M. Jean-Claude Lenoir. Nous nous en réjouissons !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Tant qu’il existe des armes nucléaires dans le monde, tant que demeurent les risques d’un chantage exercé par d’autres puissances contre nos intérêts vitaux, la dissuasion constitue à mes yeux l’une des garanties fondamentales de notre liberté d’appréciation, de décision et d’action. Nous devons savoir l’adapter aux évolutions des risques et menaces possibles. Il est difficile de le nier, même si certains le déplorent. (Marques d’approbation sur certaines travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. C’est la position du Gouvernement et du ministre de la défense.

M. Alain Gournac. C’est aussi la nôtre !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour autant, ne craignons pas le débat sur le sujet. Vous souhaitiez que nous en parlions, nous y sommes tout à fait favorables et le débat a toute sa place.

Nos choix stratégiques se sont traduits par des décisions fortes dans le domaine de nos capacités militaires. Sans reprendre ici l’ensemble des programmes en cours de lancement – j’en ai cité rapidement quelques-uns tout à l'heure –, j’indiquerai trois orientations qui ont guidé nos choix.

Tout d’abord, nous avons décidé de combler des lacunes criantes. En ce sens, nous avons suivi les incitations de la commission de la défense du Sénat dans le domaine des drones. Je rappelle aux spécialistes qui se trouvent dans cet hémicycle, et ils sont nombreux, que les premiers drones MALE sont en cours d’acheminement vers Niamey. C’est également le cas dans le domaine du ravitaillement en vol ou encore dans celui du transport aérien.

Ensuite, nous avons souhaité adapter notre dispositif aux nouvelles modalités des opérations. Il s’est agi de mettre en œuvre des principes de différenciation et mutualisation, de renforcer nos forces spéciales et de donner la priorité à la cyberdéfense.

Enfin, nous avons voulu renouveler progressivement certains équipements en fin de vie. C’est l’objet tout particulier du programme Scorpion – on annonçait qu’il ne verrait pas le jour, mais il est bien maintenu et je l’engagerai dès le début de l’année 2014 –, du programme Barracuda ou de la rénovation de matériels plus éprouvés tels que les Mirages 2000 ou les frégates La Fayette.

Je le rappelle, j’ai souhaité le renforcement de notre effort en recherche et technologie, avec des crédits consacrés aux études en amont en hausse par rapport à la période précédente.

L’une de nos priorités, c’est le maintien en condition opérationnelle de nos forces. En effet, il nous faut non seulement un nombre significatif de soldats, mais aussi des militaires entraînés et équipés ; c’est indispensable pour assurer la cohérence et l’équilibre de nos forces dans les six années qui viennent.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de plusieurs mois de travail – plusieurs années même, en ce qui concerne la commission de la défense du Sénat ! –,...

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur. Oui !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … qui nous ont en bonne partie rassemblés et permis d’avoir une vision et une réflexion très fortes, j’ai acquis la conviction de disposer, avec ce projet de loi de programmation militaire, du meilleur cadre possible dans les circonstances que nous traversons, pour orienter notre politique de défense dans les six ans qui viennent.

Pour cette raison, j’ai l’honneur de solliciter un vote conforme du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai souligné en ouvrant ce propos : en matière de défense, l’inaction ou l’immobilisme est préjudiciable à nos intérêts. Les enjeux de défense doivent dépasser les clivages partisans.

L’équilibre de ce projet de loi dépend aussi du respect rigoureux de la feuille de route qu’il dessine. C’est vrai dans le domaine des ressources financières et ce fut le sens de vos amendements. C’est vrai aussi dans le domaine des ressources humaines, où il est important que les dispositions de la loi puissent être mises en application dès le 1er janvier prochain. En vous prononçant ainsi, tout particulièrement dans ce domaine, vous répondrez aux attentes de la communauté militaire et, plus largement, à celles de la communauté de défense.

