M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je me réjouis, avec l’ensemble du groupe écologiste, de débattre aujourd’hui de ce projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, qui constitue une avancée, certes encore bien timide, sur le chemin d’un réel changement.
Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, les auteurs du rapport que vous avez vous-même commandé, monsieur le ministre, n’estiment-ils pas eux-mêmes que le projet de loi qui vient d’être voté à l’Assemblée nationale, et que nous examinons aujourd’hui, s’il comporte des points positifs, ne va pourtant pas assez loin ? Le 19 décembre dernier, Mme Bacqué et M. Mechmache publiaient sur Mediapart un article intitulé Les élus de la République ont-ils peur d’entendre les quartiers populaires ?
Il n’est toutefois pas trop tard pour mieux prêter l’oreille à ces voix qui montent des quartiers, et pour passer enfin des mots aux actes. Les habitants de ces territoires abandonnés avaient placé beaucoup d’espoir dans l’arrivée de la gauche au pouvoir. Aujourd’hui, ils sont déçus, et peut-être même amers.
M. Roland Courteau. Pas tous !
M. Jean-Jacques Mirassou. Non, pas tous !
Mme Esther Benbassa. Beaucoup, à coup sûr, s’abstiendront lors des élections des mois à venir, une abstention qui sera plutôt l’expression d’un désespoir. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)
Voulez-vous bien me laisser parler, mes chers collègues ? Nous ne sommes pas en cour de récréation, tout de même !
M. Marc Daunis. Ni à la catéchèse ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Or nous savons où mène, à terme, ce désespoir. Ce sont dans ces quartiers populaires, lieux de pauvreté, de discriminations, d’inégalités et de chômage que la question de la participation des gens du terrain se pose de la manière la plus forte, la plus aiguë, la plus légitime, presque comme une nécessité.
Le rapport qui vous a été soumis avance trente propositions pour « inverser la démarche de la politique de la ville et passer d’une logique administrative et politique impulsée du haut vers une dynamique partant des habitants des quartiers populaires et de leur pouvoir d’agir ». Est-ce bien cela que nous voulons ?
À nous, législateurs, de faire de nos mots des passerelles vers l’action, une action réellement en faveur de ces quartiers, dont la souffrance se fait entendre périodiquement par des explosions de violence et des émeutes qui sont en fait, d’abord, des cris d’alarme et qui nous disent que les choses vont mal et qu’elles ne font que s’aggraver. Réveillons-nous, écoutons-les !
Le changement viendra d’abord des intéressés eux-mêmes, même si les pouvoirs publics doivent investir des deniers et consentir des efforts pour mener ce changement à bien. Qui, mieux que les habitants de ces quartiers, sait ce qui ne va pas, ce qu’il convient de faire et comment le faire ? Il est temps que le « bas » donne enfin son avis et que le « haut » apprenne à l’entendre et à aller vers lui. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Il nous faut travailler ensemble, avec un peu d’humilité. On ne peut pas nier que le projet de loi dont nous débattons ouvre de réelles pistes. C’est le cas, notamment, du principe de la coconstruction. Mais ne faudrait-il pas plutôt parler de codécision, reposant sur une représentation significative des citoyens dans toutes les instances ?
L’enjeu, selon les auteurs du rapport que j’ai déjà cité, est en effet de partir de l’initiative des habitants, de la reconnaître lorsqu’elle existe et de l’appuyer.
Reste à savoir comment initier les habitants à cette démocratie participative, comment les mobiliser, quand on sait qu’ils sont happés par une lutte quotidienne pour leur survie économique et empêtrés dans des problèmes complexes. Il y a là, pour les habitants aussi, un véritable défi à relever, pour que leurs désirs et leur volonté de construire ensemble se transforment en réalité. En réalité, ce projet de loi incite le « haut » comme le « bas » à relever le défi.
À nous, sénatrices et sénateurs, de faire en sorte que ce projet de loi quitte cette assemblée amendé et enrichi, pour éviter un énième rendez-vous manqué avec les quartiers populaires.
Certes, dix ans après la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le présent projet de loi marque la volonté du Gouvernement d’engager une nouvelle étape de la politique de la ville, surtout en direction des quartiers défavorisés.
