M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’associer au propos qui va suivre mes collègues du groupe UDI-UC, et en particulier Catherine Morin-Desailly, passionnée par ces thèmes culturels.
Les vingt dernières années ont été marquées par des mouvements de flux et de reflux au sein de l’exploitation cinématographique française, aussi bien en termes d’ouvertures et de fermetures de salles qu’en termes de fréquentation.
Nous le savons tous, l’apparition des grands complexes multisalles au début des années 1990 est le principal élément venant éclairer ce phénomène. De 22 multiplexes dénombrés par le CNC en 1996, on est passé à 176 en 2011, soit une dizaine de plus chaque année en moyenne. Par ailleurs, 36 projets d’implantation de multiplexes ont été déposés devant les commissions départementales d’aménagement cinématographique en 2013, un record inégalé depuis 2001.
Si les implantations massives ont permis au parc en salles de se redéployer et ont favorisé une hausse de la fréquentation, ce processus s’est fait aux dépens d’une grande partie de l’exploitation cinématographique déjà en place, en particulier dans les moyennes et petites villes.
Dans ce contexte, le parc indépendant dit d’art et d’essai a réussi jusqu’alors à se maintenir grâce à son engagement dans un processus d’opposition à l’uniformisation, qui passe par une programmation particulière et une activité d’animation intense – notamment en direction du jeune public – soutenues par les instances française et européenne, ainsi que par la présence d’un public souvent très fidèle. Le goût de types de cinématographies donnés, le respect de certains principes – voir les films en version originale, par exemple – ou le sentiment de bien-être engendré par un lieu font que la plupart de ces spectateurs restent attachés à « leur » établissement.
Pendant quelque temps, l’avenir de l’exploitation cinématographique a donc semblé pouvoir se dessiner sur la base de ce duopole, avec, d’un côté, les grands complexes cinématographiques commerciaux et, de l’autre, les salles indépendantes développant des politiques d’éducation à l’image.
Mais aujourd’hui comment appréhende-t-on l’équilibre entre les deux types d’établissements ? Je défendrai ici trois objectifs.
Le premier objectif est l’éducation culturelle. Il est plutôt de l’apanage des salles indépendantes d’apporter un accompagnement plus précis à l’éducation par l’image, notamment grâce aux dispositifs « École au cinéma », « Collège au cinéma », et « Lycéens et apprentis au cinéma ».
Ensuite, le deuxième objectif, – il importe que le Sénat y soit sensible – c’est l’aménagement équilibré du territoire. La plupart du temps, les salles d’art et d’essai sont implantées au cœur des petites ou moyennes villes. Elles sont un élément structurant de l’animation culturelle et sociale, impliquées et en parfaite adéquation avec les désirs des associations, des structures ou des politiques culturelles de leur cité.
Enfin, – c’est le troisième objectif – pour un développement harmonieux à côté des multiplexes, qui répondent à un besoin et témoignent du dynamisme du cinéma, il faut préserver les artisans du cinéma, les indépendants, dont le parti pris et la passion du métier assurent une diversité culturelle à notre territoire.
Tous ces points remplissent, d’ailleurs, les critères d’un développement durable !
Ainsi, dans la continuité des politiques publiques menées depuis cinquante ans en matière de préservation de la diversité, une nouvelle politique culturelle apte à garantir la diversité des lieux de diffusion des œuvres doit être engagée.
Cette politique devrait notamment redéfinir les modalités de la régulation de l’implantation de nouvelles salles. Les commissions départementales d’aménagement cinématographique intéressées prendraient alors en considération, dans la procédure d’autorisation des établissements nouveaux, leur effet sur les cinémas existants, et particulièrement sur les cinémas qui jouent, grâce à la politique d’art et d’essai, un rôle d’intérêt général.
Cette politique devrait également renforcer la politique de promotion de la diversité que représente le classement art et essai, notamment par une clarification des modalités de calcul et des aides apportées aux salles. Ces financements devraient permettre une certaine péréquation horizontale et prendre réellement en compte la programmation et l’animation comme principaux critères d’évaluation.
