compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Débat sur l'évolution des péréquations communale, intercommunale et départementale

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’évolution des péréquations communale, intercommunale et départementale après l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2014, organisé à la demande du groupe RDSE.

La parole est à M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe RDSE a proposé ce débat sur l’évolution de la péréquation dans le financement de nos collectivités locales. C’est un sujet sur lequel nous sommes beaucoup intervenus les uns et les autres et qu’il est naturel d’aborder au Sénat, assemblée qui a encore pour quelque temps, en application de l’article 24 de la Constitution, la mission d’assurer la représentation des collectivités territoriales.

Permettez-moi d’ailleurs de faire référence au rapport d’information de Rémy Pointereau et moi-même, paru au début de l’année 2010 et intitulé Vers une dotation globale de péréquation ? À la recherche d’une solidarité territoriale. Je crains qu’il n’ait subi le sort de nombre de rapports parlementaires !

Notre système de financement des collectivités territoriales est à bout de souffle, parce que tous les gouvernements ont reculé devant le risque d’impopularité de réformes profondes de la fiscalité, dont la fiscalité locale. Bien sûr, pour toute réforme fiscale, ceux qui bénéficient du système restent en général silencieux, même si quelques-uns, récemment, n’ont pu cacher leur jubilation dans leur département, tandis que ceux qui y perdent crient à la spoliation, encore plus lorsqu’ils ont l’habitude de hurler la bouche pleine. De fait, les réformes institutionnelles concernant les collectivités patinent voire échouent lorsqu’il n’y a point à la clef de dotations significatives ; la loi Chevènement sur l’intercommunalité doit son succès certes à sa pertinence, mais aussi à l’abondement des dotations de la dotation globale de fonctionnement, la DGF.

De la question de la révision des valeurs locatives à celle de la réforme des systèmes de dotations de l’État, chaque gouvernement étudie, consulte et, in fine, applique le principe de la transmission de la « patate chaude ». (Sourires.) Le résultat de plus de trente ans de tergiversation, de renoncement, pour tout dire de manque de courage politique est catastrophique. Aujourd’hui, mes chers collègues, gouverner, ce n’est plus prévoir, c’est le plus souvent renoncer : le dossier de la fiscalité locale des ménages est beaucoup plus lourd dans tous les sens du terme que celui de l’impôt sur le revenu ! Ce n’est pas un énième groupe de travail ou un nouveau haut conseil ou haute autorité qui résoudra le problème. Les éléments techniques sont connus, il faut arbitrer !

Aujourd’hui, sur ce plan, l’inégalité entre les territoires et entre les citoyens est considérable, profondément injuste, de plus en plus souvent insupportable. On constate en effet – c’est un exemple que je prends souvent – qu’à capital foncier égal le propriétaire d’un petit logement de 300 000 euros à Paris, à Levallois ou à Neuilly– c’est un beau logement dans nombre de villes moyennes…

M. Bruno Sido. Un château !

M. Jacques Mézard. … –, paie souvent dix fois moins d’impôt local que l’habitant de villes moyennes du Limousin, d’Auvergne, voire du Rouergue, madame la ministre. C’est la démonstration non seulement d’une injustice criante, mais de blocages structurels qui brisent toute politique forte d’aménagement du territoire. Le fossé continue de s’agrandir entre les territoires, les services aux citoyens ne sont pas comparables, les équipements publics pas davantage ni la politique de développement économique.

Cela a des conséquences dans tous les secteurs de la vie nationale, et la crise du logement en est un exemple frappant : mener une politique d’aménagement du territoire, c’est faciliter les transferts d’habitants des zones tendues vers les zones détendues au lieu de poursuivre la désertification de nombre de territoires ruraux.

