compte rendu intégral
Présidence de M. Didier Guillaume
vice-président
Secrétaires :
Mme Odette Herviaux,
M. Jean-François Humbert.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt d'un document
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, la convention entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d’investissements d’avenir, action « Capital-risque développement technologique ».
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des finances, ainsi qu’à la commission des affaires économiques.
3
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 13 décembre 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (n° 2013-359 QPC).
Acte est donné de cette communication.
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Loi de finances rectificative pour 2013
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2013 (projet n° 215, rapport n° 217).
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque année, nous examinons en fin d’exercice un projet de loi de finances rectificative qui permet de procéder aux ajustements de crédits nécessaires pour respecter les équilibres votés dans le cadre de la loi de finances initiale. Ce « collectif budgétaire » est également l’occasion de réviser les prévisions économiques du début d’année. Aussi, n’avoir qu’un seul collectif budgétaire me paraît, sur le plan de l’orthodoxie, tout à fait acceptable.
Nous pouvons nous réjouir de la réduction du déficit public dont le solde effectif est en amélioration par rapport à 2012, même si cette amélioration est toutefois moins importante que celle qui est prévue par la loi de finances initiale ou par le programme de stabilité présenté en avril dernier.
Le redressement des finances publiques est en bonne voie, et il ne faut donc pas relâcher les efforts engagés. Pour autant, il ne saurait être question d’en « rajouter », car, pour les ménages, les entreprises et les collectivités locales, des efforts supplémentaires en termes de prélèvements pourraient ne plus être supportables.
La croissance reprend très timidement ; je ne reviendrai pas sur les chiffres – ils ont été abondamment cités hier soir –, d’autant que nous pouvons être en désaccord les uns avec les autres à cet égard.
Il me semble que le Gouvernement a raison de rester très prudent quant aux hypothèses de croissance. En effet, si l’INSEE a fait état d’une croissance de 0,5 % au deuxième trimestre, il a annoncé, depuis, une rechute au troisième trimestre.
Sommes-nous donc dans une phase d’amorçage de la reprise économique ou aux prémices d’une nouvelle récession ? Toute la question est là. Pour ma part, je suis plutôt optimiste et je veux faire confiance au Gouvernement ; j’espère véritablement que nous sommes en train de sortir de la spirale dévastatrice de la crise et du chômage.
Qui plus est, entre une économie qui bat de l’aile et une économie qui se porte bien, il y a une différence très minime qui a pour nom « la confiance ». Celle-ci ne se décrète pas. C’est un élément très important, qu’il nous faut faire partager à nos concitoyens.
M. Philippe Dallier. Elle a disparu !
M. François Fortassin. En outre, je pense que c’est justement le moment d’agir pour rendre cette reprise possible, en adoptant des dispositions favorables à l’emploi et à la croissance. Le retour de la croissance passera par celui de la confiance des ménages et des entreprises.
Permettez-moi cependant de vous faire part de quelques inquiétudes en ce qui concerne l’important manque à gagner en recettes dont fait état ce collectif budgétaire. L’explication de M. le rapporteur général selon laquelle les consommateurs reporteraient leurs achats sur des produits moins chers me semble exacte, mais elle n’est peut-être pas totalement suffisante : on constate aussi, en effet, une perte de recettes importante en matière de TVA. Il est possible que les choses s’améliorent de ce côté-là, car il existe incontestablement des réserves au niveau tant des banques que des particuliers. Il faudra donc bien que cet argent circule.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ces écarts importants entre les prévisions et les recettes effectives ?
J’en viens maintenant aux ouvertures et annulations de crédits prévues par ce collectif.
On peut se féliciter que les annulations soient couvertes à 90 % par la réserve de précaution.
Les ouvertures, quant à elles, concernent principalement les dépenses exceptionnelles liées au budget de l’Union européenne, les politiques d’emploi et de solidarité, mais aussi les opérations extérieures du ministère de la défense, les OPEX.
Toutefois, le budget global de la défense diminue significativement, et il y a là un problème de compréhension qui peut sembler paradoxal. La mission « Recherche et enseignement supérieur » subit également des annulations massives en autorisations d’engagement, qui posent question. La mission « Écologie », quant à elle, voit la totalité de sa réserve de 470 millions d’euros annulée.
