M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du dernier Congrès mondial de l’énergie, qui s’est tenu en octobre dernier, un expert estimait que le monde devrait investir 30 000 milliards d’euros dans les vingt prochaines années pour subvenir aux besoins en énergie d’une population en croissance aussi bien démographique qu’économique.
En France, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, évaluait à 105 000 le nombre d’emplois dans les énergies renouvelables en 2010, contre 63 000 seulement quatre ans auparavant. Ce nombre a baissé à 99 700 en 2011, principalement en raison de la crise du secteur photovoltaïque, mais la même agence estime que 825 000 emplois pourraient être créés d’ici à 2050 grâce à la transition énergétique.
C’est dire la fragilité de cette croissance, mais aussi les perspectives considérables qu’offrent les filières d’énergies renouvelables si l’on sait conforter leurs fondamentaux.
La France dispose d’atouts : de grandes entreprises parmi les leaders de leurs secteurs respectifs, un territoire relativement vaste par rapport aux autres pays européens, d’importantes ressources naturelles, notamment dans la biomasse ou le secteur prometteur des énergies marines.
Le Gouvernement a bien compris l’importance de l’approche « filière ». Ainsi, à la demande du ministre du redressement productif et du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, un contrat de filière « énergies renouvelables » a été présenté par M. Jean-Louis Bal lors du comité stratégique de filière des éco-industries, qui s’est tenu le 9 octobre dernier. Il prévoit la création de 125 000 emplois supplémentaires d’ici à 2020 et une balance commerciale positive pour les équipements destinés à la production des énergies renouvelables.
Le tissu d’entreprises de taille intermédiaire devra bénéficier de relations équitables avec les grands groupes, ainsi que d’une réelle visibilité sur les orientations politiques pour le développement du système énergétique français.
Le comité définit enfin une politique de soutien à l’offre, afin de favoriser la compétitivité des produits et services français à l’exportation.
Cela dit, la coopération au niveau européen, comme l’a rappelé le Président de la République la semaine dernière, est essentielle dans des secteurs où l’effort de recherche, mais aussi les économies d’échelle sur les chaînes de production, sont déterminants.
Jusqu’à présent, on a eu trop souvent l’impression que chaque État, mais aussi chaque entreprise, suivait sa propre stratégie. Or je crois que les États, dans un secteur stratégique où les règles du marché ne suffisent pas, à elles seules, à émettre les bons signaux, doivent donner une impulsion. C’est tout particulièrement vrai en France, où l’État est actionnaire de plusieurs des principales entreprises du secteur de l’énergie, qui font elles-mêmes partie des leaders mondiaux.
Les tentatives de coopération franco-allemande sont restées – il faut bien le reconnaître – très limitées dans le domaine du nucléaire. Toutefois, les énergies renouvelables sont un secteur en pleine expansion, sur lequel l’ensemble des pays ont, sinon des stratégies communes, à tout le moins une volonté partagée d’avancer. Une alliance peut donc être un jeu dont chacun sortira gagnant. AREVA vient ainsi d’annoncer son alliance avec la grande entreprise espagnole Gamesa pour construire des éoliennes en mer.
Dans le photovoltaïque, beaucoup disent que la cause est perdue. Selon eux, nous devrions simplement nous adapter à une division mondiale du travail, les Européens se limitant à installer des panneaux, tandis que les modules seraient construits en Asie. Cette analyse oublie qu’il reste des progrès à réaliser concernant la performance des panneaux comme l’industrialisation de la production.
Ainsi le président du grand institut de recherche allemand Fraunhofer a-t-il déclaré la semaine dernière qu’il travaillait à la création d’un consortium avec l’Institut national de l’énergie solaire de Chambéry et un institut suisse. De son côté, Thomson Energy a annoncé le 20 janvier dernier le lancement d’une production de panneaux photovoltaïques en France, avec 95 % de composants européens.
La baisse des coûts de production, en permettant d’ici à quelques années un développement sans subvention du photovoltaïque, rendra cette industrie encore plus stratégique pour l’Europe. Il sera essentiel alors que l’industrie puisse prendre le relais de la recherche pour produire la prochaine génération de panneaux solaires.
C’est une question d’emploi, mais aussi d’indépendance énergétique. On a coutume d’opposer les énergies renouvelables, produites sur notre sol, aux hydrocarbures que nous importons, mais le gain en autonomie n’est que partiel si les panneaux proviennent en totalité d’un nombre restreint de pays.