Madame la ministre, le Gouvernement a annoncé que les concours aux collectivités locales devaient être réduits de 1,5 milliard d’euros chaque année pour contribuer à la réduction des déficits publics. Nous l’entendons et, pour la plupart d’entre nous, nous le comprenons. Si cette décision n’a pas un lien direct, en tout cas de cause à effet, avec la péréquation, il est néanmoins évident que diminuer le montant des dotations de l’État aux collectivités peut avoir et aura des conséquences directes sur le fonctionnement des collectivités ; elles seront plus lourdes pour les plus pauvres d’entre elles, aux potentiels fiscaux et économiques les plus faibles.

Quand les budgets sont plus contraints, une politique de péréquation est d’autant plus nécessaire, mais aussi d’autant plus difficile à mettre en place.

En ce qui concerne la péréquation verticale de l’État vers les collectivités et l’évolution du système de la DGF, il serait fallacieux de prétendre – pour notre part, nous ne l’avons d’ailleurs jamais fait – que ce système n’est pas péréquateur. La seule question est la suivante : l’est-il suffisamment ?

Des modifications s’imposent en raison du trop grand nombre et de l’importance des dotations de compensation au sein de la DGF. En effet, ces dernières ont un faible effet péréquateur ; dans certains territoires, elles ont même accru les inégalités. De plus, la DGF, qui fut construite sur un modèle économique assis sur la croissance, devient contrainte avec la dégradation des conditions économiques ; la péréquation dans la DGF revêt dès lors un caractère par trop résiduel.

Madame la ministre, nos territoires, leurs élus, leurs citoyens, ont besoin de mesures lisibles et compréhensibles, ainsi que de choix transparents, surtout lorsqu’ils émanent de ceux qui se veulent et se proclament tous les jours les apôtres de la transparence. En matière de fiscalité locale comme ailleurs, les élus de nos territoires et nos concitoyens veulent des mesures de justice et non des arrangements entre amis ou des compromis entre grands élus.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jacques Mézard. Les dispositifs de péréquation, malgré les nombreuses révisions dont ils ont déjà fait l’objet, n’ont pas permis de corriger les inégalités territoriales existantes. Cela s’explique très certainement en grande partie par l’instabilité et la diversité des critères pris en compte pour définir les contributeurs et les bénéficiaires des fonds de péréquation. Ces critères ne cessent d’évoluer au fil de chaque loi de finances, pour renforcer encore la complexité et l’illisibilité de la péréquation. On aboutit à une multiplicité de dispositifs qui se contredisent, voire s’annulent.

On ne peut pas dire que les deux dernières lois de finances initiales aient contribué à pallier ce manque de cohérence. Bien au contraire ! Que s’est-il passé fin 2012, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013 ? Je rappellerai l’adoption par l’Assemblée nationale, en deuxième lecture du projet de loi finances, d’un amendement « scélérat » modifiant profondément les critères de répartition des fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, au détriment de nombre de départements ruraux et en faveur de départements plus riches et plus peuplés, ce sans qu’aucune simulation soit communiquée !

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. L’absence de simulations rendues publiques a toujours été l’une des principales faiblesses, dénoncée sur toutes les travées, dans tous les rapports, y compris dans celui que vous-même et notre collègue Charles Guéné présentiez en 2012 sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle. C’est une excellente lecture, que je vous recommande, mes chers collègues.

À la suite à ce vote « en catimini » de l’Assemblée nationale intervenu fin 2012, dans un grand élan de solidarité – mais la solidarité n’est pas forcément durable –, mon ami Gérard Miquel et moi-même, avec plusieurs collègues des autres groupes, y compris le président du Sénat, avions interpellé le Premier ministre, qui s’était engagé à revoir ces critères au cours de l’année 2013. C’est une promesse qui n’a pas été véritablement tenue.

En août, nous apprenions la répartition de la « deuxième enveloppe » du fonds exceptionnel de soutien aux départements en difficulté, alimenté par un prélèvement de 170 millions d’euros sur la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Ce dispositif ponctuel, destiné à accorder un « ballon d’oxygène » aux départements qui ne pouvaient plus faire face à l’accélération de la montée en charge des dépenses sociales, fut partagé en deux enveloppes de 85 millions d’euros : la première fut répartie selon un indice synthétique défini dans la loi de finances pour 2013, la seconde bénéficiant à un nombre bien moins important de départements, selon des critères qui furent définis ultérieurement par le Gouvernement et qui ne sont pas sans poser question. Dois-je rappeler que le principal bénéficiaire ou l’un des principaux fut le département de la Corrèze, avec 13 millions d’euros ? Ce dispositif ponctuel n’apportait de toute façon aucune solution pérenne.