En ce qui concerne les autres articles du collectif, je constate qu’un nombre très important de dispositions additionnelles ont été adoptées au cours de l’examen du texte par l’Assemblée nationale. Le nombre d’articles est passé de trente-trois à plus de quatre-vingt-dix, et ce essentiellement du fait d’amendements gouvernementaux. Nous déplorons cette démarche qui nuit à la lisibilité de la politique poursuivie et à un examen parlementaire de ce budget rectificatif dans de bonnes conditions. Les amendements ont théoriquement pour objet d’améliorer le texte ; si un nombre aussi important d’amendements a été introduit, cela signifie que le texte initial était loin d’être parfait…
Nous devons faire en sorte que ce qui s’est passé l’an dernier sur la seconde partie du projet de loi de finances ne se reproduise pas de façon systématique. Faut-il rappeler que des modifications très conséquentes des fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, et de la cotisation sur la valeur ajoutée, la CVAE, avaient été votées pour ainsi dire « en catimini » à l’Assemblée nationale alors que le Sénat ne pouvait plus se prononcer ? Ces modifications des critères de répartition, sans aucune simulation, sont inacceptables.
Or nous sommes très inquiets quant au sort que le Gouvernement réserve à l’article 58 du projet de loi de finances pour 2014 qui vise à mettre en place un nouveau dispositif de péréquation des DMTO : les critères de répartition sont renvoyés à un décret, qui fait, semble-t-il, l’objet de « tractations » entre l’Assemblée des départements de France et le Gouvernement.
Monsieur le ministre, je vous interpelle sur ce problème des DMTO auquel l’immense majorité des élus ne comprend rien. Il serait judicieux que ce dispositif soit relativement simple et compréhensible par tous les intéressés.
Monsieur le ministre, vous avez par ailleurs annoncé aux députés, lors de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, des modifications relatives à la péréquation en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Ces dispositions appartenant à la seconde partie du budget, le Sénat ne les examinera malheureusement pas.
Nous attendons donc que des mesures et des engagements concrets de votre part soient pris dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative pour garantir une péréquation véritablement juste et efficace, conformément d’ailleurs au sens même de la péréquation.
Sous cette réserve et, parce que ce projet de loi de finances rectificative doit d’abord permettre de retrouver la croissance tant attendue, la majorité des membres du RDSE lui apportera son soutien.
Par ailleurs, je souhaiterais également signaler que, sur le plan budgétaire, nous ne partageons pas les affres de notre collègue Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Je n’ai encore rien dit ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Mais cela ne va pas tarder !
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de ne pas débattre et de conclure !
M. François Fortassin. Je ne débats pas, je dis simplement que se faire le pourfendeur des déficits, c’est faire preuve d’amnésie par rapport à la période précédente.
La situation de notre pays est certainement moins bonne…
M. le président. Monsieur Fortassin, veuillez vous acheminer vers votre conclusion !
M. François Fortassin. Je conclus, monsieur le président, mais vous voudrez bien comprendre que, n’ayant pu m’exprimer hier soir et ayant été obligé de raccourcir ma nuit, je puisse parler une minute de plus ! (Sourires.)
La situation de notre pays n’est peut-être pas aussi bonne que le clament certains optimistes, mais elle est certainement meilleure…
M. Philippe Dallier. C’est moins mal que si c’était pire ! (Sourires.)
M. François Fortassin. … que certains pourfendeurs de déficits voudraient nous le faire croire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais l’intention d’être plutôt gentil (Exclamations sur diverses travées.), mais mon collègue M. Fortassin m’a finalement incité à dire les choses telles qu’elles sont.
Ce projet de loi de finances rectificative est le premier bilan chiffré des dix-huit mois de responsabilité du Gouvernement.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Francis Delattre. L’absence de cap économique, l’application désordonnée d’un projet présidentiel inadapté aux réalités et le matraquage fiscal constaté au cours des derniers mois produisent un chômage massif qui est le vrai marqueur de votre gestion.
En un an – et non en dix-huit mois ! –, 132 000 emplois marchands ont ainsi disparu, et les ménages les plus modestes, dont la majorité nous parle souvent, ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 1,9 % par famille.