À de nombreuses reprises et de diverses manières, ces hommes et ces femmes ont exprimé leur besoin de connaître le cap que la nation entend donner à ses armées, comme d’ailleurs à ses entreprises, dans ce domaine régalien. Ce cap, nous vous l’avons proposé. À travers nos échanges, nous l’avons précisé ensemble. Je tiens de nouveau à saluer l’action de la Haute Assemblée à cette fin, sa prise de distance à l’égard de l’immédiateté et, dans le même temps, sa vision de long terme.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’heure est maintenant à la mise en œuvre. En votant ce texte aujourd'hui pour qu’il entre en application au 1er janvier prochain, vous marquerez votre détermination à voir cette programmation réussir. Ce sera un chantier de longue haleine et, si j’ose dire, de tous les instants. Je suis pour ma part déterminé à le mener et je sais pouvoir compter sur vous pour y contribuer, au travers de rendez-vous réguliers, dans l’intérêt supérieur de la nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Gérard César applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce sujet me tient tellement à cœur que je pourrais vous en parler pendant des heures ! Je ne prendrai cependant pas le risque de vous lasser et m’en tiendrai à l’essentiel. (Sourires.)

Le Sénat est appelé à se prononcer en deuxième lecture sur le projet de loi de programmation militaire, après son adoption la semaine dernière par l’Assemblée nationale.

Mes chers collègues, je ne reviendrai pas ici sur les enjeux de ce texte adopté le 21 octobre dernier : vous les connaissez parfaitement. Je me contenterai de rappeler les apports du Sénat qui ont été préservés et même confortés par l’Assemblée nationale.

En première lecture, sur l’initiative de la commission, le Sénat a introduit trois principales avancées, qui n’ont pas été remises en cause lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale.

Nous avons tout d’abord souhaité renforcer la portée des clauses de sauvegarde – bien nous en a pris ! –, afin de garantir le bon respect de la trajectoire financière. Pour autant, vous le savez, mes chers collègues, celle-ci ne me satisfait – ne nous satisfait – pas totalement.

Je rappelle que, conformément à l’engagement du Président de la République de « sanctuariser » les moyens financiers dont disposera la défense nationale, le projet de LPM prévoit un peu plus de 190 milliards d’euros pour la défense sur la période 2014-2019.

Le projet de loi de finances pour 2014, que nous avons examiné récemment en commission, est d’ailleurs conforme à l’euro près. Sur ce montant, 6,1 milliards d’euros sont issus de recettes exceptionnelles, provenant notamment de la vente de fréquences ou de cessions immobilières, soit 3 % du montant total.

Afin de s’assurer que ces ressources seront bien au rendez-vous, au montant et au moment prévus, notre commission a adopté – à l’unanimité, faut-il le rappeler ? – un amendement visant à prévoir, dans la partie normative de la LPM, que, en cas de non-réalisation, ces recettes exceptionnelles seront intégralement compensées par d’autres recettes ou par des crédits budgétaires sur une base interministérielle.

De même, en ce qui concerne la clause de sauvegarde sur les OPEX, nous avons préféré revenir à la rédaction de la précédente LPM. Vous le voyez, lorsque certaines dispositions sont bonnes, nous n’hésitons pas à les conserver !

Pour 2013, le surcoût des OPEX, notamment de l’opération Serval au Mali, a d’ailleurs été intégralement couvert par des financements interministériels. Bravo, monsieur le ministre ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Cela illustre tout l’intérêt de cette clause, notamment au regard de l’intervention en République centrafricaine, dont nous venons de débattre et qui a fait l’objet d’un large consensus sur les travées de notre assemblée.

En première lecture, notre commission a également souhaité introduire un ensemble de dispositions afin de renforcer le contrôle parlementaire de l’exécution de la loi de programmation militaire. Elle a en particulier adopté un amendement, cosigné par l’ensemble des rapporteurs spéciaux, visant à prévoir un contrôle sur pièces et sur place.

Comme nous le savons tous ici, l’exécution de la LPM sera déterminante. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur nous pour exercer sans faiblir un suivi particulièrement vigilant, exigeant et permanent.

Certes, dans le contexte budgétaire actuel, la trajectoire financière prévue par la LPM est la moins mauvaise possible. Cependant, elle ne répond pas entièrement à nos attentes, voire à nos espérances.