Cela dit, la production d’énergie n’est que l’un des aspects sur lesquels nous devons travailler. Une filière énergétique doit envisager aussi ce que l’on fait de l’énergie produite jusqu’à son utilisation par un consommateur domestique ou professionnel. C’est l’enjeu bien connu de l’électricité solaire ou éolienne produite de manière intermittente, généralement à un moment où l’on n’en a pas besoin.
Il faut d’ailleurs préciser que l’électricité nucléaire, pas plus que les énergies renouvelables, ne peut constituer une réponse unique aux besoins des consommateurs. Difficile à moduler rapidement, l’électricité nucléaire ne peut pas répondre elle toute seule aux pointes de consommation qui affectent certains moments de la journée.
La réponse idéale est le stockage de cette électricité. Des stations de transfert d’énergie par pompage, ou STEP, ont permis de stocker une partie de l’électricité pour l’aider à s’adapter à la courbe de consommation. Leur modèle économique semble difficile à trouver en ce qui concerne les énergies renouvelables, mais la France dispose d’une expérience de trente années en la matière.
A-t-on bien exploré toutes les possibilités en matière de stockage d’électricité ? Il me semble que la question mérite d’être posée.
Si l’impossibilité de stocker l’électricité renouvelable constitue éventuellement le point d’achoppement de la transition énergétique, une rupture technologique dans ce domaine pourrait, au contraire, enclencher une conversion massive de notre système énergétique.
La France dispose notamment d'un potentiel scientifique et industriel de premier ordre pour mettre en place une filière de l’hydrogène, comme l’ont rappelé nos collègues Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski lors de la présentation de leur rapport sur ce sujet devant l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Le grand intérêt de l’hydrogène réside dans sa flexibilité. Non seulement il permet de stocker de l'énergie, mais il peut également être injecté dans les réseaux de gaz ou utilisé par l’industrie. Pourquoi ne pas mettre plus l’accent sur la structuration d’une « filière hydrogène », piste qui est suivie activement par des pays tels que l’Allemagne, le Japon ou la Corée ?
L’Allemagne expérimente, par exemple, la méthanation, qu’il ne faut pas confondre avec la méthanisation. La méthanation consiste à transformer en méthane l’hydrogène produit grâce à l'électricité d'origine renouvelable. Cette technique offre un potentiel considérable, car elle permettrait d’utiliser à grande échelle les réseaux de distribution de gaz pour « écouler » l’électricité produite de manière intermittente.
La production d’énergie ne doit pas être un but en soi : c’est un moyen d'assurer des services tels que l’éclairage, le chauffage, les transports. La question des filières doit donc embrasser l’ensemble des services en aval qui permettent de consommer moins et, surtout, de consommer mieux.
La France dispose d’acteurs innovants, qui sont parfois des leaders dans des secteurs tels que l'efficacité énergétique, l'effacement de consommation, les systèmes de contrôle de la consommation, les réseaux intelligents et les composants.
Le photovoltaïque, par exemple, ce ne sont pas seulement des modules de silicium, ce sont aussi des onduleurs et une connectique, pour lesquels la France dispose de spécialistes qui peuvent se positionner à tous les niveaux de la chaîne de valeur.
Les filières ne se développeront toutefois que si elles bénéficient d’un encadrement adéquat. Deux points doivent être abordés à ce sujet : la réglementation et l’accompagnement.
La réglementation constitue une difficulté récurrente pour le développement des énergies renouvelables. Non seulement le cadre réglementaire est perçu comme instable, mais les annulations fréquentes de textes réglementaires par le Conseil d’État posent une véritable difficulté aux professionnels, qui ont besoin d’une visibilité de long terme pour planifier leurs investissements, embaucher et obtenir des financements auprès des banques.
L’accompagnement doit donc faire l’objet d’une attention particulière.
Les entreprises allemandes bénéficient de conditions de refinancement intéressantes auprès de la banque publique KfW. Dans notre pays, une institution telle que Bpifrance doit jouer le même rôle et devenir la banque de la transition énergétique.
L’accompagnement à l’export sera déterminant. L’industrie nucléaire française ne doit pas être la seule à bénéficier d’une forte image de marque à l’étranger : il faut parvenir donner la même visibilité aux acteurs des énergies renouvelables. La multiplicité des acteurs, qui n’ont pas toujours la dimension suffisante, justifie que les pouvoirs publics mènent une politique de promotion active dans le cadre de la « diplomatie économique » promue par le ministre des affaires étrangères.