Or les habitants de ces quartiers, non seulement ne doivent plus être stigmatisés, mais doivent être considérés comme la richesse des territoires en cause et placés au cœur de notre politique de la ville. Nous avons déposé de nombreux amendements en ce sens et espérons fortement être entendus sur ces questions.
Au premier rang de ces amendements, nous souhaitons que, dès l’alinéa 1 de l’article 1er, le rôle et la place des habitants soient reconnus.
Nous défendrons également l’idée que le droit à un environnement sain et de qualité doit être reconnu par la loi. En effet, ce sont dans ces quartiers, situés le plus souvent à proximité des voies rapides, des aéroports et des zones industrielles, que les populations, outre les « handicaps » socio-économiques qu’elles doivent surmonter, sont aussi le plus souvent exposées aux pollutions sonores et atmosphériques.
Les objectifs environnementaux, au même titre que les objectifs sociaux, sont essentiels pour assurer le bien-être et l’amélioration des conditions de vie des habitants. Ils doivent donc évidemment être pris en compte par la politique de la ville.
Nous espérons que les amendements adoptés nous permettront d’aboutir à une version de ce texte satisfaisante pour les premiers intéressés, les habitants de ces quartiers, et que le groupe écologiste pourra ainsi le voter, en attendant que ce projet de loi permette la mise en place d’une vraie politique de la ville, audacieuse, qui fera honneur à la gauche et à la France.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, mercredi dernier, ici même, avait lieu un débat sur l’égalité des territoires et l’ambition qui est celle du Gouvernement de rompre avec ce qu’il est convenu d’appeler la « fracture territoriale ».
Cela nous a donné l’occasion de faire le point sur les différents moyens qui viennent d’être mis à disposition des collectivités et des services déconcentrés de l’État pour faire réellement progresser cette fameuse égalité territoriale.
Le texte que vous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, procède de cette même démarche volontariste, comme vous l’avez souligné dans votre intervention.
Dès l’été 2012, vous nous proposiez votre feuille de route pour les quartiers et, pour mener à bien votre mission, vous avez au préalable engagé une grande concertation, dont toutes les structures et associations que nous avons auditionnées ont souligné la qualité.
N’en déplaise à certains, cette concertation a porté ses fruits, ce qui me donne aussi l’occasion de saluer le travail de nos deux rapporteurs, et singulièrement celui de Claude Dilain, dont on connaît à la fois la pertinence et le sérieux,…
M. Roland Courteau. Et aussi la compétence !
M. Jean-Jacques Mirassou. … qui nous a accompagnés dans cette démarche afin que ce texte réponde aux attentes et aux besoins qui ont émergé à l’occasion de l’initiation de ce débat.
Les objectifs qui sont les vôtres, monsieur le ministre, nous les partageons, ce n’est pas une surprise. Vous voulez, autant que faire se peut, réduire les écarts de développement entre territoires et améliorer dans le même temps les conditions de vie des habitants – c’est l’indispensable corollaire du premier objectif –, en faisant jouer les solidarités, nationales et locales.
L’ambition de votre texte est donc forte. Vous entendez remobiliser les moyens de droit commun, qui, pendant trop longtemps, ont en quelque sorte abandonné les quartiers, accentuant, il est vrai, le sentiment d’abandon et la frustration de la population.
De surcroît, les dispositifs prévus vont redonner la parole aux habitants des quartiers, et permettre aux élus de construire les projets avec eux. Ces derniers pourront ainsi expliquer et donner un sens à ces projets, qui engagent véritablement la responsabilité des élus locaux, dont c’est le rôle, pour ne pas dire la mission. Le recentrage des aides accompagnera ce mouvement, pour plus de lisibilité et d’efficacité.
C’est en effet grâce à cette lisibilité que l’on entraînera tout un territoire, et pas seulement les quartiers en difficulté, dans un projet de vivre ensemble, mais également dans ce que l’on appelle communément une « communauté d’histoire et de destin ».
