M. Francis Delattre. Il faudrait commencer !
M. Pierre Moscovici, ministre. … mon objectif est bien de voir la courbe de la dette s’inverser en 2015. D’ailleurs, je l’ai également dit cet après-midi, à l’occasion des questions d’actualité, il faut que l’actuelle opposition présente des excuses aux Français pour avoir autant augmenté cette dette. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Mais le redressement des finances publiques n’est pas une finalité en soi. Il est indissociable du redressement productif, et une condition de la croissance. Il doit donc être accompagné par des dispositions fiscales et financières permettant d’aller dans ce sens.
Nous entendons poursuivre un agenda pour la croissance à un rythme soutenu, et même accéléré. Il est très important que tous ensemble nous puissions faire passer ce message à nos concitoyens : oui, la France est sortie de la récession ; oui, la France est sur la voie de la reprise ; oui, la croissance est en train de s’amorcer ; oui, notre tâche – celle du Gouvernement d’abord, celle des agents économiques, la vôtre également, mesdames, messieurs les sénateurs – est bien de faire en sorte que cette croissance soit de plus en plus forte, plus forte que ce que l’on nous prédit.
La reprise qui s’amorce est une percée que nous devons consolider. Pour cela, nous devons garder un cap (M. Francis Delattre s’exclame.), rester collectivement vigilants et mobiliser, dans une volonté progressiste de réforme de l’économie française. Ce sont les ambitions portées par ce texte, dans la continuité de ceux qui l’ont précédé, un texte qui mérite d’être approuvé par la majorité et d’être discuté sur toutes les travées – c’est mon souhait et je suis certain d’être entendu – dans un esprit constructif.
Même si je conçois que les opinions puissent diverger sur l’équilibre d’ensemble ou le cap, je rêve d’un large consentement sur les dispositions allant dans le sens d’un meilleur financement de l’économie, d’un soutien aux exportations, d’une simplification plus grande car, tout simplement, c’est le bon sens et l’intérêt général. Or, je le sais, tous les membres de la Haute Assemblée ont le souci tant de l’un que de l’autre.
C’est dans cet esprit tout à fait constructif, positif et ouvert que je tenais, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous présenter ce projet de loi de finances rectificative et à ouvrir la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de finances rectificative pour 2013 qui, cette année, a particulièrement enflé à l’Assemblée nationale, que ce soit sur l’initiative de nos collègues députés ou du Gouvernement.
Ainsi, de trente-quatre articles au moment de son dépôt, il est passé à quatre-vingt-treize articles dans le texte qui nous est soumis. Ces articles sont, pour une large part, des ajustements techniques qui portent sur une grande diversité de sujets et dont l’impact budgétaire est très limité.
Ce collectif procède par ailleurs à des ouvertures et des annulations de crédits, en complément de celles qui ont été effectuées dans le décret d’avance du 28 novembre, qui permettent d’assurer le respect de la norme « zéro valeur ». C’est d’ailleurs, rappelons-le, la principale vocation d’un projet de loi de finances rectificative de fin d’année que d’ajuster les crédits au vu des besoins de fin de gestion. L’expression « collectif budgétaire » viendrait d’ailleurs de l’opération consistant, pour le ministre du budget, à collecter auprès de ses collègues les demandes d’ouverture de crédits, pour mener à bien l’ensemble des missions de l’exercice. Si la nature de l’exercice n’a pas fondamentalement changé, la difficulté n’est désormais sans doute pas tant de collecter les demandes que de faire accepter les annulations de crédits qui les accompagnent inévitablement.
Les principales hypothèses et prévisions concernant les recettes, les dépenses et le déficit de l’État communiquées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 sont confirmées.
La croissance devrait ainsi s’établir au moins à 0,1 %, ce qui est certes inférieur aux prévisions initiales du Gouvernement, mais nettement supérieur à celles des instituts de conjoncture jusqu’à l’été dernier. Le léger repli enregistré au troisième trimestre devrait être suivi par un rebond au quatrième trimestre. Au total, l’atteinte de ce chiffre ne fait pas de doute : la croissance revient, comme d’ailleurs dans l’ensemble de la zone euro.