Dans ce projet de loi notamment, on se vante que l’impôt sur le revenu ait maintenu un rendement correct, en oubliant de préciser que c’est surtout la défiscalisation des heures supplémentaires de neuf millions de salariés qui a largement contribué à ce résultat, avec 4,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires.
Ces chiffres sont à comparer aux 300 millions d’euros que devrait rapporter un jour, peut-être, l’impôt à 75 % sur les salaires supérieurs à 1 million d’euros, mesure qui sert un slogan populiste – « faut faire payer les riches ! » – dévastateur en termes d’image et qui ne rapportera fiscalement que des bribes.
Cette comparaison illustre les propos de M. Julliard, dont tout le monde connaît les idées. Il faisait remarquer qu’il y a fort longtemps que le parti socialiste, aujourd'hui aux affaires, n’est plus le représentant des couches populaires ni du monde du travail. Celui-ci est bien éloigné dans ses préoccupations quotidiennes de vos réformes dites sociétales, qui occupent l’essentiel des discussions de vos congrès.
D’ailleurs, le budget pour 2014 incarnera encore un peu plus cette « déviance » en taxant de 960 millions d’euros 13 millions de salariés accédant à une complémentaire santé, et ce en intégrant cet avantage dans leur assiette fiscale... Vous en conviendrez, mes chers collègues, cela fait beaucoup de riches !
De plus, l’affaiblissement du quotient familial, qui rapportera 1 milliard d’euros, et la fiscalisation de 10 % de la majoration pour les retraités ayant élevé trois enfants, qui rapportera 1,2 milliard d’euros et touchera 3 millions de foyers, montrent parfaitement qui va réellement payer.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout le monde !
M. Francis Delattre. Ce sont les couches moyennes et les couches populaires qui vont largement financer le choc fiscal.
Après dix-huit mois de gouvernance socialiste, le climat est anxiogène et les tensions croissent non seulement en Bretagne, mais sur tout le territoire.
La France est engluée dans la crise. Nous sortons à peine de la récession, avec 0,1 % de croissance : c'est bien, mais ce n’est pas suffisant. Si notre pays rejoint peu à peu ceux du sud de l’Europe, le différentiel de croissance va s’accentuer avec d’autres : la croissance sera de 1,7 % en Allemagne et de 2,5 % au Royaume-Uni. La France sera donc à la traîne. Le déficit des comptes publics sera à peine réduit l’an prochain : 3,7 % du PIB, alors que l’Allemagne est à l’équilibre.
Notre pays ne gagne rien en compétitivité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ne fut jusqu’à ce jour qu’un temps fort médiatique. L’OCDE estime que notre déficit du commerce extérieur va empirer en 2014.
L’investissement des entreprises est en panne et la non-déductibilité fiscale des intérêts des prêts, qui doivent justement servir à investir, est une véritable calamité dans un pays où le crédit bancaire finance 80 % des immobilisations, faute d’investisseurs privés ou professionnels, comme les fonds de pensions.
Ce budget comprend quelques éléments substantiels, mais, en réalité, nous sommes très loin du compte !
Le taux de prélèvements obligatoires, porté de 45 % en 2012 à 46 % en 2013, continuera d’augmenter pour atteindre 46,1 % en 2014. Nous sommes actuellement sur la deuxième marche du podium des pays de l’OCDE, mais, vu les perspectives et les prolongements plausibles de votre politique fiscale, nous devrions monter sur la plus haute marche d’ici à deux ans ! M. Hollande déclarait voilà quelques années : « Au-dessus de 45 %, le caractère insupportable de l’impôt peut se poser. » Il semblerait que l’exercice du pouvoir l’ait fait changer d’avis !
La dépense exécutée en 2013 sera supérieure de 2,4 milliards d’euros à la dépense exécutée en 2012. Les économies doivent être calculées par rapport à ce qui a été réalisé l’année précédente et non par rapport à une tendance, comme cela se fait aujourd’hui.
En réalité, nous assistons plutôt à un ralentissement de la hausse des dépenses publiques. En 2013, vous frisez la médaille d’or de l’OCDE des dépenses publiques. La Cour des comptes a précisé que d’importantes sources d’économie pouvaient être mobilisées, sans que, pour autant, la qualité des services publics diminue. Pourquoi n’engagez-vous pas la politique que vous conseille de mener la Cour ?