Je salue donc ce projet de loi, à plus forte raison parce que l’ambition qui est affichée par ses auteurs est assortie de moyens pour mettre en œuvre cette nouvelle politique de la ville et lui donner un souffle nouveau.
Une nouvelle géographie prioritaire sera définie sur la base d’un critère unique, objectif – j’ai failli dire « scientifique » ! –, en tout cas un critère incontestable, afin de cerner de façon beaucoup plus précise la concentration de pauvreté que vous avez évoquée tout à l’heure, monsieur le ministre.
Par ailleurs, les outils de péréquation feront intervenir les solidarités, aussi bien nationales que locales. Je pense à la dotation spécifique « politique de la ville », à la dotation de solidarité communautaire ou au pacte financier et fiscal de solidarité intercommunale.
Le contrat de ville de nouvelle génération sera, quant à lui, piloté à l’échelle intercommunale et mis en œuvre concrètement par le maire et son équipe.
Les subventions ANRU seront modulées en fonction de la situation financière des collectivités, de leur effort fiscal et de la richesse de leur territoire, ce qui constitue une mesure de justice.
Enfin, le nouveau programme national de renouvellement urbain sera doté de la bagatelle de 5 milliards d’euros pour les dix ans à venir.
On voit donc bien que cette démarche est marquée par le souci constant de la solidarité – il fallait le dire !
M. Roland Courteau. Exact !
M. Jean-Jacques Mirassou. Cela étant, monsieur le ministre, j’évoquerai à présent quatre points qui me tiennent particulièrement à cœur.
J’aborderai tout d’abord la participation citoyenne - adjectif que, si j’osais, j’affecterais d’un « c » majuscule. C’est un dispositif puissamment novateur. Vous prévoyez en effet, monsieur le ministre, d’impliquer le plus grand nombre dans une dynamique citoyenne. Du reste, c’est l’efficacité de la puissance publique qui sera, à mon sens, le préalable nécessaire à l’amorçage de cette indispensable participation citoyenne. Nous espérons que ceux qui n’ont jamais parlé jusqu’à présent, les « sans-voix », seront incités à dire ce qui leur semble bon pour eux-mêmes et pour leurs quartiers – personne n’est mieux qualifié pour le faire.
Il s’agit de faire en sorte que cette démarche citoyenne dépasse le stade du slogan pour devenir une réalité.
La participation des habitants doit être encouragée, bien entendu, mais elle ne peut rester l’apanage de quelques initiés ou de quelques spécialistes répertoriés. Il est de notre devoir d’aller chercher ceux qui ne se sont jamais manifestés, surtout quand il s’agit de prendre des décisions qui les touchent au plus près – je veux parler de celles qui sont relatives à l’état d’un quartier, à l’installation d’une école ou d’un équipement de proximité. C’est d’ailleurs la clé pour les inciter par la suite à s’engager sur des dossiers beaucoup plus importants et déterminants dans la gestion de la cité.
Je salue donc votre initiative, monsieur le ministre, vous qui avez décidé de remettre les habitants au cœur du dispositif de la ville, en posant pour la première fois, dans la loi, le principe de coconstruction. Je salue également votre proposition, monsieur Dilain, d’introduire la co-formation. Elle permettra d’encourager le croisement des savoirs et des pratiques pour mieux se comprendre, pour mieux s’entendre, dans les deux sens du terme.
À mon sens, la création de structures nouvelles, telles que le conseil citoyen ou la maison du projet, ne suffira toutefois pas à insuffler la dynamique que nous voulons créer. Il faut, et c’est le corollaire essentiel, un volontarisme politique fort. Il est de notre responsabilité d’élus de donner du sens aux projets et d’aller chercher la parole des habitants, de tous les habitants concernés.
Par ailleurs, l’inventaire des actions prioritaires de la politique de la ville à l’article 1er du projet de loi m’amène à formuler un regret : certes, tous les points structurants de cette politique sont importants, mais peut-être certains le sont-ils plus que d’autres… Je regrette donc que nous n’ayons pas procédé à une forme de priorisation.
