la régénération du réseau et les investissements les plus prioritaires.
En réalité, la commission avait proposé deux scenarii, et c’est le plus ambitieux des deux, donc le plus difficile à financer, que le Gouvernement a retenu… Autant dire que, sans l’écotaxe, appliquer un tel scénario relève de la mission impossible !
Essayant de comprendre quelle était la position du Gouvernement sur ce sujet, j’ai tâché de remonter à la source et, comme M. Mézard, j’ai trouvé les déclarations de Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget – quand on parle de finances, c’est encore à Bercy que l’on trouve le plus d’informations !
Auditionné par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’écotaxe, M. Cazeneuve a déclaré : « Si la taxe poids lourds n’est pas mise en place, il conviendra de revoir nos objectifs en matière de modernisation de nos infrastructures de transport. » On ne saurait être plus clair ! Le ministre a même ajouté : « Mon message est donc le suivant : considérer que l’on peut conduire la politique des transports, que nous avons co-élaborée avec vous, de manière inchangée, sans mettre en œuvre une contribution qui permette le rendement attendu, n’est pas réaliste dans le contexte budgétaire que nous connaissons. »
Comme l’a rappelé Louis Nègre, le produit de l’écotaxe devait s’élever à 800 millions d’euros pour cette année : son abandon signifie 40 % de budget en moins pour l’AFITF.
Monsieur le ministre, puisque le conseil d’administration de l’Agence s’est réuni ce matin, pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont vous pensez résoudre l’équation ? Quels investissements comptez-vous maintenir ? Lesquels allez-vous différer ?
On comprend fort bien qu’il soit difficile, pour l’État, d’investir en puisant dans le budget général. Je perçois également la difficulté de la mission qui est la vôtre, monsieur le ministre : vous devez, dans votre propre budget, trouver de quoi financer l’absence de l’écotaxe. Autrement dit, une cure d’amaigrissement s’annonce, qui sera sans doute douloureuse. Je crois qu’il faudra se prononcer sur cette question, car l’ensemble de la politique relative aux infrastructures de transport est maintenant totalement remise en cause.
Tout cela nous invite à réfléchir à des scénarios de substitution. L’hypothèse d’une contribution accrue de l’utilisateur d’une infrastructure au financement et à l’entretien de celle-ci a été avancée tout à l'heure par Louis Nègre, que j’aurai cité abondamment aujourd'hui, et toujours avec plaisir.
Certains chiffres nous invitent à y réfléchir, même si, je le sais, ce sujet n’est pas simple sur le plan politique. J’ai en mémoire qu’il existe un écart de dix points entre la France et l’Allemagne pour la contribution de l’usager au coût du transport : cette part représente chez nous environ 30 % du prix réel, lorsqu’elle atteint 40 % outre-Rhin.
Après tout, c'est ce que l’on a fait avec le projet Charles-de-Gaulle Express, appelé CDG Express, et je rejoins ceux qui sont convaincus de la nécessité du financement choisi, qui mérite que l’on s'y intéresse.
À la différence de mon collègue Michel Teston, que j'ai écouté avec attention, je suis très prudent à propos des problèmes de fiscalité. J’admets cependant qu'une part de TIPP puisse éventuellement devenir un élément de la solution.
Monsieur le ministre, après avoir abordé ces différents sujets, je mesure la difficulté qui est la vôtre. Nous restons évidemment à votre écoute pour que le Parlement contribue à sortir le budget des infrastructures de transport des difficultés dans lesquelles il se trouve. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les transports routiers et ferroviaires constituent en France un solide maillage pour l’ensemble du territoire. Pour mémoire, notre réseau routier est le deuxième au niveau européen et le quatrième à l’échelon mondial, tandis que notre réseau ferroviaire est l’un des plus denses d’Europe. Ce legs de l’histoire est essentiel, car il a contribué à assurer un réel développement, tant économique que social, de notre pays.
Nos infrastructures de transport ont contribué à la reconnaissance et au développement d’un véritable droit à la mobilité. Elles sont le fruit d’un investissement public fort, aussi bien d’un point de vue financier qu’en matière de gouvernance.