Par ailleurs, s’il faut, d’une part, favoriser l’accès aux films pour les cinémas d’art et d’essai, il est nécessaire, d’autre part, de respecter les accords conventionnels qui encadrent la diffusion. En effet, les cinémas d’art et d’essai indépendants doivent avoir accès aux copies des films plus facilement. Certaines salles sont pénalisées par le circuit de distribution actuel. En outre, les accords entre les indépendants et les géants nationaux doivent être confortés. Il faut affirmer cet équilibre.
Ainsi, la multidiffusion d’un même film au sein des multiplexes doit être encadrée. Par exemple, la pratique dite du « cealsing » – pratique qui consiste à diffuser un même film à partir d’une seule copie sur plusieurs écrans en simultané – ne doit être qu’exceptionnelle.
Une politique ambitieuse en la matière devrait se saisir d’un autre sujet fondamental : le renouvellement du matériel numérique. Si des dispositifs et des financements ont pu être élaborés pour l’équipement des salles, rien n’a été prévu concernant le renouvellement du matériel, alors que l’obsolescence de ces technologies est très rapide.
Il m’apparaît donc comme urgent de réfléchir collectivement, puissance publique et organisations professionnelles, aux modalités d’une aide pérenne pour la mutation numérique de ces salles. Sans cela, nous risquons de voir le parc de salles se scinder en deux avec, d’un côté, les salles qui seront toujours équipées des nouvelles technologies, les technologies dernier cri, et, de l’autre, les salles ne pouvant pas, dans certains cas, diffuser certains films en raison d’un équipement vétuste.
Enfin, madame la ministre, de façon plus large, et même si je sais que c’est difficile d’un point de vue financier, l’État devrait pouvoir réfléchir, dans le cadre de ses compétences, à la mise en place d’aides spécifiques à la diffusion culturelle cinématographique, en concertation avec les collectivités territoriales volontaires.
Et, comme vous le savez, le président du Centre national du cinéma et de l’image animée, ou CNC, a chargé notre ancien collègue Serge Lagauche d’une mission d’évaluation de la nouvelle procédure d’autorisation et de ses impacts au regard de la diversité de l’offre et de l’aménagement du territoire. Le rapport, qui doit être rendu dans les prochains jours, fait état des auditions menées. Toutes concluent au caractère indispensable du maintien de la procédure d’autorisation préalable d’aménagement cinématographique.
Mes chers collègues, le cinéma est un art, et pas seulement une industrie ! La reconnaissance par les pouvoirs publics d’une telle affirmation implique que des politiques culturelles claires et efficaces protègent cette industrie artistique toute particulière.
Car, ne l’oublions pas, au-delà même du rôle de diffusion culturelle, de diffusion des arts, des cultures et des savoirs, les salles de cinéma indépendantes sont des lieux de débats et d’échanges dans nos villes, des lieux de partage entre nos concitoyens, que nous avons le devoir de défendre et de promouvoir.
La situation de concurrence frontale et profondément inégale que subissent les cinémas indépendants trouvera-t-elle une issue par l’organisation d’une énième table ronde sous l’égide du ministère ou par le retour d’une politique culturelle à la ligne claire et précise ?
Je souhaite que l’ambition politique soit au rendez-vous, au service du cinéma français, de l’exception culturelle et de la préservation de l’importance que nous avons de tout temps prêtée à la culture.
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce soir aurait mérité un coup de projecteur plus lumineux que cette heure tardive, certainement choisie pour nous rappeler le plaisir de plonger dans les salles obscures. (Sourires.)
Mme Françoise Férat. Ça, c’est vrai !
M. Michel Le Scouarnec. À nous la découverte de nouvelles réalisations, de nouvelles créations artistiques ! Néanmoins, je constate que la dernière séance n’attire pas forcément la foule. (Nouveaux sourires.)
Car, dans ce débat, il s’agit avant tout du plaisir de découvrir certaines œuvres dites « plus confidentielles » que n’offrent pas toujours de grands multiplexes, qui n’ont pas l’audacieuse idée de proposer à leurs spectateurs ces films, en raison de la recherche prioritaire de la rentabilité financière.