Cette reprise commence d’ailleurs à être perceptible à travers les chiffres du chômage – vous l’avez dit, monsieur le ministre. Avec l’engagement des réformes structurelles qui permettront de réaliser 50 milliards d’euros d’économie sur les trois prochaines années,…
M. Francis Delattre. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … elle constitue aussi une condition du retournement de notre trajectoire de dette publique. Et nous avons grand besoin de ce retournement, n’est-ce pas, monsieur Delattre ?
M. Francis Delattre. Pour l’instant la dette s’aggrave !
M. Vincent Delahaye. On aimerait le voir !
M. Jean-Claude Frécon. Mettez vos lunettes !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. S’agissant du déficit public, il est conforme à ce qui a été annoncé dans le projet de loi de finances initiale pour 2014 : la prévision est maintenue inchangée à 4,1 points de PIB.
Quant au déficit budgétaire pour l’exercice 2013, il devrait s’établir à 71,9 milliards d’euros, soit une amélioration de plus de 15 milliards d’euros par rapport à 2012. Ce déficit est en revanche d’un peu plus de 10 milliards d’euros supérieur à la prévision initiale.
M. Francis Delattre. Quand même !
M. Philippe Dallier. En effet !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Les dépenses sont tenues – et vous aviez des difficultés à imaginer que ce serait le cas, chers collègues de l’opposition. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Mme Michèle André. Ça les embête !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Par conséquent, c’est du côté des recettes qu’il faut chercher les explications de ce résultat.
M. Francis Delattre. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Celles-ci se sont en effet avérées moins bonnes que prévu en loi de finances initiale, parce que la croissance n’a pas atteint les niveaux attendus.
M. Francis Delattre. Vous venez de dire le contraire !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Dans ces conditions, tous les grands impôts, la TVA en premier lieu, mais aussi l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu, n’ont pas eu le rendement espéré.
M. Philippe Dallier. Trop d’impôt tue l’impôt !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce moindre dynamisme des recettes fiscales sert – on l’entend trop souvent et je viens encore de l’entendre à l’instant –….
M. Philippe Dallier. Je le redis !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … un discours que je qualifierai de populiste. (M. Francis Delattre s’exclame.)
M. Philippe Dallier. Oh !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, il me semble que nous pouvons simplement considérer que trop peu de croissance tue l’impôt.
M. Philippe Dallier. Et trop d’impôt tue la croissance, donc, on n’en sortira pas !
M. Aymeri de Montesquiou. Trop peu de croissance tue la croissance !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Les mesures restrictives adoptées dans la zone euro ont en effet été importantes et simultanées,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est certainement la faute de Sarkozy !
M. Richard Yung. Ce n’est pas faux.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … ce qui explique un effet multiplicateur de baisse de la croissance dont l’ampleur a surpris tout le monde, monsieur le président Marini.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Sans doute devrons-nous tirer des leçons de cette expérience pour l’avenir mais la gouvernance de la zone euro a cependant fait des progrès considérables pour mieux prendre en compte la croissance et la solidarité, notamment à l’initiative de la France, et nous pouvons nous en féliciter.
À cet égard, on peut souligner les avancées dans la coopération fiscale comme l’accord obtenu cette semaine à Bruxelles sur le contrôle des travailleurs détachés.
Enfin, si l’accord obtenu cette nuit sur la question de la résolution bancaire est un compromis qui ne va pas aussi loin que nous pouvions l’espérer, il prévoit cependant la création d’un fonds de résolution unique qui pourra intervenir en cas de défaillance d’une grande banque dans la zone euro.
Il nous reste encore beaucoup à faire pour développer les investissements structurants à l’échelle européenne et pour encadrer la concurrence fiscale et sociale mais nos idées en faveur de plus de croissance et de solidarité dans la zone euro font leur chemin, et, là encore, nous pouvons nous en féliciter.