C’est la raison pour laquelle le Sénat a souhaité introduire dans le texte une « clause de revoyure », à laquelle vous étiez très favorable, monsieur le ministre, et une « clause de retour à meilleure fortune », afin de prévoir, si la situation économique le permet, le redressement de l’effort de la nation en faveur de la défense, qui devrait tendre vers l’objectif de 2 % du PIB. À ce moment-là, nous aurons beaucoup à dire, mais n’anticipons pas. Sur les MRTT et la réduction des reports, nous aurons à dire et à faire. (MM. Robert del Picchia et Gérard César s’exclament.)

Sur ces trois volets essentiels pour nous – les clauses de sauvegarde, le contrôle parlementaire de l’exécution et la clause de revoyure et de retour à meilleure fortune –, le texte adopté par l’Assemblée nationale n’a pas remis en cause le vote du Sénat. J’en remercie mes collègues députés.

Quelles ont donc été les principales modifications introduites par l’Assemblée nationale ? Elles sont de trois ordres. Tout d’abord, sur l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a adopté un ensemble d’amendements visant à majorer, à hauteur de 500 millions d’euros, le montant des ressources exceptionnelles prévues par la LPM.

Cette majoration vise à compenser les annulations de crédits de la fin de gestion de l’année 2013. Elle est donc selon moi de nature à contenir le gonflement du report de charges et à éviter l’aggravation de la « bosse », repoussée d’année en année, c’est-à-dire d’un décalage significatif dans la programmation de l’équipement des forces. Néanmoins, monsieur le ministre, il faudra, comme le réclame notre commission, s’attaquer résolument à ce report de charges. Ce sera l’un des principaux enjeux de la revoyure de 2015.

Monsieur le ministre, nous attendons des engagements concrets sur la résorption de ce report de charges. Nous vous y aiderons. Notre commission sera particulièrement vigilante et innovante sur ce point.

Certes, nous sommes partagés entre le désir qu’ont certains, dont je fais partie, de ne pas vendre tous nos trésors de famille et le souhait qu’ont d’autres, si ces trésors de famille ne sont pas absolument nécessaires pour la conduite de nos programmes, de réaliser de telles cessions, afin de nous débarrasser de ces reports, qui pèsent, voire nous obsèdent. À nous d’avoir l’intelligence et la finesse de parvenir à un moyen terme pour trouver une issue favorable à cette situation.

Sur l’initiative de sa commission des lois, l’Assemblée nationale a également modifié les dispositions relatives à la délégation parlementaire au renseignement. Elle est revenue sur certaines avancées introduites par le Sénat, dans un sens plus conforme aux souhaits du Gouvernement, comme de ceux de plusieurs membres de notre assemblée ; je pense en particulier à Gérard Larcher.

En particulier, les directeurs des services de renseignement pourront se faire accompagner, s’ils le souhaitent, par les collaborateurs de leur choix. En revanche, ils ne seront pas tenus de se rendre aux convocations, comme je l’avais souhaité initialement.

Personnellement, je regrette que l’Assemblée nationale n’ait pas voulu conserver les avancées introduites par le Sénat, qui auraient permis d’aller vers un véritable contrôle parlementaire. Toutefois, étant donné que le texte actuel représente un progrès important par rapport à la situation précédente, qui elle-même représentait une avancée notable par rapport à la situation antérieure, compte tenu de l’enjeu et afin de privilégier une démarche consensuelle entre les deux assemblées, je n’ai pas souhaité présenter de nouveaux amendements.

Enfin, sur l’initiative de sa commission de la défense, l’Assemblée nationale a souhaité ouvrir une réflexion sur le dialogue social au sein du ministère de la défense. Là encore, de grâce, pas de faux procès ou de polémiques stériles entre nous ! Nous devons être très clairs sur ce point.

L’objectif visé consiste simplement à associer davantage les personnels, civils comme militaires, à la mise en œuvre des réformes, dans un contexte où la réussite de la manœuvre des ressources humaines sera déterminante pour le succès de la LPM dans son ensemble.

Il nous faut impérativement rompre avec cet effet de ciseau, intenable, qui conduit la masse salariale à s’accroître au moment où les effectifs décroissent. Pour autant, les changements sont encadrés et limités.