Madame la ministre, les temps de crise ne sont hélas pas « le temps des cerises » pour la culture ! (Sourires.) Le budget continue de baisser régulièrement. Parent pauvre, la culture souffre ; elle ne va pas très bien. De l’enthousiasme, même si vous en avez, il en faudrait sans doute beaucoup plus de la part du Gouvernement pour insuffler un vrai souffle progressiste, à savoir considérer la culture comme un outil d’émancipation humaine et de progrès social. Il nous faut des actes majeurs, afin d’être à la hauteur des ambitions d’André Malraux.
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, le manque d’implication dans les affaires culturelles est criant. Les structures perdurent tant bien que mal, alors que les moyens diminuent en continu. L’exemple des cinémas indépendants ou municipaux illustre parfaitement cette situation, comme l’a rappelé Pierre Laurent.
Les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, avaient pour projet de porter une politique nationale dans chaque territoire. Malgré tout, la culture subit de plein fouet la disparité des situations d’un territoire à l’autre. L’État, censé être garant d’égalité de traitement, devrait remplir son rôle de subsidiarité auprès des collectivités locales, afin de réduire les charges financières ; mais il ne le fait pas ! Et que dire de la situation du spectacle vivant, de la création artistique, de la presse et des salles de cinéma indépendantes, tant l’obscurité du tunnel semble épaisse ?
L’art et la culture à l’école ne se limitent pas à l’enseignement de l’histoire-géographie. Ils répondent plutôt à des enjeux d’éducation : acquisition d’une culture commune et d’une ouverture d’esprit, formation à la citoyenneté ou à la lutte contre les inégalités… Ils constituent un véritable instrument de réussite scolaire, un vrai tremplin pour la vie.
Les différents projets d’école ou de collège au cinéma témoignent de l’importance des actions de médiation en faveur du jeune public, qui, bien souvent, n’a pas un accès évident aux salles culturelles dans nos territoires ruraux.
Je suppose que pratiquement tout le monde connaît Auray, dans le Morbihan. (Sourires.)
Mme Françoise Férat. Bien sûr !
M. Michel Le Scouarnec. Dans cette commune, un cinéma indépendant, engagé dans ces initiatives et porteur d’une programmation exigeante mais abordable par tous, a eu maille à partir avec l’implantation de multiplexes aux alentours dans nos grandes villes – quand je dis « grandes », cela vaut pour le Morbihan ; elles le seraient peut-être moins en région parisienne –, comme Lorient, Lanester ou Vannes. Ainsi, Auray va également perdre son petit cinéma, qui ne tient même plus à un fil et qui va malheureusement disparaître d’ici à quelques mois avec sa petite salle d’art et d’essai. Ce sera une vraie perte, car ce cinéma représente un lien de proximité et un apport de qualité.
Il faut que cohabitent les « petites salles » et les multiplexes dans un aménagement raisonné du territoire. Si les petites salles proposent, certes, une offre plus diversifiée et contribuent au lien social et culturel fort, les multiplexes permettent malgré tout également d’accueillir un nombre plus important de spectateurs, ce qui est positif pour la création de films.
Mais, de grâce, ne multiplions pas les multiplexes ! (Sourires.) Aidons d’abord et avant tout les petites salles à survivre et à rayonner ; elles en ont le plus grand besoin !
Ainsi, pour faire vivre l’action culturelle, plus particulièrement cinématographique, et pour viser la diversification des publics, il faut une politique forte, passionnée et ambitieuse. Il faut tendre à une vraie démocratie culturelle par une meilleure appropriation de tous des enjeux et des valeurs.
Pour y parvenir, il nous faut un service public refondé en concertation avec les professionnels du secteur et tenant compte de leurs besoins au service de la population. Il faut intégrer les collectivités territoriales, qui se sont largement impliquées et ont beaucoup investi ces dernières années, notamment à travers la création de salles de cinéma municipales. Elles attendent un engagement fort de l’État.
Je souhaiterais également élargir le débat en rappelant la situation préoccupante des intermittents du spectacle, ces professionnels sans qui nos écrans de cinéma resteraient désespérément noirs. Du désespoir, les intermittents en sont accablés, tant la responsabilité d’un déficit imaginaire pèse sur leurs épaules.