Pour ce qui concerne les dépenses de l’État, celles-ci sont tenues, hors dépenses exceptionnelles, liées notamment à la mise en œuvre des budgets rectificatifs européens ayant soldé les manques de crédits du budget pluriannuel qui s’achève. Ainsi, la norme « zéro valeur » est respectée, tandis que les dépenses sont inférieures de près de 3 milliards d’euros à la norme « zéro volume », compte tenu des économies réalisées sur les pensions et la charge de la dette.
En 2013, nous avons bénéficié de conditions de financement à des niveaux historiquement bas, à peine plus de 1,5 % en moyenne,…
M. Philippe Dallier. Pourvu que ça dure !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … sur l’ensemble de l’année. Plus important sans doute, notre différentiel de taux avec l’Allemagne s’est réduit. (M. Aymeri de Montesquiou s’exclame.) Par ailleurs, nos taux ont moins augmenté ces derniers mois que dans la plupart des pays, à l’exception des pays de la zone euro qui ont été les plus affectés par la crise de la zone euro – je pense notamment à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie, qui ont vu, et nous pouvons nous en féliciter, leurs conditions de financement fortement améliorées.
M. Francis Delattre. Ils nous prennent des parts de marché, en attendant !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. J’y vois le signe de la confiance des marchés dans notre trajectoire de redressement économique et budgétaire ainsi que dans la solidité de la zone euro.
Après ces considérations globales sur l’économie dans son ensemble et sur le redressement en cours, j’en viens à quelques dispositions du texte sur lesquelles il me semble utile de m’arrêter un instant.
Tout d’abord, le projet de loi de finances rectificative qui nous est soumis comporte un grand nombre de mesures, d’importance variée, visant à simplifier les modalités de déclaration et de recouvrement de diverses contributions, ce qui devrait faciliter la vie tant des contribuables – notamment des PME – que de l’administration fiscale.
Le texte permet ainsi de nettoyer certaines incohérences voire absurdités dans le code général des impôts. Cette simplification des procédures nous permet d’aller à la fois dans le sens d’une amélioration de la qualité de service, d’un gain de temps et d’économies pour l’administration, autant d’éléments qui favorisent la croissance. Je veux donc profiter de ce projet de loi de finances rectificative, dont les articles, souvent techniques, ne prêteront probablement pas à des débats passionnés, pour encourager le Gouvernement dans l’approfondissement de ce chantier de simplification.
Nous avons discuté il y a quelques jours du projet de loi autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises. Il fait suite à d’autres lois et à l’annonce de deux cents mesures lors du Comité interministériel de modernisation de l’action publique du 17 juillet dernier.
Des progrès conséquents ont également été accomplis sur les normes applicables aux collectivités territoriales, notre ancien collègue Alain Lambert ayant en outre été nommé récemment médiateur des normes entre l’État et les collectivités.
Il s’agit là d’un chantier sans doute peu spectaculaire mais qui appelle à un changement de culture administrative : nous devons veiller à ce que des procédures trop rigides n’entraînent pas des coûts démesurés au regard des gains attendus. Il convient d’alléger les contrôles a priori pour renforcer, au contraire, les contrôles a posteriori et les sanctions. C’est ainsi que nous arriverons à la fois à faciliter l’initiative, à réduire les coûts de gestion et à concentrer nos moyens de lutte contre les fraudes les plus graves.
Le deuxième point qui mérite d’être évoqué est celui du renforcement des outils de financement de l’économie à travers, notamment, la création d’un nouveau support en matière d’assurance vie qui fait suite à celle du plan d’épargne en actions pour les PME. D’autres dispositions sont prévues, comme l’amortissement des investissements des entreprises dans les PME innovantes. Vous en avez parlé, monsieur le ministre, et j’estime qu’il s’agit d’une excellente mesure. Il est essentiel de permettre à ces PME de se développer, car elles sont la clef de notre capacité à conserver et attirer des talents et participent à renforcer notre potentiel de croissance.