M. René Vandierendonck. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. Certaines de ces problématiques sont en effet partagées, de manière transversale, à l’échelle de l’Hexagone, par tous les quartiers. Je pense, par exemple, à ce qu’il convient de faire en matière de commerces de proximité et de services. Dans ce domaine, les logiques ayant prévalu par le passé, trop souvent axées sur le volet mercantile, notamment sur le chiffre d’affaires, sont passées à côté de l’essentiel et la situation exige véritablement un effort de pédagogie.
Autre sujet qui me tient particulièrement à cœur – c’est l’ancien praticien du quartier du Mirail qui s’exprime ici –, il est important d’avoir des réseaux de soins de proximité, en veillant à ce que ces réseaux affichent une certaine pluridisciplinarité et, compte tenu des besoins énormes en matière d’éducation sanitaire, que les équipes aient du temps libre pour assurer des prestations dans ce domaine. Cela passe sans doute par une sortie du paiement à l’acte. Comme nous aurons forcément à nous déterminer sur ce point, je vous souffle cette piste, monsieur le ministre, mais c’est évidemment un autre débat !
Je voudrais aussi évoquer la question des quartiers que je qualifierais de « quartiers borderline ». Il ne fait pas de doute que certains quartiers sont proches de ceux qui seront classés, pas sur le seul plan géographique, d’ailleurs, mais aussi socialement et économiquement. Il serait terriblement frustrant de devoir, en quelque sorte, les mettre en réserve, en attendant que leur situation se soit tellement dégradée qu’elle justifie leur intégration dans le classement.
Je plaide donc pour un dispositif de veille active, qui permette en quelque sorte de « zoomer » sur ces quartiers pour mieux adapter les modalités d’action à l’évolution de leur situation, notamment si celle-ci se dégrade. En ce sens, je rejoins un peu les propos de Valérie Létard.
La gouvernance de la politique de la ville est un autre sujet de préoccupation. En commission, nous avons tenté de trouver le bon équilibre dans l’articulation des compétences entre le maire et l’intercommunalité. Si, comme bon nombre d’entre vous, mes chers collègues, je conviens totalement de la nécessité de définir les objectifs de cette politique à l’échelle intercommunale, et ce pour des raisons évidentes – ne serait-ce que parce que, mécaniquement, les quartiers épargnés ou protégés pourront ainsi se sentir complètement parties prenantes de la situation de ceux qui seront plus pénalisés –, je rappelle avec force la place du maire et de son équipe. C’est bien à eux qu’il revient de mettre en œuvre les orientations définies en commun, sur le territoire de leur commune, dans la mesure où, nous le savons tous, le maire est à l’interface de tout.
J’ajoute que je me réjouis de la place reconnue au département dans cette politique de la ville, celui-ci n’ayant plus à démontrer sa compétence en matière de politique sociale ou de solidarité. Ce constat m’amènera à proposer un amendement tendant à prévoir la signature systématique des contrats de ville par le département et la région. Le retour du droit commun nécessite en effet de mobiliser tous les niveaux de collectivités.
Telle est notre perception de ce texte dont l’adoption nous permettra de franchir un palier qualitatif dans la politique de la ville, cette évolution étant assortie d’une simplification bienvenue. C’est bien, monsieur le ministre, parce que nous partageons la même ambition – celle de l’intérêt général, tout simplement – que nous sommes résolument à vos côtés dans cette démarche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi était effectivement attendu, et ce pas seulement depuis l’alternance de 2012. Lorsque j’étais rapporteur spécial de la mission « Ville et logement », j’avais plaidé à plusieurs reprises à cette tribune pour une réforme de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Il nous aura fallu attendre un certain temps, mais nous allons enfin pouvoir discuter de vos propositions, monsieur le ministre.
Vous avez pris la précaution de faire précéder ce débat d’une concertation qui a été effectivement longue et, j’allais dire, assez large. C’est une bonne chose ! Je regrette simplement que les deux chambres du Parlement ne puissent pas bénéficier chacune de deux lectures dans le cadre de l’examen de ce projet de loi. La procédure accélérée était-elle absolument nécessaire ? La question reste posée et, pour ma part, je suis persuadé que l’examen d’un texte par les deux chambres, et à deux reprises, est toujours une bonne formule.