Sur les autres aspects, nos collègues députés ont approuvé ou conforté les principaux apports de notre assemblée.

Il en va ainsi des dispositions visant à assurer une meilleure protection des militaires face au risque de judiciarisation que nous connaissons tous, ou de la refonte, sur l’initiative de la commission des lois du Sénat, du régime de l’accès aux données de connexion et à la géolocalisation en temps réel, dans un sens plus protecteur des libertés publiques.

C’est pourquoi j’avoue avoir été quelque peu perturbé par le fait que de grands opérateurs se posent des questions sur l’éthique des mesures que nous avons proposées, soulignant leur côté éventuellement liberticide… Il me semble au contraire que nous nous situons dans le droit fil du respect des droits de l’homme et de l’accroissement de la protection des libertés individuelles. Ces braves gens qui crient ainsi au risque liberticide seraient mieux inspirés de lire nos conclusions et nos débats afin de s’imprégner de notre sens des responsabilités, qui est au demeurant largement partagé sur toutes les travées !

C’est en effet sur l’initiative de l’ancien président de la commission des lois que nous avons débattu et voté, de façon absolument unanime, sur ce sujet. (M. le ministre opine.) Qui ne comprend ici que cette forme de géolocalisation en temps réel est absolument déterminante ? Quand on lance une poursuite contre des terroristes, ce n’est pas sur la base d’une géolocalisation datant de trois, quatre, cinq ou huit jours que l’on peut agir avec efficacité, mais bien sur le fondement d’une géolocalisation en temps réel, dont le lancement requiert les mêmes exigences que celles qui étaient demandées auparavant.

Aussi, de grâce, mes chers amis, ne vous laissez pas entraîner dans cette pseudo-polémique, portée par des gens qui permettent beaucoup d’écoutes, sur un très large spectre, mais qui viennent aujourd’hui nous reprocher d’être liberticides, alors que nous nous battons au contraire pour la défense des libertés.

Sur d’autres aspects du texte, les députés sont même allés un peu plus loin. Je pense en particulier au régime d’indemnisation des victimes des essais nucléaires ou encore à l’allongement de dix à trente jours de l’autorisation de la géolocalisation.

Seul un sujet a fait l’objet d’une réelle divergence d’appréciation entre les deux assemblées : le rythme de livraison des avions ravitailleurs MRTT, c'est-à-dire Multi-Role Tanker Transport.

M. Gérard César. Eh voilà !

M. Robert del Picchia. Quatre MRTT !

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Vous m’entendez rarement sur ce genre de sujets très techniques, mes chers collègues. Il faut dire que, au sein de la commission que j’ai l’honneur de présider, Daniel Reiner, Jacques Gautier et Xavier Pintat travaillent déjà d’arrache-pied sur le BAe 146. Je n’ai donc pas trop besoin de m’en soucier, ce qui est fort appréciable ! (Sourires.)

Si notre armée de l’air et notre armée en général sont extraordinairement performantes, l’absence de MRTT pose problème. Le MRTT, c’est un peu l’équivalent de la borne de ravitaillement pour la voiture électrique ; c’est absolument nécessaire ! Si l’on ne peut pas ravitailler les voitures électriques, on ne peut tout simplement pas les commercialiser.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Me permettez-vous de vous interrompre un instant, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est M. le ministre, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je vous remercie de m’autoriser à vous interrompre, monsieur le rapporteur. Je souhaiterais en effet vous apporter un éclairage sur les choix respectifs de l’Assemblée et du Sénat.

Je sais que les membres de la commission de la défense du Sénat, de même que son président, sont attachés à la commande de quatre avions MRTT. Je souligne toutefois que le débat ne porte plus aujourd’hui sur le principe même de ces derniers : j’ai en effet souhaité que le processus soit engagé et que l’on passe commande rapidement.

Le problème est aujourd’hui de savoir si l’on s’engage tout de suite sur quatre appareils ou si l’on commence par deux. J’ai proposé que la question du passage de deux à quatre soit posée lors de la révision du texte, prévue en 2015. Il me semble qu’il s’agit là d’un compromis très stimulant.