Les annexes VIII et X, unanimement reconnues comme indispensables pour la promotion et la richesse des pratiques culturelles professionnelles de notre pays, sont arrivées à échéance au 31 décembre 2013. Il est donc urgent d’apporter des réponses à des professionnels du spectacle vivant et de l’audiovisuel qui doutent légitimement pour leur avenir.
Sans le système d’intermittence, il n’y aurait pas de droit à une juste rémunération pour eux et donc pas d’offres artistiques de qualité pour les spectateurs.
De plus, la négociation des annexes VIII et X serait l’occasion de procéder à une répartition plus juste des allocations versées aux intermittents, notamment les plus précaires d’entre eux – je pense par exemple au cas des congés maternité pour les intermittentes – et de lutter efficacement contre les pratiques abusives de certains employeurs qui usent de ces dispositions pour employer des salariés permanents.
C’est d’ailleurs souvent le cas dans les entreprises de production cinématographiques ou audiovisuelles.
Toutefois, une telle réforme ne devrait pas s’effectuer au détriment des artistes, des interprètes ou des techniciens en augmentant considérablement le nombre d’heures exigées ou en réduisant les allocations. Elle doit les accompagner au mieux dans leur profession.
Avant d’envisager une exploitation cinématographique indépendante forte, il nous faut songer à sauvegarder, à pérenniser et à développer le système de l’intermittence.
Notre regard sur l’exploitation cinématographique ne peut pas non plus s’envisager sans les prismes, d’une part, des droits d’auteurs et, d’autre part, de la reconnaissance de la spécificité des métiers d’exploitants de salles de cinéma indépendantes. Voilà deux questions qui mériteraient, elles aussi, un débat pour que l’exception culturelle française, dont nous sommes tous fiers dans cette assemblée, ne se conjugue pas au passé dans les années à venir.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, le cinéma comme la culture ne seront jamais un supplément d’âme. Au contraire, dans ces temps d’austérité, la culture est ce qui permet de maintenir un destin individuel, mais aussi de participer à l’élaboration d’un destin collectif.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Michel Le Scouarnec. La culture, c’est le soleil dont nous avons tous besoin par mauvais temps. Et, comme je suis Breton, le mauvais temps, je sais ce que c’est ! (Sourires.)
C’est tout le sens de l’engagement du groupe CRC en faveur de la relance des politiques publiques de l’art et de la culture et pour la refondation d’un grand service public de la culture permettant de rendre accessibles à toutes et à tous les œuvres de l’humanité sur l’ensemble du territoire.
Jean Vilar en rêvait ; à nous de le concrétiser, à nous de le partager ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Philippe Esnol applaudit également.)
Mme Delphine Bataille. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Danielle Michel.
Mme Danielle Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, président du Festival de Cannes en 2009, Quentin Tarantino avait poussé un cri du cœur que je reprends à mon compte ce soir, en guise de propos liminaire : « Vive le cinéma ! »
Oui, vive le cinéma ! Et vive sa diversité ! En France, le cinéma est comme une « évidence » !
Et à Paris, capitale historique en ce domaine, c’est le cas plus que n’importe où ailleurs. Ici, chaque semaine, plus de 400 écrans, dont près d’une centaine labélisée « art et essai », diffusent plus de 500 films. Des grands complexes côtoient les salles indépendantes. Des films à gros budget partagent l’affiche avec des réalisations plus anonymes.
Un tel succès trouve ses racines non loin d’ici, rue de Rennes, là où les frères Lumière décidèrent d’organiser la première diffusion publique. C’était en 1895.
Et, 120 ans après, des chiffres témoignent du dynamisme du secteur en France. Le nombre d’entrées enregistrées en 2011 atteint 217 millions, un niveau inégalé depuis près de 50 ans. La fréquentation a fortement progressé depuis le début des années quatre-vingt-dix. La France est aussi le premier des vingt-huit pays de l’Union européenne en part de marché de son cinéma national, avec 30 % à 40 % en moyenne, contre 5 % à 20 % chez nos voisins. Il y a un rayonnement culturel non seulement du cinéma en France, mais également du cinéma français lui-même.