Par conséquent, la question de l’extrême fragilité financière des départements, qui n’a cessé de s’aggraver au cours de ces dernières années sous les gouvernements successifs, est revenue sur le devant de la scène tout au long de l’année 2013. Résultat : de nombreuses mesures de la loi de finances pour 2014 visent justement à permettre aux départements d’assumer la charge exponentielle que représentent les allocations individuelles de solidarité.

Je ne m’attarderai pas sur la mise en place d’un fonds pérenne de 100 millions d’euros par an destiné aux collectivités ayant souscrit des emprunts dits toxiques. Cela va à l’inverse de la péréquation. C’est une récompense aux mauvais gestionnaires,…

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jacques Mézard. … qui sont parfois, voire souvent, ceux qui instrumentalisent en sous-main les réformes de la péréquation à leur profit.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. C’est une intégration de l’aléa moral dans la loi.

Concernant les dispositions de la loi de finances pour 2014 visant à « soulager » les départements, une nouvelle ressource fiscale leur est attribuée : il s’agit des frais de gestion perçus au titre du foncier bâti. Cette nouvelle recette fiscale est répartie selon des critères de ressources et de charges qui n’étaient pas définis dans le texte initial et qui l’ont été en première lecture par l’Assemblée nationale. Ces nouvelles ressources seront réparties entre les départements, en deux fractions : 70 % proportionnellement au reste à charge du département pour financer les allocations individuelles de solidarité et 30 % suivant une logique de péréquation, en fonction d’un indice synthétique inspiré de celui du fonds de secours de l’année précédente.

Par ailleurs, les départements sont autorisés à relever temporairement les DMTO de 3,8 % à 4,5 %, ce qui ne va pas sans soulever un certain nombre de difficultés. Lorsque cette mesure avait été annoncée dans le cadre du « pacte de confiance et de responsabilité » entre l’État et les collectivités territoriales de juillet 2013, certains présidents de conseil général, y compris socialistes, n’hésitaient d’ailleurs pas à déclarer, à l’instar de notre collègue Jean-Jacques Lozach dans La gazette des communes du 11 septembre 2013 : « Ce type de déplafonnement n’est pas une mesure de péréquation, c’est même contraire à la solidarité. » Dont acte !

Le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, s’est lui-même montré très réservé, si l’on en croit son rapport : « En premier lieu, le ciblage de ce dispositif est incertain. Les départements les plus pauvres, notamment ruraux, se caractérisent par un volume réduit de transactions portant sur des biens dont la valeur moyenne est faible ; ils ne seraient donc pas en mesure de générer des recettes substantielles grâce au dispositif […]. »

Conscient des limites de cette mesure et des problèmes qu’elle pose, le Gouvernement, en corollaire de cette augmentation facultative et temporaire des DMTO – c’est là que la complexité et la perversité du dispositif se précisent –, a d’ailleurs fait adopter un amendement créant un nouveau mécanisme de péréquation de cette ressource. Ce nouveau « fonds de solidarité » sera alimenté par un prélèvement uniforme de 0,35 % – il se superpose au fonds existant – sur le produit des DMTO perçus par les départements. Le dispositif a toutefois prévu que l’ensemble des prélèvements effectués au titre de la péréquation des DMTO seront plafonnés à 12 % du montant desdits DMTO de l’année précédente.

Quant au reversement des ressources de ce nouveau fonds de solidarité, madame la ministre, il s’effectuera en fonction d’un indice synthétique, défini seulement lors de la deuxième lecture de la loi de finances à l’Assemblée nationale, alors que le dispositif initial renvoyait à un décret en Conseil d’État ! Quel curieux cheminement !