Pourtant, comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné, l’état de nos infrastructures ferroviaires est lamentable, sauf pour quelques lignes à grande vitesse. Notre fret ferroviaire ne bénéficie pas des investissements nécessaires et les risques pour les usagers et les personnels sont réels.
Pour ce qui concerne la route, si l’état de notre réseau autoroutier est plus que correct, nous ne pouvons en dire autant des autres voies. Ce débat me donne d'ailleurs l’occasion de rappeler notre proposition de loi, présentée récemment au Sénat, visant à renationaliser les autoroutes.
En effet, la privatisation des sociétés d’autoroute a entraîné une perte de maîtrise publique de notre réseau autoroutier et a conduit à priver l’État de ressources précieuses pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, comme notre collègue Michel Teston l’a rappelé. L’Agence est en souffrance ; d'ailleurs, la Cour des comptes la qualifie d’agence « aux ambitions limitées, privée de ses moyens, désormais inutile » dans son rapport public de 2009.
Pourtant, cette agence avait, et a encore, pour mission première de concrétiser l’ambition du rééquilibrage modal et de la transition écologique en sanctuarisant les financements pour la construction des infrastructures de transport. C’est pourquoi, avec la proposition de nationalisation des autoroutes, nous sommes au cœur du sujet dont nous débattons aujourd’hui : la question centrale du financement de la politique publique du service public des transports, en pointant les sommes qui manquent aujourd’hui à l’AFITF. Ce n’est pas une bagatelle, puisque cela représente entre un et deux milliards d’euros par an.
La France peut et doit recouvrer le contrôle et le bénéfice de ces infrastructures de transport.
Cette expérience, comme bien d’autres, devrait nous conduire collectivement à remettre en cause cet objectif de désendettement rapide. Lorsque nous entendons qu’il faut s'orienter vers plus de cessions au privé de participations de l’État, comme l’a récemment annoncé le Premier ministre, nous sommes plus que réservés.
Nous savons pertinemment que les privatisations ont entraîné quasi-systématiquement une baisse de la qualité du service et une augmentation des tarifs pour les usagers. Cela devrait nous conduire à plus de prudence sur les cessions de capital public d’entreprises accomplissant des missions de service public.
Nous regrettons à ce titre que l’ambition du Gouvernement en la matière soit une nouvelle fois le désengagement, puisque la participation du budget national à cette agence stratégique s’évapore chaque année de près de 350 millions d’euros.
Quant au service public ferroviaire, qui est cœur d’enjeux cruciaux dans les politiques nationales d’aménagement du territoire, dans les politiques régionales – il est le troisième budget régional, après la santé et l’éducation – et dans les politiques environnementales – je pense à la limitation des émissions de gaz à effet de serre –, il restera un sujet essentiel au cours des prochains mois.
Alors que le Président de la République a organisé la conférence environnementale et qu’il a affirmé l’urgence de la transition écologique, le financement de la politique des transports ne peut rester en berne. La suspension de l’écotaxe, conjuguée à la privatisation des autoroutes, condamne au fond cet outil qu’est l’Agence de financement des infrastructures.
Pourtant, les engagements pris par le schéma national des infrastructures de transport ou, plus récemment, par le plan Mobilité 21, nécessitent des financements.
À ce titre, nous vous indiquons, monsieur le ministre, que nous sommes très inquiets que le projet de loi portant réforme ferroviaire qui a été annoncé ne traite aucunement du financement et appelle simplement à des gains de productivité.
Or, comme on l’a répété tout au long du débat, la dette de RFF est importante : elle s’élève à plus de 30 milliards d’euros et devrait atteindre 51 milliards d’euros à l’horizon de 2025, la dette du système ferroviaire s'élevant alors dans sa globalité, en y ajoutant celle de la SNCF, à près de 61 milliards d’euros. Il s'agit donc d’un montant très important. La Cour des comptes estime ainsi qu’une reprise partielle de la dette de RFF par l’État est souhaitable.