Enfin, j’évoquerai le lancement de l’expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux à usage d’habitation, qui est un élément essentiel de la réforme fiscale locale.
J’avais soutenu le gouvernement précédent lorsqu’il avait engagé une expérimentation en vue de réviser les valeurs locatives des locaux professionnels, généralisée sur l’initiative du Sénat l’année dernière.
M. Jean-Claude Frécon. Bravo !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Le gouvernement actuel consolide et étend cette démarche, en reprenant dans le collectif la proposition de loi que j’ai déposée au Sénat le mois dernier.
Cette révision est une exigence de justice fiscale. En effet, il est aberrant que l’année de construction d’un logement constitue le principal déterminant de sa valeur locative. Ainsi, on peut voir dans un même quartier, pour une surface identique, des contribuables voisins amenés à acquitter des montants d’impôts locaux très différents qui ne correspondent en rien ni à l’état de leur logement, ni à leur loyer éventuel.
Cette révision des bases entrera en vigueur au plus tôt en 2018, après une phase d’expérimentation qui nous permettra de mesurer les transferts de charges entre les contribuables ainsi que de simuler ses effets sur les dispositifs de péréquation. Nous pourrons donc définir ses modalités de mise en œuvre à partir de l’analyse des données recueillies.
Il s’agit d’un travail très important dont l’aboutissement exigera de l’énergie, de la pédagogie et du courage. Je veux souligner à cet égard, monsieur le ministre, la mobilisation et l’engagement des équipes du ministère de l’économie et des finances au service de cette vaste ambition.
À ceux qui, s’inspirant de Goethe, préfèrent commettre une injustice que de tolérer un désordre (MM. Richard Yung et Yvon Collin apprécient.),…
M. Aymeri de Montesquiou. Sehr schön !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … je veux dire qu’en effet cette réforme ne s’opérera pas sans transferts de charges, précisément parce qu’elle recherche une plus grande justice.
M. Francis Delattre. Oh là là !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. En outre, l’ampleur des travaux préparatoires permettra d’éviter toute improvisation sur un sujet aussi complexe et sensible.
M. Francis Delattre. Amen !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Le projet de loi de finances rectificative pour 2013 montre la détermination très ferme du Gouvernement à tenir les dépenses, tout en mettant en œuvre les priorités en faveur de l’emploi, de la jeunesse et de nos concitoyens les plus fragiles.
La stratégie du Gouvernement, qui vise à assurer le retour à l’équilibre structurel de nos comptes publics tout en encourageant la croissance, doit être consolidée. La croissance revient, mais nous sommes encore loin de l’objectif que nous nous sommes fixé. Il s’agit désormais de s’assurer de la montée en puissance de l’ensemble des outils que nous avons mis en place pour favoriser la compétitivité de nos entreprises et le financement de l’économie, et de définir les réformes structurelles qui nous permettront d’affermir notre trajectoire de redressement, sans rien remettre en cause de nos priorités et de notre engagement en faveur de la justice sociale.
La commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi de finances rectificative. À titre personnel, je vous invite au contraire à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Richard Yung. Nous allons vous suivre !
Mme Michèle André. Absolument !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le collectif budgétaire, c’est deux choses : l’ajustement des comptes en fin d’année, qui conduit à se retourner sur un exercice presque terminé, et diverses mesures législatives et fiscales pour l’avenir. Je bornerai l’essentiel de mes commentaires au premier aspect.
Que retiendra-t-on, monsieur le ministre, de l’exercice 2013 ?