Mes chers collègues, le Président de la République a utilisé la métaphore de « l’Airbus de la transition énergétique ». Je souhaiterais, en conclusion – car j’ai volontairement réduit mon propos de quelques minutes, pour tenir compte des observations de M. Ladislas Poniatowski (Sourires.) –, prendre cette formule dans son sens littéral : l’Airbus lui-même devra faire sa transition énergétique pour, un jour, espérons-le, voler avec un carburant d’origine 100 % renouvelable !
La transition énergétique ne consiste pas seulement à construire des filières industrielles nouvelles, riches en emplois pour nos territoires, ce qui est déjà très appréciable, mais aussi à garantir la durabilité des filières existantes en leur permettant de réussir leur conversion aux énergies nouvelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite d'abord remercier Jacques Mézard, président du groupe RDSE, de la proposition qu’il a faite pour me permettre d’intervenir. Bien sûr, je remercie également et très chaleureusement M. Jean-Claude Requier, avec qui j’entretiens d’ailleurs une double complicité : non seulement nous partageons une position globalement identique sur les problèmes énergétiques, mais nous sommes, de surcroît, tous les deux vice-présidents de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et, par conséquent, nous « séchons » tous les deux ce matin le conseil d'administration de celle-ci pour participer à ce débat. (Sourires.)
Mes chers collègues, si nous parlons souvent, avec raison, de la problématique énergétique, nous l’abordons rarement sous le seul aspect de la production énergétique en France. Nous débattons plutôt des questions relatives à l’énergie soit sous l’angle des conséquences écologiques de nos choix, soit sous celui de la sécurité des approvisionnements, soit encore sous celui des économies d’énergie. Ainsi, trop souvent, nous nous perdons dans un dédale de sophistications, ignorant par là même qu’il n’existe qu’une seule solution alternative : limiter notre consommation en énergies fossiles.
En effet, c’est seulement en limitant notre consommation en énergies fossiles que nous réduirons notre dépendance énergétique, rétablirons notre balance commerciale et contribuerons à diminuer les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Ne souhaitant pas anticiper outre mesure sur la proposition de résolution relative à la transition énergétique que le groupe UMP présentera le 26 février prochain, je dirai simplement que le basculement de notre consommation en énergies fossiles vers la consommation électrique doit être le fil rouge de toutes les politiques publiques de l’énergie que nous élaborerons dans l'avenir.
En ce qui concerne la stricte question de la production énergétique en France, nous devons tenter de répondre à la question : quel mix énergétique voulons-nous pour notre pays ? Une heure et demie, on en conviendra, c'est bien peu pour y répondre…
J’évoquerai d’abord les nouvelles filières de l’énergie, que l’on catalogue hâtivement comme « énergies renouvelables », alors qu’elles n’en relèvent pas nécessairement. Ces énergies sont en effet très différentes les unes des autres : certaines sont renouvelables, d’autres non ; certaines sont neutres en dioxyde de carbone, d’autres non ; certaines sont chères, d’autres non. Il s’agit donc de savoir jusqu’où on peut développer ces filières énergétiques.
Commençons par l'hydroélectrique, grand ou petit. Ce mode de production n’est pas nouveau ; il constitue même l'un des socles de notre production. C'est une énergie propre ; son coût est faible et l'énergie est disponible en quelques heures.
Le seul problème tient à ce que son potentiel de croissance est très limité. Une étude menée en 2011 par l’Union française de l’électricité a dressé un inventaire précis des sites de production encore inexploités. Elle révèle l’existence d’un potentiel représentant environ 10,6 térawattheures, ce qui correspond à une augmentation potentielle de 16 % de la production hydroélectrique annuelle française.
Cela signifie qu’il faudra compter sur les centrales thermiques à combustible renouvelable, utilisant donc ce qu’on appelle la biomasse, c'est-à-dire le biogaz produit à partir des déchets organiques ou ménagers, le bois énergie et les biocarburants. Ce type de production électrique n’est pas« renouvelable » au sens strict du terme, dans la mesure où le combustible n’est pas illimité, à l'exception peut-être des déchets de l’activité humaine. En tout état de cause, le potentiel de cette production est largement sous-exploité, sa faisabilité technique est avérée, le combustible est peu cher et quasiment illimité.