Je réitère donc notre demande, partagée par nombre de mes collègues dans l'hémicycle, que l’État s’engage à reprendre la dette du système ferroviaire et à établir un projet pluriannuel de financement des infrastructures ferroviaires dans le cadre d’une politique de transport multimodal.
Vous le savez, le groupe CRC a des propositions de financement.
Plusieurs d’entre elles ont déjà été explorées sur ces travées, et je les répéterai rapidement : la création d’un livret d’épargne sur le même principe que le livret A, afin de mobiliser l’épargne populaire pour moderniser et développer les infrastructures ferroviaires ; l’instauration d’un prélèvement sur les bénéfices des sociétés autoroutières dédié au financement du transport express régional, et cela sans attendre le retour à une gestion publique des autoroutes que nous préconisons par ailleurs ; la mise en place d’un réel pôle public bancaire, pour que le système bancaire remplisse sa mission au service d’un système ferroviaire structurant pour la vie quotidienne de la population comme pour le développement économique et l'aménagement du territoire, car il s'agit de répondre aux besoins de mobilité des populations ; la généralisation d’un versement transport régional qui permettrait – je regrette que mon collègue Roger Karoutchi soit parti – de mobiliser les 800 millions d’euros nécessaires à l'Île-de-France faute d’un versement transport harmonisé dans cette région, où plusieurs taux s'échelonnent de 1,5 % à 2,7 %.
Nous avons également porté l’idée d’une structure de défaisance de la dette qui fasse reposer le désendettement sur l’activité économique de transport dans le cadre d’une politique multimodale tournée de manière plus volontariste vers le report modal.
Cette proposition consiste en la création d’une sorte de caisse d’amortissement de la dette ferroviaire de l’État qui permettrait de libérer le fonctionnement du système ferroviaire de ce poids. Toutes les énergies seraient alors mobilisées pour la reconquête d’un service public ferroviaire efficace, qu’il concerne les voyageurs ou le fret et quelle que soit la distance ou la localisation.
Je pense que les enjeux économiques, écologiques et de développement des territoires appellent une autre politique en matière d’infrastructures de transport.
En clair, nous estimons au groupe CRC qu’il est temps que l’État reprenne de la hauteur, cesse de se faire dicter sa politique par le MEDEF et remette enfin au cœur des politiques publiques les notions d’intérêt général et de bien commun.
Ce n’est qu’à ces conditions que nous pouvons envisager un véritable avenir pour nos infrastructures de transport. Ce n’est qu’à ces conditions que nous répondrons aux besoins des populations. Ce n’est qu’à ces conditions, enfin, que nous pourrons effectivement remettre les choses à l’endroit, avec de véritables financements publics pour des transports de qualité.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin de débattre de l’avenir des infrastructures de transport sur la proposition de notre collègue Louis Nègre. Cette demande intervient alors que le Gouvernement a su prendre ses responsabilités (M. Vincent Capo-Canellas s'exclame.) et acter un certain nombre de projets majeurs.
Je citerai, brièvement, les recommandations de la commission Mobilité 21, le lancement important et financé – enfin ! – du tunnel Lyon-Turin, la reconfiguration du canal Seine-Nord-Europe, le Grand Paris Express et, bien entendu, le milliard d’euros de travaux annuels prévus pour la modernisation, la régénération et l’entretien des infrastructures ferroviaires.
La mobilité a toujours été un besoin pour les peuples, afin de développer leurs sociétés. Au fil du temps, les infrastructures se sont développées, le plus souvent en tenant compte de la spécificité du mode de transport et du type de circulation, pour devenir les points d’ancrage des plus grandes modernités d’aujourd'hui.
Une infrastructure est avant tout complexe ; c'est un objet aux multiples dimensions dont il est primordial de tenir compte pour tout projet. Elle se définit le plus souvent comme un objet technique, mais c’est surtout un objet structurant et territorialisé, qui s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps.