L’Assemblée nationale et le Sénat pourraient tomber d’accord sur ce principe, en sachant que, pour l’instant, nous n’avons pas encore commandé le premier et qu’un problème de délai de livraison se pose également.

Quoi qu’il en soit, la nécessité de pouvoir disposer rapidement d’avions ravitailleurs est largement partagée au sein de la Haute Assemblée.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. C’est justement parce que nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, que votre interruption est vraiment productive.

En même temps, compte tenu de l’importance de la question du ravitaillement en vol, je considère, monsieur le ministre, qu’elle devrait être traitée en priorité, tant lors de la revoyure de 2015 que lors du prochain Conseil européen sur la relance de l’Europe de la défense, à propos duquel nous aurons l’occasion de débattre demain.

Pour conclure – et ce n’est pas une clause de style ! –, je voudrais remercier l’ensemble des membres de la commission, les deux rapporteurs pour avis, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des finances, Yves Krattinger, de leur importante contribution à l’examen de ce projet de loi.

C’est la première fois qu’une loi de programmation militaire est examinée en premier au Sénat. Grâce au travail réalisé par tous les sénateurs, de tous les groupes, je crois que nous avons collectivement démontré tout l’intérêt du bicamérisme et d’une assemblée telle que la nôtre, dont les membres savent placer l’intérêt général au-dessus des clivages partisans et se rassembler sur des sujets essentiels pour notre pays, comme la défense. Pour ma part aussi, d'ailleurs, c’est ici, parmi vous, mes chers collègues, que j’ai appris à dépasser ces problématiques partisanes. Je suis sûr que les militaires qui nous écoutent sont très sensibles à cette approche, et je pense que les Françaises et les Français peuvent l’être également.

Avec cette LPM, la France sera l’un des rares pays en Europe capable de protéger, de manière autonome, son territoire et sa population, grâce au maintien de la dissuasion dans ses deux composantes, capable d’intervenir militairement hors de son territoire pour protéger ses ressortissants, ses valeurs et de tenir son rang sur la scène internationale, comme hier au Mali et aujourd’hui en République centrafricaine.

Nos militaires ont fourni la preuve de leur engagement, de leur dévouement, de leur courage et de leur abnégation. Donnons-leur les moyens de poursuivre leur mission au service de notre pays !

Pour ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, au nom de la commission que j’ai l’honneur de présider, à adopter en deuxième lecture ce projet de loi. Nous aurons alors fait un grand pas vers la sauvegarde de notre outil militaire ! (Applaudissements.)

(Mme Bariza Khiari remplace M. Jean-Pierre Raffarin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous venons d’avoir sur l’engagement de nos forces armées en République centrafricaine vient rappeler que le maintien d’une capacité de projection, adossée à des troupes pré-positionnées, reste bien un élément indispensable de notre politique de défense.

Hier au Mali, aujourd’hui en RCA, la France montre une nouvelle fois qu’elle dispose d’un outil militaire performant au service de notre diplomatie, et nous pouvons en être fiers !

Cependant, si le dernier Livre blanc prévoit que la France doit être en mesure de déployer entre 15 000 et 20 000 hommes en opération extérieure afin de protéger ses ressortissants, défendre ses intérêts et honorer ses engagements internationaux, en serons-nous encore capables dans les années à venir ? Tel est le cœur du débat.

En toile de fond de l’intervention militaire française en Centrafrique se pose en effet la question de notre capacité à assumer de nouvelles opérations extérieures dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. En d’autres termes, il s’agit de savoir si nous avons encore les moyens de nos ambitions.

Permettez-moi tout d’abord de saluer les travaux menés par nos deux assemblées sur ce projet de loi de programmation militaire, notamment dans le cadre de nos commissions de la défense respectives. Certes, les discussions ont été intenses, et certaines divergences de vues se sont exprimées, mais nous ne pouvons que nous réjouir que notre politique de défense suscite un débat transparent et vigoureux. En effet, au-delà de sa dimension militaire, c’est bien tout un pan de notre diplomatie, de notre économie et, plus largement, de la société française qui est concerné.

Ce projet de loi de programmation militaire est sensiblement équivalent dans son contenu à celui que nous avons examiné en première lecture : les grandes orientations du texte ont été préservées et son équilibre a été respecté lors de l’examen à l’Assemblée nationale.