À mon avis, on en retiendra d’abord que l’objectif de retour du ratio de déficit par rapport au PIB sous le seuil de 3 % a été repoussé de deux ans, avec la bienveillance, il faut le dire, de l’Union européenne. De plus, l’objectif de retour à l’équilibre des comptes publics en 2017, engagement de celui qui allait devenir Président de la République et qui avait été réaffirmé après son élection, a également été abandonné puisque l’objectif de solde effectif est désormais, pour 2017, un déficit de 1,2 % du PIB.
On retiendra aussi que le ratio de dette par rapport au PIB s’établit à présent à 93,4 % du PIB et qu’il devrait encore augmenter en 2014, alors qu’il y a un an on prévoyait qu’il culminerait en 2013 à 91,3 %.
On se souviendra sans doute, par ailleurs, que 2013 devait être l’année au cours de laquelle les règles budgétaires allaient enfin devenir plus intelligentes, en donnant un poids plus grand à la notion de solde structurel.
La trajectoire de solde structurel n’a pas non plus été respectée en 2013 et le déficit structurel s’établira, à la fin de 2013, à 2,6 % du PIB, au lieu de 1,6 % prévu.
L’instance, que vous avez citée, qui a été créée, à juste titre, pour surveiller attentivement, parmi d’autres choses, le respect de cette trajectoire, le Haut Conseil des finances publiques, vient de confirmer qu’elle sera amenée à constater en 2014 un « écart important » par rapport à la trajectoire et qu’il faudra donc enclencher en 2014 le mécanisme de correction automatique prévu par les accords européens, comme par la législation française.
On ne sait toujours pas, cependant, comment cette correction interviendra. Je présume que cela se fera, sans trop de surprise, par une modification des chiffres de la programmation pluriannuelle des finances publiques, ce qui annulera visuellement l’écart, mais non pas le dérapage des comptes dans leur réalité. À la vérité, ce sera tellement plus simple que de faire des efforts supplémentaires !
En tout état de cause, monsieur le ministre, on peut déjà se demander si la réévaluation du PIB potentiel, notion clef de la nouvelle gouvernance budgétaire, qui devrait intervenir dans la nouvelle loi de programmation des finances publiques, ne conduira pas à constater que la route est encore longue avant de parvenir à l’équilibre structurel et que de nouveaux efforts, plus importants que ceux prévus, seront indispensables !
L’année 2013 a cependant été marquée par un élément positif : l’absence de polémique sur les prévisions de croissance, qui, me semble-t-il, doit être largement portée au crédit du Haut Conseil des finances publiques, cette instance d’expertise à laquelle on ne peut mentir sur de tels sujets.
Il faut aussi se souvenir, mes chers collègues, qu’en 2013 le taux d’évolution en volume des dépenses publiques, variable essentielle pour construire une programmation, aura connu – je pèse mes mots – un spectaculaire dérapage.
Je m’y arrête, car l’évolution des dépenses publiques est le sujet essentiel pour les années à venir, tout le monde l’admet. Au demeurant, lorsque j’ai été reçu, avec d’autres présidents de commission, par le Premier ministre pour l’exercice de « remise à plat », celui-ci a consacré une bonne partie de son propos liminaire à nous dire que c’est sans doute plus sur la fiscalité que sur la dépense publique qu’il faudrait agir.
En 2013, on attendait une progression en volume des dépenses publiques de 0,9 %. Dans la réalité, – soyez-y attentifs, mes chers collègues ! – nous aurons une progression de près du double, soit 1,7 %. Malgré ce dérapage, le Gouvernement construit ses prévisions pour 2014 en considérant que le rythme de progression des dépenses publiques sera divisé par quatre, c’est-à-dire n’atteindrait plus en volume que 0,4 %.
Comment y parviendrez-vous, monsieur le ministre ? Comme un tel ralentissement de la dynamique de la dépense publique s’opérera-t-il ?
On nous dit que les dépenses de l’État, qui ont été réduites de 0,3 % en volume en 2013, baisseraient de 1,7 % en 2014.
On nous dit aussi que les dépenses des administrations de sécurité sociale verraient leur rythme de progression divisé par près de trois pour passer de 2,3 % en volume en 2013 à 0,8 % en 2014.