Cette technologie présente cependant deux inconvénients.
D’une part, il ne faut pas que cette filière nuise au développement des biocarburants, qui utilisent eux aussi des matières organiques issues du secteur agricole.
D'autre part et surtout, comme le montrent très bien les études de l’ADEME, l’utilisation du biogaz donne lieu à l’émission de nombreux polluants tels que l'oxyde d’azote, le monoxyde de carbone, des composés organiques volatils, des hydrocarbures imbrûlés, des particules diverses et des hydrocarbures aromatiques polycycliques.
Pour mémoire, la biomasse représente environ 1 % de notre électricité, à raison d'une quantité de 6 térawattheures.
Je souhaite dire un mot sur la géothermie, qui est, pour l’instant, très sous-exploitée. Nous savons qu’il existe des sites dans notre pays, comme l’Alsace ou la région parisienne, où cette technologie peut se développer.
Nous faisons aujourd’hui encore des progrès significatifs pour conserver la chaleur issue du sol qui est ensuite transformée en électricité.
Cependant, cette technologie connaît encore à court terme des limites. En effet, soit les forages sont peu profonds et, dans ce cas, l’énergie se fait rare. Soit les forages sont profonds et sont alors plus efficaces, mais aussi plus coûteux, d’autant qu’il existe un risque sismique.
Je ne fais que mentionner l’énergie marémotrice parmi les sources de production électrique d’importance marginale.
J’en viens aux énergies éolienne et solaire. Celles-ci sont sans conséquence sur l’environnement, en dehors de leur impact esthétique. Elles sont renouvelables. Le seul problème de ces deux énergies réside dans leur coût. Nous sommes quelques-uns à avoir travaillé récemment au sein d'une commission d'enquête sur ces questions, et nous en savons quelque chose !
Avec l’éolien, la somme des coûts de production et d’exploitation varie entre 0,06 et 0,125 euro le kilowattheure. Pour le photovoltaïque, ce coût se situe entre 0,12 et 0,25 euro. Je ne parle pas ici du prix de vente, dont on sait qu’il est artificiellement gonflé. Malgré ces coûts, ces deux types d’énergie ont un avenir certain. En outre, ces coûts diminuent : le prix du watt a diminué de 43 % ou de 45 % entre janvier 2011 et janvier 2012 selon que l'on utilise des modules monocristallins ou polycristallins.
Pour l’éolien, l'équation peut être posée de manière simple : en moyenne, une éolienne française produit actuellement 1,5 mégawattheure ; or les éoliennes produisent un mégawatt supplémentaire tous les cinq à six ans ; il existe donc un énorme potentiel d’accroissement. Mais l'équation comporte aussi d’autres paramètres.
La production éolienne représente un peu moins de 3 % de notre production électrique, avec environ 4 000 éoliennes. Pour atteindre 15 % de production issue de l’éolien, c’est 20 000 éoliennes qu’il faudrait installer sur le territoire national, ce qui représente environ 1 000 éoliennes par région… Je ne suis pas sûr que les Français soient prêts à l'accepter, même s'ils tolèrent un peu mieux l'éolien offshore.
Reste le nucléaire, qui est incontournable. C'est une énergie peu chère, qui ne rejette pas de gaz à effet de serre. Elle pose deux difficultés : le stockage des déchets et son caractère non renouvelable.
J’entends ceux qui nous disent qu’il ne faudrait pas être aveuglé par le poids économique du nucléaire en France, par les emplois qu’il maintient sur le territoire, par son effet sur la balance commerciale, par la vitrine technologique que cette filière incarne pour la France… Ils se trompent : tout cela est bon et même très bon pour la France !
À court terme, mes chers collègues, nous n’avons que le nucléaire et les combustibles fossiles. À moyen terme, et seulement à ce moment-là, le nombre de réacteurs pourra baisser.
Malheureusement, puisqu’il fallait au Président de la République faire la preuve de son « écolo-compatibilité », celui-ci a annoncé la fermeture de la centrale de Fessenheim pour 2016. Il devait faire une annonce, prendre une vielle centrale comme bouc émissaire, et peut-être aussi faire plaisir à un voisin.