Dans notre société, les infrastructures, quelles qu’elles soient, sont primordiales pour garantir la liberté de déplacement des personnes et des biens et pour assurer le fonctionnement et le développement de l’économie. Elles participent massivement à l’aménagement du territoire, donnant du sens à ce qui est essentiel pour l’homme : la mobilité.
J’en finirai avec cette présentation sommaire en indiquant que les projets, qu’ils soient urbains, routiers ou ferroviaires, qu’ils concernent les voies navigables ou portuaires, les aéroports ou les pistes cyclables, doivent respecter de multiples objectifs généraux et permanents. Ils doivent en conséquence être évalués selon de nombreux critères, qui tiennent aux besoins des usagers, au développement économique et social comme aux échanges internationaux. Notre pays est aussi une incontournable plateforme multimodale entre le nord et le sud de l’Europe – cela nous oblige évidemment, monsieur le ministre.
Nos infrastructures de transport participent bien de la politique européenne des transports. Elles sont également, depuis le Grenelle de l’environnement, au cœur de la transition énergétique. On ne peut désormais imaginer de construire des infrastructures sans intégrer, aux différents stades de la conception des projets, les questions de la sécurité et du risque pour prévenir les accidents et les incidents, y compris ceux qui sont liés aux phénomènes climatiques, à la pollution de l’eau, aux atteintes à la biodiversité et aux risques technologiques, ces derniers posant par exemple la question de la réduction des passages à niveau, de la conformité des tunnels ou de la réduction des routes à forte pente.
J’ajoute qu’il faudrait développer, dans les études, l’intégration, qui est actuellement trop rare, hélas, des notions de coûts complets, comprenant les investissements, le fonctionnement et les impacts environnementaux, et de cycle de vie de l’infrastructure, en prenant en compte le long terme.
Ce débat m’a donné l’occasion de revenir sur le Livre blanc rédigé par Jacques Delors lorsqu'il était président de la Commission européenne. Ce document date de juin 1993. Il m’en est resté un message fort : la volonté d’engager un vaste programme d’infrastructures dans l’Europe entière et aussi dans notre pays. Je porte encore le regret que, dans les tiroirs de la Commission européenne, le Livre blanc soit resté, pour une bonne part, lettre morte. Les successeurs de Jacques Delors n’ont pas voulu engager ces travaux, qui nous manquent aujourd’hui.
« Ce Livre blanc, écrivait Jacques Delors, « a pour ambition de nourrir la réflexion et de contribuer à la prise des décisions décentralisées, nationales ou communautaires qui nous permettront de jeter les bases d’un développement soutenable des économies européennes, aptes à faire face à la compétitivité internationale, tout en créant les millions d’emplois nécessaires ».
Il répondait par avance à la question posée aujourd’hui : les économies européennes ont un avenir à condition d’investir et de structurer l’aménagement du territoire. D’où la nécessité de réseaux d’infrastructure transeuropéens, pour circuler mieux, plus sûrement et pour moins cher. Pour conclure rapidement, trop rapidement, sur le Livre blanc, je rappelle qu’il était prévu d’investir, d’ici à l’an 2000, quelque 250 milliards d’écus équivalents euros. Ce n’était pas rien !
Notre réseau routier national s’est réduit comme peau de chagrin depuis le transfert de la plupart des routes aux départements et la privatisation des autoroutes en 2006. Sur cette question, je partage l’avis de mon collègue Michel Teston.
Je rappelle qu’à cette occasion l’État a perçu 14,8 milliards d’euros, alors que la Cour des comptes avait estimé, dans son rapport annuel de 2008, que la valeur globale des 7 000 kilomètres d’autoroutes publiques s’élevait à 24 milliards d’euros. Il faudrait aujourd'hui 50 milliards d’euros pour racheter le réseau, ce qui est évidemment impensable.
Il est par ailleurs dommage que ces 14,8 milliards d’euros n’aient pas servi en totalité à réduire la dette du secteur ferroviaire. Une telle opération aurait été, me semble-t-il, acceptée par tous.