On nous dit, enfin, que les dépenses des collectivités locales cesseraient de progresser en 2014, après avoir augmenté de 2 % en volume en 2013.
Sur le fondement de quelles hypothèses peut bien reposer – pardonnez-moi l’expression – ce wishful thinking spectaculaire ? Quels phénomènes défavorables en 2013 ne se reproduiraient pas en 2014 ? Cela mériterait, pour avoir un bon débat, monsieur le ministre, d’être explicité de manière beaucoup plus précise que ce qui figure dans le rapport économique, social et financier pour 2014.
Lorsque l’on s’intéresse aux dépenses de l’État, au sens strict, que voit-on ?
On voit d’abord que les dépenses du budget général seront un peu supérieures en 2013 à leur niveau de 2012, soit 287,2 milliards d’euros contre quelque 286 milliards d’euros l’année précédente. Ce ne sont plus là des chiffres conceptuels ou structurels, mais des chiffres nominaux en euros sonnants et trébuchants !
On voit aussi que le montant du prélèvement européen dérape de 1,6 milliard d’euros. Alors que de plus en plus d’États de l’Union européenne obtiennent des rabais sur leurs contributions nettes au budget européen, la France demeure un bon élève et paie sans contrepartie.
On voit, enfin, que des crédits sont ouverts en collectif, dans le cadre de l’exercice de collecte qu’évoquait le rapporteur général, en complément de ceux qui ont été autorisés par le récent décret d’avance, essentiellement pour financer des dépenses de guichet : aides personnalisées au logement, aide médicale d’État destinée aux étrangers en situation irrégulière, par exemple. En face, des crédits sont annulés. Quels postes fournissent les gages ? L’équipement des forces armées et les infrastructures de transport.
Ce constat pourrait me conduire – mais je n’y insisterai pas – à mettre en doute l’exercice de réforme ou de restructuration des services publics qu’est censé représenter la nouvelle, et parée de toutes les vertus, « modernisation de l’action publique ». Ce que je vois surtout, c’est que l’on rabote, à juste titre d’ailleurs, les trésoreries disponibles, bonne vieille méthode budgétaire que je ne rejette pas, tant s’en faut, mais qui n’est pas véritablement porteuse de réforme. Je vois aussi que l’on sacrifie les crédits d’intervention et d’investissement, et que l’on annonce toujours de nouvelles économies, non documentées ou si peu, pour demain ou après-demain.
Que remarque-t-on encore en examinant ce collectif de la fin de l’année 2013 ?
Les recettes rentrent moins bien que prévu. Je ne reviens pas sur les chiffres, que vous connaissez ; le rapporteur général les a donnés.
Je m’inquiète en particulier pour l’avenir de la TVA, qui est notre premier impôt en termes de rendement fiscal. Ce gouvernement, comme le précédent, – mais de façon moins directe et, à mon sens, moins efficace – a constaté qu’il était plutôt positif d’effectuer des transferts de l’impôt de production vers l’impôt de consommation. Cela se traduit par les augmentations de taux de TVA qui figurent dans la loi de finances pour 2014.
Monsieur le ministre, si l’on est de moins en moins en mesure de prévoir le rendement de la TVA et si les évolutions de l’économie – je pense en particulier au développement de l’économie numérique – fragilisent son rendement, il sera vraiment très difficile d’imaginer, « remise à plat » ou non, une véritable stratégie fiscale.
Les récents travaux de la commission des finances, au-delà des différences respectives d’opinions de ses membres, constituent à cet égard une mise en garde contre les risques d’érosion de l’assiette de la TVA, compte tenu de divers phénomènes que nous ne maîtrisons pas.