Je salue alors les victoires essentielles que notre gouvernement et vous-même, madame la ministre, avez remportées en 2013 pour l’exception culturelle !
Le septième art représente également pour notre pays une activité économique de premier plan. C’est un secteur stratégique qui mobilise directement des dizaines de milliers d’emplois sur notre territoire !
En définitive, notre cinéma conjugue performance et expression d’une immense diversité, de toutes les diversités.
Il s’agit d’abord d’une diversité de la programmation. Que les films répondent à un registre codifié, partagé par un large public ! Qu’ils soient plus confidentiels ! Qu’ils bousculent les formes établies par le sujet choisi et/ou par leur construction esthétique !
C’est aussi une diversité des publics et des types d’établissements : multiplexes ou salles labélisées « Art et essai », qui répondent à un cahier des charges spécifique.
Enfin, le maillage territorial répond à une ambition d’aménagement culturel du territoire et permet aux cinémas d’être présents en centre-ville, en zone périurbaine ou dans les territoires ruraux !
Cette offre probante, inégalée dans le monde, est le fruit d’un long combat politique qui fait vivre une diversité de lieux et d’œuvres ! Elle est le résultat d’un modèle de financement vertueux dans lequel ce sont les marchés de la diffusion eux-mêmes qui, sous presque toutes leurs formes et tous leurs supports, contribuent directement au renouvellement de la création grâce aux taxes affectées !
Ce modèle redistributif, de l’aval vers l’amont, est historiquement celui de la politique de soutien au cinéma et à l’audiovisuel, et ce depuis la création du Centre national du cinéma et de l’image animée – CNC –, établissement public garant de cet écosystème.
Mais ce combat doit aujourd’hui se poursuivre ! Parce que l’évolution du cinéma est aujourd’hui marquée par des incertitudes.
Rappelons des données récentes.
Depuis 2009, les 200 millions d’entrées avaient toujours été atteintes. Cela n’aura pas été le cas en 2013 ! Pour la première fois depuis dix ans, aucun film n’a dépassé les 5 millions d’entrées. Et, malgré des succès notables, singulièrement en fin d’année, il y aura eu moins de films français que les années précédentes à atteindre le million de spectateurs.
C’est donc une fluctuation à la baisse du cinéma en France ces dernières années, et du cinéma français lui-même !
Rappelons ensuite que si les résultats globaux résistent en vérité mieux qu’ailleurs, ils masquent des réalités très contrastées.
Alors que quelques grands succès ont une part essentielle dans l’évolution des entrées, de nombreux films sont réduits, en parallèle, à des parcours très chaotiques et éclairs. La part des films de budgets moyens, les « films du milieu », a, quant à elle, fortement, diminué.
Quels sont alors les risques pour l’avenir ?
Que le fossé se creuse entre les différents types d’établissements, entre les salles appartenant aux grands groupes et les salles indépendantes, qui disposent de peu d’écrans ! Ne l’oublions pas, 80 % de salles représentent 20 % des entrées.
Que cette concentration affaiblisse les logiques de solidarité, notamment territoriales.
Que cette bipolarisation remette en cause, au final, l’accès de toutes et de tous à une offre large et de qualité.
Ces déséquilibres menacent, en réalité, l’efficacité de notre modèle vertueux, qui allie diversité culturelle et prospérité économique. Ils appellent, de la part des responsables politiques, l’engagement d’un nouveau plan d’actions, qui s’inscrive une fois de plus dans la durée.
Certes, les raisons de cette baisse de fréquentation sont multifactorielles et en partie conjoncturelles : crise économique, diminution du pouvoir d’achat, absence de très gros succès en 2013.
Cependant, les nombreux défis qui s’imposent aujourd’hui au cinéma correspondent surtout à des évolutions profondes et durables : la modification des rythmes médiatiques et de leur enchaînement ; des changements technologiques considérables et rapides ; une évolution sensible des pratiques sociales en matière de consommation des images ; une logique de service dont la dématérialisation est croissante ; une « chronologie des médias » dont les fondements datent de plus de vingt ans et qui est devenue obsolète au regard des évolutions culturelles, sociales et technologiques mentionnées.
Au final, cela entraîne des perturbations non négligeables du modèle de financement du secteur !