Vous avez également pris la précaution de ne pas communiquer la liste des nouveaux quartiers prioritaires. Nous sommes un certain nombre à le regretter – j’ai lu les interventions de mes collègues à l’Assemblée nationale –, même si, d’une certaine manière, je peux vous comprendre : à la veille des élections municipales, je ne sais pas dans quelles conditions se serait déroulé le débat !
M. Philippe Dallier. Je vous la laisse, monsieur le ministre, car ce sont avant tout les critères retenus par vos soins qui m’intéressent. (Nouveaux sourires.)
À ce titre, je dois vous dire que je suis heureux de votre choix du seul critère du revenu. C’est un gage de simplicité, comme Claude Dilain l’a souligné, et c’est aussi, me semble-t-il, l’élément caractérisant le mieux les difficultés d’un territoire donné.
D’ailleurs, vous avez pris une double précaution, puisque vous allez considérer le revenu par rapport au territoire national dans son entier, mais aussi le revenu rapporté à l’aire urbaine. Cette double prise en compte, que je n’ai jamais pu obtenir dans les critères du FPIC, est très importante ! C’est un point essentiel que de pouvoir comparer les revenus des habitants à ceux de l’aire urbaine. A-t-on, à revenu équivalent, les mêmes difficultés dans la région d’Île-de-France que dans une autre région ? Compte tenu de la densité démographique de l’Île-de-France et du coût du logement que l’on y constate, par exemple, je n’en suis pas certain…
Le revenu me semble donc, par sa simplicité et sa lisibilité, somme toute, un bon critère.
Au sujet de l’association des habitants des quartiers à la coconstruction, je voudrais tout d’abord exprimer mon étonnement face à certains discours, un peu durs. Il y a certainement quelques mauvais maires, mais tous les autres, qui font correctement leur travail, ont-ils pour habitude de rester enfermés dans leur bureau, de ne pas consulter les associations, de ne pas organiser de réunions de quartier ? Ceux qui, parmi eux, se sont lancés dans des projets ANRU, l’ont-ils fait comme cela, sans prendre la peine de dialoguer avec les habitants ? Honnêtement, je ne le crois pas !
Qu’il faille aller plus loin et fixer un certain nombre de règles, pourquoi pas ! Mais toute la difficulté résidera justement dans l’élaboration de règles précises. Dès lors que l’on décide de constituer des « coordinations citoyennes de quartier » – je suis d’ailleurs heureux que vous envisagiez de changer le terme, monsieur le ministre, car l’expression n’était pas tout à fait adaptée, et je vous proposerai, à l’occasion d’un amendement, l’appellation « conseils de développement de quartier » –, comment désigne-t-on les membres de ces instances ? C’est une vraie question ! Qui est légitime pour y siéger ? Qui ne l’est pas ? Quels critères seront retenus ? Je m’interroge !
Il faudra bien laisser de la souplesse à ces dispositifs, sans quoi vous allez enfermer les maires dans des règles impossibles à tenir, et ce d’autant plus que les contrats de ville seront signés – là aussi, c’est une bonne idée – pour une période de six ans, correspondant au mandat municipal. Engager la concertation avec les habitants au début du processus et la maintenir tout au long de celui-ci m’apparaît comme une bonne manière de procéder et, je le redis, comme une démarche tout à fait naturelle. D’où cette nécessité de ne pas nous enfermer dans des règles trop strictes.
Le choix de l’échelle intercommunale apparaît également une bonne idée, à la condition que l’on prenne bien en considération que les maires sont et resteront à la manœuvre. Quelqu’un a comparé la politique de la ville à un travail de dentellière : l’image me semble tout à fait juste. Dès lors, il ne faut surtout pas trop éloigner la décision du terrain !
À ce titre, monsieur le ministre, vous allez avoir un autre sujet à traiter, sujet sur lequel je vous proposerai également un amendement : que va-t-on faire dans l’espace du Grand Paris ? La métropole de 7 millions d’habitants aura-t-elle la main sur la politique de la ville ? Pour les financements, je l’espère… Mais qu’en sera-t-il pour les décisions concrètes, celles qui concernent le terrain ?