Comme l’année précédente, les députés ont eu les mains libres en deuxième lecture pour fixer des critères de répartition d’un fonds de péréquation – mais c’est bien sûr de la responsabilité du Sénat –, alors que ceux-ci, compte tenu des déconvenues de l’année passée, auraient bien évidemment dû être intégrés dans le texte du Gouvernement dès le départ. Cela aura permis à certains départements, conduits en partie par l’Assemblée des départements de France, cher Bruno Sido, qui ne manque pas d’inventivité ces dernières années pour définir des indices synthétiques souvent abscons, de faire leurs « arrangements » avec le Gouvernement et de définir les critères qui leur sont le plus favorables. Les principes de justice, d’équité et de solidarité qui sous-tendent la péréquation ont donc été, en 2013 et en 2014, largement mis de côté.

Le système du reste à charge mis en place soudainement lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2014 ne nous trompe pas. Son ingénieux promoteur a permis de satisfaire les appétits de ceux qui étaient bien servis en 2013 avec une partie de ceux qui l’étaient moins bien.

M. Éric Doligé. C’est bien dit !

M. Jacques Mézard. Divine surprise ou fausse surprise pour le Lot, la Corrèze, la Seine-Saint-Denis ! J’aurai la décence de ne pas citer d’autres bénéficiaires, dont certains, qui m’en ont parlé, ne s’y attendaient même pas – voir les Hautes-Pyrénées.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Éric Doligé. C’est la vie !

M. Jacques Mézard. J’ai là sous la main, cher Gérard Miquel, la presse hebdomadaire du Lot, à savoir La Vie Quercynoise en date du 19 au 25 décembre 2013. Lisez le titre : « Département : le Père Noël est passé : une aide inespérée de 13 millions d’euros. » (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP. – M. Bruno Sido applaudit.) Je cite le président Miquel, qui a qualifié cette enveloppe d’« historique »… Il ajoute : « On a fait du travail de lobbying pour faire accepter cette idée. » (Mêmes mouvements.) Bravo, mon cher collègue, « mais quelle image de notre belle République », ajouterai-je !

De fait, madame la ministre, pour faire ces cadeaux de Noël, vous avez fait davantage de la compensation que de la péréquation.

Je croyais qu’à Noël on récompensait surtout les enfants sages. Je me suis trompé : on récompense surtout les enfants dissipés, les départements endettés, à commencer par la Seine-Saint-Denis, le Nord, la Corrèze, les ultramarins.

Si j’en crois nombre de médias nationaux, le Président de la République lui-même est qualifié de « généreux Père Noël de Tulle ». Et le maire de Tulle a lui-même précisé ceci : « à Tulle, on n’est pas arrosés, nous sommes humidifiés. » (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Éric Doligé. République bananière !

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, permettez à ceux qui ont soif, souffrant d’une sécheresse pesante, de vous dire : « Donnez-nous un peu d’eau ! »

Il est fallacieux de présenter le critère du reste à charge sorti du chapeau au dernier moment comme le critère de l’équité. Tout d’abord, une fois qu’il aura été mis en place, vous n’aurez pas amené au même niveau de reste à charge par habitant tous les départements, bien loin de là, puisque, pour nombre d’entre eux, celui-ci demeure très inférieur à la moyenne, qui est d’environ 70 euros par habitant – pour les Hauts-de-Seine, c’est à peu près la moitié.

On ne peut pas, dans un système de péréquation équilibré, ne pas tenir compte de manière primordiale de la capacité structurelle de chaque département à financer le reste à charge. La question des ressources, du potentiel fiscal de chacun des départements est essentielle, c’est la question de l’indicateur de richesse.

Je rappelle que ce sont les départements les moins riches, les départements qui ont le moins de DMTO par exemple, qui doivent augmenter les taux quand ceux qui ont le plus de recettes voient leurs prélèvements écrêtés, ce qui réduit considérablement l’abondement du fonds.