Sur le plan technologique, le passé nous enseigne que, face aux fluctuations de la fréquentation, les discours alarmistes ont toujours existé. Ainsi, l’effondrement du nombre des entrées dans les salles depuis la fin des années soixante et jusque dans les années quatre-vingt-dix a pu être expliqué par la montée en puissance de la télévision et par la multiplication des supports de diffusion.
Le cinéma, en toute logique, était appelé à voir d’autres supports le supplanter ! Mais depuis 1992, la diversification de l’offre, qui ne s’est jamais démentie, n’aura pas empêché les entrées en salle d’augmenter de près de 90 % ! Cette remontée en puissance s’explique par un volontarisme politique, engagé sur plusieurs décennies. Là est la clé !
Une « symbolique » du cinéma entretenue au plus niveau politique en tant qu’art, en tant que média singulier et en tant que pratique sociale. Une « symbolique », qui s’est traduite dans le renouvellement et la diversification du parc des salles en France !
Oui, le dynamisme de ce secteur et ce qu’il défend – socialement et économiquement – sont étroitement liés à la gestion des salles et à leur exploitation, à tous ces entrepreneurs indépendants, salariés ou bénévoles, qui font vivre le cinéma sur tous nos territoires !
C’est à ce niveau que le débat se situe ce soir, à juste titre selon moi.
La « salle » se trouve en effet à une étape charnière : en aval de la filière cinématographique ; en amont de la chronologie des médias et d’une longue séquence d’exploitation. Elle est désormais concurrencée horizontalement par d’autres modes de diffusion dans un système audiovisuel et multimédias innovant. Sans parler de la concurrence des salles entre elles !
L’exploitant se trouve également, nous le savons, à la source du financement de la création.
En somme, aujourd’hui, comme hier, la problématique posée aux politiques publiques en matière de cinéma est la suivante : quel est le devenir des salles face aux évolutions contemporaines, qu’elles soient technologiques, économiques ou sociologiques ?
La bonne régulation de l’exploitation des salles est un levier pour maintenir ces deux caractéristiques du modèle français, à savoir la pérennité d’un tissu industriel vivant et le maintien d’une production diverse et attractive.
Or les plus petits établissements, qui sont aussi les plus nombreux, rencontrent des difficultés. J’en citerai quelques-unes.
Le déploiement de la numérisation a entraîné un coût très important. Ces efforts n’auraient pas été possibles sans un dispositif de régulation et un soutien public. Dans mon département, toutes les salles ont été numérisées grâce à des aides financières publiques, à hauteur de 80 % !
Le pouvoir de négociation semble être de plus en plus restreint pour les exploitants indépendants face aux distributeurs : se pose la question de l’accès aux copies numériques dans un système de plus en plus concentré, très favorable aux grosses structures !
Le rapport de la commission « diffusion » du CNC du 8 juillet 2013 a mis en lumière le fait que la petite exploitation connaît des conditions d’approvisionnement moins favorables.
La médiatrice du cinéma a été saisie à de nombreuses reprises sur les difficiles conditions d’accès aux films au-delà des premières semaines d’exploitation et des exigences économiques devenues trop lourdes.
Alors que les cinémas indépendants ont un très faible accès aux titres, les grands exploitants se positionnent de leur côté sur le cinéma indépendant « porteur ».
La concurrence frontale s’intensifie. Elle est d’autant plus déséquilibrée et préjudiciable que les multiplexes réagissent en termes de rentabilité, et non en termes d’aménagement du territoire et de diversité.
Dans le passé, les petits exploitants avaient su gagner du terrain afin d’accéder plus rapidement aux films. Aujourd’hui, ces notions de circulation et de partages ne sont plus valides.
Cela entraîne deux types de conséquences négatives : sur le plan économique, d’une part ; en termes de diversité de l’offre, d’autre part !
Dans les grandes villes universitaires, mais aussi dans les villes moyennes et en milieu rural, les salles d’art et d’essai, qui accueillent près de 50 millions de spectateurs par an, partagent l’ambition de défendre et de promouvoir le pluralisme dans la diffusion et la création, notamment face à l’hégémonie renforcée du modèle hollywoodien et à une concentration toujours plus forte. Cette ambition sera de plus en plus difficile à respecter en l’absence d’une régulation repensée !