Mais aucun élément, ni dans les travaux de l’Autorité de sûreté nucléaire, ni dans ceux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ne donne raison au Président et à son Premier ministre.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Ladislas Poniatowski. Évidemment, il y a le risque sismique en Alsace. Mais ce point donne aussi lieu à débat entre les pro-nucléaires et les autres.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, l'UMP est très clairement opposée à la fermeture de la centrale de Fessenheim. Il ne s'agit pas d'une opposition de principe. Nous pensons simplement que le politique n’a pas à se substituer aux experts et qu’il faut faire confiance à des organismes tels que l'Autorité de sûreté nucléaire, notamment.
Quant au second objectif qu’a énoncé le Président de la République, aller plus loin, c'est-à-dire jusqu’à faire passer la part du nucléaire de 75 % à 50 % d'ici 2030, l'UMP y est totalement hostile. C'est techniquement infaisable, économiquement irréaliste et, surtout, insupportable pour les Français, qui ne sont absolument prêts à voir leur facture d'électricité doubler.
Mes chers collègues, en résumé, nous considérons que la France n’a pas les moyens d’abandonner à court, moyen ou long terme, les filières du nucléaire ni, d'ailleurs, les nouvelles filières de production d’énergie. (MM. Jean Bizet et Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’importe si nous ne sommes plus guère nombreux dans l’hémicycle : le groupe écologiste se réjouit de chaque occasion de débattre des questions énergétiques.
M. Jean Bizet. Il n’y a pas de débat ! En tout cas, c’est un débat tronqué !
M. Ronan Dantec. Mon cher collègue, il y a tout de même un échange de points de vue. Permettez que j’utilise les six minutes qui me sont accordées pour présenter le nôtre.
Comme M. Poniatowski l’a souligné, des objectifs ont été fixés par le Président de la République qui font l’objet d’un contrat conclu avec la Nation. Ces objectifs, qui dessinent le cadre dans lequel nous nous situons, sont les suivants : division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990 ; réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique, appelée à passer de 75 % à 50 % d’ici à 2025 ; réduction de 50 % de la consommation finale d’énergie d’ici à 2050 et de 30 % de la consommation d’énergies fossiles d’ici à 2030.
Le Président de la République, lors de la conférence environnementale, a clairement réaffirmé ce troisième objectif, qui est tout aussi important que les deux premiers. J’insiste : il s’agit bien de réduire la consommation d’énergie dans notre pays.
Les écologistes soutiennent sans réserve ces objectifs, constamment rappelés par le Président de la République. Ceux-ci visent à sortir la France de l’impasse du tout-nucléaire, absurdité économique et environnementale manifeste. Ils doivent aussi nous permettre de réduire notre empreinte carbone et d’élaborer enfin une politique industrielle et de l’emploi qui soit innovante sur le plan énergétique. Atteindre ces objectifs exige cohérence et réalisme.
Notre débat de ce matin porte notamment sur l’avenir de la filière nucléaire. Notre parc actuel de centrales est vieillissant et – fait assez rarement signalé – les travaux nécessaires à sa prolongation et à sa mise en conformité avec les normes de sécurité post-Fukushima vont coûter extrêmement cher : entre 55 et 80 millions d’euros, selon les estimations actuelles, pour le parc existant.
Surtout, nous savons avec une certitude un peu plus forte qu’en 2012, lorsque la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques a mené ses travaux sous la présidence de M. Poniatowski, que le prix du mégawattheure produit par un EPR ne sera jamais compétitif – je dis bien jamais !
J’en veux pour preuve les plans financiers de la centrale d’Hinkley Point, en Grande-Bretagne : le prix du mégawattheure, garanti pour plus de quarante ans, est supérieur à 100 euros, alors que – mes chiffres, en l’occurrence, ne concordent pas nécessairement avec ceux de M. Poniatowski – le mégawattheure issu de l’éolien terrestre coûte 80 euros et celui issu du photovoltaïque, 90 euros, aux termes des dernières propositions.
Je le répète, même parvenu à maturité, ce qui devrait se produire en Angleterre, l’EPR coûte trop cher ! Quant au mégawattheure produit par la centrale de Flamanville, il doit être le plus cher de l’histoire ; le chantier a vu son coût passer de 3 milliards à 8,5 milliards d’euros, alors même qu’il n’est pas achevé. J’ajoute que, en Finlande, la dérive des coûts est à peu près identique.