M. Bruno Sido. Exact !

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, il n’est ni juste ni raisonnable de procéder à des modifications du système de péréquation dans l’opacité de chaque loi de finances, après de discrètes négociations majoritairement arbitrées dans les conditions que nous savons.

Vous me ferez sans doute remarquer qu’il en était ainsi auparavant.

M. Éric Doligé. Certainement pas ! Il n’y avait pas de péréquation ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. D’où ma question, à laquelle je vous demande de répondre clairement, dans cette transparence qui nous est si chère à tous : allez-vous revoir le dispositif contenu dans la loi de finances pour 2014 ? Si oui, quand et avec quels objectifs ?

De tout cela, il résulte quand même un sentiment d’injustice partagé par un grand nombre de collectivités. Nous nous éloignons un peu plus à chaque loi de finances de la transparence et de la justice.

Les critères très différents, basés tantôt sur des indices synthétiques de ressources et de charges, tantôt sur des recettes fiscales potentielles ou réelles ou sur certaines ressources uniquement, font bien ressortir les difficultés qui s’opposent à la définition d’une péréquation juste et efficace. Je ne parle même pas des montants !

Quels sont les bons critères ? Le Parlement, privé de moyens d’évaluer l’impact des dispositions, ne disposant d’aucun outil permettant d’établir des simulations, est malheureusement beaucoup trop dépendant de l’exécutif pour le dire avec certitude. Mais une chose est sûre : pour trouver les « bons critères » de répartition de la péréquation, il convient de s’accorder sur les objectifs de cette dernière.

Dans notre rapport de 2010 sur la péréquation, Rémy Pointereau et moi-même concluions ainsi : « Pour juger du caractère optimal d’un système de péréquation, il convient d’abord de définir des objectifs clairs et lisibles, acceptés par l’ensemble des acteurs, collectivités bénéficiaires et contributrices, accompagnés de moyens budgétaires suffisants, destinés à les atteindre. »

Un rapport rendu un an plus tard par le groupe de travail mis en place par la commission des finances concluait pour sa part très justement : « La transparence passe par la définition de règles simples et compréhensibles par tous, alors qu’aujourd’hui la multitude des paramètres, des conditions et des particularismes aboutit à ce que l’application de la loi contredit l’objectif fixé par le législateur. » Personnellement, j’ajouterai même qu’elle contredit l’objectif fixé par l’article 72-2 de la Constitution.

Même si les dispositifs ont évolué, ces commentaires restent d’une frappante actualité. Nous considérons – et il faut que chacun puisse exprimer ce qui ressort de ces territoires que nous représentons encore – que les territoires ruraux et hyper-ruraux font bien partie des plus défavorisés, pas uniquement en vertu de critères économiques de répartition des ressources, mais parce qu’ils souffrent d’inégalités dans tous les domaines : santé, transport, éducation.

Pour nous, la péréquation doit contribuer à corriger toutes ces inégalités. Pour une fois, peut-être serions-nous bien inspirés de méditer l’exemple suédois en la matière, qui prévoit que l’objectif de la péréquation est de résorber les disparités d’offre de services publics pour garantir une offre égale sur tout le territoire.

Telles sont les observations que nous voulions formuler, madame la ministre. Je sais que vous êtes attentive à tous ces problèmes, que vous avez travaillé avec beaucoup de courage et de conviction. S’il est un dossier difficile, c’est bien celui-ci. Le service de la République nécessite ce courage. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est jamais inutile de remettre sur le métier le débat de la péréquation financière entre les différents niveaux de collectivités de notre pays, débat non abouti et très ancien si j’en juge la citation suivante de Tocqueville : « Chacun a remarqué que, de notre temps et spécialement en France, cette passion de l’égalité prenait chaque jour une place plus grande dans le cœur humain. »

Ces propos datent de 1835. Pourtant, presque deux fois centenaires, ils n’ont pas pris une ride.