Ce qui est alors demandé, c’est que les choix de programmation restent, autant que possible, de la responsabilité de l’exploitant, et non pas qu’ils soient contraints ou réalisés par défaut !
Dans ce contexte mouvant, en évolution technologique perpétuelle, et économiquement incertain, les exploitants ne restent d’ailleurs pas inactifs ! Ils développent des politiques d’action culturelle tournées vers l’accompagnement de public de proximité : festival ou avant-premières, reprises, etc.
Par ailleurs, la salle n’est plus considérée comme simple lieu de projection, elle devient également un lieu de réunion, de débat, d’exposition !
Le soutien aux salles de proximité sur nos territoires est un facteur essentiel.
Dans mon département, le conseil général, avec ses partenaires, conduit en la matière une politique dynamique et ambitieuse, et se positionne sur l’ensemble de la chaîne, de la création des films jusqu’à la projection pour le public, du producteur à l’exploitant.
Le soutien à la diffusion passe aussi par l’aide au maintien d’un parc de salles de qualité et par un accompagnement financier des communes ou groupements de communes dans leurs projets de construction, d’aménagement et d’équipement des salles de cinéma.
Actuellement, le département des Landes renouvelle, avec le CNC notamment, une convention de développement cinématographique et audiovisuel pour les années 2014 à 2016. Sans ce genre d’actions, le devenir des salles de cinéma indépendantes, qu’elles soient privées, associatives ou publiques, serait menacé.
Pour autant, un nouveau plan d’action global est nécessaire. Je le constate, c’est le sens de la politique que vous conduisez, madame la ministre. Je pense à la négociation récente menée avec la Fédération nationale des cinémas français, à laquelle tous les exploitants adhèrent, en faveur du jeune public : quatre euros la place pour les moins de quatorze ans en contrepartie d’une baisse de TVA !
Des premières réformes ont été engagées pour moderniser le financement de la création, et y associer la contribution de nouveaux acteurs et de nouveaux publics.
Vous entendez apporter des réponses pérennes !
Les assises pour la diversité du cinéma français organisées le 23 janvier 2013 à votre demande se sont inscrites dans ce cadre. Elles ont permis de rappeler la pertinence du modèle de financement de notre industrie cinématographique. Elles ont confirmé la nécessité de procéder à de nouvelles adaptations de ce système dont la réforme régulière est un gage d’efficacité.
Des études ont été menées « pour un meilleur financement du cinéma d’auteur » et sur « l’économie des films français ».
Des rapports remarqués ont avancé des préconisations : je pense au rapport de la mission « Acte II de l’exception culturelle » et au rapport, que vous a remis en début d’année M. Bonnell, sur « le financement de la production et de la distribution cinématographique à l’heure du numérique ».
Ont ainsi été proposées cinquante propositions au service de quels objectifs ?
D’abord, une meilleure répartition du risque entre les professionnels existants et à venir du secteur. Ensuite, une réorientation des financements existants vers, notamment, « des films du milieu ». Enfin, une amélioration de la diffusion des œuvres pour renforcer et diversifier les débouchés des films fragiles sur les différents marchés, en particulier dans les salles.
Sur ce dernier point, sont notamment envisagés : de nouveaux accords sur des conditions générales de location qui prévoiraient une exposition minimale des films ; un dialogue entre exploitants et distributeurs pour mieux favoriser l’accès des œuvres aux salles, en particulier d’art et d’essai ; une meilleure promotion des œuvres en salles en des termes commerciaux raisonnables.
Des réflexions sont aujourd’hui en cours et donneront lieu à des mesures au service d’un cinéma divers, exigeant et populaire !
À ce jour, madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions quant au calendrier des travaux et de la mise en œuvre de ces propositions, qui visent à favoriser notamment un meilleur accès aux copies numériques pour les salles indépendantes ?
Le projet de loi création, tant attendu, sera vraisemblablement le support pour traiter, au moins en partie, la question. Avez-vous un calendrier d’examen de ce texte à nous communiquer ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)