M. Louis Nègre. Si nous avions été là !
M. Jean-Jacques Filleul. Notre réseau ferroviaire, le plus important d’Europe, a subi les aléas du temps. Pendant de nombreuses années, l’État n’a pas engagé les régénérations nécessaires pour conserver les infrastructures à leur meilleur niveau.
La priorité a longtemps été donnée aux lignes à grande vitesse. Je le rappelle, la charge des infrastructures n’a pas été assumée en totalité par l’État. Elle concourt – nous le pensons tous – aux trois quarts de la dette de RFF. Toutefois, je note avec satisfaction que, depuis trois ou quatre ans, des moyens ont été mobilisés pour requalifier le réseau. L’effort principal reste à réaliser en Île-de-France, cela a été dit par d’autres avant moi. Je sais, monsieur le ministre, que c’est l’un de vos objectifs.
D’autres collègues parleront des ports ou des aéroports, mais je tiens à dire qu’il est regrettable, pour ce qui concerne les ports, que les hinterlands n’aient pas été suffisamment pris en considération ces dernières années. Les ports français méritent une plus grande attention : ils doivent devenir plus attractifs pour les opérateurs maritimes. Je me réjouis que le port du Havre soit, d’après notre collègue Charles Revet, en net progrès.
M. Charles Revet. Tout à fait. Je vais en parler !
M. Jean-Jacques Filleul. Les grandes plateformes portuaires françaises de niveau européen et l’organisation logistique au plan national participent de la compétitivité et de l’attractivité de notre pays.
Monsieur le ministre, nombre de bonnes fées se sont pourtant penchées sur nos infrastructures. Rappelons-nous le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, présenté en novembre 2011 par le précédent gouvernement, à quelques mois seulement des échéances électorales de 2012. Son montant était évalué à 245 milliards d’euros. Il visait des opérations diverses à effectuer sur vingt-cinq ans, sans hiérarchisation des projets ni solution de financement en vue de leur réalisation.
C’était en fait la « liste du père Noël », qui ne portait pas sur l’ensemble des projets d’infrastructures du territoire dits « particulièrement structurants » : elle agrégeait une kyrielle de projets, sans capacité de mise en œuvre. Et je passe sous silence les promesses entendues non réalisables et nuisibles, à terme, pour la crédibilité des gouvernants. Il s’agissait ainsi de 28 projets de développement ferroviaire représentant un linéaire de l’ordre de 4 000 kilomètres de lignes nouvelles, de 11 projets de développement portuaire, de 3 projets de voies d’eau à grand gabarit, de 28 projets routiers… N’en jetons plus !
Je ne puis m’empêcher de rapprocher ce catalogue et son coût exorbitant des scénarios présentés par la commission Mobilité 21. Dans le rapport rendu public le 27 juin 2013, nos collègues reviennent à la réalité, ce dont je les félicite, en prévoyant une contribution de l’État aux projets de transport qui soit comprise entre 2,1 et 2,5 milliards d’euros en moyenne annuelle sur les trente prochaines années.
Ce sont déjà des niveaux très élevés, puisque l’AFITF dépense en moyenne, depuis 2005, un peu moins de 2 milliards d’euros par an. La suspension provisoire, du moins je l’espère, de l’écotaxe vient évidemment bouleverser le montant des ressources de l’agence. Je souhaite, comme beaucoup, que l’écotaxe ou une taxe poids lourds soit réactivée.
Le Gouvernement, au travers de votre action, monsieur le ministre, s’est mobilisé pour mieux identifier les besoins et définir l’avenir des infrastructures de transport. Comme je l’ai rappelé en préambule, j’attendais depuis longtemps que l’État s’engage, pour ce qui concerne le fret, pour la ligne Lyon-Turin, dont la réalisation a été autorisée par le Parlement français en novembre dernier.
Le métro automatique du Grand Paris Express est désormais lancé, avec un achèvement prévu en 2030. J’ai lu récemment dans la presse, et sans doute le confirmerez-vous, monsieur le ministre, que le projet de liaison entre la gare de l’Est et Roissy est ressorti des cartons dans lesquels il était enfermé depuis plus de dix ans.