L’égalité de traitement n’est toujours pas acquise, ne serait-ce qu’au niveau du montant de la dotation globale de fonctionnement, qui vous procurera 64 euros par habitant si votre commune en compte 1 000, et 128 euros si elle en compte 100 000.

La campagne pour les élections municipales est désormais largement engagée dans notre pays, par des centaines de milliers de candidats dans les 36 000 communes de France, engagement de citoyens ordinaires non pas avides de gloire et de pouvoir, mais soucieux de l’intérêt général et de faire vivre la démocratie dans la proximité.

Les questions financières pour faire face aux besoins de la population seront donc évidemment au cœur de la campagne, tout comme le sera celle de l’égalité de traitement entre territoires urbains et territoires ruraux, question centrale dont nous débattons ce matin au Sénat.

La proposition de nos collègues du groupe RDSE est donc tout à fait pertinente ; il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier.

La péréquation est devenue un passage obligé dans la définition, chaque année, des concours de l’État aux collectivités locales.

L’affaire prend un tour particulier cette année – et pour les années à venir –, puisque l’enveloppe globale des dotations a été soumise à une réduction sensible de 1,5 milliard d’euros.

À l’injustice de la réduction de l’enveloppe globale, on ajoute donc dans les faits une discrimination dans le degré de punition imposée à chacun, selon les critères, au demeurant discutables parfois, qui continuent pour le moment de servir à définir une collectivité « pauvre ».

On oublie, par exemple, qu’une commune comme celle de Saint-Pierre-des-Corps, dont notre collègue Marie-France Beaufils est l’élue, est considérée comme riche d’un potentiel financier important, alors que les bases d’imposition présentes sur le territoire de la commune alimentent dorénavant les caisses de la communauté d’agglomération. Et ce alors même que la majorité de sa population n’acquitte pas d’impôt sur le revenu, de par la modicité des mêmes revenus.

À la vérité, ce débat sur la péréquation doit justement être l’occasion non pas de nous demander comment être juste dans un cadre de politique d’austérité – selon nous, on n’est jamais juste en appliquant une telle politique –, mais bien plutôt de constater à quel point le débat sur les finances locales appelle des modifications sensibles et des évolutions majeures.

Comment, en effet, parler de péréquation alors même que la logique de métropolisation qui va, dans les faits, dresser les collectivités territoriales et leurs groupements les uns contre les autres dans une guerre sans merci et dans une compétition sans fin entre les territoires, semble vouloir s’imposer et créer les conditions pour de nouvelles difficultés ?

Comment parler de péréquation encore alors même que le pouvoir de décision fiscale des régions est réduit à sa plus simple expression, que celui des départements n’est guère plus vaillant et que les communes sont invitées à se regrouper sous peine de voir leur dotation globale de fonctionnement descendre peu à peu aux enfers ?

Comment parler de péréquation, enfin, alors même que les politiques budgétaires mises en œuvre intègrent des logiques libérales qui créent, lentement mais sûrement, dans certaines régions de France, de véritables déserts du service public, la fermeture de La Poste ayant de peu précédé ou suivi celle de l’école, de la perception ou de la subdivision de l’équipement ?

Les communes de notre pays n’ont pas la même taille, la même sensibilité politique, et leurs populations sont fort disparates : deux résidents permanents à Majastres, dans les Alpes-de-Haute-Provence, contre plus de 2 millions à Paris.

De la même manière, les départements et les régions français ne sont pas logés à la même enseigne. Ou plutôt si : leur degré d’insertion dans la vie économique du pays, mais aussi plus largement dans les relations avec le « reste du monde », demeure assez variable, quand bien même nous plaçons au titre de la politique régionale de l’Union européenne neuf de nos vingt-deux régions de métropole parmi les vingt-neuf plus riches régions économiques de l’Europe.

Seulement voilà : même si l’Île-de-France se positionne comme la première région d’Europe en termes de richesses produites, elle demeure, sur un strict plan politique, un nain au regard des pouvoirs et des capacités financières des Länder allemands, des grandes régions italiennes et même des communautés autonomes espagnoles.