Je ne pense pas que le conseil de territoire, avec ses 300 000 ou 400 000 habitants, sera la bonne échelle. Dans le cas particulier du Grand Paris, les communes devront garder la main, même s’il faudra leur donner la possibilité de s’associer à trois ou quatre, si elles le souhaitent, sur le périmètre du conseil de territoire ou sur un périmètre plus restreint. Quoi qu’il en soit, ce territoire-là est d’une nature tout à fait particulière et nous ne pourrons pas lui appliquer les mêmes règles qu’aux autres.
J’en viens aux PNRU et, tout d’abord, au « PNRU 1 ». J’ai bien entendu les inquiétudes du rapporteur pour avis de la commission des finances quant à la trésorerie de l’ANRU et je tiens également à tirer la sonnette d’alarme. Quand je vois les difficultés à obtenir les subventions, y compris sur un petit projet ANRU, et les lourdeurs administratives que j’ai pu constater sur le terrain, ailleurs que dans ma propre commune, je me dis que, si vraiment la trésorerie tombe à 140 millions d’euros, les fins de programme risquent d’être difficiles !
On nous annonce maintenant un « PNRU 2 ». Je ne peux que m’en réjouir ! Les moyens alloués sont cependant plus limités – 5 milliards d’euros –, mais on nous parle d’un effet de levier multipliant cette somme par quatre, soit 20 milliards d’euros. Nous regarderons les chiffres au bout du compte, monsieur le ministre, mais il me semble que, pour le « PNRU 1 », nous serons plutôt sur un effet de levier multipliant les sommes par trois.
Sur cette question, je partage donc les interrogations de Jean Germain. On entend à nouveau mettre à contribution Action logement, qui est déjà très sollicitée. Nous verrons bien, à l’occasion de la deuxième lecture, ici, au Sénat, du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ce qu’il en sera de la GUL. Cela étant dit, on ne pourra pas mettre Action logement à toutes les sauces…
Nous avons vécu dans l’incertitude avec le « PNRU 1 », puisque l’on est passé de crédits budgétaires à des crédits exclusivement extrabudgétaires, mais, comme je l’ai toujours affirmé, ce qui compte in fine, c’est ce qu’il y a dans les caisses de l’ANRU. Pour autant, si le Gouvernement annonce un « PNRU 2 », il serait peut-être bon qu’il nous rassure sur la manière dont il va le financer.
Par ailleurs, je me suis toujours félicité de ce qu’était l’ANRU. Avec son effectif de 80 collaborateurs, ou à peine plus, c’est une structure légère qui porte des projets extrêmement lourds. Hormis quelques problèmes au lancement de la structure, que ce soit au niveau informatique ou dans la définition des règles, une fois que la mécanique a été lancée, elle a fonctionné et fonctionne encore plutôt bien. Je pense donc qu’il ne faut pas vouloir confier à l’ANRU des missions trop différentes.
Je suis en particulier sceptique sur l’idée de l’amener à cofinancer des investissements dans les quartiers. La Caisse des dépôts et consignations et, dans le domaine commercial, l’EPARECA font cela très bien ! Le projet de loi est rassurant, dans la mesure où il prévoit que le risque financier lié à ces opérations est garanti par l’État. Néanmoins, est-ce vraiment nécessaire de donner une telle mission à l’ANRU ?
On nous a en outre expliqué, au sujet des interventions à l’étranger, qu’il s’agissait avant tout de régulariser des pratiques existantes. Très bien ! C’est toujours une bonne chose de vouloir exporter notre savoir-faire et, ainsi, valoriser la France au travers de ce qu’elle fait de mieux, mais, de nouveau, on ne pourra pas demander tout et n’importe quoi à une structure de 80 personnes ! Je suis donc aussi sceptique sur ce volet.
S’il est simplement question de régler un problème administratif avec la Tunisie…
M. Philippe Dallier. C’est bien d’avoir de grandes ambitions, monsieur le ministre, mais il n’a échappé à personne ici que les contraintes budgétaires sont extrêmement fortes !