Le nucléaire a concentré et concentre encore une écrasante majorité du budget de la recherche française. Cette situation nous a fait perdre beaucoup de temps : de fait, nous avons pris un retard économique considérable dans le développement des filières renouvelables, ce qui a des conséquences négatives sur l’emploi.
C’est sur un discours faux que s’est construit le leurre d’une électricité bon marché, puisque le mégawattheure est vendu à un prix inférieur à son coût réel, comme l’a montré notre commission d’enquête de 2012.
Aussi est-il temps de tourner la page de ce choix énergétique qui affaiblit économiquement la France et de réfléchir collectivement à une sortie du nucléaire en bon ordre, en réorientant massivement les investissements sur les filières renouvelables.
Le rapport de la commission d’enquête faisait état de chiffres de la Fédération européenne des producteurs d’électricité – ce ne sont donc pas des chiffres « écolos » – dont il résulte que le nucléaire se marginalise en Europe, bien au-delà de l’Allemagne. De fait, dans les dix prochaines années, 250 milliards d’euros d’investissements sont prévus dans les filières renouvelables, contre seulement 16 milliards, soit quinze fois moins, pour le nucléaire.
Mes chers collègues, il est temps que la France soit économiquement présente sur les marchés des filières renouvelables !
En ce qui concerne les gaz de schiste, je rappellerai seulement la phrase prononcée en juin 2012 par le président-directeur général d’ExxonMobil à propos des perspectives d’exploitation de ces hydrocarbures dans le monde : « Nous sommes en train d’y laisser notre chemise ! » Je crois que c’est une bonne manière de conclure le débat. Les Polonais, notamment, commencent à déchanter.
Plus que jamais, les écologistes appellent à définir une politique forte et cohérente pour le développement des filières renouvelables. Le potentiel industriel et de création d’emplois est considérable, comme les précédents orateurs l’ont déjà fait observer.
Monsieur le ministre, nous attendons avec une grande impatience des précisions supplémentaires au sujet du « géant franco-allemand de la transition énergétique » dont le Président de la République a annoncé la création sur le modèle d’EADS. Les activités de ce groupe concerneront-elles principalement le photovoltaïque, ou bien seront-elles plus larges ? Il manque encore une partie de la réponse.
Dans ce débat, les désaccords entre les uns et les autres sont connus. Je voudrais dire quelques mots de la « filière hydrogène », au sujet de laquelle certaines convergences peuvent se faire jour entre nous ; elles sont rares, donc précieuses !
Un rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, intitulé « L’hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? », a été remis à Arnaud Montebourg cette semaine. Nous pouvons tous convenir, je pense, que l’application power-to-gas représente un potentiel immense. Cette technologie consiste à transformer l’électricité en hydrogène avant de la réinjecter dans le réseau – le taux d’injection d’hydrogène dans le réseau est compris entre 5 % et 20 %. Quoi qu'il en soit, il faut développer cette technique et, dans cette perspective, il est temps de lancer des expérimentations grandeur nature.
C’est d’autant plus vrai que cette application est aussi un facteur de stabilisation du prix. En effet, on ne dit pas suffisamment que les variations considérables du prix de l’électricité, avec des prix souvent négatifs qui fragilisent l’ensemble des filières, sont l’une des grandes difficultés actuelles.
De même que nous connaissons tous la nécessité d’encourager massivement le développement des énergies renouvelables, de même nous savons que les économies d’énergie joueront un rôle central dans la réussite de la transition énergétique. Celle-ci passe par des avancées telles que l’effacement, l’intelligence des réseaux, le mécanisme de capacité à l’échelle européenne. Du reste, il est clair que ceux qui ne veulent pas de la transition énergétique s’attaquent précisément, aujourd'hui, à ces différents instruments en essayant de les rendre aussi peu performants que possible.
Le projet de paquet énergie-climat pour 2030, présenté hier par la Commission européenne, est décevant. La France accueillera, en 2015, la conférence Climat, qui doit nous permettre de parvenir, enfin, sur les questions climatiques, à un accord qui soit à la hauteur des enjeux. Dans cette perspective, elle doit se mobiliser, et cette mobilisation doit prendre corps dès les prochaines semaines, pour relever le niveau d’ambition des décisions qui seront prises au Conseil européen de mars prochain.
C’est pourquoi notre pays doit se montrer tout à fait exemplaire dans le respect de ses propres engagements en matière de transition énergétique !