Et la péréquation, si elle ne part que des sommes que les régions ou les départements gèrent en direct, ne peut que demeurer limitée et, par certains côtés, contre-productive.

Si les élus de Seine-Saint-Denis, quelle que soit leur étiquette politique, se battent pour que ces blessures ouvertes par la crise des années soixante-dix et quatre-vingt que sont les friches industrielles soient peu à peu refermées et que de nouvelles activités économiques s’y implantent, est-il nécessairement juste que le produit de cette action, c’est-à-dire l’ensemble des transactions immobilières qui se trouvent ainsi réalisées, soit en partie confisqué aux habitants du département et que les finances départementales s’en trouvent de fait dépourvues ?

C’est pourtant ce qui se passe quand on décide de prélever une partie du produit des droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, sans considération aucune pour l’usage qui pourrait en être fait. (M. Bruno Sido s’exclame)

Il ne peut y avoir de péréquation sans recette fiscale nouvelle. Dans un schéma financier où le niveau des concours budgétaires de l’État aux collectivités locales connaît une réduction programmée, notamment par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, votée ici majoritairement, la péréquation est un peu comme un poison atténué.

La situation ne va d’ailleurs pas s’arranger, puisque la réforme du mode de scrutin cantonal emporte, entre autres conséquences, la perte de la qualité de « bourg-centre » pour plusieurs centaines de chefs-lieux de canton de notre beau pays. En conséquence, nous aurons toujours un bel outil de péréquation, à savoir la dotation de solidarité rurale, ou DSR, mais il est probable qu’une large part de cette dotation, à hauteur de 180 millions d’euros environ, sera perdue pour ces communes.

Mes chers collègues, non, décidément, non, il ne peut y avoir de péréquation sans recettes nouvelles ! J’en suis d’autant plus convaincu que nous avons un premier problème, toujours non résolu : la DGF, soit l’un des instruments de l’égalité des territoires, continue d’être inégalement attribuée à raison de la population de nos communes.

Il y a quelque temps, notre groupe avait fait discuter d’une proposition de loi défendue ici même par notre collègue Gérard Le Cam sur le sujet, proposition rejetée par le Sénat, même si concession fut faite que le problème se posait bel et bien.

Il ne suffit pas de sacraliser la commune et ses élus locaux, comme il est souvent fait dans cette enceinte. Un acte de reconnaissance véritable de ces fantassins de la République consisterait à rendre à la DGF sa vertu péréquatrice. Une vertu qu’elle peut développer sans nuire à son caractère fondamental, comme cela s’est trop souvent vu, celui d’apporter une réponse aux besoins des collectivités.

Je ne parle pas des conséquences, en pertes de ressources, de la réforme de 1989, de celle de 1993, de la « création » de l’enveloppe normée, et, pour finir, de la DGF version Sarkozy, qui est restée gelée ou quasiment gelée pendant deux ans.

La péréquation de la misère, c’est la misère de la péréquation ! Une recette fiscale nouvelle mettant à contribution les revenus et actifs financiers des entreprises, par exemple, devrait donc être promue et constituer l’élément pivot d’une véritable péréquation des ressources entre collectivités.

Sortons de la nasse dans laquelle les élus locaux sont aujourd’hui empêtrés, entre des dépenses contraintes de plus en plus lourdes et des ressources financières de moins en moins maîtrisées, faute de pouvoir en fixer le rendement. Oui à l’intervention publique locale, avec des moyens financiers globalement renforcés !

Pour conclure, n’oublions jamais, madame la ministre, mes chers collègues, que si dette il y a dans nos collectivités, admirablement stable depuis trente ans et parfaitement maîtrisée, elle sert l’investissement, donc la croissance, contrairement à celle de l’État, qui ne fait que combler le déficit des finances publiques. Il faut choyer les collectivités, car elles sont non pas une charge, mais un levier pour notre pays en crise ! (Mme Delphine Bataille applaudit.)