Vous allez mettre fin au saupoudrage en matière de politique de la ville. C’est une bonne chose car, dans le passé, pour des raisons assez politiques, il faut bien le dire, les ministres successifs ont eu tendance à distribuer des dotations à droite et à gauche, qu’il s’agisse de la DSU, de la DSR, etc. Je n’opposerai pas le rural et l’urbain, mais on sait pourquoi tout cela a été mis en œuvre.
Vous souhaitez une diversification, mais, en dépit du PNRU II, l’État va manquer de moyens. L’un des apports fondamentaux de M. Borloo en 2003 fut de concentrer les moyens sur les territoires et dans le temps : cela a permis de changer vraiment la donne. Peut-être ne sommes-nous pas allés assez loin dans cette direction, mais vous devriez y être contraints dans la mesure où les moyens budgétaires de l’État se réduisent. Dans ces conditions, si vous me permettez un conseil, ne vous dispersez pas trop, parce que vous retomberiez alors dans certaines erreurs du passé.
Concernant la simplification, la création de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS, et la suppression du comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU, le CES, ont provoqué quelques remous.
M. Claude Dilain, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Dallier. Pour ma part, je suis très favorable à une telle simplification, d’autant que j’avais plaidé dans le passé pour la suppression du CES. Que n’avais-je entendu alors ! J’avais même été pris à partie par le président de cette instance, que je ne nommerai pas. Il est très bien que vous osiez prendre cette initiative, car il faut tendre vers une simplification.
La suppression de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’ACSÉ, est-elle une bonne chose et constitue-t-elle bien une simplification, si tant est que vous la présentiez ainsi ? Je m’interroge encore sur ce point.
Beaucoup avaient plaidé pour la fusion de l’ANRU et de l’ACSÉ. J’ai toujours considéré que ce n’était pas une bonne idée, l’ANRU étant très spécialisée. Avec ce texte, monsieur le ministre, vous prévoyez de faire disparaître l’ACSÉ. Je me souviens avoir rendu un rapport qui démontrait que cette agence était devenue, au fil du temps, un outil relativement efficace. C’est pourquoi je reste sceptique quant à l’opportunité de sa suppression. Peut-être pourrez-vous nous en dire un peu plus à cet égard.
J’en viens à la DDU et, plus généralement, aux dotations.
La suppression de la DDU ne me ferait pas beaucoup de peine, eu égard aux conditions dans lesquelles elle a été créée ! (M. le président de la commission des affaires économiques sourit.) C’est d’abord l’ancienne majorité, sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo, qui avait doublé la DSU, la faisant passer de 600 millions à 1,2 milliard d’euros. La progression s’est ensuite poursuivie : à cette fin, lors de l’élaboration d’une loi de finances, quelqu’un a proposé de créer la DDU, destinée à être un mécanisme d’appel à projets des communes. Le dispositif mis en place s’est révélé très lourd. Certaines communes ont pu en bénéficier grâce à un effet d’aubaine, dans la mesure où elles avaient des projets déjà prêts. Tout cela ne me paraissait pas très efficace. Vous souhaitez transformer la DDU en dotation : pourquoi pas ? J’attends de voir quels moyens seront mobilisés et quels seront les critères d’attribution de cette nouvelle dotation.
Pour conclure, je vous invite, monsieur le ministre, à vous pencher sur les conditions dans lesquelles la baisse de la DGF est répartie. Certes, la DSU et le FSRIF progressent, mais nombre de nos collègues sont en train de découvrir que le fait d’avoir proportionné la baisse de la DGF aux recettes réelles de fonctionnement des communes en 2012 pénalisera essentiellement les villes, plus particulièrement celles de taille moyenne, qu’elles relèvent ou non de la politique de la ville. Il ne faudrait pas que la progression des dotations de péréquation soit en partie reprise au travers de la baisse de la DGF, car 2014 et 2015 seront, de ce point de vue, des années très difficiles pour toutes nos communes.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments que je voulais partager avec vous. Il ne s’agit pas d’un texte très controversé. Le groupe UMP se dirige peut-être vers l’abstention. À titre personnel, monsieur le ministre, selon vos réponses et le sort qui sera réservé à nos amendements, je verrai si je peux aller au-delà d’une abstention constructive et bienveillante ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)