On remarque aussi dans ce collectif que le déficit de l’État passerait de 87,2 milliards d’euros en 2012 à 71,9 milliards en 2013, mais que cette réduction de 15 milliards d’euros est sans incidence, ou presque, sur le besoin de financement de l’État, lequel est quasiment stable : il passerait de 187 milliards d'euros à quelque 186 milliards d'euros. Cela s’explique par des amortissements plus importants que prévu de titres de la dette antérieure, ainsi que par la reprise de la dette de 4,5 milliards d’euros résultant des déboires de l’ancien Crédit lyonnais. On peut soutenir que, sur la dette, selon le calcul maastrichtien, c’est sans incidence, il n’en reste pas moins que, sur le besoin de financement de l’État et, donc, sur le recours au marché, l’incidence est réelle.
Mes chers collègues, en comparant l’exécution à la prévision en loi de finances initiale, j’observe les bienfaits d’une gestion active de la dette ; il faut en rendre hommage à l’Agence France Trésor. En 2013, il a fallu financer un déficit supérieur d’environ 10 milliards d’euros aux prévisions ainsi que la reprise de la dette de l’Établissement public de financement et de restructuration, l’EPFR, soit une quinzaine de milliards d’euros, et tout cela a été réalisé sans que le montant des émissions à moyen et long termes soit modifié, puisqu’il demeure à 169 milliards d’euros.
Cependant, la magie financière n’agit pas toujours et la conjoncture des taux d’intérêt, dont nous bénéficions et c’est heureux, ne sera probablement pas éternelle. Le Gouvernement le pense, monsieur le ministre, puisque, dans certains documents, c’est l’argument avancé pour justifier la reprise des 4,5 milliards d’euros de dettes de l’EPFR : raisonnablement, au regard des différents facteurs qui existent dans le monde, il faut s’attendre à une tension sur les taux d’intérêt.
Mes chers collègues, je terminerai sur les dispositions législatives et me concentrerai sur la réforme de l’assurance vie.
Après de nombreux rapports, dont ceux qui ont déjà été cités, les mesures proposées en faveur du contrat dit « euro-croissance », lequel vise à orienter l’épargne vers des placements en actions tout en offrant aux souscripteurs une garantie à terme, sont utiles. C’est un point positif. Pourquoi faut-il alors que, dans le même temps, apparaissent une taxe sur les contrats transformés et une modification du mode d’assujettissement aux prélèvements sociaux particulièrement défavorable aux épargnants que l’on veut inciter à souscrire ces nouveaux produits ? Cette façon de procéder, un coup dans un sens puis un coup dans l’autre, obérera en grande partie l’efficacité du dispositif et engendrera peu de bénéfices pour l’économie.
Quant au contrat « vie-génération », il aurait dû permettre de transmettre son patrimoine dans de meilleures conditions. Or, dans le même temps, la taxation en cas de décès est alourdie, de manière à neutraliser l’avantage fiscal que procure ce contrat. Alors à quoi bon ? En outre, ce produit est soumis à de très rigides contraintes d’investissement. Cela nous rappelle les anciens contrats DSK et NSK. Il est frappant de constater que le présent projet de loi de finances rectificative supprime les contrats NSK, dont la diffusion était restée confidentielle car ils étaient beaucoup trop compliqués. Il faudrait tout de même tirer les leçons des échecs du passé !
Enfin, monsieur le ministre, je relève quelques dispositions d’inspiration bureaucratique pour faire bonne mesure. Je pense à la création d’un fichier central des assurances vie qui, chaque année, recenserait dans le détail les contrats de millions de Français.
On aboutit ainsi à un empilement de mesures contradictoires, qui sont à mon sens mal maîtrisées et se révéleront malheureusement peu efficaces, alors que nous sommes tous en accord pour rechercher des mesures à la hauteur des enjeux liés au financement de l’économie.
Peut-être faut-il attendre la remise à plat de la fiscalité. Peut-être est-ce l’horizon auquel vous allez nous confier. Vous comprendrez toutefois, monsieur le ministre, que le scepticisme ait été de mise au sein de la commission des finances. C’est pourquoi celle-ci préconise le rejet du texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)