Il y avait des économies réelles sur lesquelles nous pouvions nous baser. Les intérêts de la dette auront coûté 1,9 milliard de moins que prévu, et les pensions 1,2 milliard de moins. Mais ces économies immédiates et rapides ont été absorbées ! Certaines dépenses ont été exceptionnelles, comme les prélèvements en faveur de l’Union européenne. Pour faire face à toutes vos dépenses supplémentaires, vous annulez des crédits sur la recherche, le transport, l’armement... Ainsi, 440 millions d’euros ont été annulés pour les infrastructures de transport, 178 millions d’euros pour Réseau ferré de France et 188 millions d’euros au détriment de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France. Rappelons que cela permettra de compenser certaines dépenses exorbitantes relatives notamment à l’aide médicale d’État.
Quant à la MAP, la modernisation de l’action publique, qui tente de remplacer la RGPP, à quoi sert-elle réellement ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On se pose la question !
M. Francis Delattre. Quelles économies ont-elles été réalisées depuis sa mise en place ? Quels sont ses objectifs chiffrés, s’il y en a ?
Des doutes émergent quant à son efficacité, y compris dans vos rangs. M. Eckert explique : « Il faut que la MAP fasse preuve de sa fécondité. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Il doit y avoir des évaluations et de la concertation, mais il ne faut pas que cela prenne trop de temps. » Mais nous en perdons, du temps !
Un comité interministériel sur la MAP doit se tenir le 18 décembre prochain, mais aucune évaluation de politique publique avec des économies substantielles n’a été, à ce jour, dévoilée. Pour Gilles Carrez, « tant que la MAP sera un exercice un peu éthéré, sans objectifs précisément chiffrés, nous ne parviendrons pas à réaliser les économies » que nous attendons tous.
Bercy tente de réorienter la MAP afin de lui assigner des objectifs d’économies plus tangibles. Mes chers collègues, je vous invite à lire le rapport du think tank de gauche, Terra Nova, sur la réforme de l’État. C'est très instructif !
Le rapport critique l’inaction du gouvernement Ayrault : « Les ministres ont à titre personnel, peu ou pas intérêt à irnpulser dans leur champ des réformes ambitieuses de l’action publique. » Lors des réunions de la MAP, « Les sujets abordés sont mineurs, les politiques ministérielles évaluées sont de second plan, tandis que les sujets centraux sont laissés dans l’ombre. » Les seules véritables économies sont issues d’un coup de rabot sur le financement de l’apprentissage, de la baisse de plusieurs aides locales aux entreprises et de la diminution des dotations publiques aux chambres consulaires. « Une liste à la Prévert de mesurettes, de mesures gadget » !
Le rapport s’achève sur plusieurs conseils, dont vous devriez vous inspirer, monsieur le ministre : « Le calendrier des actions doit être réaliste et la communication gouvernementale claire : les réformes structurelles prendront du temps et la maîtrise des déficits passera dans l’intervalle par une diminution des dépenses d’intervention. » Il y a urgence à travailler sur des réformes structurelles !
Vous avez rouvert les vannes, dès votre arrivée, en arrêtant la baisse des emplois publics, en supprimant le conseiller territorial…
Mme Nathalie Goulet. Bonne mesure !
M. Francis Delattre. … et en ajoutant même une strate d’administration.
S’agissant des recettes, le rendement de nos impôts décroche par rapport à la croissance du PIB. Mais, surtout, le rendement des impôts dévisse au regard de la forte hausse du taux de prélèvements obligatoires. Vous aviez voté dans la loi de finances initiale 30 milliards d’impôts supplémentaires. Il manque 11 milliards d’euros pour régler les comptes de l’année 2013. Comment l’expliquer ? M. Cazeneuve a rétorqué que cela était dû à des raisons conjoncturelles. Personnellement, j’en doute. Je pense plutôt que c'est le comportement du contribuable qui a changé. C'est bien une réalité malgré toutes vos dénégations officielles : trop d’impôt tue l’impôt, comme le démontre la courbe de Laffer. Nous en avons une démonstration aujourd’hui : 3,8 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés, 5,6 milliards d’euros de TVA et 3,1 milliards d’euros d’impôt sur le revenu manquent à l’appel.