Toutefois, certains sujets font débat. M. Jean-Louis Carrère vient de s’exprimer avec force, et de manière convaincante. Nombre de collègues membres de la commission, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, sont solidaires de son propos, qui est le fruit de nos échanges et de nos travaux.

En tout état de cause, ce projet de loi de programmation acte un certain nombre d’avancées substantielles dans des domaines stratégiques, comme celui du renseignement. Il convient de le souligner.

Le développement d’une capacité de connaissance et d’anticipation est érigé en priorité, et la loi de programmation confère au renseignement de nouveaux moyens juridiques tout en renforçant le contrôle de la délégation parlementaire au renseignement.

Autre dimension centrale, déjà évoquée en première lecture : ce projet de loi donne une nouvelle impulsion à notre politique de cyberdéfense en renforçant les moyens d’action de l’État au travers, notamment, de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI. Le projet de loi vise également à renforcer les obligations des opérateurs d’importance vitale en matière de protection de leurs systèmes d’information, conformément d’ailleurs aux recommandations que nous avions émises dans le rapport qui avait été approuvé par la commission en juillet 2012.

Si nous nous réjouissons de ces dispositions, des inquiétudes demeurent néanmoins. Si vous avez, monsieur le ministre, apporté des garanties lors de nos discussions en première lecture, et encore aujourd’hui d'ailleurs, dans votre propos liminaire, je tiens à revenir sur certaines réserves que nous avions formulées.

Tout d’abord, l’équilibre budgétaire de ce projet de loi de programmation reste pour nous très incertain. Ce serait d’ailleurs une première si une telle loi était respectée, mais nous en acceptons l’augure dans le contexte actuel.

Toutefois, même s’il existe incontestablement une volonté de la respecter, ce qui n’avait jamais été le cas par le passé, l’équilibre de cette loi est-il tenable sur la période de la programmation ? Les ressources exceptionnelles, qui sont au cœur du dispositif, permettront-elles de respecter les engagements budgétaires et donc d’assurer la pérennité de notre outil de défense ?

Comme vous l’avez rappelé, l’équilibre sur la période repose sur 6,1 milliards d’euros de ressources exceptionnelles. Or un amendement du Gouvernement adopté à l’Assemblée nationale vise déjà une majoration de 500 millions d’euros de ces ressources exceptionnelles. On peut franchement avoir quelques doutes sur notre capacité à les trouver dans ce laps de temps…

Au-delà de l’existence d’une clause de sauvegarde dans cette loi de programmation, la perspective d’un nouveau bras de fer avec Bercy ne peut être évacuée, compte tenu du caractère aléatoire de ces ressources. Avec la suppression de 650 millions d’euros dans le projet de budget rectificatif pour 2013, compensée par 578 millions d’euros de solidarité interministérielle, les crédits du ministère de la défense sont préservés cette année. Toutefois, rappelons que près de 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles sont prévus pour l’année prochaine, et qu’elles risquent de manquer à l’appel.

En outre, la sous-budgétisation des OPEX, les opérations extérieures, récemment pointée du doigt par la Cour des comptes, pourrait à terme menacer l’équilibre budgétaire de la défense. Alors que, en moyenne, le coût des opérations extérieures se situe depuis plusieurs années autour de 800 millions d’euros, la loi de finances initiale pour 2013 prévoit des crédits à hauteur de 630 millions d’euros.

À l’heure où la France s’engage en République centrafricaine et poursuit son opération militaire au Mali, cette situation paraît devoir perdurer, dans la mesure où le projet de loi de finances pour 2014 abaisse les crédits OPEX à 450 millions d’euros.

Selon la Cour des comptes, ce sont les dépenses d’équipement qui jouent chaque année le rôle de variable d’ajustement au profit de la masse salariale et des OPEX. Ainsi, l’essentiel des annulations prévues dans le projet de loi de finances rectificative concerne le programme 146, « Équipement des forces ».

Pourtant, la baisse du volume des commandes et le glissement des programmes d’équipement ont des conséquences préjudiciables sur l’ensemble de la filière de défense, qui emploie près de 20 000 personnes. En temps de crise, il s’agit là d’un réservoir de croissance de première importance, et les industriels ne cachent pas leurs inquiétudes.