Vous avez dit hier, monsieur le ministre, que la Commission européenne vous avait donné un blanc-seing et qu’elle vous avait adressé des encouragements. Elle a tout de même précisé : « Compte tenu des risques qui pèsent sur les prévisions d’amélioration du solde structurel en 2013 et 2014 et de l’écart important attendu par rapport à l’objectif de 2015, la France devrait exécuter rigoureusement le budget 2014 et prendre un ensemble significatif de mesures pour 2015, en plus de celles déjà prévues, afin de parvenir aux améliorations du solde structurel recommandées par la Commission. En outre, toutes les recettes imprévues devraient être affectées à la réduction du déficit. » Ce n’est pas le cas ! Elle ajoute : « Enfin, les autorités sont invitées à accélérer la mise en œuvre de la recommandation budgétaire émise dans le contexte du semestre européen. »
S’agissant des dépenses pour 2013, nous passons de 375,9 milliards d’euros à 378,3 milliards d’euros, soit une augmentation de 2,4 milliards d’euros. Quand on regarde les dépenses publiques de l’État, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale, la loi de programmation prévoyait 56,3 % de dépenses publiques consolidées pour 2013 ; le programme de stabilité estimait ce taux à 56,9 % ; nous atteignons finalement 57,1 % en exécution ! Il y a donc un dérapage de 0,8 %, soit 16 milliards d’euros.
Pour ce qui concerne les rentrées d’impôts, rapprochez-vous, monsieur le ministre, des trésoreries et des mairies ! Elles vous conteront les histoires de ces milliers de Français qui ne peuvent pas faire face aux nombreuses augmentations d’impôts, de l’explosion du nombre de demandes de recours gracieux ou d’échelonnement de paiement.
Vous avez fait jusqu’à ce jour le choix d’une politique à rebours des stratégies d’allégement des impôts poursuivies dans les autres pays de l’Union européenne. On se rend compte que les pays qui nous prennent aujourd'hui des parts de marché sont ceux qui ont fait des efforts, comme l’Espagne.
Face à la colère des Français, M. Ayrault a réagi dans l’émotionnel – sans même vous prévenir, paraît-il ! – en proposant de remettre à plat la fiscalité de notre pays, espérant ainsi calmer une opinion de plus en plus rétive. Cela ne rassure pas nos compatriotes, bien au contraire ! Toutes les classes sociales seront ciblées, elles le savent parfaitement, et leur pouvoir d’achat risque d’être touché une fois de plus. Mais vous continuez bien sûr à évoquer, avec des trémolos, l’exigence de justice.
Ce collectif budgétaire qui aurait pu avoir un rôle de catalyseur de la croissance et de la compétitivité est en fait une loi un peu fourre-tout, sans fil conducteur.
Le fléchage de l’épargne vers l’investissement en actions des PME et des entreprises de taille intermédiaire, les ETI, est une mesure intéressante. Mais avec vous, il faut toujours rester vigilant, car, au final, ce dispositif ne servira pas qu’à financer les PME. S’y ajouteront le logement social et l’économie sociale et solidaire. Pourquoi pas, mais dans quelle proportion ? Tout le monde pensait que les PME devaient être l’objectif prioritaire pour cette épargne fléchée ; votre décision ne nous paraît donc pas suffisamment réfléchie.
Selon le baromètre publié mardi par Euler Hermes, numéro 1 de l’assurance-crédit en France, une entreprise sur cinq envisage une augmentation de ses investissements en 2014. La situation est encore plus tendue pour les entreprises de taille intermédiaire, pour lesquelles le rapport est de une sur six. Selon cet organisme, « cette prudence extrême sur les investissements semble être le chaînon manquant d’une vraie reprise en France en 2014 ». Il ajoute : « Leur niveau de marge n’a jamais été aussi faible depuis vingt-cinq ans. »
Vous évoquez, monsieur le ministre, la simplification. Mais s’agissant de l’amortissement fiscal de cinq ans des investissements réalisés dans les PME innovantes, pourquoi les soumettre à une obligation de « labellisation » par la Banque publique d’investissement ? En réalité, vous ajoutez de la complexité. La BPI est-elle vraiment capable de distinguer les PME innovantes et performantes ?