Finalement, cet équilibre budgétaire incertain fait craindre de nouvelles réductions d’effectifs. Alors que la défense a déjà subi de plein fouet les réformes précédentes, la réduction de plus de 33 000 postes entre 2014 et 2019 risque de bouleverser la cohérence du format de nos armées. Compte tenu des menaces qui persistent, en particulier dans la zone sahélienne, le maintien d’une armée dimensionnée et projetable rapidement est pourtant essentiel pour continuer à assumer nos responsabilités.

Notre engagement opérationnel pourrait davantage s’inscrire dans un cadre européen – la plupart d’entre nous s’accordent d'ailleurs sur ce point –, mais force est de constater, à cet égard, que nous sommes encore loin d’une véritable défense européenne, comme le montre la faible réaction européenne face à la crise en République centrafricaine.

Monsieur le ministre, alors que nous attendons votre feuille de route en matière de défense européenne dans la perspective du Conseil européen de décembre prochain, je souhaite revenir ici brièvement sur votre décision de dissoudre, dans le courant de l’année 2014, le 110e régiment d’infanterie, actuellement stationné à Donaueschingen et rattaché à la brigade franco-allemande, qui m’est chère.

Comme vous le savez, je m’étais fortement engagé en 2009 en faveur du maintien de ce régiment. Je regrette cette décision qui remet en cause l’équilibre de la brigade franco-allemande, la BFA, fondée sur une implantation similaire des forces françaises et allemandes de part et d’autre du Rhin.

Cependant, au-delà du symbole de la réconciliation franco-allemande, peut-on envisager un engagement de la BFA en tant qu’unité opérationnelle à part entière, et non pas uniquement en tant qu’élément français ? Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part de l’état actuel de vos discussions avec votre homologue allemand quant à l’implantation de la brigade de part et d’autre de la frontière, et quant à sa capacité d’emploi, éventuellement en Afrique ?

Nous l’avons compris, dans une période particulièrement difficile, la contrainte budgétaire constitue la colonne vertébrale de la présente loi de programmation. La préservation de l’enveloppe budgétaire de la défense pour les trois prochaines années devrait permettre d’éviter, à court terme, le déclassement de notre outil de défense.

Toutefois, si nous souhaitions pointer plusieurs inquiétudes réelles – en effet, le respect d’une loi de programmation serait une première –, nous devons reconnaître vos efforts, monsieur le ministre, que nous n’avons eu d'ailleurs de cesse de soutenir au sein de notre commission, avec le président Carrère, dont vous avez encore vu à l’instant la pugnacité.

Au-delà des inquiétudes que je viens de rappeler, nous avons le sentiment aujourd’hui que la France conserve, avec ce texte, une défense à un niveau crédible et acceptable. On dit parfois : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console ». Effectivement, au sein de l’Union européenne, peu de pays ont une capacité militaire similaire à la nôtre et peuvent s’engager en opérations comme nous le faisons. Cet état de fait montre l’importance de la mutualisation de nos forces dans certains domaines.

Dans un contexte aussi difficile que celui que nous connaissons, qui pourrait dire : « Je ferais mieux », sauf à faire à des choix toujours difficiles à opérer ?

Nous sommes au côté de nos soldats, engagés sous les couleurs de la France, non seulement pour sauver des vies, mais aussi pour défendre notre influence et notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est une force pour notre pays de disposer de cet atout et de le préserver.

Dans le contexte actuel d’interventions extérieures, il me paraît nécessaire de savoir nous rassembler. Ainsi, comme en première lecture, la majorité du groupe UDI-UC émettra un vote positif. Celui-ci n’en demeure pas moins un vote d’exigence quant à l’exécution de cette loi, qui fera l’objet d’un suivi. D’autres collègues s’abstiendront ou voteront contre.

Si le déclassement stratégique, évoqué par certains, n’est pas la réalité d’aujourd’hui, il nous appartient de tout faire pour qu’il ne soit pas celle de demain. C’est l’espoir que nous voulons traduire par cet engagement. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)