De même, quelle est la cohérence quand vous dites vouloir encourager l’apprentissage et atteindre les 500 000 apprentis et que, parallèlement, vous supprimez l’indemnité compensatoire de formation pour les entreprises de plus de dix salariés et divisez de moitié celle qui sera accordée aux petites entreprises ?
Ce ne sont pas les contrats d’avenir qui permettront à nos jeunes d’acquérir des compétences et un diplôme.
Monsieur le ministre, vous êtes désormais largement coresponsable du désastre économique dans lequel nous nous trouvons. Notre croissance pour 2014 demeure en réalité imprévisible. Elle sera au minimum de 0,9 % contre 1,4 % en Europe. L’Allemagne, avec un taux de chômage de 5,2 %, fait deux fois mieux que nous. Où en sont concrètement les projets de réindustrialisation ? Qu’est devenu le projet stratégique présenté par M. Gallois il y a pratiquement un an ?
La reprise de la dette de l’EPFR, l’établissement public de financement et de restructuration du Crédit lyonnais, par l’État pour un montant de 4,48 milliards d’euros remboursable le 31 décembre 2014 relève de l’ingénierie financière. Il restait deux emprunts et il n’y a plus d’actifs. Vous transformez ainsi une opération budgétaire en une opération de trésorerie.
Ce projet de loi de finances rectificative comporte une bonne mesure : l’incitation à réorienter les contrats d’assurance vers l’économie réelle. Néanmoins, vous n’avez pu vous empêcher d’y introduire quelques taxes et prélèvements et d’ajouter de la complexité.
Au final, ce texte ne fera qu’aggraver la dette de l’État, faute de réformes structurelles courageuses attendues par vos prêteurs et par les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais commencer par remercier tous les orateurs de ce débat de qualité, et particulièrement ceux de la majorité – le rapporteur général François Marc, Yvon Collin, Michèle André, Richard Yung, François Fortassin – pour leur soutien au texte que le Gouvernement soumet aujourd’hui au Sénat. Je remercie également Jean-Vincent Placé, auquel je réserverai toutefois un sort particulier (Sourires.) dans mes réponses.
Comme vous l’avez remarqué, monsieur le rapporteur général, l’une des premières vocations d’un collectif budgétaire de fin d’année est de mettre en œuvre les dispositions qui permettent de tenir la norme de dépenses que nous nous sommes fixée.
À cet égard, ce texte ne déroge pas à la règle puisqu’il confirme notre engagement au sérieux budgétaire. Je dirai à M. Placé, qui n’a pas cité tout à fait correctement mes propos, hier, que le sérieux n’est pas l’austérité. Le sérieux, c’est ce qui permet à un pays de réduire son déficit et de se désendetter progressivement, tandis que l’austérité, c’est ce qui empêche ce pays de croître, coupe les moyens des services publics et prive la cohésion sociale de l’élan nécessaire.
À cet égard, ce texte est sérieux : il détaille précisément la nature des dépenses de l’État et opère les mouvements de crédits nécessaires pour financer les besoins impératifs, tout en veillant au strict respect du plafond de dépenses autorisées par le Parlement.
Mais, comme l’ont souligné tous les orateurs de la majorité, ce texte ne se résume pas du tout à ces ajustements budgétaires. Il comporte aussi un certain nombre de mesures qui s’inscrivent dans la politique de soutien à la croissance et à la compétitivité de l’économie, à travers la réforme de l’assurance vie, le renforcement des garanties exports et les mesures de simplification que j’ai présentées hier soir.
Monsieur le rapporteur général, j’ai bien noté votre volonté que les services de l’administration fiscale engagent la réforme de la révision des valeurs locatives, dont vous avez pris l’initiative pour une large part. Je veux vous confirmer que la direction générale des finances publiques est désormais prête à se lancer dans l’expérimentation, qui se tiendra dans les deux années à venir.
Monsieur le président de la commission des finances, cela va peut-être vous surprendre : je peux souscrire à de nombreux points de votre analyse. En outre, je salue votre effort très appréciable pour prendre de la hauteur sur le texte qui vous est présenté aujourd'hui.